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Rapport | Doc. 13787 | 06 mai 2015

L’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions nationales: un élément essentiel à l’efficacité des politiques nationales en faveur de l’enfance

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Cezar Florin PREDA, Roumanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13149, Renvoi 3951 du 26 avril 2013. 2015 - Commission Permanente de mai

Résumé

La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, ratifiée par l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, est l’instrument fondamental de protection des droits de l’enfant au niveau international. Depuis son adoption en 1989, elle est mise en œuvre dans de nombreux pays. Toutefois, les menaces actuelles qui pèsent sur les droits de l’enfant comme les nouveaux risques engendrés par les technologies de la communication ou la vulnérabilité particulière des enfants dans le contexte des mesures d’austérité appliquées aux services publics peuvent justifier une révision de la législation et de la pratique dans ce domaine.

L’Assemblée parlementaire devrait encourager les Etats membres à employer tous les moyens dont ils disposent pour protéger les enfants et promouvoir leur développement par le biais des constitutions nationales, des lois, des politiques ou des structures et mesures administratives. Tous les Etats membres devraient envisager l’inscription des droits de l’enfant dans leur constitution et la création d’institutions nationales de défense des droits humains dédiées aux enfants qui sont des éléments essentiels à l’efficacité des politiques nationales en faveur de l’enfance.

Sur la base des travaux de fond menés par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, l’Assemblée devrait inviter les Etats membres à réviser leur législation et leur pratique en la matière pour faire en sorte que, autant que possible, dans toute initiative publique ou privée ayant pour finalité la protection et le développement de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant (en tant que titulaire autonome de droits) soit une considération primordiale.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 avril
2015.

(open)
1. Les droits de l’enfant sont inscrits de diverses manières dans les constitutions et législations nationales en Europe, selon les différentes traditions juridiques et les divers contextes législatifs, politiques, sociaux et culturels. La norme mondiale que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe s’engagent à respecter est la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE), selon laquelle: «Les Etats parties s’engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention».
2. L’Assemblée parlementaire est inquiète de constater que les Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas encore exploité tous les moyens constitutionnels, juridiques et administratifs dont ils disposent pour protéger les enfants et promouvoir autant que possible leur développement et leurs possibilités d’épanouissement. Les nouvelles menaces pour la sécurité et le bien-être des enfants qui voient le jour en ce 21e siècle, comme les risques liés aux technologies de l’information et de la communication ou la vulnérabilité particulière des enfants dans le contexte des mesures d’austérité affectant les services publics, imposent de prendre des mesures plus audacieuses.
3. L’inscription des droits de l’enfant dans les constitutions nationales peut être envisagée comme une contribution essentielle aux politiques nationales de défense des droits de l’enfant. L’efficacité des dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l’enfant dépend toutefois aussi des lois et politiques nationales et des dispositions administratives mises en place pour faire respecter ces droits.
4. Etant donné la diversité européenne en la matière et les bonnes pratiques identifiées dans de nombreux pays, l’Assemblée invite les Etats membres à réexaminer leur couverture constitutionnelle et législative des droits de l’enfant, ainsi que l’application de ces derniers au plan national, afin de continuer à intégrer et à matérialiser les principes universels énoncés dans la CIDE.
5. Au regard de la nécessité d’une actualisation des cadres constitutionnel et législatifs, l’Assemblée appelle donc les Etats membres:
5.1. à analyser les dispositions constitutionnelles existantes à la lumière des normes internationales et des évolutions récentes au plan national;
5.2. à mettre en place des garanties constitutionnelles propices à la protection et à la promotion des droits de l’enfant selon une démarche moderne envisageant les enfants comme des titulaires autonomes de droits, en veillant à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant prime (l’article 3 de la CIDE) et en conférant aux enfants le droit d’être entendu sur toute question les intéressant (l’article 12 de la CIDE);
5.3. à appliquer les normes internationales grâce à une législation nationale aussi complète et actuelle que possible, et palliant également les menaces spécifiques qui pèsent sur les enfants et leurs droits.
6. Au regard de la mise en œuvre des droits de l’enfant, qu’ils soient inscrits dans les constitutions ou dans les lois nationales, l’Assemblée invite les Etats membres:
6.1. à adopter et respecter les instruments et mécanismes internationaux de mise en œuvre des droits fondamentaux des enfants, y compris le nouveau Protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158) et les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants;
6.2. à concevoir des mécanismes d’exécution appropriés et accessibles aux enfants, y compris l’accès à des recours en justice et aux tribunaux, des dispositifs de dépôt de plaintes et des garanties procédurales adéquates, au niveau national;
6.3. à mettre en place de solides garanties procédurales en faveur de la réalisation des droits de l’enfant, notamment par la création d’un organisme indépendant de défense des droits de l’homme pour les enfants (conformément aux Principes de Paris).
7. Du point de vue des mesures plus générales de promotion des droits de l’enfant et de soutien aux éventuelles réformes constitutionnelles, législatives ou politiques, les Etats membres sont invités:
7.1. à continuer d’organiser des échanges internationaux dans ce domaine, afin de permettre aux Etats d’apprendre les uns des autres comment promouvoir des normes plus élevées;
7.2. à encourager la mise en œuvre effective des droits de l’enfant par des mesures nationales spécifiques et une structure appropriée de services administratifs, accompagnées par l’attribution des ressources budgétaires requises;
7.3. à créer ou renforcer de manière permanente les commissions relatives aux droits de l’enfant au sein des parlements nationaux afin d’assurer un contrôle démocratique de la pleine réalisation des droits de l’enfant.

B. Exposé des motifs, par M. Preda, rapporteur

(open)

«En servant l’intérêt supérieur de l’enfant, nous servons l’intérêt supérieur de toute l’humanité.»

Carol Bellamy, ancienne Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF, 1995-2005)

1. Introduction

1. Les efforts déployés au niveau international pour promouvoir et protéger les droits des enfants ont considérablement évolué depuis le début du XXe siècle. La Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant (ci-après «CIDE») a apporté une précieuse contribution aux changements de paradigmes qui sont intervenus. L’article 3 de la CIDE dispose que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale», et par son article 4 les Parties «s’engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus».
2. Même si l’action législative ne suffit pas à elle seule à garantir la traduction des droits de l’enfant dans les politiques nationales, leur insertion dans la constitution peut constituer un signal fort et un point de départ pour le renforcement des lois et mécanismes nationaux en faveur de la protection des enfants et de leur épanouissement. De ce point de vue, la CIDE offre une base solide pour l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions parmi les mesures nationales de protection de l’enfance, sans cependant solliciter cette mesure de manière explicite.
3. Le présent rapport examine comment les droits de l’enfant pourraient être inscrits dans les constitutions nationales et comment garantir que les dispositions pertinentes, ainsi que les droits de l’enfant en général, soient effectivement mis en œuvre au plan national. Ultérieurement, les résultats de ces travaux pourront servir de base à des échanges réguliers de bonnes pratiques et fourniront des orientations aux gouvernements nationaux.
4. Par une lettre en date du 25 mars 2013, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a saisi la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) de la question suivante: «Comment intégrer les droits des enfants dans les constitutions nationales et promouvoir, par ce moyen, leur mise en œuvre effective?» La Commission de Venise a accepté d’entreprendre une étude sur ce sujet, à laquelle plusieurs de ses membres ont participé en qualité d’experts, et a adopté un rapport final lors de sa 98e Session plénière, les 21 et 22 mars 2014. Cette étude a été dûment prise en considération dans le cadre du présent rapport afin d’assurer la pleine coordination des activités de l’Assemblée parlementaire et de la Commission de Venise dans ce domaine, et de veiller à ce que toute recommandation dérivée du présent rapport se fonde sur de solides analyses d’experts.

