Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14009 | 31 mars 2016

Les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Axel E. FISCHER, Allemagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13448, Renvoi 4042 du 11 avril 2014. 2016 - Troisième partie de session

Résumé

Malgré leur érosion à l’ère numérique, les droits de propriété intellectuelle sont des droits de l’homme protégés par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. La propriété intellectuelle constitue une valeur culturelle et un atout économique importants en Europe, de sorte que l’érosion des droits de propriété intellectuelle aurait des effets néfastes sur l’ensemble de la population européenne.

Conformément à l’article 10 de la Convention sur la cybercriminalité, les Etats membres doivent adopter des mesures législatives et autres pour établir en droit interne l’infraction pénale de violation des droits de propriété intellectuelle. Une attention particulière devrait être accordée aux exploitants de plates-formes et réseaux sociaux sur internet qui diffusent un contenu généré par l’utilisateur, dès lors que ces exploitants bénéficient financièrement d’un contenu illégal posté sur leurs sites. Les droits de propriété intellectuelle doivent aussi être respectés lorsque les Etats membres négocient des obligations juridiques internationales dans ce domaine, y souscrivent et les mettent en œuvre.

Les auteurs d’œuvres créatives doivent avoir le droit de se servir du potentiel d’internet. Bien trop souvent, quelques puissants opérateurs internet sont les principaux bénéficiaires de la diffusion des œuvres sur la Toile, tandis que les auteurs, interprètes et autres titulaires de droits voient leurs revenus chuter de manière dramatique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 14 mars 2016.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire salue le fait que, grâce à internet, les auteurs d’œuvres créatives et les titulaires de droits de propriété intellectuelle sont à même de proposer au niveau mondial des œuvres de création auxquelles les utilisateurs peuvent accéder instantanément – par l’intermédiaire de dispositifs d’accès fixes ou mobiles peu onéreux – depuis n’importe quel point du globe. L’Assemblée note cependant avec préoccupation une diminution de la production et de la diversité des œuvres en raison d’un déséquilibre géographique et de changements au niveau de leur production, donnant lieu à l’émergence de quelques acteurs du marché trop dominants et à la concentration des industries créatives dans quelques parties du monde.
2. L’Assemblée est également préoccupée par l’érosion de fait des droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique, un phénomène facilité par des réformes législatives qui les ont fragilisés. La propriété intellectuelle constitue une valeur culturelle et un atout économique importants en Europe, de sorte que l’érosion des droits de propriété intellectuelle aurait des effets extrêmement néfastes sur l’ensemble de la population européenne.
3. L’Assemblée rappelle que la propriété intellectuelle est protégée par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9); l’exercice concret de ce droit de l’homme peut exiger que les Etats membres adoptent des mesures de protection positives contre les ingérences par des tiers.
4. L’Assemblée réaffirme que les services numériques ne sont pas fournis dans un nuage imaginaire dépourvu de frontières, mais constituent de réelles prestations mêlant de véritables producteurs, distributeurs et clients qui résident tous dans un pays doté d’un système juridique spécifique. Il est donc nécessaire et légitime que les Etats appliquent à ces services les dispositions de leur droit interne, y compris celles relatives à la propriété intellectuelle, à la protection du consommateur et à la fiscalité. La localisation géographique des services numériques et de leur contenu, ainsi que leur éventuel blocage géographique, constituent par conséquent un moyen approprié de prévenir le contournement et la violation du droit interne, étant donné que l’application territoriale des droits de propriété intellectuelle vaut également dans le cyberespace.
5. L’Assemblée apprécie la multiplication des communications entre êtres humains inhérente au recours à des plates-formes et des réseaux sociaux basés sur internet et proposant un contenu généré par l’utilisateur; elle rappelle que les utilisateurs sont les détenteurs des droits sur les œuvres qu’ils ont postées sur ces réseaux et plates-formes, ainsi que sur leurs données personnelles, à moins qu’ils n’aient expressément renoncé à ces droits. Les utilisateurs sont de même les principaux responsables du respect des droits de propriété intellectuelle des tiers, notamment lorsqu’ils jouent un rôle actif dans la diffusion de leur contenu. Rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée souligne que les fournisseurs de services sur internet sont également tenus responsables de la violation des droits de propriété intellectuelle dès lors qu’ils en retirent sciemment un avantage commercial ou autre.
6. L’Assemblée reconnaît que la licence libre d’œuvres créatives peut constituer une option pour le détenteur des droits d’auteur correspondants, dès lors que l’intéressé désire expressément partager son œuvre avec d’autres. Dans la mesure où cette option est plus facile à mettre en place pour les individus, institutions ou entreprises disposant de moyens financiers importants, son impact potentiel limité sur le pluralisme des œuvres devrait donc néanmoins être pris en considération. L’Assemblée considère également que, en proposant des solutions technologiques à l’érosion de fait des droits de propriété intellectuelle, le secteur privé peut jouer un rôle important pour éviter que soit adoptée une législation plus contraignante et que les tribunaux compétents ne dégagent une jurisprudence plus stricte.
7. Tenant compte des initiatives législatives en cours au sein de l’Union européenne par le biais de sa Commission et de son Parlement, et se référant à la protection des droits de propriété intellectuelle garantie par l’article 17.2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui lie tous les organes de l’Union, l’Assemblée souligne:
7.1. que la transposition et l’application en droit interne du droit de l’Union européenne doivent être conformes à la Convention européenne des droits de l’homme et, en particulier, à l’article 1 de son Protocole additionnel;
7.2. que l’Office européen des brevets, ainsi que les dispositions de la Directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle, devraient être renforcés dans le cadre de l’article 118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui appelle à l’établissement de mesures relatives à la création de droits de propriété intellectuelle à l’échelle de l'Union européenne, et à la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l'Union;
7.3. que la Convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel et des services d’accès conditionnel (STE no 178), entrée en vigueur dans l’Union européenne le 1er janvier 2016, devrait être mise à profit pour renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle;
7.4. que les efforts déployés en vue de créer un marché numérique unique dans l’Union européenne ne devraient pas privilégier les services en ligne par rapport aux médias écrits hors-ligne, au film et au cinéma ou aux services audiovisuels terrestres, mais au contraire éviter de fausser la concurrence, en tenant dûment compte de la domination possible de «gardiens» (gatekeepers) sur les services en ligne et de l’impact de ces derniers sur le pluralisme des œuvres de création et des expressions culturelles;
7.5. que les accords de licence au niveau européen devraient être soutenus afin de faciliter la portabilité transfrontalière du contenu et des services en ligne.
8. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. de promouvoir la sensibilisation du public, notamment des utilisateurs d’internet, au droit fondamental que constitue la protection de la propriété intellectuelle et à l’importance de ce droit pour la diversité culturelle et le bien-être économique de nos sociétés;
8.2. de promouvoir l’identification électronique des droits de propriété intellectuelle sur internet en soutenant des systèmes facilement accessibles conçus à cette fin et en renforçant la sensibilisation des auteurs d’œuvres à cette fonctionnalité;
8.3. d’adopter les mesures législatives et autres pouvant s’avérer nécessaires pour établir en droit interne l’infraction pénale de violation des droits de propriété intellectuelle;
8.4. d’adopter des mesures dissuasives ciblant les exploitants de plates-formes et de réseaux sociaux basés sur internet et diffusant un contenu généré par l’utilisateur dès lors que ces exploitants bénéficient financièrement d’un contenu illégal posté sur leurs sites;
8.5. de promouvoir des procédures permettant de porter plainte en ligne auprès des services répressifs ainsi que l’ouverture par les fournisseurs de services internet de numéros d’appel dédiés permettant de signaler toute violation de droits de propriété intellectuelle commise au moyen de leurs services;
8.6. d’élaborer des procédures de règlement en ligne des différends en cas de violation en ligne des droits de propriété intellectuelle, conformément à la Résolution 2081 (2015) de l’Assemblée «L’accès à la justice et internet: potentiels et défis»;
8.7. de renforcer de manière ouverte et transparente leur participation multilatérale aux efforts de coopération internationale en matière de protection des droits de propriété intellectuelle;
8.8. de veiller à ce que l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme soit respecté en droit et en pratique en cas de négociation et de mise en œuvre de traités internationaux affectant les droits de propriété intellectuelle, y compris des accords de libre échange tels que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP);
8.9. de veiller à ce que la protection des secrets commerciaux, tels qu’ils sont par exemple mentionnés dans l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce (Accord ADPIC), ne limite pas indûment les droits du public d’avoir accès à des informations en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
9. L’Assemblée appelle les auteurs d’œuvres de création, les détenteurs de droits, les organismes gérant des droits collectifs et les agences de concession de licences, ainsi que les fournisseurs de services internet (y compris les plates-formes et les réseaux sociaux diffusant du contenu généré par l’utilisateur), à recourir à des solutions techniques d’identification en ligne des droits de propriété intellectuelle. On peut notamment citer, à titre d’exemple, les technologies dites «de gestion des droits numériques» qui permettent de communiquer l’information requise aux utilisateurs et d’empêcher ces derniers de commettre des actes non autorisés. Les plates-formes et les réseaux sociaux basés sur un contenu généré par l’utilisateur devraient responsabiliser les internautes en leur communiquant automatiquement, par défaut, ces données d’identification. L’Assemblée appelle également ces organes à adhérer à la charte de régulation “Principles for User-Generated Content Services” (Principes pour les services qui mettent enligne le contenu généré par les utilisateurs) signée en 2007, contre les contenus générés par l’utilisateur qui sont illégaux.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 14 mars 2016.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2016), l’Assemblée parlementaire souligne l’importance du droit à la protection de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9) et à l’article 10 de la Convention sur la cybercriminalité (STE no 185), qui doivent être respectés dès lors que les Etats membres négocient des obligations juridiques internationales qui touchent aux droits de propriété intellectuelle, y souscrivent et les mettent en œuvre.
2. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
2.1. d’inviter le Comité de la Convention Cybercriminalité à élaborer des principes directeurs sur des mesures juridiques et pratiques contre les atteintes à la propriété intellectuelle et aux droits connexes, conformément à l’article 10 de la Convention sur la cybercriminalité;
2.2. d’inviter les Parties à la Convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel et des services d’accès conditionnel (STE no 178) à examiner l’efficacité de la législation et la pratique nationales conformément à l’article 4 de cette convention en ce qui concerne la protection des droits de propriété intellectuelle;
2.3. de suivre, par le biais d’actions concrètes, la mise en œuvre de sa Recommandation Rec(2001)7 sur des mesures visant à protéger le droit d'auteur et les droits voisins et à combattre la piraterie, en particulier dans l’environnement numérique; il conviendrait dans ce cadre d’établir une coopération pratique avec l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle et Europol;
2.4. de renforcer la coopération avec l’Union européenne dans ce domaine;
2.5. de communiquer aux ministères et services nationaux concernés la présente recommandation ainsi que la Résolution … (2016) de l’Assemblée sur les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique.

