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Résolution 2073 (2015)
Pays de transit: relever les nouveaux défis de la migration et de l’asile
1. On entend par «pays de transit»
les pays traversés par les migrants au cours de leur voyage vers
leur pays de destination. Au moment où ils entament leur périple,
beaucoup de migrants n’ont cependant pas de destination précise.
Une fois qu’ils ont quitté leur pays d’origine, leur décision de
poursuivre leur chemin – et dans quelle direction – dépend souvent
de plusieurs facteurs. Les pays confrontés à la migration de transit, quelle
qu’en soit la forme, ne sont que rarement, sinon jamais, de simples
«pays de transit»; beaucoup sont également des pays de destination
et/ou d’asile.
2. Le concept de «pays de transit» joue néanmoins un rôle clé
dans la politique européenne, faisant généralement référence aux
pays voisins de l’Union européenne qui constituent la dernière étape
des migrants avant de franchir les frontières extérieures de l’Union
européenne. Toutefois, plusieurs Etats membres de l’Union européenne
situés entre les frontières extérieures de l’Union européenne et
les pays de destination finale préférés des migrants connaissent
également des flux importants de migration de transit.
3. Si certaines mesures peuvent s’appliquer spécifiquement aux
pays de transit, la politique migratoire devrait être considérée
dans une perspective globale: tous les pays à partir desquels, à
travers ou vers lesquels peuvent voyager des migrants doivent coopérer
et coordonner leurs actions, avec le soutien et l’assistance d’acteurs
internationaux comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM) et l’Union européenne. En outre, les politiques doivent être
axées sur la situation des individus dont les décisions et actions
sous-tendent le phénomène migratoire. L’Assemblée parlementaire
se félicite de la prise en compte accrue de cet impératif dans la
politique de l’Union européenne, comme en témoignent l’Agenda européen
en matière de migration de la Commission européenne et les conclusions
du Conseil européen du 26 juin 2015. Elle estime que le Conseil
de l’Europe, par l’intermédiaire de son Centre européen pour l’interdépendance
et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud), pourrait contribuer
à cet effet au renforcement des capacités de dialogue.
4. Les relations de l’Union européenne avec les pays de transit
mettent en avant la politique migratoire, pouvant prendre la forme
de «partenariats pour la mobilité», qui s’inscrivent dans le cadre
de «l’approche globale de la question des migrations et de la mobilité»
(AGMM) de l’Union européenne. Il en résulte une «externalisation»
du contrôle des frontières, la responsabilité de la prévention des
migrations irrégulières vers l’Europe étant transférée aux pays
de transit. Ces derniers sont également invités à conclure des accords
de réadmission, qui s’étendent aux ressortissants de pays tiers,
même si les personnes concernées ne peuvent être renvoyées dans
leur pays d’origine. Cette approche pose des problèmes au niveau
de la situation socio-économique interne des pays de transit et
met à rude épreuve leurs relations avec les pays voisins et les
pays d’origine.
5. Mais, avant tout, l’externalisation du contrôle des frontières
de l’Union européenne a des conséquences graves pour les migrants
et les réfugiés. Un grand nombre d’entre eux risquent de ne pas
pouvoir poursuivre le voyage qu’ils avaient prévu et d’être bloqués
dans le pays de transit. Ils peuvent alors se retrouver en situation
de précarité et de vulnérabilité, sans aucun statut juridique ou
aucune protection, et dépourvus d’accès aux services essentiels,
ce qui les expose à des risques d’exploitation, de mauvais traitements
et de violence. C’est tout particulièrement vrai lorsque les systèmes
juridiques internes ne contiennent pas de garanties suffisantes
et ne mettent pas en œuvre de manière effective les normes internationales
pertinentes, dont celles consacrées par la Convention de 1951 relative
au statut des réfugiés. La situation peut devenir intolérable au
point que même ceux qui n’en avaient pas l’intention sont contraints
de partir et souvent forcés de s’en remettre à des passeurs ou à
des trafiquants de migrants.
6. Les relations d’influence de l’Union européenne avec de nombreux
pays de transit pourraient, cependant, ouvrir la voie à une coopération
visant à définir une conception de la politique migratoire plus globale,
davantage axée sur les droits et plus efficace. Par conséquent,
l’Assemblée est d’avis que l’Union européenne devrait réfléchir
de manière plus approfondie aux objectifs et à la structure de ses
relations avec les pays de transit, en veillant à ce que cette coopération
contribue à prévenir les violations des droits de l’homme et à ce
qu’elle ne porte pas atteinte à ceux-ci.
