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| Doc. 13813 Addendum III
| 22 juin 2015
Commission ad hoc sur l’arrivée massive de réfugiés en Turquie (Istanbul-Gaziantep, 14-16 juin 2015)
1. Introduction
1. Du 14 au 16 juin 2015, j’ai présidé la commission ad hoc du Bureau sur l’arrivée massive
de réfugiés en Turquie lors de sa visite à Istanbul,
Kilis et Gaziantep. La visite avait pour but de mieux informer les
membres des défis auxquels sont confrontés la Turquie et les réfugiés
hébergés dans ce pays, en portant une attention particulière aux
besoins et à la situation dans les camps de réfugiés à la frontière
avec la Syrie et aux défis posés par l’intégration sociale des réfugiés
en Turquie.
2. Le programme de la visite comprenait une réunion d’information
préliminaire avec des autorités de haut niveau, le Haut Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés et des experts, le 14 juin,
et la visite des camps de réfugiés d ’Elbeyli, Nizip I et Nizip
II, le 15 juin, ainsi que des entretiens avec les autorités
locales et la visite d’un projet d’intégration sociale à Kilis (voir
le programme figurant à l’annexe 1).
3. « Sans précédent » était une expression récurrente tout au
long de notre mission: la crise humanitaire causée par le conflit
en Syrie est sans précédent ; la générosité de la Turquie et d’autres
pays voisins de la Syrie, qui ouvrent leurs frontières à ceux qui
fuient l’escalade de la violence à la recherche de protection est sans
précédent ; le format choisi pour la délégation de l’Assemblée est
sans précédent – une commission ad hoc du Bureau composée des membres
du Comité des Présidents, des Présidents des délégations nationales ou
de leurs représentants, du Président de la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées et de deux rapporteurs de
l’Assemblée.
4. Après avoir mis en place la commission ad hoc le 24 avril
2015, le Bureau a finalisé sa composition et m’a élue à sa présidence
lors de sa réunion du 21 mai 2015 à Sarajevo.
5. La visite s’inscrivait dans le prolongement des travaux menés
précédemment par l’Assemblée et sa commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées sur la question des réfugiés
syriens, notamment sa
Résolution
2047 (2014) sur
Les conséquences humanitaires
des actions menées par le groupe terroriste connu sous le nom d’« Etat
islamique », sa
Résolution
1971 (2014) sur
Les réfugiés syriens : comment
organiser et soutenir l’aide internationale ? et sa
Résolution 1902 (2002) sur
La réponse européenne face
à la crise humanitaire en Syrie.
6. Ce rapport présente les principaux résultats de la visite
et les situe dans le contexte plus large des défis humanitaires
posés par le conflit en Syrie, pour les réfugiés et les personnes
déplacées, pour les pays voisins et notamment la Turquie, et pour
l’Europe en général.
7. Au nom de la commission ad hoc, je remercie vivement les autorités
turques, en particulier le ministère des Affaires étrangères, par
l’intermédiaire de son ministre Mevlüt Çavuşoğlu, la Direction de
la gestion des catastrophes et des urgences rattachée au Bureau
du Premier Ministre, par l’intermédiaire de son Président, Fuat
Oktay, et le Parlement turc, par l’intermédiaire de Reha Denemeç,
Président de la délégation turque auprès de l’Assemblée, de nous
avoir accueilli, d’avoir organisé la visite et de nous avoir fait
part de la situation et de leurs préoccupations. Je tiens à remercier
également le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR) pour son aide et ses conseils précieux avant et pendant la
visite.
8. Dernier point, mais non le moindre : je voudrais remercier
les réfugiés que nous avons rencontrés dans les camps d’Elbeyli
et de Nizip, qui nous ont accueilli et donné un exemple admirable
en nous montrant comment vivre dans la dignité.
2. Une crise
humanitaire éclate aux portes de l’Europe
9. Depuis ses débuts en 2011, le conflit en Syrie a
déplacé 11,5 millions de personnes, dont 4 millions ont fui à l’extérieur
du pays et 7,5 millions se sont déplacées à l’intérieur du pays
(PDI). D’autre part, le débordement des violences vers l’Irak a
provoqué le déplacement forcé d’Irakiens à l’intérieur et à l’extérieur de
leur pays.
