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Rapport | Doc. 14014 | 04 avril 2016

Une réponse renforcée de l'Europe à la crise des réfugiés syriens

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Annette GROTH, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4143 du 26 juin 2015. 2016 - Deuxième partie de session

Résumé

Environ 640 000 Syriens sont actuellement inscrits comme réfugiés en Jordanie, et environ le même nombre ne se sont pas fait enregistrer; le Liban compte environ 1 070 000 réfugiés syriens enregistrés, et environ 400 000 autres; et 2 620 000 réfugiés syriens sont recensés en Turquie. Aucun de ces trois pays ne reconnaît les Syriens comme des réfugiés au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, même s’ils sont en principe protégés contre le refoulement, et il existe des problèmes d’accès à la protection dans les trois pays. Les réfugiés syriens sont confrontés à des problèmes de logement, de pénurie alimentaire, d’absence de permis de travail (en Jordanie et au Liban), de pauvreté, de dettes et d’accès insuffisant aux soins de santé et à l’éducation; les femmes et les enfants sont exposés à des formes particulières d’abus. Les réfugiés palestiniens de Syrie vivent une situation particulièrement difficile. Par ailleurs, les sociétés d’accueil connaissent des tensions sociales, politiques et économiques extrêmes. Il est peu vraisemblable que les réfugiés syriens puissent massivement rentrer chez eux, même à moyen terme.

La réponse européenne à la crise doit reposer sur certains principes clairs. Tout en saluant les récentes initiatives internationales, l’Assemblée parlementaire devrait appeler les Etats européens, l’Union européenne et la communauté internationale dans son ensemble à intensifier leurs efforts, notamment pour la mise en place de voies humanitaires d'admission des réfugiés, en donnant la priorité aux plus vulnérables et en facilitant le regroupement familial, si les efforts actuels s'avèrent insuffisants. Elle devrait également les inviter à répondre avec générosité à l'appel urgent lancé par l'UNRWA.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 mars
2016.

(open)
1. La crise des réfugiés syriens est une conséquence de la guerre en cours en Syrie, qui a commencé en 2011. Les réfugiés ont commencé à fuir la Syrie dès le début du conflit. Début mars 2016, le nombre total de réfugiés syriens enregistrés était de plus de 4 800 000 personnes, auxquelles il fallait ajouter environ 6,6 millions de personnes déplacées dans leur propre pays. La complexité grandissante du conflit ainsi que la participation militaire croissante d’acteurs extérieurs ont éloigné encore plus les perspectives de paix. Il est donc également peu probable que les conditions qui règnent en Syrie puissent laisser espérer un retour massif de réfugiés à court terme, voire à moyen terme.
2. La Jordanie accueille désormais quelque 640 000 réfugiés syriens enregistrés ainsi qu’un nombre similaire de Syriens résidents mais non enregistrés en tant que réfugiés. Sa population totale actuelle est d'environ 7,5 à 8 millions de personnes. Quelque 18 % des réfugiés vivent dans des camps, les autres sont des réfugiés «urbains». Les camps de réfugiés, notamment Za'atari et Azraq, sont bien équipés, approvisionnés et organisés, mais la situation alimentaire est critique – les femmes en particulier sont souvent sous-alimentées – et les soins médicaux sont insuffisants. Environ 1 070 000 réfugiés syriens enregistrés sont au Liban, soit une baisse de 115 000 personnes par rapport au niveau record atteint en avril 2015. Mais il faut leur ajouter quelque 400 000 autres Syriens, pour la plupart des réfugiés non-inscrits. Le Liban compte 5 850 000 habitants et les réfugiés syriens représentent près d’un quart de la population. Il n'y a pas de camps de réfugiés officiels pour les Syriens au Liban: les réfugiés syriens vivent dans des logements urbains ou dans l’un des 1 900 campements informels répartis dans le pays. Avec 2 715 789 réfugiés syriens, la Turquie est le pays qui compte la plus grande population de réfugiés dans le monde. Près de 10 % des réfugiés syriens en Turquie vivent dans les 26 camps installés dans le sud du pays.
3. La Jordanie et le Liban ne sont pas Parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et n’accordent donc pas aux réfugiés la protection juridique prévue par les normes internationales, mais les deux pays sont tenus de respecter le principe de non-refoulement inscrit dans le droit international coutumier. La Turquie a ratifié la Convention de 1951 et le protocole de 1967 mais applique une limitation géographique qui exclut les réfugiés syriens. Cependant, la loi turque de 2013 sur les étrangers et la protection internationale dispose que les réfugiés syriens peuvent bénéficier d’une «protection temporaire» analogue à celle qui découle de la Convention de 1951, notamment une protection contre le refoulement.
4. L'Assemblée parlementaire constate qu'il existe des problèmes d'accès à la protection dans les trois pays. Un groupe de plus de 20 000 réfugiés syriens a été bloqué par les autorités jordaniennes dans le désert, à la frontière avec la Syrie. Beaucoup d’entre eux l’ont été pendant plusieurs mois. Au Liban, de nombreux réfugiés n'ont pas pu renouveler leur statut de résident depuis janvier 2015, et en mai 2015, le Gouvernement libanais a demandé au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de suspendre l’enregistrement de nouveaux arrivants. La politique de la Turquie semble avoir changé ces dernières semaines: des milliers de réfugiés fuyant l'intensification des combats autour d'Alep se seraient vus refuser l’entrée sur le territoire turc, et 110 000 personnes sont désormais bloquées dans des camps du côté syrien de la frontière.
5. Les trois pays subissent une tension sociale, politique et économique extrême. Du point de vue des réfugiés, les problèmes sont nombreux: un statut juridique incertain et une protection précaire (surtout en Jordanie et au Liban); le manque de logements décents et abordables; les pénuries alimentaires; l’absence de permis de travail (en Jordanie, au Liban et, jusqu’à récemment, en Turquie) qui encourage l'emploi irrégulier et l'exploitation; la pauvreté et l’endettement; l’accès inadéquat aux soins de santé; l’accès insuffisant à l'éducation; et le recours à des stratégies d'adaptation négatives tels que le travail des enfants, les mariages précoces et la prostitution. Du point de vue des communautés d’accueil, les problèmes sont notamment la pénurie de logements et les augmentations de loyer, la hausse des prix des aliments, la concurrence sur le marché du travail et les réductions de salaire (surtout dans l'emploi informel), la pression sur les infrastructures et les services municipaux, la dégradation de l'environnement, et des contraintes budgétaires énormes qui ont gonflé la dette publique et compromis la croissance économique. Du point de vue à la fois des réfugiés et des communautés d’accueil, la situation actuelle est intenable.
6. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que beaucoup de réfugiés syriens, confrontés à une protection insuffisante et à un manque de perspectives pour eux-mêmes et leurs enfants, et conscients qu’ils ont peu de chances de pouvoir rentrer chez eux, se tournent vers l'Europe occidentale, attirés par son action reconnue en faveur du respect des droits de l’homme et de l'Etat de droit, et par sa prospérité beaucoup plus grande.
7. L'Assemblée estime que la réponse européenne à la crise des réfugiés syriens doit reposer sur les principes suivants:
7.1. ceux qui fuient le conflit en Syrie ont droit à une protection internationale;
7.2. cette protection est généralement, mais pas toujours, mieux assurée dans les pays voisins;
7.3. ces pays voisins ne peuvent pas assurer cette protection s’ils ne bénéficient pas d’un soutien extérieur important, qui doit être adapté à leur situation particulière;
7.4. ce soutien doit inclure une aide financière suffisante, ainsi que des mesures techniques, notamment un accès privilégié aux marchés d’exportation;
7.5. il doit être accompagné de voies humanitaires d’admission/réinstallation pour un nombre considérable de réfugiés syriens, qui donnent la priorité aux plus vulnérables et évitent aux réfugiés d’emprunter des itinéraires dangereux et irréguliers pour chercher une protection en Europe;
7.6. en particulier, les cas de regroupement familial devraient être prioritaires; la délivrance de visas pour les membres de la famille avec des enfants ou des parents dans des pays européens doit être rapide et la procédure simplifiée.
8. Par conséquent, l'Assemblée se félicite des progrès réalisés dans le cadre des initiatives récentes, notamment la conférence de Londres du 4 février 2016 sur le soutien à la Syrie et aux pays de la région, l'aide financière promise à la Turquie, le Plan d’action commun conclu le 15 octobre 2015 entre l’Union européenne et la Turquie, dans lequel les deux parties se sont engagées à améliorer la situation des réfugiés syriens et la Réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d'admission des réfugiés syriens. La communauté internationale, notamment les Etats européens et l'Union européenne, doit être prête à faire davantage si ses efforts actuels s'avèrent insuffisants. En outre, le soutien de l'Union européenne aux réfugiés syriens en Turquie ne doit pas être subordonné à une réduction du nombre de personnes – dont beaucoup ne sont pas, loin de là, des réfugiés syriens – qui traversent la mer Egée entre la Turquie et les îles grecques. Il faut également s'assurer que l'aide financière est bien utilisée, comme prévu, pour répondre aux besoins des réfugiés, tant dans les zones urbaines que dans les camps.
9. L'Assemblée souligne que la crise des réfugiés syriens relève de la responsabilité non seulement des Etats voisins et de l'Europe, mais aussi de la communauté internationale dans son ensemble. Elle demande aux autres Etats, notamment ceux qui sont situés dans la région du Moyen-Orient, d'adopter une approche similaire, qui consiste à apporter non seulement une aide financière, ce que beaucoup se sont engagés à faire lors de la conférence de Londres, mais aussi à créer des voies humanitaires d'admission des réfugiés syriens.
10. Les réfugiés palestiniens, surtout ceux qui vivaient auparavant en Syrie, ont été particulièrement touchés par le conflit, et le fait que bon nombre d'entre eux soient apatrides aggrave d’autant plus leurs problèmes. De même, le fait qu’ils soient presque exclusivement pris en charge par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) les a laissés quelque peu à l’écart d'une grande partie de l'aide internationale destinée aux réfugiés syriens. L'Assemblée demande par conséquent aux Etats européens et à l'Union européenne de répondre généreusement à l’appel d’urgence lancé en 2016 par l'UNRWA sur la crise régionale en Syrie.

