«En servant l’intérêt supérieur de l’enfant,
nous servons l’intérêt supérieur de toute l’humanité.»
Carol Bellamy, ancienne Directrice exécutive du Fonds
des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF, 1995-2005)
1. Introduction
1. Les efforts déployés au niveau international pour
promouvoir et protéger les droits des enfants ont considérablement
évolué depuis le début du XXe siècle.
La Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant
(ci-après «CIDE») a apporté une précieuse contribution aux changements
de paradigmes qui sont intervenus. L’article 3 de la CIDE dispose
que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles
soient le fait des institutions publiques ou privées de protection
sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale»,
et par son article 4 les Parties «s’engagent à prendre toutes les
mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires
pour mettre en œuvre les droits reconnus».
2. Même si l’action législative ne suffit pas à elle seule à
garantir la traduction des droits de l’enfant dans les politiques
nationales, leur insertion dans la constitution peut constituer
un signal fort et un point de départ pour le renforcement des lois
et mécanismes nationaux en faveur de la protection des enfants et
de leur épanouissement. De ce point de vue, la CIDE offre une base
solide pour l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions
parmi les mesures nationales de protection de l’enfance, sans cependant
solliciter cette mesure de manière explicite.
3. Le présent rapport examine comment les droits de l’enfant
pourraient être inscrits dans les constitutions nationales et comment
garantir que les dispositions pertinentes, ainsi que les droits
de l’enfant en général, soient effectivement mis en œuvre au plan
national. Ultérieurement, les résultats de ces travaux pourront
servir de base à des échanges réguliers de bonnes pratiques et fourniront
des orientations aux gouvernements nationaux.
4. Par une lettre en date du 25 mars 2013, la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable a saisi
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) de la question suivante: «Comment intégrer les droits
des enfants dans les constitutions nationales et promouvoir, par
ce moyen, leur mise en œuvre effective?» La Commission de Venise
a accepté d’entreprendre une étude sur ce sujet, à laquelle plusieurs
de ses membres ont participé en qualité d’experts, et a adopté un rapport
final lors de sa 98e Session plénière,
les 21 et 22 mars 2014. Cette étude a été dûment prise en considération
dans le cadre du présent rapport afin d’assurer la pleine coordination
des activités de l’Assemblée parlementaire et de la Commission de
Venise dans ce domaine, et de veiller à ce que toute recommandation
dérivée du présent rapport se fonde sur de solides analyses d’experts.
2. Les droits
de l’enfant en tant que droits constitutionnels – observations générales
2.1. Histoire et statut
des droits de l’enfant dans les constitutions
5. Il ressort d’une étude menée en 1978
que 82 % des constitutions
nationales rédigées entre 1788 et 1948 et 93 % de celles rédigées
entre 1949 et 1975 prévoyaient une forme quelconque de protection
des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Au début du
21e siècle, l’UNICEF estimait qu’un peu
plus de 20 constitutions dans le monde garantissaient ou protégeaient
expressément les droits de l’enfant selon l’approche préconisée
par la CIDE (voir ci-après)
. Cinq grandes caractéristiques
sont communes à ces dispositions constitutionnelles, à savoir: l’universalité;
l’inaliénabilité; la responsabilité; la participation; et la possibilité
d’obtenir réparation. Les dispositions concernant les droits des
enfants mettent généralement l’accent sur les principes suivants:
la non-discrimination; l’intérêt supérieur de l’enfant; le droit
à la survie et à la protection; l’accès aux services sociaux essentiels
et aux régimes de protection sociale; le rôle primordial de la famille;
la protection contre la violence; les sévices et la négligence;
et le respect du point de vue de l’enfant. Parmi les droits reconnus
aux enfants, les plus largement protégés sont en général liés à
l’éducation, au travail ou à l’égalité devant la loi (se référer
à l’étude de la Commission de Venise, présentée au chapitre 4, pour
des détails complémentaires).
6. L’UNICEF distingue trois catégories différentes de statut
constitutionnel de l’enfant en fonction de la période à laquelle
les constitutions ont été rédigées et adoptées: 1) «l’enfant invisible»;
2) la «protection spéciale»; et 3) les «droits de l’enfant»; dans
certains cas, l’approche retenue semble liée à l’histoire des textes correspondants
. Ainsi, les enfants sont pratiquement
invisibles dans les constitutions adoptées avant 1945, même si certaines
d’entre elles contiennent plusieurs dispositions relatives aux droits
humains qui peuvent s’appliquer aux enfants.
7. Les constitutions nationales présentant les droits de l’enfant
sous l’angle de la protection, qui ont souvent été adoptées dans
la période de l’après-guerre, envisagent généralement l’enfant non
pas comme un sujet de droits à part entière, mais comme une personne
ayant droit à une aide et à une assistance spéciales, attribuant
ainsi aux parents une responsabilité particulière en matière de
soins et d’éducation. Cette approche transparaît dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948 et dans les pactes internationaux relatifs
aux droits de l’homme de 1966. Selon l’UNICEF, les constitutions
instituant une «protection spéciale» de l’enfance ne sont pas incompatibles
avec l’approche de la CIDE. Elles restent néanmoins en deçà de l’approche
idéale consacrée par ce texte universel. Certes, une préoccupation
grandissante se fait jour pour les droits humains en général, de
même qu’un certain souci de l’enfance, qui reste dans l’ombre, mais
le langage employé trahit toutefois une vision de l’enfant comme
«objet» passif de protection plutôt que comme sujet de droit actif
.
8. Les constitutions adoptées ou révisées depuis 1989, année
de l’adoption de la CIDE, ont l’approche la plus exhaustive. Cette
approche repose souvent sur la reconnaissance des droits de l’enfant
proprement dit, avec un discours davantage fondé sur les droits
dans le traitement constitutionnel de l’enfance
. Toutefois, la pénétration de la CIDE dans
le libellé de chacune des dispositions traitant des droits de l’enfant
est très variable selon les constitutions. La prévalence accrue
de telles garanties constitutionnelles constitue certes un motif
de satisfaction, mais un débat critique concernant le statut et
la mise en œuvre des droits de l’enfant n’en apparaît pas moins
indispensable. En tant que rapporteur pour le présent travail, je
suis convaincu que le manque de dispositions explicites dans une
constitution nationale ne signifie pas que les droits de l’enfant
ne sont pas respectés, étant donné que ces derniers peuvent aussi
être couverts par des dispositions plus générales sur les droits
humains. Néanmoins, le fait que des dispositions spécifiques n’aient
pas été jugées nécessaires par le passé n’empêche pas les Etats
concernés de réexaminer la question au regard de l’évolution des
perceptions et des normes.