10. Le conflit a établi un nouveau, triste record, provoquant
le plus grand déplacement de réfugiés de notre époque : les Syriens
sont devenus le plus grand groupe de réfugiés sous mandat du HCR
dans le monde. Pour mieux comprendre l’ampleur du problème, il convient
de rappeler que la moitié de la population de la Syrie se compose
aujourd’hui de personnes déplacées de force, et que ce nombre continue
d’augmenter à raison de 100 000 personnes par mois, selon les estimations
.
11. Près de 92 % des réfugiés syriens sont hébergés dans la région.
Selon le HCR, au 26 mai 2015, il y avait 1 761 486 réfugiés syriens
enregistrés en Turquie, 1 183 327 au Liban, 628 160 en Jordanie,
249 266 en Irak et 134 329 en Egypte.
12. Le caractère prolongé du déplacement, le nombre de réfugiés
– également en proportion de la population locale – et l’épuisement
des ressources déjà limitées entraînent une détérioration des conditions
de vie des réfugiés, en particulier dans certains pays hôtes
.
13. La violence continuant de faire rage en Syrie et la capacité
d’accueil de la région ayant atteint ses limites, le flux de réfugiés
syriens qui arrivent en Europe, par route comme par mer, ne cesse
d’augmenter
.
3. La Turquie en première
ligne de l’effort humanitaire
3.1. Le contexte général
14. La Turquie est en première ligne face à l’afflux
de réfugiés en provenance de Syrie. Elle a relevé ce défi humanitaire,
et est aujourd’hui le pays qui accueille le plus grand nombre de
réfugiés dans le monde. Actuellement, la moitié des réfugiés syriens
vivent en Turquie. Ils représentent 2,3 % de la population totale du
pays ; dans certaines villes, ils sont plus nombreux que les habitants
locaux.
15. Parmi les 1 761 486 réfugiés syriens enregistrés en Turquie,
259 001 vivent dans 25 camps installés à cet effet et gérés par
la Direction de la gestion des catastrophes et des urgences (AFAD),
rattachée au bureau du Premier ministre, qui est chargée de coordonner
la réponse du gouvernement à la crise
.
16. Les camps – que les autorités désignent sous l’appellation
de « villes » – se trouvent dans diverses provinces turques à proximité
de la frontière avec la Syrie. Leurs « hôtes » – comme on les appelle
en Turquie – bénéficient d’un large éventail de services directement
accessibles sur place, dans les camps, notamment en matière d’éducation
et de soins de santé.
17. Avec la crise syrienne, la Turquie est devenue le premier
acteur mondial en termes d’aide humanitaire : elle a dépensé à ce
jour six milliards de dollars pour l’aide aux réfugiés syriens.
Le pourcentage de son produit intérieur brut (PIB) affecté à l’aide
humanitaire s’élève à 0,21 % (alors qu’il s’établit, par exemple,
à 0,15% au Luxembourg et à 0,014% en Suède). A l’opposé, la contribution
internationale pour aider la Turquie s’élève a environ 400 millions
de dollars.
18. Ce gigantesque effort financier et logistique ne saurait se
poursuivre dans le long terme. En outre, il n’est pas suffisant :
les autorités turques n’ont de cesse d’insister sur les conditions
de vie parfois désastreuses des nombreux réfugiés syriens – 1 502 485
personnes – vivant en dehors des camps, principalement dans les régions
urbaines.
19. Même les réfugiés qui avaient suffisamment de ressources financières
pour subvenir à leurs besoins à leur arrivée en Turquie sont à présent
démunis. Pour eux, il est de plus en plus difficile de louer un
logement privé. Certains d’entre eux n’ont pas d’autre choix que
de faire travailler les enfants, de les marier ou de les contraindre
à se livrer à la prostitution pour faire face à la situation.
20. Cette situation accroît le risque de tensions sociales. Comme
l’ont souligné les autorités locales avec lesquelles nous nous sommes
entretenus, dans les régions à forte densité de réfugiés, les écoles
sont surpeuplées et dans l’obligation de faire classe les week-ends
pour pouvoir accueillir les enfants turcs et syriens ; les loyers
ont augmenté suite à l’accroissement de la demande ; les hôpitaux
sont sous pression, certains d’entre eux signalant une augmentation
de 30 à 40% du nombre de patients accueillis
.
Notre attention a été appelée sur la place centrale qu’a occupée
la question des réfugiés syriens dans les débats politiques à l’approche
des récentes élections législatives.
