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Résolution 2082 (2015)
Le sort des détenus gravement malades en Europe
1. L’Assemblée parlementaire estime
que nul ne devrait mourir en détention. Tous les Etats membres devraient
veiller à accorder à chaque détenu la dignité humaine élémentaire
de pouvoir mourir hors de prison.
2. Dans cet état d’esprit, l’Assemblée est préoccupée par les
obstacles juridiques et pratiques à l’accès des détenus à des soins
médicaux vitaux et à la libération pour des motifs de compassion
des détenus âgés ou malades en phase terminale.
3. Bien que les normes internationales prévoient qu’un détenu
doit jouir d’un droit d’accès aux soins médicaux comme tout autre
membre de la société, l’Assemblée est préoccupée par le fait que
le système des soins médicaux en milieu carcéral n’offre pas toujours
un accès en temps utile à un traitement médical vital, en particulier
pour les détenus gravement malades.
4. Les obstacles pratiques, comme l’indisponibilité d’un personnel
médical formé, le manque de communication rapide et efficace entre
le personnel pénitentiaire et le personnel médical, le fait de ne
pas transférer les détenus dans un hôpital public et l’application
d’une contention disproportionnée aux détenus, entravent la capacité
d’un détenu à recevoir des soins médicaux adéquats, surtout lorsque
son état de santé est si grave qu’il doit se faire soigner dans
un hôpital extérieur à son lieu de détention.
5. L’Assemblée s’inquiète également des informations qui font
état de l’utilisation inappropriée de menottes sur des détenus immobiles,
dans le coma, mourants, voire décédés, ce qui met en lumière les
pratiques alarmantes de certains Etats membres qui recourent avec
insistance à des moyens de contention, même lorsqu’il est évident
qu’un détenu est physiquement incapable de s’évader ou de blesser
les personnes qui l’entourent.
6. L’Assemblée est également préoccupée par les pratiques restrictives
à l’octroi d’une libération pour des motifs de compassion. Ces pratiques
reposent bien souvent sur des critères incertains et subjectifs
ou sur des recommandations de professionnels de santé qui ne sont
pas indépendants du système carcéral ou du pouvoir exécutif. En
outre, la décision finale est parfois prise par un fonctionnaire,
sans possibilité de contrôle juridictionnel.
7. La tendance au vieillissement de la société se retrouve dans
la population carcérale. Comme la population des détenus vieillit,
les besoins en soins médicaux adéquats et la libération anticipée
pour des motifs de compassion deviennent vitaux pour des raisons
humanitaires.
8. Les personnes en détention ont tendance à vieillir prématurément
et sont souvent sujettes à davantage de problèmes de santé que les
personnes en liberté. Les besoins en équipements gériatriques adaptés
qui en découlent dans les centres de détention devraient être pris
en compte lors de la construction et de la rénovation des locaux.
9. Les carences en programmes de soins de fin de vie ou en soins
palliatifs dans de nombreux centres de détention, ou leur mauvais
usage ou mise en œuvre insuffisante lorsqu’ils existent, conduisent
à des situations dans lesquelles les détenus meurent privés de dignité
et dans la douleur, bien souvent dans une cellule ou un hôpital
pénitentiaire et sans la présence de leur famille ou de leurs amis.
