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Rapport | Doc. 13809 | 08 juin 2015

Reconnaître et prévenir le néo-racisme

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Milena SANTERINI, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13440, Renvoi 4049 du 23 juin 2014. 2015 - Troisième partie de session

Resumé

En Europe, nous assistons à la montée du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance sous différentes formes, plus particulièrement à l’égard des migrants, des musulmans, des juifs et des Roms. Au moins deux facteurs principaux semblent avoir exacerbé ce phénomène: d’une part, la crise économique de ces dernières années, de l’autre, l’instabilité géopolitique dans certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Le racisme se manifeste actuellement sous de nouvelles formes et ne fait plus nécessairement référence à l’idée d’une hiérarchie entre les «races». Ce qui se manifeste est souvent un «racisme sans races», fondé sur l’affirmation que les différences culturelles sont irréductibles. Le racisme contemporain est plus insidieux mais tout aussi délétère que le racisme traditionnel, puisque son but et ses effets sont les mêmes: il vise à expliquer et légitimer des comportements ou discours discriminatoires, et contribue à les alimenter.

Le discours de haine, de plus en plus répandu notamment dans la sphère politique et sur internet, suscite également des inquiétudes. Les responsables politiques devraient être conscients de l’impact de leurs discours sur l’opinion publique et s’abstenir d’utiliser tout langage discriminatoire, insultant voire agressif envers des groupes ou catégories de personnes.

Le racisme étant un phénomène complexe, lié à plusieurs facteurs, il doit être combattu sur plusieurs fronts. En plus des instruments juridiques visant à interdire et sanctionner toute expression de racisme, y compris le discours de haine, il convient de combattre l’intolérance en utilisant des outils culturels et sociaux. L’éducation et l’information doivent jouer un rôle crucial dans la formation des citoyens au respect de la diversité ethnique, culturelle et religieuse. La solidarité avec les groupes victimes de racisme et ciblés par le discours de haine, et entre ces groupes, contribue de façon significative à combattre le racisme et la discrimination sous toutes leurs formes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 1er juin
2015.

(open)
1. On observe une montée inquiétante du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance depuis quelques années en Europe. Elle touche entre autres les migrants et les demandeurs d’asile, les juifs, les musulmans et les Roms, Sinti et Gens du voyage, et s’appuie sur une prétendue incompatibilité entre groupes d’origine différente pour des raisons culturelles et religieuses. Au racisme traditionnel s’ajoute un «racisme sans race» qui est tout aussi délétère puisqu’il tend à justifier la discrimination envers certains groupes et individus.
2. L’Europe ne doit pas sous-estimer les dangers du racisme, ni oublier les leçons du passé. La mémoire historique doit aider à comprendre que le préjugé stigmatisant, l’exclusion sociale, la privation des droits, l’humiliation et la ségrégation ne sont jamais inoffensifs.
3. L’Assemblée parlementaire appelle ainsi les autorités nationales et la société civile à maintenir un haut niveau de vigilance. Prévenir et lutter contre le racisme, l’intolérance et la xénophobie devraient représenter une priorité pour les Etats membres du Conseil de l’Europe.
4. L’Assemblée s’inquiète également de la diffusion croissante du discours de haine, notamment dans la sphère politique et sur internet et de l’émergence de partis politiques et mouvements populistes ouvertement anti-migrants dans plusieurs Etats membrese. Les responsables politiques devraient être conscients de l’impact de leurs discours sur l’opinion publique et s’abstenir d’utiliser tout langage discriminatoire, insultant voire agressif envers des groupes ou catégories de personnes. Ils devraient également fonder leurs déclarations en matière d’immigration et d’asile, ainsi que sur les relations interculturelles, sur des faits objectifs.
5. Le racisme est un phénomène complexe, lié à plusieurs facteurs et qui doit être combattu sur plusieurs fronts. En plus des outils juridiques visant à interdire et sanctionner toute expression de racisme, y compris le discours de haine, il faut combattre l’intolérance en utilisant des outils culturels et sociaux. L’éducation et l’information doivent jouer un rôle crucial dans la formation des citoyens au respect de la diversité ethnique, culturelle et religieuse.
6. Compte tenu de ces considérations, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. en ce qui concerne la société civile et le dialogue entre communautés:
6.1.1. à promouvoir le rôle de la société civile, et notamment les organisations représentant les groupes victimes de racisme ou ciblés par le discours de haine, en tant qu’interlocuteurs des pouvoirs publics ayant vocation à coopérer à la mise en œuvre de politiques contre la discrimination, l’hostilité et les préjugés;
6.1.2. à encourager les échanges entre les groupes victimes de racisme ou ciblés par le discours de haine, notamment sous la forme de projets développés en commun visant à consolider les liens sociaux et à promouvoir la solidarité intercommunautaire et la lutte contre les discriminations;
6.2. en ce qui concerne le cadre juridique de la lutte contre le racisme et l’intolérance, et sa mise en œuvre:
6.2.1. à veiller à ce que le cadre juridique relatif au discours de haine et aux infractions motivées par la haine englobe le plus grand nombre possible de motifs de discrimination, notamment la «race», la couleur, l’origine ethnique, la langue, la religion, le handicap, la situation d’immigré, le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre;
6.2.2. à signer et/ou ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177) et le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189);
6.3. en ce qui concerne les propos racistes et le discours de haine:
6.3.1. à introduire dans les règlements intérieurs des parlements nationaux, des organes des collectivités territoriales et des partis politiques des normes qui interdisent les propos racistes et le discours de haine et prévoient des sanctions adéquates en cas de violation;
6.3.2. à encourager les fournisseurs de services internet et les réseaux sociaux, à assurer un suivi des plaintes et à se doter de lignes directrices pour empêcher la diffusion de propos racistes et le discours de haine contenant des critères clairs pour établir quels contenus devraient être supprimés, et à renforcer la coopération entre ces acteurs et les autorités chargées de l’application de la loi, afin d’identifier et poursuivre les auteurs de propos racistes et de discours de haine;
6.3.3. à encourager les citoyens à signaler les propos racistes et le discours de haine aux organismes publics et aux organisations non gouvernementales engagés dans la lutte contre le racisme et les discriminations;
6.3.4. à promouvoir l’activité des modérateurs et médiateurs en ligne, qui s’emploient à identifier les contenus offensant et à établir un dialogue avec leurs auteurs à des fins de prévention;
6.3.5. à encourager les médias à utiliser des formulations correctes et précises, en leur fournissant des données et des statistiques appropriées;
6.3.6. à promouvoir la recherche sur la prévalence du discours de haine, sur ses causes, ainsi que sur l’impact des campagnes menées pour le combattre;
6.4. en ce qui concerne l’éducation et la formation:
6.4.1. à former les enseignants à l’éducation interculturelle, en leur donnant des instruments pour comprendre l’évolution actuelle du racisme dans ses différentes formes, telles que l’antisémitisme, l’islamophobie, la xénophobie et l’antitsiganisme;
6.4.2. à réformer les programmes scolaires d’éducation à la citoyenneté sur la base d’une approche interculturelle, conformément aux lignes directrices du Livre blanc sur le dialogue interculturel «Vivre ensemble dans l’égale dignité» du Conseil de l’Europe;
6.4.3. à encourager les échanges et les expériences de vie et d’étude à l’étranger;
6.4.4. à promouvoir la conservation de la mémoire des manifestations historiques de racisme et d’intolérance, notamment par l’enseignement de l’histoire et les dynamiques qui mènent de la discrimination à la violence institutionnalisée;
6.4.5. à promouvoir les activités de formation et de sensibilisation des adultes à la citoyenneté démocratique et aux droits humains sur la base d’une approche interculturelle, à travers des campagnes et des initiatives éducatives;
6.5. en ce qui concerne la communication politique:
6.5.1. à améliorer la communication en matière de migrations et d’asile afin de fournir aux citoyens et aux étrangers, y compris les groupes victimes de discrimination et de discours de haine, des informations correctes et impartiales sur les flux de migrants et de demandeurs d’asile, ainsi que sur la législation applicable;
6.5.2. à établir des réseaux parlementaires contre le racisme au sein des parlements nationaux assurant une réaction politique aux manifestations de racisme et d’intolérance;
6.6. en ce qui concerne la justice pénale:
6.6.1. à faire en sorte que les actes et propos discriminatoires et les crimes de haine soient plus systématiquement signalés, en élaborant des mécanismes d’incitation visant à renforcer la confiance dans les autorités et notamment dans la police;
6.6.2. à promouvoir la justice réparatrice, notamment sous forme de médiation entre auteurs et victimes de discours de haine et d’autres actes racistes, sur la base d’un choix libre des personnes concernées;
6.6.3. à promouvoir l’aspect éducatif des sanctions pénales, en veillant à ce que les personnes condamnées pour des actes ou propos racistes aient accès à des activités de sensibilisation, et de formation et à des informations pertinentes.

