1. Introduction
1. Le Règlement de Dublin est
un instrument juridique de l’Union européenne conçu pour mettre
en place un mécanisme technique d’identification précise de l’Etat
membre chargé d’examiner une demande d’asile spécifique. Avec d’autres
instruments et dispositifs, il fait partie du régime d’asile européen
commun (RAEC) de l’Union européenne. Ces dernières années, le «système
de Dublin» a fait l’objet de sévères critiques pour divers motifs:
notamment parce qu’il provoque des atteintes aux droits de l’homme
des demandeurs d’asile; parce qu’il donne lieu à une répartition
inéquitable des demandes d’asile entre les Etats membres de l’Union européenne
du fait qu’il prévoit le transfert de responsabilité vers les premiers
pays d’entrée irrégulière, lesquels se situent en général sur les
frontières extérieures de l’Union européenne, en particulier au
sud; enfin, parce qu’il est lent, onéreux et inefficace.
2. Dans son «Agenda européen en matière de migration» récemment
annoncé, la Commission européenne reconnaît que le «système de Dublin”
(…) ne fonctionne pas comme il le devrait. Ainsi, en 2014, 72 %
des demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union européenne ont été
traitées par cinq Etats membres». Cette disparité est effectivement
un sujet de préoccupation, même si elle n’est pas nécessairement
à imputer au système de Dublin, qui n’a jamais eu vocation à servir
de mécanisme de partage de la charge. La Commission a également
noté que «quand le système de Dublin a été conçu, l’Europe se trouvait
à un autre stade de la coopération en matière d’asile car l’afflux
de personnes était de nature différente et de moindre ampleur»
.
3. Ce dernier point amène à une considération importante. L’échelle,
la nature et le point de convergence des migrations massives vers
l’Union européenne ont, il est vrai, considérablement changé depuis
l’adoption de la version initiale de la Convention de Dublin, en
1990, avec des conséquences particulièrement dramatiques ces dernières
années. Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous
,
l’augmentation du nombre de demandes d’asile déposées dans les pays
membres de l’Union européenne est pratiquement constante et a atteint
des records en 2013 et 2014, qui devraient, selon toute attente,
être largement dépassés cette année. En effet, l’Europe est aujourd’hui
confrontée à des difficultés nouvelles et de nature différente en matière
de migration et en particulier d’asile. Quelques-uns des principaux
pays d’origine, proches des frontières extérieures de l’Europe,
sont en proie à des conflits armés internes intenses qui se prolongent
et se caractérisent par une violence extrême et par les persécutions
infligées aux populations civiles, pour des motifs ethniques, religieux
ou politiques. Les personnes qui fuient ces situations sont très
probablement éligibles au statut de réfugié en vertu de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés, comme le montrent les taux de
reconnaissance très élevés de ce statut pour les nationalités concernées.
De plus, de nouveaux paramètres influent sur le passage en Europe
et le facilitent, comme la situation de quasi-anarchie qui règne
en Libye, qui, de pays de destination, est devenue un point d’embarquement
pour la traversée maritime vers l’Italie et Malte, ou encore l’état
de quasi-saturation en Turquie, voisine de la Grèce, et l’émergence
de réseaux sophistiqués et dynamiques de trafic de migrants, qui
ont souvent recours à des méthodes impitoyables (mais efficaces).
Origine: Asylum in the
EU: Facts and Figures (Asile dans l’UE: faits et chiffres), Service
de recherche du Parlement européen, mars 2015 (en anglais).
4. D’une part, réformer le système
de Dublin ne réduira pas le nombre des demandes d’asile faites dans l’Union
européenne et ne répondra certainement pas à toutes les questions
soulevées, par exemple, par le flux des migrants irréguliers et
des demandeurs d’asile en provenance notamment de Syrie, d’Afghanistan, d’Erythrée,
du Pakistan, d’Irak et d’Afrique de l’Ouest. Ces problèmes exigent
des solutions techniques et politiques beaucoup plus complètes que
ce que pourrait apporter une simple révision du Règlement de Dublin. D’autre
part, la situation devenue aujourd’hui radicalement différente soulève
bel et bien des questions légitimes sur l’utilité du système de
Dublin, du moins dans sa forme actuelle, voire sur sa raison d’être
au sein du RAEC.
2. L’histoire du Règlement
de Dublin dans le cadre du régime d’asile européen commun de l’Union européenne
5. L’accord de Schengen de 1985
entre l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les
Pays-Bas peut être considéré comme le point de départ du travail
de l’Union européenne sur les politiques d’asile, même si cela s’est
fait en dehors du cadre du traité des Communautés européennes de
l’époque. Cet accord avait principalement pour but la suppression
graduelle des contrôles aux frontières communes «internes» entre
les Etats participants. Remplacé en 1990 par la Convention d’application
de l’accord de Schengen, l’acquis de Schengen est intégré au cadre
du traité de l’Union européenne par le Traité d’Amsterdam de 1999 (voir
ci-dessous). L’abolition des frontières intérieures signifie qu’une
fois qu’un demandeur d’asile pénètre dans l’espace Schengen, il
ou elle peut circuler librement à l’intérieur de celui-ci. A l’heure
actuelle, tous les Etats membres de l’Union européenne (à l’exception
de la Bulgarie, de Chypre, de l’Irlande, de la Roumanie et du Royaume-Uni),
ainsi que l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse,
Etats non membres, font partie du système de Schengen.
