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Résolution 2091 (2016)

Les combattants étrangers en Syrie et en Irak

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2016 (6e séance) (voir Doc. 13937, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Dirk Van der Maelen; Doc. 13959, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Pieter Omtzigt). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2016 (6e séance).Voir également la Recommandation 2084 (2016).

1. Ces dernières années, le phénomène des «combattants étrangers» – des individus qui, principalement motivés par l’idéologie, la religion et/ou la parenté, quittent leur pays d’origine ou de résidence habituelle pour rejoindre un groupe engagé dans un conflit armé – s’est développé dans le monde entier ou presque, devenant un problème mondial majeur pour la communauté internationale.
2. L’Assemblée parlementaire condamne de la manière la plus ferme qui soit les récents attentats terroristes qui ont coûté la vie à des centaines de citoyens de la Turquie, de la Fédération de Russie, du Liban, de la France, de la Tunisie et de nombreux autres pays, et réaffirme sa position de principe en faveur de la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes et où qu’il se manifeste. Elle relève avec une grande inquiétude que nombre de ces attentats terroristes récents sont revendiqués et peuvent être attribués à des individus agissant au nom de l’entité terroriste autoproclamée «Etat islamique» (Daech) et qui ont commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international. Il importe que les Etats agissent en vertu de la présomption que Daech commet un génocide et qu’ils aient conscience du fait que cette situation impose d’agir au titre de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
3. Dans ce contexte, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par le flux croissant de combattants étrangers – des hommes et des femmes de toute l’Europe – qui se rendent en Syrie et en Irak pour rejoindre Daech et d’autres groupes extrémistes violents qui rejettent et attaquent ouvertement les valeurs fondamentales universelles, et commettent des crimes odieux à la fois contre des citoyens européens et contre la population locale des pays où ils vont faire le «djihad». L’Assemblée rappelle que le droit international impose aux Etats l’obligation positive de prévenir tout génocide et, par conséquent, de faire tout leur possible pour empêcher leurs propres ressortissants de prendre part à de tels actes.
4. Par conséquent, l’Assemblée estime qu’il est capital de sensibiliser l’opinion publique au phénomène des combattants étrangers, de le comprendre et de s’y attaquer, y compris les problèmes liés au retour des combattants étrangers dans leur pays d’origine, qui constitue une menace majeure et croissante pour la sécurité nationale et internationale. Il importe de n’octroyer en aucun cas le statut de réfugié aux combattants qui peuvent avoir perpétré des actes de génocide et/ou d’autres crimes graves interdits par le droit international, et qui cherchent à obtenir une protection internationale à leur retour en Europe.
5. Cette menace revêt un degré d’urgence encore plus grand au regard des attentats sanglants de Paris en novembre 2015, ainsi que des divers attentats terroristes antérieurs dont la plupart des auteurs sont liés à Daech et ont combattu en Syrie ou en Irak, selon les indications fiables dont on dispose. Cette menace doit aussi être analysée dans le contexte de l’afflux sans précédent de réfugiés et de migrants en Europe.
6. Outre les menaces directes à la sécurité que représentent notamment les attentats terroristes perpétrés par les combattants de retour dans leur pays, il y a le risque que ces combattants cherchent, à la fois lorsqu’ils sont à l’étranger et après leur retour, à élargir le soutien à leur cause et à étendre les réseaux de terroristes radicaux en recrutant de nouveaux adeptes, en glorifiant les actes terroristes ainsi qu’en partageant leur expérience avec de nouvelles recrues, et en leur assurant une formation aux méthodes terroristes.
7. Plus largement, en exploitant abusivement les motivations religieuses de leurs choix et de leurs actes, les combattants étrangers portent réellement préjudice aux communautés religieuses auxquelles ils prétendent appartenir et pour lesquelles ils disent lutter. En conséquence, ils risquent de saper la cohésion et l’intégrité des sociétés démocratiques en exacerbant les clivages entre les divers groupes ethniques et religieux. L’Assemblée réaffirme, à cet égard, que le terrorisme ne doit être associé à aucune religion, aucune nationalité ou aucun groupe ethnique.
8. L’Assemblée est particulièrement inquiète de constater la proportion croissante de femmes et de jeunes filles qui partent rejoindre Daech; en effet, dans certains pays, ce pourcentage représente plus de 40 % des départs. Tandis que, pour l’instant, il semble que les femmes et les filles ne participent pas directement aux combats, il est à craindre que cela se produise à l’avenir lorsque Daech enregistrera des pertes dans les rangs de ses combattants.