B. Exposé des motifs, par Mme Santerini, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Lors du lancement officiel de l’Alliance parlementaire contre la haine, à Strasbourg le 29 janvier 2015, M. Maurice Sosnowski, Président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, a exhorté à «appeler les choses par leur nom». Il s’agissait là d’une mise en garde contre le risque de sous-estimer les manifestations croissantes d’antisémitisme en Europe. Ce rapport naît précisément de la volonté d’appeler à la vigilance face à tous les phénomènes de racisme et d’intolérance, quels que soient les groupes qu’ils visent et la forme qu’ils revêtent. Aujourd’hui, le racisme montre un visage nouveau et différent du racisme «traditionnel», mais il est tout aussi délétère.
2. «La discrimination, la distinction, l’exclusion et la marginalisation menacent la tranquillité et la stabilité de nos sociétés» comme l’a dénoncé Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies. «Elles portent atteinte à la jouissance des droits civils et politiques et font obstacle à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels (…). Les manifestations contemporaines du racisme affectent la cohésion sociale et le progrès, parfois même au point de les détruire» 
			(2) 
			Discours de M. Zeid
Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations
Unies, 6e session de la Commission ad
hoc sur l’élaboration de standards, Genève, 7 octobre 2014. .
3. En Europe, nous assistons à la montée de l’intolérance sous différentes formes et à une augmentation du rejet de l’autre sur les plans ethnique et culturel. Au moins deux facteurs principaux semblent avoir exacerbé ce phénomène, qui affecte plus particulièrement les migrants, les musulmans, les juifs et les Roms: d’une part, la crise économique de ces dernières années, de l’autre, l’instabilité géopolitique dans certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les crises en Libye et en Syrie, en particulier, ont contribué à engendrer des craintes souvent irrationnelles d’une «invasion» de migrants et demandeurs d’asile en Europe.
4. Je voudrais souligner que l’identification des groupes ciblés par les préjugés en tant que communautés distinctes vise à créer de façon fictive leur altérité par rapport à une supposée population majoritaire. En effet, au sein de ces groupes, chaque individu est différent et les différences sociales et économiques souvent le caractérisent de façon plus importante que les différences ethniques, religieuses ou culturelles. Nous utiliserons donc les termes antisémitisme, islamophobie ou racisme non pas pour accréditer l’existence de groupes ou communautés homogènes et distinctes mais seulement pour mieux définir les phénomènes d’intolérance et de préjugé auxquels ils font face.
5. Nous assistons également aujourd’hui à une «libération de la parole». Un langage simplifié, discriminatoire et insultant, souvent agressif, se diffuse dans le débat public sur des thèmes importants tels que les politiques des migrations et la situation des demandeurs d’asile. En France, le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de 2013 parle d’un racisme «sans complexes» 
			(3) 
			Commission
nationale consultative des droits de l’homme, La
lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie – Année
2013, La documentation française, Paris, 2014., qui contredit et annule le message des droits humains et de l’égalité.
6. La popularité de partis politiques populistes ouvertement anti-migrants dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe démontre que leur discours est désormais considéré comme acceptable voire souhaitable par une partie de la population. L’instrumentalisation de fausses vérités sur l’immigration et sur les pratiques religieuses dans les discours de responsables politiques contribue à leur diffusion et à leur banalisation. Nous devons y prendre garde afin de reconnaître et de dénoncer autant que possible les propos racistes et néo-racistes.
7. Avec ce rapport, je souhaite m’attaquer à l’étude des formes actuelles du racisme et notamment de ce que nous pourrions appeler «racisme culturel», afin de voir quelles actions de prévention et de lutte pourraient mener nos parlements nationaux, l’Assemblée parlementaire, et le Conseil de l’Europe, en général. Face aux préjugés et à l’hostilité croissante vers tous ceux qui sont considérés comme différents de la majorité, je souhaite que ce rapport soit également un moyen de célébrer la diversité culturelle et le vivre ensemble sur notre continent.
8. Le racisme a été traité à de nombreuses reprises par l’Assemblée parlementaire, plus récemment dans les rapports de M. Jonas Gunnarsson (Suède, SOC) «Une stratégie pour la prévention du racisme et de l’intolérance en Europe» 
			(4) 
			Doc. 13385., de Mme Marietta de Pourbaix-Lundin (Suède, PPE/DC) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme» 
			(5) 
			Doc. 13593., ou encore de M. David Davies (Royaume-Uni, CE) «La lutte contre le racisme dans la police» 
			(6) 
			Doc. 13384.. Je vise à continuer le travail important accompli par mes prédécesseurs, en attachant une importance particulière à la nécessité de reconnaître le racisme sous toutes ses formes. Même lorsqu’il se «déguise» hypocritement en défense des traditions culturelles, ou lorsqu’il abuse des droits fondamentaux en détournant la liberté d’expression afin d’insulter et de propager les préjugés, le racisme peut être reconnu. Le reconnaître est, en effet, une précondition pour pouvoir le combattre de manière efficace.

