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Rapport | Doc. 14073 | 01 juin 2016

Les femmes dans les forces armées: promouvoir l’égalité, mettre fin aux violences fondées sur le genre

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Maryvonne BLONDIN, France, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13697, Renvoi 4118 du 20 avril 2015. 2016 - Troisième partie de session

Résumé

Les femmes qui s’engagent dans les forces armées se voient confrontées à un environnement conçu par et pour des hommes. Elles y demeurent très minoritaires et font face à de nombreuses discriminations. Des mentalités ancrées dans une vision purement masculine des forces armées, des plans de carrière rigides et l’impossibilité d’accéder à certains postes, sont autant de freins à l’égalité professionnelle des femmes militaires.

En parallèle, les harcèlements et agressions sexuels à l’encontre des femmes sont courants au sein des forces armées, et la culture interne préexistante y crée un environnement propice à ces abus.

Il est crucial de renforcer les efforts pour prévenir et lutter contre le harcèlement et les violences à l’égard des femmes dans les forces armées. Celles-ci devraient adopter et appliquer rigoureusement une politique de tolérance zéro à l’égard des violences fondées sur le genre et mettre en place des mécanismes indépendants pour traiter de telles plaintes.

Il est également essentiel de prendre des mesures pour promouvoir le recrutement des femmes dans les forces armées, leur ouvrir l’accès à l’ensemble des postes, développer des trajectoires de carrière plus flexibles et prendre systématiquement en compte la dimension de genre dans toutes les opérations menées par les forces armées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 17 mai 2016.