21. En ce qui concerne les aspects juridiques, la Turquie est
Partie à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des
réfugiés, mais n’a pas ratifié le Protocole de 1967 qui étend son
application aux réfugiés demandant l’asile à la suite d’événements
survenant à l’extérieur de l’Europe. Cela étant, la nouvelle loi
sur les étrangers et la protection internationale entrée en vigueur
en avril 2014 établit un cadre juridique pour l’offre d’aide et
de protection aux demandeurs d’asile et réfugiés indépendamment
de leurs pays d’origine
.
22. Depuis le début du conflit, la Turquie a maintenu une « politique
de la porte ouverte » à l’égard des réfugiés fuyant les violences
en Syrie. En octobre 2014, le gouvernement turc a officialisé le
régime existant de protection temporaire en adoptant un Règlement
sur la protection temporaire, applicable aux ressortissants syriens,
aux réfugiés et aux apatrides en provenance de Syrie. Ce règlement
établit le cadre juridique concernant ces personnes, y compris l’admission,
l’enregistrement, les documents, l’accès aux droits et la coopération
entre les différents organismes et intervenants
.
23. Les bénéficiaires de la protection temporaire auront accès
au marché du travail dans certains secteurs clairement définis lorsque
les textes réglementaires seront entrés en vigueur
. Les réfugiés syriens ont également
accès à l’éducation et sont couverts par le système d’assurance
maladie générale ; l’accès à ces services peut toutefois être difficile,
compte tenu notamment des problèmes de langue et de l’inaccessibilité de
certains services en raison du nombre important de réfugiés et du
manque de ressources face à leurs besoins.
24. La police des étrangers et la nouvelle Direction générale
de la gestion des migrations procèdent à l’enregistrement biométrique
des réfugiés vivant à l’intérieur et en dehors des camps. Chaque
réfugié se voit délivrer un numéro d’identification d’étranger et
un numéro d’identification familiale. Le document d’identification
permet à ses détenteurs d’avoir accès à l’ensemble des services.
25. Au cours de la visite de la commission ad hoc, les autorités
turques ont souligné à plusieurs reprises que les réfugiés syriens
ont accès au territoire, à l’enregistrement et à l’offre de services
sans discrimination pour quelque motif que ce soit. Ces mesures
témoignent de l’approche globale adoptée par le gouvernement.
3.2. Coopération avec
le HCR
26. Le HCR est présent en Turquie avec un effectif de
300 personnes réparties à Ankara (siège), Istanbul et Gaziantep.
27. L’agence déploie d’importants efforts pour aider les autorités
à répondre à la crise. Les équipes du HCR se rendent régulièrement
dans les camps de réfugiés et fournissent une assistance technique
pour l’accueil, l’enregistrement, la gestion des camps, la représentation
des communautés, le rapatriement volontaire, la prévention et la
réponse à la violence sexuelle et fondée sur le genre, ainsi que
l’identification des personnes ayant des besoins spéciaux, y compris
les enfants non accompagnés et séparés, les survivants ayant subi
des traumatismes et des tortures, ainsi qu’un soutien au renforcement
des capacités.
28. Afin d’atteindre les réfugiés syriens démunis qui vivent dans
les zones urbaines et de renforcer les mesures de protection et
d’assistance, le HCR a encouragé la création de centres sociaux,
qu’il aide à fournir des services d’assistance et d’autres services
à la population syrienne réfugiée en dehors des camps. Les centres
offrent une large gamme de services couvrant la protection, l’éducation
non formelle, les besoins de base, la santé et l’aide à trouver
des moyens de subsistance.
3.3. Investir dans l’avenir
des réfugiés
29. « Nous ne voulons pas
perdre cette génération »: c’est une phrase que nous
ont répétée à plusieurs reprises nos interlocuteurs turcs.
30. Le conflit en Syrie est entré dans sa cinquième année et il
ne semble pas que la fin des hostilités soit en vue ; au contraire,
le conflit s’est étendu à quelques régions d’Iraq et apparaît plus
complexe aujourd’hui en raison du grand nombre de factions en présence.
31. Les autorités turques ont déployé des efforts considérables
concernant l’éducation de la population réfugiée syrienne, même
si les résultats diffèrent considérablement, selon que les réfugiés
vivent dans des camps ou en dehors de ceux-ci. Si le système éducatif
intègre à ce jour 130 000 syriens réfugiés vivant en dehors des
camps, deux tiers des enfants syriens de cette catégorie sont toujours
en attente de scolarisation
.
