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Avis de commission | Doc. 13955 | 25 janvier 2016

Demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de Jordanie

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Jordi XUCLÀ, Espagne, ADLE

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 3990 du 30 septembre 2013. Commission chargée du rapport: commission des questions politiques et de la démocratie. Voir D oc. 13936. Avis approuvé par la commission le 25 janvier 2016. 2016 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme félicite la rapporteure de la commission des questions politiques et de la démocratie, Mme Josette Durrieu, de son rapport complet et souscrit au projet de résolution proposé. La décision d’octroyer le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de Jordanie représente la première étape d’une coopération renforcée entre l’Assemblée parlementaire et le Parlement jordanien sur les questions relatives à la démocratie, à l’Etat de droit et aux droits de l’homme.
2. Tout en considérant que les recommandations formulées dans le projet de résolution présentent un caractère adéquat et une portée étendue, la commission souhaite proposer quelques amendements, qui visent à renforcer encore le projet de résolution, en accentuant légèrement la spécificité de quatre recommandations.

B. Amendements proposés

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Dans le paragraphe 9.6, ajouter après le mot «appliquer», les mots «de manière constante».

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le paragraphe 9.7, remplacer «, en particulier, revoir la loi de 1954 sur la prévention de la criminalité en vue d’empêcher toute utilisation abusive de la détention administrative » par «faire un premier pas vers l’abolition de la pratique de la détention administrative».

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le paragraphe 9.9, insérer, au début du paragraphe, les mots «redoubler d’efforts pour réduire le nombre de personnes placées en détention provisoire et».

Amendement D (au projet de résolution)

Dans le paragraphe 9.10, insérer au début du paragraphe «à veiller à ce que la torture soit clairement interdite par la législation et soit considérée comme un crime grave passible de peines conformes aux normes internationales;».