6. La Convention de Dublin de 1990, entrée en vigueur en 1997,
est également adoptée en dehors du cadre du traité des Communautés
européennes par un groupe plus important d’Etats membres (12 à l’origine). Elle
a pour but de déterminer quel est l’Etat responsable de l’examen
d’une demande d’asile et, ce faisant, de répondre aux phénomènes
d’«asylum shopping» (demandes d’asile multiples dans différents
pays) et des «réfugiés en orbite» (transfert sans fin de demandeurs
d’asile sans qu’aucun pays n’en prenne la responsabilité). En vertu
de la Convention de Dublin, la responsabilité était attribuée selon
une hiérarchie de critères, qui incluaient la protection des mineurs
non accompagnés, le regroupement familial dans un pays donné, la
possession d’un visa ou d’un permis de séjour pour un pays spécifique,
l’entrée illégale ou le séjour illégal dans un pays donné et le
pays de la demande d’asile initiale. En outre, une clause dite «clause humanitaire»
permettait à un Etat d’accepter de son plein gré cette responsabilité.
La Convention de Dublin dépendait de l’existence de normes compatibles
et se fondait sur la confiance mutuelle dans la mise en œuvre de
ces normes, bien qu’à l’époque il n’y avait pas eu de codification
de ces normes dans l’acquis communautaire. Elle ne contenait aucune
disposition de reconnaissance mutuelle des décisions relatives à
la reconnaissance du statut.
7. L’Union européenne a progressivement développé de nouvelles
compétences en matière d’asile, notamment à la suite du Traité d’Amsterdam,
du Programme du Conseil européen de Tampere, en 1999, et du Traité
de Nice en 2001. En vertu du Programme de La Haye de 2004, la première
phase du RAEC a pris fin en 2006, avec une nouvelle évaluation et
une réforme de l’acquis existant et l’adoption de mesures pour la deuxième
phase à la fin de 2010.
8. Le Règlement de «Dublin II» de 2003 intègre la Convention
de Dublin dans le cadre du droit des traités de l’Union européenne.
Le processus de rédaction a reconnu certaines lacunes et recherché
des solutions, notamment en ce qui concerne la lenteur de fonctionnement
du système, l’incertitude pour les demandeurs d’asile et les Etats
membres, les voies de recours insuffisantes pour le phénomène des
«réfugiés en orbite», le risque de «refoulement en chaîne», l’absence
de véritables règles de réadmission et de surveillance et la charge
disproportionnée imposée aux Etats membres situés aux frontières
extérieures de l’Union.
9. A la suite du Traité de Lisbonne de 2007, les objectifs du
RAEC ont été renforcés par le Pacte européen sur l’immigration et
l’asile (2008) et le Programme de Stockholm (2009) du Conseil européen
(pour 2010-2014), qui visaient à la création d’une Europe de responsabilité,
de solidarité et de partenariat en matière de migrations et d’asile;
ils réitéraient également l’importance et étendaient la portée du
RAEC en y incorporant des questions telles que l’accès à l’Union
européenne, la réinstallation et l’intégration des réfugiés, le traitement
extérieur des demandes d’asile, les programmes de protection régionaux
et les mécanismes de partage de la responsabilité entre les Etats
membres de l’Union européenne.
10. Dans le cadre de ce processus, une «refonte» du Règlement,
«Dublin III», est adoptée en 2013. Elle inclut les améliorations
suivantes par rapport au Règlement de Dublin Il:
- un mécanisme d’alerte rapide,
de préparation et de gestion des crises, destiné à traiter les causes profondes
des dysfonctionnements des systèmes d’asile nationaux ou les problèmes
découlant de pressions particulières;
- une série de dispositions sur la protection des demandeurs
d’asile, comme des entretiens individuels obligatoires, au cours
desquels le demandeur doit être informé de la possibilité de fournir
des informations sur la présence de membres de sa famille dans d’autres
Etats membres, les garanties pour les mineurs (y compris des conseils
détaillés sur l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant) et
des possibilités étendues de réunification avec leurs proches (qui
incluent désormais également les grands-parents, les oncles ou les
tantes) et la mise à disposition des requérants d’une brochure d’information type
et d’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés;
- un droit de recours garanti, avec effet suspensif, contre
toute décision de transfert;
- une obligation de garantir une assistance juridique gratuite
sur demande;
- un motif unique de placement en rétention lorsqu’il existe
un risque non négligeable de fuite, et une limitation stricte de
la durée de la rétention;
- des procédures juridiques plus claires; par exemple, des
délais plus clairs pour l’ensemble des différents stades de la procédure.
11. Outre le Règlement de Dublin, parmi les autres principaux
éléments composant le RAEC figurent les suivants:
- «Eurodac», le système d’enregistrement
des empreintes digitales, qui aide à déterminer quel Etat membre
doit être chargé, conformément au Règlement de Dublin, d’examiner
une demande d’asile. Les Etats membres sont tenus de relever sans
tarder les empreintes digitales de tous les demandeurs d’asile âgés
de plus de 14 ans et de les transmettre dans les 72 heures au système
central Eurodac, accompagnées d’informations concernant la demande ;
- la directive relative aux conditions d’accueil, qui entend
établir des normes communes pour l’accueil des demandeurs d’asile
dans les Etats membres en matière, par exemple, d’accès au logement,
à la nourriture, aux soins de santé et à l’emploi, ainsi qu’aux
soins médicaux et psychologiques ;
- la directive relative aux procédures d’asile, qui entend
établir des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la
protection internationale afin que tous les Etats membres examinent
les demandes selon des normes communes et de haute qualité ;
- la directive relative aux conditions à remplir, qui entend
établir des normes communes pour l’obtention d’une protection internationale,
d’un statut uniforme pour les réfugiés ou pour les personnes pouvant bénéficier
d’une protection subsidiaire, et pour le contenu de la protection
accordée. Ces personnes bénéficieront d’une série de droits à protection
contre le refoulement (permis de séjour, titres de voyage, accès
à l’emploi, accès à l’éducation, prestations sociales, soins de
santé, accès au logement et accès à des services d’intégration),
ainsi que de dispositions spécifiques en faveur des enfants et des personnes
vulnérables ;
- le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO),
qui est chargé de contribuer à améliorer la mise en œuvre du RAEC,
de renforcer la coopération pratique entre les Etats membres et
d’apporter un appui opérationnel aux Etats membres dont les régimes
d’asile et d’accueil sont soumis à des pressions particulières et/ou
de coordonner la fourniture de cet appui .