32. Le ministère turc de l’Education nationale coordonne et contrôle
l’enseignement proposé dans les écoles à l’intérieur des camps.
L’enseignement est gratuit pour les écoliers syriens de la maternelle
à la douzième classe. Les cours sont dispensés en langue arabe et
suivent le programme défini d’un commun accord par la commission
syrienne de l’Education et le ministère turc de l’Education nationale.
S’y ajoutent des cours de langue turque pour tous les élèves vivant
dans les camps.
33. Il est important d’apporter des réponses à l’urgence humanitaire,
mais il importe tout autant de pousser notre réflexion plus avant.
Investir dans l’éducation et la formation des réfugiés est une manière
de faciliter leur retour en Syrie, une fois rétablies les conditions
de sécurité ; c’est aussi faire en sorte qu’ils puissent contribuer à
la reconstruction de leur pays. Si le déplacement devait durer beaucoup
plus longtemps, l’investissement dans l’éducation et la formation
faciliterait l’intégration des réfugiés dans la société turque ou
ailleurs. Enfin, l’éducation est un vaccin permettant de protéger
la population contre la radicalisation et le prosélytisme des groupes
extrémistes violents. A cet égard également, la Turquie a prouvé
qu’elle a une vision à long terme ; elle constitue un modèle à suivre
pour les autres pays. Ses efforts méritent d’être soutenus.
3.4. Viabilité financière
34. Le HCR et les autres agences intervenant dans l’aide
humanitaire aux réfugiés syriens dans la région
ont demandé
des financements supplémentaires à la communauté internationale
pour permettre à la Turquie de rester en mesure de répondre durablement
aux besoins d’une population réfugiée de jour en jour plus nombreuse :
rien que pour 2015
, les ressources financières requises
à cet effet sont estimées à 624 millions de dollars. A la date du
9 juin 2015, le versement de 22% seulement de ce montant était annoncé
.
35. Quelques Etats membres du Conseil de l'Europe – tels que la
Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, la Suisse et la France
– font partie des grands donateurs de fonds humanitaires, avec ou
sans affectation spécifique à tel ou tel Etat de la région. Le total
des fonds est toutefois insuffisant pour couvrir les besoins réels
et les fonds proviennent dans une large mesure d’appels au secours
dans des situations d’urgence, ce qui ne permet ni prédictibilité
ni planification à long terme.
36. Au cours de la réunion d’information du 14 juin à Istanbul,
le professeur Goodwin-Gill a présenté une proposition intéressante :
financer l’assistance aux réfugiés par les avoirs gelés des pays
« producteurs de réfugiés »
. Elle mérite d’être étudiée.
4. Les camps d’Elbeyli,
Nizip I et Nizip II
37. La délégation s’est rendue dans le camp de réfugiés
d’Elbeyli, dans la province de Kilis, ainsi que dans les camps de
Nizip I et Nizip II, dans la province de Gaziantep. La partie du
territoire syrien située de l’autre côté de la frontière est sous
le contrôle du groupe terroriste généralement connu sous le nom
d’« Etat islamique » ou DAESH. Les camps se trouvent très près de
la frontière. Nous nous sommes laissé dire que l’on pouvait voir
et entendre les tirs et les bombardements dans la toute proche Syrie.
38. Les camps – fréquemment appelés « villes » – présentent plusieurs
similitudes :
- ils sont divisés
en districts, dirigé chacun par un mukhtar,
choisi par les réfugiés ; le mukhtar assure
la liaison entre eux et la direction du camp afin de recenser les
besoins urgents, de faciliter la répartition de l’aide sociale et
de diffuser l’information et les annonces. Le mukhtar en
chef intervient pour l’ensemble du camp ; ce dispositif permet aux
réfugiés d’avoir voix au chapitre concernant la manière dont ils
sont traités ; les jeunes et les femmes ont pour se faire entendre
des comités spéciaux et les personnes vulnérables bénéficient d’une
aide spécifique ;
- chaque refugié est crédité de 85 lires turques par mois
sur une carte électronique pour l’achat de nourriture et de produits
d’hygiène à se procurer dans les magasins et marchés situés à l’intérieur
du camp. Par ailleurs, l’AFAD couvre les besoins de base des « hôtes »,
y compris pour ce qui est des produits non alimentaires ;
- les camps sont dotés de dispensaires qui fonctionnent
sous la supervision de la Direction provinciale du ministère de
la Santé. Les prestations sanitaires sont gratuites. Le soutien
psychosocial est assuré par des personnels spécialisés ;
- tous les enfants d’âge scolaire bénéficient du dispositif
éducatif en place dans les camps. Des enseignants bénévoles syriens
s’occupent des enfants réfugiés syriens. Depuis janvier 2015, l’UNICEF les
rémunère à hauteur de 150 dollars par mois. D’autre part, les réfugiés
peuvent suivre des cours de langue turque et des activités professionnelles
sont proposées tant aux femmes qu’aux hommes (tissage de tapis,
artisanat, travaux d’aiguille, coiffure, musique, peinture, informatique) ;
- présence de mosquées, de centres sociocommunautaires,
d’installations sportives ;
- forte présence policière ;
- l’AFAD organise les entretiens de rapatriement volontaire
de ceux qui souhaitent retourner en Syrie. Le HCR participe à ces
entretiens en tant qu’observateur pour s’assurer de la nature volontaire
des retours ;
- les réfugiés sont libres de quitter les camps et d’y revenir,
en se conformant aux dispositions des règlements internes.