B. Exposé des motifs, par Mme Annette Groth, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La crise des réfugiés syriens est une conséquence de la guerre qui sévit en Syrie. Ce conflit trouve ses origines dans les manifestations populaires de mars 2011, qui étaient dirigées contre le gouvernement de Bachar el-Assad. La réaction violente du gouvernement et l'aide militaire et financière fournie par des acteurs externes aux groupes d'opposition ont provoqué une escalade qui a rapidement dégénéré en conflit armé. Des puissances régionales, notamment la Turquie, l'Iran et l'Arabie saoudite sont intervenues dans un conflit qui s’est étendu et intensifié au point de devenir une «guerre par procuration» entre des puissances extérieures. Il semble que le conflit ait également pris un caractère sectaire, puisque diverses forces islamistes, qui comptent notamment, parmi les plus puissantes, le groupe terroriste sunnite EI et le Front al-Nusra, luttent contre le gouvernement d’Assad, tandis que le Hezbollah libanais et d’autres groupes chiites soutenus par l’Iran combattent aux côtés des forces gouvernementales. Des puissances internationales, notamment les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie, participent également au conflit, à des titres divers. D’après les Nations Unies, à l’été 2015, le bilan du conflit était de plus de 250 000 morts et de 1,2 million de blessés; d'autres estiment que jusqu’à 500 000 personnes auraient été tuées. La complexité grandissante du conflit ainsi que la participation militaire croissante d’acteurs extérieurs ont éloigné encore plus les perspectives de paix, comme en témoigne l’échec des cycles successifs des initiatives de paix menées sous l’égide des Nations Unies.
2. Des réfugiés, assez peu nombreux au départ, ont commencé à fuir la Syrie dès le début du conflit. A la fin de 2011, le nombre de réfugiés syriens enregistrés était encore inférieur à 9 000 (mais ils étaient sans doute beaucoup plus nombreux à différents titres à l’extérieur du pays). A la fin de 2012, ils étaient presque 500 000. L’augmentation la plus spectaculaire a eu lieu en 2013, avec plus de 2 300 000 personnes dénombrées à la fin de l’année. L'exode a continué en 2014, avec un nombre total de réfugiés dépassant les 3 700 000 en fin d'année. Le rythme des départs a ralenti au milieu de 2015, mais la reprise des hostilités à partir de septembre a contraint 400 000 personnes supplémentaires à quitter la Syrie durant les mois suivants. Début mars 2016, le nombre total de réfugiés syriens s’élevait à plus de 4 800 000 personnes.
3. Il n’est pas prévu, dans le cadre du présent rapport, d’effectuer une analyse détaillée des divers déplacements de population qui ont eu lieu à partir des différentes régions de la Syrie vers les pays voisins au cours des cinq années de conflit 
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			Pour de plus amples
informations voir, par exemple, le site du HCR consacré à la Réponse
régionale à la crise des réfugiés en Syrie (<a href='C:\Users\milner\AppData\Local\Microsoft\Windows\Temporary Internet Files\Content.Outlook\K56AHCGA\data.unhcr.org\syrianrefugees\regional.php'>data.unhcr.org/syrianrefugees/regional.php</a>) et le rapport de la Banque mondiale et du HCR intitulé «The
Welfare of Syrian Refugees» [«Le bien-être des réfugiés syriens»]
(<a href='https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/23228'>https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/23228</a>).. Aujourd'hui encore, le nombre de personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de la Syrie (environ 6,6 millions) est supérieur au nombre de personnes qui ont fui le pays. La plupart de celles qui ont quitté la Syrie avaient été auparavant déplacées à l'intérieur du pays, généralement plusieurs fois. Durant tout le conflit, un certain nombre de réfugiés sont retournés en Syrie en provenance de pays voisins, soit parce que l'évolution de la situation en Syrie le permettait, soit parce que les conditions dans le pays d'accueil étaient devenues insupportables. Globalement, le nombre de déplacés s’est accru avec le temps, et le nombre de ceux qui ont cherché refuge dans d'autres pays n’a cessé d’augmenter. La protection internationale est devenue la seule alternative viable pour une majorité toujours plus grande d’entre eux, d’autant que le retour des réfugiés à court, voire à moyen terme, n’a jamais paru aussi improbable compte tenu de la situation qui règne en Syrie.
4. En outre, les personnes qui fuient la Syrie vont de plus en plus loin pour trouver la protection durable qu'elles recherchent. Une enquête du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur les réfugiés syriens qui ont traversé la Grèce en 2015 a indiqué que 55 % des personnes interrogées n’avaient pas résidé dans un pays tiers ou y étaient restées moins de trois mois avant de faire la traversée vers l'Europe. Les principales raisons qui les ont amenées à quitter le pays de premier asile ou de transit étaient le manque de possibilités d'emploi approprié et décent, des besoins financiers, des problèmes de sécurité et de protection, la recherche de meilleures perspectives pour leurs enfants et l'espoir d’accéder à l’éducation. De même, une étude réalisée par le Conseil danois pour les réfugiés parmi les réfugiés syriens en Jordanie, au Liban et en Turquie a montré que les conditions qui règnent dans ces pays, ainsi que la nature apparemment interminable du conflit syrien, ont été les principaux facteurs de leur migration vers l’Europe, qui est jugée attrayante en raison des possibilités d’accéder aux marchés de l’emploi, à l’éducation, aux soins médicaux et à un soutien matériel. Pour ceux qui ont les moyens et la capacité physique d'entreprendre le voyage, la migration, dangereuse et incertaine vers l’Europe est de plus en plus considérée comme préférable à la perspective d'un séjour prolongé dans un pays de premier asile. Si la politique de l'Union européenne envers les réfugiés syriens repose sur l'hypothèse selon laquelle les besoins de protection de la plupart d'entre eux peuvent être satisfaits en dehors de l'Europe, alors ces éléments doivent être pris en considération.
5. Le présent rapport a été élaboré dans le cadre du suivi de la visite effectuée par la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée à Istanbul et dans les camps de réfugiés syriens à Kilis et Gaziantep en Turquie 
			(3) 
			Un
rapport détaillé sur cette visite a été présenté à l'Assemblée à
sa partie de session d’automne 2015: voir «Commission ad hoc sur
l’arrivée massive de réfugiés en Turquie: Rapport d’activité», Doc. 13813 Addendum III, 22 juin 2015.. L'Assemblée a également adopté plusieurs résolutions relatives aux réfugiés syriens, notamment la Résolution 1878 (2012) sur la situation en Syrie, qui invitait instamment les Etats membres du Conseil de l'Europe à répondre positivement aux appels des agences des Nations Unies concernant les besoins humanitaires des réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak et de ceux qui sont touchés en Syrie même; la Résolution 1902 (2012) sur la réponse européenne face à la crise humanitaire en Syrie, qui invitait la communauté internationale à faire preuve de solidarité avec les Syriens victimes du conflit et avec les Etats voisins, qui en accueillent la plus grande partie; la Résolution 1940 (2013) sur la situation au Proche-Orient, qui appelait à une intensification de l’aide financière au Liban, à la Turquie et à la Jordanie afin de répondre aux besoins des réfugiés syriens; la Résolution 1971 (2014) «Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir l'aide internationale», qui notait que la situation des réfugiés dans les pays voisins devenait de plus en plus critique et appelait les Etats à faire preuve de générosité et de solidarité; la Résolution 2025 (2014) «La réinstallation des réfugiés: promouvoir une plus grande solidarité», qui comprenait des recommandations précises sur la situation des réfugiés syriens; la Résolution 2047 (2015) sur les conséquences humanitaires des actions menées par le groupe terroriste connu sous le nom d’«Etat islamique», qui réitérait l’appel de l’Assemblée à tous les Etats pour qu’ils fassent preuve de solidarité et de responsabilité, et la Résolution 2073 (2015) «Pays de transit: relever les nouveaux défis de la migration et de l’asile», qui, sans mentionner explicitement les réfugiés syriens, portait sur la situation en Turquie, examinée de façon assez détaillée dans le rapport connexe.
6. Le présent rapport se concentre sur la situation dans les pays de premier asile voisins de la Syrie, en particulier le Liban, la Jordanie et la Turquie. Il abordera également un aspect souvent négligé de la crise des réfugiés syriens, à savoir la situation spécifique et particulièrement difficile des réfugiés palestiniens de Syrie («PRS») déplacés vers la Jordanie et le Liban. Le rapport examinera en outre l'impact social, économique et politique de l'afflux de réfugiés sur les pays concernés et la réponse des autorités nationales. Je me pencherai également sur l'assistance fournie par la communauté internationale et le rôle des organismes internationaux, notamment le HCR, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), en portant une attention particulière à la récente conférence de Londres et au Plan d'action commun entre l’Union européenne et la Turquie. Je conclurai par une réflexion sur la future stratégie et les mesures que l'Europe doit adopter.