2. Reconnaître les différentes formes de racisme

9. Il me paraît tout d’abord essentiel de décrire les formes actuelles du racisme. Le racisme «traditionnel» dit «racisme biologique» ou «racisme ouvert» affirme l’existence et la hiérarchie des races ou l’infériorité de certains groupes par rapport à d’autres. Actuellement, il n’est plus question d’affirmer la supériorité d’une «race» sur une autre. Le concept même de «race» ayant été complètement démenti par la science, ce qui se manifeste est souvent un «racisme sans races», fondé sur l’affirmation que les différences culturelles sont irréductibles 
			(7) 
			E.
Balibar, La construction du racisme,
Presses Universitaires de France, Actuel Marx, 2005/2, no 38.. Cette forme de racisme met en concurrence les civilisations et les cultures et conduit à une intensification de l’intolérance et à un repli identitaire. Selon Pierre-André Taguieff, un sociologue et politologue français, «le rejet peut se fonder classiquement sur l’apparence physique, notamment sur la couleur de peau, mais il tend aujourd’hui à privilégier les caractères culturels, au premier rang desquels on trouve la religion».
10. Le racisme se serait ainsi culturalisé: l’idée d’une «hiérarchie des cultures» remplacerait une «hiérarchie des races». Le racisme contemporain peut être un phénomène plus subtil que le racisme traditionnel qui se prétendait «scientifique», mais son but et ses effets sont les mêmes: il vise à expliquer et légitimer des comportements ou discours discriminatoires, et contribue à les alimenter. Combattre ces formes de discrimination est parfois difficile car le fait qu’elles soient moins idéologiquement structurées les rend plus difficilement identifiables.
11. Lors d’une audition, le 21 avril 2015, de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, M. Jean-Paul Lehners, membre de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), a convenu que le néo-racisme ou racisme culturel se base sur des préceptes souvent très similaires à ceux qui sous-tendent le racisme biologique, qui n’a pas disparu, tels que l’insistance sur les différences, la perfection par l’homogénéité, la supériorité de la civilisation «blanche», ainsi que la bouc-émissarisation, le reproche d’un prétendu parasitisme et l’exagération de la croissance démographique des étrangers. M. Lehners a ajouté que la globalisation, qui confronte chacun davantage à l’«autre», est souvent accompagnée d’un certain repli sur soi voire de la construction d’une sorte de «patrie» ou berceau (notion allemande de «heimat») dont seraient exclus les personnes considérées comme différentes.
12. Le sociologue Michel Wieviorka, qui utilise l’expression «néo-racisme», associe le débat sur ce phénomène à la question du multiculturalisme. «Ce fut le cœur du racisme dit “différentialiste” que d’accuser, aux Etats-Unis, les Noirs d’être culturellement dans le refus du credo américain ou, en France, certaines minorités issues de l’immigration d’être irréductiblement différentes, et totalement incapables de s’adapter à la société d’accueil, alors que leurs membres, désireux de s’intégrer, étaient surtout victimes d’exclusion et de rejet raciste» 
			(8) 
			M. Wieviorka,
Le multiculturalisme, un concept à reconstruire, Université Paris
1 Panthéon-Sorbonne, 26 février 2009..
13. La diversité des cultures, des modes de vies, des coutumes et des croyances est présentée par certains comme un obstacle insurmontable à la réussite du vivre ensemble. Les cultures sont présentées en opposition et le «vivre ensemble» assimilé à une utopie. Certains estiment, par conséquent, qu’il est préférable de vivre dans des groupes distincts plutôt que de renforcer la cohésion sociale à travers l’échange interculturel. Cette idée se retrouve dans le discours de nombreux hommes et femmes politiques populistes, qui contribuent à la populariser auprès d’un nombre croissant de citoyens. Cette conception conduit à l’exclusion de tous ceux qui sont perçus comme différents: si l’on est prêt à «appeler les choses par leur nom», il faut alors admettre qu’il s’agit d’une idée raciste.
14. Cette idée peut prendre la forme d’un ethnocentrisme radical, qui revient à évaluer ou juger les autres groupes en fonction du sien, que l’on considère comme parfait. Il peut consister à rejeter toute culture différente de la sienne ou à forcer son assimilation. Ce phénomène alimente les préjugés envers les autres, notamment les migrants, et apparaît en développement dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe.
15. Le discours du racisme culturel tend à se banaliser et les préjugés racistes sont en train d’être normalisés. La banalisation de ce discours contribue à faire accepter la discrimination à l’égard de certains groupes ou minorités par une grande partie de la population. Cette banalisation influence les mentalités, rend peu à peu ces propos plus acceptables ou, en tout cas, conduit à moins de condamnations publiques. D’ailleurs, très souvent, une personne tenant des propos racistes ne se considère pas comme une personne raciste et ne souhaite pas être qualifiée de la sorte. La fameuse phrase «je ne suis pas raciste, mais…» pourrait en effet apparaître comme un slogan du raciste contemporain. La banalisation de ce discours peut également se traduire par une insensibilité à la discrimination à l’égard de certains groupes, voire la perception qu’un groupe obtient des faveurs ou des privilèges par rapport aux autres.
16. La question du terme «racisme culturel» se pose également, l’inclusion du terme «race» étant en contradiction avec sa définition. J’ai posé, à plusieurs reprises, à mes interlocuteurs (membres de la commission, experts invités à nos réunions, représentants des autorités et de la société civile lors de ma visite en Allemagne) la question suivante: est-il toujours opportun d’utiliser le terme «racisme», et si ce n’est pas le cas, comment le remplacer? Il s’avère que ce mot est difficile à remplacer. D’une part, un «racisme sans race» est une contradiction dans les termes et, d’un point de vue doctrinal, il n’est pas entièrement approprié pour décrire les phénomènes que nous traitons. D’autre part, il s’agit d’un mot largement utilisé et qui, plus que tout autre terme alternatif, suscite une répulsion et une condamnation immédiates. Si notre objectif est de prévenir et de lutter contre l’intolérance et les discriminations fondées sur l’origine géographique, l’ethnicité, l’appartenance à une minorité nationale, le statut de migrant ou de demandeur d’asile, le terme «racisme» est probablement, le plus compréhensible pour décrire cet ensemble de phénomènes.
17. En revanche, je n’utiliserai pas le mot «race», sauf entre guillemets. Je me réjouis de l’initiative du gouvernement suédois, qui a annoncé en 2014 vouloir effacer ce mot de sa législation, ne souhaitant pas soutenir avec les textes législatifs ce qu’il considère comme une construction sociale 
			(9) 
			S. Rundquist, «Race
to be scrapped from Swedish legislation», The
Local (Suède), 31 juillet 2014.. Loin d’être une question purement formelle, ce choix est dicté par des motivations que nous ne pouvons que partager. La suppression du mot «race» de la Constitution française a également été discutée lors de la dernière campagne présidentielle mais aucune suite n’a été donnée à ce débat pour le moment.
18. Le racisme actuel peut ainsi prendre plusieurs formes qui requièrent chacune une réponse adéquate. Les manifestations de rejet et la persistance des préjugés sont particulièrement flagrantes à l’égard des Roms 
			(10) 
			Le terme «Roms» utilisé au Conseil
de l'Europe désigne les Roms, les Sintés (Manouches), les Kalés
(Gitans) et les groupes de population apparentés en Europe, dont
les Voyageurs et les branches orientales (Doms, Loms); il englobe
la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes
qui s'auto-identifient comme «Tsiganes» et celles que l'on désigne
comme «Gens du voyage»., des juifs et des musulmans ou des personnes perçues comme telles. Je m’intéresserai plus particulièrement à ces groupes dans ce rapport.
19. Nous avons en effet assisté, ces dernières années, à une augmentation de l’antisémitisme. Des propos affirmant que les personnes de confession juive contrôleraient les médias et les milieux financiers nourrissent un climat d’intolérance à l’égard de cette communauté. En 2012, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a effectué un sondage auprès de 5 847 personnes de confession juive dans huit Etats membres l’Union européenne (Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Royaume-Uni et Suède). Les résultats de cette enquête sont inquiétants: 21 % des personnes interrogées ont répondu avoir eu l’expérience d’un incident antisémite (insulte verbale, harcèlement ou attaque physique) au cours des 12 mois précédant le sondage 
			(11) 
			Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, Antisemitism – Summary overview of the situation
in the EU 2003-2013, Vienne, 2014. et 76 % des personnes interrogées estiment que l’antisémitisme a augmenté au cours des cinq dernières années.
20. S’agissant des musulmans, le philosophe belge Edouard Delruelle affirme que nous pouvons parler d’un racisme antimusulmans, qui fait une «obnubilation sur l’islam, (...) fait percevoir le musulman comme un envahisseur, une menace pour notre “civilisation” à travers le mythe de l’islamisation de l’Europe» 
			(12) 
			E. Delruelle, Racisme
et anti-racisme chez Etienne Balibar, Université de Liège, Liège,
2014: <a href='http://edouard-delruelle.be/racisme-antiracisme-chez-etienne-balibar/'>http://edouard-delruelle.be/racisme-antiracisme-chez-etienne-balibar/</a>.. Ces arguments sont de plus en plus présents dans les médias et le discours politique. En France, une augmentation significative des actes antimusulmans a été observée après les attaques de Paris en janvier 2015. Ainsi, entre l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo, le 7 janvier, et le 20 janvier, 128 actes antimusulmans ont été recensés, soit presque autant en deux semaines que sur toute l’année 2014. Ces actes consistaient principalement en des menaces, des insultes, mais également en des attaques, en particulier contre des mosquées. L’Observatoire national contre l’islamophobie, qui dépend du Conseil français du culte musulman, avait souligné, s’agissant des chiffres de 2014 qui marquaient une baisse de 41 % des actes antimusulmans, que «ces chiffres toutefois ne reflètent pas la réalité, car nombreux sont les musulmans qui ne souhaitent pas porter plainte systématiquement lorsqu’ils sont victimes d’actes xénophobes, convaincus qu’il n’y aura aucune suite, ce qui est très souvent hélas la réalité» 
			(13) 
			«Presque autant d’actes
antimusulmans recensés en 2015 que sur toute l’année 2014», Le Monde, 23 janvier 2015..
21. Les préjugés à l’égard des Roms sont également très répandus dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. Leur mode de vie est contesté, l’attribution d’aides financières afin d’aménager des terrains pouvant les accueillir est considérée par certains comme un gaspillage de ressources publiques, au détriment du bien-être de la population locale. Le discours raciste et discriminatoire à l’égard des Roms peut conduire à des actes de violence. Il ne convient pas de réagir une fois qu’il sera trop tard mais de mobiliser nos forces afin de lutter efficacement contre cette discrimination persistante depuis de nombreuses années. La priorité devrait être accordée à des mesures proactives pour promouvoir l’inclusion sociale et le respect de leur identité culturelle.
22. Puisque les styles de vie et traditions sont présentés par le racisme culturel comme incompatibles, la conséquence qui peut en découler est la promotion d’une assimilation forcée. Les cultures étant présentées comme incompatibles, la seule façon de les faire coexister de manière pacifique serait d’assimiler à la culture dominante toute culture différente. Je souhaite dénoncer ce phénomène et affirmer que nous devons continuer à promouvoir sans relâche le vivre ensemble et le respect des droits humains. L’avenir de l’Europe se trouve dans la diversité de ses visages, de ses langues, de ses cultures. Il exige le respect des droits et de l’identité de chacun.

3. Prévenir et lutter contre le racisme culturel

23. Le développement du racisme culturel n’est pas une fatalité. Nous disposons d’instruments juridiques nationaux et internationaux pertinents afin de prévenir et de lutter contre ce phénomène. Je suis également d’avis que les responsables politiques et les acteurs du domaine de l’éducation ont un rôle très important à jouer à cette fin.

3.1. Instruments juridiques internationaux

24. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) demande aux Etats de condamner la discrimination raciale qui «vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique» (article 1er).
25. Au niveau régional, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») (Interdiction de discrimination) me semble particulièrement pertinent dans la lutte contre le racisme culturel. Il stipule que «[l]a jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation». Cet article de la Convention nous donne une base solide pour la lutte contre le racisme, y compris dans ses nouvelles formes. De plus, la Convention a été complétée en 2000 par le Protocole no 12 (STE no 177) qui contient une interdiction générale de la discrimination. Alors que la Convention a été ratifiée par tous les Etats membres, seuls 18 d’entre eux sont devenus Parties au Protocole no 12. J’appelle tous les Etats membres à le ratifier sans délai.
26. Selon le rapport «Digital Terrorism and Hate Crime» (Terrorisme numérique et crimes de haine) du Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles, il existait en 2013 environ 20 000 sites racistes dans le cyberespace, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2012. L’utilisation des moyens informatiques donne une apparence de modernité au racisme et contribue à sa propagation en le rendant socialement acceptable. Certains réseaux sociaux risquent de réduire les défenses que la société avait créées vis-à-vis du racisme traditionnel «scientifique», en affaiblissant la résistance contre lui.
27. Les Etats européens se sont graduellement dotés d’outils juridiques pour lutter contre la cybercriminalité et les propos haineux. Plusieurs Etats membres, cependant, doivent encore ratifier le protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189). Je les encourage vivement à le faire.