39. Le camp d’Elbeyli nous a paru répondre à des normes d’hébergement
particulièrement élevées. Mis en place en juin 2013, c’est une ville
de conteneurs accueillant environ 25 000 réfugiés syriens (par rapport
à une capacité maximale officielle de 21 500 résidents). Situé à
24 km de la ville de Kilis et à 10 km seulement de la frontière
syrienne, il comprend quelque 3 600 conteneurs de 21 m2 chacun.
40. Dans ce camp résident 5 600 femmes, 5 264 hommes et 13 433
enfants, dont ceux nés en déplacement. Au total, 8 330 enfants bénéficient
des modalités d’enseignement en place dans le camp.
41. La délégation ad hoc a visité l’école – vaste, propre, bien
organisée et joliment décorée avec les travaux et les dessins des
enfants –, le centre de loisirs dans lequel sont exposés les peintures
et autres réalisations artistiques des réfugiés, le dispensaire,
et le centre de soutien psychologique. Les rues du camp sont en ciment,
les conteneurs sont posés sur des dalles de surélévation. Sur quelques
grandes places, nous avons vu des enfants jouer ou des groupes d’hommes
écouter de la musique ou vaquer à leurs occupations. De petites
boutiques aménagées tout autour d’une place tentent de recréer l’ambiance
d’un village.
42. Le maire de Kilis, qui a accompagné la délégation lorsqu’elle
s’est rendue à Elbeyli et plus tard, dans sa ville, nous a précisé
que Kilis était la plus petite province de la Turquie. Elle compte
93 000 habitants turcs et 133 000 réfugiés syriens vivant dans les
camps ou en dehors de ceux-ci. Beaucoup travaillent dans des commerces
ou à la campagne. A Kilis, nous avons aussi visité un projet d’intégration
sociale pour des femmes ayant été victimes de violence sexuelle
ou fondée sur le genre. Nous avons été extraordinairement bien accueillis
dans ce centre qui informe, conseille et aide les femmes et leur
propose de se former et d’acquérir de nouvelles compétences en assurant
par ailleurs une prise en charge de leurs enfants.
43. Nizip I est un camp de tentes et Nizip II un camp de conteneurs
dans la province de Gaziantep. La délégation s’est entretenue avec
la direction des camps et des fonctionnaires turcs à Nizip II. Ce
camp compte 908 containeurs dans lesquels vivent 5 064 réfugiés
(1 246 femmes, 1 120 hommes, 1 187 filles et 1 433 garçons). 97%
des enfants de 5 à 17 ans sont scolarisés dans le camp.
44. Nizip I, mis en place en octobre 2012, comprend 1 858 tentes
dans lesquelles vivent 10 621 personnes : 2 367 femmes adultes,
2 335 hommes adultes et 5 919 enfants (dont 2 897 filles et 3 022
garçons). 95 % des enfants de 5 à 17 ans sont scolarisés dans le
camp. A ce jour, 130 résidents participent à des classes de langue
turque.
45. En raison peut-être de l’heure de notre visite, beaucoup d’enfants,
de filles et de femmes se trouvaient à l’extérieur des tentes, et
sont venus vers nous pour nous parler. Les conditions de vie nous
ont paru moins bonnes qu’à Elbeyli, -les espaces publics et collectifs
y sont moins nombreux et les rues sans revêtement-, mais elles restent
globalement d’un niveau satisfaisant.