2. La situation des réfugiés syriens dans les pays de premier asile voisins de la Syrie

2.1. La Jordanie

7. La Jordanie accueille désormais quelque 640 000 réfugiés syriens enregistrés, ainsi qu’un nombre équivalent de Syriens qui résident dans le pays mais qui ne sont pas enregistrés en tant que réfugiés. Sa population totale actuelle est de l'ordre de 7,5 à 8 millions d’habitants. La Jordanie n’est pas partie à la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et n’applique donc pas aux réfugiés la protection juridique qui découle des normes internationales. Elle est néanmoins tenue de respecter le principe de non-refoulement inscrit dans le droit international coutumier. Ce point est également mis en évidence dans le mémorandum d’accord conclu entre la Jordanie et le HCR, qui accorde à ce dernier le droit de mener une procédure de détermination du statut des réfugiés et l'oblige à assurer leur protection. La législation nationale n’accorde pas de droit de résidence officielle aux réfugiés syriens enregistrés par le HCR, et il a été rapporté que les autorités évitent souvent de reconnaître officiellement les réfugiés en tant que tels dans le cadre des dispositions juridiques nationales pertinentes.
8. Un peu plus de la moitié des réfugiés enregistrés sont mineurs (moins de 18 ans) et un peu plus de la moitié sont des femmes. Dix-huit pour cent d'entre eux vivent dans des camps de réfugiés, le reste étant des réfugiés «urbains». Le camp de Za'atari est de loin celui qui compte le plus grand nombre de réfugiés (80 000). Viennent ensuite le camp d’Azraq (31 000), que j’ai visité, et le camp financé par les Emirats arabes unis (6 000). Un immeuble situé à la périphérie du parc industriel de Cyber ​​City, près de la frontière avec la Syrie, que j'ai également visité, a été réservé à un groupe d'environ 260 PRS. Parmi les réfugiés urbains enregistrés, la grande majorité vivent dans le nord de la Jordanie: quelque 178 000 dans le gouvernorat d’Amman, 141 000 à Irbid, 77 000 à Mafraq et 50 000 à Zarqa.
9. Les principaux camps – Za'atari et Azraq – sont bien équipés, approvisionnés et organisés, et de nombreux membres du personnel international des principaux organismes internationaux sont présents sur le site. Aucun camp n’est surpeuplé: en effet, le nombre de réfugiés du camp de Za'atari, qui atteignait un niveau record de plus de 200 000 personnes en avril 2013, a diminué et le camp d’Azraq est plus qu’à moitié vide. Il est à noter que ce dernier est très isolé et littéralement entouré par le désert. Il s’agit d’un lieu prévu pour loger les réfugiés qui viennent d’arriver et qui offre peu d'attraits, même comme solution à moyen terme. Les besoins les plus essentiels (logement, soins médicaux et éducation de base) sont satisfaits, mais chaque ménage n’a pas un accès direct à l’eau ou à l’électricité, bien que, dans de nombreux cas, l'aide alimentaire et les soins médicaux sont insuffisants. Très peu d'activités intéressantes sont offertes aux adultes, à l’exception d'un petit marché récemment ouvert sur lequel les résidents du camp (et les ressortissants locaux) peuvent vendre divers produits: denrées alimentaires, vêtements, jouets et articles électriques achetés à l'extérieur du camp. Les adultes estiment qu'ils n’ont pas, ou peu, de perspectives d'avenir.
10. La situation du site de Cyber ​​City est très spécifique: l’explication officieuse de son emplacement et son caractère particuliers est que les autorités jordaniennes soupçonnent certains de ses résidents PRS d’entretenir des liens avec des combattants de l'Organisation de libération de la Palestine qui auraient participé à la guerre civile – connue sous le nom de «Septembre noir» – qui a eu lieu en 1970-1971. Quoi qu'il en soit, les conditions qui règnent à Cyber ​​City sont d’autant plus difficiles que les installations sont limitées et que leur qualité est assez médiocre. J’ai été rassurée d'entendre que beaucoup de résidents pourraient être réinstallés, en particulier au Canada, et demande instamment aux autorités jordaniennes et aux organismes internationaux compétents d'intensifier leurs efforts pour trouver une solution à cette situation inacceptable.
11. La situation des 525 000 réfugiés urbains est, à bien des égards, encore plus difficile que celle des réfugiés qui vivent dans des camps. Le logement est un problème particulier. En effet, la pénurie est telle que les prix moyens des loyers ont augmenté de 14 % entre janvier 2013 et juin 2015 et que des tensions sont apparues entre les communautés jordanienne et syrienne. Plus de 55 % des dépenses des réfugiés sont consacrées à l'hébergement, bien que plus de la moitié des familles de réfugiés syriens partagent un logement avec au moins une autre famille. Plus de 20 % des familles de réfugiés syriens ne disposent pas d'un contrat de bail, qui est une condition sine qua non pour recevoir une «carte de service» du ministère de l'Intérieur, indispensable pour accéder aux services publics de santé et d'éducation. Le système public de soins de santé n’est plus gratuit pour les réfugiés syriens: j’ai rencontré plusieurs personnes qui avaient été grièvement blessées lors de combats en Syrie et qui n’étaient plus en mesure, malgré l’assistance fournie, de payer les soins médicaux dont elles avaient besoin. En septembre dernier, le PAM a cessé de fournir une aide alimentaire aux 229 000 réfugiés syriens urbains en Jordanie en raison d'un financement insuffisant. L’accès à un emploi régulier est très limité: de nombreux réfugiés travaillent de façon irrégulière, ne bénéficient pas de la protection de la réglementation du travail, sont mal rémunérés et vulnérables à d’autres formes d'exploitation. Ceux qui travaillent sans permis risquent la détention, des amendes, voire l’expulsion vers la Syrie. Malgré les efforts des autorités syriennes, notamment l’introduction d’une scolarisation «à double vacation», plus d'un tiers des enfants de réfugiés syriens ne sont pas scolarisés, et entre 11 % et 33 % ne répondent pas aux critères d'admission. Certains fréquentent plutôt les écoles non officielles, où ils courent le risque d’être radicalisés. Beaucoup de filles devant participer à la «deuxième vacation, (après-midi)» ne