2. Les droits de l’enfant en tant que droits constitutionnels – observations générales

2.1. Histoire et statut des droits de l’enfant dans les constitutions

5. Il ressort d’une étude menée en 1978 
			(2) 
			H. van Maarseveen et
G. van der Twang, Written Constitutions, A Computerized Comparative
Study, Oceana, 1978. que 82 % des constitutions nationales rédigées entre 1788 et 1948 et 93 % de celles rédigées entre 1949 et 1975 prévoyaient une forme quelconque de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Au début du 21e siècle, l’UNICEF estimait qu’un peu plus de 20 constitutions dans le monde garantissaient ou protégeaient expressément les droits de l’enfant selon l’approche préconisée par la CIDE (voir ci-après) 
			(3) 
			UNICEF,
Constitutional Reforms in Favour of Children, New York, 2008: <a href='http://www.unicef.org/policyanalysis/files/Constitutional_Reforms_in_Favour_of_Children.pdf'>www.unicef.org/policyanalysis/files/Constitutional_Reforms_in_Favour_of_Children.pdf</a>. . Cinq grandes caractéristiques sont communes à ces dispositions constitutionnelles, à savoir: l’universalité; l’inaliénabilité; la responsabilité; la participation; et la possibilité d’obtenir réparation. Les dispositions concernant les droits des enfants mettent généralement l’accent sur les principes suivants: la non-discrimination; l’intérêt supérieur de l’enfant; le droit à la survie et à la protection; l’accès aux services sociaux essentiels et aux régimes de protection sociale; le rôle primordial de la famille; la protection contre la violence; les sévices et la négligence; et le respect du point de vue de l’enfant. Parmi les droits reconnus aux enfants, les plus largement protégés sont en général liés à l’éducation, au travail ou à l’égalité devant la loi (se référer à l’étude de la Commission de Venise, présentée au chapitre 4, pour des détails complémentaires).
6. L’UNICEF distingue trois catégories différentes de statut constitutionnel de l’enfant en fonction de la période à laquelle les constitutions ont été rédigées et adoptées: 1) «l’enfant invisible»; 2) la «protection spéciale»; et 3) les «droits de l’enfant»; dans certains cas, l’approche retenue semble liée à l’histoire des textes correspondants 
			(4) 
			Centre de recherche
Innocenti de l’UNICEF, Laying the Foundations for Children’s Rights,
An Independent Study of some Key Legal and Institutional Aspects
of the Impact of the Convention on the Rights of the Child (Alston,
Tobin), Florence, 2005, <a href='http://www.unicef-irc.org/publications/pdf/ii_layingthefoundations.pdf'>www.unicef-irc.org/publications/pdf/ii_layingthefoundations.pdf</a>. . Ainsi, les enfants sont pratiquement invisibles dans les constitutions adoptées avant 1945, même si certaines d’entre elles contiennent plusieurs dispositions relatives aux droits humains qui peuvent s’appliquer aux enfants.
7. Les constitutions nationales présentant les droits de l’enfant sous l’angle de la protection, qui ont souvent été adoptées dans la période de l’après-guerre, envisagent généralement l’enfant non pas comme un sujet de droits à part entière, mais comme une personne ayant droit à une aide et à une assistance spéciales, attribuant ainsi aux parents une responsabilité particulière en matière de soins et d’éducation. Cette approche transparaît dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966. Selon l’UNICEF, les constitutions instituant une «protection spéciale» de l’enfance ne sont pas incompatibles avec l’approche de la CIDE. Elles restent néanmoins en deçà de l’approche idéale consacrée par ce texte universel. Certes, une préoccupation grandissante se fait jour pour les droits humains en général, de même qu’un certain souci de l’enfance, qui reste dans l’ombre, mais le langage employé trahit toutefois une vision de l’enfant comme «objet» passif de protection plutôt que comme sujet de droit actif 
			(5) 
			T. McDorman et M. Young,
Constitutional Structures and Human Rights in South-East Asia, New Brunswick Law Journal, 1998.
Voir aussi, R. Ludwikowski, Fundamental Constitutional Rights in
the New Constitutions of Eastern and Central Europe, Cardozo Journal of International and Comparative
Law, 1995. .
8. Les constitutions adoptées ou révisées depuis 1989, année de l’adoption de la CIDE, ont l’approche la plus exhaustive. Cette approche repose souvent sur la reconnaissance des droits de l’enfant proprement dit, avec un discours davantage fondé sur les droits dans le traitement constitutionnel de l’enfance 
			(6) 
			T. Burgenthal, Modern
Constitutions and Human Rights Treaties, 36 Columbia
Journal of Transnational Law, p. 211 et 215-220, Columbia,
1997.. Toutefois, la pénétration de la CIDE dans le libellé de chacune des dispositions traitant des droits de l’enfant est très variable selon les constitutions. La prévalence accrue de telles garanties constitutionnelles constitue certes un motif de satisfaction, mais un débat critique concernant le statut et la mise en œuvre des droits de l’enfant n’en apparaît pas moins indispensable. En tant que rapporteur pour le présent travail, je suis convaincu que le manque de dispositions explicites dans une constitution nationale ne signifie pas que les droits de l’enfant ne sont pas respectés, étant donné que ces derniers peuvent aussi être couverts par des dispositions plus générales sur les droits humains. Néanmoins, le fait que des dispositions spécifiques n’aient pas été jugées nécessaires par le passé n’empêche pas les Etats concernés de réexaminer la question au regard de l’évolution des perceptions et des normes.

2.2. Pourquoi inscrire les droits de l’enfant dans les constitutions?

9. Une constitution écrite constitue la matière première et supérieure du droit dans un Etat. Elle prend généralement la forme d’un texte unique qui sert de référence pour la formulation de toute autre loi ou réglementation nationale. Les droits constitutionnels jouissent donc d’un statut élevé qui veut que toutes les autres lois doivent être formulées pour leur être conformes. Ce statut et cette influence pourraient être mobilisés en faveur de l’enfance en incorporant une protection spécifique des droits de l’enfant dans les constitutions nationales.
10. Les constitutions peuvent également exprimer les priorités politiques d’un Etat. Plusieurs juridictions de common law (droit commun) privilégient constitutionnellement des politiques conformément aux «grands principes de la politique nationale» 
			(7) 
			L'idée
sous-tendant ces principes directeurs est que le parti au pouvoir,
quel qu'il soit, doit respecter ces valeurs constitutionnelles.
La Constitution irlandaise, par exemple, énonce les principes directeurs
de la politique sociale en son article 45: «L'Etat s'efforce de
développer le bien-être du peuple tout entier grâce à la sécurité
et à la protection aussi complète que possible de l'ordre social
dans lequel la justice et la charité influencent toutes les institutions
de la vie nationale.». Ces dispositions sont généralement très larges, elles ont vocation à créer des normes générales à l’aune desquelles on pourra juger l’action de l’Etat. De telles priorités politiques non contraignantes peuvent certes constituer une avancée encourageante vers l’insertion ultérieure dans le texte constitutionnel de garanties explicites des droits de l’enfant. Sur le fond, toutefois, la garantie offerte est minime, en grande partie en raison de la réticence démontrable des tribunaux à invoquer des garanties aussi implicites, sous peine de se voir accusés de pratiquer un activisme judiciaire.
11. Les principes directeurs de la politique sociale énoncés à l’article 45 de la Constitution irlandaise, par exemple, sont établis à des fins d’orientation générale mais «l’application de ces principes dans l’élaboration des lois appartient exclusivement à l’Oireachtas (parlement) et ne peut être connue d’aucun tribunal selon aucune disposition de la présente constitution». Au nombre des principes figurent l’égalité de tous les citoyens et leur droit au bien-être, le libre jeu de la concurrence et le devoir de l’Etat de porter une attention particulière aux besoins des groupes particulièrement vulnérables de la collectivité.
12. Tous les Etats n’ont pas de constitutions écrites ou des textes constitutionnels uniques, tel est par exemple le cas du Royaume-Uni. Cela ne les empêche pas de chercher à respecter les dispositions de la convention par d’autres moyens. Par ailleurs, l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions nationales ne garantit pas encore leur mise en œuvre effective, des mesures législatives et politiques complémentaires seront toujours requises. Enfin, la nature des textes constitutionnels varie d’un pays à l’autre ce qui peut aussi influer sur la mise en œuvre des droits y inclus. En explorant l’utilité de l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions et avant d’émettre des recommandations en ce sens, il convient donc de prendre en compte les spécificités nationales dans ce domaine.