46. Nous avons vu de très jeunes filles avec leurs bébés ce qui
fait penser aux signalements en provenance de sources fiables selon
lesquels les mariages précoces et autres formes de violences fondées
sur le genre, notamment la violence familiale, constitueraient un
grave problème parmi les réfugiés syriens, ce qui doit être examiné
plus en profondeur.
5. Défis et enjeux
47. Vu la brièveté de la visite, la commission ad hoc
n’a pu avoir qu’un bref aperçu du quotidien des réfugiés syriens
en Turquie. Sur les 25 camps gérés par l’AFAD, nous en avons visité
toutefois trois hébergeant 37 000 réfugiés, alors que la population
réfugiée totale vivant dans des camps est de 259 000 personnes.
Ce que nous avons vu est remarquable et impressionnant : les efforts
déployés ont permis d’aider un nombre très considérable de personnes.
En outre, les camps que nous avons visités nous auront permis d’avoir
une idée réelle des conditions de vie des réfugiés hébergés dans
les camps de l’AFAD, comme nous l’a confirmé sur place le HCR.
48. Pour assurer la pérennité de ces mesures face à l’afflux continu
de réfugiés, un accroissement de l’aide financière des donateurs
est indispensable.
49. L’accroissement de l’aide financière est plus nécessaire encore
pour améliorer les conditions de vie des réfugiés syriens qui ne
sont pas hébergés dans des camps. A ce jour, ce sont environ 1 700 000
personnes, mais leur nombre continue d’augmenter alors que la capacité
d’accueil des camps a atteint ses limites. La Turquie s’efforce
de répondre à leurs besoins de base en leur ouvrant l’accès à l’enseignement,
aux soins de santé et au travail. Leur présence n’est pas sans coût
financier et social pour le pays hôte.
50. Dans une interview pour le Luxembourger
Wort donnée à l’issue de la visite de la commission ad hoc, M.
Yves Chruchten, représentant de la délégation du Luxembourg, et
moi-même avons déclaré que la générosité de la Turquie fait honte
au reste de l’Europe. La Turquie a ouvert ses portes à deux millions
de réfugiés à ce jour et dépensé six milliards de dollars pour l’aide
humanitaire aux Syriens déplacés de force. Quel autre Etat membre
du Conseil de l'Europe peut soutenir la comparaison avec un tel
niveau d’engagement ?
51. Pour le reste de l’Europe, soutenir les efforts de la Turquie
et d’autres pays voisins de la Syrie c’est non seulement faire preuve
de loyauté, de solidarité, et de cohérence avec les valeurs qui
sont les siennes. C’est aussi agir dans son propre intérêt et assurer
une bonne gestion des migrations. S’ils ne peuvent pas trouver refuge
dans la région, et que leur survie devient problématique, les réfugiés
syriens seront prêts à risquer leur vie pour venir en Europe.
52. C’est déjà ce qui se produit aujourd’hui : dans les cinq premiers
mois de 2015, près de 90 000 réfugiés et migrants ont traversé la
Méditerranée, alors qu’ils étaient 49 000 dans ce cas pour la même
période en 2014. Quelque 46 500 personnes sont ainsi arrivées en
Italie, 42 000 en Grèce, 920 en Espagne et 91 à Malte. Plus de 60 %
des migrants arrivant en Grèce sont des Syriens. Globalement, pour
le premier semestre 2015, 39 % des arrivées par bateau en Europe
étaient le fait de Syriens, contre un tiers en 2014
.
53. Finalement, les gouvernements européens ne devraient pas agir
en contradiction de leurs propres priorités politiques. Alors que
tous les Etats membres du Conseil de l'Europe ont fait de la prévention
et de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme l’une de
leurs priorités politiques premières, ils ne doivent pas commettre
l’erreur de laisser la Turquie et ses voisins seuls face au plus
grand déplacement de notre époque, au risque d’aggraver la déstabilisation
régionale. Ils ne devraient pas abandonner 11,5 millions de personnes déplacées
de force à leur désespoir, exposées au fanatisme et au prosélytisme
de groupes extrémistes et terroristes.
6. Suivi
54. Avant la visite de la commission ad hoc, j’ai adressé
une lettre aux Présidents des parlements des membres de l’Assemblée
ayant confirmé leur participation, en soulignant l’importance d’assurer
un suivi.