2.2. Pourquoi inscrire
les droits de l’enfant dans les constitutions?
9. Une constitution écrite constitue la matière première
et supérieure du droit dans un Etat. Elle prend généralement la
forme d’un texte unique qui sert de référence pour la formulation
de toute autre loi ou réglementation nationale. Les droits constitutionnels
jouissent donc d’un statut élevé qui veut que toutes les autres
lois doivent être formulées pour leur être conformes. Ce statut
et cette influence pourraient être mobilisés en faveur de l’enfance
en incorporant une protection spécifique des droits de l’enfant
dans les constitutions nationales.
10. Les constitutions peuvent également exprimer les priorités
politiques d’un Etat. Plusieurs juridictions de
common law (droit commun) privilégient
constitutionnellement des politiques conformément aux «grands principes
de la politique nationale»
. Ces dispositions sont
généralement très larges, elles ont vocation à créer des normes
générales à l’aune desquelles on pourra juger l’action de l’Etat.
De telles priorités politiques non contraignantes peuvent certes
constituer une avancée encourageante vers l’insertion ultérieure
dans le texte constitutionnel de garanties explicites des droits
de l’enfant. Sur le fond, toutefois, la garantie offerte est minime,
en grande partie en raison de la réticence démontrable des tribunaux
à invoquer des garanties aussi implicites, sous peine de se voir
accusés de pratiquer un activisme judiciaire.
11. Les principes directeurs de la politique sociale énoncés à
l’article 45 de la Constitution irlandaise, par exemple, sont établis
à des fins d’orientation générale mais «l’application de ces principes
dans l’élaboration des lois appartient exclusivement à l’Oireachtas (parlement) et ne
peut être connue d’aucun tribunal selon aucune disposition de la
présente constitution». Au nombre des principes figurent l’égalité
de tous les citoyens et leur droit au bien-être, le libre jeu de
la concurrence et le devoir de l’Etat de porter une attention particulière aux
besoins des groupes particulièrement vulnérables de la collectivité.
12. Tous les Etats n’ont pas de constitutions écrites ou des textes
constitutionnels uniques, tel est par exemple le cas du Royaume-Uni.
Cela ne les empêche pas de chercher à respecter les dispositions
de la convention par d’autres moyens. Par ailleurs, l’insertion
des droits de l’enfant dans les constitutions nationales ne garantit
pas encore leur mise en œuvre effective, des mesures législatives
et politiques complémentaires seront toujours requises. Enfin, la
nature des textes constitutionnels varie d’un pays à l’autre ce
qui peut aussi influer sur la mise en œuvre des droits y inclus.
En explorant l’utilité de l’insertion des droits de l’enfant dans les
constitutions et avant d’émettre des recommandations en ce sens,
il convient donc de prendre en compte les spécificités nationales
dans ce domaine.
2.3. Comment intégrer
les droits de l’enfant dans la constitution?
13. De nos jours, la «constitutionnalisation» des droits
de l’enfant se fait essentiellement en les intégrant par des renvois
à d’autres textes, comme la Convention relative aux droits de l’enfant.
Certains experts juridiques affirment toutefois que de telles garanties
offrent une fausse sécurité en conférant aux revendications relatives aux
droits de l’enfant une force rhétorique qui ne suffit pas toujours
à assurer une protection réelle ou adéquate
. Dans cette forme de «constitutionnalisation»
des droits de l’enfant, une application rigoureuse par le biais
de lois spécifiques et de mécanismes politiques est de la plus haute
importance. Les droits de l’enfant peuvent également être directement
intégrés dans le texte constitutionnel. C’est le cas dans plusieurs
pays européens dont le mien, la Roumanie (l’article 49 de la Constitution
roumaine prévoit un régime spécial de protection dans la mise en
œuvre des droits des enfants et des adolescents en interdisant de
les employer dans des activités susceptibles de leur être préjudiciables).
14. Certains experts, comme l’actuel Médiateur (ombudsman) du
Luxembourg, défendent régulièrement l’idée qu’il ne faut pas inscrire
les droits de l’enfant en tant que tels dans les constitutions eu
égard à la difficulté d’obtenir des majorités constitutionnelles.
Ils recommandent plutôt d’ancrer dans les textes constitutionnels
les institutions nationales des droits humains dédiées aux enfants,
les obligeant ainsi à appliquer, dans toute initiative en faveur
des enfants, des normes minimales d’intervention fondées sur les
«3 P» –
prévention, protection, poursuites –
complétés par la suite par un quatrième «P» désignant les
politiques publiques . Le recours aux institutions nationales
des droits humains consacrées aux enfants pour faire appliquer les
droits de ces derniers est également une des principales recommandations
formulées par la Commission de Venise (voir le chapitre 4, qui développe
des propositions plus spécifiques à cet égard).
3. Argumentation autour
du statut constitutionnel des droits de l’enfant
15. Les constitutions peuvent contribuer de manière concrète
aux changements si elles énoncent des normes contraignantes applicables
aux mesures législatives, politiques et réglementaires. D’une manière
plus générale, la constitutionnalisation favorise la sensibilisation
aux droits de l’enfant et leur confère une légitimité et un fondement
qu’ils n’auraient probablement pas autrement. Elle crée en outre
une incitation politique à augmenter les dotations budgétaires allouées
à l’enfance et pourrait renforcer la position des enfants devant les
tribunaux. Néanmoins, des études menées concernant la mise en œuvre
de la Convention relative aux droits de l’enfant signalent que l’un
des principaux problèmes à cet égard reste leur manque de reconnaissance
et de promotion au niveau national. En ce qui concerne les budgets
nécessaires pour faire appliquer les droits de l’enfant, des moyens
limités suffisent pour certains de ces droits (comme le droit d’avoir un
nom ou une nationalité), mais d’autres sont plus coûteux et le degré
de leur mise en œuvre dépend de la volonté de chaque Etat (par exemple
le droit à l’éducation et le coût de l’enseignement).