3.2. Liberté d’expression et discours de haine

28. Le racisme culturel contribue à créer un climat d’hostilité à l’égard d’une partie de la population. Il ne peut pas toujours être identifié comme une infraction pénale et n’est pas forcément punissable par la loi. Il faudrait faire une distinction claire entre l’affirmation de la liberté d’expression légitime et la parole discriminatoire. La liberté d’expression rencontre une limite dans la responsabilité personnelle et ne peut pas être utilisée pour offenser, notamment quand le rapport de force entre les parties concernées est inégal. Comme l’écrit Christian Salmon, «les cultures et les langues ne s’y confrontent pas à armes égales (…). La guerre des récits est asymétrique» 
			(14) 
			«L’affaire Charlie,
déconstruire “l’esprit du 11 janvier”!», 10 mai 2015, le blog de
C. Salmon, Mediapart..
29. Le Conseil de l’Europe s’est engagé depuis des années dans la lutte contre le discours de haine, dont il donne cette définition: «toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haines fondée sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration») 
			(15) 
			Recommandation N° (97)
20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine»..
30. Le discours de haine est particulièrement répandu sur les réseaux sociaux sous forme de propos, commentaires ou images qui ont vocation à se banaliser et profitent de l’anonymat et d’une prétendue complicité du web. Un grand nombre d’utilisateurs croient que ces réseaux sont l’expression d’un lien d’affinité entre les représentants de la majorité et se sentent légitimés pour attaquer les minorités. Les fournisseurs de services internet, ainsi que les bloggeurs ne devraient pas se contenter d’utiliser des systèmes automatisés pour supprimer les contenus haineux provenant des «trolls» (ceux qui participent aux forums de discussion sur internet dans le seul but de créer des polémiques). Ils devraient également développer des techniques aptes à distinguer les contenus émotionnels d’un discours et identifier ceux qui devraient être contestés, et éventuellement supprimés.
31. Récemment, en Italie, de nombreux messages ont été publiés sur la page Facebook d’un syndicat des forces de police se réjouissant du suicide d’un citoyen roumain incarcéré. Le ministre de la Justice a lancé une enquête et plusieurs parlementaires ont dénoncé la gravité de ces faits. Cependant, un membre italien du Parlement européen a tenu à son tour des propos xénophobes, affirmant que la mort du détenu roumain n’était pas un problème et exprimant l’espoir qu’un grand nombre de Roumains rentrent dans leur pays. Tous les éléments du cycle vicieux du discours de haine sont réunis dans cet épisode: l’intolérance envers les migrants et les étrangers, l’utilisation des réseaux sociaux qui propagent et multiplient le message de haine, la reprise du même message par une personnalité politique, qui exploite les sentiments les plus abjects d’une partie de la population pour obtenir de la visibilité.
32. Un grand nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe sanctionnent pénalement le discours de haine. Les peines varient dans les différentes législations, mais la définition des actes punissables est relativement homogène: il s’agit, dans la plupart des cas, de déclarations publiques qui menacent, ridiculisent, méprisent ou incitent à la haine envers un groupe à cause de sa «race», de la couleur de sa peau, de son origine ethnique ou nationale, de sa foi ou de son orientation sexuelle.
33. Ces normes témoignent d’une volonté des législateurs européens de combattre le discours de haine et sont certainement utiles. Cependant, elles présentent des inconvénients. Le plus important est la difficulté de les appliquer concrètement. La qualification juridique des actes est souvent problématique: le juge doit établir si les propos en question rentrent dans les limites acceptables de la liberté d’expression ou s’ils les dépassent. Cette évaluation est souvent très délicate et des critères objectifs et univoques n’ont pas été identifiés. Cette difficulté a été illustrée récemment en Allemagne, à la suite d’une plainte portée par le Conseil central des Sinti et Roms allemands contre un slogan électoral du parti NPD («De l’argent pour grand-mère, pas pour les Sinti et les Roms»). L’association n’a pas eu gain de cause, le tribunal ayant estimé que ces propos ne relevaient pas d’une incitation à la haine 
			(16) 
			Cour
administrative de Kassel, décision du 9 septembre 2013 – 4 L 1117/13.KS
– «Der Wahlwerbeslogan, Geld für die Oma statt für Sinti und Roma
“unterfällt der Meinungsfreihei”»..
34. La réunion de l’Alliance parlementaire contre la haine du 19 mars 2015 nous a donné l’opportunité de réfléchir encore une fois sur ce thème important. Le chercheur Nicolas Hervieu, auditionné par l’Alliance, a présenté le discours de haine dans le contexte du «dilemme» auquel une démocratie doit souvent faire face: d’un côté, elle doit défendre les valeurs qui fondent son existence même, telles que les libertés fondamentales, de l’autre, elle doit se défendre contre les ennemis qui menacent sa survie. Il y a donc une tension constante entre ouverture (à la liberté, notamment d’expression) et clôture, c’est-à-dire poser des limites à cette liberté, à des fins d’auto-défense de la démocratie contre ses ennemis. Cette tension est justifiée par les enjeux: la liberté d’expression est un pilier de la démocratie, mais son abus – l’utiliser pour diffuser un message de haine – sape la coexistence pacifique entre les citoyens et finalement la démocratie elle-même.
35. Deux approches possibles ressortent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans certains cas, la Cour a adopté une approche libérale, qui tolère tout type de discours au nom de l’ouverture démocratique. La finalité de cette approche est de permettre un débat dans l’arène publique sur n’importe quel thème, même potentiellement choquant ou offensant, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un appel ou d’une incitation à la violence. Dans d’autres affaires, l’approche suivie a été plus restrictive, ostracisant les propos qui heurtent les sentiments d’une partie de la population ou minent les principes fondateurs de la démocratie et des droits humains. Tel est le cas du négationnisme de la Shoah ou des discours islamophobes ou antisémites.
36. La différence d’approche selon les arrêts est évidente et la difficulté de trouver une solution univoque est admise par les juges. La Cour aura l’occasion de préciser sa jurisprudence à l’occasion de la décision qu’elle rendra en 2015 dans l’affaire Perinçek c. Suisse, actuellement pendante devant la Grande Chambre. Cette affaire concerne la condamnation d’un homme politique turc pour avoir contesté publiquement en Suisse l’existence du génocide arménien.
37. Compte tenu de la portée des valeurs qui sont en jeu, il est facile de comprendre la difficulté de trouver un critère unique et valable pour tous les cas. Laisser aux juges une marge d’appréciation est probablement la seule façon viable de traiter cette matière. Il convient cependant, dans une perspective de protection des droits humains, de rappeler que garantir la liberté d’expression devrait constituer la règle, la limiter devrait être l’exception. Un critère intéressant, comme l’a rappelé M. Hervieu, est l’analyse de l’intention véritable de l’auteur des propos. Lorsque, au-delà de la forme – discours politique, spectacle comique, article de presse – il apparaît, sur la base de plusieurs indices, que le but est d’insulter, humilier, discréditer une catégorie de personnes ou un individu en raison de son appartenance à cette catégorie, on peut conclure que ces propos sont susceptibles d’encourager la discrimination et l’exclusion. Il serait difficile, dans ce cas, d’invoquer la liberté d’expression pour justifier ces propos. Il s’agit tout simplement de discours de haine.
38. L’inconvénient plus général de la criminalisation du discours de haine est sa faible capacité de prévention. Bien que toute disposition pénale vise à la fois à prévenir et à réprimer, il conviendrait d’identifier d’autres outils qui s’ajoutent aux normes pénales et agissent sur un terrain différent et plus approprié, celui des mentalités. Le problème du racisme et du discours de haine étant, comme j’ai voulu l’expliquer dans ce rapport, éminemment culturel, les activités de prévention et de lutte devraient utiliser tout d’abord les instruments de la culture.
39. En matière de discours de haine, encore plus que dans d’autres contextes, la justice réparatrice peut constituer une option alternative très intéressante ou un complément de la justice pénale classique basée sur la sanction 
			(17) 
			C. Mazzucato, Offese alla libertà religiosa e scelte di criminalizzazione,
dans Religione e religioni: prospettive di tutela, tutela della
libertà, Giappichelli, Turin, 2007.. Ce type de justice propose de nouvelles pratiques, dont notamment la médiation, impliquant les auteurs de l’infraction, les victimes et d’autres membres du groupe ou catégorie visés par les actes de haine. Ces acteurs sont appelés à définir les conséquences de l’acte et à envisager une réparation.
40. Le Conseil de l’Europe reconnaît depuis longtemps l’utilité de la justice réparatrice, notamment sous forme de médiation. La Recommandation no R (99) 19 du Comité des Ministres sur la médiation en matière pénale, qui s’applique «à tout processus permettant à la victime et au délinquant de participer activement, s’ils y consentent librement, à la solution des difficultés résultant du délit, avec l’aide d’un tiers indépendant (médiateur)» indique, entre autres, que «la médiation en matière pénale devrait être un service généralement disponible, et qu’elle devrait être possible à toutes les phases de la procédure de justice pénale».
41. Dans le cas du discours de haine, où la violation est commise à travers des paroles, la réparation devrait, à mon avis, s’effectuer idéalement par la parole. La médiation s’avère particulièrement pertinente, car le discours de haine dans les réseaux sociaux se manifeste sans un contact personnel direct entre l’auteur et la victime. Une rencontre entre ces deux parties, facilitée par un médiateur, représente pour l’auteur des faits une opportunité de prendre conscience de ses actes et de leur impact. La limite réside toutefois dans l’anonymat qui est souvent utilisé sur les réseaux sociaux et qui peut rendre difficile l’identification des auteurs de discours de haine.
42. En février 2015, en France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a publié un avis sur «la lutte contre les discours de haine sur internet». En présentant l’avis, la présidente de la CNCDH, Mme Christine Lazerges, a fort justement regretté que «la prolifération inquiétante des discours de haine sur la toile se heurte au manque d’efficacité des politiques et des moyens mis en œuvre en la matière». Parmi les recommandations principales contenues dans l’avis, je souhaite faire référence ici à l’adoption d’un «plan d’action national sur l’éducation et la citoyenneté numériques lequel prévoirait notamment le développement et la diffusion de contre-discours». La notion de contre-discours, c’est-à-dire d’une communication visant à démentir les stéréotypes et les fausses allégations des auteurs du discours de haine, est à mon avis d’importance primordiale. Une telle communication exige une coopération étroite entre les pouvoirs publics et le monde de la culture, de l’information et des réseaux sociaux. Ses contenus méritent une réflexion approfondie afin de garantir un maximum d’efficacité. Un exemple positif d’activité de sensibilisation est la campagne «Même les mots peuvent tuer» lancée par plusieurs journaux et soutenue par les deux chambres du Parlement italien. La campagne, basée sur des images où des mots offensants ressemblent à des balles de pistolet perforant le crâne de leurs cibles, vise à montrer comment le discours de haine peut avoir un impact grave, voire meurtrier.
43. Au cours des dernières années, l’engagement du Conseil de l’Europe contre le discours de haine s’est traduit notamment par une campagne dénommée «Mouvement contre le discours de haine». Cette campagne vise spécifiquement le discours de haine sur internet et s’adresse en particulier aux jeunes, grands utilisateurs de réseaux sociaux et souvent victimes du discours de haine. Victimes directes lorsqu’ils sont ciblés personnellement, les jeunes peuvent être également des victimes indirectes du discours de haine, se retrouvant à grandir et développer leur personnalité dans un environnement culturel pollué par des messages faux, discriminatoires et agressifs.
44. Les coordinateurs nationaux de cette campagne en Espagne, Norvège et Pologne, intervenus à la réunion de l’Alliance parlementaire contre la haine du 19 mars 2015, ont montré que les activités menées dans les différents Etats membres du Conseil de l’Europe sont susceptibles d’impliquer un grand nombre de citoyens et de catalyser les efforts de différentes administrations publiques, avec un impact significatif. L’Alliance, créée entre autres pour garantir l’appui des parlementaires à cette campagne, devrait continuer à poursuivre cette coopération avec conviction.
45. Je souhaite souligner que, parmi les outils développés dans le cadre de la campagne, le Conseil de l’Europe a publié «Bookmarks», un manuel destiné aux éducateurs, contenant des activités pédagogiques pour des groupes de jeunes âgés de 13 à 18 ans. Il s’agit, à mon avis, d’une initiative particulièrement efficace, qui devrait être utilisée encore plus largement, notamment à travers la traduction du manuel vers un plus grand nombre de langues. Je propose que les membres de l’Alliance parlementaire contre la haine agissent en ce sens auprès de leurs autorités nationales respectives. Personnellement, j’ai demandé le soutien de ma délégation à l’Assemblée parlementaire et le manuel a été récemment traduit et publié en italien.
46. Parmi les mesures à prendre, je voudrais également mentionner la nécessité d’une autorégulation par les fournisseurs de services internet qui prévoit non seulement la possibilité d’interdire et de sanctionner les messages discriminatoires sur les réseaux sociaux, mais également de supprimer ces messages par une démarche proactive de leur part. Je suis en effet convaincue qu’une vigilance active des citoyens et des institutions, bien que nécessaire, ne saurait se passer de la coopération et de l’implication des acteurs de l’internet.