C. Exposé des motifs par M. Xuclà, rapporteur pour avis

(open)
1. Je ne peux que féliciter Mme Durrieu de son rapport, qui fait le bilan de la situation institutionnelle et politique en Jordanie, ainsi que des réformes les plus récentes menées dans ce pays. J’aimerais cependant proposer quelques amendements au projet de résolution, pour le compléter dans le sens d’une mise en conformité de la Jordanie avec les droits de l’homme et les libertés fondamentales, et formuler quelques observations générales sur la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique.
2. Bien que la liberté d’expression soit garantie par la Constitution, les autorités continuent à imposer des restrictions dans ce domaine, en engageant des poursuites pour des chefs d’accusation tels que «l’outrage à une instance officielle» 
			(1) 
			Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/sites/default/files/wr2015_web.pdf'>Human
Rights Watch World Report 2015: Jordan</a>, p. 319.. La liberté d’expression est également limitée par l’article 118 du Code pénal jordanien, qui prévoit une peine minimale de cinq ans d’emprisonnement encourue par toute personne qui, «sans l’autorisation du gouvernement, commet un acte ou rédige des écrits qui exposent le royaume à un risque d’actes hostiles, nuisent à ses relations avec un pays étranger ou exposent les Jordaniens à des actes de représailles dont eux-mêmes ou leurs avoirs sont la cible» 
			(2) 
			Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2015/09/13/jordan-strengthen-penal-code-overhaul'>Jordan:
Strengthen Penal Code Overhaul</a>, 13 septembre 2015.. Un journaliste jordanien a ainsi été accusé d’avoir nui aux relations du royaume avec des Etats étrangers; il a été arrêté le 23 avril 2015, après avoir publié un article qui critiquait l’opération «Tempête décisive», une campagne de bombardements lancée par une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite, dont fait partie la Jordanie, contre les forces houthies au Yémen 
			(3) 
			Committee
to Protect Journalists (CPJ), <a href='https://cpj.org/2015/04/jordan-jails-journalist-for-criticizing-saudi-camp.php'>Jordan
jails journalist for criticizing Saudi campaign in Yemen</a>, 27 avril 2015.. Un autre journaliste a été condamné à 15 jours d’emprisonnement pour avoir «exposé le royaume à un risque d’actes hostiles», après avoir été accusé d’avoir enfreint une récente interdiction de procéder à la couverture médiatique d’un complot terroriste 
			(4) 
			Committee
to Protect Journalists (CPJ), Jordanian court orders arrest of journalist
over terrorism reporting, 9 juillet 2015..
3. La loi jordanienne relative à la lutte contre le terrorisme 
			(5) 
			Loi no 55
de 2006., qui a été modifiée en juin 2014 pour étendre la définition du terrorisme aux actes non violents, est particulièrement préoccupante. Elle impose de nouvelles restrictions à la liberté d’expression, en assimilant au terrorisme les actes réputés nuire aux relations étrangères de la Jordanie, notamment le fait de critiquer les dirigeants étrangers et la diffusion de certaines idées. De tels actes ne devraient pas être qualifiés de crimes terroristes, comme l’a souligné le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste dans son rapport de 2009 publié à la suite de sa mission en Egypte: «Il convient de limiter exclusivement la définition des crimes terroristes aux activités qui impliquent ou sont directement liées à un recours à des actes de violence meurtriers ou graves à l’encontre de civils 
			(6) 
			Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies (A/HRC/13/37/Add.2), Rapport de Martin
Scheinin, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des
droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste
– Mission en Egypte, 14 octobre 2009, paragraphe 50.
4. Une réforme positive pour la liberté de réunion pacifique a été effectuée en 2011, par la modification de la loi jordanienne relative aux rassemblements publics, qui ne soumet plus la tenue de réunions ou de rassemblements publics à une autorisation administrative. Toutefois, le droit à la liberté de réunion pacifique reste menacé. Selon Human Rights Watch, les autorités ont par exemple négligé «d’enquêter sur des allégations crédibles de recours excessif à la force par les forces de police à l’occasion de la dispersion de manifestations». Le 19 mars 2014, lors de manifestations organisées près de l’ambassade d’Israël à Amman pour demander l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël en raison des frappes israéliennes sur Gaza, huit journalistes ont affirmé avoir été frappés par la police alors qu’ils couvraient cet événement 
			(7) 
			Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2014/04/01/jordan-investigate-police-violence-against-protesters'>Investigate
police violence against protesters</a>, 1er avril 2014..

1. Amendement A (au projet de résolution)

Note explicative:

Comme l’indique le rapport de Mme Durrieu, le moratoire de fait sur les exécutions a pris fin en décembre 2014 avec l’exécution de 11 personnes, puis de deux personnes supplémentaires en février 2015. En novembre 2014, la fin du moratoire de fait était déjà en germe, puisqu’un groupe d’experts avait été constitué par le cabinet ministériel en vue de reprendre les exécutions, au motif que les crimes commis dans le pays seraient en augmentation 
			(8) 
			The
Jordan Times, Panel to examine whether to reinstate executions,
9 novembre 2014.. En 2007, 2008, 2010, 2012 et 2014, la Jordanie s’était abstenue à plusieurs reprises de se prononcer au moment du vote sur une résolution des Nations Unies relative à un moratoire sur le recours à la peine de mort 
			(9) 
			<a href='http://www.un.org/en/ga/third/69/docs/voting_sheets/L51.Rev1.pdf'>Vote
on the UN Moratorium on the use of the death penalty</a>, A/C.3/69/L.51/Rev.1.. Tout en reconnaissant la situation délicate dans laquelle se trouve la Jordanie, dans une région en proie au terrorisme et à d’autres formes de violence, l’Assemblée a souligné à de multiples occasions, en se fondant sur l’expérience concrète acquise par de nombreux pays, que la peine de mort ne renforce pas la sécurité. La peine de mort n’a aucun effet dissuasif sur les criminels les plus dangereux, qui sont convaincus de n’être pas découverts, ni sur les terroristes, qui sont pour une bonne part de toutes façons prêts à mourir pour leur cause. C’est pourquoi j’aimerais encourager la Jordanie à rétablir un véritable moratoire effectif.