3.1. Pourquoi la constitutionnalisation
plutôt que d’autres moyens?
16. L’UNICEF qualifie la reconnaissance constitutionnelle
des droits de l’enfant de «tremplin» à partir duquel peut être lancée
une initiative concertée pour modifier les cadres juridiques et
politiques et remettre en question les lois de protection de l’enfance
centrées sur les parents, qui ne servent pas toujours l’intérêt supérieur
de l’enfant
. L’organisation a proposé l’adoption
d’un code de l’enfance comme une alternative à la constitutionnalisation
.
L’avantage d’un tel mécanisme tient largement à son effet immédiat,
par la création d’un ensemble complet de textes législatifs traitant
des questions relatives à l’enfance. Cependant, l’ampleur même de
ce corpus pourrait poser problème car il pourrait être difficile
d’apprécier les implications d’un grand volume de lois nouvelles.
Dans les pays de
common law (droit
commun), faire appliquer un code pourrait de surcroît être un exercice
délicat, les membres des professions juridiques et autres n’étant
pas familiarisés avec les systèmes codifiés. Il y a en outre un
problème d’incompatibilité entre les codes et les complexes systèmes jurisprudentiels
et constitutionnels.
17. Cependant, l’alternative consistant à s’en remettre au précédent
pour créer le changement est tout aussi intenable. La règle du
stare decisis (la doctrine du précédent
judiciaire) en vigueur dans le système de
common law (droit
commun) favorise le retranchement dans le
statu
quo. Tout changement est donc graduel et étalé dans le
temps. Plus inquiétant, il suffit d’un seul arrêt rendu par une
juridiction supérieure pour réduire à néant les progrès accomplis
dans un domaine et en revenir à la situation antérieure. Pour qu’un
changement soit possible, il doit aussi y avoir une source de droit
concrète sur laquelle un juge pourra s’appuyer, sous peine de se
voir accusé de pratiquer un activisme judiciaire et d’outrepasser
son rôle. En présence d’une telle incertitude, et lorsqu’une approche
au coup par coup est privilégiée pour remédier aux problèmes, la constitutionnalisation
offre un mécanisme de protection uniforme dans toutes les juridictions
opérant dans un système constitutionnel
.
3.2. Inclusion expresse
ou implicite?
18. Parmi les arguments qui militent contre l’insertion
des droits de l’enfant dans les constitutions nationales, le principal
est qu’il est inutile d’instaurer des garanties supplémentaires
et explicites puisque les enfants bénéficient déjà de droits en
tant que citoyens de l’Etat concerné. Autrement dit, les droits
reconnus aux citoyens sont aussi implicitement reconnus aux enfants
en leur qualité de citoyens. Ainsi, l’inscription de garanties additionnelles
dans la constitution serait uniquement nécessaire pour les cas où
les enfants ne seraient pas considérés comme des citoyens, ou pour
les enfants qui ne sont manifestement pas citoyens, c’est-à-dire
ressortissants, d’un pays donné. Par ailleurs, on peut faire valoir
que le fait de garantir des droits spécifiques aux enfants dans
les constitutions nationales revient à les exclure implicitement
des garanties plus larges et bien établies accordées aux citoyens
adultes.
19. L’argument corollaire est que des groupes vulnérables de la
population, y compris les enfants, risquent d’être exposés à des
traitements injustes et de se heurter à des obstacles plus grands
pour faire valoir et revendiquer leurs droits, et qu’ils ont donc
besoin d’une protection supplémentaire, outre celle accordée à la majorité
des citoyens. Parmi les groupes d’enfants les plus vulnérables,
je tiens à mentionner les enfants réfugiés ou immigrés ainsi que
les enfants handicapés, qui ont souvent besoin d’une protection
et d’un soutien particuliers.
3.3. La séparation des
pouvoirs
20. Certains craignent que l’incorporation dans la constitution
des droits socio-économiques spécifiques énoncés dans la CIDE n’entraîne
des conflits inadmissibles sur le plan de la séparation des pouvoirs.
En effet, les juges auraient non seulement la possibilité, mais
encore l’obligation de rendre des ordonnances enjoignant à l’Etat
de mettre en œuvre des politiques ou des services donnés, empiétant
ainsi sur les rôles du législateur et de l’exécutif.
21. Les experts ont par exemple noté que le modèle sud-africain
(consistant à intégrer de longues listes de droits socio-économiques
dans la constitution moyennant des renvois à la CIDE) a donné lieu
à une situation où l’interprétation et l’application des droits
de l’enfant sont imprévisibles, incohérentes et souvent à l’origine de
tensions entre les droits de l’enfant et la société en général.
Une telle imprévisibilité de l’application est largement liée à
la nature socio-économique des droits que les juges cherchent à
faire appliquer: les ressources disponibles peuvent s’avérer insuffisantes
pour faire exécuter la décision, ou un tribunal pourra être moins
disposé que d’autres à s’engager dans la formulation de politiques
ou dans l’attribution de ressources que suppose son exécution
. Dans le cas de la mise en œuvre des traités
internationaux, on peut également observer que les juridictions
sont réticentes à faire exécuter des dispositions qui ont valeur
de principes sans inclure des critères d’application plus objectifs.
3.4. La capacité de
l’Etat à compléter ou suppléer le rôle des parents
22. Le risque de voir la constitutionnalisation élargir
le pouvoir d’ingérence des pouvoirs publics dans la vie familiale,
qui pourraient ainsi usurper la place et l’autorité de l’unité familiale,
préoccupe certains observateurs. La crainte d’une réduction des
droits des parents est d’ailleurs une des réserves majeures exprimées
par les Etats-Unis en rapport avec la ratification de la Convention
relative aux droits de l’enfant qui risquerait, par exemple, d’empêcher
des parents d’élever leurs enfants conformément à leurs convictions
religieuses ou de recourir à des châtiments corporels mineurs. D’une
manière générale, il est donc nécessaire de définir des règles et
procédures claires pour encadrer les interventions des autorités
de l’Etat et des services publics.
