1. Introduction
1. Depuis quelques décennies,
les différentes armées en Europe ouvrent progressivement leurs portes
au recrutement des femmes. Ces processus sont très hétérogènes:
la féminisation des forces armées suit un rythme différent en fonction
des pays mais également selon les corps d’armée. Force est de constater
toutefois que les femmes demeurent, aujourd’hui encore, très minoritaires
parmi le personnel militaire. Parmi les Etats européens membres
de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), seule la
Lettonie compte aujourd’hui plus de 15 % de femmes parmi ses effectifs
militaires
.
2. Les femmes qui s’engagent dans les forces armées se voient
confrontées à un environnement conçu par et pour des hommes. Même
si le nombre de femmes recrutées au sein des forces armées a augmenté dans
de nombreux pays, l’environnement militaire ne s’est pas toujours
adapté à cette réalité. Elles font face à de nombreuses discriminations,
que ce soit, par exemple, dans l’accès aux postes les plus élevés
ou la possibilité d’exercer des métiers de combat. Les harcèlements
et agressions sexuelles à leur encontre sont également un problème
majeur.
3. Aucun instrument juridique international n’est consacré spécifiquement
aux droits des femmes militaires. Le Conseil de l’Europe a toutefois
abordé un certain nombre de questions relatives aux droits des femmes militaires
dans le cadre de ses travaux sur la Recommandation CM/Rec(2010)4
sur les droits de l’Homme des membres des forces armées
, qui fait suite à
la
Recommandation 1742
(2006) de l’Assemblée sur les droits de l’homme des membres
des forces armées.
4. Le présent rapport a pour objectif d’examiner la condition
des femmes dans les forces armées, d’identifier de bonnes pratiques
et de formuler des recommandations aux Etats membres du Conseil
de l’Europe concernant l’égalité d’accès des femmes aux forces armées
et l’égalité des droits des femmes engagées en leur sein. Je souhaite
également rendre plus visible le phénomène de harcèlement et de violences
à l’égard des femmes dans les forces armées, en espérant que cela
encouragera les victimes, ou les témoins, à signaler les faits et,
ainsi, à obtenir justice. Ce rapport pourra ainsi contribuer à la
prise de conscience de ces comportements et influer sur les changements
de mentalités nécessaires.
2. Pourquoi recruter plus de
femmes et diversifier leur rôle au sein des forces armées?
5. Au-delà des «simples» considérations
d’égalité et des questions de principe militant en faveur de l’ouverture
des armées aux femmes, les forces armées doivent aujourd’hui faire
face à de nouveaux défis multiples. La professionnalisation subite
des armées dans les pays ayant abandonné le service militaire masculin
obligatoire, le déploiement de militaires pour des opérations intérieures
dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le fait pour les
armées de se retrouver en concurrence de plus en plus forte avec
d’autres employeurs pour recruter les meilleurs candidats possibles,
ce qui pourrait poser – à plus long terme – la question de la viabilité
des forces armées, sont parmi les raisons qui les ont poussées à
ne plus négliger les compétences des femmes
ni celles des minorités
ethniques.
6. Par ailleurs, que les forces armées se voient imposer la féminisation
ou la recherchent, les missions qui sont confiées aux femmes sont
de plus en plus diversifiées. Une participation accrue à des opérations
de maintien de la paix amène les forces armées à être davantage
en contact avec les populations civiles, contexte dans lequel la
présence de femmes parmi le personnel militaire peut sensiblement
améliorer les relations entre population civile et armée. Au sein
des Nations Unies, il a été remarqué par exemple que «les femmes Casques
bleus élargissent l’éventail de compétences et d’aptitudes dont
disposent toutes les catégories de personnel, améliorent l’efficacité
opérationnelle de toutes les tâches ainsi que l’image, l’accessibilité
et la crédibilité des missions aux yeux de la population locale»
.
7. Les forces armées ont ainsi de plus en plus intérêt à capitaliser
sur une diversité d’expériences et de façons de penser. Tout comme
chez d’autres employeurs, la diversité renforce la capacité à innover,
à résoudre des problèmes et à prendre des décisions bien fondées
. Pour les forces armées,
recruter et conserver parmi leur personnel un plus grand nombre
de femmes est aujourd’hui un enjeu essentiel.
8. Pour les femmes, c’est aussi avoir le droit de servir, à part
entière, leur pays.
3. Egalité d’accès et carrières
des femmes dans les forces armées
9. Des efforts sont en cours dans
de nombreux pays d’Europe pour augmenter le nombre de femmes travaillant
au sein des forces armées, pour les raisons évoquées ci-dessus ainsi
que dans le contexte de la mise en œuvre de la Résolution 1325 «Femmes,
paix et sécurité» des Nations Unies
.
Dans ce chapitre, j’analyse différents aspects de l’accès des femmes
aux forces armées et de leurs carrières en leur sein.
3.1. Acceptation des femmes dans
les forces armées au cours du XXe siècle
10. La situation et l’accès des
femmes à différents rôles au sein des forces armées varient fortement
d’un pays à l’autre. Le laps de temps s’étant écoulé entre l’admission
des premières femmes au sein des forces armées et l’ouverture de
l’accès des femmes à tous les postes peut en effet être très court
ou au contraire de plusieurs décennies, si tant est que les femmes
aient aujourd’hui accès à tous les postes.
11. Les pays ayant ouvert le plus tôt les portes de leurs forces
armées aux femmes ne sont pas forcément les premiers à leur avoir
permis d’accéder à tous les postes. Pendant la première guerre mondiale,
des bataillons de femmes-soldats et des postes de pilote-aviatrice
existaient déjà au sein des forces armées russes, mais l’accès à
tous les postes ne leur est actuellement pas encore ouvert
. De même, parmi les Etats membres
de l’OTAN, deux des six pays dans lesquels des restrictions existent
encore quant à l’accès des femmes à certains postes militaires avaient
commencé à accepter des femmes au sein de leurs forces armées dès
1944 (Pays-Bas) ou 1946 (Grèce). En revanche, dans les 12 pays ayant
rejoint l’OTAN à partir de 1999, les femmes ont déjà, théoriquement,
accès à l’ensemble des postes. Ce progrès était déjà acquis avant
leur adhésion à l’OTAN, ou a été accompli peu après
.
12. En Allemagne, les femmes ont pu accéder aux professions civiles
des forces armées à partir de 1975, et leur accès à d’autres professions,
notamment médicales, s’est progressivement élargi au cours des années 1980
et 1990. Il a toutefois fallu attendre un arrêt de la Cour de justice
de l’Union européenne
pour que l’ensemble
des postes et des professions soient ouverts aux femmes, en 2000.
Elles constituent aujourd’hui 10,5 % des effectifs globaux des forces
armées allemandes.
13. Le cas de la Norvège est également intéressant à cet égard.
Depuis leur abrogation en 1985, il n’existe plus de barrières formelles
à l’accès des femmes à tous les postes et fonctions militaires.
D’après des femmes militaires que j’ai rencontrées lors de ma visite
d’information d’octobre 2015, le souhait de recruter des femmes à
certains postes a d’abord été exprimé par les forces armées elles-mêmes
à la suite de la deuxième guerre mondiale, afin de libérer davantage
d’hommes pour partir vers des postes opérationnels – mais le milieu politique
n’était pas prêt. Vers la fin des années 1970 et dans le contexte
des luttes féministes – alors que les forces armées ne cherchaient
plus à recruter des femmes – des décisions politiques ont été prises
pour imposer leur présence. Au cours des années 1990, les débats
tournaient essentiellement autour de questions de principe. Ce n’est
que depuis peu que l’on reconnaît explicitement le besoin, sur le
plan opérationnel, de bénéficier des compétences des femmes au sein
des forces armées. Aujourd’hui, les politiques en matière d’égalité
de genre au sein des forces armées norvégiennes sont fondées sur
trois principes directeurs: la compétence, l’égalité des chances,
et la légitimité des forces armées aux yeux de l’ensemble de la
population. En 2007, dans son Livre blanc no 36,
le Parlement norvégien a estimé qu’il serait réaliste de viser à
atteindre une proportion de 20 % de femmes exerçant des rôles militaires
en 2020. Fin 2014, 17 % des effectifs globaux des forces armées
norvégiennes étaient des femmes. Toutefois, malgré 200 actions ciblées
menées depuis 1985, les femmes représentaient seulement 10,2 % des
effectifs militaires
.