C. Exposé des motifs, par M. Axel E. Fischer, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La propriété intellectuelle est un bien incorporel qui appartient généralement au propriétaire ou au titulaire des droits d’une œuvre de création ou artistique telle qu’une œuvre musicale ou littéraire, des photos ou des images. Elle inclut également le design industriel, les logiciels informatiques et certains secrets commerciaux. Les droits de propriété intellectuelle sont pour l’essentiel des droits d’auteur, des brevets, des marques ou des droits de modèles industriels.
2. Dans notre société actuelle fondée sur la connaissance, les droits de propriété intellectuelle constituent des actifs commerciaux extrêmement précieux. Le 6 mai 2015, la Commission européenne a publié sa Communication sur une «Stratégie pour un marché unique numérique en Europe» accompagnée d’un document de travail des services de la Commission traitant de l’accès à des contenus protégés par des droits d’auteur et de leur utilisation. Selon les estimations, les secteurs à forte intensité de droits d’auteur génèrent 7 millions d’emplois et contribuent approximativement à hauteur de 509 milliards d’euros au produit intérieur brut de l’Union européenne.
3. Toutefois, certains éléments nouveaux affectent aujourd’hui les droits de propriété intellectuelle. Premièrement, ces droits sont menacés par l’augmentation au niveau mondial du commerce de produits contrefaits et de la facilité avec laquelle il est techniquement possible de partager certains types de matériel protégé par un droit d’auteur sur internet. L’internet est devenu le principal moyen de vente de produits contrefaits à l’échelon mondial. Entre le lancement en 2012 de son projet de coopération internationale dans ce domaine et la fin de l’année 2014, Europol a identifié 1 829 noms de domaine utilisés pour vendre des contrefaçons en ligne 
			(3) 
			<a href='https://www.europol.europa.eu/content/292-internet-domain-names-seized-selling-counterfeit-products'>https://www.europol.europa.eu/content/292-internet-domain-names-seized-selling-counterfeit-products.</a>.
4. Pour les consommateurs, contrairement à ce qu’il en était dans le monde analogique, il est devenu très facile – et toujours plus facile, grâce à une plus grande largeur de bande et à l’accessibilité des œuvres sur les appareils mobiles – non seulement d’accéder aux œuvres et d’en faire des copies numériques, mais aussi de les rediffuser sur internet. Bien souvent, cela se fait sans l’autorisation du titulaire du droit. Dans la mesure où cela se fait en toute illégalité, les utilisateurs finaux non seulement privent le titulaire du droit d’auteur ou de droits voisin de leurs revenus d’exploitation, mais ils peuvent aussi évincer l’auteur ou d’autres titulaires de droits en se faisant les «distributeurs» de ses œuvres sur internet en les mettant en ligne sur leurs sites web ou leurs blogs, sur les réseaux sociaux ou en utilisant des services de partage de fichiers. Les fournisseurs de services internet, comme les plates-formes en ligne, tendent à soutenir les consommateurs dans cette démarche (même s’ils ne le font pas nécessairement de manière directement visible), étant donné les bénéfices économiques qu’ils tirent du fonctionnement de ces plates-formes ou autres services sans avoir à acquérir de licences.
5. Deuxièmement, beaucoup de modèles d’entreprise reposent sur l’exploitation en ligne d’œuvres protégées par les droits d’auteur détenus par d’autres. De plus, les contenus générés par les utilisateurs, protégés en principe par le droit d’auteur, représentent une valeur commerciale grandissante pour certaines industries en ligne. La Chambre de commerce internationale à Paris a précisé dans son Panorama 2014 que l’émergence de nouvelles applications et plateformes internet, l’omniprésence croissante des appareils mobiles et d’internet, la largeur de bande en progression constante et les comportements changeants des consommateurs amènent les titulaires de droits intellectuels à reconsidérer leurs stratégies et modèles de distribution, de commercialisation et de contrôle de leurs actifs intellectuels dans l’environnement numérique. L’Observatoire européen de l’audiovisuel du Conseil de l’Europe a montré, par le biais de sa base de données MAVISE, que l’accès à des contenus numériques protégés par des droits d’auteur est l’une des activités en ligne les plus populaires, 35 % des internautes jouant ou téléchargeant des jeux, des images, des films ou de la musique.
6. Troisièmement, les droits de propriété intellectuelle sont protégés durant un certain laps de temps et sur un territoire géographique donné. Ainsi, tant qu’il n’existera pas de normes internationales harmonisées sur la propriété intellectuelle, internet permettra en principe aux utilisateurs d’un pays d’accéder à des contenus qui seraient légalement inaccessibles dans d’autres pays en raison d’une protection différente des droits d’auteur. Même s’il y avait une clarification au niveau international des normes juridiques sur les droits de propriété intellectuelle en ligne et leur application territoriale, la mise en œuvre de telles normes resterait un défi majeur dans un marché mondialisé, où il est facile d’accéder à des copies illégales de tels contenus et de les acheter en ligne.
7. Comme indiqué dans la note d’information de Mme Silke von Lewinski (que je remercie en particulier pour son travail) sur lequel je fonde mon rapport largement, il est difficile pour les titulaires du droit d’auteur de contrôler l’utilisation de leurs œuvres sur internet et donc de faire respecter leurs droits afin d’en recueillir les fruits. Bien qu’ils puissent protéger leurs contenus par des mesures de protection technique, comme le cryptage ou des mesures de protection contre la copie, et bien que la loi les protège juridiquement contre le contournement et autres actes similaires, le recours aux mesures de protection technique s’est révélé impopulaire auprès des consommateurs, si bien qu’en particulier l’industrie musicale ne les applique plus aux utilisateurs finaux. Les fournisseurs de services internet bénéficient de dispositions protectrices généreuses dans la Directive de l’Union européenne sur le commerce électronique de 2001, qui prévoit l’exonération de leur responsabilité en cas d’utilisation de contenus illicites via leurs services, sous certaines conditions, en particulier si leur rôle est «passif».
8. La propriété intellectuelle peut notamment être limitée pour des raisons liées à l’intérêt public, par exemple à des fins éducatives ou scientifiques. De plus, le droit à la liberté d’information a entraîné la limitation des droits d’exclusivité pour la retransmission audiovisuelle de grands événements d’intérêt public, par exemple le droit aux extraits télévisés sur les grands événements sportifs.
9. Les utilisateurs finaux, influençant l’opinion publique via les réseaux sociaux, ont fait pression en faveur d’une liberté d’accès assez étendue aux contenus créatifs, et les auteurs qui ont cherché à défendre leurs droits ont été intimidés par des réactions agressives (voir le raz-de marée d’insultes dont a fait l’objet le musicien et auteur Sven Regner). Globalement, le débat public a été mené de façon à placer les auteurs et autres titulaires de droits dans une position défensive et à prôner des règles assez radicales en faveur de la liberté d’accès des utilisateurs, via certains intermédiaires (et leurs modèles commerciaux), au détriment des auteurs et des autres titulaires de droits.
10. Comme suggéré dans la proposition de résolution dont s’inspire le présent rapport (Doc. 13448), il convient de passer en revue les normes juridiques en vigueur en matière de protection des droits de propriété intellectuelle (voir la section 2 qui suit) puis d’examiner et de proposer des stratégies aux parlements de tous les Etats européens concernant la façon de garantir la protection efficace de ces droits aux niveaux national, européen et mondial (voir, plus bas, les sections 3 à 6).