2. Amendement B (au projet de résolution)

Note explicative:

La loi de 1954 relative à la prévention de la criminalité autorise le recours à la détention administrative. Ce texte permet au gouverneur d’une province de placer en détention «les personnes qui seraient sur le point de commettre un crime ou d'aider à le perpétrer, ont l’habitude de commettre des vols, de protéger des voleurs ou de receler des biens volés et toute personne qui, en liberté, constituerait un “danger pour autrui”» 
			(10) 
			Human Rights Watch,
Guests of the Governor – Administrative detention undermines the
Rule of Law in Jordan, mai 2009.. Cette dernière catégorie a également été utilisée jusqu’à récemment pour protéger les femmes qui risquaient d’être victimes de violences domestiques. Selon le Centre national des droits de l'homme de Jordanie, 12 766 personnes étaient placées en détention administrative en 2013, parfois pour une période de plus de trois ans 
			(11) 
			Département d'Etat
des Etats-Unis – Bureau de la démocratie, des droits de l'homme
et du travail, Jordan 2014 Human rights report, p. 8..

Après examen du troisième rapport périodique de la Jordanie en novembre 2015, le Comité des Nations Unies contre la torture a appelé les autorités jordaniennes, dans ses observations finales, à «abolir la pratique de la détention administrative, y compris et en particulier le placement en détention des femmes et des jeunes filles victimes de violences pour assurer leur protection et des travailleurs migrants qui fuient leur employeur au comportement abusif» 
			(12) 
			Comité
des Nations Unies contre la torture, Concluding observations on
the third periodic report of Jordan (version provisoire), CAT/C/JOR/CO/3,
paragraphe 22.. Cet amendement est conforme au paragraphe 9.11 du projet de résolution, qui appelle à la mise en œuvre effective des instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, car il renforce la recommandation adressée récemment par le Comité des Nations Unies contre la torture. L’amendement serait par ailleurs conforme aux travaux actuels de l’Assemblée sur la question de la détention administrative en général 
			(13) 
			Proposition de résolution, Doc. 12998..

La pratique de la détention administrative est uniquement autorisée par le droit international des droits de l’homme dans des cas extrêmement limités. La détention administrative telle qu’y recourt la Jordanie porte atteinte à l’Etat de droit en refusant aux personnes détenues un accès à la justice et en conférant aux gouverneurs des pouvoirs qui devraient relever de la compétence du pouvoir judiciaire. C’est la raison pour laquelle je recommande vivement d’abolir la pratique de la détention administrative telle que l’utilise actuellement la Jordanie.

3. Amendement C (au projet de résolution)

Note explicative:

Cet amendement fait écho aux recommandations formulées en octobre 2015 par l’Assemblée dans sa Résolution 2077 (2015) sur l'abus de la détention provisoire dans les Etats parties à la Convention européenne des droits de l'homme.

En septembre 2013, selon les informations données par l’administration pénitentiaire, plus de 40 % des personnes détenues étaient placés en détention provisoire 
			(14) 
			Département
d'Etat des États-Unis – Bureau de la démocratie, des droits de l'homme
et du travail, Jordan 2014 Human rights report, paragraphe 7.. L’important retard dans les affaires à traiter et le manque d’efficacité de la justice contribuent à créer cette situation de détention provisoire excessivement longue. En principe, «[l]a législation impose à la police de notifier une arrestation aux autorités dans un délai de 24 heures et aux autorités d’engager des poursuites officielles dans un délai de 15 jours à compter de l’arrestation» 
			(15) 
			Ibid.,
paragraphe 7.. Il est cependant courant que les juges accordent un délai supplémentaire au procureur pour engager ces poursuites (jusqu’à six mois en cas de crime et deux mois en cas de délit). Selon une étude réalisée en 2012 par le Centre d’aide juridictionnelle de la justice, 35 % des prévenus ont été par la suite acquittés et 20 % ont été détenus pendant une durée supérieure à celle de la peine d’emprisonnement à laquelle ils ont finalement été condamnés 
			(16) 
			Ibid., paragraphe 8.. Je considère, au vu de ces chiffres alarmants, que la question de la détention provisoire devrait être traitée d’urgence par les autorités jordaniennes.