7. S’agissant de la manière d’améliorer la situation des pays
confrontés à des flux importants de migration de transit, l’Assemblée
salue les récents développements en Turquie et au Maroc. Ces pays
en sont à des stades différents d’introduction de nouvelles politiques,
lois et institutions en matière de migration, et de développement
de leur coopération avec les acteurs internationaux, notamment le
HCR et l’OIM. Il y a cependant beaucoup à faire pour mettre en œuvre
efficacement la législation et les politiques, dans le plein respect
de la Convention relative au statut des réfugiés et, dans le cas
de la Turquie, de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5). L’Assemblée encourage les
deux pays à mener à terme leurs réformes respectives et à garantir
leur mise en œuvre effective, ce qui pourrait faire d’eux des modèles régionaux
de bonne pratique. Elle invite également instamment la communauté
internationale, en particulier le Conseil de l’Europe et l’Union
européenne, à encourager et soutenir davantage ce processus. Ces
pays et l’Union européenne devraient s’abstenir de conclure des
accords qui risquent d’avoir des effets contre-productifs, par exemple
en insistant sur le renforcement unilatéral du contrôle des frontières.
8. En revanche, l’Assemblée est profondément préoccupée par la
situation en Libye. L’absence d’un Etat qui fonctionne correctement
a grandement contribué à transformer la Libye, auparavant essentiellement
pays de destination de migration de travail, en pays de transit,
notamment pour ceux qui cherchent à rejoindre Malte et l’Italie.
Les migrants qui se trouvent en Libye sont désormais exposés à des
risques de graves violations des droits de l’homme et obligés d’affronter
des dangers mortels en tentant de traverser la mer Méditerranée, comme
en témoigne le nombre effroyable de victimes ces dernières années.
S’il est en soi une nécessité, un soutien politique fort accompagné
d’une solide assistance technique en faveur de l’instauration de
la paix en Libye et de sa transition ultérieure vers la démocratie,
dans le plein respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit,
servirait également les intérêts de la politique migratoire européenne.
Les opérations visant à empêcher les migrants et les réfugiés de
quitter la Libye risquent de mettre leurs vies et leur sécurité
en danger, et constituent une violation de leurs droits de l’homme.
L’Union européenne devrait plutôt mettre en place des filières légales
ainsi que des programmes de réinstallation juridiquement contraignants
destinés aux réfugiés.
9. L’Assemblée est également gravement préoccupée par la situation
qui règne en Méditerranée orientale, dans les Balkans occidentaux
et en Europe centrale. La réponse incohérente actuellement apportée
par l’Union européenne a des conséquences catastrophiques pour les
réfugiés en transit, ainsi que pour la Grèce et d’autres pays de
transit dans les Balkans occidentaux. La déclaration à l’issue du
Sommet informel de l’Union européenne le 23 septembre 2015, tout
en promettant un accroissement encourageant et nécessaire du soutien
aux pays de premier asile et de transit, et aux agences humanitaires,
s’est focalisée sur le maintien des réfugiés en dehors ou à la périphérie
de l’Union européenne. Au-delà, cependant, elle révèle une réticence à
accepter des responsabilités en matière de protection, en ne faisant
aucune mention de la réinstallation, et un manque de solidarité
dans le partage des charges entre les Etats. Cela laisse à penser
que, globalement, les actions entreprises demeureront inadéquates
et inefficaces. L’Assemblée rappelle que tous les Etats européens
sont juridiquement tenus de fournir une protection effective aux
personnes qui en ont besoin; ils ont en outre l’interdiction d’envoyer
ces personnes dans des pays où une telle protection n’est pas garantie.
Elle considère que, si des Etats s’isolent en érigeant des clôtures
et en instaurant des contrôles stricts aux frontières, cela aura
de graves conséquences géopolitiques pour l’intégration européenne
à plus large échelle.