2. Protection des droits de propriété intellectuelle par les traités internationaux

11. Au niveau mondial, les droits de propriété intellectuelle sont protégés principalement par la Convention de Berne révisée sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, qui a été signée et ratifiée par presque tous les pays du monde, et les traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Par ailleurs, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a défini des normes dans son Accord sur les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle (ADPIC).
12. L’article 15.1.c du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies reconnaît le droit fondamental de toute personne «de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur». Par conséquent, le rapport du 24 décembre 2014 consacré aux politiques en matière de droits d’auteur et au droit à la science et à la culture 
			(4) 
			<a href='http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session28/Documents/A_HRC_28_57_ENG.doc'>www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session28/Documents/A_HRC_28_57_ENG.doc.</a><a href='http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session28/Documents/A_HRC_28_57_ENG.doc'></a>, tel qu’il a été rédigé par la Rapporteure spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, n’est pas convaincant lorsqu’il prétend que les droits de propriété intellectuelle ne relèvent pas des droits de l’homme. La diversité culturelle et la liberté de création individuelle pourraient être menacées si les Etats réorientaient leur soutien financier aux modèles de publication fondés sur la propriété vers des modèles de publication ouverts à tous, comme le suggère la Rapporteure spéciale.
13. L’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9) protège la propriété. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné que la propriété intellectuelle bénéficie de la protection accordée par l’article 1 
			(5) 
			Voir,
par exemple, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal (Requête
no 73049/01), paragraphe 72.. De plus, la Cour a réaffirmé le principe selon lequel l’exercice réel et efficace du droit garanti par cette disposition ne saurait dépendre uniquement du devoir de l’Etat de s’abstenir de toute ingérence et peut exiger que l’Etat prenne des mesures positives de protection, et notamment ériger en infraction pénale les violations des droits d’auteur 
			(6) 
			Fredrik Neij et Peter Sunde Kolmisoppi c. Suède (Requête
no 40397/12, décision du 19 février 2013),
affaire dans laquelle la Cour a confirmé la condamnation en vertu
du droit pénal suédois des requérants pour avoir fourni et exploité commercialement
une plateforme internet (appelée «Pirate Bay») pour le partage illicite
de fichiers protégés par le droit d’auteur. .
14. L’article 10 de la Convention sur la cybercriminalité (STE no 185) s’attaque spécifiquement à cette question en érigeant en infraction pénale les atteintes à la propriété intellectuelle et aux droits connexes lorsque de tels actes sont commis «au moyen d’un système informatique», c’est-à-dire en rendant des copies électroniques accessibles en ligne ou en vendant des copies imprimées ou des contrefaçons sur internet. L’article 10 énonce l’obligation d’ériger en infraction pénale les atteintes à la propriété intellectuelle et aux droits connexes, lorsque de tels actes sont commis délibérément, à une échelle commerciale et au moyen d’un système informatique.
15. L’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne protège le droit de propriété et inclut expressément la propriété intellectuelle. La principale législation de l’Union européenne en matière de droit d’auteur se trouve dans la Directive 2001/29/CE, qui met en œuvre le Traité sur le droit d’auteur et le Traité sur les interprétations et exécutions, et les phonogrammes de l’OMPI ainsi que la Directive 2004/48/CE sur l’application des droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, des questions de propriété intellectuelle sont traitées dans la Directive 2009/24/CE concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, la Directive 2012/28/UE relative aux œuvres orphelines et la Directive 2014/26/UE concernant la gestion collective du droit d’auteur.
16. Le 9 décembre 2015, la Commission européenne a présenté sa proposition de règlement sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne sur le marché interne, ainsi que sa «vision d’un cadre moderne pour un droit d’auteur plus européen dans l’Union». Dans la mesure où les droits de propriété intellectuelle constituent des expressions culturelles au sens prêté à ce terme par la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, telle qu’elle a été signée par l’Union européenne, l’article 167 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne confirme la subsidiarité dans ce domaine.