Des fonds importants ont été alloués à des recherches sur les causes
de cette situation et à l’identification des mesures qui pourraient
être prises pour accroître le recrutement des femmes militaires
et surtout les inciter à poursuivre leurs carrières au sein des
forces armées.
14. Comme cet exemple le montre, un chiffre national global peut
masquer des réalités contrastées. Les proportions de femmes varient
en effet, de manière significative, selon les corps d’armées et
les services. Ainsi, l’armée de terre française comprend 10 % de
femmes. En revanche, elles représentent 21 % du personnel au sein
du service du Commissariat et 57,6 % des effectifs du Service de
santé. En Croatie, 10 % des effectifs militaires sont des femmes,
comparés à 35,6 % du personnel civil. Au Danemark, ces proportions atteignent
6 % pour le personnel militaire et 39 % pour les civils; en Lettonie,
16,7 % des effectifs militaires et 65,4 % des civils; au Portugal,
11,3 % et 64 % respectivement.
15. Face à de tels écarts, il serait dommage de s’arrêter, sous
prétexte que la situation ne serait guère différente dans la société
civile, au simple constat que la plus forte présence des femmes
dans les services civils et les fonctions administratives n’est
pas une spécificité des femmes dans les armées
.
En effet, la question de savoir pourquoi les femmes restent cantonnées
dans certains types de métiers se pose aussi bien dans la société
civile qu’au sein des forces armées.
3.2. Service militaire obligatoire
et professionnalisation des forces armées
16. Un autre facteur ayant une
influence non négligeable sur la proportion de femmes employées
au sein des forces armées est l’existence ou non du service militaire
obligatoire, et l’application ou non de cette obligation aux femmes.
17. En Europe, le service militaire obligatoire s’applique à tous
(femmes et hommes) dans un seul pays, à savoir la Norvège
.
Chaque année depuis 2014, tous les jeunes âgés de 17 ans sont appelés
à passer les procédures de sélection obligatoires des forces armées.
Des 63 000 jeunes appelés, environ 8 000 jeunes femmes et hommes
seront sélectionnés pour effectuer le service militaire, d’une durée
d’environ un an
.
Il n’y a pas de quota homme/femme dans ce processus: ce sont les
individus qui remplissent le mieux les critères recherchés par les
forces armées qui sont sélectionnés. Il est à noter que l’obligation
de se présenter aux procédures de sélection des forces armées s’applique
déjà depuis 2010 à tous. Toutefois, entre 2010 et 2014, les femmes
avaient le droit de se désister si elles étaient sélectionnées.
D’après les chercheurs que j’ai rencontrés en Norvège, l’on a déjà
pu constater une augmentation du nombre de femmes se disant motivées pour
effectuer le service militaire, leur proportion passant de 17 %
en 2010 à 23 % cinq ans plus tard. Pendant cette période, beaucoup
de femmes sélectionnées pour effectuer le service militaire ont
toutefois exercé leur droit de se désister. Reste à savoir si cette
tendance continuera à la suite de la modification de la loi en 2014, et
quel sera l’impact de celle-ci à long terme sur la proportion de
femmes employées dans des fonctions militaires opérationnelles.
18. Concernant d’autres pays, le service militaire obligatoire
existe mais ne s’applique qu’aux hommes dans 10 pays sur lesquels
nous disposons d’informations à ce sujet: l’Autriche, le Danemark,
l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, les Pays-Bas, la
Fédération de Russie, la Suisse et la Turquie. Dans la plupart de
ces pays les femmes peuvent également s’engager pour le service
militaire sur une base volontaire. La proportion de femmes travaillant
au sein des forces armées varie fortement entre ces pays. En Suisse,
0,75 % des effectifs des forces armées sont des femmes, alors qu’en
Estonie, les femmes constituent 11,4 % du personnel militaire et
26% des effectifs globaux des forces armées.
19. Dans les cas où le service militaire obligatoire a existé
dans le passé uniquement pour les hommes puis a été aboli ou suspendu
(processus de «professionnalisation»), les armées ont été contraintes
de trouver de nouvelles sources de recrues. Comme en France, où
le service militaire obligatoire pour les hommes a été aboli en
1996, certaines armées ayant une longue tradition masculine ont
fait le constat qu’elles ne pouvaient plus se permettre de passer
à côté de 50 % de la population et ont commencé à chercher activement
à recruter davantage de femmes. Toutefois, les objectifs de recrutement
de femmes ne sont pas toujours atteints. Comme l’a indiqué Mme Françoise
Gaudin lors de l’audition organisée par la commission sur l’égalité et
la non-discrimination le 1er juin 2015,
alors que l’objectif fixé en France est de 20 %, le recrutement
actuel de femmes est de 12 %, même si leur part dans le corps des
officiers progresse. Dans d’autres pays, notamment ceux où les forces
armées ont été constituées après la chute du mur de Berlin, le recrutement
de femmes est un enjeu crucial depuis leur création. Bien que les
femmes n’aient jamais été soumises au service militaire obligatoire
dans ces pays, la proportion de femmes engagées au sein des armées
est souvent comparable, voire supérieure à celle des armées dans
lesquelles le service militaire est encore obligatoire pour les
hommes. Ainsi, en Croatie, où le service militaire obligatoire a
été suspendu en 2008, les femmes constituent 10 % des effectifs
militaires (12,51 % des effectifs globaux); en République tchèque,
où le service militaire obligatoire n’a pas été mis en place lors
de la création de son armée, 13,76 % des effectifs militaires sont
des femmes.
20. Il est évidemment difficile de tirer des conclusions quant
à l’impact du service militaire obligatoire sur la féminisation
des armées. D’une part, l’histoire récente des différents pays,
la présence ou non de conflits armés sur leur territoire ou dans
les pays limitrophes, ont pu avoir une influence importante sur
l’engagement des femmes et des hommes au sein des armées. D’autre
part, la conception même du rôle des forces armées peut varier d’un
pays à l’autre. Chaque pays étant libre d’imposer ou non le service
militaire obligatoire, il sera toutefois essentiel, quelle que soit
la politique adoptée en la matière, d’intégrer systématiquement
la dimension de genre dans les réflexions sur sa mise en œuvre.
3.3. Recrutement
21. Pour augmenter le nombre de
femmes militaires, il faut bien sûr en recruter davantage. Un aspect intéressant
évoqué par plusieurs de mes interlocuteurs en Norvège concerne l’image
des forces armées au sein de la population en général, et notamment
l’image véhiculée par les forces armées elles-mêmes dans leurs campagnes
de recrutement. Jusqu’à récemment, les messages transmis et les
images utilisées à l’appui de ces campagnes étaient associés aux
capacités physiques et à la masculinité (courses dans la boue, fusils, balles).
Autrement dit, la nature même des campagnes de recrutement, ancrée
dans des stéréotypes dépassés et éloignés des besoins actuels des
forces armées, a eu jusqu’à récemment tendance à motiver davantage
de candidats masculins que féminins
.
Je considère donc comme une initiative très intéressante le développement
d’une nouvelle campagne de recrutement, plus représentative de la
réalité actuelle des forces armées, axée davantage sur les compétences
techniques et les valeurs que représentent les forces armées.