9. Le problème des combattants étrangers restera probablement au centre des préoccupations politiques au cours des années à venir et pourrait encore s’aggraver. Il est donc essentiel de mieux comprendre ses causes profondes et de concevoir des réponses politiques appropriées pour s’y attaquer. Face à la tendance à prendre rapidement et ostensiblement des mesures à court terme axées sur la protection et la répression en réaction aux menaces immédiates, l’Assemblée estime qu’une approche sécuritaire ne suffit pas et souligne la nécessité de mettre davantage l’accent sur les facteurs sous-jacents de radicalisation, ainsi que sur des politiques de prévention, de dissuasion et de réinsertion qui peuvent donner des résultats à long terme.
10. Selon diverses études, la transformation d’un individu en combattant étranger est le résultat, et peut être la phase ultime, du processus de radicalisation, un phénomène complexe caractérisé par des personnes qui embrassent une idéologie radicale et adoptent des opinions et des idées intolérantes qui peuvent conduire à l’extrémisme violent et à la perpétration d’actes terroristes.
11. Le plus souvent, la radicalisation résulte de l’interaction d’une série de facteurs politiques, socio-économiques, idéologiques, personnels et psychologiques. Elle peut toucher des hommes et des femmes de toutes origines sociales, en particulier les jeunes, dont ceux qui sont issus des classes moyennes et détenteurs de diplômes de l’enseignement supérieur. Les individus qui se sentent marginalisés, maltraités, socialement exclus et qui cherchent désespérément un sens à la vie et une appartenance risquent grandement d’être radicalisés, endoctrinés par une propagande extrémiste, y compris par l’intermédiaire d’internet et des réseaux sociaux, et recrutés par des groupes terroristes.
12. Parmi les facteurs susceptibles de motiver la décision de se rendre dans une zone de conflit peuvent figurer le sentiment d’indignation suscité par ce qui est prétendu se passer dans le pays où le conflit fait rage et l’empathie pour les personnes touchées, l’adhésion à l’idéologie du groupe qu’un individu souhaite rejoindre et la recherche d’une identité et d’une appartenance. Les griefs engendrés par la politique étrangère, la politique nationale, les conflits intergénérationnels et la pression des pairs peuvent être d’autres motivations. En outre, les jeunes femmes et les jeunes filles peuvent, par l’intermédiaire de recruteurs sur internet, être attirées par des promesses d’amour et de mariage avec des combattants de Daech, par leur supposée «vraie virilité» et par la perspective de fonder une véritable famille islamique dans un «califat» régi par la charia et de devenir mères de la prochaine génération de djihadistes.
13. L’Assemblée réaffirme que les réponses au terrorisme doivent être conformes au droit international et aux principes fondamentaux de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit, et éviter de saper les valeurs et les normes de la démocratie que les terroristes cherchent à détruire.
14. Le problème des combattants étrangers est étudié et traité à titre de priorité par de nombreux gouvernements nationaux, agences spécialisées, centres de recherche, pouvoirs locaux, ainsi que par diverses organisations régionales et internationales. L’Assemblée souligne la nécessité de mettre en commun les informations et les meilleures pratiques, et d’échanger des expériences, ainsi que l’importance de coordonner les efforts entre tous les acteurs concernés.
15. Compte tenu de l’extension constante du problème des combattants terroristes au-delà des frontières nationales, régionales et même continentales, l’Assemblée estime que les Nations Unies doivent continuer de jouer un rôle moteur dans l’élaboration d’une stratégie mondiale de lutte contre cette tendance dangereuse. Elle renvoie notamment à la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme, qui traite la question des combattants terroristes étrangers.
16. Dans ce contexte, l’Assemblée se réjouit que le Conseil de l'Europe soit devenu la première organisation internationale à avoir élaboré un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les dispositions de la Résolution 2178, en adoptant un Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217). Tout en regrettant que le Comité des Ministres n’ait pas pris en compte les amendements proposés dans son Avis 289 (2015) sur le projet de protocole additionnel, l’Assemblée se félicite de son ouverture à la signature.
17. L’Assemblée salue, en outre, la décision du Comité des Ministres d’apporter une forte contribution à la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme en adoptant pour 2015-2017 un plan d’action qui vise à accroître la capacité des sociétés européennes à rejeter toutes les formes d’extrémisme. Elle souligne, en particulier, l’utilité de prendre des mesures concrètes de prévention de la radicalisation par l’éducation, dans les prisons et sur internet.
18. Pour sa part, l’Union européenne coordonne activement les réponses de ses Etats membres au problème des combattants étrangers et a élaboré, entre autres, la Stratégie visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes, qui regroupe des réponses politiques également applicables dans les pays n’appartenant pas à l’Union européenne.
19. L’Assemblée observe qu’un certain nombre de pays prennent des mesures pour déchoir de leur nationalité les combattants étrangers. Cette démarche n’est admissible que pour autant que le droit international et les procédures judiciaires adéquates soient respectés.