23. L’Assemblée a préparé des recommandations sur l’intervention
des services sociaux, notamment quand ils envisagent de retirer
un enfant de sa famille parce que son bien-être est menacé dans
un rapport intitulé: «Services sociaux en Europe: législation et
pratiques de retrait d’enfants de leur famille dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe»
.
Un cas intéressant, en France, illustre que les Etats sont de plus
en plus souvent amenés à définir des règles claires pour l’éducation
des enfants dans un cadre privé (y compris la famille et l’école):
le 3 novembre 2014, et suite à la réclamation no 92/2013
déposée par l’Association pour la protection des enfants (APPROACH)
contre la France, le Comité européen des Droits sociaux a conclu
à une violation de l’article 17.1 de la Charte sociale européenne
parce que «le droit français ne prévoit pas d’interdiction suffisamment
claire, contraignante et précise des châtiments corporels»
.
4. La protection des
droits de l’enfant par les constitutions: conclusions de la Commission
de Venise
24. En 2013/2014 et à l’initiative de la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable, la Commission
de Venise a réalisé une étude sur la question «Comment intégrer
les droits de l’enfant dans les constitutions nationales de manière
à en promouvoir la mise en œuvre effective?» (voir l’introduction), qui
a également été conçue comme un apport constructif à la Stratégie
du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant (2012-2015)
.
4.1. Statut général
des droits de l’enfant
25. La Commission de Venise note premièrement que la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant constitue le fondement
de la protection des droits de l’enfant par le droit international
et de la reconnaissance des enfants comme détenteurs autonomes de
droits. Elle fait également observer qu’on ne saurait sous-estimer
l’impact de la législation nationale sur la protection des droits
et des besoins de l’enfant, notamment parce que l’enfant a souvent
besoin de représentation, d’assistance et de soutien pour exercer
ses droits.
26. Toutefois – et dans ce domaine le changement de paradigme
se poursuit – les enfants ne doivent pas être vus avant tout comme
des «victimes» mais comme des titulaires individuels et autonomes
de droits qui peuvent aussi contribuer à la réalisation de leurs
droits matériels à la protection grâce aux droits additionnels à
la participation. Comme pour tous les droits humains, l’Etat est,
en vertu de la CIDE, le premier détenteur d’obligations en matière
de droits de l’enfant tandis que les parents, comme pourvoyeurs
de soins, peuvent aussi jouer un rôle dans la réalisation des droits
de l’enfant, soit directement, soit en la favorisant.
27. D’après le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies,
quatre principes généraux méritent en particulier d’être traduits
et mis en œuvre dans les systèmes juridiques nationaux: la non-discrimination
(article 2); l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération
primordiale dans toutes les décisions le concernant (article 3);
le droit à la vie, à la survie et au développement (article 6);
et le droit d’exprimer son opinion sur toute question l’intéressant
(article 12).
28. Cependant, le Comité des Nations Unies note également que
l’inscription des droits de l’enfant dans la constitution ne garantit
pas automatiquement le respect de ces droits. Dans ce contexte,
et dans celui de l’évolution récente de la société en Europe (nouvelles
menaces pour le bien-être, mesures d’austérité affectant les enfants
de manière disproportionnée en période de crise économique et aggravant
la pauvreté des enfants
), l’analyse de la protection constitutionnelle
des droits de l’enfant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
et de leur mise en œuvre a été jugée particulièrement utile par
la Commission de Venise au début de son étude.
4.2. Différentes formes
de protection de l’enfance
4.2.1. Intégration du
droit international dans l’ordre juridique interne
29. Une des manières de protéger les droits de l’enfant
consiste en une protection constitutionnelle indirecte via le droit
international, c’est-à-dire l’intégration de la CIDE et des dispositions
relatives aux droits de l’enfant de l’article 24 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne dans le droit interne.
Dans cette éventualité, on ne peut atteindre une protection de type
constitutionnel que si la CIDE et l’article 24 de la Charte jouissent
d’un statut et d’un effet constitutionnels.
30. Le statut et l’effet du droit international dans l’ordre juridique
interne varient toutefois d’un pays à l’autre. En termes purement
formels, son effet normatif serait donc moins fort que celui d’une
clause constitutionnelle sur les droits de l’enfant, même si les
conventions peuvent aussi induire des effets directs (en vertu des décisions
pertinentes des autorités nationales chargées de l’application de
la loi). Ainsi, l’effet direct de la disposition sur l’intérêt supérieur
de l’enfant de l’article 3 a suscité des réponses très variables
d’un tribunal national à l’autre, certains reconnaissant un effet
direct (France, Bulgarie), et d’autres non (Belgique).
31. Même si jusqu’à présent la CIDE était souvent affaiblie par
les réserves des Etats membres (souvent concernant les dispositions
des articles 14 (liberté de religion) et 21 (adoption)), la situation
évolue favorablement et un nombre croissant d’Etats retirent leurs
réserves. Par contre, la mise en œuvre des droits de l’enfant énoncés
par la CIDE n’est pas facilitée par le mécanisme de suivi relativement
faible dont est doté ce traité, qui se limite à la remise régulière
de rapports par les Etats. Cependant, le nouveau Protocole facultatif à
la CIDE établissant une procédure de présentation de communications
(qui offre aux enfants un mécanisme de plaintes individuelles et
prévoit des communications interétatiques et des procédures d’enquête systématiques)
suscite aujourd’hui beaucoup d’espoir.