22. Pour être capable d’attirer les meilleures recrues, hommes
ou femmes, les forces armées doivent désormais bénéficier d’une
réputation d’employeur de choix
. Leur traitement de
la diversité et notamment de l’égalité de genre sera un facteur
d’évaluation important pour un certain nombre de femmes dans ce
contexte. Si le milieu militaire est perçu par le grand public comme
sexiste, voire misogyne, de nombreuses femmes seront dissuadées
d’y poursuivre une carrière.
23. Lors de ma visite à l’OTAN le 23 février 2016, mes différents
interlocuteurs s’accordaient à insister sur le fait que, dans le
recrutement et la progression de carrière, même si fixer des objectifs
chiffrés et évaluer les résultats est important, l’accent doit surtout
être mis sur la recherche des compétences dont les armées ont besoin.
La communication de la hiérarchie à ce sujet doit également être
très claire. D’une part, mettre en exergue les compétences requises
permet d’assurer que les forces armées bénéficient du personnel
le mieux en adéquation avec ses besoins; d’autre part, cette approche
garantit aux femmes recrutées ou promues un meilleur accueil, puisque
leurs compétences ne sont pas sujettes à question
.
3.4. Accès des femmes à différentes
professions au sein des forces armées
24. Dans certains pays, les femmes
n’ont pas accès à toutes les professions existant au sein des forces armées.
Au Royaume-Uni, par exemple, si 94 % des types de fonctions
au sein de l’armée de l’air sont
ouverts aux femmes, seuls 79 % le sont dans la marine et 70 % dans
l’armée de terre. En effet, les unités destinées à s’engager dans
des combats rapprochés («
ground close
combat») excluent totalement l’emploi des femmes. Cette
exclusion serait fondée sur des considérations de «cohésion d’équipe»
et partant, d’«efficacité dans les situations de combat» («
combat effectiveness »). Une étude
récente du ministère de la Défense britannique au sujet de l’exclusion
des femmes de ces fonctions conclut à la nécessité de mener des
recherches physiologiques supplémentaires afin d’évaluer les risques
pour les femmes et d’identifier des pistes permettant de minimiser
l’impact de ces risques avant de décider de la levée ou non de l’interdiction
.
25. En France, le seul corps de l’armée qui n’acceptait toujours
pas les femmes était celui des sous-mariniers, en raison des conditions
de vie à bord des sous-marins inadaptées à la mixité. La construction
de sous-marins nucléaires adaptés à l’embarquement d’équipages mixtes
est toutefois en cours. Les premiers bâtiments devraient être livrés
à partir de 2017, et plusieurs femmes sont déjà candidates. Des
réflexions et un processus similaires sont également en cours aux
Pays-Bas. Les autorités françaises ont indiqué s’inspirer, en la
matière, des politiques d’accueil de femmes à bord de sous-marins
en place dans d’autre pays, et notamment au Royaume-Uni
. Cet exemple met, par
ailleurs, clairement en relief le fait qu’en matière d’égalité de
genre, les armées progressent sur différents fronts à des rythmes
variés, certaines évolutions considérées comme problématiques dans
un pays pouvant au contraire aller très vite dans un autre, et inversement.
26. Ces cas ne doivent pas masquer le fait que dans la majorité
des pays européens, il n’y a plus d’interdiction formelle faite
aux femmes d’exercer tel ou tel métier au sein des armées
.
27. Il faut toutefois souligner que, dans la pratique, la suppression
des interdictions légales ne conduit pas automatiquement à l’accès
des femmes aux professions dont elles étaient auparavant exclues.
Au Portugal, toutes les professions sont ouvertes aux femmes depuis
2008, mais il n’y a toujours aucune femme dans plusieurs corps militaires
(opérations spéciales, corps des marines, personnel des sous-marins,
etc). Au Monténégro et en Serbie, malgré l’absence de toute restriction
légale en la matière, les autorités médicales compétentes déconseillent
la nomination de femmes à certaines fonctions, pour des motifs sanitaires,
et une certaine autocensure est également constatée chez les femmes,
qui s’abstiennent de postuler pour ces fonctions.
28. Concernant les critères physiques appliqués au recrutement
des hommes et des femmes à différents rôles au sein des forces armées,
l’on entend souvent que ces critères doivent être les mêmes pour
tous. Le contraire serait perçu comme la mise en place d’un système
de quotas ou d’action positive en faveur des femmes, notion rejetée
notamment par les femmes qui ne souhaitent pas être considérées
par leurs collègues comme moins crédibles, moins fortes ou moins
capables. Or, d’après les chercheurs que j’ai rencontrés en Norvège,
lorsque la même question est posée par le biais d’un questionnaire
anonyme, 89 % des femmes et une majorité d’hommes estiment qu’il
faudrait mettre en place des critères physiques différents pour
les femmes et les hommes (qui correspondraient à un niveau d’effort
équivalent pour les deux sexes).
29. Dans ce contexte, une autre initiative prise par les forces
armées norvégiennes est particulièrement intéressante. Malgré l’absence
de barrières formelles, certaines unités n’ont jamais pu recruter
de femmes. Ayant néanmoins besoin de femmes dans ces unités, l’armée
de terre a récemment lancé un projet pilote, créant une troupe de
parachutistes composée uniquement de femmes, recrutées pour y accomplir
leur service militaire à la suite d’une procédure de sélection très
rigoureuse, mais sur la base de critères physiques adaptés. Cette
initiative, qui répondait à un besoin clair des forces armées et
qui était perçue de façon positive par tous mes interlocuteurs,
a permis de former, pour la première fois, 14 femmes au métier de
parachutiste. La très grande majorité de ces femmes a décidé de
rester à la fin de leur période de formation. Reste à suivre comment
se passera leur intégration par la suite, dans des unités qui deviendront
ainsi mixtes.
30. Au vu de ces éléments, même dans les pays où il n’existe aucune
restriction légale à l’exercice par les femmes de toutes les professions
au sein des forces armées, des politiques proactives de recrutement
mais aussi d’accueil des femmes dans les professions dont elles
ont précédemment été exclues semblent nécessaires.
3.5. Participation des femmes
aux opérations extérieures
31. La participation des femmes
à des opérations extérieures représente une plus-value réelle, car
elles peuvent, par exemple, faciliter les contacts avec les populations
civiles locales, voire représenter un facteur d’apaisement au sein
des équipes militaires
. La question essentielle n’est donc
pas de savoir si les femmes devraient pouvoir participer à des opérations
extérieures, mais comment gérer cette participation afin qu’elle se
passe au mieux.
32. La mise en œuvre de la Résolution 1325 et des résolutions
connexes du Conseil de sécurité des Nations Unies a conduit l’OTAN
à réfléchir de manière approfondie au rôle des femmes militaires
lors d’opérations extérieures (par exemple en Afghanistan). La directive
BI-SCD 40-1 précise le cadre et les modalités de mise en œuvre de
ces instruments, notamment dans le contexte des opérations extérieures.
L’OTAN y reconnaît explicitement qu’accroître la participation des
femmes aux opérations extérieures renforce l’efficacité de ces opérations,
relève que la prise en compte de la perspective de genre influe
positivement sur le théâtre des opérations et enjoint les acteurs
concernés à élargir la participation des femmes aux opérations extérieures.
Il met en exergue l’importance de l’intégration de la perspective
de genre à toutes les étapes de préparation et de mise en œuvre
d’une opération extérieure et prévoit de manière détaillée la formation
obligatoire sur la dimension de genre à dispenser aux membres des
forces armées avant tout déploiement. Il définit également le rôle
des conseillers sur la dimension de genre. Il précise par ailleurs
le code de conduite applicable aux troupes déployées et définit
les notions d’exploitation sexuelle et d’abus sexuel.
