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Recommandation 2091 (2016)
Arguments contre un instrument juridique du Conseil de l'Europe sur les mesures involontaires en psychiatrie
1. Les procédures de placement et
de traitement involontaires donnent lieu à un nombre important de violations
des droits humains dans de nombreux Etats membres, en particulier
dans le contexte de la psychiatrie. Les dispositions pertinentes
de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5)
et de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine
(STE no 164, «Convention d'Oviedo»),
ainsi que la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres
relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité
des personnes atteintes de troubles mentaux autorisent, mais en
le réglementant rigoureusement, le recours à des mesures involontaires
en psychiatrie afin de protéger les personnes ayant des problèmes
de santé mentale (qu’il serait plus approprié d’appeler «personnes
ayant un handicap psychosocial») contre toute violation des droits
humains.
2. Depuis 2013, le Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de
l'Europe travaille à l’élaboration d’un protocole additionnel à
la Convention d’Oviedo, visant à protéger les droits humains et
les libertés fondamentales des personnes atteintes de troubles mentaux
en cas de traitement et placement involontaires.
3. Tout en comprenant les préoccupations qui ont incité le Comité
de bioéthique à travailler sur cette question, l’Assemblée parlementaire
a des doutes sérieux quant à la valeur ajoutée d'un nouvel instrument juridique
dans ce domaine. Néanmoins, la principale préoccupation de l'Assemblée
concernant le futur protocole additionnel porte sur une question
encore plus essentielle: à savoir sa compatibilité avec la Convention
des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
(CDPH).
4. Durant la consultation publique sur un projet de protocole
additionnel, conduite en 2015, un certain nombre d’organes éminents
de protection des droits humains, dont le Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l'Europe et le comité chargé du suivi de
la mise en œuvre de la CDPH («Comité CDPH»), ont fait part de leurs
préoccupations fondamentales concernant le projet de protocole additionnel,
en soulignant l'incompatibilité de son approche avec celle de la
CDPH, et ont demandé que soit retirée la proposition visant à élaborer
un protocole.
5. L’Assemblée rappelle que, depuis son entrée en vigueur en
2008, la CDPH fait figure de point de repère international dans
le domaine du handicap, à la lumière duquel les mesures prises sont
évaluées aux échelons international et national. Par conséquent,
la CDPH devrait être le point de départ de toute action du Conseil
de l'Europe dans ce domaine.
6. La CDPH ne mentionne pas explicitement le placement ou le
traitement involontaires des personnes handicapées, y compris des
personnes ayant un handicap psychosocial. Toutefois, l'article 14
sur la liberté et la sûreté de la personne précise clairement que
la privation de liberté fondée sur l’existence d’un handicap serait
contraire à la CDPH.
7. Le Comité CDPH interprète l'article 14 comme interdisant la
privation de liberté sur la base d'un handicap, même si d’autres
critères, tels que la dangerosité pour soi ou pour autrui, sont
également utilisés pour la justifier. Le comité estime que les lois
sur la santé mentale prévoyant de tels cas sont incompatibles avec
l'article 14, sont de nature discriminatoire et équivalent à une
privation arbitraire de liberté, étant donné que d'autres personnes
qui risqueraient d'être dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui
ne sont pas soumises aux mêmes limitations de leurs droits. Il considère
aussi que le traitement forcé par des psychiatres et autres médecins
et professionnels de la santé constitue une violation du droit à
la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions
d’égalité ainsi qu’une atteinte, entre autres, au droit à l’intégrité
de la personne.
8. Au vu de ce qui précède, l'Assemblée conclut que tout instrument
juridique qui maintient un lien entre les mesures involontaires
et le handicap serait discriminatoire et donc contraire à la CDPH.
Elle note que le projet de protocole additionnel maintient un tel
lien, puisque le fait d’être atteint d’un «trouble mental» constitue la
base du traitement et du placement involontaires, parmi d'autres
critères.
9. L'Assemblée note que les Etats membres ont du mal à concilier
les principes de non-discrimination de la CDPH avec les dispositions
traditionnelles en matière de soins de santé mentale et de droits
humains. Elle relève aussi que certains Etats membres sont réticents
à accepter l'interprétation précitée du Comité CDPH. Toutefois,
elle estime que la position du Conseil de l'Europe devrait être
indépendante de celle de certains de ses Etats membres. Le fait
d’ignorer l'interprétation de la CDPH par son organe de suivi établi
en vertu du droit international non seulement saperait la crédibilité
du Conseil de l'Europe en tant qu’organisation régionale des droits
humains, mais risquerait aussi de créer un conflit explicite entre
les normes internationales aux niveaux mondial et européen.
10. L'Assemblée note aussi que, lors de leur 1168e réunion,
les Délégués des Ministres ont chargé les comités directeurs et
les comités ad hoc d’évaluer la nécessité ou l'opportunité d'élaborer
des protocoles additionnels aux conventions placées sous leur responsabilité.
Elle estime qu'un protocole additionnel élaboré dans ces circonstances
ne saurait satisfaire le critère d’«opportunité» requis par le Comité
des Ministres.
11. En conséquence, l'Assemblée recommande que le Comité des Ministres
charge le Comité de bioéthique:
11.1. de
retirer la proposition visant à élaborer un protocole additionnel
relatif à la protection des droits humains et à la dignité des personnes
atteintes de troubles mentaux à l'égard du placement et du traitement
involontaires;
11.2. de concentrer plutôt son travail sur la promotion d’alternatives
aux mesures involontaires en psychiatrie, y compris en élaborant
des mesures visant à accroître la participation des personnes ayant un
handicap psychosocial aux décisions qui concernent leur santé.
12. S’il est néanmoins décidé de poursuivre l’élaboration du protocole
additionnel, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres d'encourager
le Comité de bioéthique à assurer une participation directe des
organisations de défense des droits des personnes handicapées au
processus de rédaction, tel que requis par la CDPH et la Résolution 2039 (2015) de
l'Assemblée «Egalité et insertion des personnes handicapées».