2.3. Comment intégrer les droits de l’enfant dans la constitution?

13. De nos jours, la «constitutionnalisation» des droits de l’enfant se fait essentiellement en les intégrant par des renvois à d’autres textes, comme la Convention relative aux droits de l’enfant. Certains experts juridiques affirment toutefois que de telles garanties offrent une fausse sécurité en conférant aux revendications relatives aux droits de l’enfant une force rhétorique qui ne suffit pas toujours à assurer une protection réelle ou adéquate 
			(8) 
			Comme illustré par
cet arrêt rendu en France en 1993: Cour de Cassation, 1re Chambre
civile, 10 mars 1993, 91-11.310: 
			(8) 
			<a href='http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007030074&fastReqId=1148532603&fastPos=1'>http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007030074&fastReqId=1148532603&fastPos=1</a>. . Dans cette forme de «constitutionnalisation» des droits de l’enfant, une application rigoureuse par le biais de lois spécifiques et de mécanismes politiques est de la plus haute importance. Les droits de l’enfant peuvent également être directement intégrés dans le texte constitutionnel. C’est le cas dans plusieurs pays européens dont le mien, la Roumanie (l’article 49 de la Constitution roumaine prévoit un régime spécial de protection dans la mise en œuvre des droits des enfants et des adolescents en interdisant de les employer dans des activités susceptibles de leur être préjudiciables).
14. Certains experts, comme l’actuel Médiateur (ombudsman) du Luxembourg, défendent régulièrement l’idée qu’il ne faut pas inscrire les droits de l’enfant en tant que tels dans les constitutions eu égard à la difficulté d’obtenir des majorités constitutionnelles. Ils recommandent plutôt d’ancrer dans les textes constitutionnels les institutions nationales des droits humains dédiées aux enfants, les obligeant ainsi à appliquer, dans toute initiative en faveur des enfants, des normes minimales d’intervention fondées sur les «3 P» – prévention, protection, poursuites – complétés par la suite par un quatrième «P» désignant les politiques publiques 
			(9) 
			Comme indiqué par la
médiateure du Luxembourg, Mme Lydie Err,
à la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable et au réseau des parlementaires de référence contre la violence
sexuelle à l'égard des enfants de la Campagne UN sur CINQ du Conseil
de l'Europe, lors de leur réunion du 14 mars 2013 à Berlin.. Le recours aux institutions nationales des droits humains consacrées aux enfants pour faire appliquer les droits de ces derniers est également une des principales recommandations formulées par la Commission de Venise (voir le chapitre 4, qui développe des propositions plus spécifiques à cet égard).

3. Argumentation autour du statut constitutionnel des droits de l’enfant

15. Les constitutions peuvent contribuer de manière concrète aux changements si elles énoncent des normes contraignantes applicables aux mesures législatives, politiques et réglementaires. D’une manière plus générale, la constitutionnalisation favorise la sensibilisation aux droits de l’enfant et leur confère une légitimité et un fondement qu’ils n’auraient probablement pas autrement. Elle crée en outre une incitation politique à augmenter les dotations budgétaires allouées à l’enfance et pourrait renforcer la position des enfants devant les tribunaux. Néanmoins, des études menées concernant la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant signalent que l’un des principaux problèmes à cet égard reste leur manque de reconnaissance et de promotion au niveau national. En ce qui concerne les budgets nécessaires pour faire appliquer les droits de l’enfant, des moyens limités suffisent pour certains de ces droits (comme le droit d’avoir un nom ou une nationalité), mais d’autres sont plus coûteux et le degré de leur mise en œuvre dépend de la volonté de chaque Etat (par exemple le droit à l’éducation et le coût de l’enseignement).

3.1. Pourquoi la constitutionnalisation plutôt que d’autres moyens?

16. L’UNICEF qualifie la reconnaissance constitutionnelle des droits de l’enfant de «tremplin» à partir duquel peut être lancée une initiative concertée pour modifier les cadres juridiques et politiques et remettre en question les lois de protection de l’enfance centrées sur les parents, qui ne servent pas toujours l’intérêt supérieur de l’enfant 
			(10) 
			UNICEF,
Manuel de la réforme législative: réaliser les droits de l'enfant,
Vol. 1, New York, 2008: <a href='http://www.unicef.org/crc/files/Handbook_on_Legislative_Reform.pdf'>www.unicef.org/crc/files/Handbook_on_Legislative_Reform.pdf</a>. . L’organisation a proposé l’adoption d’un code de l’enfance comme une alternative à la constitutionnalisation 
			(11) 
			Centre de recherche
Innocenti de l’UNICEF, voir la note no 5.. L’avantage d’un tel mécanisme tient largement à son effet immédiat, par la création d’un ensemble complet de textes législatifs traitant des questions relatives à l’enfance. Cependant, l’ampleur même de ce corpus pourrait poser problème car il pourrait être difficile d’apprécier les implications d’un grand volume de lois nouvelles. Dans les pays de common law (droit commun), faire appliquer un code pourrait de surcroît être un exercice délicat, les membres des professions juridiques et autres n’étant pas familiarisés avec les systèmes codifiés. Il y a en outre un problème d’incompatibilité entre les codes et les complexes systèmes jurisprudentiels et constitutionnels.
17. Cependant, l’alternative consistant à s’en remettre au précédent pour créer le changement est tout aussi intenable. La règle du stare decisis (la doctrine du précédent judiciaire) en vigueur dans le système de common law (droit commun) favorise le retranchement dans le statu quo. Tout changement est donc graduel et étalé dans le temps. Plus inquiétant, il suffit d’un seul arrêt rendu par une juridiction supérieure pour réduire à néant les progrès accomplis dans un domaine et en revenir à la situation antérieure. Pour qu’un changement soit possible, il doit aussi y avoir une source de droit concrète sur laquelle un juge pourra s’appuyer, sous peine de se voir accusé de pratiquer un activisme judiciaire et d’outrepasser son rôle. En présence d’une telle incertitude, et lorsqu’une approche au coup par coup est privilégiée pour remédier aux problèmes, la constitutionnalisation offre un mécanisme de protection uniforme dans toutes les juridictions opérant dans un système constitutionnel 
			(12) 
			Motta Feraz et Octoavio
Luiz, Harming the Poor through Social Rights Litigation, Texas Law Review, 2011: <a href='http://www.texaslrev.com/wp-content/uploads/Ferraz-89-TLR-1643.pdf'>www.texaslrev.com/wp-content/uploads/Ferraz-89-TLR-1643.pdf</a>..

