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Résolution 2062 (2015)
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan
1. L’Assemblée parlementaire reconnaît
la complexité de la situation géopolitique de l’Azerbaïdjan, qui s’efforce
d’entretenir des relations équilibrées avec l’Union européenne,
la Turquie, l’Iran et ses autres voisins de la mer Caspienne, la
Fédération de Russie et les Etats‑Unis. L’Azerbaïdjan a réussi à
maintenir une politique étrangère indépendante et diversifiée, en
particulier grâce à ses importantes ressources énergétiques et à
son emplacement stratégique sur la mer Caspienne. L’Assemblée est
pleinement consciente du conflit du Haut-Karabakh qui domine dans
une large mesure la politique étrangère de l’Azerbaïdjan.
2. L’Assemblée prend note des préoccupations des autorités au
sujet de la sécurité et de la stabilité du pays face aux menaces
présumées venant de l’étranger, en particulier les risques qui pourraient
résulter pour l’Azerbaïdjan de la situation dans certains autres
pays européens. L’Azerbaïdjan est à cet égard un pays particulièrement
important, dont les ressources énergétiques jouent un rôle essentiel,
en particulier au moment où l’Union européenne cherche à diversifier
ses fournitures d’énergie au-delà de celles qui proviennent de la Fédération
de Russie, ce qui a très fortement renforcé la position stratégique
de Bakou ces derniers mois.
3. Elle note que la structure institutionnelle de l’Azerbaïdjan
accorde des pouvoirs particulièrement importants au Président de
la République et à l’exécutif. Outre les compétences restreintes
attribuées au Milli Mejlis par la Constitution, l’Assemblée attire
l’attention sur le fait que toutes les forces de l’opposition ne
sont pas représentées au parlement, ce qui empêche un dialogue politique
véritable et un contrôle parlementaire efficace. Cela est dû principalement
au fait que le système électoral, un système majoritaire à un tour
similaire à celui du Royaume‑Uni, favorise à la fois le parti au
pouvoir et les candidats indépendants. En outre, l’opposition est
très divisée en Azerbaïdjan et les candidats de l’opposition sont
souvent en concurrence les uns avec les autres, s’affaiblissant
ainsi réciproquement. C’est pourquoi, convaincue qu’il est dans
l’intérêt supérieur du processus démocratique et du parti au pouvoir
lui-même de se confronter aux partis de l’opposition au sein d’un
organe représentatif, l’Assemblée appelle les autorités à mettre
en place un environnement favorable au pluralisme politique et à
un contrôle parlementaire accru sur l’exécutif, afin d’assurer l’équilibre
des pouvoirs.
4. En novembre 2015, l’Azerbaïdjan procédera à des élections
législatives. L’Assemblée regrette que certaines des recommandations
les plus importantes de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), notamment celles concernant
la composition des commissions électorales et l’enregistrement des
candidats, n’aient pas été prises en compte. Elle rappelle que les
autorités chargées de l’administration des élections doivent fonctionner
de manière transparente et maintenir leur impartialité et leur indépendance.
Des voies de recours effectives sont essentielles pour assurer la
confiance dans le processus électoral. Lors de l’élection présidentielle
de 2013 en Azerbaïdjan, les délégations d’observation des élections de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement
européen ont constaté que le processus électoral s’était déroulé
de manière libre, équitable et transparente le jour du scrutin,
mais que des améliorations du cadre électoral sont encore souhaitables.
Néanmoins, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises à
prendre les mesures nécessaires pour éviter les problèmes observés
pendant les élections précédentes, par exemple l’adoption de décisions
judiciaires non pleinement motivées et non fondées en droit et l’absence
d’un véritable contrôle juridictionnel. L’Assemblée salue l’importante
contribution qu’elle a apportée à la promotion de la démocratie
en Azerbaïdjan par le biais des missions d’observation des élections. L’Assemblée
estime qu’il reste tout aussi important de maintenir son travail
d’observation. Si d’autres équipes d’observateurs n’étaient pas
en mesure de participer, l’Assemblée devrait envisager d’intensifier
la contribution du Conseil de l'Europe aux prochaines élections
législatives afin d’assurer un contrôle effectif du processus électoral.