12. Le Règlement de Dublin III est contraignant pour tous les
Etats membres de l’Union européenne, ainsi que pour l’Islande, le
Liechtenstein, la Norvège et la Suisse qui, on l’a vu, font également
partie du système de Schengen. S’agissant d’autres aspects du RAEC,
il convient de noter que le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni
ont invoqué une «option de retrait» (opting
out) des directives modifiées sur les procédures d’asile,
les conditions d’accueil et la qualification.
13. En réponse à une nouvelle détérioration de la situation cette
année, la Commission européenne a présenté en mai un «Agenda européen
en matière de migration», qui comprend des propositions de réforme du
système de Dublin, dont «un programme de répartition temporaire
des personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale
afin d’assurer une participation équitable et équilibrée de tous
les Etats membres à cet effort commun» qui prévoit «une clé de répartition
(…) établie sur la base de critères objectifs, quantifiables et
vérifiables tenant compte de la capacité des Etats membres à absorber
et à intégrer les réfugiés et assortis de facteurs de pondération
appropriés reflétant leur importance relative»
.
Bien que les Etats membres aient par la suite rejeté l’idée de «quotas»,
le Conseil européen a décidé en juin «la relocalisation temporaire
et exceptionnelle sur deux ans, depuis l’Italie et la Grèce, Etats
membres situés en première ligne, vers d’autres Etats membres, de
40 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale,
mesure à laquelle tous les Etats membres [à l’exception du Royaume-Uni] participeront»
. Si la mise en place d’un programme de
relocalisation peut être saluée comme une étape potentielle vers
la réforme du système de Dublin, son caractère temporaire et exceptionnel
ainsi que le nombre relativement réduit de personnes concernées
amènent à se demander sérieusement s’il peut suffire à régler le
problème autrement qu’à très court terme. Il serait extrêmement
décevant de devoir constater qu’il ne s’agit que d’un pis-aller
politique tout à fait ponctuel. On peut en effet d’ores et déjà
s’inquiéter de voir que l’Union européenne n’a même pas été capable
d’atteindre cet objectif de 40 000 personnes, l’accord conclu portant finalement
sur seulement 32 000 personnes: bien que les conclusions du Conseil
mentionnent la participation de «tous les Etats membres», l’Autriche
et la Hongrie ont refusé d’accepter le moindre réfugié. De plus,
les disparités entre les autres pays sont considérables, plusieurs
acceptant beaucoup moins de personnes qu’escompté
.
Ce résultat n’est pas de bon augure pour l’avenir. Comme l’a dit
le commissaire Avramopoulos par la suite, il montre qu’un système
reposant sur le volontariat est difficile à mettre en œuvre; du
reste, toutes les tentatives antérieures ont échoué
.
3. Critiques du système de
Dublin
3.1. Précédentes critiques de
l’Assemblée
14. Dans plusieurs résolutions,
l’Assemblée parlementaire s’est montré critique quant au fonctionnement
du système de Dublin, allant même jusqu’à remettre en cause sa raison
d’être. Très récemment:
- dans
sa Résolution 1918 (2013) «Migrations et asile: montée des tensions en Méditerranée
orientale», l’Assemblée a exhorté l’Union européenne «à réviser
et à mettre en œuvre le Règlement de Dublin afin qu’il apporte une
réponse plus équitable aux problèmes qui se posent dans l’Union
européenne en termes de flux migratoires mixtes»;
- dans sa Résolution
2000 (2014) «L’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les
côtes italiennes», l’Assemblée, rappelant sa Résolution 1820 (2011), a exhorté l’Union européenne à «modifier le système de
Dublin (…) en vue d’assurer à la fois un traitement équitable et
des garanties suffisantes aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires
de la protection internationale, mais aussi d’aider les Etats membres
à faire face à d’éventuelles situations de tension exceptionnelle».
15. Une analyse plus détaillée de la situation figure dans le
rapport de l’Assemblée «Demandeurs d’asile et réfugiés: pour un
partage des responsabilités en Europe». Voici ce que dit ce rapport:
«Alors que l’intention était d’établir un partage plus équitable
des responsabilités entre les pays européens, le système de Dublin
a placé une charge disproportionnée sur des pays tels que la Grèce,
Malte, l’Italie, l’Espagne et Chypre situés aux frontières extérieures
de l’Union européenne. (…) Il est clair qu’un dispositif plaçant
simplement la responsabilité sur le premier Etat d’arrivée ne peut
pas constituer une solution complète. Il était fondé sur l’hypothèse
selon laquelle tous les pays de l’Union européenne étaient sûrs
et pouvaient gérer seuls le problème. Ce n’était pas le cas. De
plus, les chances pour une personne de voir sa demande d’asile aboutir sont
très variables d’un pays à l’autre
.» Dans une
large mesure, ces critiques restent aujourd’hui valables.