sont pas envoyées à l'école parce que leurs familles craignent un retour à la maison après le coucher du soleil. En outre, lorsque les économies et les mécanismes d'adaptation positifs des ménages sont épuisés, les enfants sont de plus en plus souvent retirés de l'école et obligés d’effectuer divers travaux manuels et/ou subalternes, voire de mendier, car les autorités sont considérées comme étant plus indulgentes envers les enfants qui travaillent de façon irrégulière. En mai 2015, 14 % des familles de réfugiés syriens interrogées comptaient sur les salaires de leurs enfants pour payer le loyer. Il existe également de nombreux cas de familles ayant recours au mariage de leurs filles mineures, voire aux mariages «temporaires», qui ne sont guère plus que de la prostitution sanctionnée, et à des formes plus flagrantes de prostitution et de traite. Malgré le recours à ces mécanismes d'adaptation négatifs, ou peut-être à cause d’eux, les deux tiers des réfugiés urbains ont des niveaux d’endettement très élevés. Plus de 80 % des réfugiés syriens résidant en Jordanie vivent en dessous du seuil national de pauvreté; d’après les normes du HCR, qui fixent le niveau auquel une aide monétaire est accordée, 69 % d’entre eux sont en situation de pauvreté.
12. Il est également très préoccupant qu’un groupe de plus de 20 000 réfugiés syriens soit bloqué par les autorités jordaniennes à la frontière avec la Syrie, à l’extrême nord-est du pays. Beaucoup d'entre eux attendent d’entrer en Jordanie depuis plusieurs mois. Les autorités jordaniennes n’admettent que quelques dizaines de personnes chaque jour, invoquant des problèmes de sécurité liés au fait que les réfugiés arrivent de zones contrôlées par «EI». Les points de passage, auparavant inhabités, de Hadalat et Rubkan, où les réfugiés vivent désormais dans des tentes de fortune, sont situés dans une région désertique à environ 150 kilomètres de la ville la plus proche, ce qui complique la fourniture d’aide humanitaire essentielle et en augmente énormément le coût. Les autorités jordaniennes devraient accélérer leurs contrôles et s’efforcer de mettre rapidement fin à cette situation épouvantable.
13. La présence d’autant de réfugiés urbains a mis une pression énorme sur les infrastructures et les services de la Jordanie, notamment les systèmes d’approvisionnement en eau (la Jordanie avait déjà l'un des plus bas niveaux de disponibilité de ressources en eau par habitant dans le monde) et d'assainissement, les systèmes d'élimination des déchets solides, les services de santé et d'éducation, et a une incidence négative sur l'environnement et les marchés du travail et du logement. Il est d’autant plus difficile de relever ces défis que l'économie jordanienne fait face à des difficultés importantes en raison du conflit en Syrie, qui est un important partenaire commercial, notamment la perturbation des routes commerciales terrestres vers l'Irak et le Golfe, et vers l’Europe via la Turquie. Les recettes du tourisme ont aussi considérablement diminué. Malgré l'achèvement réussi d’un programme d'urgence du Fonds monétaire international en novembre, la croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2015 était d'environ 2,5 %, soit un tiers du niveau de 2010, et la dette publique avait augmenté, se situant à 90 % du PIB alors qu’elle avait baissé au cours de la décennie précédente. Le chômage est passé de 11,4 % au premier semestre 2014 à 12,5 % à la même période de 2015. Cette augmentation est peut-être due en partie au fait que des travailleurs jordaniens ont été remplacés par des Syriens, même si ces derniers sont pour la plupart employés dans les secteurs de l'agriculture et de la construction, qui sont traditionnellement peu attrayants pour les Jordaniens, et dont les besoins de main-d'œuvre étaient déjà satisfaits auparavant par des travailleurs migrants. Depuis l'afflux de réfugiés syriens, les autorités jordaniennes n’accordent plus de visas aux travailleurs étrangers. Il a toutefois été signalé que la présence d’un nombre aussi important de réfugiés syriens travaillant irrégulièrement a fait baisser les salaires des travailleurs non qualifiés dans l'économie informelle.
14. Les Jordaniens ont accueilli les réfugiés en faisant preuve d’une générosité remarquable, alors qu'ils avaient déjà accueilli auparavant un nombre considérable de réfugiés venant de Palestine et d’Irak. Mais il est évident que la capacité sociale et économique du pays a clairement atteint ses limites et ne lui permet plus de continuer à prendre en charge autant de personnes désespérées. Le Gouvernement jordanien a préparé un plan de réponse pour 2016-2018 (JRP2016-18) dont le but est de continuer à «passer progressivement d’une réponse fondée sur une approche axée principalement sur les réfugiés à un cadre global fondé sur la résilience et qui permette de combler l’écart entre l’action humanitaire à court terme et des interventions à plus long terme en matière de développement». Un des principaux thèmes de l'approche du gouvernement jordanien est de trouver un équilibre entre le soutien apporté aux réfugiés syriens et celui qui est accordé aux communautés d'accueil et, plus généralement, à la société et à l'économie. Le plan contient des stratégies d’intervention chiffrées pour l'éducation, l'énergie, l'environnement, la santé, la justice, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, la gouvernance locale et les services municipaux, la protection sociale, le logement, le transport et les secteurs «WASH» (eau, assainissement et hygiène). Le coût total des «interventions pour les réfugiés» s’élève à près de 2,5 milliards de dollars et celui du «renforcement de la résilience» à plus des 2,3 milliards. Dans son «Pacte pour la Jordanie» présenté à la conférence «Soutenir la Syrie et la Région», tenue à Londres, le Gouvernement jordanien a également expliqué son intention de «transformer la crise des réfugiés syriens en une opportunité de développement qui attire de nouveaux investissements, ouvre le marché de l'Union européenne grâce à des règles d'origine simplifiées, crée des emplois pour les Jordaniens et les réfugiés syriens, tout en soutenant l’économie syrienne après le conflit».