33. Dans la pratique, les femmes restent encore minoritaires parmi
le personnel déployé pour des opérations extérieures. Comme l’a
indiqué Mme Françoise Gaudin lors de
l’audition de la commission, la proportion de femmes participant
aux opérations extérieures de l’armée de terre française sur le
terrain, par exemple au Mali et en République centrafricaine, reste
faible, à environ 5 %. Avant même le danger ou l’éloignement de
la famille, des femmes ayant participé à de telles opérations relèvent
les difficultés liées à la rusticité des conditions de vie (promiscuité,
tentes ou blocs sanitaires parfois mixtes). Par ailleurs, le sentiment à
la fois d’être minoritaire et de devoir tout faire pour que la féminité
passe inaperçue peut être accru, augmentant ainsi le stress auquel
les femmes militaires doivent faire face dans des situations déjà particulièrement
exigeantes pour tous. Certains de mes interlocuteurs lors de ma
visite à l’OTAN ont souligné par ailleurs que lorsque les femmes
militaires sont présentes en très petit nombre dans le cadre d’opérations extérieures,
leurs collègues masculins ont tendance à les surprotéger, les confinant
à des rôles perçus comme moins dangereux. Elles sont ainsi contraintes
d’affirmer leur droit de participer sur un pied d’égalité à la mission.
34. De tels éléments doivent être pris en compte par toute force
armée souhaitant déployer davantage de femmes dans ses opérations
extérieures. Je note par ailleurs avec intérêt que, selon mes interlocuteurs
à l’OTAN, la prise de conscience est en marche, car les commandants
ayant dirigé des opérations extérieures auxquelles ont participé
des femmes sont, dans la plupart des cas, catégoriques: ils ne souhaitent
plus jamais être à la tête de compagnies composées uniquement d’hommes.
3.6. Progression de carrière
et accès des femmes aux plus hauts rangs
35. Dans le contexte du développement
de la carrière, les femmes militaires affirment ressentir la nécessité de
démontrer leur ténacité et de faire constamment leurs preuves, en
en faisant plus que les hommes afin de gagner leur confiance, alors
que celle-ci est accordée presque naturellement aux collègues masculins
.
36. Même si des exemples de femmes ayant atteint les plus hauts
rangs militaires peuvent désormais être cités dans de nombreux pays
européens, la représentation des femmes dans les postes les plus
élevés des forces armées reste globalement faible, et lorsqu’elles
occupent des postes à très haut rang, ceux-ci sont souvent des postes
à caractère administratif. Le constat de l’existence d’un «plafond
de verre» est très largement partagé. A travers l’ensemble des forces
armées des pays membres de l’OTAN, environ 11 % du personnel occupant
les rangs allant de soldat/matelot/aviateur jusqu’à capitaine/lieutenant
de vaisseau (OF2) est féminin. Or, au-dessus de ce rang, la proportion
baisse de manière significative. Elle est de 5,1 % pour les rangs
allant de commandant/capitaine de corvette à colonel/capitaine de
vaisseau (OF3-OF5) et de seulement 0,6 % parmi les officiers généraux
(OF6 et plus)
.
Souvent, les premières femmes nommées à des grades élevés travaillent
dans les corps médicaux ou dans des fonctions de relations publiques
ou de logistique. Cela est dû notamment au fait que, dans de nombreuses
armées, les femmes ont d’abord été recrutées à des fonctions non
liées au combat, et sont toujours davantage représentées dans ces
types de fonctions. Par ailleurs, il est à noter que dans six pays
membres de l’OTAN, les femmes n’ont toujours pas accès à tous les postes
.
37. Les plans de carrière sont souvent excessivement rigides,
réservant l’accès aux grades élevés aux seuls militaires ayant suivi
certains parcours bien précis. Or, les femmes sont souvent encouragées
à s’orienter vers des postes élevés de soutien ou dans l’administration,
considérés comme plus accessibles, et ne se rendent compte que trop
tard que cela réduit leurs possibilités d’avancement. Cette rigidité
empêche les armées de gérer leur personnel de manière souple et
a pour effet de pousser des militaires hautement qualifiés et formés mais
qui ne peuvent progresser puisqu’(ils ou) elles n’ont pas suivi
le parcours préconisé (notamment la participation aux opérations
extérieures) à quitter les forces armées, entraînant pour celles-ci
de lourdes pertes de compétences
.
38. Des recherches sur les forces armées norvégiennes montrent
que les femmes militaires estiment avoir le même accès que leurs
collègues masculins aux informations officielles relatives aux possibilités
de carrière. Toutefois, des conseils importants sont aussi fournis
par le biais de réseaux informels et peu transparents, auxquels
les hommes (encore largement majoritaires au sein des forces armées)
ont davantage accès que les femmes
.
Les femmes militaires ainsi que les chercheurs soulignent que les
femmes ont parfois besoin d’être poussées à postuler pour des postes
opérationnels ou des promotions, car, sans un tel encouragement
actif, elles n’oseront pas se mettre en avant pour ces fonctions.
39. Parmi les freins et obstacles, citons notamment les difficultés
d’accès des femmes aux écoles militaires supérieures. Soulignons
également la persistance de stéréotypes à l’égard des femmes, qui
peuvent être particulièrement pesants dans les écoles militaires
et contre lesquels il demeure nécessaire de lutter fermement, en
renforçant dans ces écoles notamment la formation à l’égalité et
la non-discrimination – y compris pour les formateurs eux-mêmes.
3.7. Conciliation vie privée/vie
professionnelle
40. Les questions liées à la conciliation
du métier militaire et de la vie familiale sont particulièrement
critiques en ce qui concerne la maternité ainsi que l’impact sur
la vie familiale des exigences de mobilité géographique. Il s’agit
là d’autant de facteurs auxquels sont confrontées toutes les femmes
exerçant un métier, mais qui peuvent avoir un impact accru au sein
des armées, où les étapes décisives dans la progression de la carrière militaire
se déroulent souvent en parallèle à celles de la vie familiale.
41. Il convient de souligner que les forces armées ont rarement
été conçues pour favoriser la conciliation entre vie professionnelle
et vie privée. Bien au contraire, il existe souvent une mentalité
selon laquelle les «bons» militaires sont ceux qui consacrent leur
vie toute entière aux forces armées, à l’exclusion de toute autre priorité.
Même si certaines des difficultés susmentionnées sont bien connues
des femmes travaillant dans le secteur civil, l’environnement militaire
clos accentue la pression sur les femmes et multiplie leur sentiment d’isolement
au sein d’un monde parfois hostile
.
42. L’obligation de mobilité entre différentes bases militaires,
même en dehors des déploiements pour des opérations extérieures,
peut induire un nombre important de départs. D’après mes interlocuteurs
de l’OTAN, au Canada, les entretiens de départ démontrent que non
seulement les femmes mais aussi les hommes, invoquent des raisons
familiales comme motif de départ des forces armées. Toutefois, les
femmes ont davantage tendance à quitter les forces armées lorsque
leurs enfants sont en bas âge, alors que les hommes qui partent
pour des raisons familiales le font généralement plus tard, lorsque
leurs enfants sont adolescents et que leur famille n’est plus prête
à accepter la mobilité.
43. Le constat que les femmes quittent souvent les forces armées
au moment de la maternité ou lorsque leurs enfants sont en bas âge
a conduit en Australie à une réflexion importante sur les coûts
que cela entraîne. La nécessité de proposer davantage de flexibilité
dans les carrières militaires s’est dès lors imposée comme une évidence,
afin de prévenir les départs et ainsi de capitaliser sur l’investissement
des forces armées dans un personnel performant
. Soulignons dans ce contexte l’approche
fondée à la fois sur la reconnaissance des compétences et sur la
mise en place d’une plus grande flexibilité des parcours, afin d’accroître
l’attractivité de ce milieu professionnel et de réduire le nombre
de départs.
44. Au sein des forces armées, les mentalités évoluent toutefois
lentement. Les mères d’enfants en bas âge qui partent en opérations
extérieures ou simplement sur des bases militaires éloignées sont
confrontées à des questions et attitudes de la part de leurs collègues
qui les renvoient sans cesse à l’image d’être (mauvaises) mères
avant d’être (éventuellement bonnes) militaires («Tu as un bébé?