3.2. Critiques judiciaires
16. Dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (arrêt
du 21 janvier 2011) concernant les transferts de la Belgique à la
Grèce en vertu du Règlement de Dublin, la Cour européenne des droits
de l’homme a notamment estimé qu’étant donné les nombreuses informations
crédibles disponibles, les autorités belges «devaient» être conscientes
des défaillances de la procédure d’asile en Grèce. Elles avaient
cependant poursuivi la procédure sans avoir obtenu de garanties
individuelles de la part des autorités grecques, alors qu’elles
auraient facilement pu refuser le transfert. Les autorités belges
n’auraient tout simplement pas dû supposer que le requérant serait
traité conformément aux normes de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
mais auraient plutôt dû vérifier comment les autorités grecques
appliquaient en fait la législation relative à l’asile. Il y a donc
eu une violation de l’article 3 (interdiction des traitements dégradants) de
la Convention par la Belgique. Il y a également eu une violation
de l’article 13 (droit à un recours effectif) en raison de l’absence
de recours effectif contre la décision d’expulsion du requérant.
S’agissant de la Grèce, la Cour a constaté une violation de l’article
13 en raison des défaillances dans l’examen de la demande d’asile du
requérant par les autorités grecques et des risques que celui-ci
encourait d’être directement ou indirectement renvoyé dans son pays
d’origine sans examen sérieux du bien-fondé de sa demande et sans accès
à un recours effectif. La Cour a également estimé que la Grèce avait
violé l’article 3 à la fois au titre des conditions de rétention
du requérant et de ses conditions d’existence en Grèce.
17. L’affaire Tarakhel c. Suisse (arrêt
du 4 novembre 2014) concerne le refus des autorités suisses d’examiner
la demande d’asile d’un couple afghan et de leurs six enfants et
la décision en vertu du Règlement de Dublin de les renvoyer en Italie.
La Cour a estimé qu’il y aurait violation de l’article 3 si les
requérants devaient être renvoyés en Italie sans que les autorités
suisses aient au préalable obtenu des autorités italiennes une garantie
individuelle concernant, d’une part, une prise en charge adaptée
à l’âge des enfants et, d’autre part, la préservation de l’unité
familiale. Etant donné la situation actuelle concernant les conditions d’accueil
en Italie, et en l’absence d’informations détaillées et fiables
quant à la structure précise de destination, les autorités suisses
ne possédaient pas suffisamment d’assurances à cette fin.
18. Dans l’affaire A.M.E. c. Pays-Bas (arrêt
du 13 janvier 2015), cependant, la Cour a déclaré la requête au titre
de l’article 3 irrecevable, estimant que le requérant n’avait pas
établi que, s’il était renvoyé vers l’Italie, il courrait, d’un
point de vue matériel, physique ou psychologique, un risque suffisamment
réel et imminent de subir des épreuves revêtant le degré de gravité
requis pour tomber sous l’empire de l’article 3. Elle relève en outre
que, contrairement aux requérants dans l’affaire Tarakhel c. Suisse (voir ci-dessus),
qui formaient une famille avec six enfants mineurs, le requérant
est un jeune homme en pleine possession de ses moyens, sans personne
à charge. De plus, la situation actuelle en Italie pour les demandeurs
d’asile ne peut en aucun cas se comparer à la situation en Grèce
à l’époque de l’affaire M.S.S. c. Belgique
et Grèce (voir ci-dessus): la structure et la situation
générale en ce qui concerne les dispositions prises pour l’accueil
des demandeurs d’asile en Italie ne peuvent en soi passer pour des
obstacles empêchant le renvoi de tout demandeur d’asile vers ce
pays.
19. De même, dans l’affaire A.S. c.
Suisse (arrêt du 30 juin 2015), la Cour a estimé que
le requérant, chez lequel avaient été diagnostiqué un grave syndrome
de stress post-traumatique, ne risquait pas un traitement inhumain
ou dégradant s’il était renvoyé en Italie étant donné qu’il n’était
pas gravement malade à ce moment-là et que rien n’indiquait qu’il
ne recevrait pas un traitement psychologique adapté en Italie ou
qu’il n’aurait pas accès à un antidépresseur équivalent à celui
qu’il recevait en Suisse. La Cour a aussi distingué son cas de l’affaire D. c. Royaume-Uni, dans laquelle
le requérant, qui était en stade terminal du sida, ne pouvait espérer aucune
prise en charge médicale ni aucun soutien familial dans son pays
d’origine. Alors que, dans l’affaire Tarakhel, la
Cour avait émis de sérieux doutes quant aux capacités du système
d’accueil italien, la situation globale ne pouvait à elle seule
justifier d’interdire tout renvoi de demandeurs d’asile vers l’Italie.
(La Cour a également jugé que le requérant ne pouvait se prévaloir
de l’article 8 (vie familiale) au motif que deux de ses sœurs vivaient
en Suisse.)
20. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, elle aussi,
rendu des arrêts importants concernant certains aspects du système
de Dublin. Dans l’affaire N.S. c. Secretary
of State for the Home Department (arrêt du 21 décembre
2011), la CJUE a estimé qu’il incombe aux Etats membres de l’Union
européenne de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’Etat
membre responsable au sens du Règlement de Dublin lorsqu’ils ne peuvent
ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile
et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat
membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le
demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements
inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne. La CJUE a également précisé
que le système européen commun d’asile ne peut fonctionner sur la
base d’une «présomption irréfragable» que tous les Etats membres
de l’Union européenne respectent les droits fondamentaux de l’Union
européenne.