3.3. Responsabilité du monde politique

47. Les femmes et les hommes politiques devraient être au premier plan de la prévention et de la lutte contre le racisme, y compris le racisme culturel. Je me réjouis, par conséquent, de la création, au sein de l’Assemblée parlementaire, de l’Alliance parlementaire contre la haine, nouvelle structure qui représente un forum de discussion sur le racisme et l’intolérance avec la possibilité de relayer ses recommandations au sein des parlements des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Il conviendrait d’établir des regroupements similaires au sein des parlements nationaux. L’engagement antiraciste des responsables politiques, que nous tenons trop souvent pour acquis, devrait se renforcer et devenir plus visible.
48. Je salue également l’adoption de la déclaration de Rome pour une Europe de la diversité et de la lutte contre le racisme par 17 ministres de l’Union européenne affirmant que «[l]es responsables politiques doivent être des modèles d’unité, d’acceptation de la diversité et de la tolérance et non des acteurs de divisions et d’intolérance» 
			(18) 
			23 septembre 2013, <a href='http://www.acidi.gov.pt/_cfn/5241a6c15a424/live/Rome+Declaration'>www.acidi.gov.pt/_cfn/5241a6c15a424/live/Rome+Declaration.</a>. L’initiative a été lancée par la Vice-Première ministre, ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances belge, Joëlle Milquet, précisément à la suite des insultes adressées par plusieurs représentants politiques à la ministre italienne de l’Intégration, Cécile Kyenge, traitée d’«orang-outang» par un parlementaire et victime d’autres actes clairement racistes lors de sa participation à des évènements publics.
49. Ces épisodes exécrables montrent que le discours de haine de nature raciste s’insinue parfois dans les propos des représentants du monde politique, qui devraient être les premiers à s’y opposer. Un témoignage de solidarité de la part de représentants institutionnels au plus haut niveau de nombreux pays européen me semble la réaction la plus appropriée face à des manifestations d’intolérance qui doivent être fermement rejetées. Je suis convaincue qu’il appartient également aux partis politiques de réagir à de tels propos lorsqu’ils sont tenus par leurs membres, notamment en imposant des sanctions.

3.4. Compétences interculturelles et enseignement de l’histoire

50. Il est nécessaire de combattre le racisme à tous les niveaux et je souhaite souligner l’importance d’actions sur le plan de l’éducation. Dans sa Recommandation de politique générale no 10, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance recommande aux gouvernements des Etats membres de s’assurer que l’éducation scolaire joue un rôle clé dans la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans la société, de préparer l’ensemble du personnel enseignant à travailler dans un milieu multiculturel et d’assurer les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre des recommandations 
			(19) 
			ECRI, Recommandation
de politique générale no 10, Lutter contre
le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation
scolaire, adoptée le 15 décembre 2006. .
51. La lutte contre le racisme et la discrimination dans et à travers l’éducation scolaire demeure un défi. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a souligné l’importance de l’éducation afin de contrer la dissémination d’idées racistes et de promouvoir les valeurs d’égalité, non-discrimination et de respect 
			(20) 
			Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies, rapport du Rapporteur spécial
sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale,
de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Mutuma Ruteer,
avril 2013 (A/HRC/23/56)..
52. L’aspect de l’éducation, au sein de l’école mais également dans d’autres contextes tels que la formation des adultes, me tient particulièrement à cœur. Il ne sera pourtant pas nécessaire de le développer entièrement dans ce rapport, puisque il est également traité dans d’autres textes récents de l’Assemblée parlementaire, tels que la Résolution 2005 (2014) et la Recommandation 2049 (2014) «Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles», basées sur un rapport de M. Costa Neves (Portugal, PPE/DC) pour la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, ainsi que le rapport que prépare actuellement M. Jacques Legendre (France, PPE/DC) pour la même commission sur «Vers un cadre européen des compétences pour la citoyenneté démocratique, les droits de l’homme et le dialogue interculturel». Je renvoie donc à ces textes dont je partage les principes inspirateurs.
53. Le travail éducatif sur le néo-racisme doit créer de nouvelles façons de transmettre la mémoire, en commençant par la leçon historique qu’est le déni des droits humains qui a abouti à la Shoah. En effet, le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale représente un fait précis et unique dans l’histoire européenne, mais en même temps, présente des mécanismes systématiques et institutionnels qui peuvent se reproduire (et se sont en effet reproduits) plus tard. La mémoire des événements doit servir non seulement à préserver le souvenir des victimes, mais aussi à éviter que de tels mécanismes ne se reproduisent aujourd’hui dans des circonstances différentes.
54. La mémoire doit aider à comprendre que le préjugé stigmatisant, l’exclusion sociale, la privation des droits, l’humiliation, la ségrégation, même lorsqu’ils ont lieu d’une façon moins sévère, ne sont jamais inoffensifs et doivent être combattus. Ainsi, la transmission de la mémoire doit avoir lieu, d’une part, à travers le récit historique des événements et, d’autre part, à travers l’éducation critique, qui permet de reconnaître ces mécanismes encore aujourd’hui dans les pratiques sociales des pays démocratiques.