(open)
1. Les missions confiées aux forces armées sont aujourd’hui de plus en plus diversifiées, allant au-delà de la défense du territoire national pour inclure la participation à des opérations extérieures de maintien de la paix, voire à des opérations intérieures dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En parallèle, la professionnalisation des armées ainsi qu’une concurrence accrue avec d’autres employeurs font que les forces armées ont de plus en plus intérêt à capitaliser sur une diversité d’expériences professionnelles et de compétences humaines.
2. Recruter et conserver parmi leur personnel un plus grand nombre de femmes est ainsi devenu un enjeu important pour les forces armées. Or, bien que les différentes armées en Europe ouvrent progressivement leurs portes au recrutement des femmes depuis quelques décennies, celles-ci demeurent très minoritaires parmi le personnel militaire, notamment aux échelons supérieurs.
3. Les femmes qui s’engagent dans les forces armées se voient confrontées à un environnement conçu par et pour des hommes. Elles font face à de nombreuses discriminations et sont confrontées à des plans de carrière rigides et des mentalités encore ancrées dans une vision purement masculine des forces armées.
4. L’Assemblée parlementaire déplore que les harcèlements et agressions sexuels à l’encontre des femmes soient encore courants au sein des forces armées. Le fait de se conformer à la culture interne préexistante est souvent considéré comme facteur de cohésion au lieu de reconnaître que la diversité renforce leurs capacités opérationnelles. Il est crucial de changer les mentalités, de renforcer les efforts pour prévenir ces violences, et de mettre en place des mécanismes permettant de traiter les plaintes de manière efficace.
5. Se référant à sa Recommandation 1742 (2006) et à la Recommandation CM/Rec(2010)4 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme des membres des forces armées, l'Assemblée rappelle que l’on ne peut attendre des membres des forces armées qu’ils respectent les droits humains dans leurs opérations si le respect de ces droits n’est pas assuré à l’intérieur même de l’armée. L’Assemblée rappelle également que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (CETS no 210) couvre toutes les formes de violence et s’applique aussi bien en temps de paix qu’en situation de conflit armé.
6. A la lumière de ces considérations, l'Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l'Europe:
6.1. en ce qui concerne le recrutement et la gestion des carrières des membres des forces armées:
6.1.1. à adapter les campagnes de recrutement afin d’éliminer les stéréotypes et d’attirer davantage de femmes vers les forces armées, y compris vers des fonctions militaires;
6.1.2. à mettre l’accent dans les politiques de recrutement et de gestion des carrières sur la recherche des compétences nécessaires à la réalisation des missions aujourd’hui confiées aux forces armées;
6.1.3. à ouvrir l’ensemble des postes de tous les corps d’armée aux femmes;
6.1.4. à mettre en place des politiques proactives de recrutement et d’accueil des femmes dans les professions dont elles ont précédemment été exclues; examiner les critères physiques appliqués lors du recrutement à ces professions ainsi que l’opportunité de lancer des projets pilotes pour favoriser le recrutement de femmes dans ces professions;
6.1.5. à œuvrer activement pour favoriser le déploiement de femmes, y compris dans des emplois militaires, lors d’opérations extérieures; intégrer des conseillers sur la dimension de genre lors de chaque opération extérieure d’une force armée, à tous les stades de préparation et de déploiement;
6.1.6. à développer des trajectoires de carrière plus flexibles afin de multiplier les parcours donnant accès aux rangs les plus élevés;
6.1.7. à mettre en place un ensemble de mesures cohérentes et complètes afin de faciliter la conciliation entre la vie privée et familiale et la vie professionnelle pour tous les membres des forces armées;
6.1.8. à intégrer systématiquement la dimension de genre dans toute réflexion sur l’introduction, le maintien ou la suppression du service militaire;
6.1.9. à mener des recherches sur les causes des difficultés rencontrées pour recruter davantage de femmes vers des fonctions militaires, sur les raisons pour lesquelles les carrières militaires des femmes sont souvent plus courtes que celles de leurs homologues masculins et sur les raisons amenant les femmes et les hommes à quitter les forces armées avant l’âge de la retraite ou la fin de leur contrat;
6.2. en ce qui concerne la création d’un climat plus favorable à l’égalité de genre au sein des forces armées:
6.2.1. à s’engager activement, à tous les niveaux de la chaîne de commandement, pour changer les mentalités et la culture interne aux armées, afin que toutes les différences soient acceptées positivement et valorisées;
6.2.2. à intégrer l’enseignement de la dimension de genre à tous les stades de la formation militaire, et veiller à ce que l’enseignement dans les écoles militaires soit dispensé aussi bien par des femmes que par des hommes;
6.2.3. à intégrer des conseillers sur la dimension de genre au sein de toutes les structures, afin que la dimension de genre soit prise en compte de façon systématique et comme partie intégrante du travail quotidien;
6.2.4. à mettre en place et soutenir le fonctionnement de réseaux de femmes militaires;
6.2.5. à s’assurer que l’équipement et les uniformes soient adaptés à la morphologie des femmes, et que les lieux de vie soient adaptés à la mixité des forces armées;
6.3. en ce qui concerne la lutte contre les violences fondées sur le genre dans les forces armées:
6.3.1. à veiller à ce que le cadre législatif applicable aux membres des forces armées, y compris au niveau pénal le cas échéant, interdise explicitement toutes les formes de violence fondées sur le genre, qu’il soit complet et mis en œuvre de manière effective; veiller également à ce que les codes de conduite internes contiennent des dispositions fermes à cet égard, et que celles-ci soient connues et appliquées à tous les niveaux;
6.3.2. à adopter et veiller à l’application systématique d’une politique de tolérance zéro à l’égard des violences fondées sur le genre, et transmettre un message à l’ensemble des militaires que de tels comportements ne sont pas acceptés au sein des forces armées;
6.3.3. à sensibiliser tous les niveaux de la chaîne de commandement à la nécessité d’une telle politique;
6.3.4. à mettre en place des mécanismes, par exemple un numéro vert, permettant aux victimes de formuler, de manière confidentielle et anonyme, une plainte informelle et de bénéficier de conseils impartiaux quant à leur situation;
6.3.5. à faciliter l’accès des victimes à des mécanismes de plaintes formels et mettre en place des procédures de signalement indépendants de la hiérarchie au sein de laquelle travaillent les victimes;
6.3.6. à accompagner les victimes lorsqu’elles signalent un abus;
6.3.7. à définir et appliquer des sanctions efficaces aux auteurs de ces violences, la simple mutation de la victime d’une agression sexuelle n’étant pas une réponse adéquate;
6.3.8. à signer et/ou ratifier, s’ils ne l’ont déjà fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
7. Considérant le rôle important que peuvent jouer les parlements en tant que contrôle démocratique des forces armées, l’Assemblée invite les parlements nationaux des Etats membres:
7.1. à rechercher activement un équilibre de genre dans les structures parlementaires ayant trait aux forces armées;
7.2. à suivre activement, par le biais de débats, questions et rapports parlementaires, la mise en œuvre par leur pays de la Résolution 1325 et des autres résolutions «femmes, paix et sécurité» des Nations Unies, notamment en ce qui concerne la situation des femmes au sein des forces armées, et prendre des initiatives législatives visant à concrétiser ces objectifs;
7.3. à mener des enquêtes parlementaires sur la situation des femmes au sein des forces armées de leur pays, notamment sur le traitement par les forces armées de plaintes de harcèlement et autres violences fondées sur le genre;
7.4. à encourager les organes indépendants comme les commissaires parlementaires, les ombudsmen ou les commissions pour l’égalité qui ont les compétences nécessaires vis-à-vis des forces armées à mener des enquêtes à ces sujets.