2.2. Le Liban

15. Le nombre de réfugiés syriens enregistrés dans le pays est désormais d’environ 1 070 000, soit une baisse de 115 000 personnes par rapport au niveau record atteint en avril 2015. Il faut également ajouter quelque 400 000 autres Syriens, pour la plupart des réfugiés non enregistrés. Le Liban compte 5 850 000 habitants. Au total, les réfugiés syriens représentent environ un quart de la population. Comme la Jordanie, le Liban n'a pas signé la Convention de 1951 et c’est le HCR qui est chargé d’enregistrer les réfugiés. Il n’assure donc pas aux réfugiés la protection juridique inscrite dans les normes internationales, mais il est néanmoins tenu de respecter le principe du non-refoulement qui découle du droit coutumier international. En mai 2015, le Gouvernement libanais a ordonné au HCR de suspendre l'enregistrement de nouveaux arrivants: le ministre des Affaires sociales, M. Rashid Derbas, a expliqué que le Liban ne pouvait plus absorber un nombre aussi élevé de réfugiés. Afin de renouveler leur permis de séjour annuel, les réfugiés doivent payer $US 200 et fournir une attestation de résidence (bail ou acte certifié), un engagement notarié à ne pas travailler et une preuve de leurs ressources financières. Beaucoup, voire la plupart, des Syriens réfugiés ne peuvent pas remplir ces conditions. Sans papiers et en situation irrégulière, les réfugiés craignent en permanence les arrestations, les détentions et les mauvais traitements, et éprouvent un très grand sentiment d'insécurité. Il est facile de comprendre que cette situation peut leur donner envie de rechercher ailleurs une protection durable.
16. Un peu plus de la moitié des réfugiés enregistrés ont moins de 18 ans et plus de la moitié sont des femmes. En outre, les disparités entre les sexes sont particulièrement marquées dans le groupe d'âge de 18 à 59 ans. Il y a donc tout lieu de penser que beaucoup d'hommes en âge de travailler n'ont pas été enregistrés, sont retournés en Syrie ou ont cherché refuge ailleurs (ce qui peut avoir des conséquences sur le futur regroupement familial). Le fait qu'un cinquième des ménages soient dirigés par des femmes confirme les observations. Quelque 261 000 réfugiés vivent dans la région côtière septentrionale, 312 000 à Beyrouth et alentour, 125 000 dans la région côtière méridionale et 372 000 dans la vallée de la Bekaa, séparée par des montagnes de la plaine côtière de Beyrouth et, en hiver, souvent inaccessible par mauvais temps. Il n'y a pas de camps de réfugiés officiels pour les Syriens au Liban, car les autorités craindraient que les camps permanents se développent comme ceux des réfugiés palestiniens. Les réfugiés syriens vivent dans des logements urbains ou dans l’un les 1 900 camps informels répartis dans tout le pays.
17. Une crise du logement sévissait au Liban avant même l'arrivée massive de réfugiés syriens, ce qui n’a fait, bien entendu, qu’aggraver la situation. Les réfugiés syriens payent jusqu’à $US 200 par mois, soit 90 % de leurs revenus, souvent pour vivre dans des installations insalubres tels que des garages, des hangars et des bâtiments inachevés. Certains doivent payer un loyer aux agriculteurs pour les bouts de champs où ils ont dressé des tentes. Ceux qui vivent sous des tentes dans la vallée de la Bekaa, qui se trouve à une altitude moyenne de 1 000 m, doivent supporter des températures inférieures à zéro et la neige pendant l'hiver; au moins quatre sont morts en janvier 2015 dans une tempête de neige. Deux tiers des réfugiés syriens ont des arriérés de loyer et 20 % ont été menacés d'expulsion; en 2015, 18 000 réfugiés ont été expulsés de leurs foyers. Le HCR a signalé en août 2015 que 70 % des réfugiés syriens au Liban vivaient sous le seuil national de pauvreté. 89 % des ménages de réfugiés syriens ont des dettes, qui s’élèvent en moyenne à $US 842 par ménage. Des réfugiés syriens ont des difficultés à accéder aux soins de santé publics, pour lesquels ils doivent payer. La pauvreté et l’endettement signifient que les réfugiés ont également des difficultés à acheter suffisamment de nourriture. En outre, en juillet 2015, faute de moyens financiers suffisants, le PAM a diminué de moitié le montant de son aide alimentaire mensuelle, qui est passée à $US 13,50 avant de se redresser partiellement, à $US 21,60. Les réfugiés que j'ai rencontrés dans un magasin équipé pour recevoir des paiements au moyen des cartes électroniques du PAM se sont plaints des montants versés, qui n’étaient suffisants, selon eux, que pour les deux premières semaines du mois, et qui les obligeaient ensuite à réduire à l’extrême leurs dépenses alimentaires.
18. Sur les 370 000 enfants de réfugiés syriens en âge scolaire au Liban, 180 000 ne vont pas à l'école, et quelque 40 000 suivent une éducation «non formelle» (en dehors du système éducatif libanais). On espère que cette année, 200 000 enfants syriens pourront fréquenter l'école publique gratuite, les organismes et donateurs internationaux prenant en charge les frais annuels, d’un montant de $US 60 (l’aide concerne également les enfants libanais de familles démunies). Les autorités libanaises ont également l'intention de fermer des écoles «non formelles», dont les programmes ne sont pas supervisés et les qualifications non certifiées, et qui peuvent être responsables de la radicalisation des enfants réfugiés. Comme en Jordanie, les effets de la pauvreté, de l’endettement et de l’absence de permis de travail, ainsi que la crainte d'une arrestation, d’une détention, voire d’une expulsion pour les adultes qui travaillent de façon irrégulière, l’échec des mécanismes d'adaptation positive et, au moins jusqu'à récemment, les difficultés d'accès à l'éducation, sont des facteurs qui incitent souvent les parents à obliger leurs enfants à travailler dès leur plus jeune âge, ce qui les expose aux abus et à l’exploitation et nuit gravement d’autant plus à leur avenir qu'ils sont privés d’éducation. De nombreuses informations signalent aussi l’existence de mariages d’enfants, une pratique qui viole les droits des petites filles, et de «mariages temporaires», qui sont une forme dissimulée de prostitution.
19. L'économie libanaise a souffert depuis le déclenchement de la guerre en Syrie. Des sources gouvernementales m’ont indiqué qu'en 2010, l'économie avait progressé de 8 %, mais qu’à la fin de 2015, la croissance était nulle, voire négative (bien que la Banque mondiale continue de faire état d’une croissance d'environ 2,5 % par an), malgré les effets de l'aide et des dépenses liées à l'aide, qui sont estimés à 1,3 % de croissance positive. Le déficit budgétaire est passé à 9 % du PIB par an, et le montant total de la dette publique a atteint 138 % du PIB, soit 16 points de plus que le niveau prévu sans la crise. Les causes de cette crise économique sont semblables à celles de la Jordanie, y compris la perte de la Syrie comme marché d'exportation, en particulier pour les produits agricoles, et une diminution des recettes tirées du tourisme. Les secteurs de l’agriculture et de la construction ont utilisé la main-d'œuvre syrienne pendant les 30 dernières années et environ 300 000 Syriens venaient chaque année au Liban comme travailleurs migrants saisonniers. Lorsque le conflit les a contraints à fuir la Syrie, ces travailleurs sont venus au Liban avec leurs familles et sont restés. Or, le fait que le nombre de réfugiés syriens soit désormais beaucoup plus important, et que beaucoup d’entre eux n’aient pas d'autre choix que de travailler irrégulièrement (90 % des réfugiés syriens qui travaillent n’auraient aucun contrat de travail formel) a aggravé les effets négatifs produits sur le marché du travail et les salaires au Liban. Ainsi, entre 2012 et 2014, le taux de chômage a doublé et dépassé la barre des 20 % (30 % pour les jeunes). Deux facteurs illustrent la pression exercée sur les ressources et les services publics: depuis 2011, la demande d'eau a augmenté de 28 % et les dépenses municipales consacrées à l'élimination des déchets de 40 %.
20. Le Liban dispose de quelques avantages pour répondre à la crise des réfugiés, notamment des ressources en eau suffisants, un secteur agricole et un secteur financier forts et une diaspora d'au moins 12 millions de personnes qui ont envoyé des fonds d’un montant de 9 milliards d’euros en 2014, soit 18 % du PIB. Sur le plan politique, cependant, le Liban est devenu un état beaucoup plus fragile, dont le gouvernement central est faible, et qui est beaucoup plus exposé aux risques d’un conflit intercommunautaire et sectaire. Il suffit de se souvenir de la guerre civile de 1975-1990 et des occupations israéliennes et syriennes qui ont suivi, ainsi que des conflits intermittents qui se produisent depuis une dizaine d’années, pour comprendre la précarité de la situation intérieure et la facilité avec laquelle elle pourrait être déstabilisée, avec des conséquences qui pourraient être désastreuses. Les attentats-suicide organisés par «EI» en novembre 2015 à Bourj el-Barajneh, qui ont tué environ 40 personnes et qui ont été apparemment planifiés et commis par un groupe constitué principalement de Syriens, ainsi que l’attaque commise qui aurait été en représailles par des agents syriens et du Hezbollah contre un cerveau terroriste montrent à quel point les choses pourraient se dégrader rapidement.
21. Malgré cette situation délicate, le peuple libanais a fait preuve d’une hospitalité exceptionnelle à l’égard des réfugiés syriens, peut-être en raison de leur propre expérience des souffrances infligées par la guerre civile. Mais les tensions se sont aggravées au fil du temps et suite à l’augmentation des chiffres et des pressions. L'évolution de la politique frontalière le montre tout particulièrement, qui est passé de la politique de «portes ouvertes» qui était appliquée durant les premières années du conflit syrien, à la politique restrictive de juin 2014, qui refuse l'accès aux Syriens provenant de régions qui ne sont pas limitrophes et prône le retour des réfugiés et l’installation de camps dans des endroits «sûrs» de la Syrie, et la fermeture effective de la frontière aux réfugiés syriens ainsi que l'introduction de critères d’enregistrement onéreux décidées en janvier 2015. Ces mesures ont été accompagnées de déclarations publiques appelant à une réduction du nombre de réfugiés syriens, un point de vue que j'ai entendu lors de ma rencontre avec des parlementaires libanais. Cependant, la rhétorique au vitriol, xénophobe, de nombreux politiciens européens confrontés à des problèmes de réfugiés somme toute insignifiants ne nous permet pas vraiment de critiquer la position libanaise. Il nous reste à admettre, cependant, que la générosité du pays a atteint ses limites.
22. Le gouvernement a élaboré un Plan de réponse à la crise pour 2015-2016 (LCRP2015-16), qui reconnaît que «le gouvernement et les communautés du Liban continuent d’être confrontés à une crise qui menace leur stabilité. De même, les Libanais les plus vulnérables, les Syriens déplacés et les réfugiés palestiniens ont épuisé toutes leurs capacités d'adaptation». La réponse libanaise est fondée sur une stratégie en trois volets: fournir une aide humanitaire et une protection aux personnes les plus vulnérables que sont les réfugiés syriens et les Libanais démunis; renforcer les capacités nationales afin de faciliter l’accès à des services publics de base et améliorer leur qualité; et consolider la stabilité économique, sociale, institutionnelle et environnementale du Liban. Comme le plan JRP2016-18 (voir ci-dessus), le plan LCRP2015-16 adopte une approche chiffrée par secteur et prévoit un financement total de 2,48 milliards de dollars pour 2016.