32. D’autres dispositions relatives aux droits de l’enfant figurent
dans la Charte des droits fondamentaux (article 24), mais leur primauté
sur les lois nationales, qui est pourtant pleinement reconnue par
la Cour européenne de Justice, est refusée même par certains Etats
membres de l’Union européenne qui n’acceptent pas que le droit de
l’Union empiète sur leur «identité constitutionnelle». Pour sa part,
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)
ne mentionne pas explicitement les droits de l’enfant mais les garantit
par le biais de sa jurisprudence. La Convention présente l’avantage
d’être ouverte aux requêtes individuelles, de rendre des décisions
juridiquement contraignantes et d’évoluer parallèlement à l’évolution
des structures sociales et familiales; elle mérite donc d’être considérée
comme un instrument dynamique.
4.2.2. Clauses sur les
enfants et leurs droits dans les constitutions nationales: étendue
et forme de la protection
33. Seuls trois Etats membres du Conseil de l’Europe,
la France, la Norvège et le Royaume-Uni, ne possèdent actuellement
aucune clause constitutionnelle consacrée aux droits de l’enfant,
et ce pour divers motifs: en France, l’autorité des traités internationaux,
dont la CIDE, prime sur celle des lois nationales; le Royaume-Uni
n’a pas de constitution écrite, mais la loi de 1998 sur les droits
humains et les tribunaux nationaux offrent d’autres moyens d’appliquer
les droits de l’enfant; pour sa part, la constitution norvégienne est
jusqu’ici restée muette sur les droits de l’enfant, mais des réformes
sont actuellement envisagées
.
34. Les constitutions de tous les autres Etats membres contiennent
des dispositions qui concernent d’une manière ou d’une autre les
enfants ou leurs droits. La plus répandue est le droit à l’éducation,
qui est mentionné dans 43 constitutions. L’existence d’un droit
constitutionnel à l’éducation offre un fort potentiel de promotion des
droits indivisibles de l’enfant, et notamment de leur droit au développement,
puisque l’éducation est un préalable à la jouissance d’autres droits.
La deuxième disposition la plus répandue concerne l’égalité de statut des
enfants indépendamment de celui de leurs parents, que l’on trouve
dans 18 constitutions, suivie de près par la protection des enfants
contre l’exploitation économique. Une autre disposition fréquemment
inscrite dans les constitutions est le droit à la protection contre
tout danger. L’égalité de statut des enfants devant la loi indépendamment
du statut marital de leurs parents est inscrit dans la constitution
de 16 Etats.
35. Certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont déjà transposé
dans leur constitution les principes généraux de la CIDE, dont celui
de la non-discrimination (article 2, le plus fréquemment présent),
le droit de l’enfant à la survie et au développement (article 6),
le droit d’être entendu (article 12) et le fait que l’intérêt supérieur
de l’enfant doit être une considération primordiale (article 3).
Dans son étude, la Commission de Venise se déclare néanmoins très
surprise du fait que ce dernier principe, «l’intérêt supérieur de
l’enfant», soit énoncé par très peu de constitutions nationales
.
36. La Commission de Venise relève trois approches possibles en
matière de protection des droits de l’enfant par les constitutions
nationales: 1) protéger les enfants par des dispositions spéciales;
2) envisager les enfants comme des détenteurs de droits; et 3) renvoyer
explicitement les droits de l’enfant au législateur. Tout en s’appuyant
bien évidemment sur la norme fondamentale que constitue la CIDE,
elle recommande que tous les Etats membres optent pour une approche
«moderne» en reconnaissant aux enfants le statut de détenteurs autonomes
de droits.
37. Pour les experts de la Commission de Venise, le degré le plus
élevé de respect des normes internationales résulterait de «constitutions
qui expriment les droits de l’enfant de manière à refléter leur caractère
indivisible, qui reprennent les principes généraux de la CIDE et
qui reconnaissent le statut des enfants comme détenteurs de droits
pouvant exiger de l’Etat qu’il défende ces droits», tandis que le
niveau le plus faible de protection viendrait «des constitutions
qui prévoient une protection générale des droits de l’homme mais
n’abordent les intérêts de l’enfant qu’au travers de leur protection
et de leurs besoins, sans évoquer leurs droits, et ne donnent que
peu de possibilités de recours». Cependant, étant donné que les
Etats suivent rarement une ligne unique mais combinent généralement
les approches, il est possible de trouver de bonnes pratiques en
matière d’inscription des droits de l’enfant dans les constitutions
dans de nombreux Etats membres
.
4.2.3. Les enfants en
tant qu’objets d’une protection spéciale
38. Les constitutions suivant cette approche présentent
l’enfant comme un être à protéger et n’accordent aucune, ou presque
aucune, reconnaissance à son action ou à son autonomie, mais les
rattachent souvent à d’autres groupes vulnérables comme les mères
et les familles. Les différentes approches nationales peuvent être
regroupées d’après les aspects ci-dessous, dont certains paraissent
très «abstraits»:
- «les mères
et les enfants» bénéficient d’une protection spéciale dans les constitutions
du Monténégro, de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et de
la Serbie («les mères, les enfants et les familles» en Ukraine);
- certains pays protègent «l’enfance» plutôt que les enfants,
comme l’Azerbaïdjan, l’Italie, la Lituanie et la Fédération de Russie;
- la «parentalité» ou la «famille» sont protégées au Portugal
et en Bulgarie ou en République de Moldova, respectivement;
- la Croatie et le Monténégro mentionnent l’obligation parentale
de protéger les enfants, tandis que la République tchèque et la
Hongrie confèrent aux parents le droit d’éduquer les enfants, et
les constitutions de plusieurs pays associent les droits et les
obligations des parents (Croatie, Estonie, Italie, Lituanie, Monténégro
et Roumanie).
39. De telles approches qui confèrent un rôle important aux parents
ne sont pas toujours conformes à la CIDE, qui assigne à l’Etat la
responsabilité ultime en la matière. Les constitutions qui disent
qu’il appartient aussi à l’Etat de soutenir les parents et la famille
sont donc considérées comme une approche positive. D’autres dispositions
constitutionnelles considérées comme conformes à la CIDE sont celles
qui déclarent que les droits des parents sur leurs enfants ne sont
pas absolus, et que les parents peuvent en être déchus dans l’intérêt
supérieur de l’enfant (Irlande, Italie et Portugal, par exemple).