3. Problèmes actuels

3.1. Exceptions et limites prévues dans le cadre du régime des droits de propriété intellectuelle

17. Différents groupes d’utilisateurs, souvent avec l’appui des fournisseurs de services internet qui ont un intérêt commercial à ce que la circulation des œuvres soit illimitée sur internet, ont fait savoir qu’ils souhaitaient des exceptions et des limitations supplémentaires au droit d’auteur, qui soient obligatoires et formulées dans des termes généraux. Toutefois, les exceptions et limitations à un droit doivent être justifiées par des raisons sérieuses, telles que l’éducation, la recherche ou la communication d’informations sur l’actualité. En revanche, par exemple, le simple divertissement, la simple possibilité technique d’accéder à des œuvres ou d’utiliser des œuvres d’une manière donnée, ou la recherche de nouveaux modes opératoires par les fournisseurs de services internet ne peuvent en général pas être considérés comme des raisons suffisantes pour restreindre les droits des auteurs, qui doivent pouvoir bénéficier des fruits de leurs créations également sur internet.
18. De plus, il faut savoir que les exceptions et les limitations ne constituent pas le seul moyen de supprimer un obstacle au commerce causé par l’existence de législations différentes en matière de droit d’auteur. L’octroi de différents types de licences, qu’elles soient individuelles ou collectives (et volontaires ou obligatoires) se révèle souvent une mesure appropriée, qui pourrait être encouragée.
19. En général, les règles relatives aux exceptions et aux limitations en matière de droit d’auteur varient fortement selon les pays, notamment parce que ce dernier est étroitement lié à la culture et à la politique culturelle nationale et qu’il se fonde sur des principes différents. En particulier, dans le cadre du système de droit d’auteur anglo-saxon, la législation contient souvent des dispositions très détaillées sur les exceptions et les limitations, complétées par un certain nombre de dispositions un peu plus larges dites de «loyauté d’usage», qui s’appliquent à certaines situations bien définies (à la différence du concept beaucoup plus large d’«utilisation équitable» appliqué dans le droit américain). Il n’existe pas de tradition de droit légal à rémunération en compensation de la perte d’exclusivité découlant des exceptions et limitations. En revanche, dans le système du droit d’auteur en vigueur sur le continent européen, les législateurs nationaux ont préféré prévoir des exceptions et limitations assez spécifiques, plutôt que de recourir à la notion d’usage loyal ou à d’autres dispositions souples, et les lois diffèrent sur plusieurs aspects, notamment sur la portée et le détail des exceptions et limitations et sur la mesure dans laquelle le droit légal à rémunération est garanti en relation avec les exceptions et limitations.
20. Certains prétendent que si l’on rendait obligatoires les exceptions et limitations facultatives, on renforcerait ainsi la sécurité juridique. Cependant, le caractère obligatoire ou facultatif n’a pas d’incidence sur la sécurité juridique; dans les deux cas, une disposition particulière existe, qu’elle soit différente dans chaque Etat membre de l’Union européenne ou la même pour tous. Cela étant, il est vrai que l’obligation faciliterait l’exploitation transfrontalière en créant une situation juridique similaire dans les Etats membres (bien que les interprétations puissent continuer de diverger pendant un certain temps), tandis que le caractère facultatif oblige à vérifier chaque législation nationale plutôt qu’une seule; dans le même temps, les entreprises ont toujours dû et devront toujours tenir compte des lois des pays dans lesquels elles souhaitent exporter, y compris sur d’autres questions que la propriété intellectuelle, et devront également le faire si elles souhaitent étendre leurs activités au-delà de l’Union européenne.
21. Dans le cadre de l’OMPI, certains pays ont appelé de leurs vœux un traité contraignant sur certaines exceptions et limitations. Si un traité visant à faciliter l’accès des malvoyants à des exemplaires en formats accessibles (Traité de Marrakech de 2013), qui porte sur un secteur très étroit et économiquement peu important, un traité prévoyant des exceptions, notamment dans les domaines de l’éducation et des bibliothèques publiques, soulève des objections majeures et justifiées, notamment au niveau gouvernemental. Ces objections sont dues non seulement aux répercussions économiques négatives plus conséquentes qu’un tel traité pourrait avoir sur ces deux secteurs culturellement importants, mais aussi au fait que ces secteurs sont étroitement liés à la politique culturelle générale, qui relève et doit continuer de relever de la décision souveraine des Etats, de façon à garantir un certain niveau de diversité culturelle.
22. Une autre proposition, appuyée notamment par les fournisseurs de services internet, est d’introduire des clauses d’exception et de limitation larges et souples, à l’exemple du concept américain d’«utilisation équitable», ou selon d’autres modèles. Cela permettrait, d’après ses partisans, une adaptation plus rapide du droit d’auteur aux défis des nouvelles technologies, dans la mesure où les juges pourraient réagir plus rapidement que les organes législatifs en interprétant ces larges dispositions. Cependant, les inconvénients que pourrait présenter une telle approche pour toutes les parties prenantes ont toutes les chances de l’emporter. En particulier, des dispositions souples et formulées de manière large entraîneraient une sécurité juridique moindre; par ailleurs, les consommateurs auraient des difficultés à savoir ce qui est permis ou pas, ce qui poserait également des problèmes au regard de l’application du droit pénal, qui requiert des dispositions claires concernant les infractions, ainsi qu’au regard de l’application de tout droit légal à rémunération lié à ces exceptions et limitations, par exemple le cas des copies privées, dans la mesure où ceux qui seraient fondés à verser ces rémunérations prétendraient que tel ou tel usage n’est pas couvert par l’exception ou limitation et n’ouvre donc aucun droit à rémunération. Des exceptions ou limitations souples donneraient lieu à des procédures juridiques interminables pour clarifier leur sens, entraînant des coûts de transaction élevés, et ceci à chaque fois pour des situations très particulières, dans le cadre d’affaires individuelles portées devant les tribunaux. En d’autres termes, des réactions claires et définitives aux évolutions techniques ou autres pourraient bien être plus rapidement obtenues par le biais de modifications législatives que par celui des tribunaux.
23. En fait, le système juridique en vigueur sur le continent européen (et même dans une large mesure au Royaume-Uni et en Irlande), qui est fondé sur un langage juridique précisément formulé pour ce qui concerne le droit d’auteur (bien qu’il puisse être techniquement neutre), s’est jusqu’à présent révélé bien adapté aux nouvelles avancées techniques. Par ailleurs, des dispositions trop larges et trop souples pourraient avoir un effet négatif sur la répartition des pouvoirs entre, d’une part, les organes législatifs démocratiquement élus et, d’autre part, le pouvoir judiciaire. Enfin, en cas de procédure juridique, des dispositions souples risquent d’avantager les utilisateurs puissants, comme les grandes entreprises d’internet qui ont les moyens de s’offrir les meilleurs avocats, au détriment des petits utilisateurs. Elles pourraient également, dans certain cas, donner lieu à des décisions défavorables aux utilisateurs. Elles ne semblent donc pas être une option à retenir.