4. Etude de cas – Les mouvements populistes en Europe: le cas Pegida-Legida

55. Dans un grand nombre de pays européens, nous assistons à la montée de partis politiques qui affichent des positions xénophobes et dont le discours présente souvent les éléments typiques du racisme culturel. De tels partis et mouvements ont obtenu des résultats électoraux significatifs et plusieurs d’entre eux sont actuellement représentés dans les gouvernements, surtout aux niveaux local et régional. Dans la quasi-totalité des cas, ces partis ne sont pas racistes au sens traditionnel du terme. Ils n’utilisent pas les arguments pseudo-scientifiques ou biologiques de «race» et l’idée de la hiérarchisation des races, qui justifiait la domination d’un peuple sur un autre dans certaines idéologies passées, n’est plus évoquée. A leur place, nous retrouvons souvent, de façon plus ou moins explicite, l’idée d’une «hiérarchie des cultures» tout aussi pernicieuse car elle vise le même objectif: expliquer et légitimer des comportements ou discours discriminatoires.
56. Un phénomène nouveau est apparu au cours des derniers mois en Allemagne, en particulier dans l’Etat libre de Saxe. Il s’agit d’une série de mouvements apparemment spontanés, nés en dehors de la politique institutionnelle, qui ont amené un nombre croissant de citoyens communs à défiler dans les rues contre l’«islamisation». Le «Pegida», mouvement des «Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident» né à Dresde, a manifesté pour la première fois dans les rues de la capitale de la Saxe en octobre 2014. La participation aux manifestations a doublé lors de chaque rendez-vous hebdomadaire, tandis que des mouvements aux sigles similaires apparaissaient dans d’autres villes, tels que «Legida» à Leipzig. En même temps, la société civile a réagi en organisant des contre-manifestations, tenues soit en même temps que celles de «Pegida» soit séparément, pour réaffirmer les valeurs d’ouverture et de tolérance, notamment envers les réfugiés. Les mouvements inspirés de «Pegida» apparus dans les Etats fédéraux plus occidentaux, tels que «Bogida» à Bonn et «Kögida» à Cologne, ont connu une participation plus faible et engendré une contre-réaction plus forte qu’en Saxe.
57. Les «Thèses de Dresde» sont le manifeste politique du «Pegida», distribué à toutes ses manifestations. Ce texte s’ouvre avec le slogan «Unis pour l’Allemagne!» et définit le mouvement comme étant politique et non idéologique, visant à faire face aux problèmes sociaux de notre époque et à élaborer et mettre en œuvre des solutions. Il évoque des craintes partagées par un grand nombre de citoyens: «la classe ouvrière et la classe moyenne glissent progressivement dans la pauvreté», «les salaires et pensions stagnent tandis que le coût de la vie augmente.»
58. L’introduction des «Thèses» souligne également que «la montée des taux de criminalité, les risques d’explosion sociale et les sociétés ethniques parallèles toujours croissantes alarment le peuple». L’association entre criminalité et étrangers «parallèles», c’est-à-dire non intégrés dans la société du pays hôte (reste à expliquer en quoi consisterait cette intégration) est l’un des piliers de ce mouvement.
59. J’ai estimé que ces développements méritaient d’être observés de près et j’ai effectué une visite à Dresde, Leipzig et Berlin les 2 et 3 mars 2015. Mes interlocuteurs locaux, dont le ministre de l’Intérieur de l’Etat libre de Saxe, M. Markus Ulbig, et M. Matthias Rößler, président du Parlement saxon, ainsi que des membres de ce parlement représentant plusieurs partis politiques (CDU, SPD, Die Linke et AfD), ainsi que M. Thomas Feist, membre du parlement national et de l’Assemblée parlementaire, m’ont présenté la situation du Land et expliqué la nature des mouvements «Pegida-Legida». Dans ce Land, la population d’origine étrangère représente une minorité infime, surtout comparée à d’autres régions allemandes: elle ne dépasse pas 2 % de la population totale. Encore plus réduite est la proportion d’étrangers de religion musulmane, soit environ 0,4 %. En revanche, le nombre de demandeurs d’asile a sensiblement augmenté ces dernières années, suite aux crises internationales particulièrement graves survenues à partir de 2011 (le «Printemps arabe» et les situations explosives en Syrie, Egypte, Libye et d’autres pays de la région, ainsi qu’en Ukraine plus récemment).
60. Bien que cela représente un problème pour les autorités locales, qui doivent faire face à des coûts croissants pour accueillir et assister les demandeurs d’asile, l’«invasion» des étrangers et les risques d’«islamisation» évoqués par les mouvements de protestation sont clairement inexistants.
61. Le 2 mars 2015, à Leipzig, j’ai observé une manifestation de «Legida». J’ai pu constater de visu un certain nombre de caractéristiques du mouvement et de ses participants. Il s’agit clairement d’un mouvement hétérogène, qui mêle des gens et des idées très variés. A côté d’un grand nombre de drapeaux allemands, par exemple, on remarquait la présence de quelques drapeaux tricolores russes. La quasi-totalité des participants avait passé la trentaine et, probablement, les groupes d’âges les plus représentés étaient ceux au-dessus de 40 ans.
62. Sur l’«Augustusplatz», lieu de départ de la marche de protestation, j’ai pu discuter avec M. Silvio Rößler, le leader du mouvement. Il m’a expliqué que s’attaquer à l’injustice sociale représente la première priorité de «Pegida-Legida» et que les demandeurs d’asile dont la demande est fondée sont les bienvenus. Compte tenu des différents points des «Thèses», j’ai trouvé dans les propos de M. Rößler un zèle «politiquement correct» peu convaincant. En effet, ce mouvement est clairement islamophobe et conçoit l’Islam comme une menace et une religion incompatible avec la culture occidentale. Cette islamophobie ressemble à l’antisémitisme traditionnel, avec son mélange typique de préjugés, intolérance et recherche d’un bouc émissaire.
63. Cela confirme que les différentes formes de néo-racisme, en dépit de leurs différentes spécificités sont, en quelque sorte, «interchangeables». Les mécanismes dont elles sont issues, comme les préjugés, la distance sociale et l’hostilité, sont similaires. Même si l’islamophobie et l’antisémitisme peuvent sembler deux phénomènes opposés, les deux ont tendance à coexister dans notre société. Par conséquent, toutes les formes de discrimination doivent être combattues en même temps et les différents groupes qui les subissent devraient comprendre qu’ils ont tout intérêt à faire front commun.
64. «Pegida» et «Legida» expriment un mécontentement envers les représentants politiques mais se montrent incapables de traduire cela en propositions constructives. D’un côté, ils demandent plus de démocratie directe, de l’autre ils critiquent la représentation politique. Ils s’approprient la pratique des manifestations du lundi et le slogan «Nous sommes le peuple», typiques de la révolution pacifique de 1989, mais ce slogan semble avoir un sous-entendu discriminatoire envers les migrants, qui ne feraient pas partie, eux, du peuple. Ces mouvements sont contre le système et contre les médias: ils parlent de «presse menteuse» et évoquent des complots et des conspirations, du fait de leur incapacité à comprendre la complexité des phénomènes globaux.
65. En dépit des quelques éléments originaux, Pegida, Legida et les mouvements similaires ressemblent à nombre d’autres forces populistes actives ailleurs en Europe depuis longtemps. Ils ne font que confirmer ma conviction que l’information et l’éducation ont un rôle primordial à jouer dans la prévention de la xénophobie et de l’intolérance. Les leaders de ces protestations profitent du manque d’information auprès de la population et de son amnésie en matière d’histoire récente. Les jeunes de la Saxe n’ont pas vécu la révolution pacifique; les moins jeunes, nombreux dans les files des manifestants, l’ont peut-être oubliée. Il serait utile d’expliquer aux premiers, et de rappeler aux derniers, que les manifestations de 1989 avaient contribué à réinstaurer la démocratie dans la Saxe. Propager l’idée que l’ordre et la justice sociale de cet Etat sont mis en danger par les étrangers représente une façon mensongère et insidieuse de faire de la politique.