4.2.4. L’enfant comme
détenteur autonome de droits
40. Par rapport à cette approche, la Commission de Venise
a relevé plusieurs exemples de libellés fondés sur les droits utilisés
pour exprimer les droits et les besoins de l’enfant d’une manière
conforme à la CIDE, mais il apparaît que les constitutions mentionnant
explicitement les droits de l’enfant ne sont pas nombreuses en Europe.
L’on trouve un bon exemple de mention de tels droits dans la constitution
hongroise qui déclare que «chaque enfant a droit à la protection
et aux soins requis par son développement»
. Des formulations
aussi fortes figurent dans les constitutions de l’Autriche, du Monténégro,
de la Slovénie et de la Pologne. On trouve une formulation légèrement
différente dans la constitution de mon pays, la Roumanie, qui prévoit
que «les enfants, les jeunes (…) ont droit à une protection particulière
de l’Etat». Cependant, toutes ces formulations reflètent le statut
de l’enfant comme détenteur de droits et précisent que la défense
de ces droits incombe à l’Etat.
41. Tout en relevant ces exemples de discours résolument fondé
sur les droits, la Commission de Venise constate par ailleurs que
seul un petit nombre d’Etats adoptent une telle approche de manière
exclusive, tandis que la plupart des Etats suivent une approche
mixte associant le besoin de protection à des expressions fondées
sur les droits (ce qui ressort clairement des Constitutions de l’Irlande,
du Portugal et, en particulier, de la Serbie, par exemple).
42. La troisième approche en matière d’inscription des droits
de l’enfant dans les constitutions consiste à confier cette responsabilité
au législateur, qui doit prendre l’initiative de définir des mesures
législatives et autres pour protéger les droits de l’enfant, ou
charger d’autres acteurs de le faire, par exemple en exigeant que la
loi garantisse soins et protection aux enfants (Islande), en stipulant
que les enfants sont protégés par la loi (Lituanie), en déclarant
que toute violence sur enfants fera l’objet de poursuites pénales
(Ukraine) ou en imposant un contrôle de l’Etat sur le respect des
droits de l’enfant (Azerbaïdjan). Même si de telles approches ne
vont pas jusqu’à conférer pleinement un statut constitutionnel aux
droits de l’enfant, elles sont précieuses parce qu’elles contribuent
à rapprocher les droits de l’enfant du niveau auquel ceux-ci peuvent
être mis en œuvre.
43. Aux travaux très intéressants de la Commission de Venise s’ajoute
une enquête menée en 2013 par la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable dans le cadre du Centre européen
de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) sur les
mécanismes spécifiques de protection des enfants au niveau national,
qui a révélé que les Constitutions de l’Autriche, de la Slovénie
et de la Turquie contiennent des dispositions très novatrices concernant
les droits de l’enfant (voir les articles 1-6 de la Constitution
autrichienne, 54-57 de la Constitution slovène et 10, 41 et 61 de
la Constitution turque).
5. Veiller à ce que
les lois soient appliquées dans la pratique
5.1. Divers problèmes
en matière d’application des droits de l’enfant
44. Dans son étude exhaustive, la Commission de Venise
fait à juste titre observer que l’inscription de dispositions sur
les droits de l’enfant dans un texte constitutionnel «ne fait pas
tout», et qu’un des indicateurs clés pour évaluer le niveau de protection
constitutionnelle des droits de l’enfant, et donc son efficacité,
est la possibilité de revendiquer ces droits à travers les tribunaux
ou d’autres mécanismes, ou d’en obtenir l’application grâce à d’autres
institutions qui peuvent aller d’un ministère spécifique à des organismes spécialisés
mis en place au niveau local.
45. Le recours aux tribunaux est le moyen le plus évident de faire
respecter les droits. Toutefois, les enfants ont peu de chances
de connaître leurs droits constitutionnels et les moyens de les
faire appliquer. La mise en place d’un Médiateur des enfants est
une des manières de contourner cette difficulté. Une autre possibilité consiste
à conférer à certains groupes d’intérêt spécifiques la possibilité
de saisir la justice au nom d’un enfant. Enfin, le rôle des parents
et des tuteurs ne doit être ni ignoré, ni sapé, tant que leurs intérêts
vont dans le même sens que ceux des enfants.
46. Sur le plan de la mise en œuvre pratique des droits de l’enfant
par le biais des mesures politiques et administratives, il faut
toutefois garder à l’esprit que l’application des principes de participation
et d’inclusion proclamés par la CIDE ou par d’autres normes similaires
(comme les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice
adaptée aux enfants) ont des implications financières pour les Etats
dans la mesure où ils peuvent nécessiter la désignation d’un avocat
ou d’un tuteur ad litem pour
présenter le point de vue de l’enfant dans les procédures. Si ce
n’est pas le cas, son intérêt supérieur doit simplement être apprécié
et dûment pris en compte par le juge.
47. Cependant, comme le soulignent les experts juridiques
, cette démarche
soulève d’autres questions: bien qu’a priori séduisant, le principe
de l’intérêt supérieur peut en réalité parfois inviter un tribunal
ou une personne impliquée à imposer ses valeurs ou son point de
vue concernant l’enfant. Cela conduit certains à s’interroger sur
les avantages de ce principe et à se demander s’il est vraiment
souhaitable de lui donner une valeur constitutionnelle. La diffusion
et la promotion de ce principe sont régulièrement pris en compte
dans des échanges internationaux, comme ce fut tout récemment le
cas lors d’une conférence du Conseil de l’Europe (organisée conjointement
avec la Présidence belge), ce qui constitue assurément un progrès
majeur dans ce domaine
.
48. Les principes d’égalité et de non-discrimination peuvent également
impliquer des changements dans l’allocation des ressources lorsqu’il
existe des disparités de traitement, mais ils devraient recueillir
d’emblée un fort soutien populaire et politique et devraient donc
être plus faciles à mettre en œuvre après une analyse initiale des
dispositions existantes et l’adoption de mesures tendant à remédier
aux inégalités.
49. D’une manière plus générale, les ajouts ou les amendements
aux constitutions de certains pays requièrent la tenue d’un référendum.