21. Il existe une certaine incertitude quant au point de savoir
si les critères retenus par la CJUE dans l’affaire N.S. diffèrent de ceux appliqués
par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M.S.S. et, le cas échéant, comment
concilier les deux. Examiner plus avant cette question juridique
très technique n’entre pas dans le propos du présent rapport: ce
qui importe, c’est que les deux tribunaux aient montré clairement
qu’un Etat membre envisageant de transférer un demandeur d’asile
vers un autre Etat membre ne peut pas simplement se baser sur l’hypothèse
non vérifiée que ce pays appliquera des conditions d’accueil et
des procédures d’asile conformes aux directives et assurera une
protection effective des droits fondamentaux dudit demandeur d’asile.
22. L’affaire
MA, BT, DA c. Secretary
of State for the Home Department (arrêt du 6 juin 2013)
concerne une ambiguïté dans le Règlement de Dublin II, qui dispose
que, pour un mineur non accompagné qui demande l’asile et dont aucun
membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d’un
Etat membre, l’Etat membre responsable de l’examen de la demande
est celui dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile.
Mais il ne précise pas s’il s’agit de l’Etat membre auprès duquel
ce mineur a déposé sa première demande ou bien celui dans lequel
il se trouve après y avoir déposé sa dernière demande en ce sens.
La CJUE a estimé que, dans ces circonstances, l’Etat membre responsable
sera l’Etat membre dans lequel se trouve ce mineur après y avoir
déposé une demande d’asile. La Commission européenne a, depuis lors,
proposé un Règlement modifiant la disposition concernée du Règlement
de Dublin III afin de lever l’ambigüité identifiée dans l’arrêt
de la CJUE
.
4. Situation actuelle : les
critiques persistantes du système de Dublin
23. Malgré l’idée évoquée que le
système de Dublin place une charge disproportionnée sur les Etats d’Europe
du Sud, le plus grand nombre de nouvelles demandes d’asile en 2014
a été soumis en Allemagne (172 945), suivie de la Suède (74 980),
de l’Italie (63 655), de la France (57 230), de la Hongrie (41 215),
du Royaume-Uni (31 070) et des Pays-Bas (23 645). S’agissant des
charges relatives, c’est en Suède que le nombre de demandes d’asile
par habitant est le plus élevé (7 775 par million d’habitants),
suivie par la Hongrie (4 175), Malte (3 000), le Danemark (2 585)
et l’Allemagne (2 140); pour les Etats non membres que sont la Suisse
et la Norvège, les chiffres sont respectivement de 2 695 et 2 485
.
24. Pour 2013, les chiffres montrent que c’est l’Italie qui a
reçu, de loin, le plus grand nombre de demandes dans le cadre du
Règlement de Dublin pour assumer la responsabilité des demandes
d’asile (15 532); viennent ensuite la Pologne (10 599), la Hongrie
(7 756), la Belgique (5 441) et l’Allemagne (4 532)
.
D’après ces chiffres, il semble que, pour certains pays, le système
de Dublin dans son fonctionnement actuel ait une sérieuse incidence
sur la part assumée de la charge totale. Il est cependant à noter
que ces chiffres concernent des demandes de transfert, qui n’aboutissent
pas toutes. L’EASO a constaté que, durant la période 2008-2012, bien
qu’environ 80 % des demandes de transfert «émises» en application
du Règlement de Dublin aient été acceptées par l’Etat de «destination»,
seules quelque 25 % ont donné lieu au transfert physique du demandeur d’asile.
Sur le nombre total de demandes d’asile déposées dans l’Union européenne,
les requêtes «émises» représentent environ 12 % des cas, et les
transferts réalisés environ 3 %
.
25. Ainsi a-t-on fait valoir que les affirmations selon lesquelles
le système de Dublin provoquait un transfert des responsabilités
du traitement des demandes d’asile du nord de l’Europe vers ses
frontières méridionales n’étaient pas fondées. Bien que, à l’évidence,
les pays européens du nord envoient plus de demandes de transfert
que ceux du sud et que les pays méridionaux se trouvent plutôt du
côté «récepteur» des demandes, la disparité quant au nombre des
transferts réels est relativement faible
. (Vu sous
l’angle inverse, on pourrait dire que l’absence ou le petit nombre
de ces transferts prouve que le système de Dublin ne fonctionne
pas car, étant donné leur situation géographique et les récentes
tendances des migrations irrégulières, on pourrait s’attendre à
ce que les Etats membres situés aux frontières extérieures méridionales
de l’Union européenne soient responsables d’un nombre bien supérieur
de demandes d’asile.) De même, selon une étude réalisée pour le
Parlement européen, beaucoup d’efforts et de dépenses sont investis
dans la gestion d’une base de données d’empreintes digitales qui
révèle une multiplication des mouvements secondaires de demandeurs d’asile
– mais non pas dans une proportion particulièrement inquiétante
–, ainsi qu’un flux peu soutenu de réels transferts de demandeurs
d’asile d’un Etat membre à l’autre. Par rapport au nombre total
de demandes d’asile, cette activité est très mineure. En outre,
dans un nombre de cas importants, les premiers pays d’envoi et d’accueil
en application du système sont les mêmes. Résultat final: dans l’ensemble,
le nombre de demandeurs d’asile dont l’Etat a la responsabilité
ne change guère. En revanche, pour les demandeurs d’asile individuels,
le coût humain peut être énorme
.