5. Etude de cas – La situation des Roms, Sinti et Gens du voyage en Italie

66. Les Roms, Sinti et Gens du voyage sont présents en Italie depuis 1400. Actuellement, ils sont présents dans toutes les régions italiennes et, selon la Commission des droits de l’homme du Sénat italien, sont environ 130 000-170 000 soit 0,2 % de la population, l’un des pourcentages les plus bas d’Europe. Près de la moitié sont de nationalité italienne, les autres sont étrangers, dont 50 % provenant de pays de l’Union européenne. C’est une population jeune: plus de 50 % a moins de 20 ans et à peine plus de 2 % dépassent 60 ans, contre 20 % de la moyenne nationale. A la population historiquement présente se sont ajoutés depuis les années 1960 des groupes provenant de Yougoslavie et, depuis les années 1990, de Roumanie et de Bulgarie.
67. Le terme de «nomades», utilisé par les médias et par de nombreuses administrations, ne reflète pas la réalité. La plupart de ces familles sont sédentaires et résident dans des maisons. Comme le confirme le ministère de l’Intérieur, seulement 2 % à 3 % de ces groupes pratiquent le nomadisme. L’utilisation de ce terme fondé sur des stéréotypes a influencé les stratégies d’intégration aux niveaux local et national. La réponse institutionnelle a été de trouver des solutions pour les populations nomades: les «plans nomades». Plusieurs régions ont adopté des lois prévoyant la création de champs de stationnement temporaire autorisé, souvent dépourvus des installations minimales requises par la législation (eau courante, égouts, électricité). Des générations entières sont nées et ont vécu dans des endroits qui ne sont pas dissemblables à des sites de décharge, en marge de l’opulence de la ville, sans avoir les outils culturels pour affronter la société environnante qui les juge et les rejette. Une des conséquences de cette condition a sans aucun doute été l’augmentation de la déviance des jeunes.
68. Le 21 mai 2008, suite à de graves incidents, le Gouvernement italien a proclamé l’état d’urgence en relation aux «communautés nomades se trouvant sur le territoire des régions de Campanie, Latium et Lombardie» et des commissaires extraordinaires ont été nommés à Rome, Milan et Naples. Les populations Roms et Sinti et les Gens du voyage sont cataloguées sur une base ethnique, y compris celles de nationalité italienne, parce qu’elles vivent dans des camps. Pendant la période des commissaires spéciaux, la plupart des fonds d’urgence ont été utilisés pour les mesures de démantèlement des camps illégaux, sans aucune stratégie d’intégration réelle.
69. En février 2012, sur proposition du ministre de la Coopération internationale et de l’intégration, M. Riccardi, le Gouvernement italien a approuvé une stratégie nationale d’intégration des Roms, Sinti et Gens du voyage, mettant en œuvre la communication de la Commission européenne no 173/2011. L’Italie vise ainsi un objectif d’intégration à moyen et long terme, dans le cadre d’un processus de maturation culturelle plus large impliquant la société dans son ensemble.
70. En février 2015, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), tout en notant les progrès accomplis ces trois dernières années, a appelé l’Italie à introduire des mesures pour garantir aux Roms, Sinti et Gens du voyage concernés par les ordres d’évacuation les mêmes droits que les autres citoyens, à savoir la possibilité de contester l’ordonnance d’expulsion devant un tribunal et la possibilité d’accéder à un lieu où ils peuvent résider 
			(21) 
			CRI(2015)4,
Conclusions de l’ECRI sur la mise en œuvre des recommandations faisant
l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à l’Italie, 24 février
2015..
71. Malgré les efforts déployés, une enquête de l’Eurobaromètre sur la discrimination dans l’Union européenne montre que 47 % des Italiens interrogés se déclarent «mal à l’aise» à l’idée d’avoir un voisin Rom, face à une moyenne européenne de 24 %. D’après une recherche de 2010 ciblant les jeunes (18-29 ans), sur une échelle de sympathie qui varie de 1 à 10, les Roms ont score minimum (4.1) suivis des Roumains (5.0) et des Albanais (5.2). Une enquête de l’Institut pour les études de politique internationale (ISPI) de 2008 a révélé que 35 % de l’échantillon interviewé surestimait le nombre des membres de ces groupes en Italie, en les plaçant entre 1 et 2 millions de personnes; 84 % étaient convaincus que les «Gitans» sont principalement nomades, 92 % qu’ils exploitent les mineurs et vivent de la petite criminalité, 87 % qu’ils ont une attitude fermée et 83 % qu’ils vivent par libre choix dans des camps isolés.
72. L’antitsiganisme est un phénomène ancien qui provient de la méfiance et de préjugés ataviques, par exemple la perception erronée de la proportion de nomades et sédentaires dans l’ensemble de ces groupes. Les politiques d’urgence menées pendant des années par les institutions et les préjugés amplifiés par les médias ont conduit à un sentiment d’insécurité et de peur auprès du reste de la population. Aujourd’hui, le parti pris est alimenté par la marginalité des Roms, Sinti et Gens du voyage et empêche les initiatives visant à améliorer leur situation. Les initiatives locales sont souvent entravées par l’opinion publique qui exprime son mécontentement lorsqu’on aide les «Gitans», perçus comme un facteur de risque pour son propre bien-être. La crise économique a renforcé cette attitude et consolidé l’hostilité.
73. Le préjugé rend l’accès à l’emploi difficile pour les Roms, Sinti et Gens du voyage, ce qui pousse un certain nombre d’entre eux à des comportements qui dérangent le reste de la population ou à une délinquance plus ou moins grave. Il s’agit clairement d’un cercle vicieux, car les conditions de misère et d’exclusion constituent un terrain fertile pour la déviance. Il est primordial de briser ce cercle, dans l’intérêt de tous.
74. De bonnes pratiques ont été mises en place ces dernières années, tels que les projets dans les écoles pour la lutte contre la discrimination, l’accueil des étudiants ou la formation de médiateurs culturels Roms (entre autres, le projet «Droit à l’éducation, droit à l’avenir» de la communauté de Sant’Egidio à Rome et Naples). Des stages et formations ont été mis en œuvre dans diverses régions italiennes. Il existe également des initiatives visant à faciliter l’accès au logement, telles que l’affectation de micro-lots aux familles, les projets d’auto-construction et l’hébergement temporaire ou dans des logements sociaux.
75. Les initiatives des pouvoirs publics ne suffisent pas à elles seules. Une contribution majeure à l’intégration vient de la société civile. En effet, l’implication de la société civile est l’un des critères de succès des politiques d’intégration. J’estime particulièrement important l’exemple des écoles de la zone de Via Rubattino, à Milan. Un groupe d’enseignants et de mères d’élèves s’est mobilisé pour défendre le droit d’être scolarisé pour tous les enfants de l’école. Des liens se sont créés entre les familles Roms et les autres familles du quartier. Ce groupe a aidé à résoudre les problèmes de travail et d’hébergement de plusieurs centaines de familles.
76. En plus de la solidarité avec la majorité de la population, il importe d’encourager la solidarité entre les groupes qui sont victimes de discrimination. Entre ces personnes discriminées peuvent se créer des synergies pour faire pression sur l’opinion publique et défendre les minorités les plus faibles. A Rome, en 2008, la communauté juive et des mouvements catholiques ont contesté la pratique qui consiste à relever les empreintes digitales des enfants Roms au cours d’enquêtes sur le terrain. Dans ce cas, la mémoire de la persécution, partagée par les juifs et les Roms, a agi comme «tissu conjonctif» entre les deux groupes et a mis en évidence les risques de discrimination ethnique toujours présents au sein de notre société. Il s’agit d’un bel exemple d’une approche que j’ai toujours prônée, et qui a été bien illustrée par les paroles de M. Erik Rise, coordinateur national norvégien de la campagne Mouvement contre le discours de haine: «Le contraire de la haine n’est pas l’amour; le contraire de la haine est la solidarité.»
77. La défense de la mémoire des Roms, Sinti et Gens du voyage est un autre point que j’estime particulièrement important, surtout pour une population peu instruite (plus de 40 % ne sont pas scolarisés, d’après la Croix Rouge italienne) et qui n’est pas reconnue comme une minorité culturelle en Italie. Les sociologues dénoncent le risque d’un «génocide culturel». Un exemple d’actualisation de la mémoire est représenté par le site internet www.romsintimemory.it, né d’un projet de l’Université Catholique de Milan et de l’Institute for Visual History and Education. Ce site présente des témoignages vidéos de survivants aux persécutions perpétrées par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, pour la première fois traduits en anglais et diffusés par internet. La mémoire du passé, le Porrajmos (mot Rom qui désigne l’holocauste), la connaissance de la culture Rom et la conscience des droits niés aujourd’hui se combinent dans ce projet avec un résultat très significatif.

