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Résolution 2073 (2015)

Pays de transit: relever les nouveaux défis de la migration et de l’asile

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (31e séance) (voir Doc. 13867 et addendum, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Tineke Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (31e séance).Voir également la Recommandation 2078 (2015).

1. On entend par «pays de transit» les pays traversés par les migrants au cours de leur voyage vers leur pays de destination. Au moment où ils entament leur périple, beaucoup de migrants n’ont cependant pas de destination précise. Une fois qu’ils ont quitté leur pays d’origine, leur décision de poursuivre leur chemin – et dans quelle direction – dépend souvent de plusieurs facteurs. Les pays confrontés à la migration de transit, quelle qu’en soit la forme, ne sont que rarement, sinon jamais, de simples «pays de transit»; beaucoup sont également des pays de destination et/ou d’asile.
2. Le concept de «pays de transit» joue néanmoins un rôle clé dans la politique européenne, faisant généralement référence aux pays voisins de l’Union européenne qui constituent la dernière étape des migrants avant de franchir les frontières extérieures de l’Union européenne. Toutefois, plusieurs Etats membres de l’Union européenne situés entre les frontières extérieures de l’Union européenne et les pays de destination finale préférés des migrants connaissent également des flux importants de migration de transit.
3. Si certaines mesures peuvent s’appliquer spécifiquement aux pays de transit, la politique migratoire devrait être considérée dans une perspective globale: tous les pays à partir desquels, à travers ou vers lesquels peuvent voyager des migrants doivent coopérer et coordonner leurs actions, avec le soutien et l’assistance d’acteurs internationaux comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Union européenne. En outre, les politiques doivent être axées sur la situation des individus dont les décisions et actions sous-tendent le phénomène migratoire. L’Assemblée parlementaire se félicite de la prise en compte accrue de cet impératif dans la politique de l’Union européenne, comme en témoignent l’Agenda européen en matière de migration de la Commission européenne et les conclusions du Conseil européen du 26 juin 2015. Elle estime que le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire de son Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud), pourrait contribuer à cet effet au renforcement des capacités de dialogue.
4. Les relations de l’Union européenne avec les pays de transit mettent en avant la politique migratoire, pouvant prendre la forme de «partenariats pour la mobilité», qui s’inscrivent dans le cadre de «l’approche globale de la question des migrations et de la mobilité» (AGMM) de l’Union européenne. Il en résulte une «externalisation» du contrôle des frontières, la responsabilité de la prévention des migrations irrégulières vers l’Europe étant transférée aux pays de transit. Ces derniers sont également invités à conclure des accords de réadmission, qui s’étendent aux ressortissants de pays tiers, même si les personnes concernées ne peuvent être renvoyées dans leur pays d’origine. Cette approche pose des problèmes au niveau de la situation socio-économique interne des pays de transit et met à rude épreuve leurs relations avec les pays voisins et les pays d’origine.
5. Mais, avant tout, l’externalisation du contrôle des frontières de l’Union européenne a des conséquences graves pour les migrants et les réfugiés. Un grand nombre d’entre eux risquent de ne pas pouvoir poursuivre le voyage qu’ils avaient prévu et d’être bloqués dans le pays de transit. Ils peuvent alors se retrouver en situation de précarité et de vulnérabilité, sans aucun statut juridique ou aucune protection, et dépourvus d’accès aux services essentiels, ce qui les expose à des risques d’exploitation, de mauvais traitements et de violence. C’est tout particulièrement vrai lorsque les systèmes juridiques internes ne contiennent pas de garanties suffisantes et ne mettent pas en œuvre de manière effective les normes internationales pertinentes, dont celles consacrées par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La situation peut devenir intolérable au point que même ceux qui n’en avaient pas l’intention sont contraints de partir et souvent forcés de s’en remettre à des passeurs ou à des trafiquants de migrants.
6. Les relations d’influence de l’Union européenne avec de nombreux pays de transit pourraient, cependant, ouvrir la voie à une coopération visant à définir une conception de la politique migratoire plus globale, davantage axée sur les droits et plus efficace. Par conséquent, l’Assemblée est d’avis que l’Union européenne devrait réfléchir de manière plus approfondie aux objectifs et à la structure de ses relations avec les pays de transit, en veillant à ce que cette coopération contribue à prévenir les violations des droits de l’homme et à ce qu’elle ne porte pas atteinte à ceux-ci.