3.2. Inclusion expresse ou implicite?

18. Parmi les arguments qui militent contre l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions nationales, le principal est qu’il est inutile d’instaurer des garanties supplémentaires et explicites puisque les enfants bénéficient déjà de droits en tant que citoyens de l’Etat concerné. Autrement dit, les droits reconnus aux citoyens sont aussi implicitement reconnus aux enfants en leur qualité de citoyens. Ainsi, l’inscription de garanties additionnelles dans la constitution serait uniquement nécessaire pour les cas où les enfants ne seraient pas considérés comme des citoyens, ou pour les enfants qui ne sont manifestement pas citoyens, c’est-à-dire ressortissants, d’un pays donné. Par ailleurs, on peut faire valoir que le fait de garantir des droits spécifiques aux enfants dans les constitutions nationales revient à les exclure implicitement des garanties plus larges et bien établies accordées aux citoyens adultes.
19. L’argument corollaire est que des groupes vulnérables de la population, y compris les enfants, risquent d’être exposés à des traitements injustes et de se heurter à des obstacles plus grands pour faire valoir et revendiquer leurs droits, et qu’ils ont donc besoin d’une protection supplémentaire, outre celle accordée à la majorité des citoyens. Parmi les groupes d’enfants les plus vulnérables, je tiens à mentionner les enfants réfugiés ou immigrés ainsi que les enfants handicapés, qui ont souvent besoin d’une protection et d’un soutien particuliers.

3.3. La séparation des pouvoirs

20. Certains craignent que l’incorporation dans la constitution des droits socio-économiques spécifiques énoncés dans la CIDE n’entraîne des conflits inadmissibles sur le plan de la séparation des pouvoirs. En effet, les juges auraient non seulement la possibilité, mais encore l’obligation de rendre des ordonnances enjoignant à l’Etat de mettre en œuvre des politiques ou des services donnés, empiétant ainsi sur les rôles du législateur et de l’exécutif.
21. Les experts ont par exemple noté que le modèle sud-africain (consistant à intégrer de longues listes de droits socio-économiques dans la constitution moyennant des renvois à la CIDE) a donné lieu à une situation où l’interprétation et l’application des droits de l’enfant sont imprévisibles, incohérentes et souvent à l’origine de tensions entre les droits de l’enfant et la société en général. Une telle imprévisibilité de l’application est largement liée à la nature socio-économique des droits que les juges cherchent à faire appliquer: les ressources disponibles peuvent s’avérer insuffisantes pour faire exécuter la décision, ou un tribunal pourra être moins disposé que d’autres à s’engager dans la formulation de politiques ou dans l’attribution de ressources que suppose son exécution 
			(13) 
			K. Klare, Legal Culture
and Transformative Constitutionalism, 14 South
African Journal on Human Rights 147 (1998); C. Mbazira,
Litigating Socio-Economic Rights in South Africa: A Choice between
Corrective and Distributive Justice (2009), <a href='http://www.pulp.up.ac.za/pdf/2009_07/2009_07.pdf'>www.pulp.up.ac.za/pdf/2009_07/2009_07.pdf</a>. Ce point est illustré par l'affaire République d'Afrique du Sud c. Irene Grootboom
et autres, 2000 (11) BCLR 1169 (CC) 2000 SACLR LEXIS
126.. Dans le cas de la mise en œuvre des traités internationaux, on peut également observer que les juridictions sont réticentes à faire exécuter des dispositions qui ont valeur de principes sans inclure des critères d’application plus objectifs.

3.4. La capacité de l’Etat à compléter ou suppléer le rôle des parents

22. Le risque de voir la constitutionnalisation élargir le pouvoir d’ingérence des pouvoirs publics dans la vie familiale, qui pourraient ainsi usurper la place et l’autorité de l’unité familiale, préoccupe certains observateurs. La crainte d’une réduction des droits des parents est d’ailleurs une des réserves majeures exprimées par les Etats-Unis en rapport avec la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant qui risquerait, par exemple, d’empêcher des parents d’élever leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses ou de recourir à des châtiments corporels mineurs. D’une manière générale, il est donc nécessaire de définir des règles et procédures claires pour encadrer les interventions des autorités de l’Etat et des services publics.
23. L’Assemblée a préparé des recommandations sur l’intervention des services sociaux, notamment quand ils envisagent de retirer un enfant de sa famille parce que son bien-être est menacé dans un rapport intitulé: «Services sociaux en Europe: législation et pratiques de retrait d’enfants de leur famille dans les Etats membres du Conseil de l’Europe» 
			(14) 
			Doc. 13730, Résolution 2049 (2015) et Recommandation 2068 (2015).. Un cas intéressant, en France, illustre que les Etats sont de plus en plus souvent amenés à définir des règles claires pour l’éducation des enfants dans un cadre privé (y compris la famille et l’école): le 3 novembre 2014, et suite à la réclamation no 92/2013 déposée par l’Association pour la protection des enfants (APPROACH) contre la France, le Comité européen des Droits sociaux a conclu à une violation de l’article 17.1 de la Charte sociale européenne parce que «le droit français ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels» 
			(15) 
			Voir la «Décision sur
le bien-fondé» du Comité européen des Droits sociaux, publiée le
4 mars 2015: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC92Merits_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC92Merits_fr.pdf</a>..

4. La protection des droits de l’enfant par les constitutions: conclusions de la Commission de Venise

24. En 2013/2014 et à l’initiative de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, la Commission de Venise a réalisé une étude sur la question «Comment intégrer les droits de l’enfant dans les constitutions nationales de manière à en promouvoir la mise en œuvre effective?» (voir l’introduction), qui a également été conçue comme un apport constructif à la Stratégie du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant (2012-2015) 
			(16) 
			Sauf indication contraire,
toutes les informations du présent chapitre sont tirées de la source
suivante: Commission de Venise, Rapport sur la protection des droits
de l'enfant: normes internationales et constitutions nationales,
Avis no 713/2013, Strasbourg, 24 mars
2014; <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2014)005-f'>www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2014)005-f</a>..