10. L’Assemblée exhorte par conséquent les Etats membres du Conseil
de l’Europe:
10.1. à mettre leur
législation et leur pratique en conformité avec les normes internationales
qui garantissent le droit à l’égalité d’accès aux soins de santé
pour les détenus;
10.2. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux
détenus gravement malades de déposer une demande de libération provisoire
pour des motifs de compassion, afin de recevoir des soins médicaux
spécialisés, dont l’approbation ou la non-approbation soit soumise
au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.3. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux
détenus âgés ou malades en phase terminale de déposer une demande
de libération permanente pour des motifs de compassion, afin de pouvoir
mourir dans la dignité, dont l’approbation ou la non-approbation
soit soumise au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.4. à veiller à ce que les autorités compétentes:
10.4.1. autorisent
le traitement d’un détenu malade et assurent efficacement son transport lorsque
l’état de l’intéressé exige des soins médicaux particuliers dans
un établissement extérieur, y compris en cas d’accouchement;
10.4.2. procèdent à une évaluation des risques pour déterminer
le niveau nécessaire de contention, le cas échéant, lorsque l’état
d’un détenu exige son traitement dans un établissement extérieur,
en tenant compte avant tout de l’état de santé du détenu et de son
évolution;
10.4.3. accélèrent leur prise de décision lorsqu’elles sont saisies
de demandes de libération provisoire ou permanente pour des motifs
de compassion, en gardant à l’esprit l’urgence médicale de la situation;
10.4.4. mettent en place des programmes de soins gériatriques,
palliatifs et de fin de vie qui satisfassent aux besoins particuliers
d’une population de détenus âgés, de détenus malades en phase terminale
et de détenus gravement malades, de manière à offrir au détenu l’environnement
le plus humain et le plus confortable possible jusqu’à sa libération.
11. Outre ce qui précède, l’Assemblée invite:
11.1. la Turquie:
11.1.1. à
adopter une politique nationale qui prévoie que le recours à la
contention appliquée aux détenus en milieu médical doit être exceptionnel
et toujours proportionné au risque que l’intéressé peut réellement
représenter pour la sécurité;
11.1.2. à attribuer la compétence du transport des détenus vers
des hôpitaux extérieurs à un organe autre que la gendarmerie et
à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir la dignité
du détenu avant et pendant ces transferts, notamment en s’assurant
qu’ils ont lieu sans retard excessif ou arbitraire et en évitant
tout mauvais traitement des détenus au cours de ces transferts;
11.1.3. à modifier sa législation relative à la suspension des
peines d’emprisonnement pour raisons médicales, de manière à garantir:
11.1.3.1. que les décisions d’octroi ou d’annulation de la suspension
d’une peine d’emprisonnement sont prises par une autorité indépendante
prévue par la loi, autre que le ministère public, afin d’éviter
tout risque de conflit d’intérêts ou de partialité politique;
11.1.3.2. que la recevabilité d’une demande de libération pour des
motifs de compassion est évaluée sur la base de rapports médicaux
établis par des médecins indépendants de l’administration pénitentiaire
et du pouvoir exécutif;
11.1.3.3. que le critère de recevabilité en vertu duquel la personne
à libérer ne représente pas une menace pour la sécurité publique
n’est pas appliqué de manière discriminatoire, afin que tous les
détenus qui réunissent les conditions d’une libération pour raisons
médicales soient libérés, tout en imposant toutes les conditions
qui peuvent s’avérer nécessaires pour éviter une récidive;
11.1.3.4. que la législation et la pratique nationales sont conformes
avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
relative aux peines de réclusion à perpétuité, en offrant aux détenus
qui purgent une peine de réclusion à perpétuité aggravée la possibilité
de demander une libération conditionnelle, ainsi qu’une suspension
de peine pour raisons médicales;
11.2. la Roumanie:
11.2.1. à augmenter les effectifs
du personnel médical dans les lieux de détention, notamment en incitant
le personnel médical qualifié à travailler dans les établissements
pénitentiaires;
11.2.2. à augmenter significativement la ration alimentaire quotidienne
des détenus et à veiller à ce que des aliments nutritifs leur soient
fournis;
11.2.3. à redoubler d’efforts pour lutter contre la surpopulation
carcérale et à garantir des conditions de détention qui favorisent
la bonne santé des détenus et leur rétablissement après une maladie;
11.3. le Monténégro à continuer à augmenter les effectifs du
personnel médical dans ses établissements pénitentiaires et à renforcer
la coopération avec les services médicaux extérieurs au système
carcéral, surtout pour les soins psychologiques et le traitement
des troubles mentaux.
12. Enfin, l’Assemblée observe que la situation des personnes
placées en détention qui présentent de graves handicaps suscite
des préoccupations similaires à celles qui ont été exposées plus
haut, et estime qu’il convient de les examiner de manière distincte.