2.3. La Turquie

23. On dénombre actuellement 2 715 789 réfugiés syriens en Turquie, qui comptait 78 741 000 habitants en 2015. La Turquie est ainsi le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, même si en termes de réfugiés par habitant, elle est largement dépassée par la Jordanie et surtout le Liban. Environ 10 % des réfugiés syriens en Turquie vivent dans les 26 camps répartis dans le sud du pays. De nombreux réfugiés vivent également hors des camps dans le sud du pays, en particulier à Gaziantep, Sanliurfa, Hatay et Kilis où, dans certains centres urbains, ils sont plus nombreux que les ressortissants locaux. Une autre population importante, qui atteindrait 366 000 personnes, vit à Istanbul. La Turquie a ratifié la Convention de 1951 et le protocole de 1967 mais applique une limitation géographique, qui n’accorde le statut de réfugiés qu’aux personnes qui fuient des persécutions commises dans un pays européen, ce qui exclut les réfugiés syriens. Cependant, en vertu de la loi turque de 2013 sur les étrangers et la protection internationale, les réfugiés syriens peuvent bénéficier d’une «protection temporaire» analogue à celle qui découle de la Convention de 1951 sur les réfugiés, notamment la protection contre le refoulement (sauf qu’un nombre croissant de rapports signalent que la Turquie procède à des refoulements de réfugiés syriens à sa frontière syrienne). La Turquie conduit sa propre procédure d'enregistrement, avec l'assistance technique du HCR. La politique de la Turquie semble avoir changé ces dernières semaines: des milliers de réfugiés fuyant l'intensification des combats autour d'Alep se seraient vus refuser l’entrée sur le territoire turc et 110 000 personnes sont désormais bloquées dans des camps du côté syrien de la frontière, soit une augmentation de 58 000 personnes en deux semaines.
24. Les conditions qui règnent dans les camps de réfugiés syriens en Turquie sont généralement considérées comme supérieures aux normes internationales: une tente est mise à la disposition de chaque famille, ainsi que des installations médicales et des écoles (appliquant le programme syrien), qui sont fréquentées par 90 % des enfants d'âge scolaire. Il existe également des supermarchés où les réfugiés peuvent acheter de la nourriture à l'aide de cartes électroniques administrées par le PAM, et un «marché» regroupant des petites entreprises gérées par les réfugiés syriens. Cependant, les conditions climatiques observées dans les camps peuvent être extrêmes, les températures pouvant aller de -10 degrés Celsius en hiver à plus de 40 degrés en été. Ces conditions dépendent beaucoup des ressources financières. Ainsi, en février 2015, un déficit de 71 millions de dollars a contraint le PAM à cesser de fournir une aide alimentaire à 66 000 réfugiés répartis dans neuf camps.
25. Malgré la dimension de la Turquie, le fait que les réfugiés syriens qui vivent hors des camps soient concentrés dans quelques régions a inévitablement exercé une forte pression sur le marché du logement et entraîné une augmentation des loyers de 60 % à 70 % dans les provinces situées le long de la frontière. Comme en Jordanie et au Liban, beaucoup de réfugiés sont contraints de vivre dans des logements insalubres (25 % seulement des personnes interrogées dans un sondage avaient accès au chauffage et 35 % avaient un accès aisé aux toilettes et aux douches) et/ou de partager des logements surpeuplés avec d'autres familles (32 % des logements, d'une taille moyenne de 2,1 pièces, abritaient plus d'une famille). Des informations rapportent que les propriétaires turcs sont devenus réticents à louer à des réfugiés syriens; en même temps, certains Turcs considèrent que les propriétaires préfèrent des réfugiés syriens comme locataires parce qu'ils sont prêts à accepter de vivre dans des logements surpeuplés. Les soins de santé pour les réfugiés syriens vivant hors des camps sont théoriquement gratuits et ont été généralement bien administrés, en collaboration avec l'OMS et d'autres organismes internationaux. Les résultats sont globalement satisfaisants, mais on note, par exemple, une augmentation de 30 % à 40 % du nombre de patients des hôpitaux. Des problèmes doivent également être mentionnés: en mars 2015, par exemple, 5 000 pharmaciens d’Istanbul ont refusé de fournir des médicaments aux réfugiés syriens parce que le gouvernement ne les remboursait pas.
26. En 2014-2015, 25 % seulement des enfants réfugiés syriens d'âge scolaire vivant en dehors des camps fréquentaient l’école; en Syrie avant la guerre, 99 % fréquentaient l'école primaire et 82 % l'école secondaire. Certains ont perdu plus de quatre années de scolarité; d'autres, qui sont arrivés en Turquie avant d'atteindre l'âge scolaire, n’ont jamais été à l'école. Certes, les autorités turques ont fait des efforts pour améliorer l'accès à l'éducation en dehors des camps, notamment en ouvrant des écoles le week-end, en supprimant les critères officiels en matière de résidence et en accréditant des «centres d'éducation temporaires» qui dispensent un enseignement approuvé en langue arabe, mais les perspectives d'avenir d'une génération d’enfants de réfugiés syriens sont compromises. Beaucoup travaillent dans le secteur informel, notamment l'agriculture et la confection, tombe dans la mendicité, et sont vulnérables au risque d'exploitation et à d'autres formes d'abus. Le mariage d'enfants est également un mécanisme d’adaptation négatif de plus en plus commun (en 2014, les autorités turques ont indiqué que 14 % des filles syriennes âgées de 15 à 18 ans étaient mariées; la plupart des cérémonies étant plus religieuses que civiles, il est probable que le chiffre réel soit plus élevé) tout comme la prostitution, qui englobe les «mariages temporaires».
27. La Turquie estime avoir consacré plus de 7 milliards d’euros au soutien des réfugiés syriens depuis le début de la crise. Elle a pris en charge initialement toutes les dépenses liées à ce soutien, mais depuis 2012, elle a également sollicité, et reçu, une aide internationale, mais somme toute assez modeste. La croissance économique annuelle, qui se situait à 9,2 % en 2010, a chuté, passant à 2,2 % en 2012. Cette baisse est due en partie à la perturbation des échanges commerciaux avec la Syrie, qui aurait coûté 6 milliards de dollars entre 2011 et 2014, et à une diminution des recettes touristiques de l’ordre de 1,6 milliard de dollars sur la même période. D’autres facteurs, notamment la crise financière de l'Union européenne et une augmentation de 25 % des dépenses de défense entre 2010 et 2014 auront eu également des effets significatifs. Des rapports récents suggèrent, cependant, que l'activité économique des réfugiés syriens et les dépenses du gouvernement pour les soutenir ont stimulé l'économie, qui a affiché des taux de croissance plus élevés que les 4 % prévus en 2015, et poussé le gouvernement à relever ses prévisions de 4 % à 4,5 % pour 2016. La loi de 2013 sur les étrangers et la protection internationale autorisait, en principe, les réfugiés syriens à travailler, mais ce n’est qu’en janvier 2016 que la législation secondaire nécessaire a été adoptée. Six mois après avoir reçu des cartes d'identité, les réfugiés peuvent donc demander des permis qui ne leur permettent de travailler que dans les provinces où ils sont enregistrés mais qui les autorisent à effectuer tout type de travail. Les employeurs peuvent embaucher jusqu'à 10 % de leur main-d’œuvre parmi les réfugiés syriens. Il n’y a pas de limite dans le secteur agricole. Dans l’intervalle, un grand nombre de réfugiés syriens ont travaillé de façon irrégulière, et beaucoup continuent sans doute de le faire, souvent dans des conditions où ils sont exploités. Cette situation a eu pour effet de transférer les travailleurs turcs, en particulier les femmes et les personnes les moins instruites, au secteur informel, notamment l'agriculture, la construction et la confection, mais elle a cependant permis à certaines catégories de travailleurs turcs, les hommes les moins instruits notamment, de trouver un emploi dans un secteur formel élargi. Les Turcs ont néanmoins le sentiment que les réfugiés syriens «prennent nos emplois». La présence d'un grand nombre de réfugiés syriens qui vivent hors des camps, en particulier dans les provinces du sud, a exercé une forte pression sur les services municipaux, notamment la gestion des déchets solides et des eaux usées, et des infrastructures.
28. Il existe un certain nombre de soi-disant «centres de rétention avant renvoi» en Turquie où des réfugiés, y compris des mineurs non accompagnés, sont détenus. La situation dans ces «centres» est telle qu'une organisation des droits humains a écrit à la délégation de l'Union européenne en lui demandant de visiter l'un d'entre eux. Lorsque la délégation de l'Union européenne a visité le «centre», ils n’ont trouvé que des réfugiés qui sont arrivés la veille, tous les détenus précédents ayant été transférés dans un lieu inconnu. Le 11 février, un groupe d'organisations non gouvernementales (ONG) a publié un communiqué critiquant la situation dans ces «centres» et demandant d’y avoir accès, ce qui a jusqu'à présent été refusé; seul le Croissant-Rouge a accès. Quand j'étais en Turquie début mars avec une délégation de la Commission des droits de l'homme du Parlement allemand, on nous a refusé l'accès au «centre de rétention avant renvoi» à Izmir.

2.4. Réfugiés palestiniens vivant auparavant en Syrie

29. Comme indiqué ci-avant, les réfugiés palestiniens, particulièrement ceux qui vivaient auparavant en Syrie, ont été particulièrement touchés par le conflit. Les familles déplacées de Syrie sont devenues des réfugiées pour la deuxième, voire la troisième fois, et les conséquences plus larges de la crise des réfugiés dans des pays tels que la Jordanie et le Liban ont eu un impact sur les communautés de réfugiés palestiniens qui y vivaient déjà. De même, le fait qu’ils soient presque exclusivement pris en charge par l’UNRWA, et non par le HCR conformément à la Convention de 1951 sur les réfugiés et au Statut du Haut-Commissariat, les a laissés quelque peu à l’écart d'une grande partie de l'aide internationale destinée aux réfugiés syriens. Il est encore plus inexcusable que les réfugiés palestiniens, qui sont pour la plupart techniquement apatrides, ne soient pas reconnus au même titre que les réfugiés syriens lorsqu’ils arrivent en Europe, même s’ils détiennent des documents de l'UNRWA et si leurs familles vivent en Syrie depuis des générations. En outre, les besoins de financement des opérations visant à soutenir les réfugiés syriens peuvent avoir eu un impact sur les services fournis aux réfugiés palestiniens par l'UNRWA, qui a dû faire face à une grave crise financière en 2015 au point que l’Office aurait sans doute été contraint à reporter l'ouverture de son année scolaire si les Etats du Golfe n’avaient pas fait de dons à la dernière minute.
30. L'UNRWA a lancé en 2016 un «appel d’urgence pour la crise régionale en Syrie» visant à mobiliser des fonds d’un montant total de près de 410 millions de dollars pour 2016, dont 63 millions de dollars pour le Liban, qui accueille désormais 42 000 PRS (soit 450 000 réfugiés palestiniens au total), et 17 millions de dollars pour la Jordanie, qui accueille 18 000 PRS (soit 2 097 000 réfugiés palestiniens au total). Les réfugiés palestiniens de Syrie font partie des personnes les plus vulnérables d’une population déjà vulnérable de réfugiés syriens. Sans ces ressources financières, la Jordanie et le Liban ne pourront pas satisfaire à leurs besoins de protection, qui sont considérables.