4.1. Statut général des droits de l’enfant

25. La Commission de Venise note premièrement que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant constitue le fondement de la protection des droits de l’enfant par le droit international et de la reconnaissance des enfants comme détenteurs autonomes de droits. Elle fait également observer qu’on ne saurait sous-estimer l’impact de la législation nationale sur la protection des droits et des besoins de l’enfant, notamment parce que l’enfant a souvent besoin de représentation, d’assistance et de soutien pour exercer ses droits.
26. Toutefois – et dans ce domaine le changement de paradigme se poursuit – les enfants ne doivent pas être vus avant tout comme des «victimes» mais comme des titulaires individuels et autonomes de droits qui peuvent aussi contribuer à la réalisation de leurs droits matériels à la protection grâce aux droits additionnels à la participation. Comme pour tous les droits humains, l’Etat est, en vertu de la CIDE, le premier détenteur d’obligations en matière de droits de l’enfant tandis que les parents, comme pourvoyeurs de soins, peuvent aussi jouer un rôle dans la réalisation des droits de l’enfant, soit directement, soit en la favorisant.
27. D’après le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, quatre principes généraux méritent en particulier d’être traduits et mis en œuvre dans les systèmes juridiques nationaux: la non-discrimination (article 2); l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération primordiale dans toutes les décisions le concernant (article 3); le droit à la vie, à la survie et au développement (article 6); et le droit d’exprimer son opinion sur toute question l’intéressant (article 12).
28. Cependant, le Comité des Nations Unies note également que l’inscription des droits de l’enfant dans la constitution ne garantit pas automatiquement le respect de ces droits. Dans ce contexte, et dans celui de l’évolution récente de la société en Europe (nouvelles menaces pour le bien-être, mesures d’austérité affectant les enfants de manière disproportionnée en période de crise économique et aggravant la pauvreté des enfants 
			(17) 
			Voir
également la Résolution
1995 (2014) de l’Assemblée «Eradiquer la pauvreté des enfants en
Europe».), l’analyse de la protection constitutionnelle des droits de l’enfant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et de leur mise en œuvre a été jugée particulièrement utile par la Commission de Venise au début de son étude.

4.2. Différentes formes de protection de l’enfance

4.2.1. Intégration du droit international dans l’ordre juridique interne

29. Une des manières de protéger les droits de l’enfant consiste en une protection constitutionnelle indirecte via le droit international, c’est-à-dire l’intégration de la CIDE et des dispositions relatives aux droits de l’enfant de l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans le droit interne. Dans cette éventualité, on ne peut atteindre une protection de type constitutionnel que si la CIDE et l’article 24 de la Charte jouissent d’un statut et d’un effet constitutionnels.
30. Le statut et l’effet du droit international dans l’ordre juridique interne varient toutefois d’un pays à l’autre. En termes purement formels, son effet normatif serait donc moins fort que celui d’une clause constitutionnelle sur les droits de l’enfant, même si les conventions peuvent aussi induire des effets directs (en vertu des décisions pertinentes des autorités nationales chargées de l’application de la loi). Ainsi, l’effet direct de la disposition sur l’intérêt supérieur de l’enfant de l’article 3 a suscité des réponses très variables d’un tribunal national à l’autre, certains reconnaissant un effet direct (France, Bulgarie), et d’autres non (Belgique).
31. Même si jusqu’à présent la CIDE était souvent affaiblie par les réserves des Etats membres (souvent concernant les dispositions des articles 14 (liberté de religion) et 21 (adoption)), la situation évolue favorablement et un nombre croissant d’Etats retirent leurs réserves. Par contre, la mise en œuvre des droits de l’enfant énoncés par la CIDE n’est pas facilitée par le mécanisme de suivi relativement faible dont est doté ce traité, qui se limite à la remise régulière de rapports par les Etats. Cependant, le nouveau Protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications (qui offre aux enfants un mécanisme de plaintes individuelles et prévoit des communications interétatiques et des procédures d’enquête systématiques) suscite aujourd’hui beaucoup d’espoir.
32. D’autres dispositions relatives aux droits de l’enfant figurent dans la Charte des droits fondamentaux (article 24), mais leur primauté sur les lois nationales, qui est pourtant pleinement reconnue par la Cour européenne de Justice, est refusée même par certains Etats membres de l’Union européenne qui n’acceptent pas que le droit de l’Union empiète sur leur «identité constitutionnelle». Pour sa part, la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) ne mentionne pas explicitement les droits de l’enfant mais les garantit par le biais de sa jurisprudence. La Convention présente l’avantage d’être ouverte aux requêtes individuelles, de rendre des décisions juridiquement contraignantes et d’évoluer parallèlement à l’évolution des structures sociales et familiales; elle mérite donc d’être considérée comme un instrument dynamique.

4.2.2. Clauses sur les enfants et leurs droits dans les constitutions nationales: étendue et forme de la protection

33. Seuls trois Etats membres du Conseil de l’Europe, la France, la Norvège et le Royaume-Uni, ne possèdent actuellement aucune clause constitutionnelle consacrée aux droits de l’enfant, et ce pour divers motifs: en France, l’autorité des traités internationaux, dont la CIDE, prime sur celle des lois nationales; le Royaume-Uni n’a pas de constitution écrite, mais la loi de 1998 sur les droits humains et les tribunaux nationaux offrent d’autres moyens d’appliquer les droits de l’enfant; pour sa part, la constitution norvégienne est jusqu’ici restée muette sur les droits de l’enfant, mais des réformes sont actuellement envisagées 
			(18) 
			Le
rapport relève qu’en France les traités internationaux ont une autorité
supérieure à celle des lois, ce qui vaut pour la CIDE (concernant
ses dispositions directement exécutoires) et que la Cour de Cassation
a jugé qu'au moins certaines des dispositions de la CIDE pouvaient
s'appliquer directement. Par ailleurs, dans le cadre de l’éventuel
ajout à la Constitution norvégienne d'une liste plus générale de
droits de l'homme, des discussions en cours envisagent l'adoption d'une
clause consacrée aux droits de l'enfant. Même si le Royaume-Uni
n’a pas de constitution écrite, la loi de 1998 sur les droits de
l'homme intègre la Convention européenne des droits de l'homme au
droit interne, et il est très fréquent que les tribunaux nationaux
appliquent les droits de l'enfant en interprétant le droit national
à la lumière de l'article 8 de la Convention ou en le déclarant
incompatible avec l'article 8..
34. Les constitutions de tous les autres Etats membres contiennent des dispositions qui concernent d’une manière ou d’une autre les enfants ou leurs droits. La plus répandue est le droit à l’éducation, qui est mentionné dans 43 constitutions. L’existence d’un droit constitutionnel à l’éducation offre un fort potentiel de promotion des droits indivisibles de l’enfant, et notamment de leur droit au développement, puisque l’éducation est un préalable à la jouissance d’autres droits. La deuxième disposition la plus répandue concerne l’égalité de statut des enfants indépendamment de celui de leurs parents, que l’on trouve dans 18 constitutions, suivie de près par la protection des enfants contre l’exploitation économique. Une autre disposition fréquemment inscrite dans les constitutions est le droit à la protection contre tout danger. L’égalité de statut des enfants devant la loi indépendamment du statut marital de leurs parents est inscrit dans la constitution de 16 Etats.
35. Certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont déjà transposé dans leur constitution les principes généraux de la CIDE, dont celui de la non-discrimination (article 2, le plus fréquemment présent), le droit de l’enfant à la survie et au développement (article 6), le droit d’être entendu (article 12) et le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (article 3). Dans son étude, la Commission de Venise se déclare néanmoins très surprise du fait que ce dernier principe, «l’intérêt supérieur de l’enfant», soit énoncé par très peu de constitutions nationales 
			(19) 
			Certaines constitutions
stipulent que l'enfant a le droit de développer le plus pleinement
possible sa personnalité et son potentiel (Autriche, Hongrie, Portugal
et Suisse); d'autres imposent à l'Etat l'obligation de protéger
les enfants de certains dangers pour leur développement, comme l'exploitation
économique (Albanie, Autriche, Hongrie, République de Moldova et
Roumanie). D'autres pays soulignent l'importance de l'éducation
pour le développement des enfants (Andorre, Croatie, Portugal et
Espagne)..
36. La Commission de Venise relève trois approches possibles en matière de protection des droits de l’enfant par les constitutions nationales: 1) protéger les enfants par des dispositions spéciales; 2) envisager les enfants comme des détenteurs de droits; et 3) renvoyer explicitement les droits de l’enfant au législateur. Tout en s’appuyant bien évidemment sur la norme fondamentale que constitue la CIDE, elle recommande que tous les Etats membres optent pour une approche «moderne» en reconnaissant aux enfants le statut de détenteurs autonomes de droits.
37. Pour les experts de la Commission de Venise, le degré le plus élevé de respect des normes internationales résulterait de «constitutions qui expriment les droits de l’enfant de manière à refléter leur caractère indivisible, qui reprennent les principes généraux de la CIDE et qui reconnaissent le statut des enfants comme détenteurs de droits pouvant exiger de l’Etat qu’il défende ces droits», tandis que le niveau le plus faible de protection viendrait «des constitutions qui prévoient une protection générale des droits de l’homme mais n’abordent les intérêts de l’enfant qu’au travers de leur protection et de leurs besoins, sans évoquer leurs droits, et ne donnent que peu de possibilités de recours». Cependant, étant donné que les Etats suivent rarement une ligne unique mais combinent généralement les approches, il est possible de trouver de bonnes pratiques en matière d’inscription des droits de l’enfant dans les constitutions dans de nombreux Etats membres 
			(20) 
			Commission de Venise
– voir la note de bas de page no 17..