26. Le système de Dublin n’a jamais eu vocation en soi à servir
de mécanisme solidaire de partage de la charge: son but est d’assurer,
au moyen de critères objectifs communs, une identification précise
de l’Etat membre chargé de traiter une demande d’asile. En pratique,
dans le système de Dublin n’entre aucune considération d’équité
quant à la répartition des responsabilités et n’est prévu aucun
dispositif spécifiquement conçu pour gérer les charges ou les anomalies
en termes de capacité nationale. Toutefois, le RAEC, de plus grande
envergure, prévoit et résout certaines de ces questions: depuis
2009, l’article 80 du Traité de Lisbonne dispose que le RAEC est
régi «par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités».
Ce principe est exprimé, notamment, par le biais de l’EASO et du
Fonds Asile, migration et intégration (3 137 milliards d’euros pour
la période 2014-20; en 2015, par exemple, 25 millions d’euros ont
été mis à disposition pour apporter une aide d’urgence aux Etats).
27. De surcroît, parce qu’il fait partie du régime d’asile européen
commun, l’efficacité et les conséquences pratiques du système de
Dublin dans son fonctionnement actuel dépendent aussi du contenu
et de la mise en œuvre d’autres aspects, notamment les directives
relatives aux procédures d’asile et aux conditions d’accueil. Dans
son étude, le Parlement européen note que la conception du système
de Dublin repose sur une hypothèse implicite: les demandeurs d’asile
pourront accéder aux mêmes normes de traitement et aux mêmes droits
dans tous les pays participants; or, cet objectif qui, dans l’ensemble,
est aussi celui du RAEC, reste encore à réaliser dans les faits.
Etant donné le manque de confiance des demandeurs d’asile à l’égard
du système – et de sa capacité à leur garantir les mêmes normes
de traitement et les mêmes droits dans tous les pays participants
–, les mouvements secondaires persistent, à l’encontre de l’objectif
implicite du Règlement de Dublin: éviter ce qui est considéré de
manière négative et simpliste comme une «course au droit d’asile»
(asylum shopping). Dans de nombreux
cas, les Etats membres ne veulent pas ou ne peuvent pas respecter les
dispositions du Règlement de Dublin
.
Sans compter que, souvent, sa mise en œuvre est compromise par le
manquement des Etats à enregistrer sans délai les demandeurs d’asile
et à relever les empreintes digitales des migrants irréguliers nouvellement
arrivés, comme l’exige le Règlement Eurodac. Ces personnes se trouvent
alors libres de circuler et de demander l’asile dans un autre Etat
membre de l’Union européenne sans laisser trace de l’endroit où
ils ont franchi illégalement une frontière extérieure de l’Union
européenne, d’où l’impossibilité d’appliquer le bon critère pour
identifier l’Etat membre responsable de l’examen de la demande
.
28. Malgré le haut niveau d’intégration du système de l’Union
européenne, la mise en œuvre nationale du Règlement de Dublin reste
tributaire, en dernier ressort, des volontés politiques nationales
– et sa réforme l’est même encore davantage. Inévitablement, dilemmes
moraux et considérations électorales jouent un rôle. Ainsi, certains
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour
de justice de l’Union européenne impliquent que, jusqu’à ce que
les mesures nécessaires soient prises par les autorités nationales
concernées, la Grèce est de fait déchargée de la responsabilité
d’accepter des transferts en vertu du système de Dublin et que,
dans certaines circonstances, les transferts vers l’Italie exigent
des dispositions spéciales. Le dilemme réside dans le fait qu’il
y a, d’un côté, a obligation juridique d’exécuter ces arrêts alors
que, d’un autre côté, retarder cette exécution oblige aussi à retarder
le rétablissement de la prise de responsabilité des transferts, avec
toute la charge administrative et financière qui en résulte. Cette
situation est déjà évoquée dans un rapport de l’Assemblée: «le Règlement
de Dublin dissuade de fait les Etats membres méridionaux d’améliorer leurs
normes d’accueil des demandeurs d’asile et les procédures applicables
en matière d’asile, et compromet donc les objectifs d’un régime
d’asile européen commun»
; et on pourrait en dire autant
au sujet de l’amélioration de la mise en œuvre du Règlement Eurodac
(voir le paragraphe 26 ci-dessus). Quant à l’importance des considérations
politiques/électorales nationales, il se peut que la popularité
grandissante des partis politiques se montrant critiques ou hostiles
à l’égard de l’immigration en général dissuade les responsables
politiques de défendre ou d’approuver des propositions en vue d’un
partage plus équitable des charges.
5. Propositions pour une mise
en œuvre améliorée ou une révision du système de Dublin
29. Le système de Dublin contient
déjà des dispositions qui, appliquées plus rigoureusement, pourraient atténuer
nombre des conséquences négatives de son fonctionnement actuel.
Ainsi, sans avoir à réviser les textes existants mais uniquement
en passant par des changements pratiques, les Etats membres de l’Union européenne
pourraient prendre les mesures suivantes
:
- assurer la stricte application des critères de responsabilité
liés à la famille en s’en tenant scrupuleusement
à la hiérarchie établie et en garantissant le plein respect de l’intérêt
supérieur des enfants et du principe du regroupement familial, conformément
aux obligations découlant du droit international;
- appliquer la clause relative aux personnes dépendantes,
la clause de souveraineté et la clause humanitaire de manière équitable,
bienveillante et souple, en tenant davantage compte des préférences exprimées
par les demandeurs d’asile;
- éviter le recours automatique au critère de «franchissement
irrégulier de la frontière»;
- appliquer la clause de souveraineté en cas d’incompatibilité
du transfert avec des obligations imposées par le droit international,
y compris celles découlant de la Convention européenne des droits
de l’homme telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, comme l’exige le préambule du
Règlement lui-même;
- veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit
pleinement et effectivement considéré comme primordial dans la pratique,
ce qui implique par exemple de redoubler d’efforts pour retrouver
des membres de la famille des mineurs non accompagnés et de leur
accorder le bénéfice du doute dans les cas de désaccord sur l’âge;
- mettre en œuvre pleinement et efficacement le Règlement
Eurodac, ainsi que les directives relatives aux conditions d’accueil
et aux procédures d’asile.