3.2. Fouille de textes et de données («text mining» et «data mining»)

24. L’exploration de textes et de données s’effectue généralement à des fins commerciales et de recherche scientifique ou autre et implique la numérisation (et par conséquent la reproduction) de grandes quantités de textes afin de procéder à leur analyse automatique; les résultats de ces processus peuvent ensuite servir à l’élaboration de nouveaux produits ou services et souvent générer une énorme valeur économique. Les secteurs d’activité concernés, comme l’industrie pharmaceutique, essaient d’acquérir des licences leur permettant de recourir à ces techniques. Il faut compter également avec certains secteurs liés à internet et intéressés par la numérisation de masse et l’utilisation massive de textes numérisés, qui ont été rejoints plus tard par des bibliothèques, qui font valoir la nécessité d’une nouvelle exception ou limitation dans ce domaine ou du moins de l’énoncé de règles claires relatives aux possibilités de procéder à de telles reproductions et de valider les résultats obtenus par le biais d’une analyse automatique. Le rapport Reda du Parlement européen sur la mise en œuvre de la Directive de l’Union européenne relative à la société de l’information propose d’envisager l’autorisation de l’exploration de textes et de données à des fins de recherche. Pourtant, à supposer qu’une telle autorisation soit accordée dans le cadre d’une exception ou d’une limitation, elle pourrait avoir des conséquences négatives importantes au regard de l’exploitation du contenu sur les marchés connexes par les titulaires des droits. Parallèlement, dans le domaine de la recherche commerciale, l’exploration de textes et de données et d’autres utilisations des résultats s’effectuent déjà dans le cadre de licences, de sorte qu’il n’apparaît pas nécessaire de prévoir une exception. En ce qui concerne la recherche non commerciale, l’application d’un service analogue, alliée à l’engagement des titulaires des droits d’accorder des licences convenant à ce type d’activité, pourrait constituer une solution appropriée reposant sur l’autoréglementation 
			(7) 
			Voir, par exemple,
le modèle développé par le Copyright
Clearance Center aux Etats-Unis, <a href='https://www.copyright.com/'>https://www.copyright.com/.</a><a href='https://www.copyright.com/'></a>.

3.3. «Blocage géographique» et accès transfrontalier

25. De façon générale, le «blocage géographique», au sens conféré à ce terme par la Commission européenne dans sa communication de mai 2015 relative au marché numérique unique, désigne la pratique consistant à refuser l’accès transfrontalier à des œuvres en raison de l’exploitation territoriale du droit d’auteur dans certains domaines, notamment dans le secteur audiovisuel. Par conséquent, les consommateurs ne sont pas autorisés à accéder gratuitement au contenu disponible sur un site web donné (par exemple des émissions de télévision via internet) ou proposé sur la base d’abonnement (comme dans le système Netflix) dans un Etat membre depuis un autre Etat membre. Cette pratique, d’après les responsables de l’industrie cinématographique, permet le financement adéquat de la production de films européens et revêt un caractère essentiel de ce point de vue. Avant d’envisager une quelconque ingérence dans l’exploitation territoriale des œuvres sur internet, de manière à déboucher sur la disponibilité simultanée des œuvres dans toute l’Union européenne voire au-delà, il conviendrait par conséquent de tenir compte de l’impact négatif probable d’une telle mesure sur la production culturelle (et plus particulièrement cinématographique) européenne et de s’abstenir de toute décision de nature à porter atteinte à la culture de ce continent, quitte à ce que chaque œuvre ne soit pas disponible en même temps au-delà des frontières nationales.
26. En général, il convient de tenir compte aussi du fait que l’exploitation territoriale correspond souvent aux demandes des consommateurs. On peut affirmer que, dans une large mesure, il n’existe pas de marché (analogique ou numérique) «unique» dans la réalité européenne d’aujourd’hui, dans la mesure où la plupart des œuvres cinématographiques ou musicales d’un pays donné ne font pas l’objet d’une demande mesurable dans d’autres pays; dans ce cas, le titulaire d’une licence ne désire même pas solliciter (et payer) une extension de licence valable sur tout le territoire de l’Union européenne tant qu’il ne pense ne pas être en mesure d’attirer des clients désireux de s’abonner pour obtenir ce contenu dans un autre pays, notamment en raison de la barrière linguistique inhérente aux films étrangers (et aux coûts disproportionnés du sous-titrage ou du doublage) et des paroles associées à une musique, ainsi que de traditions culturelles différentes. En fait, ce sont les œuvres cinématographiques et musicales les plus «visibles» (en provenance généralement des Etats-Unis) qui survivraient le mieux à tout régime contraignant empêchant d’accorder des licences territoriales (de sorte que les plates-formes internet et les autres fournisseurs de services ayant amené le débat sur la question du blocage géographique bénéficieraient d’une telle mesure). Cet effet serait apparemment antinomique avec le principe de promotion de la diversité culturelle en Europe auquel l’Union européenne et ses Etats membres, ainsi que d’autres Etats européens, ont souscrit en ratifiant la Convention sur la diversité culturelle de l’UNESCO.
27. C’est pour les mêmes raisons que les réflexions actuelles – séparées – de la Commission européenne sur un élargissement éventuel des règles de la Directive sur la radiodiffusion par satellite et la retransmission par câble aux offres émanant des radiodiffuseurs soulèvent de sérieux doutes: leur élargissement à internet avait déjà été rejeté dans le contexte de la Directive de 2001 sur le commerce électronique, et il conviendrait maintenant aussi de rejeter de nouveau cet élargissement.

3.4. Portabilité du contenu

28. Le cas dans lequel des utilisateurs abonnés à des services en ligne dans leur pays de résidence aimeraient continuer à y accéder alors qu’ils résident provisoirement dans un autre Etat membre (par exemple en vacances ou en voyage d’affaires) est à distinguer de l’accès transfrontalier général, tel qu’il est décrit plus haut. Les utilisateurs abonnés par exemple à un accès en ligne à des films ou à de la musique par le biais de fournisseurs situés dans leur pays se plaignent fréquemment de ne pas pouvoir accéder à ces œuvres dès lors qu’ils se trouvent dans un pays étranger. Ils dénoncent le fait que le contenu n’est donc pas «portable». Les titulaires de droits ou les fournisseurs de services ont pu restreindre cet accès sur la base de licences exclusives par pays pour des raisons économiques; dans l’industrie cinématographique, en particulier, le financement dépend largement de l’exploitation territoriale. Il devrait être possible de concilier les intérêts de toutes les parties prenantes dans ce cas très particulier. Deux solutions seraient envisageables: un protocole d’accord – passé entre les parties sur une base volontaire – autorisant, malgré l’existence de licences par ailleurs exclusives, une telle utilisation à des fins privées par les consommateurs abonnés; ou bien une modification de la législation. Pourtant, d’aucuns doutent encore qu’une nouvelle exception aux droits exclusifs, motivée par l’intérêt général, puisse se justifier en l’occurrence. En tout cas, il faudra tenir compte des accords de licence exclusive en vigueur.