55. Les membres de la délégation et de l’Assemblée en général
peuvent le faire de nombreuses manières. Je m’abstiendrai d’établir
une liste détaillée, et me bornerai à donner les quelques exemples
que voici :
- agir comme multiplicateurs
en organisant des manifestations d’information et de sensibilisation
au sein de leurs parlements ou au niveau national ;
- initier des débats dans leurs parlements, et soulever
la question pendant les discussions budgétaires ou au sein de leurs
commissions des affaires étrangères ;
- faire en sorte que leurs gouvernements se conforment aux
recommandations énoncées dans de précédents textes de l’Assemblée
sur la crise humanitaire syrienne, notamment la Résolution 1971 (2014) sur Les réfugiés syriens
: comment organiser et soutenir l’aide internationale ? et
la Résolution 2047 (2015) sur Les conséquences humanitaires
des actions menées par le groupe terroriste connu sous le nom « Etat
islamique » ;
- encourager leurs gouvernements et autres acteurs et partenaires
à relever leurs contributions financières pour soutenir durablement
les efforts de la Turquie dans le cadre du programme 3RP ou par le
biais d’autres dons ;
- soutenir la réinstallation, ou d’autres formes d’admission,
de réfugiés syriens dans leurs pays.
56. Une autre activité de suivi à explorer est la participation
de la Banque de développement du Conseil de l'Europe au financement
de projets pour les réfugiés en Turquie, ainsi que l’Assemblée l’avait
déjà recommandé dans sa
Résolution
1971 (2014).
57. Dans la lettre susmentionnée, j’ai souligné que le fait de
renforcer la capacité de pays tel que la Turquie à faire face à
la crise des réfugiés syriens dans la région crée des conditions
plus favorables pour le retour des réfugiés dans leur pays lorsque
la situation le permettra et réduit le risque qu’ils entreprennent
un voyage périlleux en quête de sécurité, en risquant leur vie ou
en devenant la proie de passeurs et de trafiquants.
7. Remarques conclusives
58. Je souscris pleinement à cette analyse présentée
par Antonio Guterres, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés:
« L'augmentation continue
des déplacements est vertigineuse, alors que la nature de la crise
des réfugiés change. Compte tenu du fait que le niveau de désespoir
augmente et que l'espace de protection disponible se rétrécit, nous
nous rapprochons d'un tournant dangereux(…). Après des années d'exil,
les ressources des réfugiés se sont depuis longtemps épuisées et
leurs conditions de vie se détériorent d'une manière drastique(…).
Étant donné que les financements reçus à la suite de l'appel à l'aide humanitaire
sont systématiquement insuffisants, les réfugiés syriens ne peuvent
pas bénéficier de l'assistance, comme il se doit(…). Abandonner
ceux qui les accueillent pour qu'ils gèrent la situation par leurs
propres moyens pourrait entraîner une grave déstabilisation de la
région et accentuer les problèmes de sécurité dans d'autres régions
du monde. Il est évident que, pour prévenir cette situation et préserver
l'espace de protection dans la région, les réfugiés et les pays
d'accueil ont besoin d'un appui international massif ».
59. Pour conclure le présent rapport, je ne puis m’empêcher de
rappeler les propos du directeur du camp Nizip II : « Des gens viennent
ici. Ils voient ce que nous avons fait et sont impressionnés. Puis
ils rentrent chez eux. Et il ne se passe rien ».
60. A nous de faire en sorte que, cette fois-ci, il n’en aille
pas de même !
Annexe 1 – Programme
(open)
Dimanche
14 juin
17 h 00-18 h 45: Accueil et briefing préparatoire
- M. Reha DENEMEC, Président
de la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire
- Mme Anne BRASSEUR, Présidente
de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
Défis auxquels la Turquie est
confrontée face aux flux de réfugiés de Syrie
Présentations de :
- M.