3. La réponse européenne

3.1. Objectifs stratégiques

31. L'objectif principal de la communauté internationale doit être de garantir la paix en Syrie et de créer les conditions permettant le retour des réfugiés dans de bonnes conditions de sécurité. C’est aussi ce que veulent surtout les réfugiés. Cependant, la paix étant peu probable, au moins à court terme, et le retour en toute sécurité de la majorité des réfugiés étant difficile, même à moyen terme, la protection internationale restera une nécessité. Elle devra être assurée aussi près que possible de leur domicile, non pas parce que les réfugiés syriens ne sont pas le problème de l'Europe, ou parce que la présence de réfugiés syriens est un danger pour les pays européens (ce qui est faux dans un cas comme dans l’autre), mais parce que la protection facilitera le retour futur et que, dans l'intervalle, elle permet aux réfugiés de maintenir des liens avec leurs foyers et le contact avec les membres de la famille qui sont restés en Syrie. Il est vrai également que beaucoup de réfugiés syriens se sentent plus à l'aise dans des sociétés qui ressemblent à la leur, et qu'il est plus économique et efficace de fournir une aide humanitaire aux réfugiés dans des pays tels que la Jordanie, le Liban et la Turquie qu’en Europe occidentale. Si l’on raisonne au-delà des craintes infondées et de la xénophobie de ceux qui considèrent que les réfugiés syriens sont une menace, on s’aperçoit que la politique consistant à aider les pays voisins de la Syrie qui supportent déjà le vrai fardeau de la crise des réfugiés est une bonne politique. La réduction de la «migration irrégulière» et du nombre de demandes d'asile en Europe peut être une conséquence de l’efficacité de cette politique, mais elle ne devrait pas être considérée comme le principal objectif. En clair, la priorité doit être donnée aux réfugiés. Si les besoins des réfugiés ne peuvent pas être satisfaits dans les pays voisins, parce que ceux-ci ont atteint les limites de leur capacité d'absorption, il devient également impératif de mettre en place des solutions en dehors de la région.
32. L’étude ci-dessus de la situation en Jordanie, au Liban et en Turquie montre que les trois pays subissent des contraintes sociales, politiques et économiques très graves. Certes, des différences existent entre les situations de chacun de ces pays, mais les éléments communs sont également nombreux. Du point de vue des réfugiés, les éléments communs sont notamment: un statut juridique incertain et une protection précaire (surtout en Jordanie et au Liban), le manque de logements décents et abordables, les pénuries alimentaires, l’absence de permis de travail qui encourage l'emploi irrégulier et l'exploitation, la pauvreté et l’endettement, un accès inadéquat aux soins de santé, un accès insuffisant à l'éducation et le recours à des stratégies d'adaptation négatives tels que le travail des enfants, les mariages précoces et la prostitution. Du point de vue des communautés d’accueil, ces éléments communs sont notamment: la pénurie de logements et les augmentations de loyer, la hausse des prix des aliments, la concurrence sur le marché du travail et les réductions de salaire (surtout dans l'emploi informel), la pression sur les infrastructures et services municipaux, la dégradation de l'environnement, et les contraintes budgétaires énormes qui ont gonflé la dette publique et compromis la croissance économique. Globalement, l’impact a été le plus ressenti par les plus démunis, qui vivent souvent aux côtés des réfugiés qui habitent hors des camps dans les mêmes quartiers. Du point de vue des réfugiés et des communautés, la situation actuelle est intenable. Cependant, les différences sont aussi importantes et ne doivent pas être négligées, notamment l’isolement relatif de la Jordanie, qui ne lui permet pas de profiter de débouchés faciles à l’exportation, et le manque d’avantages comparatifs évidents, ainsi que la fragilité socio-politique du Liban.
33. Dans une large mesure, l’argent peut atténuer un grand nombre de ces problèmes. S’il n’est peut-être pas suffisant à lui seul, il est certainement une condition préalable et nécessaire pour les pays concernés, qui doivent fournir une protection durable à la plupart des réfugiés qu'ils hébergent en nombre considérable, tout en protégeant leurs propres sociétés contre les contraintes et les tensions qui en résultent. Même si cet objectif est atteint, il ne soustrait toutefois pas la communauté internationale de l'obligation de fournir une protection, principalement aux réfugiés les plus vulnérables dont les besoins particuliers ne pourraient sans cela être satisfaits. Les programmes de réinstallation mis en place pour ces personnes, et pour d’autres, suffisamment nombreux pour soulager une partie du fardeau qui pèse sur les pays de premier asile, sont un élément essentiel de toute stratégie future. Mais si la communauté internationale ne fournit pas une aide suffisante à des pays tels que la Jordanie, le Liban et la Turquie, les réfugiés seront contraints de chercher une protection ailleurs, et au lieu d’un processus de réinstallation qui se déroule de façon contrôlée et qui donne la priorité aux plus vulnérables, c’est le chaos et le flux aveugle de réfugiés désespérés transitant par la Grèce et les Balkans occidentaux qui continueront de se produire, couvrant l'Europe d’une honte éternelle. La fermeture des frontières ou l'admission quotidienne d’un nombre restreint de réfugiés – comme c’est le cas actuellement – ne sont pas des solutions qui permettent d’éliminer les causes profondes de la crise, sans compter que le gouvernement et les populations de la Grèce ne peuvent pas faire face aux conséquences d'une situation qui a évolué en raison des échecs de la communauté internationale.

3.2. La conférence de Londres

34. La conférence «Soutenir la Syrie et la région», qui s’est tenue à Londres le 4 février 2016, poursuivait trois objectifs: accroître sensiblement les financements pour répondre aux besoins immédiats et aux engagements pris à moyen terme en matière d’aide humanitaire, de résilience et de développement (jusqu'en 2020); répondre aux besoins à long terme en recensant les moyens de renforcer la résilience en créant des emplois et des débouchés économiques et en offrant des possibilités d'éducation; maintenir la pression sur les parties au conflit afin de protéger les civils qui en sont victimes, et veiller à ce que la communauté internationale soit prête à soutenir un effort coordonné de stabilisation lorsque les conditions le permettront. Notant que les appels de fonds inter-institutions coordonnés par les Nations Unies en 2015 n’ont été financés qu’à hauteur de 56 %, la conférence a donné lieu à des engagements de plus de $US 11 milliards de la part des Etats, soit $US 5,9 milliards pour 2016 et 5,4 milliards de dollars supplémentaires pour 2017-2020. Les banques multilatérales et d’autres donateurs ont annoncé des prêts d’un montant d’environ $US 40 milliards, dont certains (notamment le prêt de $US 200 millions de la Banque mondiale au Liban et à la Jordanie) seraient accordés à des conditions préférentielles. Dans la Déclaration finale, les participants se sont félicités de l'engagement pris par les pays d'accueil de permettre aux réfugiés d'accéder aux marchés du travail et d’offrir un soutien dans des domaines tels que l'accès aux marchés extérieurs, les financements assortis de conditions préférentielles, ainsi qu’un soutien externe pour la création d'emplois, estimant que jusqu'à 1,1 million d'emplois pourraient être créés. Ils ont également pris note des besoins spécifiques des réfugiés palestiniens, ainsi que de la nécessité présumée de fonds supplémentaires pour l'UNRWA, sans que le montant en soit précisé.
35. Certes, ces résultats sont impressionnants et la participation étroite de la Jordanie, du Liban et de la Turquie à la conférence de Londres est un signe rassurant que leurs besoins particuliers ont été pris en considération, mais on ne peut pas affirmer pour autant que la déclaration finale soit en elle-même un résultat concret. L'expérience montre que les promesses de financement ne sont souvent pas honorées. En outre, les financements pourraient s’avérer insuffisants. En effet, les 5,9 milliards de dollars promis pour 2016 doivent servir à financer un large éventail d'activités, tandis que le plan régional pour les réfugiés et la résilience a besoin à lui seul d’un montant équivalent, rien que pour la Jordanie, le Liban et la Turquie. Le résultat final attendu est également tributaire d'un certain nombre d'hypothèses qui peuvent être, ou non, réalistes, notamment la capacité des économies des pays d'accueil à tirer profit de nouveaux marchés d'exportation et à créer un grand nombre d’emplois nouveaux. Cependant, la conférence de Londres a certainement permis de sensibiliser la communauté internationale aux énormes problèmes auxquels sont confrontés les pays voisins de la Syrie, qui accueillent des populations considérables de réfugiés syriens, et de mieux faire comprendre que la situation exige une réponse internationale coordonnée. Il est absolument crucial que les promesses de financement soient honorées dans leur intégralité, mais il ne faudrait pas non plus que la communauté internationale, en particulier les Etats européens et l'Union européenne, en conclue qu’elle est dégagée de ses responsabilités uniquement parce qu'elle a promis de l’argent.
36. Cela étant, il convient de rappeler que la crise des réfugiés syriens relève non seulement de la responsabilité des Etats voisins et de l'Europe, mais aussi de la communauté internationale dans son ensemble. D'autres Etats, y compris dans la région du Moyen-Orient, devraient également adopter une approche similaire, qui consiste non seulement à apporter une aide financière, ce que beaucoup se sont engagés à faire lors de la conférence de Londres, mais aussi à créer des voies humanitaires d'admission des réfugiés syriens.