3.5. Recherche et éducation

29. Bien que la plupart des pays prévoient déjà des exceptions et des limitations aux fins de recherche et d’enseignement et que l’article 5.3.a de la Directive sur la société de l’information autorise les Etats membres à agir ainsi dans un cadre spécifique, d’aucuns prétendent que ces mesures devraient être rendues obligatoires et uniformes dans l’Union européenne de manière à faciliter les activités transfrontalières relevant de ces deux domaines. Toutefois, l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne limite les pouvoirs de cette dernière dans le domaine de l’éducation.
30. A supposer qu’il existe un besoin réel ou potentiel d’utilisation d’un matériel pédagogique étranger plutôt que national au niveau de l’école ou de l’université, il semblerait approprié de se demander si un nouveau système d’octroi de licences ne serait pas possible et préférable. En fait, dans certains pays comme les Etats-Unis, l’octroi de licences se pratique sans problème notable en ce qui concerne le matériel pédagogique utilisé dans le cadre de l’enseignement supérieur. De même, il convient de rappeler, à propos des manuels scolaires et d’une partie du matériel employé à l’université, que ces utilisations à des fins d’enseignement constituent la substance même de la possibilité d’exploitation, c’est-à-dire le cœur du marché, qui ne saurait en aucun cas être affecté négativement. Par conséquent, on pourrait reconnaître l’utilité d’une exception ou d’une limitation équilibrée – concernant par exemple l’utilisation de petits extraits d’ouvrages (n’étant pas spécialement conçus pour l’école ou un autre usage pédagogique) à des fins d’enseignement en ligne non commercial n’affectant pas le marché de ces ouvrages –, à moins que ce cas ne soit déjà prévu ou qu’un mécanisme d’octroi de licence ne puisse être établi à cette fin.

3.6. Bibliothèques publiques

31. Les bibliothèques publiques, les archives et institutions analogues réclament des exceptions de limitations contraignantes et massives aux droits d’auteur, notamment afin de tirer tout le parti possible de la technologie numérique sans qu’il soit nécessaire d’acquérir des licences. Ces organismes aimeraient notamment numériser leurs collections ou bien rendre disponibles en ligne des œuvres numérisées à des utilisateurs pouvant résider non seulement dans leur ville ou leur pays, mais également au-delà des frontières, que ce soit dans l’Union européenne ou – dans le contexte de l’OMPI – n’importe où dans le monde. Elles coopèrent avec les principales sociétés qui ont un intérêt commercial majeur à numériser les ouvrages conservés dans les bibliothèques, ne serait-ce que pour élargir le contenu interrogeable sur internet. En fait, des entreprises américaines bien connues dans ce secteur soutiennent la numérisation de livres dans de nombreux pays.
32. Les bibliothèques publiques, non seulement parce qu’elles sont financées par de l’argent public, mais également en raison de leur rôle culturel dans un pays donné, sont sujettes à une législation nationale tenant compte de la politique culturelle de ce pays et de la liberté de ses dirigeants d’adapter dans ce domaine les dispositions qui leur semblent opportunes. Force est également de constater que l’infrastructure des bibliothèques publiques, ainsi que leur importance au niveau local, diffère énormément d’un pays à l’autre, à la fois au sein de l’Union européenne et au-delà. Une réglementation uniforme et contraignante ne serait peut-être pas la solution la plus indiquée.
33. A supposer même qu’il existe une demande considérable en faveur de la disponibilité transfrontalière en ligne des œuvres, il conviendrait malgré tout d’évaluer l’impact de toute exception ou limitation éventuelle aux droits d’auteur. En particulier, à supposer que la disponibilité en ligne, au niveau mondial ou pas, des ouvrages numérisés par l’intermédiaire de bibliothèques publiques (et par conséquent sans frais pour les utilisateurs) soit autorisée par la législation sur la base d’une exception ou d’une limitation, il est probable que les auteurs n’auraient plus de chances réelles de commercialiser normalement leurs œuvres et de bénéficier ainsi de leurs droits de propriété intellectuelle. En réalité, on ne saurait comparer sur le plan économique le prêt physique (qui fait l’objet dans la plupart des Etats membres de l’Union européenne d’un droit à rémunération plutôt que de droits exclusifs) et le fait de rendre disponibles, grâce à une transmission en ligne, des livres et autres ouvrages comparables. Les utilisations dans le monde analogique sont beaucoup moins intensives que dans le monde numérique: les utilisateurs doivent se rendre à la bibliothèque au lieu de rester chez eux face à leur ordinateur et un exemplaire papier d’un ouvrage emprunté n’est pas aussi vulnérable à des utilisations supplémentaires que sa copie numérique; une bibliothèque acquiert normalement de nouveaux exemplaires au bout de quelques années d’utilisation, alors que cette pratique devient superflue en présence d’une copie numérique. Compte tenu de ces différences, il serait très risqué d’appliquer le même régime (à savoir un simple droit à rémunération) au prêt électronique, dans la mesure où ce régime a été conçu pour le prêt analogique; cela est d’autant plus vrai que, en période de crise économique, l’argent public (servant à payer la rémunération) est souvent limité, de sorte que les titulaires de droits risqueraient de voir leurs revenus amputés, tandis que les bibliothèques pourraient juridiquement continuer à rendre leurs collections disponibles en ligne, ce qui ne manquerait pas d’avoir un effet très net sur le marché des ventes.
34. Parallèlement, il existe déjà des licences conçues spécialement pour permettre aux bibliothèques publiques d’utiliser l’environnement en ligne; il devient donc possible aux titulaires des droits d’accorder l’accès tout en essayant de se prémunir, sur la base de clauses contractuelles soigneusement rédigées, contre les utilisations de nature à affecter négativement l’exploitation normale. A supposer que tous les éditeurs n’aient pas encore octroyé des licences de ce type à des fins d’utilisation en ligne ou que toutes les bibliothèques ne puissent pas se permettre d’acheter de telles licences, il faudrait se faire une raison en rappelant que, dans le monde analogique aussi, chaque bibliothèque publique n’est pas en mesure d’acquérir l’ensemble des œuvres existantes aux fins de prêt.
35. Globalement, tout projet d’ajout ou d’élargissement d’une exception ou d’une limitation concernant les utilisations numériques par des bibliothèques publiques et autres institutions analogues devrait faire l’objet d’une analyse préalable minutieuse de son impact éventuel sur le marché pertinent. Il est impératif de veiller à ce que les mesures de cette sorte ne perturbent pas l’exploitation normale.

3.7. «Contenu généré par les utilisateurs» (UGC)

36. Les utilisateurs combinent souvent leur propre matériel, comme des films vidéo réalisés à la maison, avec des œuvres protégées auxquelles ils accèdent par internet (par exemple de la musique), ou bien ils illustrent leur propre texte par des images trouvées sur un site web et rendent eux-mêmes ce contenu disponible sur internet. Fréquemment ils n’acquièrent pas le droit d’utiliser ainsi ces œuvres et, en principe, commettent donc une infraction. Certains réclament une exception aux droits exclusifs de l’auteur afin d’autoriser ces pratiques. Pourtant, une telle approche ne se justifie pas. Le fait que ces pratiques soient devenues courantes pour la plus grande satisfaction des internautes ne constitue pas un motif d’intérêt public suffisant pour restreindre les droits d’auteur. De plus, même à supposer que les utilisateurs n’agissent pas à des fins mercantiles, les plates-formes sur lesquelles ils postent leur contenu revêtent le plus souvent un caractère commercial, d’autant plus qu’elles font apparaître des publicités en relation avec ce contenu. Alors que certaines plates-formes sont disposées à acquérir des licences, nombreuses sont celles qui soutiennent qu’elles sont protégées par la Directive sur le commerce électronique et qu’elles ne sont pas prêtes à acquitter les droits de licence requis. Il paraît indiqué de clarifier leur rôle, souvent actif, de manière à réfuter cette argumentation.
37. ll y a aussi lieu de signaler qu’il existe déjà des possibilités pour les utilisateurs de recourir à des œuvres juridiquement protégées au prix d’un moindre effort. Par exemple, nombreux sont les auteurs qui octroient une licence à tout un chacun (notamment des licences de type Creative Commons). Rien n’empêche non plus un auteur d’octroyer une licence par le biais d’un site web à tout utilisateur en faisant la demande, dans le cadre d’une procédure simple telle que celle appliquée par la bibliothèque Bridgeman Art Library.