4. Amendement D (au projet de résolution)

Note explicative:

A l’heure actuelle, la torture n’est pas considérée comme un crime en Jordanie, mais comme un délit, et n’est pas passible de peines conformes aux normes internationales. Dans ses observations finales, le Comité des Nations Unies contre la torture a invité instamment la Jordanie à «adopter une définition de la torture qui prenne en compte l’ensemble des éléments énoncés à l’article 1er de la Convention et à veiller à ce que la torture soit considérée comme un crime et les peines encourues soient proportionnées à la gravité de ce crime». Le Comité recommande par ailleurs que le champ d’application de cette définition englobe «toute personne qui commet un acte de torture ou une tentative d’acte de torture, en est l’instigatrice, y consent ou donne son assentiment à la commission de tels actes» 
			(17) 
			Comité des Nations
Unies contre la torture, Concluding observations on the third periodic
report of Jordan (version provisoire), CAT/C/JOR/CO/3, paragraphe
10..

Selon le rapport 2015 de Human Rights Watch, les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements jouissent d’une impunité presque totale 
			(18) 
			Human Rights
Watch, <a href='https://www.hrw.org/sites/default/files/wr2015_web.pdf'>Human
Rights Watch World Report 2015: Jordan</a>, p. 323. . Le tribunal spécial de police, qui traite de toutes les plaintes déposées au sujet des actes répréhensibles et des allégations de torture et autres mauvais traitements commis par les forces de police, n’a jamais condamné quiconque pour torture 
			(19) 
			Dignity
– Institut danois de lutte contre la torture, <a href='https://www.dignityinstitute.org/news-and-events/news/2015/torture-is-now-being-debated-in-jordan/'>Torture
is now being debated in Jordan</a>, 23 octobre 2015.. Certains changements positifs ont été signalés au sujet de l’attitude adoptée vis-à-vis de la torture et du tabou qu’elle représente depuis le début du programme Karama en 2008. Ce programme, qui est notamment géré par le Centre national des droits de l’homme et le ministère jordanien de la Justice, avec l’aide technique de l’Institut danois des droits de l’homme Dignity, vise à supprimer le recours à la torture et aux autres formes de mauvais traitements 
			(20) 
			Dignity
– Institut danois de lutte contre la torture, <a href='https://www.dignityinstitute.org/news-and-events/news/2015/torture-is-now-being-debated-in-jordan/'>Torture
is now being debated in Jordan</a>, 23 octobre 2015. Karama signifie «dignité» en arabe. .

Il est régulièrement fait état d’allégations d’actes de torture liés aux activités de lutte contre le terrorisme. Ainsi, en novembre 2015, Amnesty International et Human Rights Watch ont appelé le Gouvernement jordanien à enquêter sur le fait qu’Amer Jamil Jubran, jordanien d’origine palestinienne, aurait fait des aveux sous la torture et les mauvais traitements. En mai 2014, il avait été arrêté, placé en détention à l’isolement pendant 56 jours et aurait été torturé au quartier général du Service des renseignements généraux (GID). Après ses «aveux», il a été accusé d’une série d’infractions liées au terrorisme, notamment d’avoir commis «des actes risquant de nuire aux relations avec un gouvernement étranger». Le 29 juillet 2015, il a été condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement 
			(21) 
			Human Rights Watch,
Jordan: Investigate Alleged Torture, 3 novembre 2015.. La Cour européenne des droits de l’homme considère le fait d’être jugé sur la base «d’aveux» obtenus sous la torture comme un déni de justice flagrant. Dans l’affaire Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, elle a conclu que le Royaume-Uni ne pouvait extrader Omar Othman (un prédicateur extrémiste lié à Al Qaïda) vers la Jordanie parce que les éléments de preuve obtenus sous la torture infligée à d’autres personnes seraient admis et utilisés contre Othman 
			(22) 
			Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni,
Requête no 8139/09, arrêt du 9 mai 2012.