5. L’Assemblée rappelle que l’indépendance de l’appareil judiciaire
est l’une des conditions fondamentales de la séparation des pouvoirs
et de l’équilibre entre ceux-ci. Elle accueille favorablement les
modifications législatives récentes concernant le pouvoir judiciaire
et, en particulier, la nouvelle règle prévoyant le départ à la retraite
des juges de la Cour suprême à l’âge de 68 ans et ceux de tous les
autres tribunaux à l’âge de 66 ans, et la suppression de la réglementation
antérieure qui permettait le maintien de certains juges dans leurs fonctions
jusqu’à l’âge de 70 ans. Cependant, elle encourage les autorités
à mieux assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire
et, en particulier, à empêcher toute influence et ingérence de l’exécutif. Le
Conseil judiciaire et juridique devrait être composé exclusivement
de juges, ou au moins comprendre une forte majorité de juges élus
par leurs pairs. Il est recommandé que le rôle du Conseil judiciaire
et juridique dans la nomination de toutes les catégories de juges
et de présidents de tribunaux soit encore renforcé. D’autre part, tout
en prenant note des modifications législatives récentes réduisant
de cinq à trois ans la période probatoire pour les juges, l’Assemblée
rappelle que la Commission de Venise s’est toujours opposée à l’existence
de périodes probatoires pour les juges et ne les tolère que sous
certaines conditions rigoureuses.
6. Malgré ces efforts, le manque d’indépendance de l’appareil
judiciaire demeure une source de préoccupation en Azerbaïdjan où
le pouvoir exécutif continuerait à exercer une influence indue.
L’ouverture de poursuites pénales sur la base d’arguments juridiques
douteux et l’imposition de peines disproportionnées demeurent des
aspects préoccupants. L’équité des procès, l’égalité des moyens
et le respect de la présomption d’innocence sont aussi des motifs
majeurs de préoccupation. L’Assemblée s’inquiète du recours à la
détention provisoire comme moyen de punir des personnes ayant critiqué
le gouvernement, comme indiqué dans l’arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme dans l’affaire Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan où elle constate une violation
de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, «la Convention»).
7. Une légère baisse des niveaux de corruption a été observée
sous l’effet de plusieurs réformes importantes et de plusieurs programmes
nationaux et internationaux. L’Assemblée se félicite de la baisse
du niveau de la corruption, notamment en raison des services fournis
au quotidien par le réseau de centres de services publics appelés
centres ASAN. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays
pour promouvoir la transparence et lutter contre la corruption,
le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, l’Assemblée
appelle instamment les autorités à trouver un équilibre adéquat
entre le droit d’association et la liberté d’expression, garantis
par la Convention, et la lutte légitime de l’Etat contre le crime
organisé.
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les autorités
à réviser la loi sur les organisations non gouvernementales (ONG)
afin de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission
de Venise et de créer un environnement propice aux activités de
la société civile. Les insuffisances de la législation sur les ONG
nuisent en effet à la capacité des ONG à mener leurs activités,
ce qui est préoccupant. Le contrôle strict exercé par les autorités
de l’Etat sur les ONG est susceptible de porter atteinte à l’exercice
du droit à la liberté d’association garanti par l’article 11 de
la Convention. A cet égard, l’Assemblée condamne les atteintes aux droits
de l’homme en Azerbaïdjan où les conditions de travail des ONG et
des défenseurs des droits de l’homme se sont considérablement détériorées
et où certains défenseurs des droits de l’homme, militants de la
société civile et journalistes, éminents et reconnus, sont derrière
les barreaux. L’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises
à veiller à ce que ces personnes détenues bénéficient d’un procès
objectif. D’autre part, l’Assemblée prend note de l’adoption de
la loi sur la participation publique, qui instaure un contrôle public sur
le pouvoir exécutif central et local, et les organes de l’autonomie
locale, en assurant la participation des institutions de la société
civile aux processus de décision.