Mais… qu’est-ce que tu fais ici?»). Sans être forcément malveillantes,
de telles questions sont déstabilisantes, provoquant ou renforçant
des sentiments de culpabilité et suscitant des questionnements chez
certaines femmes quant à la légitimité de leur présence au sein
des forces armées. Ces questions ne sont pas posées aux jeunes pères
militaires.
45. Les attitudes de la société à cet égard restent également
au niveau des stéréotypes. J’ai eu le privilège de rencontrer en
Norvège trois femmes officiers des forces armées, ayant le rang
de colonel, lieutenant-colonel et capitaine de frégate. Toutes ont
des enfants et toutes ont participé à des opérations extérieures.
Pour un homme militaire, partir en opération extérieure est considéré
comme normal. Les femmes qui acceptent de participer à une opération
extérieure seront critiquées par leur entourage, voire accusées
d’abandonner leurs enfants. Au retour, il arrive que personne ne
pose de question à la femme militaire sur sa mission, alors que tout
le monde demande à son époux comment il a tenu le coup. Le retour
tant idéalisé pendant qu’on est en mission est parfois très dur.
46. Une bonne pratique existant dans plusieurs pays m’a été signalée,
selon laquelle, lorsqu’un bataillon entier est appelé à partir en
opération extérieure, un système de soutien aux familles est mis
en place. Toutefois, cette pratique est rarement institutionnalisée
mais dépend de la bonne volonté du commandant. Par ailleurs, lorsqu’un
militaire est le seul de son bataillon à partir en opération extérieure
(par exemple en tant que spécialiste accompagnant un autre bataillon),
il est rarement inclus dans de tels dispositifs.
47. Au sein des forces armées norvégiennes, de nombreuses mesures
intéressantes ont été mises en place afin de permettre aux militaires
ayant une famille de participer aux opérations extérieures, allant
par exemple de la prise en charge des frais de voyage des grands-parents
pour leur permettre de s’occuper des enfants (s’ils en ont la possibilité)
au fait de couvrir les frais de garde des enfants en l’absence des
deux parents ou les frais de ménage ou d’entretien en l’absence
d’un des parents. Dans les familles où les deux parents sont militaires,
il est considéré comme essentiel de ne jamais envoyer les deux parents
en mission en même temps.
48. Par ailleurs, l’introduction en Norvège d’un congé de paternité
non transférable (actuellement de 10 semaines) a contribué à un
changement radical des mentalités. Gérer la naissance d’un enfant
n’est en effet plus considéré comme le seul problème de la mère:
désormais, il revient à l’armée, comme à tout autre employeur, de
s’organiser afin que tous les parents puissent exercer leur droit
au congé parental. En Fédération de Russie, la question de l’accès
au congé parental des militaires hommes est également à l’étude dans
le cadre de l’exécution d’un arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme. La Cour a considéré que «la répartition traditionnelle
des rôles entre les sexes dans la société ne peut servir à justifier
l’exclusion des hommes, y compris ceux travaillant dans l’armée,
du droit au congé parental. (…) les stéréotypes liés au sexe – telle
l’idée que ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants
et plutôt les hommes qui travaillent pour gagner de l’argent – ne
peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante
de la différence de traitement en cause»
.
49. D’après les principes énoncés en annexe à la Recommandation
CM/Rec(2010)4, les membres des forces armées ont droit au respect
de la vie privée et familiale. Le droit à un congé de maternité
ou paternité, à des allocations familiales et à des services de
garde de jour étant garanti par les articles 8, 16 et 27 de la Charte
sociale européenne (révisée) (STE no 163),
il devrait s’appliquer aux membres des forces armées comme aux civils
lorsqu’ils servent dans leur propre Etat et, dans la mesure du possible,
lorsqu’ils sont déployés dans un autre pays. Parmi de bons exemples
cités à cet égard, en France, le ministère de la Défense a porté
à plus de mille le nombre de ses crèches. Aux Pays-Bas, les mères
d’enfants en bas âge ont la possibilité de travailler à temps partiel
et il existe des centres de garde de jour. Les pères peuvent également prendre
un congé parental. Le droit à un congé de maternité ou à un congé
parental pour les membres des forces armées est également reconnu
en Roumanie
.
3.8. Durée de carrière des femmes
au sein des forces armées, départs
50. Si l’âge de la retraite est
le même pour les femmes et les hommes dans la plupart des armées
(variant selon les fonctions exercées plutôt que le sexe), peu d’informations
semblent exister en ce qui concerne la durée moyenne réelle de la
carrière des femmes militaires. Or, de telles informations sont
indispensables dès lors qu’il s’agit de mettre en place une politique
visant à accroître le nombre de femmes au sein des forces armées.
En effet, il ne suffit pas de recruter un plus grand nombre de femmes:
encore faut-il que celles-ci y poursuivent leurs carrières au moins
aussi longtemps que les hommes.
51. En France, la durée moyenne de service au moment du départ
est de 12,6 ans pour les femmes officiers, contre 24,7 ans pour
les hommes
. En Norvège, un taux de départ
plus élevé a également été constaté chez les femmes, notamment chez
les femmes âgées de moins de 30 ans et celles qui exercent des fonctions militaires
– précisément le secteur où le pourcentage de femmes est le plus
faible
. D’après une étude menée en
2008, les femmes ont plus tendance à avoir une approche utilitaire
de la carrière militaire, l’utilisant comme tremplin vers des carrières
civiles. Cela est surtout le cas des femmes ayant choisi (à l’époque
où ce n’était pas obligatoire) de faire le service militaire ou
de suivre un enseignement dans une école de formation militaire initiale.
Sont également évoqués des motifs personnels ou familiaux, et un
climat défavorable aux femmes, voire de harcèlement moral ou sexuel
à leur égard. Ce dernier motif concernerait environ un cinquième
des femmes qui quittent les forces armées
. Par contraste, en
République tchèque, la durée moyenne de la carrière des femmes militaires
est équivalente à celle des hommes
.
52. Des différences importantes peuvent exister entre des pays
où la plupart des militaires passent l’intégralité de leur carrière
au sein des forces armées et ceux où sont proposées en priorité
des carrières militaires à durée limitée, c’est-à-dire un engagement
pour un certain nombre d’années seulement, suivi soit de l’embauche
en tant que militaire de carrière, soit d’une «réinsertion accompagnée»
dans le marché du travail civil. Ce modèle, pratiqué par exemple
en Allemagne
, peut attirer
des femmes, notamment en début de carrière et sans enfants, car
comme en Norvège, il peut fournir un tremplin vers des carrières
civiles plus valorisantes. Toutefois, s’agissant d’une politique
contractuelle impliquant une rotation importante du personnel, pour
maintenir ou accroître la féminisation des forces armées, il est
nécessaire de chercher constamment à recruter une proportion élevée
de femmes. Cela représente un investissement financier important
pour le pays, tant en ce qui concerne le recrutement que pour former
les remplaçants.
53. Les comparaisons entre pays en ce qui concerne la durée de
carrière des femmes militaires s’avèrent difficiles du fait de l’ouverture
récente et progressive de différentes fonctions aux femmes militaires
dans la plupart des pays. Toutefois, chaque armée souhaitant renforcer
la féminisation de ses structures devra disposer d’informations
et d’analyses en ce qui concerne les durées de carrière des femmes
comparées à celles des hommes au sein des forces armées.
3.9. Adapter les structures à
la présence d’un plus grand nombre de femmes
54. Configurer l’espace, prévoir
des uniformes appropriés, sont autant d’adaptations qui doivent accompagner
la féminisation des forces armées. Lors de ma visite en Norvège,
les représentants des conscrits (TMO) ont insisté sur l’importance
pour les femmes de disposer d’un équipement et d’uniformes adaptés
à la morphologie des femmes. Certains interlocuteurs rencontrés
lors de ma visite à l’OTAN ont en outre souligné que pour les femmes
enceintes, l’absence d’uniformes militaires adaptés à la grossesse,
pose doublement problème: obligée de s’habiller en civil, une femme
militaire enceinte perd sa légitimité et son autorité vis-à-vis de
collègues de rang inférieur qui ne la connaissent pas, car son rang
devient invisible, et elle aussi. Dans les structures très hiérarchisées
des forces armées, cela ne peut être perçu comme neutre par les
femmes concernées.