30. Autre solution plus radicale, qui exigerait une révision du
Règlement de Dublin: arrêter de se fonder sur le critère de «franchissement
irrégulier d’une frontière» pour déterminer quel Etat est responsable
de la demande d’asile. Ainsi, l’Etat responsable serait celui où
est déposée la demande, ce qui permettrait de fait aux demandeurs
d’asile de choisir librement l’Etat membre où sera examinée leur
demande
.
Cela n’assurerait pas une répartition équitable de la responsabilité,
puisque rien ne garantirait que la liberté individuelle de choix
aboutisse à ce résultat
.
Cela dit, les chiffres mentionnés aux paragraphes 23 et 24 ci-dessus
montrent que, dans son fonctionnement actuel, le système de Dublin
n’aboutit pas nécessairement à une extrême concentration des demandes
d’asile aux frontières extérieures méridionales de l’Union européenne;
qui plus est, le nombre de transferts réalisés en application du
Règlement de Dublin est relativement faible, en particulier par
rapport au nombre total des demandes. Cette situation laisse penser
que, dans la pratique et dans une large mesure, les demandeurs d’asile
font déjà leurs demandes dans les pays de leur choix. Selon toute
probabilité, il s’agit des pays où ils ont de la famille, des amis
et des relations ou, tout simplement, des raisons culturelles ou
linguistiques de préférer cette destination. Cela conduit à deux observations:
d’une part, les Etats devraient plus souvent accepter la responsabilité
dans le cadre des clauses de regroupement familial, de souveraineté
et humanitaire; d’autre part, il se pourrait qu’autoriser la liberté
de choix ne change pas grand-chose, dans les faits, à la répartition
des demandeurs d’asile, mais les Etats se trouveraient déchargés
d’un fardeau administratif coûteux, lourd et assez inefficace, tout
en évitant aux demandeurs d’asile une grande part du coût humain.
De fait, les améliorations procédurales introduites dans le Règlement
Dublin III, en particulier le droit d’information et l’entretien
personnel, constitue une base indiscutable de progrès dans ce domaine;
pour ce faire, il convient donc de les exploiter pleinement.
31. Au delà du Règlement de Dublin, bon nombre de ses effets délétères
en termes de partage inéquitable de la charge pourraient être atténués
par des dispositions assurant, d’une part, une reconnaissance mutuelle des
décisions nationales positives de détermination du statut et, d’autre
part, la possibilité de transférer le statut de protection internationale
entre Etats membres de l’Union européenne; en d’autres termes, en
créant un statut de «réfugié européen». De fait, c’est ce que prévoit
déjà le Traité de Lisbonne dans son article 78, appelant à «un système
européen commun d’asile comportant un statut uniforme d’asile (…)
valable dans toute l’Union [et] un statut uniforme de protection
subsidiaire». La reconnaissance mutuelle devrait être considérée
comme une expression concrète du principe de solidarité énoncé à
l’article 80 du Traité. Certes, à elle seule, elle ne changerait
en rien la manière dont le Règlement de Dublin identifie l’Etat
membre appelé à traiter une demande d’asile, mais tout au moins
permettrait-elle de transférer entre Etats membres leur responsabilité
de protection a plus long terme à l’égard des demandeurs
.
32. Améliorer la mise en œuvre d’autres éléments du RAEC pourrait
aussi atténuer les effets néfastes du fonctionnement actuel du système
de Dublin. Comme il est dit plus haut, l’une des raisons qui incitent
les demandeurs d’asile à préférer soumettre une demande dans un
Etat membre plutôt qu’un autre est le niveau de mise en œuvre, en
particulier, des directives relatives aux conditions d’accueil et
aux procédures d’asile. Une mise en application intégrale et efficace
de ces instruments réduirait cette incitation et, par là même, les mouvements
secondaires qui en résultent. Quant aux autres Etats membres, ils
se sentiraient à leur tour moins poussés à refuser la responsabilité
et à tenter de la transférer. Le RAEC dans son ensemble ne peut
pas fonctionner comme il se doit s’il n’est pas cohérent et réaliste
et que toutes ses composantes ne sont pas pleinement opérationnelles.
33. En effet, on pourrait tout à fait dire que le RAEC dans son
ensemble n’est pas adapté à l’ampleur ni à la nature des défis auxquels
il est actuellement confronté. Il pourrait être renforcé grâce à
une plus grande harmonisation, voire une centralisation des procédures
d’octroi du statut de réfugié, allant au-delà d’une amélioration
de l’application nationale de la directive en vigueur sur les procédures
d’asile. A cette fin, les mesures envisagées pourraient être un
mécanisme en vue d’une surveillance européenne plus efficace des procédures
nationales, un statut de «demandeur d’asile européen» ou un traitement
commun des procédures d’asile au niveau européen. Ces mesures renforceraient
la confiance mutuelle et constitueraient donc un fondement solide
pour l’introduction d’un statut de «réfugié européen».