4.2.3. Les enfants en tant qu’objets d’une protection spéciale

38. Les constitutions suivant cette approche présentent l’enfant comme un être à protéger et n’accordent aucune, ou presque aucune, reconnaissance à son action ou à son autonomie, mais les rattachent souvent à d’autres groupes vulnérables comme les mères et les familles. Les différentes approches nationales peuvent être regroupées d’après les aspects ci-dessous, dont certains paraissent très «abstraits»:
  • «les mères et les enfants» bénéficient d’une protection spéciale dans les constitutions du Monténégro, de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et de la Serbie («les mères, les enfants et les familles» en Ukraine);
  • certains pays protègent «l’enfance» plutôt que les enfants, comme l’Azerbaïdjan, l’Italie, la Lituanie et la Fédération de Russie;
  • la «parentalité» ou la «famille» sont protégées au Portugal et en Bulgarie ou en République de Moldova, respectivement;
  • la Croatie et le Monténégro mentionnent l’obligation parentale de protéger les enfants, tandis que la République tchèque et la Hongrie confèrent aux parents le droit d’éduquer les enfants, et les constitutions de plusieurs pays associent les droits et les obligations des parents (Croatie, Estonie, Italie, Lituanie, Monténégro et Roumanie).
39. De telles approches qui confèrent un rôle important aux parents ne sont pas toujours conformes à la CIDE, qui assigne à l’Etat la responsabilité ultime en la matière. Les constitutions qui disent qu’il appartient aussi à l’Etat de soutenir les parents et la famille sont donc considérées comme une approche positive. D’autres dispositions constitutionnelles considérées comme conformes à la CIDE sont celles qui déclarent que les droits des parents sur leurs enfants ne sont pas absolus, et que les parents peuvent en être déchus dans l’intérêt supérieur de l’enfant (Irlande, Italie et Portugal, par exemple).

4.2.4. L’enfant comme détenteur autonome de droits

40. Par rapport à cette approche, la Commission de Venise a relevé plusieurs exemples de libellés fondés sur les droits utilisés pour exprimer les droits et les besoins de l’enfant d’une manière conforme à la CIDE, mais il apparaît que les constitutions mentionnant explicitement les droits de l’enfant ne sont pas nombreuses en Europe. L’on trouve un bon exemple de mention de tels droits dans la constitution hongroise qui déclare que «chaque enfant a droit à la protection et aux soins requis par son développement» 
			(21) 
			Voir l’article XV(1)
de la Constitution hongroise.. Des formulations aussi fortes figurent dans les constitutions de l’Autriche, du Monténégro, de la Slovénie et de la Pologne. On trouve une formulation légèrement différente dans la constitution de mon pays, la Roumanie, qui prévoit que «les enfants, les jeunes (…) ont droit à une protection particulière de l’Etat». Cependant, toutes ces formulations reflètent le statut de l’enfant comme détenteur de droits et précisent que la défense de ces droits incombe à l’Etat.
41. Tout en relevant ces exemples de discours résolument fondé sur les droits, la Commission de Venise constate par ailleurs que seul un petit nombre d’Etats adoptent une telle approche de manière exclusive, tandis que la plupart des Etats suivent une approche mixte associant le besoin de protection à des expressions fondées sur les droits (ce qui ressort clairement des Constitutions de l’Irlande, du Portugal et, en particulier, de la Serbie, par exemple).
42. La troisième approche en matière d’inscription des droits de l’enfant dans les constitutions consiste à confier cette responsabilité au législateur, qui doit prendre l’initiative de définir des mesures législatives et autres pour protéger les droits de l’enfant, ou charger d’autres acteurs de le faire, par exemple en exigeant que la loi garantisse soins et protection aux enfants (Islande), en stipulant que les enfants sont protégés par la loi (Lituanie), en déclarant que toute violence sur enfants fera l’objet de poursuites pénales (Ukraine) ou en imposant un contrôle de l’Etat sur le respect des droits de l’enfant (Azerbaïdjan). Même si de telles approches ne vont pas jusqu’à conférer pleinement un statut constitutionnel aux droits de l’enfant, elles sont précieuses parce qu’elles contribuent à rapprocher les droits de l’enfant du niveau auquel ceux-ci peuvent être mis en œuvre.
43. Aux travaux très intéressants de la Commission de Venise s’ajoute une enquête menée en 2013 par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable dans le cadre du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) sur les mécanismes spécifiques de protection des enfants au niveau national, qui a révélé que les Constitutions de l’Autriche, de la Slovénie et de la Turquie contiennent des dispositions très novatrices concernant les droits de l’enfant (voir les articles 1-6 de la Constitution autrichienne, 54-57 de la Constitution slovène et 10, 41 et 61 de la Constitution turque).