3.8. Participation équitable à la rémunération des auteurs et interprètes

38. Le plus souvent, les auteurs et interprètes ont du mal à toucher une partie des recettes liées à l’exploitation de leurs œuvres, dans la mesure où ils ne sont généralement pas en position de force pour négocier avec leurs partenaires contractuels. Afin d’améliorer la situation, au moins en ce qui concerne les utilisations sur internet, il conviendrait d’envisager l’application du modèle fixé dans l’article 4 de la Directive européenne de 1992 relative aux droits de location (devenu depuis l’article 5 de la Directive consolidée en 2006). Ce modèle s’est en effet avéré efficace dans le contexte du droit de location. Fondamentalement, il garantit la conservation par l’auteur ou l’interprète, en cas de cession de ses droits exclusifs, d’une sorte de «droit légal résiduel» à une rémunération équitable, droit auquel il ne pourrait renoncer et qui devrait idéalement être obligatoirement administré par une société de gestion collective. Cette dernière étant en meilleure position que n’importe quel auteur ou interprète individuel pour négocier, collecterait l’argent auprès des entreprises d’exploitation avant de le remettre aux intéressés.

3.9. Exercice du droit d’auteur et responsabilité des fournisseurs de services internet

39. La règle de participation des auteurs et interprètes, telle que mentionnée plus haut, risque de n’être qu’indicative si les recettes globales dégagées par l’exploitation sont minimes. Sur internet, les revenus sont jusqu’à présent souvent encore modestes, en raison des possibilités restreintes d’application des droits d’auteur et du fait que les flux de recettes vont aux plates-formes internet et autres intermédiaires plutôt qu’aux titulaires des droits. L’exercice de ces droits s’apparente à un défi, dans la mesure où n’importe qui peut facilement copier des œuvres protégées sous forme numérique, puis les poster sur son site web ou toute autre plate-forme afin de les rendre accessibles au public. Malgré l’existence de procédures visant à faire retirer le contenu illégal de ces sites, celui-ci peut être facilement posté de nouveau sur un autre site avec, pour effet, de pérenniser la violation des droits d’auteur. Des sommes considérables sont affectées à la recherche continue de nouveaux contenus illégaux et au déclenchement des procédures susmentionnées, des coûts que les titulaires des droits préféreraient investir dans un nouveau contenu créatif dans l’intérêt même de la diversité culturelle. L’existence permanente d’un contenu illégal considérable, souvent proposé gratuitement sur internet, complique singulièrement la tâche des titulaires de droits désireux de faire concurrence à ces offres illégales en proposant eux-mêmes un service légal (et payant) sur la Toile.
40. De plus, en vertu de la Directive sur le commerce électronique, les fournisseurs de services internet sont bien protégés contre l’engagement de leurs responsabilités au titre d’une violation commise sur leur plate-forme par un consommateur et parviennent régulièrement à tirer des avantages économiques énormes de la circulation de contenus protégés, notamment grâce à la publicité. Les titulaires des droits se voient donc ainsi privés du revenu dégagé par l’exploitation de leur contenu au profit d’intermédiaires.
41. Il conviendrait de mettre un terme à cette situation déséquilibrée en renforçant les mesures d’application et en clarifiant les dispositions protectrices très larges énoncées par la Directive relative au commerce électronique. En particulier, les mesures de blocage de sites, telles qu’elles sont couvertes par l’article 8.3 de la Directive relative à la société de l’information (demande d’une ordonnance sur requête à l’encontre des intermédiaires) ne sont effectivement disponibles et appliquées que dans certains Etats membres de l’Union européenne (comme le Royaume-Uni) où elles donnent d’ailleurs satisfaction. Il faudrait pourtant que cette situation prévale partout et, de ce point de vue, l’existence dans certains pays de restrictions sur le droit à l’information concernant les contrevenants peut constituer un obstacle majeur à l’exercice des droits sur internet. De plus, les clauses protectrices de la Directive relative au commerce électronique sont souvent appliquées à certains fournisseurs de services internet qui, initialement, ne relevaient pas de la portée de ces dispositions et qui ne devraient pas logiquement jouir d’une exonération de responsabilité. En particulier, les plates-formes sur lesquelles des utilisateurs placent un contenu devraient être contraintes d’assumer de larges responsabilités, dans la mesure où elles ne se cantonnent généralement pas à un rôle passif, mais participent activement à la diffusion dudit contenu. De même, l’approche consistant à se concentrer sur des entreprises gagnant de l’argent au moyen de sites postant un contenu illégal, notamment grâce à la publicité ou à l’offre de services de cartes de crédit (lorsque, par exemple, un paiement est exigé pour télécharger plus rapidement un film ou le visionner au moyen du procédé de lecture en transit [streaming]) – souvent qualifiée d’approche du type «suivre l’argent à la trace» – doit être vivement encouragée, de manière à éviter que les opérateurs de plates-formes continuent à profiter gratuitement à l’échelle commerciale d’un contenu, aux dépens des titulaires des droits, sans l’autorisation des intéressés.
42. Une telle protection serait également justifiée dans le contexte de la protection des droits de l’homme. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la protection des droits d’auteur sur internet peut justifier une ingérence dans le droit à la liberté d’expression tel qu’il est consacré par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment sous forme de mesures d’application et plus spécialement lorsque les informations litigieuses ne revêtent pas un caractère politique, mais sont diffusées dans le cadre de l’exploitation commerciale d’un contenu culturel. 
			(8) 
			Neij
et Sunde Kolmisoppi c. Suède, op.
cit.; et Ashby Donald et autres
c. France, Requête no 36769/08,
arrêt du 10 janvier 2013; bien entendu, le blocage de tous les sites
d’une société – y compris ceux n’étant pas en infraction – n’est pas
justifié, voir Ahmet Yildirim c. Turquie,
Requête no 3111/10, décision du 18 décembre
2012.