6. Etude de cas – L’antisémitisme en France et en Belgique

78. Nous assistons en Europe à une banalisation des préjugés antisémites, à une recrudescence des violences à l’encontre d’individus et à un nombre croissant d’actes de vandalisme sur les lieux de culte ou d’autres lieux fréquentés par la communauté juive. Selon un rapport de l’Université de Tel Aviv, le nombre d’actes manifestement antisémites en Europe a augmenté en 2014 de 38 % par rapport à l’année précédente. Cela concerne la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe et la gravité du phénomène n’est pas proportionnelle à l’importance de la communauté juive. Un climat alarmant est signalé par exemple à Malmö (Suède), où la présence juive est très réduite.
79. J’ai choisi de traiter tout d’abord le cas de la France car la communauté juive de ce pays est l’une des plus nombreuses au monde et de loin la plus importante d’Europe. Elle compte environ 470 000 personnes. Au cours des dernières décennies, la communauté installée historiquement dans le pays a été rejointe par de nombreux nouveaux membres, provenant notamment des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
80. Depuis environ dix ans, la communauté juive française dénonce une hausse des épisodes antisémites dans le pays, environ 400 par an. Aux cas plus frappants, tels que la tuerie de l’école Ozar Hatora de Toulouse en 2012 et celle du magasin Hypercacher à Paris en janvier 2015 pour citer les plus récents, s’ajoute un nombre d’épisodes moins visibles qui ne font pas la une des journaux. D’après le Rapport sur l’antisémitisme en France réalisé par le Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ) en coopération avec le ministère de l’Intérieur, le nombre d’actes antisémites recensés sur le territoire français a doublé́ en 2014, passant de 423 à 851.
81. Le drame d’Ilan Halimi, un jeune de 23 ans enlevé, torturé et assassiné brutalement en 2006, a marqué un tournant, contribuant à une prise de conscience auprès de l’opinion publique et des autorités. Il s’agit d’un cas très révélateur du lien existant entre les préjugés antisémites et les actes de violence. Le «gang des barbares» responsable de ce crime était convaincu que la communauté juive, dont la victime faisait partie et à laquelle ces criminels associaient l’idée de grandes disponibilités financières, interviendrait pour payer la rançon. Cela signifie non seulement que la victime, dépouillée de toute dignité d’être humain, n’était considérée que comme un simple outil pour obtenir de l’argent, mais également qu’en frappant Ilan Halimi, ils frappaient la communauté juive dans son ensemble.
82. Par ailleurs, l’«affaire Dieudonné» représente un exemple de diffusion de préjugés antisémites dans le monde du spectacle et de la culture. Ancien comédien et personnage de télévision, Dieudonné a introduit progressivement dans ses spectacles des arguments typiquement antisémites, allant de l’existence de réseaux occultes, économiques, politiques, médiatiques et financiers contrôlés par des juifs, à la critique du Sionisme décrit comme projet global de colonisation, jusqu’à la relativisation voire la négation de la Shoah et même des attaques antisémites actuelles. Compte tenu de la teneur inacceptable de ce discours, susceptible de propager la haine contre les juifs, les spectacles de Dieudonné ont été interdits dans de nombreuses villes. Les textes du pseudo-humoriste sont un exemple de discours de haine qui transmet des messages nuisibles sous prétexte de la satire et en invoquant la liberté d’expression. Toutefois, il faut vérifier avec discernement si une sanction est nécessaire, en prenant en compte la nécessité de protéger les droits humains de chacun, sans exception, et en faisant une distinction entre la simple provocation et l’incitation à la haine raciale.
83. Les Français sont conscients de l’existence de sentiments antisémites au sein de leur société. La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) a publié en 2014 une étude sur «L’antisémitisme dans l’opinion publique française» basée sur deux enquêtes d’opinion. Cette publication indique, entre autres, que 25 % des interrogés estime que les juifs ont trop de pouvoir dans l’économie et la finance et, ce qui est plus alarmant, que 14 % trouve «compréhensibles» les attaques contre des lieux de cultes et des commerces juifs ainsi que les slogans de haine entendus lors des manifestations anti-israéliennes de 2014.
84. La recherche de la Fondapol visait également à vérifier l’hypothèse selon laquelle les préjugés antisémites seraient plus répandus auprès de la population de confession musulmane, par le biais d’une seconde enquête réalisée en ciblant exclusivement un échantillon de cette population. Les réponses aux mêmes questions donnent en effet des chiffres plus élevés auprès des personnes interrogées se déclarant de confession musulmane. En raison de plusieurs facteurs, dont notamment les répercussions des crises récurrentes au Moyen-Orient, le risque d’une hostilité croisée entre juifs et musulmans est réel. Je tiens à souligner encore une fois, en tant que point essentiel de mon analyse sur la situation actuelle, que le racisme et l’intolérance se manifestent de manière similaire envers leurs différentes cibles. L’énième confirmation de cela réside dans une autre conclusion tirée de la recherche Fondapol de 2014: il résulte clairement de la corrélation entre plusieurs réponses au questionnaire que les interrogés qui manifestent des préjugés antisémites sont également ceux qui montrent le plus d’hostilité envers d’autres catégories de personnes résidentes en France, dont les musulmans, les asiatiques ou les étrangers en général.
85. Face à ces conclusions, je l’estime nécessaire de réitérer que la solidarité non seulement au sein de la société dans son ensemble, mais également entre les groupes qui font face à plus d’intolérance, est primordiale pour combattre ce fléau.
86. Une hausse des manifestations d’antisémitisme est à enregistrer également en Belgique. Là aussi, aux évènements tragiques tels que la tuerie du Musée juif de Bruxelles en mai 2014 s’ajoutent des faits très inquiétants, tels que l’épisode de la dernière étudiante juive d’un lycée de Laeken, à Bruxelles, contrainte de quitter l’établissement à cause du harcèlement qu’elle subissait en tant que juive. «L’athénée Emile Bockstael “judenfrei”» est le titre amer d’un commentaire publié sur un magazine belge. Dans la dernière publication du Centre Simon Wiesenthal, sur les dix épisodes les plus graves d’antisémitisme dans le monde en 2014, on trouve en tête du classement le cas de l’anversois Hershy Taffel, qui avait appelé un médecin de garde pour sa grand-mère de 90 ans qui avait une côte cassée. Ayant compris qu’il avait affaire à une famille juive, le docteur répondit: «Envoyez-la à Gaza pour quelques heures, elle n’aura plus mal». L’incident, qui a eu lieu lors de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza en juillet 2014, montre à quel point la situation au Moyen-Orient se reflète sur les juifs européens et est utilisée pour justifier une hostilité qui est en réalité injustifiable.
87. Les autorités belges sont conscientes de la gravité de la situation: en janvier 2015, lors des commémorations du 70e anniversaire de la libération des camps de concentration, le Premier ministre Charles Michel a déclaré que «la lutte contre l’antisémitisme est un échec». Il a ajouté que le niveau d’alerte avait été renforcé, mais qu’il fallait s’attaquer plus durement à l’antisémitisme et en faire une cause nationale.
88. Si la volonté de lutter contre l’antisémitisme est visible, la question qui se pose est quoi faire exactement. La réponse n’est pas simple, mais l’éducation et la sensibilisation doivent jouer un rôle crucial. Je souhaite citer une initiative de portée limitée, mais qui va dans le bon sens: «La haine, je dis non», un programme qui s’adresse aux élèves des écoles primaires, lancé par le Centre Communautaire Laïc Juif. Son but est de sensibiliser au «vivre ensemble avec ses différences» en apprenant aux enfants à respecter leurs proches grâce à une meilleure connaissance de la diversité culturelle et religieuse. Le programme est permanent mais ne concerne que 5 % à 10 % des élèves des écoles primaires. Il conviendrait de généraliser cette initiative, afin de multiplier son impact positif.
89. Les personnalités du spectacle et de la culture devraient également être prêtes à s’engager pour aider les différentes communautés à vivre ensemble. Je signale les efforts louables de Sam Touzani, comédien, metteur en scène, auteur, et présentateur de télévision belge d’origine marocaine, qui travaille depuis longtemps au rapprochement des communautés. «Les attentats de Charlie Hebdo ont libéré une parole de haine mais aussi une belle parole. On s’est rendu compte qu’il est temps d’agir autrement», a expliqué récemment M. Touzani. Tirer des faits tragiques de Paris une motivation positive pour s’engager contre la haine, en Europe et ailleurs: voici un défi difficile, que je ne peux que soutenir avec conviction.

7. Conclusions

90. La montée en puissance du néo-racisme ou racisme culturel ne signifie pas que les autres formes de racisme ont disparu. Au contraire, il peut contribuer à les renforcer. Avec ce rapport, je vise à appeler les Etats membres du Conseil de l’Europe à combattre le racisme sous toutes ses formes et à ne pas négliger les expressions de racisme culturel et les discours sur la prétendue incompatibilité des cultures.
91. Prévenir et lutter contre le racisme, l’intolérance et la xénophobie devraient représenter une priorité des politiques sociales et culturelles des Etats membres, car la situation actuelle est alarmante. Certes on ne parle plus nécessairement de différences de couleur de peau, mais sous prétexte d’une soi-disant incompatibilité culturelle on essaye de justifier la discrimination envers certains individus, ou bien on leur demande de se conformer à une certaine identité culturelle.
92. Le racisme est un phénomène complexe, lié à plusieurs facteurs, et pour le combattre il convient d’agir sur plusieurs fronts, tant juridiques que sociaux et culturels. La lutte contre le racisme doit prendre en compte certaines attitudes inavouées ou inconscientes. Si le racisme déclaré est plus rare, celui inconscient est très répandu. Il engendre des attitudes et des tendances hostiles qui ne sont pas reconnues par ceux qui les expriment et sont donc plus difficiles à identifier et à combattre. Souvent, en effet, la vision d’autrui est influencée par des archétypes psychologiques (l’autre est vu comme étant culturellement inférieur ou l’idée que certains comportements seraient «primitifs»).
93. De même, il est nécessaire de souligner la dimension émotionnelle du néo-racisme pour identifier des moyens de prévention et de lutte de nature non seulement cognitive ou rationnelle, mais également fondés sur les expériences et les sentiments des personnes. L’éducation civique et politique, par conséquent, ne peut pas se limiter à informer ou à transmettre des notions culturelles, mais doit développer une conscience morale et une empathie conduisant à reconnaître les droits des uns et des autres.
94. En outre, la lutte contre le néo-racisme doit privilégier le contact entre groupes afin d’échanger leurs différents «récits»; par exemple, il faut considérer que même ceux qui expriment des propos xénophobes veulent souvent être vus comme des victimes (en raison de malaises réels ou présumés causés par l’immigration). Il faudrait permettre à ces personnes d’entendre les témoignages de ceux qui sont réellement victimes de discrimination pour qu’elles puissent les considérer sous un autre angle. En même temps, il est primordial de promouvoir la connaissance mutuelle et la solidarité entre les différentes communautés qui sont victimes de racisme et d’intolérance, car à chaque fois qu’un individu ou en groupe sont ciblés, tous les autres sont également menacés.