7. S’agissant de la manière d’améliorer la situation des pays confrontés à des flux importants de migration de transit, l’Assemblée salue les récents développements en Turquie et au Maroc. Ces pays en sont à des stades différents d’introduction de nouvelles politiques, lois et institutions en matière de migration, et de développement de leur coopération avec les acteurs internationaux, notamment le HCR et l’OIM. Il y a cependant beaucoup à faire pour mettre en œuvre efficacement la législation et les politiques, dans le plein respect de la Convention relative au statut des réfugiés et, dans le cas de la Turquie, de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). L’Assemblée encourage les deux pays à mener à terme leurs réformes respectives et à garantir leur mise en œuvre effective, ce qui pourrait faire d’eux des modèles régionaux de bonne pratique. Elle invite également instamment la communauté internationale, en particulier le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, à encourager et soutenir davantage ce processus. Ces pays et l’Union européenne devraient s’abstenir de conclure des accords qui risquent d’avoir des effets contre-productifs, par exemple en insistant sur le renforcement unilatéral du contrôle des frontières.
8. En revanche, l’Assemblée est profondément préoccupée par la situation en Libye. L’absence d’un Etat qui fonctionne correctement a grandement contribué à transformer la Libye, auparavant essentiellement pays de destination de migration de travail, en pays de transit, notamment pour ceux qui cherchent à rejoindre Malte et l’Italie. Les migrants qui se trouvent en Libye sont désormais exposés à des risques de graves violations des droits de l’homme et obligés d’affronter des dangers mortels en tentant de traverser la mer Méditerranée, comme en témoigne le nombre effroyable de victimes ces dernières années. S’il est en soi une nécessité, un soutien politique fort accompagné d’une solide assistance technique en faveur de l’instauration de la paix en Libye et de sa transition ultérieure vers la démocratie, dans le plein respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit, servirait également les intérêts de la politique migratoire européenne. Les opérations visant à empêcher les migrants et les réfugiés de quitter la Libye risquent de mettre leurs vies et leur sécurité en danger, et constituent une violation de leurs droits de l’homme. L’Union européenne devrait plutôt mettre en place des filières légales ainsi que des programmes de réinstallation juridiquement contraignants destinés aux réfugiés.
9. L’Assemblée est également gravement préoccupée par la situation qui règne en Méditerranée orientale, dans les Balkans occidentaux et en Europe centrale. La réponse incohérente actuellement apportée par l’Union européenne a des conséquences catastrophiques pour les réfugiés en transit, ainsi que pour la Grèce et d’autres pays de transit dans les Balkans occidentaux. La déclaration à l’issue du Sommet informel de l’Union européenne le 23 septembre 2015, tout en promettant un accroissement encourageant et nécessaire du soutien aux pays de premier asile et de transit, et aux agences humanitaires, s’est focalisée sur le maintien des réfugiés en dehors ou à la périphérie de l’Union européenne. Au-delà, cependant, elle révèle une réticence à accepter des responsabilités en matière de protection, en ne faisant aucune mention de la réinstallation, et un manque de solidarité dans le partage des charges entre les Etats. Cela laisse à penser que, globalement, les actions entreprises demeureront inadéquates et inefficaces. L’Assemblée rappelle que tous les Etats européens sont juridiquement tenus de fournir une protection effective aux personnes qui en ont besoin; ils ont en outre l’interdiction d’envoyer ces personnes dans des pays où une telle protection n’est pas garantie. Elle considère que, si des Etats s’isolent en érigeant des clôtures et en instaurant des contrôles stricts aux frontières, cela aura de graves conséquences géopolitiques pour l’intégration européenne à plus large échelle.