4. Droits d’auteur des journalistes et médias d’information

43. La liberté d’expression et d’information à travers les médias est une condition essentielle de toute société démocratique et suppose la transparence, le pluralisme et l’indépendance des médias. L’apparition de médias numériques en ligne a profondément bouleversé le marché de la presse et la situation d’emploi des journalistes. Les journaux voient leurs recettes décliner, ce qui place plusieurs d’entre eux dans une situation économique difficile, et le nombre des journalistes professionnels diminue. Parallèlement, de gros opérateurs internet multinationaux voient la valeur de leurs actions monter en flèche et engrangent d’immenses profits sans quasiment produire le moindre contenu informatif. Les responsables politiques européens ne sauraient rester indifférents devant une telle détérioration de la situation de la presse dans un secteur d’une importance vitale pour la démocratie.
44. La European Newspaper Publishers’ Association (ENPA) a rendu publiques, en mai 2015, 10 recommandations relatives aux droits d’auteur sur le marché unique numérique de l’Union européenne 
			(9) 
			<a href='http://www.enpa.be/uploads/enpa_copyright_epub_2015.pdf'>www.enpa.be/uploads/enpa_copyright_epub_2015.pdf.</a><a href='https://www.copyright.com/'></a>. La fouille des textes et des données (text mining et data mining) – qu’elle soit le fait d’utilisateurs ayant recours à des moteurs de recherche ou de fournisseurs de services internet spécialisés – se développe rapidement. L’ENPA déplore par conséquent que les moteurs de recherche, ainsi que les entreprises spécialisées dans la fouille, participent commercialement à l’exploitation d’un contenu composé d’actualités tout en refusant d’acquitter leur dû au titre des droits d’auteur. L’ENPA craint également que ne s’instaure un flou juridique au cas où le concept de «fair use» [utilisation équitable], en usage aux Etats-Unis, serait introduit dans la législation européenne relative au droit d’auteur en vue de restreindre ce dernier ainsi que les droits connexes. Ce concept étant inconnu en Europe, il faudrait attendre que plusieurs litiges aient été soumis aux juridictions suprêmes des Etats membres, au prix d’une procédure longue et coûteuse, pour disposer d’une jurisprudence précisant son contenu et sa portée.
45. Il vaudrait mieux, par conséquent, conclure des accords de licence qui permettent de fournir des solutions à la fois meilleures, plus rapides et plus adaptables que l’introduction de nouvelles exceptions. De tels accords sont utilisés avec succès dans plusieurs pays dont les Etats-Unis. Pourtant, bon nombre d’entreprises de presse sont contraintes de les négocier dans une position de faiblesse avec les gros opérateurs internet multinationaux.

5. Economie numérique

46. Tous les secteurs de l’économie bénéficient des progrès des technologies numériques et d’internet. Le paysage médiatique s’est profondément transformé à la suite de la convergence entre la presse écrite et audiovisuelle d’une part et internet et la téléphonie mobile d’autre part. La liberté individuelle d’expression et d’information s’est renforcée de manière exponentielle dans le cadre d’un changement irréversible.
47. Néanmoins, force est de reconnaître que les entreprises numériques prospèrent énormément aujourd’hui et dépassent de loin les pronostics formulés il y a une dizaine d’années dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler «la bulle internet». La mondialisation réelle de l’économie numérique semble toujours constituer un objectif politique, en raison de la concentration géographique apparente des gros acteurs du marché. Du point de vue de l’économie de marché, le soutien global à l’industrie numérique semble superflu. Par conséquent, il conviendrait de tenir compte de l’impact économique de toute réforme de la législation relative aux droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où elle pourrait procurer indistinctement des avantages aux opérateurs internet au détriment des détenteurs des droits et des médias traditionnels.

6. Initiatives prises par le secteur en matière d’autorégulation

48. Comme l’a déclaré l’Assemblée dans le rapport «La protection de la liberté d’expression et d’information sur internet et les médias en ligne» (Doc. 12874 Add), le partage de fichiers à grande échelle parmi les utilisateurs du réseau YouTube a donné un large écho au problème du piratage sur internet d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Racheté par Google en 2006 pour $US 1,76 milliard, YouTube a par la suite mis au point un logiciel du nom de «Content ID» qui examine et compare les vidéos aux supports fournis par les détenteurs de droits d’auteur, notamment pour afficher une publicité ciblée sur l’écran des utilisateurs ayant diffusé ces vidéos. Ce logiciel permet à YouTube de tirer des revenus de la publicité et d’identifier les atteintes au droit d’auteur lorsque les vidéos sont mises en ligne par les internautes. YouTube a aussi mis en place la «YouTube Copyright School» pour les contrevenants au droit d’auteur à qui il est demandé de visionner une vidéo de 4,5 minutes sur son site internet et de répondre à des questions sur le droit d’auteur, à des fins pédagogiques.
49. La Cour de justice de l’Union européenne a décidé, le 16 février 2012, que le propriétaire d’un réseau social en ligne n’est pas tenu de mettre en place un système de filtrage s’appliquant indistinctement à l’ensemble de ses utilisateurs en vue de prévenir les violations des droits de propriété intellectuelle par les intéressés 
			(10) 
			Cour de justice de
l’Union européenne, SABAM c. Netlog (C-360/10), <a href='http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2012-02/cp120011fr.pdf'>http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2012-02/cp120011fr.pdf.</a>. Pourtant, les opérateurs internet qui retirent un avantage commercial de la violation par leurs utilisateurs de droits de propriété intellectuelle peuvent voir leur responsabilité pénale engagée, comme cela ressort de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire «Pirate Bay» 
			(11) 
			Fredrik
Neij et Peter Sunde Kolmisoppi c. Suède, op. cit.. Il semble donc que contraindre les opérateurs internet à prendre des initiatives technologiques en faveur de la protection du droit d’auteur ne constitue pas pour les intéressés une charge indue, dans la mesure où ils retirent par ailleurs un profit des actes commis par leurs utilisateurs.
50. Des fournisseurs de services internet hébergeant un contenu produit par les usagers ont élaboré en 2007 des principes d’autorégulation «Principles for User-Generated Content Services» (Principes pour les services qui mettent enligne le contenu généré par les utilisateurs) visant à lutter contre les contenus illicites générés par l’utilisateur 
			(12) 
			<a href='http://www.ugcprinciples.com/'>www.ugcprinciples.com.</a>. Il faudrait qu’ils soient rejoints par d’autres fournisseurs. Les plates-formes et les réseaux sociaux diffusant du contenu généré par l’utilisateur devraient responsabiliser leurs usagers dans ce domaine en mettant automatiquement à leur disposition, par défaut, des outils d’identification numérique.

7. Conclusions

51. A la suite de l'audition de la commission à Paris le 3 décembre 2015, je conclus comme le professeur von Lewinski, qu’internet a amené d'énormes opportunités pour diffuser des œuvres de création aux utilisateurs au niveau mondial. Cependant, les puissants opérateurs internet restent toujours les principaux bénéficiaires de la diffusion des œuvres sur la Toile, tandis que les consommateurs profitent indirectement du système et que les auteurs, interprètes et autres titulaires de droits voient leurs revenus chuter de manière dramatique. Par conséquent, toute initiative législative visant à imposer des exceptions et des limitations devrait être précédée d’une analyse approfondie de la situation pertinente et d’une prise en considération des diverses conséquences prévisibles. Même si des exceptions et limitations soigneusement définies et parfaitement adaptées à la situation (plutôt que de vagues dispositions trop souples) pourraient convenir dans certaines situations, il n’est nul besoin de réviser celles qui sont déjà en vigueur, de les rendre contraignantes ou de les étoffer. Les auteurs d’œuvres de création devraient avoir une possibilité équitable de profiter du potentiel que représente pour eux la diffusion sur internet. Tel est l’objet des propositions formulées dans les projets de résolution et de recommandation.