3.3. Le Plan d'action commun entre l’Union européenne et la Turquie

37. Le 15 octobre, l'Union européenne et la Turquie ont approuvé un Plan d’action commun pour trouver une solution à la crise des réfugiés, plans qu’ils ont décidé de mettre en œuvre le 29 novembre. Le «Plan d’action UE-Turquie» a pour but de traiter la crise en s’attaquant aux causes profondes de l’arrivée massive de Syriens, d’aider les réfugiés syriens et leurs communautés d'accueil en Turquie, et de renforcer la coopération afin de prévenir la «migration irrégulière». L'Union européenne a indiqué qu'elle entendait mobiliser concrètement, et de manière durable, des ressources financières supplémentaires importantes, adaptées aux nouveaux besoins, et contribuer aux efforts déployés par la Turquie pour résoudre les problèmes posés par l’afflux de réfugiés syriens. Sur la base d'une évaluation complète des besoins menée conjointement, la priorité devrait être accordée à l'aide humanitaire, au soutien juridique, administratif et psychologique, aux centres communautaires, à l'autonomie et la participation à l’économie, à la lutte contre l'exclusion sociale, à l'accès à l'éducation, aux infrastructures et aux services. Pour sa part, la Turquie a pris des engagements, dont la mise en œuvre intégrale de la loi de 2013 sur les étrangers et la protection internationale, qui garantit l'accès aux services d'éducation et de santé et répond aux besoins de protection des personnes vulnérables.
38. Malheureusement, l'accord sur la mise en œuvre du Plan d’action commun a été suivi d'une période au cours de laquelle des membres de l’Union européenne se sont livrés à des querelles pitoyables à propos des financements. Ces problèmes n’ont été réglés qu'au début de février, lorsqu’un accord a été conclu sur la provenance des 3 milliards (en fait, 1 milliard d’euros provient du budget de l'Union européenne, et le reste est versé par les Etats membres). Dans l'intervalle, la Commission européenne a élaboré un premier rapport de mise en œuvre pour la période allant du 30 novembre au 16 décembre. Le rapport, qui examinait principalement les mesures prises contre l’«immigration irrégulière», notait également que le «Groupe d’action pour la réforme» du Gouvernement turc avait décidé d'adopter une série de mesures, notamment, par exemple, une législation secondaire sur les permis de travail pour les réfugiés syriens, dans le cadre de la loi de 2013 sur les étrangers et la protection internationale. Le rapport notait en outre qu’il avait été décidé, dans le cadre du fonds fiduciaire régional de l'Union européenne pour la Syrie, d’adopter de nouvelles décisions financières prévoyant un budget allant jusqu’à 150 millions d’euros pour les actions menées en Turquie. L'accent mis sur les contrôles aux frontières et la «migration irrégulière» a été rappelé par M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, lors de sa visite en Turquie le 11 janvier 2016. Il est important que l'aide communautaire aux Syriens réfugiés en Turquie ne devienne pas subordonnée à une réduction du nombre de personnes (tous ne sont pas, loin s’en faut, des réfugiés syriens) qui traversent la mer Egée entre la Turquie et les îles grecques.
39. Un deuxième rapport de mise en œuvre, publié le 10 février 2016, donnait également la priorité à la «migration irrégulière». Ce rapport notait aussi l’adoption, entre autres, de la législation secondaire sur les permis de travail. Il indiquait également que l'Union européenne avait créé une «Facilité pour les réfugiés en Turquie» afin d’administrer le fonds de 3 milliards de dollars ainsi qu’un mécanisme pour coordonner les efforts déployés par l'Union européenne et ses Etats membres pour aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens. La Facilité «fournira une assistance dès que possible» dans le cadre des priorités prévues, notamment l'aide humanitaire, l’aide socio-économique (éducation et formation), l'accès au marché du travail, les soins de santé et l'inclusion sociale ainsi que les infrastructures municipales. Une première évaluation des besoins a été annoncée, qui permettra de recenser les projets qui seront financés par le fonds. Le rapport mentionnait que, depuis le début de la crise, l'Union européenne avait déjà fourni € 365 millions d’aide directe aux réfugiés syriens et aux communautés d'accueil en Turquie. Une autre réunion spéciale entre les chefs d'Etat ou de gouvernement de l’Union européenne et la Turquie a eu lieu le 7 mars 2016 à Bruxelles. La mise en œuvre du Plan d’action commun est une question prioritaire inscrite à l'ordre du jour.

3.4. Réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d'admission des réfugiés syriens

40. Le 30 mars, le HCR accueillera à Genève une «réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d'admission des réfugiés syriens». L'objectif de cet événement est double: créer ou élargir les voies humanitaires d’admission, conçues spécifiquement pour assurer la protection des réfugiés ayant des «besoins pressants». Ces voies peuvent comprendre la réinstallation/l’admission pour des motifs humanitaires, le parrainage privé, les visas humanitaires et l’évacuation sanitaire; et faciliter l’accès à d’autres voies d’admission, telles que l’admission des membres de leur famille (au-delà des conditions existantes pour le regroupement familial), des programmes de bourses d’études et d’apprentissage, des systèmes de mobilité de la main-d’œuvre, en assouplissant ou en supprimant certaines barrières légales ou des formalités administratives d’admission. Le but poursuivi est d’obtenir des voies d’admission pour au moins 10 % de la population syrienne réfugiée au cours des trois prochaines années.
41. J'espère sincèrement que cette initiative sera accueillie avec le même enthousiasme que la conférence de Londres. Les deux approches sont nécessaires pour que la communauté internationale trouve une solution efficace à la crise des réfugiés syriens: l’argent seul ne suffira pas à assurer une protection adéquate des réfugiés et à renforcer la résilience de leurs communautés d'accueil.

4. Conclusions et recommandations

42. Le conflit syrien, qui s’est aggravé rapidement au point de devenir incontrôlable, et dans lequel beaucoup d'autres pays portent au moins une part de responsabilité, a créé ce qui est peut-être la plus grave crise de réfugiés que le monde ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Les pays voisins de la Syrie, impliqués ou non, portent le poids de ce conflit et l'Europe n’a pas fait jusqu'à présent ce qu’il fallait faire pour s’acquitter de ses responsabilités morales et juridiques.
43. La réponse européenne doit reposer sur des principes clairs: ceux qui ont fui le conflit en Syrie ont droit à une protection internationale; cette protection est généralement, mais pas toujours, mieux assurée dans les pays voisins; ces pays voisins ne peuvent pas fournir cette protection s’ils ne bénéficient pas d’un soutien extérieur important, qui doit être adapté à leur situation particulière; ce soutien doit inclure une aide financière suffisante, ainsi que des mesures techniques, notamment un accès privilégié aux marchés d’exportation; il doit être accompagné de voies humanitaires d’admission/réinstallation pour les réfugiés syriens, qui donnent la priorité aux plus vulnérables et évitent aux réfugiés d’emprunter des itinéraires dangereux et irréguliers pour chercher une protection en Europe. En particulier, les cas de regroupement familial devraient être prioritaires; la délivrance de visas pour les membres de familles avec des enfants ou des parents dans des pays européens doit être rapide et la procédure doit être simplifiée. Plusieurs personnalités, y compris dans les services des visas allemands, ont proposé que l'obligation de visa soit levée pour les membres de la famille; de telles personnes devraient plutôt recevoir un permis d’entrée après la vérification de leur identité. Vu que seulement 3 % des demandeurs provenant de la Turquie se voient refuser un visa, la procédure de visa lourde devrait être supprimée pour tous ces demandeurs.
44. Les organisations internationales, notamment les Nations Unies et ses organes subsidiaires, doivent prendre exemple sur l’UNRWA et employer dans une plus grande proportion du personnel local ainsi que des réfugiés, au lieu de recruter un grand nombre de fonctionnaires internationaux qui sont exagérément coûteux. Ce recrutement pourrait ouvrir de nouvelles perspectives aux réfugiés concernés. En outre, des membres du personnel parlant leur langue et ayant la même origine pourraient, dans de nombreux cas, prêter une oreille beaucoup plus attentive aux besoins des réfugiés.
45. Des initiatives telles que la conférence de Londres, le Plan d'action conjoint UE-Turquie et la réunion de Genève doivent bénéficier d’une importance égale et être considérées comme formant la base d'un ensemble de mesures coordonnées au niveau international. Mais, surtout, la communauté internationale, notamment les Etats européens et l'Union européenne, doit être prête à faire plus par le biais de la réinstallation et du regroupement familial si les efforts qu’elle mène actuellement s'avèrent insuffisants.