10. Lorsque des migrants ou des réfugiés atteignent la frontière d’un pays européen, les autorités doivent procéder à une évaluation individuelle de leurs besoins de protection avant de décider de leur interdire ou non l’entrée sur le territoire. Même en dehors du territoire européen, lorsqu’une autorité nationale ou l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) exerce un contrôle des migrants et des réfugiés, il est obligatoire d’assurer au besoin l’accès à une protection. Malheureusement, cette obligation n’est pas toujours respectée. L’Assemblée est profondément préoccupée par la persistance de signalements crédibles de cas de renvoi (push-backs) illégal et de violations connexes des droits de l’homme, en dépit de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hirsi Jamaa c. Italie. Elle s’inquiète par ailleurs des modifications récemment apportées à la législation espagnole, critiquées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, car visant à «légaliser le renvoi des migrants qui arrivent à Ceuta et à Melilla [et à être] clairement en contradiction avec les normes des droits de l’homme».
11. L’Assemblée recommande à l’Union européenne:
11.1. de veiller à la cohérence de la politique migratoire dans son ensemble, en adoptant une approche «triangulaire» qui associe à la fois les pays d’origine et ceux de transit, promeuve et respecte les droits de l’homme et l’Etat de droit, et évite une approche insistante et bornée du contrôle des frontières et de la sécurité. Cette démarche devrait inclure des mesures visant:
11.1.1. à mettre en place un soutien substantiel, inconditionnel et durable pour améliorer la protection des droits des migrants dans les pays de transit;
11.1.2. à investir davantage dans les capacités d’accueil et de traitement des demandes d’asile dans les pays de transit, et à promouvoir et appuyer la mise en œuvre effective des normes internationales comme la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés;
11.1.3. à revoir sa politique encourageant les pays de transit à signer des accords de réadmission qui s’étendent aux ressortissants de pays tiers;
11.1.4. à augmenter et à mieux cibler l’aide au développement en faveur à la fois du développement économique et de la bonne gouvernance;
11.1.5. à développer davantage des initiatives comme les processus de Rabat et de Khartoum, en garantissant que le respect des droits de l’homme y est essentiel et que ce respect est une condition de toute coopération en matière de contrôle des frontières;
11.2. d’inclure dans le Régime d’asile européen commun (RAEC) des politiques de réinstallation et de relocalisation adéquates et efficaces, accompagnées d’un mécanisme contraignant et prévoyant l’accueil d’un nombre significatif de réfugiés;
11.3. de veiller à ce que tout système de «hotspots» pour l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile respecte pleinement toutes les normes internationales pertinentes, y compris celles énoncées dans la Convention européenne des droits de l’homme, et à ce qu’il fasse l’objet d’un suivi externe indépendant;
11.4. d’admettre la responsabilité des violations des droits de l’homme commises hors du territoire de l’Union européenne et à ses frontières extérieures, y compris les renvois (push-backs), dès lors que Frontex est impliquée, et de veiller à y mettre fin.
12. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à accepter l’idée que le défi des arrivées en masse de réfugiés et de migrants est une question d’intérêt commun qui exige la mise au point de réponses communes efficaces et suffisantes;
12.2. à ne pas renvoyer des demandeurs d’asile au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Grèce, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», en Serbie ou en Hongrie, ni dans tout autre pays déjà soumis à une charge disproportionnée et/ou incapable de garantir une protection en raison d’insuffisances concernant le niveau des conditions d’accueil, des procédures d’asile ou d’autres domaines pertinents;
12.3. à veiller à s’abstenir de tout renvoi (push-back) illégal de migrants, que ce soit aux frontières terrestres ou maritimes, ou lors d’opérations menées hors de leur territoire, comme exigé par la Convention européenne des droits de l’homme;
12.4. à veiller à ce que leur coopération bilatérale avec les pays tiers en matière de migration vise à promouvoir et à garantir le respect des droits de l’homme, et à éviter de conclure des accords relatifs au contrôle des frontières en l’absence de garantie du respect plein et entier des droits de l’homme des migrants et des réfugiés par le pays tiers.
13. L’Assemblée invite le Comité exécutif du Centre Nord-Sud, qui a déjà conclu un accord de coopération avec la Commission européenne, à étudier la possibilité d’étendre son rôle en renforçant les capacités de dialogue entre les pays d’origine, de transit et de destination, en s’appuyant sur l’expérience tirée de la conférence organisée en collaboration avec l’Assemblée les 30 et 31 mars 2015 à Lagos (Portugal). Elle prie instamment le comité exécutif de placer les droits de l’homme au cœur de ce dialogue.