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Résolution 2082 (2015)

Le sort des détenus gravement malades en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 27 novembre 2015 (voir Doc. 13919, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Andreas Gross; et Doc. 13924, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Stefan Schennach).Voir également la Recommandation 2082 (2015).

1. L’Assemblée parlementaire estime que nul ne devrait mourir en détention. Tous les Etats membres devraient veiller à accorder à chaque détenu la dignité humaine élémentaire de pouvoir mourir hors de prison.
2. Dans cet état d’esprit, l’Assemblée est préoccupée par les obstacles juridiques et pratiques à l’accès des détenus à des soins médicaux vitaux et à la libération pour des motifs de compassion des détenus âgés ou malades en phase terminale.
3. Bien que les normes internationales prévoient qu’un détenu doit jouir d’un droit d’accès aux soins médicaux comme tout autre membre de la société, l’Assemblée est préoccupée par le fait que le système des soins médicaux en milieu carcéral n’offre pas toujours un accès en temps utile à un traitement médical vital, en particulier pour les détenus gravement malades.
4. Les obstacles pratiques, comme l’indisponibilité d’un personnel médical formé, le manque de communication rapide et efficace entre le personnel pénitentiaire et le personnel médical, le fait de ne pas transférer les détenus dans un hôpital public et l’application d’une contention disproportionnée aux détenus, entravent la capacité d’un détenu à recevoir des soins médicaux adéquats, surtout lorsque son état de santé est si grave qu’il doit se faire soigner dans un hôpital extérieur à son lieu de détention.
5. L’Assemblée s’inquiète également des informations qui font état de l’utilisation inappropriée de menottes sur des détenus immobiles, dans le coma, mourants, voire décédés, ce qui met en lumière les pratiques alarmantes de certains Etats membres qui recourent avec insistance à des moyens de contention, même lorsqu’il est évident qu’un détenu est physiquement incapable de s’évader ou de blesser les personnes qui l’entourent.
6. L’Assemblée est également préoccupée par les pratiques restrictives à l’octroi d’une libération pour des motifs de compassion. Ces pratiques reposent bien souvent sur des critères incertains et subjectifs ou sur des recommandations de professionnels de santé qui ne sont pas indépendants du système carcéral ou du pouvoir exécutif. En outre, la décision finale est parfois prise par un fonctionnaire, sans possibilité de contrôle juridictionnel.
7. La tendance au vieillissement de la société se retrouve dans la population carcérale. Comme la population des détenus vieillit, les besoins en soins médicaux adéquats et la libération anticipée pour des motifs de compassion deviennent vitaux pour des raisons humanitaires.
8. Les personnes en détention ont tendance à vieillir prématurément et sont souvent sujettes à davantage de problèmes de santé que les personnes en liberté. Les besoins en équipements gériatriques adaptés qui en découlent dans les centres de détention devraient être pris en compte lors de la construction et de la rénovation des locaux.
9. Les carences en programmes de soins de fin de vie ou en soins palliatifs dans de nombreux centres de détention, ou leur mauvais usage ou mise en œuvre insuffisante lorsqu’ils existent, conduisent à des situations dans lesquelles les détenus meurent privés de dignité et dans la douleur, bien souvent dans une cellule ou un hôpital pénitentiaire et sans la présence de leur famille ou de leurs amis.