55. Toujours sur le plan très concret, une initiative qui mérite
d’être signalée est l’introduction de dortoirs mixtes. Cette pratique
existe déjà en Suède depuis les années 1990 mais aucune recherche
ne semble avoir été faite dans ce pays sur son impact. En Norvège,
des dortoirs mixtes ont été mis en place sur certaines bases militaires
seulement, notamment là où les baraques existantes sont très exiguës
et ne permettent pas d’autres adaptations à la mixité des unités
qui y sont stationnées. Contrairement aux craintes de certains,
les dortoirs mixtes ne semblent pas avoir attisé les tensions entre
les femmes et les hommes. Au contraire, les chercheurs norvégiens
ont constaté qu’elle a eu pour effet une désexualisation des relations;
ce sont avant tout des relations d’amitié et de solidarité qui se
sont installées entre les militaires des deux sexes. Les femmes
ont par ailleurs souligné que grâce à cette configuration, elles
ne se trouvaient plus en dehors des réseaux de circulation d’informations
et qu’il y avait moins de concurrence et d’intrigues entre elles.
Concernant les conditions nécessaires au bon fonctionnement des
dortoirs mixtes, les chercheurs soulignent le rôle essentiel de
la hiérarchie, qui doit mener une véritable politique de la porte
ouverte, et clairement énoncer et appliquer une politique de l’interdiction
des relations sexuelles entre les conscrits (les couples qui se
formeraient devant être séparés) ainsi que l’interdiction de l’alcool.
3.10. Changer les mentalités
56. Soulignons à nouveau que l’environnement
militaire a été conçu par et pour des hommes. Alors que la composition
des forces armées est de plus en plus diversifiée, il y existe encore
une culture machiste. Le fait de se conformer à la culture interne
préexistante y est souvent valorisé, voire perçue comme un facteur essentiel
de cohésion, et il peut exister une forte pression pour se conformer
à la culture régnante. La loyauté, valeur fondamentale au sein des
forces armées, est souvent appréciée à travers ce prisme, et la
présence récompensée plus que la performance. Aucune des mesures
décrites ci-dessus ne permettra d’atteindre une réelle intégration
des femmes au sein des forces armées si la culture interne ne change
pas. Il ne suffit pas d’ajouter une pincée de femmes, de remuer
et c’est prêt: il faut repenser les structures et les pratiques
afin que tous les membres des forces armées, femmes et hommes, puissent
s’épanouir
.
57. Aujourd’hui, de plus en plus de structures militaires sont
en train de prendre conscience que la diversité, loin de compromettre
leur efficacité, peut renforcer leurs capacités opérationnelles.
Plus encore que dans d’autres milieux professionnels, la hiérarchie
doit toutefois s’engager activement pour transmettre ce message, afin
que toutes les différences soient acceptées positivement et valorisées.
En effet, compte tenu de la façon de fonctionner des forces armées
et de la «culture d’entreprise» et/ou l’«esprit de corps» qui y
règnent, l’implication de la hiérarchie est primordiale – non seulement
au plus haut niveau, mais aussi au niveau de l’encadrement intermédiaire
– pour faire évoluer les mentalités. En parallèle, l’accent doit
être clairement mis dans les recrutements et promotions sur le choix
des candidats les plus compétents (voir plus haut).
58. En ce qui concerne la formation à la dimension de genre, l’engagement
de la hiérarchie est tout aussi essentiel. Il ne suffit pas qu’elle
répète sans cesse les messages susmentionnés, en les imposant comme
un point accessoire ou une contrainte venue d’en haut ou de l’extérieur.
La dimension et la perspective de genre doivent être réellement
intégrées dans l’enseignement à tous les niveaux.
4. Le harcèlement et les violences
à l’égard des femmes dans les forces armées
4.1. Tour d’horizon
59. En 2010, le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe notait que, malheureusement, le harcèlement et
la violence sexuels à l’encontre du personnel militaire étaient
encore courants. Il relevait que cela affecte le bien-être émotionnel
et psychologique des victimes, nuit aux résultats professionnels
du personnel et discrédite plus généralement les forces armées
. Au-delà des limites géographiques
du Conseil de l’Europe, les armées américaines, australiennes et
canadiennes, par exemple, ont déjà reconnu l’existence de ces phénomènes
en leur sein.
60. La culture interne préexistante, les stéréotypes persistants,
le fait que la féminisation des forces armées soit, pour certains,
un processus subi et non choisi, créent un environnement propice
aux harcèlements. De nombreuses femmes militaires font état de brimades
continuelles à leur égard. Dans certains cas, et en particulier
dans les situations de forte promiscuité, montrer le moindre signe
de féminité est traité par les hommes comme une provocation. Selon
une enquête menée en Norvège, alors que 90 % des appelées se disent
satisfaites de leur service militaire, 17 % indiquent avoir subi
des harcèlements sexuels pendant cette période, principalement sous
forme de commentaires, de regards ou de gestes inappropriés, et
5 % ont indiqué qu’il s’agissait d’incidents graves. Ces chiffres
posent à nouveau la question de la mentalité qui prévaut au sein des
forces armées: serait-il question pour certaines femmes d’«internaliser»
la culture existante, de se résigner à l’idée que «ici, c’est comme
ça que se passe» ?
61. Les phénomènes de harcèlement et de violences à l’égard des
femmes dans les forces armées peuvent poser des risques très graves,
voire être fatals, pour elles. Un cas particulièrement alarmant
s’est produit lors du déploiement des forces de coalition en Irak,
dans lequel plusieurs femmes ont souffert de déshydratation, et
deux d’entre elles en sont mortes. L’enquête sur leur décès a révélé
que, malgré les conditions climatiques sévères, les femmes concernées
avaient arrêté de boire au courant de l’après-midi, afin d’éviter
d’avoir à aller aux toilettes pendant la nuit. Plusieurs d’entre
elles avaient été harcelées par leurs collègues masculins, et certaines
avaient même été violées
.
62. Un ouvrage consacré en 2014 à la situation dans les forces
armées françaises fait état de cas de violence, d'agression, de
harcèlement des femmes; la plupart des femmes ayant témoigné de
tels cas avaient quitté les forces armées en raison de ces faits
et éprouvaient encore les conséquences de ce traumatisme
. De nouveaux cas continuent à être révélés
et médiatisés; les victimes sont souvent de jeunes femmes en attente
de titularisation et partant, dans une situation professionnelle
particulièrement précaire. Or, le harcèlement sexuel n’est pas une
fatalité: dans une récente affaire française, une gendarme victime
de harcèlement sexuel à Joigny (faits pour lesquels les auteurs
ont été condamnés en première instance) n’avait jamais eu de problème
lié à son genre lors de sa précédente affectation de trois ans,
dans une unité de 28 gendarmes où elle était la seule femme. Cette
affaire met en lumière une fois de plus le rôle clé joué par le personnel
encadrant dans la création d’un climat accueillant ou hostile envers
les femmes
.