34. Quelques-uns des bénéfices concrets d’un statut de «réfugié
européen» sont déjà en partie réalisés avec la directive relative
aux résidents de longue durée
,
qui permet, entre autres, d’exercer le droit de résidence dans un
autre Etat membre et dont l’application a été étendue en 2011 aux
bénéficiaires d’une protection internationale
.
Les avantages de ce mécanisme en termes de partage de la charge
pourraient être renforcés en ramenant de cinq à deux ans le délai
permettent aux réfugiés d’en bénéficier en raison de la situation
particulière des personnes concernées.
35. Sur un plan pratique plus immédiat, il existe déjà diverses
possibilités de donner un effet concret au principe de solidarité
et de réduire les injustices générées par le système de Dublin.
Il s’agit notamment de mécanismes financiers tels que le Fonds «asile,
migration et intégration», du partage de l’expertise, par le biais de
l’EASO ou la mise en place de procédures de traitement conjoint,
d’une assistance ciblée accrue par l’EASO, par exemple pour le traitement
des «requêtes aux fins de prise en charge», et de la répartition
des bénéficiaires de la protection internationale, y compris par
la réinstallation d’un pays membre de l’Union européenne dans un
autre, sur la base d’une forme de clé de répartition, et par une
plus grande liberté de circulation à l’intérieur de l’Union européenne
. Là
encore, le principe de solidarité énoncé à l’article 80 du Traité
de Lisbonne, qui parle du partage équitable des responsabilités
«y compris sur le plan financier», constitue une base juridique
solide à ce type d’actions. Pour ce qui est du traitement conjoint,
il faut reconnaître qu’il peut se heurter à des difficultés pratiques
découlant d’un manque de confiance réciproque dans la qualité des
procédures nationales d’asile et de l’absence de cadres juridiques
communs, lesquels dépendent de la législation nationale. Ces difficultés
à assurer l’application pratique de critères communs pourraient
toutefois être partiellement surmontées en jumelant les fonctionnaires
d’un pays à ceux d’un autre pays.
36. On pourrait aussi imaginer un mécanisme permettant d’améliorer
la gestion et la répartition des demandes d’asile grâce à la réinstallation
équilibrée de certaines catégories de réfugiés – en particulier
ceux de nationalités généralement reconnues comme ayant besoin d’une
protection internationale – à l’issue de procédures de détermination
du statut effectuées dans des pays de transit. Ces personnes pourraient demander
une protection par l’intermédiaire du Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) ou d’ambassades européennes. A l’évidence,
diverses questions d’ordre juridique, pratique et, surtout, relatives
aux droits de l’homme devraient être résolues avant qu’une telle
politique puisse être appliquée. Cette approche permettrait toutefois
à certains de ne pas avoir besoin de faire appel à des trafiquants
de migrants et de s’épargner les filières et méthodes dangereuses
qu’ils utilisent pour arriver en Europe. (Ce mécanisme serait perçu
comme le «revers de la médaille» par rapport à une «liste blanche»
des pays dont les ressortissants sont présumés ne pas avoir besoin
d’une protection internationale.)
37. Pour ce qui est du contexte plus général et de l’allègement
de la pression globale des demandeurs d’asile sur l’Europe, une
autre proposition consisterait à améliorer et renforcer les possibilités
de protection hors d’Europe, notamment dans les pays de transit.
Pour que cela fonctionne, il faudrait cependant réduire de manière
significative la durée des procédures de détermination du statut,
car les réfugiés ne sont pas nécessairement disposés à attendre
longtemps, en particulier lorsque leur but est d’atteindre l’Europe.
38. Bien que la Commission européenne n’ait pas encore entamé
l’évaluation de son Règlement Dublin III, «l’Agenda européen en
matière de migration» contient déjà, entre autres, les points suivants:
- les Etats membres doivent affecter
les ressources nécessaires pour accroître le nombre de transferts
et réduire les délais, appliquer avec prévoyance et cohérence les
clauses relatives au regroupement familial, et faire un usage plus
large et régulier des clauses discrétionnaires, leur permettant
de procéder à l’examen d’une demande d’asile et d’alléger ainsi
la pression qui pèse sur les Etats membres situés en première ligne;
- le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) soutiendra
les Etats membres en créant un réseau spécialisé d’unités nationales
«Dublin».
39. Le rapporteur ne peut qu’approuver les points susmentionnés,
mais il observe que des problèmes de retard et d’inefficacité sont
présents depuis le début alors qu’ils étaient censés avoir été résolus
dans le Règlement de Dublin II. Il souligne également que le coût
humain pour les demandeurs d’asile et la capacité du système à répondre
aux situations d’urgence suscitent au moins tout autant d’inquiétude.
Aussi le rapporteur attend-il avec impatience l’évaluation que mènera
la Commission en 2016 pour voir si les améliorations apportées dans
le Règlement de Dublin III (voir le paragraphe 10 ci-dessus) ont
produit les résultats escomptés.
40. L’évaluation du système de Dublin ne doit pas se limiter à
une simple considération des statistiques sur les transferts. La
situation radicalement différente et imprévue dans laquelle il opère
aujourd’hui doit former la toile de fond d’une réflexion approfondie
sur sa raison d’être. Compte tenu également de ses effets secondaires
et de son inefficacité générale, le système n’a-t-il pas définitivement
échoué, en raison de sa trop grande complexité, à atteindre son
objectif initial qui était pourtant simple: faire en sorte qu’un
seul pays facilement identifiable soit responsable de l’examen d’une
demande d’asile donnée?