Fuat OKTAY, Président de la Direction de la gestion des catastrophes
et des urgences (AFAD), rattachée au bureau du Premier Ministre
- Mme Pascale MOREAU, Représentante
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR)
en Turquie
- M. Guy S. GOODWIN-GILL, Professeur, Droit international
des réfugiés à l'Université d'Oxford et Chercheur, All Souls College,
Université d’Oxford
- Discussion
20 h 00 Dîner offert par S.E. Mevlüt ÇAVUŞOĞLU, Ministre des
Affaires étrangères de Turquie, et échange de vues
Lundi 15 juin
10 h 05 Arrivée à Gaziantep et départ pour Kilis en bus
11 h 30 Visite du Centre de visite
à Elbeyli et échange de vues avec M. Hasan KARA, Maire
de Kilis
13 h 00 Visite du projet d’intégration sociale à Kilis
14 h 00 Départ en bus pour Nizip
15 h 30 Visite aux Centres de visite à Nizip I et Nizip II
17 h 00 Départ pour Gaziantep en bus
18 h 00 Dîner offert par Mme Fatma Şahin, Maire de Gaziantep,
et échange de vues
19 h 30 Départ pour l’aéroport de Gaziantep
Mardi 16
juin
Annexe 2 – LIST OF PARTICIPANTS
/ LISTE DES PARTICIPANTS
(open)
Members of the ad hoc committee
/ Membres de la commission ad hoc
Chairperson / Présidente
- Ms Anne BRASSEUR, President
of the Assembly
Presidential Committee / Comité
des Présidents
- Mr Andreas GROSS (Switzerland,
SOC)
- Mr Pedro AGRAMUNT (Spain, EPP/CD)
- Mr Jordi XUCLÀ (Spain, ALDE)
- Mr Robert WALTER (United Kingdom, EC), replacing Mr Christopher
CHOPE
- Mr Andrej HUNKO (Germany, UEL) replacing Mr Tiny KOX
National delegations / Délégations
nationales
- Mr Senad ŠEPIĆ Chairperson
(Bosnia and Herzegovina, EPP/CD)
- Ms Dana VÁHALOVÁ Chairperson (Czech Republic, SOC)
- Mr Jacob LUND Chairperson (Denmark, SOC)
- M. René ROUQUET Chairperson (France, SOC)
- Mr Tobias ZECH Member (Germany, EPP/CD)
- Ms Ioanneta KAVVADIA Member (Greece, UEL)
- Mr Karl GARĐARSSON Chairperson (Iceland, ALDE)
- Ms Olivia MITCHELL Member (Ireland, EPP/CD)
- Mr Michele NICOLETTI Chairperson (Italy, SOC)
- Ms Judith OEHRI Member (Liechtenstein, ALDE)
- Ms Birutè VĖSAITĖ Chairperson (Lithuania, SOC)
- M. Yves CRUCHTEN Vice-Chairperson (Luxembourg, SOC)
- Ms Deborah SCHEMBRI Member (Malta, SOC)
- Mr Piotr WACH Chairperson (Poland, EPP/CD)
- Ms Doris FIALA Chairperson (Switzerland, ALDE)
- Mr Reha DENEMEҪ Chairperson (Turkey, EC)
Other participants
/ Autres participants
Guest speakers / Intervenants
invités
- Mr Mevlüt Çavuşoğlu,
Minister of Foreign Affairs of Turkey
- Mr Fuat OKTAY, President of the Prime Ministry Disaster
and Emergency Management Authority (AFAD)
- Ms Pascale MOREAU, Representative of the United Nations
High Commissioner for Refugees (UNHCR) in Turkey
- Mr Guy S. GOODWIN-GILL, Professor of International Refugee
Law at Oxford University
- Mr Hasan KARA, Mayor of Kilis
- Ms Fatma Şahin, Mayor of Gaziantep
Turkish representatives
Members of the Turkish delegation
to the Parliamentary Assembly / Membres de la délégation turque
auprès de l’Assemblée parlementaire
- Mr Şaban DİŞLİ
- Mr Ömer SELVİ
- Ms Tülin ERKAL KARA
Ministry of Foreign Affairs /
Ministère des Affaires étrangères
- Mr Atılay ERSAN, Ambassador,
Adviser to the Turkish delegation to the Assembly
- Ms Esen ALTUĞ, Deputy Director General, Asylum, Visa and
Immigration
- Mr Can Sabih KANADOĞLU, First Secretary
Council of Europe Secretariat
/ Secrétariat du Conseil de l’Europe
- Mr Wojciech SAWICKI
Secretary General of the Assembly
- Mr Mark NEVILLE Head of the Private Office of the President
of the Assembly
- Ms Sonia SIRTORI Head of the Secretariat of the Bureau
of the Assembly
- Mr Angus MACDONALD Press Officer, Secretariat of the Assembly
- Ms Annick SCHNEIDER Assistant, Secretariat of the Assembly
- Mr Sandro WELTIN Photographer, Secretariat of the Council
of Europe