63. En Norvège, en 2011, le cas très médiatisé d’une jeune femme
militaire qui avait été contrainte par son supérieur hiérarchique
à se baigner nue avec une trentaine de collègues masculins, a conduit
à une certaine prise de conscience sur l’importance de s’attaquer
au harcèlement moral et sexuel au sein des forces armées. Au-delà
du cas individuel, un certain nombre d’enseignements importants
ont pu être tirés de cette affaire. Tout d’abord, il existe (encore)
une culture sexiste au sein des forces armées norvégiennes, mais
aussi parfois une culture de rivalité entre différents groupes;
lorsque certains hommes militaires font l’objet de brimades de la part
de leurs collègues, ils reproduisent ces comportements en les infligeant
à d’autres groupes – notamment les femmes. La notion de pouvoir
est par ailleurs souvent entendue, au sein des forces armées, comme
le fait d’exercer le pouvoir sur quelque
chose, plutôt que dans le sens de la promotion de l’«autonomisation» (empowerment) de l’autre. D’autre
part, l’accès à l’alcool, comme partout, est un élément qui augmente sensiblement
les risques de harcèlement voire de violences sexuelles, et ce encore
plus chez les jeunes gens effectuant leur service militaire. Les
fêtes et les sorties sont des moments de risques particulièrement
accrus. Enfin, les jeunes conscrits effectuant leur service militaire
disposent, via leurs smartphones, internet et les réseaux sociaux,
d’outils qui permettent d’exposer une ou plusieurs victimes à l’humiliation
et au harcèlement à très grande échelle (tout comme dans la vie
civile, hélas). Leur hiérarchie, souvent moins au fait de ces outils, doit
néanmoins réagir vite lorsque des cas de harcèlement en ligne se
produisent au sein de leurs troupes.
4.2. Tirer les enseignements
du passé
64. Exposer ces faits constitue
une étape indispensable pour permettre d’y répondre, et ce processus devrait
être suivi dans toutes les forces armées en Europe. En France, la
réaction du ministère de la Défense aux révélations sur le harcèlement
et les violences dans les forces armées a été rapide et claire,
avec la mise en place dès avril 2014 d’un plan d’action contre les
harcèlements, violences et discriminations. Ce plan d’action est
fondé sur une politique de tolérance zéro et comporte quatre axes
majeurs: la prévention, l’accompagnement, la transparence et la
sanction.
65. Tous les acteurs sont en effet d’accord pour souligner un
certain nombre d’éléments clés permettant de mieux lutter contre
les harcèlements. Il va de soi que le harcèlement et les abus sexuels
doivent être interdits par la loi, au sein des forces armées comme
en dehors. Cela est déjà fait dans la plupart des pays, soit en vertu
du Code pénal et/ou de la loi antidiscrimination, soit dans le cadre
d’une législation spécifique s’appliquant au personnel militaire.
Plusieurs de mes interlocuteurs, soulignant le climat misogyne qui
peut prévaloir au sein des forces armées, ont également insisté
sur l’importance de l’inclusion, dans leurs codes de conduite internes,
de dispositions fermes à cet égard – dispositions qui doivent être
connues et appliquées à tous les niveaux. En outre, une politique
de tolérance zéro à l’égard du harcèlement et des abus sexuels doit être
non seulement mise en place, mais aussi clairement communiquée et
systématiquement appliquée. Lors de ma rencontre avec les représentants
des conscrits en Norvège, ceux-ci ont insisté sur l’importance d’une politique
claire en la matière, définie au niveau national, applicable à toutes
les unités, et non tributaire de la décision de chaque supérieur
hiérarchique.
66. Dans le cadre d’opérations extérieures impliquant plusieurs
armées, les perceptions quant au harcèlement sexuel peuvent varier
selon les pays et cultures des différentes composantes des forces déployées.
Il est d’autant plus important pour la hiérarchie d’adopter une
position constante et cohérente en la matière. L’OTAN élabore désormais
un code de conduite adapté aux conditions spécifiques de chaque mission,
explicitant la politique de tolérance zéro en matière de harcèlement
sexuel. Mes interlocuteurs m’ont indiqué que des lignes directrices
militaires seront bientôt publiées, précisant les normes à respecter
et les modalités de signalement des plaintes, et spécifiant la responsabilité
du commandant à cet égard.
67. En dehors de l’Europe, pour sensibiliser les plus hauts gradés
à ces questions, les forces armées australiennes ont mis en place
une politique innovante: chaque officier général est invité à rencontrer
une victime de harcèlement et/ou d’abus sexuels au sein des forces
armées, qui s’entretient avec lui de l’impact que ces actes ont
eu sur sa vie. Cette politique a été établie au moment où il y a
eu une prise de conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’actes
individuels isolés mais qu’il existait un véritable problème de
culture interne au sein des forces armées. Le chef de l’armée s’est
personnellement engagé à ce sujet, prenant une série de mesures
fortes pour provoquer un changement de culture. Il a fait diffuser
aux membres des forces armées, ainsi que sur YouTube, une vidéo
au message catégorique: «L’armée a besoin des femmes; si cela ne
vous convient pas, si vous n’êtes pas capable de respecter vos collègues,
allez voir ailleurs
.»
Il a expliqué par la suite avoir choisi constamment un langage sans
équivoque et sans ambiguïté à ce sujet, afin de toucher ceux qui
profitaient le plus de la culture existante et qui avaient le moins
envie de la changer
.
4.3. L’importance des mécanismes
de plainte
68. Lorsque des cas de harcèlement
ou d’abus sexuels se produisent, le rôle de la hiérarchie est crucial. Elle
doit être accessible, les femmes et autres victimes de harcèlement
ou de violences sexuelles doivent avoir confiance en leur hiérarchie
pour les écouter lorsqu’elles signalent un problème, pour les prendre
au sérieux et pour prendre des mesures rapides et efficaces pour
mettre fin au harcèlement. Il faut également qu’il y ait un suivi
efficace de ces affaires, y compris au niveau central. En effet,
lorsque des cas sont résolus au niveau «local», sans que les faits
ne soient remontés plus loin, les auteurs des faits continuent leur
chemin sans conséquences particulières.
69. La mise en place de mécanismes de plainte accessibles et objectifs
(proches des victimes mais indépendantes de leurs hiérarchies) est
essentiel: qu’une plainte conduise à des sanctions ou non, la victime doit
tout d’abord être entendue et sa plainte prise au sérieux. Malheureusement,
bien que les Etats aient souvent mis en place des procédures internes
pour dénoncer et punir ces faits, l’on constate que les femmes ont
fréquemment peu confiance dans ces mécanismes et préfèrent se taire,
voire quitter l’armée. C’est pourquoi en France, un plan d’action
sur le harcèlement et la violence sexuelle a été lancé en avril
2014, comprenant des mesures de formation à tous les stades et à
tous les niveaux de la hiérarchie, un accueil pour les victimes,
du matériel de sensibilisation. La nouvelle cellule, dénommée Thémis,
permet à chaque personnel, civil ou militaire, homme ou femme, du
ministère de la Défense, victime ou témoin de harcèlements, violences
et discriminations sexuels au sein des armées de le signaler. Huit
mois après sa création, Thémis avait déjà pris en charge une soixantaine
de victimes, dont de très nombreux cas antérieurs à sa création. D’après
les informations publiées par le ministère, la cellule conseille
les victimes, les soutient, les accompagne dans la durée pour s’assurer
du bon déroulement de leur carrière, ou les réoriente vers le bon interlocuteur
lorsque leurs demandes n’entrent pas dans le périmètre de la cellule
.
70. En Norvège, un point faible des mécanismes de plainte a été
souligné par différents acteurs: il incombe à la victime de décider
si les faits relèvent, selon elle, d’une infraction pénale (affaire
à traiter par la police) ou non (affaire à traiter par la voie militaire)
– choix particulièrement difficile lorsque l’auteur des faits est,
comme cela est souvent le cas, le supérieur hiérarchique de la victime.
En effet, saisir la police n’est pas chose évidente, mais passer
par la voie militaire implique de témoigner devant quatre supérieurs
militaires qui risquent de limiter toute sanction éventuelle à une
simple amende, sans inscrire la condamnation au casier de l’auteur,
pour éviter de geler sa carrière militaire pendant cinq ans. La
tolérance zéro atteint ses limites dans ce contexte.