9. L’Assemblée est profondément préoccupée par le nombre croissant
de mesures de représailles visant des médias indépendants et des
défenseurs de la liberté d’expression en Azerbaïdjan. A cet égard,
elle déplore l’application arbitraire de la législation pénale afin
de limiter la liberté d'expression, et en particulier l’utilisation,
récemment signalée, de diverses lois pénales à l’encontre de journalistes
et de blogueurs, et recommande de prendre les mesures nécessaires
pour assurer un réexamen véritablement indépendant et impartial,
par le système judiciaire, des affaires impliquant des journalistes
et d’autres personnes ayant exprimé des opinions critiques.
10. L’Assemblée est alarmée par les informations communiquées
par les défenseurs des droits de l’homme et les ONG internationales,
confirmées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, sur le recours de plus en plus fréquent à des poursuites
pénales à l’encontre de dirigeants d’ONG, de journalistes et d’avocats,
ou d’autres personnes exprimant des opinions critiques, en s’appuyant
sur des allégations d’infractions en relation avec leurs activités,
en particulier d’Intigam Aliyev, avocat spécialiste des droits de l'homme;
d’Anar Mammadli, chef d’un groupe d’observation des élections; de
Leyla Yunus, militante de longue date, et de son mari Arif Yunus;
de Rasul Jafarov, fondateur de la campagne «Le sport pour les droits»,
et des journalistes Khadija Ismayilova et Rauf Mirgadirov. L’Assemblée
appelle les autorités à faire cesser le harcèlement systématique
de ceux qui critiquent le gouvernement et à libérer ceux qui ont
été abusivement emprisonnés. L’Assemblée partage les préoccupations
exprimées par le Commissaire aux droits de l'homme à l’égard du
système judiciaire. L’Assemblée prend note avec satisfaction du
rétablissement des activités d’un groupe de travail conjoint sur
les questions de droits de l’homme, composé de représentants de
la société civile, d’éminents militants des droits de l’homme, de
représentants du Conseil de l’Europe, et de représentants des autorités,
à la suite de l’accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe et le Président de la République d’Azerbaïdjan.
11. Compte tenu de ces préoccupations et de ces développements,
l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises:
11.1. à mettre un terme à la répression
systématique contre les défenseurs des droits de l’homme, les médias
et tous ceux qui critiquent le gouvernement, y compris aux poursuites
à motivation politique; à permettre un réexamen judiciaire effectif
de ces manœuvres; et à garantir que le climat général deviendra
propice au pluralisme politique en vue des prochaines élections
de novembre 2015;
11.2. à appliquer pleinement les arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, conformément aux résolutions du Comité des
Ministres;
11.3. concernant l’équilibre entre les pouvoirs, à renforcer
l’application effective du principe de séparation des pouvoirs garanti
par la Constitution, et en particulier:
11.3.1. à renforcer
le contrôle parlementaire de l’exécutif;
11.3.2. à assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire,
notamment vis-à-vis de l’exécutif;
11.4. concernant les élections:
11.4.1. à accélérer
la mise en œuvre des recommandations en suspens de la Commission
de Venise et des décisions du Comité des Ministres sur l’exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans le groupe
d’affaires Namat Aliyev avant les prochaines élections, et en particulier:
11.4.1.1. à prendre les mesures nécessaires pour résoudre les problèmes
mis en évidence dans les arrêts de la Cour au sujet de l’indépendance,
de la transparence et de la qualité juridique des procédures engagées
devant les commissions électorales;
11.4.1.2. à continuer d’améliorer le système de contrôle de la conformité
des élections afin de prévenir tout arbitraire et de permettre un
contrôle juridictionnel effectif des procédures;
11.4.1.3. à poursuivre les réformes concernant la composition de
l’administration électorale, l’enregistrement des candidats et l’inscription
des électeurs sur les listes électorales, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH);
11.4.1.4. à finaliser les réformes en cours concernant le financement
des partis politiques et, en particulier, le financement des campagnes