Dès lors, les dispositions finalement inscrites dans la constitution
risquent de correspondre non pas aux garanties précises demandées
par la CIDE, mais à des protections plus populaires d’un point de
vue politique et donc plus susceptibles d’être acceptées par les
électeurs. Même dans les situations où les garanties ont fait l’objet
de compromis, des amendements risquent de ne pas survivre au passage
par les urnes. Aucun parti ou dirigeant politique ne souhaite garantir
des droits qu’il n’est pas sûr de pouvoir mettre en œuvre, au risque
de se rendre impopulaire et d’ouvrir la porte à des contestations
judiciaires. Après toute réforme constitutionnelle, il convient
également d’envisager des mesures comme la diffusion, par les moyens
appropriés, d’informations relatives aux nouveaux droits et aux
moyens disponibles pour les faire valoir, ainsi qu’un suivi de la
mise en œuvre des nouvelles dispositions. Toute infraction aux lois correspondantes
devrait certes faire l’objet de sanctions pénales mais, les droits
constitutionnels étant eux-mêmes directement applicables dans une
large mesure, le principal enjeu est de sensibiliser le public à l’existence
de ces droits
.
50. En ce qui concerne la mise en œuvre de la CIDE, tant les acteurs
de l’Etat que la société civile jouent un rôle important, et la
coordination effective entre ces différents acteurs est essentielle.
Dans les gouvernements, les services responsables des droits de
l’enfant dépendent souvent des ministères dédiés aux droits des
femmes, aux droits de la famille ou de la protection sociale. Cependant,
quelques Etats ont déjà un ministère dédié exclusivement aux droits
des enfants. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’une bonne pratique
qui mériterait d’être adoptée par les autres pays.
51. En ma qualité de rapporteur et de parlementaire, je tiens
également à rappeler l’importance des commissions ou sous-commissions
parlementaires chargées de veiller aux droits de l’enfant au sein
des parlements nationaux, ce qui d’après l’enquête du CERDP sur
les mécanismes spécifiques de protection de l’enfance (citée plus
haut) n’existe que dans un très petit nombre d’Etats membres du
Conseil de l’Europe, surtout sous la forme de commissions permanentes
.
5.2. Faire appliquer
les droits de l’enfant inscrits dans la constitution par le biais
d’institutions indépendantes de défense de ces droits
52. Tout comme d’autres experts (voir le chapitre 2.3),
la Commission de Venise désigne l’institution des médiateurs des
enfants comme un outil efficace pour faire appliquer les droits
constitutionnels des enfants, et recommande que tous les Etats membres
s’en dotent. L’UNICEF étudie et encourage depuis plusieurs années ces
structures, également appelées «institutions indépendantes de défense
des droits de l’enfant»; les plus récentes conclusions de l’UNICEF
dans ce domaine figurent dans l’étude publiée en 2012 sous le titre «Défendre
les droits de l’enfant»
.
53. Dans son étude, l’UNICEF note que les institutions indépendantes
de défense des droits de l’enfant, comme les commissaires à l’enfance,
les médiateurs pour les enfants et les défenseurs des enfants, se
sont imposées partout dans le monde comme des acteurs clés de la
promotion et de l’application des droits de l’enfant. Par leur rôle
consistant à surveiller les actions des gouvernements et d’autres
organismes, à recevoir des plaintes, à proposer des voies de recours
contre les violations des droits et à fournir un espace de dialogue, elles
se font les «porte-parole des enfants» et participent à l’avancement
de la mise en œuvre des droits de l’enfant.
54. L’UNICEF recommande aux gouvernements et aux parlements de
garantir que les institutions soient étayées par un texte législatif
pertinent. Elles devraient également être indépendantes, représenter
l’intérêt supérieur de l’enfant et être dotées des pouvoirs d’enquête
adéquats pour s’acquitter de leur fonction de contrôle. Bien évidemment,
les institutions doivent être accessibles à tous les enfants et
promouvoir leur participation à leurs propres activités et dans
la société. En outre, les gouvernements doivent donner pour consigne
aux ministères et aux organismes publics pertinents à tous les niveaux
de coopérer pleinement avec ces institutions, et demander des comptes
à ceux qui n’obtempèrent pas. De même, les parlements doivent coopérer
activement avec ces institutions, par exemple en les consultant
au cours du processus d’élaboration et d’adoption des lois affectant
les enfants.
55. Par ailleurs, l’UNICEF recommande que ces institutions, notamment
celles intégrées dans une institution générale de défense des droits
humains, réexaminent l’efficacité de leurs mesures visant à encourager
la participation des enfants, et en particulier des plus jeunes
et des marginalisés. Pour l’UNICEF, la participation fructueuse
des enfants doit être basée sur l’évolution de leurs capacités,
c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’avoir recours à différentes
méthodes et la participation peut avoir une portée et des objectifs variés
en fonction de l’âge et de la situation de l’enfant. En outre, les
institutions doivent chercher de manière proactive comment accroître
la connaissance de leur rôle chez les enfants et les adultes dotés
de responsabilités envers eux et accorder une attention particulière
à la mise à disposition de mécanismes de plainte adaptés aux enfants.
56. Enfin, l’UNICEF déclare que la société civile doit soutenir
ces institutions indépendantes en collaborant avec elles, en partageant
des informations, en aidant les enfants et d’autres acteurs à déposer
des plaintes, en appuyant le suivi des recommandations et en partageant
des compétences techniques. Les ONG doivent en particulier «poser
un regard critique amical» sur ces institutions. De même, les donateurs
et les organisations intergouvernementales sont invitées à contribuer,
par le biais de leur assistance technique, à l’établissement et
au renforcement des institutions indépendantes, à sensibiliser à
leur rôle, à fournir des conseils relatifs à leur mandat législatif
et à développer les capacités de soutien au sein du pays.