5. Structures
5.1. Rôle des parlements
71. Les parlements nationaux peuvent
jouer un rôle important dans tous les domaines couverts par le présent
rapport. L’Assemblée parlementaire de l’OTAN travaille depuis 2007
sur les femmes, la paix et la sécurité. Initialement traitée en
marge des sessions plénières, aujourd’hui cette question figure
régulièrement à l’ordre du jour de la commission sur la dimension
civile de la sécurité. Ainsi, à l’initiative de cette commission, l’Assemblée
parlementaire de l’OTAN a adopté en 2010 une résolution invitant
les gouvernements et parlements des pays membres de cette organisation
à intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre la Résolution 1325
.
72. Depuis 2010, la commission sur la dimension civile de la sécurité
élabore également une enquête biennale sur la contribution des parlements
à la mise en œuvre de la Résolution 1325. Sans surprise, ce sont les
parlements des pays ayant déjà adopté un plan d’action national
sur les femmes, la paix et la sécurité qui sont aujourd’hui les
plus actifs sur ces questions. Toutefois, ces bonnes pratiques peuvent
être utilisées dans n’importe quel pays. Quatre grands domaines
sont concernés: la recherche d’un équilibre de genre dans les postes
de direction pertinents des organes parlementaires
; les initiatives
législatives visant à concrétiser les objectifs «femmes, paix et
sécurité»; les débats, questions et rapports parlementaires à ce
sujet; et l’implication de la société civile
.
73. Par ailleurs, mes interlocuteurs ont relevé que c’est grâce
aux efforts d’une seule parlementaire, Mme Barbara
Haering (membre de la délégation suisse de 2003 à 2007), que l’Assemblée
parlementaire de l’OTAN a commencé à s’intéresser à ces questions,
devenues aujourd’hui incontournables. Autrement dit, il ne tient
qu’à nous de promouvoir activement au sein de nos parlements la
concrétisation des priorités relatives à la thématique «femmes,
paix et sécurité», y compris celles liées à l’égalité de genre et
la prévention des violences à l’égard des femmes au sein des forces
armées.
5.2. L’intégration des perspectives
de genre et les conseillers sur la dimension de genre
74. Pour accomplir de réels progrès
en matière d’intégration des femmes dans les forces armées, les questions
relatives à la dimension de genre doivent faire l’objet d’une approche
globale. C’est pourquoi il importe de mettre en place un plan d’action
couvrant non seulement la législation, la formation, mais aussi
le recrutement et les carrières, la conciliation vie privée-vie
professionnelle et la prévention et la lutte contre le harcèlement
et les abus sexuels
.
La mise en place par l’OTAN de conseillers sur la dimension de genre (
gender advisors) au sein de toutes
ses structures, ainsi que le déploiement de conseillers sur la dimension
de genre lors de chaque opération extérieure d’une force armée sont
autant de mesures considérées aujourd’hui comme indispensables
. La prise en compte de la
dimension de genre ne doit pas être considérée comme accessoire
mais doit être faite de façon systématique et comme partie intégrante
du travail quotidien, au sein des structures existantes, sans créer
des structures parallèles.
5.3. Structures visant à protéger
les droits du personnel militaire
75. Je souhaite également souligner
l’importance des mécanismes permettant de faire remonter les préoccupations
des femmes militaires. Citons à cet égard, en Norvège, le Commissaire
parlementaire pour les forces armées (
Stortingets
Ombudsmann for Forsvaret), créé en 1952. Indépendant
des forces armées, cet organe veille à la protection des droits
de toutes les personnes employées en leur sein, à travers des inspections,
le traitement de plaintes individuelles et la présentation d’un
rapport annuel au parlement
.
Bien que non-contraignantes, les recommandations de l’ombudsman
sont, d’après son bureau, toujours respectées par les forces armées.
76. Les forces armées norvégiennes ont également mis en place
un système de représentation des appelés (Tillitsmannsordningen
i Forsvaret, TMO). Des représentants élus parmi les appelés
sont présents au niveau local, où ils servent de porte-parole des
appelés auprès de la hiérarchie pour aider à résoudre des problèmes locaux.
Plusieurs TMO sont également élus au niveau national, pour y soumettre
les questions d’intérêt plus général. L’intérêt de ce système réside
à la fois dans sa proximité avec les conscrits et son accès direct
aux interlocuteurs à tous les niveaux, ce qui permet d’identifier
et de s’attaquer rapidement aux préoccupations et problèmes concrets
des appelés.
77. En Irlande, une commission de suivi indépendante des forces
armées (
Independent Monitoring Group, IMG)
a été établie en 2002 afin de veiller à la mise en œuvre d’une série
de recommandations formulées dans le cadre d’une enquête menée sur
le harcèlement moral et sexuel et les discriminations au sein des
forces armées. L’IMG a déjà publié trois rapports (en 2004, 2008
et 2014) qui font état des suites données aux précédentes recommandations
et identifient de bonnes pratiques mais aussi, le cas échéant, de
nouvelles sources de préoccupations. Ces travaux sont suivis de
près par le public et le parlement. Ils accroissent la transparence
des forces armées et en même temps permettent à celles-ci d’évaluer
l’efficacité des actions menées et d’identifier de nouveaux défis
à relever
.
5.4. Réseaux et associations
de femmes militaires
78. Soulignons enfin l’intérêt
des réseaux de femmes militaires. En Norvège, un tel réseau a été
établi en 1989 afin de créer un lieu d’échange pour les femmes militaires,
souvent peu nombreuses au sein des unités où elles travaillaient.
Il vise à faciliter la diffusion et le partage d’informations et
à motiver les femmes à poursuivre leurs carrières au sein des forces
armées. Ce réseau reçoit un financement de la part des forces armées,
qui ont également accepté de prévoir un congé spécial pour les femmes
souhaitant participer à ses rencontres. En Bulgarie, au cours de
ses quelques dix années d’existence, l’Association des femmes militaires bulgares
(BUAFWA) a déjà permis de lever toutes les restrictions d’accès
des femmes aux différentes professions des forces armées, ouvrant
ainsi la voie à leur accès aux grades de commandement les plus élevés.
Son statut d’organisation non gouvernementale (ONG) prévue par le
Code de la défense lui permet d’agir auprès du ministère de la Défense
afin que celui-ci s’attelle à faire progresser l’égalité de genre.
Elle exerce ainsi une influence importante en tant que vecteur de
changement des forces armées
.
Alors que la mise en place de tels réseaux est peu coûteuse, ils
peuvent contribuer très concrètement à créer un environnement plus
favorable pour les femmes au sein des forces armées.
6. Conclusions
79. Dans un monde changeant aux
défis multiples, les forces armées ont tout à gagner à accueillir
des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes. Cela renforce
les capacités opérationnelles et l’efficacité des forces armées,
et correspond aux attentes de sociétés qui souhaitent que les forces
armées reflètent aussi la composition de la population. Pour les
armées toutefois, intégrer les femmes ne va pas toujours de soi.
Adapter le recrutement, les structures, les trajectoires de carrière
sont autant de défis qui doivent être relevés en prenant en compte
une approche globale de la dimension de genre.
80. De nombreuses femmes qui s’engagent dans les forces armées
les quittent en raison de harcèlement ou d’autres violences sexuelles.
Ces fléaux gâchent la vie de leurs victimes. Ce sont des violations
des droits humains auxquels les Etats ont l’obligation de s’attaquer.
Pour les armées, perdre des femmes – formées, compétentes, performantes
– parce que leurs collègues refusent d’accepter leur présence, est
également un gâchis.
81. Le harcèlement et les violences faites aux femmes au sein
des forces armées ne sont pas une fatalité. De bonnes pratiques
existent pour promouvoir une approche favorable à la diversité au
sein des forces armées et pour permettre aux femmes d’y jouer pleinement
leur rôle.
82. J’encourage les Etats membres à tirer profit des nombreuses
études qui ont été menées à cet égard et qui sont abondamment citées
dans le présent rapport, afin que leurs armées soient à la fois
efficaces et respectueuses de l’égalité de genre.