10. L’Assemblée exhorte par conséquent les Etats membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à mettre leur législation et leur pratique en conformité avec les normes internationales qui garantissent le droit à l’égalité d’accès aux soins de santé pour les détenus;
10.2. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux détenus gravement malades de déposer une demande de libération provisoire pour des motifs de compassion, afin de recevoir des soins médicaux spécialisés, dont l’approbation ou la non-approbation soit soumise au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.3. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux détenus âgés ou malades en phase terminale de déposer une demande de libération permanente pour des motifs de compassion, afin de pouvoir mourir dans la dignité, dont l’approbation ou la non-approbation soit soumise au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.4. à veiller à ce que les autorités compétentes:
10.4.1. autorisent le traitement d’un détenu malade et assurent efficacement son transport lorsque l’état de l’intéressé exige des soins médicaux particuliers dans un établissement extérieur, y compris en cas d’accouchement;
10.4.2. procèdent à une évaluation des risques pour déterminer le niveau nécessaire de contention, le cas échéant, lorsque l’état d’un détenu exige son traitement dans un établissement extérieur, en tenant compte avant tout de l’état de santé du détenu et de son évolution;
10.4.3. accélèrent leur prise de décision lorsqu’elles sont saisies de demandes de libération provisoire ou permanente pour des motifs de compassion, en gardant à l’esprit l’urgence médicale de la situation;
10.4.4. mettent en place des programmes de soins gériatriques, palliatifs et de fin de vie qui satisfassent aux besoins particuliers d’une population de détenus âgés, de détenus malades en phase terminale et de détenus gravement malades, de manière à offrir au détenu l’environnement le plus humain et le plus confortable possible jusqu’à sa libération.
11. Outre ce qui précède, l’Assemblée invite:
11.1. la Turquie:
11.1.1. à adopter une politique nationale qui prévoie que le recours à la contention appliquée aux détenus en milieu médical doit être exceptionnel et toujours proportionné au risque que l’intéressé peut réellement représenter pour la sécurité;
11.1.2. à attribuer la compétence du transport des détenus vers des hôpitaux extérieurs à un organe autre que la gendarmerie et à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir la dignité du détenu avant et pendant ces transferts, notamment en s’assurant qu’ils ont lieu sans retard excessif ou arbitraire et en évitant tout mauvais traitement des détenus au cours de ces transferts;
11.1.3. à modifier sa législation relative à la suspension des peines d’emprisonnement pour raisons médicales, de manière à garantir:
11.1.3.1. que les décisions d’octroi ou d’annulation de la suspension d’une peine d’emprisonnement sont prises par une autorité indépendante prévue par la loi, autre que le ministère public, afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts ou de partialité politique;
11.1.3.2. que la recevabilité d’une demande de libération pour des motifs de compassion est évaluée sur la base de rapports médicaux établis par des médecins indépendants de l’administration pénitentiaire et du pouvoir exécutif;
11.1.3.3. que le critère de recevabilité en vertu duquel la personne à libérer ne représente pas une menace pour la sécurité publique n’est pas appliqué de manière discriminatoire, afin que tous les détenus qui réunissent les conditions d’une libération pour raisons médicales soient libérés, tout en imposant toutes les conditions qui peuvent s’avérer nécessaires pour éviter une récidive;
11.1.3.4. que la législation et la pratique nationales sont conformes avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux peines de réclusion à perpétuité, en offrant aux détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité aggravée la possibilité de demander une libération conditionnelle, ainsi qu’une suspension de peine pour raisons médicales;
11.2. la Roumanie:
11.2.1. à augmenter les effectifs du personnel médical dans les lieux de détention, notamment en incitant le personnel médical qualifié à travailler dans les établissements pénitentiaires;
11.2.2. à augmenter significativement la ration alimentaire quotidienne des détenus et à veiller à ce que des aliments nutritifs leur soient fournis;
11.2.3. à redoubler d’efforts pour lutter contre la surpopulation carcérale et à garantir des conditions de détention qui favorisent la bonne santé des détenus et leur rétablissement après une maladie;
11.3. le Monténégro à continuer à augmenter les effectifs du personnel médical dans ses établissements pénitentiaires et à renforcer la coopération avec les services médicaux extérieurs au système carcéral, surtout pour les soins psychologiques et le traitement des troubles mentaux.
12. Enfin, l’Assemblée observe que la situation des personnes placées en détention qui présentent de graves handicaps suscite des préoccupations similaires à celles qui ont été exposées plus haut, et estime qu’il convient de les examiner de manière distincte.