électorales, conformément aux recommandations du Groupe d'Etats
contre la corruption (GRECO);
11.4.1.5. à veiller à ce que les candidats ne soient tenus de notifier
aux autorités exécutives que leur seule intention d’organiser un
rassemblement;
11.4.1.6. à mettre à profit les compétences de la Commission de
Venise à cet égard;
11.4.1.7. à prendre acte de l’importance d’un partage clair des
responsabilités ainsi que de la pratique discutable de pouvoir s’inscrire
sur les listes électorales le jour même du scrutin;
11.4.2. à encourager un climat favorable au pluralisme, à la liberté
de faire campagne et à la liberté des médias en vue des élections
de novembre 2015;
11.5. concernant l’appareil judiciaire:
11.5.1. à garantir
l’indépendance de la justice et des juges, et à empêcher et s’abstenir d’exercer
sur eux de quelconques pressions;
11.5.2. à continuer de modifier la législation sur la composition
et les compétences du Conseil judiciaire et juridique, et la nomination
des juges en vue de réduire l’influence de l’exécutif, et en particulier:
11.5.2.1. à faire en sorte que le Conseil judiciaire et juridique
soit composé exclusivement de juges ou d’une majorité substantielle
de juges élus par leurs pairs, en accordant des pouvoirs accrus
à l’Assemblée générale des juges;
11.5.2.2. à examiner la possibilité de supprimer la période probatoire
pour les juges ou, au moins, d’en réduire encore la durée sur la
base de critères objectifs préétablis;
11.5.3. à prendre les mesures nécessaires pour éviter que des
procédures pénales soient engagées sans motif légitime et pour assurer
un contrôle juridictionnel effectif par le parquet de toute tentative
en ce sens, ainsi que pour prévenir les violations de la présomption
d’innocence par les organes d’application de la loi ou par des membres
du gouvernement;
11.5.4. à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir
la régularité de la procédure et l’impartialité des tribunaux, conformément
à l’article 6 de la Convention;
11.5.5. à prendre les dispositions nécessaires pour assurer que
la détention provisoire ne peut être imposée sans examiner si cette
mesure est nécessaire et proportionnée, ou si des mesures moins
attentatoires peuvent être appliquées;
11.5.6. à utiliser tous les outils juridiques disponibles pour
libérer les détenus dont l’incarcération soulève des doutes et des
préoccupations justifiés;
11.5.7. à s’abstenir de toute pression sur les avocats défendant
des représentants d’ONG et des journalistes;
11.5.8. à garantir que le médiateur est juridiquement indépendant
et bénéficie d’une immunité professionnelle, et qu’il soit compétent
pour réexaminer les questions relatives aux droits de l'homme et
aux médias;
11.6. concernant la liberté d’expression:
11.6.1. à créer
des conditions adéquates pour permettre aux journalistes d’effectuer
leur travail et à s’abstenir de toute forme de pression sur eux;
11.6.2. à mettre un terme aux mesures de représailles à l’encontre
de journalistes et d’autres personnes exprimant des opinions critiques;
11.6.3. à s’abstenir de restreindre la liberté d’expression et
la liberté des médias, aussi bien dans la législation que dans la
pratique;
11.6.4. à intensifier les efforts en vue de la dépénalisation
de la diffamation, en coopération avec la Commission de Venise,
afin d’assurer que la diffamation n’est pas associée à des sanctions
pénales excessivement sévères, y compris des peines d’emprisonnement;
et, entre-temps, à appliquer la législation en vigueur avec prudence
afin d’éviter des peines d’emprisonnement pour ce type d’infraction;
11.6.5. à libérer tous les prisonniers politiques, y compris ceux
qui ont coopéré avec l’Assemblée parlementaire;
11.7. concernant la liberté d’association:
11.7.1. à
réviser la loi sur les ONG en vue de répondre aux préoccupations
exprimées par la Commission de Venise;
11.7.2. à créer un environnement propice aux activités légitimes
des ONG, y compris celles exprimant des avis critiques;
11.8. concernant la coopération internationale:
11.8.1. à
annuler la décision des autorités visant à fermer le bureau de l’OSCE
à Bakou et à pleinement coopérer avec cette organisation.
12. L’Assemblée décide de suivre de près la situation en Azerbaïdjan
et de faire le point sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre
de la présente résolution et des résolutions précédentes.