20. Compte tenu de leur proximité avec les citoyens, les autorités locales et d’autres acteurs locaux ont un rôle clé à jouer dans la détection et la prévention précoces de la radicalisation et du départ d’Européens vers les zones de conflit, ainsi qu’en matière de réadaptation et de déradicalisation des combattants de retour dans leur pays. A cet égard, l’Assemblée se félicite des initiatives du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe visant à rassembler les représentants des autorités locales de toute l’Europe en vue de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques sur la prévention de la radicalisation, et à promouvoir des approches intégrées au niveau local afin de s’assurer de la participation de tous les acteurs: la société civile, les organisations confessionnelles, les services sociaux et éducatifs, et les institutions policières et judiciaires.
21. L’Assemblée appelle les Etats membres, observateurs et partenaires pour la démocratie:
21.1. à trouver une réponse globale au problème des combattants étrangers en établissant un bon équilibre entre la répression des comportements criminels, la protection des populations et des droits de l’homme, la prévention de la radicalisation, la déradicalisation et la réinsertion des combattants de retour dans leur communauté d’origine après, le cas échéant, avoir purgé une peine adaptée, et à s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation;
21.2. à respecter leurs obligations positives nées de la Convention des Nations Unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, en prenant toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir un génocide;
21.3. à établir des partenariats entre les gouvernements, les autorités locales, le secteur privé et la société civile pour faire face à la menace représentée par les idéologies extrémistes violentes;
21.4. à reconnaître et à renforcer le rôle des pouvoirs locaux dans la recherche de réponses au problème des combattants étrangers en sensibilisant l’opinion au niveau local, en renforçant les fonctions consultatives, en rassemblant, en analysant et en mutualisant les stratégies locales, en créant des structures multi-institutionnelles locales ainsi qu’en concevant et en mettant en commun de nouveaux instruments et ressources;
21.5. à revoir la situation dans les systèmes d’enseignement, à promouvoir une éducation inclusive et à s’assurer que les établissements scolaires jouent pleinement leur rôle dans la formation de citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités et d’aptitudes à la réflexion critique, prêts à vivre dans une société plurielle et à défendre les valeurs de la démocratie;
21.6. à élaborer des mesures efficaces pour détecter et juguler la diffusion de la propagande extrémiste violente sur internet, les réseaux sociaux et les médias;
21.7. à exploiter activement l’ensemble des moyens de communication, dont internet et les médias sociaux, et à tirer parti de l’expertise des meilleurs spécialistes en relations publiques pour diffuser des informations sur les crimes odieux perpétrés par Daech et des contre-discours destinés à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires contrôlés par Daech et le sort de ses recrues, en particulier en se servant des témoignages de combattants qui sont revenus dans leur pays d’origine et ont fait l’expérience sur le terrain de la vraie nature de Daech;
21.8. à renforcer le dialogue interculturel et interconfessionnel avec les chefs des diverses communautés en mettant tout particulièrement l’accent sur la prévention de la radicalisation et la nécessité de contrer le discours de haine et la propagande extrémiste violente;
21.9. à accorder toute l’attention voulue à l’éducation et à la formation des chefs religieux dans le plein respect des valeurs démocratiques fondamentales, de manière à s’assurer qu’ils diffusent un message de tolérance et s’opposent au discours de haine;
21.10. à condamner et à sanctionner fermement, si besoin est, les chefs religieux qui prêchent la haine et la violence, et portent atteinte aux valeurs fondamentales consacrées par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5);
21.11. à accorder une attention particulière à la prévention de la radicalisation et du recrutement de terroristes dans les établissements pénitentiaires;
21.12. à prendre dûment en compte le nombre croissant de femmes et de jeunes filles qui partent rejoindre Daech, à adopter une approche différenciée par sexe en matière de prévention et de réinsertion, à développer des contre-discours ciblant plus particulièrement les femmes et les jeunes filles, et à tirer pleinement parti du rôle social et familial des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent;
21.13. à donner la priorité aux programmes de déradicalisation destinés aux combattants de retour dans leur pays;
21.14. à refuser d'octroyer le statut de réfugié aux personnes qui pourraient avoir perpétré des actes de génocide ou d’autres crimes graves interdits par le droit international, et à partager les informations dont ils disposent sur ces personnes avec les autres Etats membres;
21.15. à renforcer la coopération internationale entre les autorités nationales et locales compétentes et les agences spécialisées en vue d’assurer un échange rapide d’informations utiles, d’expériences et de bonnes pratiques pour établir le contact avec les combattants étrangers dans un but de prévention, de sensibilisation, de réadaptation et de réinsertion, le cas échéant après qu’une peine appropriée a été purgée;
21.16. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son protocole additionnel, ainsi que d’autres instruments juridiques pertinents du Conseil de l'Europe.