5. Veiller à ce que les lois soient appliquées dans la pratique

5.1. Divers problèmes en matière d’application des droits de l’enfant

44. Dans son étude exhaustive, la Commission de Venise fait à juste titre observer que l’inscription de dispositions sur les droits de l’enfant dans un texte constitutionnel «ne fait pas tout», et qu’un des indicateurs clés pour évaluer le niveau de protection constitutionnelle des droits de l’enfant, et donc son efficacité, est la possibilité de revendiquer ces droits à travers les tribunaux ou d’autres mécanismes, ou d’en obtenir l’application grâce à d’autres institutions qui peuvent aller d’un ministère spécifique à des organismes spécialisés mis en place au niveau local.
45. Le recours aux tribunaux est le moyen le plus évident de faire respecter les droits. Toutefois, les enfants ont peu de chances de connaître leurs droits constitutionnels et les moyens de les faire appliquer. La mise en place d’un Médiateur des enfants est une des manières de contourner cette difficulté. Une autre possibilité consiste à conférer à certains groupes d’intérêt spécifiques la possibilité de saisir la justice au nom d’un enfant. Enfin, le rôle des parents et des tuteurs ne doit être ni ignoré, ni sapé, tant que leurs intérêts vont dans le même sens que ceux des enfants.
46. Sur le plan de la mise en œuvre pratique des droits de l’enfant par le biais des mesures politiques et administratives, il faut toutefois garder à l’esprit que l’application des principes de participation et d’inclusion proclamés par la CIDE ou par d’autres normes similaires (comme les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants) ont des implications financières pour les Etats dans la mesure où ils peuvent nécessiter la désignation d’un avocat ou d’un tuteur ad litem pour présenter le point de vue de l’enfant dans les procédures. Si ce n’est pas le cas, son intérêt supérieur doit simplement être apprécié et dûment pris en compte par le juge.
47. Cependant, comme le soulignent les experts juridiques 
			(22) 
			Robert H. Mnookin,
Foster Care – In Whose Best Interest? (familles d’accueil: dans
l’intérêt supérieur de qui?), Harvard
Educational Review, 2012., cette démarche soulève d’autres questions: bien qu’a priori séduisant, le principe de l’intérêt supérieur peut en réalité parfois inviter un tribunal ou une personne impliquée à imposer ses valeurs ou son point de vue concernant l’enfant. Cela conduit certains à s’interroger sur les avantages de ce principe et à se demander s’il est vraiment souhaitable de lui donner une valeur constitutionnelle. La diffusion et la promotion de ce principe sont régulièrement pris en compte dans des échanges internationaux, comme ce fut tout récemment le cas lors d’une conférence du Conseil de l’Europe (organisée conjointement avec la Présidence belge), ce qui constitue assurément un progrès majeur dans ce domaine 
			(23) 
			<a href='http://www.bestinterestofthechild.be/'>www.bestinterestofthechild.be</a>. .
48. Les principes d’égalité et de non-discrimination peuvent également impliquer des changements dans l’allocation des ressources lorsqu’il existe des disparités de traitement, mais ils devraient recueillir d’emblée un fort soutien populaire et politique et devraient donc être plus faciles à mettre en œuvre après une analyse initiale des dispositions existantes et l’adoption de mesures tendant à remédier aux inégalités.
49. D’une manière plus générale, les ajouts ou les amendements aux constitutions de certains pays requièrent la tenue d’un référendum. Dès lors, les dispositions finalement inscrites dans la constitution risquent de correspondre non pas aux garanties précises demandées par la CIDE, mais à des protections plus populaires d’un point de vue politique et donc plus susceptibles d’être acceptées par les électeurs. Même dans les situations où les garanties ont fait l’objet de compromis, des amendements risquent de ne pas survivre au passage par les urnes. Aucun parti ou dirigeant politique ne souhaite garantir des droits qu’il n’est pas sûr de pouvoir mettre en œuvre, au risque de se rendre impopulaire et d’ouvrir la porte à des contestations judiciaires. Après toute réforme constitutionnelle, il convient également d’envisager des mesures comme la diffusion, par les moyens appropriés, d’informations relatives aux nouveaux droits et aux moyens disponibles pour les faire valoir, ainsi qu’un suivi de la mise en œuvre des nouvelles dispositions. Toute infraction aux lois correspondantes devrait certes faire l’objet de sanctions pénales mais, les droits constitutionnels étant eux-mêmes directement applicables dans une large mesure, le principal enjeu est de sensibiliser le public à l’existence de ces droits 
			(24) 
			Commission
de Venise, voir la note de bas de page no 17..
50. En ce qui concerne la mise en œuvre de la CIDE, tant les acteurs de l’Etat que la société civile jouent un rôle important, et la coordination effective entre ces différents acteurs est essentielle. Dans les gouvernements, les services responsables des droits de l’enfant dépendent souvent des ministères dédiés aux droits des femmes, aux droits de la famille ou de la protection sociale. Cependant, quelques Etats ont déjà un ministère dédié exclusivement aux droits des enfants. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’une bonne pratique qui mériterait d’être adoptée par les autres pays.
51. En ma qualité de rapporteur et de parlementaire, je tiens également à rappeler l’importance des commissions ou sous-commissions parlementaires chargées de veiller aux droits de l’enfant au sein des parlements nationaux, ce qui d’après l’enquête du CERDP sur les mécanismes spécifiques de protection de l’enfance (citée plus haut) n’existe que dans un très petit nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, surtout sous la forme de commissions permanentes 
			(25) 
			En 2013, sur 33 répondants
parmi les Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe,
seuls 10 Etats ont répondu que leur parlement s'était doté d'une
telle commission ou sous-commission sur une base permanente..

5.2. Faire appliquer les droits de l’enfant inscrits dans la constitution par le biais d’institutions indépendantes de défense de ces droits

52. Tout comme d’autres experts (voir le chapitre 2.3), la Commission de Venise désigne l’institution des médiateurs des enfants comme un outil efficace pour faire appliquer les droits constitutionnels des enfants, et recommande que tous les Etats membres s’en dotent. L’UNICEF étudie et encourage depuis plusieurs années ces structures, également appelées «institutions indépendantes de défense des droits de l’enfant»; les plus récentes conclusions de l’UNICEF dans ce domaine figurent dans l’étude publiée en 2012 sous le titre «Défendre les droits de l’enfant» 
			(26) 
			Bureau
de recherche de l’UNICEF, Défendre les droits de l'enfant: rapport
de synthèse de l'étude mondiale sur les institutions indépendantes
de défense des droits de l'enfant, Florence (Italie), octobre 2012; <a href='http://www.unicef-irc.org/publications/677'>www.unicef-irc.org/publications/677</a>. .
53. Dans son étude, l’UNICEF note que les institutions indépendantes de défense des droits de l’enfant, comme les commissaires à l’enfance, les médiateurs pour les enfants et les défenseurs des enfants, se sont imposées partout dans le monde comme des acteurs clés de la promotion et de l’application des droits de l’enfant. Par leur rôle consistant à surveiller les actions des gouvernements et d’autres organismes, à recevoir des plaintes, à proposer des voies de recours contre les violations des droits et à fournir un espace de dialogue, elles se font les «porte-parole des enfants» et participent à l’avancement de la mise en œuvre des droits de l’enfant.
54. L’UNICEF recommande aux gouvernements et aux parlements de garantir que les institutions soient étayées par un texte législatif pertinent. Elles devraient également être indépendantes, représenter l’intérêt supérieur de l’enfant et être dotées des pouvoirs d’enquête adéquats pour s’acquitter de leur fonction de contrôle. Bien évidemment, les institutions doivent être accessibles à tous les enfants et promouvoir leur participation à leurs propres activités et dans la société. En outre, les gouvernements doivent donner pour consigne aux ministères et aux organismes publics pertinents à tous les niveaux de coopérer pleinement avec ces institutions, et demander des comptes à ceux qui n’obtempèrent pas. De même, les parlements doivent coopérer activement avec ces institutions, par exemple en les consultant au cours du processus d’élaboration et d’adoption des lois affectant les enfants.
55. Par ailleurs, l’UNICEF recommande que ces institutions, notamment celles intégrées dans une institution générale de défense des droits humains, réexaminent l’efficacité de leurs mesures visant à encourager la participation des enfants, et en particulier des plus jeunes et des marginalisés. Pour l’UNICEF, la participation fructueuse des enfants doit être basée sur l’évolution de leurs capacités, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’avoir recours à différentes méthodes et la participation peut avoir une portée et des objectifs variés en fonction de l’âge et de la situation de l’enfant. En outre, les institutions doivent chercher de manière proactive comment accroître la connaissance de leur rôle chez les enfants et les adultes dotés de responsabilités envers eux et accorder une attention particulière à la mise à disposition de mécanismes de plainte adaptés aux enfants.
56. Enfin, l’UNICEF déclare que la société civile doit soutenir ces institutions indépendantes en collaborant avec elles, en partageant des informations, en aidant les enfants et d’autres acteurs à déposer des plaintes, en appuyant le suivi des recommandations et en partageant des compétences techniques. Les ONG doivent en particulier «poser un regard critique amical» sur ces institutions. De même, les donateurs et les organisations intergouvernementales sont invitées à contribuer, par le biais de leur assistance technique, à l’établissement et au renforcement des institutions indépendantes, à sensibiliser à leur rôle, à fournir des conseils relatifs à leur mandat législatif et à développer les capacités de soutien au sein du pays.
57. Parallèlement aux travaux de l’UNICEF dans ce domaine, d’autres ouvrages offrent des références utiles aux Etats membres désireux de se doter d’une telle institution ou de la renforcer. Un ouvrage plus général en la matière est le Manuel concernant l’établissement et l’accréditation des institutions nationales de défense des droits de l’homme dans l’Union européenne 
			(27) 
			 Agence des droits
fondamentaux, Vienne, 2012: <a href='http://fra.europa.eu/fr/news/2012/fra-manuel-concernant-ltablissement-et-laccrditation-des-institutions-nationales-de-dfense'>http://fra.europa.eu/fr/news/2012/fra-manuel-concernant-ltablissement-et-laccrditation-des-institutions-nationales-de-dfense</a>., qui en définit la notion et précise les «Principes de Paris» que préconise également la Commission de Venise. Dans ce Manuel, une institution nationale des droits de l’homme est un organisme indépendant mis en place en vertu du droit national pour la protection et la promotion des droits humains dans un Etat. Comme le déclarait le Secrétaire Général des Nations Unies en 2009, «[q]uand ces institutions sont dûment établies et fonctionnent bien, elles sont les rouages essentiels d’un système national efficace et solide de protection des droits humains».
58. Les Principes de Paris énoncent entre autres les critères suivants auxquels devraient répondre de telles institutions consacrées aux enfants:
  • une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif;
  • une indépendance garantie par la constitution ou par la loi;
  • des pouvoirs d’enquête suffisants;
  • le pluralisme dans la composition et/ou une coopération effective;
  • des ressources humaines et financières suffisantes 
			(28) 
			Les «Principes de Paris»
ont été énoncés lors d'une conférence de 1991 consacrée aux institutions
nationales des droits de l’homme, à l'initiative de la Commission
des Droits de l'Homme des Nations Unies (précurseure du Conseil
des droits de l'homme des Nations Unies), et adoptés par l’ Assemblée
générale des Nations Unies en 1993..