57. Parallèlement aux travaux de l’UNICEF dans ce domaine, d’autres
ouvrages offrent des références utiles aux Etats membres désireux
de se doter d’une telle institution ou de la renforcer. Un ouvrage
plus général en la matière est le Manuel concernant l’établissement
et l’accréditation des institutions nationales de défense des droits
de l’homme dans l’Union européenne
, qui en définit la notion et précise
les «Principes de Paris» que préconise également la Commission de
Venise. Dans ce Manuel, une institution nationale des droits de
l’homme est un organisme indépendant mis en place en vertu du droit
national pour la protection et la promotion des droits humains dans
un Etat. Comme le déclarait le Secrétaire Général des Nations Unies
en 2009, «[q]uand ces institutions sont dûment établies et fonctionnent
bien, elles sont les rouages essentiels d’un système national efficace
et solide de protection des droits humains».
58. Les Principes de Paris énoncent entre autres les critères
suivants auxquels devraient répondre de telles institutions consacrées
aux enfants:
- une indépendance
vis-à-vis du pouvoir exécutif;
- une indépendance garantie par la constitution ou par la
loi;
- des pouvoirs d’enquête suffisants;
- le pluralisme dans la composition et/ou une coopération
effective;
- des ressources humaines et financières suffisantes .
6. Conclusions
et recommandations
59. Cette analyse approfondie de l’insertion des droits
de l’enfant dans les constitutions, qui a notamment pu être réalisée
grâce à l’étude de grande valeur réalisée par la Commission de Venise
à la demande de ma commission, permet de conclure que l’inscription
des droits de l’enfant dans les constitutions est effectivement un
volet essentiel des politiques nationales en faveur de l’enfance.
Toutefois, l’efficacité de ces politiques dépend non pas la couverture
des droits de l’enfant par la constitution ou par la législation,
mais de la manière dont les constitutions et les lois nationales
de protection et de promotion de ces droits sont appliquées.
60. Ma principale recommandation aux Etats membres serait donc
de proposer que tous les gouvernements et tous les parlements analysent
leur constitution et leurs lois du point de vue des droits de l’enfant,
notamment pour déterminer si toutes les possibilités pour protéger
les enfants et les soutenir dans leur développement par une égalité
des chances dans la vie ont été exploitées, et si les dispositions
légales en vigueur correspondent encore aux réalités auxquelles
les enfants sont aujourd’hui confrontés dans leur contexte national
spécifique. Partout où des réformes constitutionnelles ou législatives
s’avèrent nécessaires il convient de les entreprendre sans tarder,
en adoptant de préférence une vision large partagée par toutes les
parties concernées: les pouvoirs publics, la société civile et,
bien évidemment, les enfants eux-mêmes afin de garantir leur droit
à la participation.
61. Cependant, comme l’utilité et l’efficacité d’une inscription
des droits de l’enfant dans les constitutions dépendent beaucoup
du contexte social de chaque pays ainsi que des traditions et des
cadres juridiques nationaux, je ne préconise pas d’imposer un ancrage
des droits de l’enfant dans les constitutions de tous les Etats
membres, mais plutôt de les inciter à l’envisager comme une option.
Je prie toutefois instamment les Etats membres de faire le point
sur l’application actuelle des droits de l’enfant au plan national
et à prendre les mesures législatives et politiques qui s’imposent,
notamment quand des lacunes ou de nouveaux défis appellent une telle
intervention.
62. La CIDE, la Convention européenne des droits de l’homme et,
depuis 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
restent certes les principales références internationales mais,
que ce soit pour l’inscription dans les constitutions ou pour l’application
des droits de l’enfant, il convient également de s’inspirer des
très intéressantes études réalisées par la Commission de Venise
et par l’UNICEF, citées ci-dessus.
63. A la lumière des recommandations de ces deux institutions,
il paraît essentiel que les Etats membres prennent les mesures suivantes:
- analyser les dispositions constitutionnelles
en vigueur sous l’angle des normes internationales et des événements
récents au plan national;
- faire appliquer les normes internationales par le biais
d’une législation aussi complète et actualisée que possible;
- mettre en place des mécanismes de mise en œuvre accessibles
et appropriés, dont l’accès à des recours judiciaires et aux tribunaux,
et des mécanismes spécifiques pour porter plainte;
- prévoir des garanties constitutionnelles pour la protection
et la reconnaissance des droits de l’enfant:
- en envisageant les enfants comme des détenteurs autonomes
de droits;
- en veillant à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit
une considération primordiale (article 3 de la CIDE);
- en conférant aux enfants le droit d’être entendus sur
toute question les intéressant (article 12 de la CIDE);
- mettre en place de solides garanties pour l’application
des droits de l’enfant, y compris la création d’une institution
indépendante de défense des droits de l’homme pour les enfants (conformément
aux Principes de Paris);
- veiller à ce qu’existent des mécanismes efficaces – judiciaires
ou non – pour répondre aux éventuelles violations des droits de
l’enfant, associés à des garanties de procédure adéquates;
- à la lumière des divers exemples de bonnes pratiques relevés
dans de nombreux pays, continuer d’organiser des échanges internationaux
sur ce thème afin de permettre aux Etats de s’inspirer les uns des
autres dans la promotion de normes plus élevées;
- assurer la mise en œuvre effective des droits de l’enfant
par le biais de politiques nationales efficaces et d’un dispositif
approprié de services administratifs.
64. Du point de vue du Conseil de l’Europe, j’aimerais compléter
cette liste par la nécessité de continuer de promouvoir les instruments
et mécanismes internationaux déjà en place, comme le nouveau Protocole facultatif
à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications,
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le
Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système
de réclamations collectives (STE no 158)
et – parmi les instruments non contraignants – les Lignes directrices
du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants.
65. J’aimerais, pour conclure, souligner toutefois que les efforts
en faveur de l’intérêt supérieur de l’enfant ne sauraient se limiter
à des mesures juridiques positives et à des déclarations publiques
sur la protection des enfants et leur développement; il convient
d’y ajouter des actions produisant des résultats concrets dans leur vie
quotidienne et induisant des effets positifs et mesurables en termes
de bien-être, permettant à nos enfants de se développer en des adultes
équilibrés, grâce à une égalité des chances dans tous les domaines
et dès le plus jeune âge et, bien sûr, en prévoyant un budget suffisant
pour financer les politiques de protection et de promotion des droits
de l’enfant.