10. Lorsque des migrants ou des réfugiés atteignent la frontière
d’un pays européen, les autorités doivent procéder à une évaluation
individuelle de leurs besoins de protection avant de décider de
leur interdire ou non l’entrée sur le territoire. Même en dehors
du territoire européen, lorsqu’une autorité nationale ou l’Agence européenne
pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) exerce
un contrôle des migrants et des réfugiés, il est obligatoire d’assurer
au besoin l’accès à une protection. Malheureusement, cette obligation
n’est pas toujours respectée. L’Assemblée est profondément préoccupée
par la persistance de signalements crédibles de cas de renvoi (push-backs) illégal et de violations
connexes des droits de l’homme, en dépit de l’arrêt rendu par la
Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hirsi Jamaa c. Italie. Elle s’inquiète
par ailleurs des modifications récemment apportées à la législation
espagnole, critiquées par le Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe, car visant à «légaliser le renvoi des migrants
qui arrivent à Ceuta et à Melilla [et à être] clairement en contradiction
avec les normes des droits de l’homme».
11. L’Assemblée recommande à l’Union européenne:
11.1. de veiller à la cohérence de
la politique migratoire dans son ensemble, en adoptant une approche «triangulaire»
qui associe à la fois les pays d’origine et ceux de transit, promeuve
et respecte les droits de l’homme et l’Etat de droit, et évite une
approche insistante et bornée du contrôle des frontières et de la
sécurité. Cette démarche devrait inclure des mesures visant:
11.1.1. à mettre en place un soutien substantiel, inconditionnel
et durable pour améliorer la protection des droits des migrants
dans les pays de transit;
11.1.2. à investir davantage dans les capacités d’accueil et de
traitement des demandes d’asile dans les pays de transit, et à promouvoir
et appuyer la mise en œuvre effective des normes internationales
comme la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés;
11.1.3. à revoir sa politique encourageant les pays de transit
à signer des accords de réadmission qui s’étendent aux ressortissants
de pays tiers;
11.1.4. à augmenter et à mieux cibler l’aide au développement
en faveur à la fois du développement économique et de la bonne gouvernance;
11.1.5. à développer davantage des initiatives comme les processus
de Rabat et de Khartoum, en garantissant que le respect des droits
de l’homme y est essentiel et que ce respect est une condition de
toute coopération en matière de contrôle des frontières;
11.2. d’inclure dans le Régime d’asile européen commun (RAEC)
des politiques de réinstallation et de relocalisation adéquates
et efficaces, accompagnées d’un mécanisme contraignant et prévoyant l’accueil
d’un nombre significatif de réfugiés;
11.3. de veiller à ce que tout système de «hotspots» pour l’accueil
et l’hébergement des demandeurs d’asile respecte pleinement toutes
les normes internationales pertinentes, y compris celles énoncées dans
la Convention européenne des droits de l’homme, et à ce qu’il fasse
l’objet d’un suivi externe indépendant;
11.4. d’admettre la responsabilité des violations des droits
de l’homme commises hors du territoire de l’Union européenne et
à ses frontières extérieures, y compris les renvois (push-backs), dès lors que Frontex
est impliquée, et de veiller à y mettre fin.
12. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à accepter l’idée que le défi
des arrivées en masse de réfugiés et de migrants est une question d’intérêt
commun qui exige la mise au point de réponses communes efficaces
et suffisantes;
12.2. à ne pas renvoyer des demandeurs d’asile au Liban, en
Jordanie, en Turquie, en Grèce, dans «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», en Serbie ou en Hongrie, ni dans tout autre pays
déjà soumis à une charge disproportionnée et/ou incapable de garantir
une protection en raison d’insuffisances concernant le niveau des
conditions d’accueil, des procédures d’asile ou d’autres domaines
pertinents;
12.3. à veiller à s’abstenir de tout renvoi (push-back) illégal de migrants,
que ce soit aux frontières terrestres ou maritimes, ou lors d’opérations
menées hors de leur territoire, comme exigé par la Convention européenne
des droits de l’homme;
12.4. à veiller à ce que leur coopération bilatérale avec les
pays tiers en matière de migration vise à promouvoir et à garantir
le respect des droits de l’homme, et à éviter de conclure des accords
relatifs au contrôle des frontières en l’absence de garantie du
respect plein et entier des droits de l’homme des migrants et des
réfugiés par le pays tiers.
13. L’Assemblée invite le Comité exécutif du Centre Nord-Sud,
qui a déjà conclu un accord de coopération avec la Commission européenne,
à étudier la possibilité d’étendre son rôle en renforçant les capacités
de dialogue entre les pays d’origine, de transit et de destination,
en s’appuyant sur l’expérience tirée de la conférence organisée
en collaboration avec l’Assemblée les 30 et 31 mars 2015 à Lagos
(Portugal). Elle prie instamment le comité exécutif de placer les
droits de l’homme au cœur de ce dialogue.