6. Conclusions et recommandations

59. Cette analyse approfondie de l’insertion des droits de l’enfant dans les constitutions, qui a notamment pu être réalisée grâce à l’étude de grande valeur réalisée par la Commission de Venise à la demande de ma commission, permet de conclure que l’inscription des droits de l’enfant dans les constitutions est effectivement un volet essentiel des politiques nationales en faveur de l’enfance. Toutefois, l’efficacité de ces politiques dépend non pas la couverture des droits de l’enfant par la constitution ou par la législation, mais de la manière dont les constitutions et les lois nationales de protection et de promotion de ces droits sont appliquées.
60. Ma principale recommandation aux Etats membres serait donc de proposer que tous les gouvernements et tous les parlements analysent leur constitution et leurs lois du point de vue des droits de l’enfant, notamment pour déterminer si toutes les possibilités pour protéger les enfants et les soutenir dans leur développement par une égalité des chances dans la vie ont été exploitées, et si les dispositions légales en vigueur correspondent encore aux réalités auxquelles les enfants sont aujourd’hui confrontés dans leur contexte national spécifique. Partout où des réformes constitutionnelles ou législatives s’avèrent nécessaires il convient de les entreprendre sans tarder, en adoptant de préférence une vision large partagée par toutes les parties concernées: les pouvoirs publics, la société civile et, bien évidemment, les enfants eux-mêmes afin de garantir leur droit à la participation.
61. Cependant, comme l’utilité et l’efficacité d’une inscription des droits de l’enfant dans les constitutions dépendent beaucoup du contexte social de chaque pays ainsi que des traditions et des cadres juridiques nationaux, je ne préconise pas d’imposer un ancrage des droits de l’enfant dans les constitutions de tous les Etats membres, mais plutôt de les inciter à l’envisager comme une option. Je prie toutefois instamment les Etats membres de faire le point sur l’application actuelle des droits de l’enfant au plan national et à prendre les mesures législatives et politiques qui s’imposent, notamment quand des lacunes ou de nouveaux défis appellent une telle intervention.
62. La CIDE, la Convention européenne des droits de l’homme et, depuis 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne restent certes les principales références internationales mais, que ce soit pour l’inscription dans les constitutions ou pour l’application des droits de l’enfant, il convient également de s’inspirer des très intéressantes études réalisées par la Commission de Venise et par l’UNICEF, citées ci-dessus.
63. A la lumière des recommandations de ces deux institutions, il paraît essentiel que les Etats membres prennent les mesures suivantes:
  • analyser les dispositions constitutionnelles en vigueur sous l’angle des normes internationales et des événements récents au plan national;
  • faire appliquer les normes internationales par le biais d’une législation aussi complète et actualisée que possible;
  • mettre en place des mécanismes de mise en œuvre accessibles et appropriés, dont l’accès à des recours judiciaires et aux tribunaux, et des mécanismes spécifiques pour porter plainte;
  • prévoir des garanties constitutionnelles pour la protection et la reconnaissance des droits de l’enfant:
    • en envisageant les enfants comme des détenteurs autonomes de droits;
    • en veillant à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale (article 3 de la CIDE);
    • en conférant aux enfants le droit d’être entendus sur toute question les intéressant (article 12 de la CIDE);
  • mettre en place de solides garanties pour l’application des droits de l’enfant, y compris la création d’une institution indépendante de défense des droits de l’homme pour les enfants (conformément aux Principes de Paris);
  • veiller à ce qu’existent des mécanismes efficaces – judiciaires ou non – pour répondre aux éventuelles violations des droits de l’enfant, associés à des garanties de procédure adéquates;
  • à la lumière des divers exemples de bonnes pratiques relevés dans de nombreux pays, continuer d’organiser des échanges internationaux sur ce thème afin de permettre aux Etats de s’inspirer les uns des autres dans la promotion de normes plus élevées;
  • assurer la mise en œuvre effective des droits de l’enfant par le biais de politiques nationales efficaces et d’un dispositif approprié de services administratifs.
64. Du point de vue du Conseil de l’Europe, j’aimerais compléter cette liste par la nécessité de continuer de promouvoir les instruments et mécanismes internationaux déjà en place, comme le nouveau Protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158) et – parmi les instruments non contraignants – les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants.
65. J’aimerais, pour conclure, souligner toutefois que les efforts en faveur de l’intérêt supérieur de l’enfant ne sauraient se limiter à des mesures juridiques positives et à des déclarations publiques sur la protection des enfants et leur développement; il convient d’y ajouter des actions produisant des résultats concrets dans leur vie quotidienne et induisant des effets positifs et mesurables en termes de bien-être, permettant à nos enfants de se développer en des adultes équilibrés, grâce à une égalité des chances dans tous les domaines et dès le plus jeune âge et, bien sûr, en prévoyant un budget suffisant pour financer les politiques de protection et de promotion des droits de l’enfant.