B. Exposé des motifs, par Mme Maryvonne Blondin, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Depuis quelques décennies, les différentes armées en Europe ouvrent progressivement leurs portes au recrutement des femmes. Ces processus sont très hétérogènes: la féminisation des forces armées suit un rythme différent en fonction des pays mais également selon les corps d’armée. Force est de constater toutefois que les femmes demeurent, aujourd’hui encore, très minoritaires parmi le personnel militaire. Parmi les Etats européens membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), seule la Lettonie compte aujourd’hui plus de 15 % de femmes parmi ses effectifs militaires 
			(2) 
			NATO
HQ Office of the Gender Advisor, International Military Staff, Summary
of the National Reports of NATO Member and Partner Nations 2014,
7 mars 2016, p. 8. Dans la Fédération de Russie, les femmes représentaient
en 2010 environ 10 % du personnel des forces armées (voir Eva Brems
(ed.), Diversity and European Human Rights:
Rewriting Judgments of the ECHR, Cambridge University
Press, 2015, p. 160)..
2. Les femmes qui s’engagent dans les forces armées se voient confrontées à un environnement conçu par et pour des hommes. Même si le nombre de femmes recrutées au sein des forces armées a augmenté dans de nombreux pays, l’environnement militaire ne s’est pas toujours adapté à cette réalité. Elles font face à de nombreuses discriminations, que ce soit, par exemple, dans l’accès aux postes les plus élevés ou la possibilité d’exercer des métiers de combat. Les harcèlements et agressions sexuelles à leur encontre sont également un problème majeur.
3. Aucun instrument juridique international n’est consacré spécifiquement aux droits des femmes militaires. Le Conseil de l’Europe a toutefois abordé un certain nombre de questions relatives aux droits des femmes militaires dans le cadre de ses travaux sur la Recommandation CM/Rec(2010)4 sur les droits de l’Homme des membres des forces armées 
			(3) 
			Adoptée par le Comité
des Ministres le 24 février 2010, lors de la 1077e réunion
des Délégués des Ministres., qui fait suite à la Recommandation 1742 (2006) de l’Assemblée sur les droits de l’homme des membres des forces armées.
4. Le présent rapport a pour objectif d’examiner la condition des femmes dans les forces armées, d’identifier de bonnes pratiques et de formuler des recommandations aux Etats membres du Conseil de l’Europe concernant l’égalité d’accès des femmes aux forces armées et l’égalité des droits des femmes engagées en leur sein. Je souhaite également rendre plus visible le phénomène de harcèlement et de violences à l’égard des femmes dans les forces armées, en espérant que cela encouragera les victimes, ou les témoins, à signaler les faits et, ainsi, à obtenir justice. Ce rapport pourra ainsi contribuer à la prise de conscience de ces comportements et influer sur les changements de mentalités nécessaires.

2. Pourquoi recruter plus de femmes et diversifier leur rôle au sein des forces armées?

5. Au-delà des «simples» considérations d’égalité et des questions de principe militant en faveur de l’ouverture des armées aux femmes, les forces armées doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux défis multiples. La professionnalisation subite des armées dans les pays ayant abandonné le service militaire masculin obligatoire, le déploiement de militaires pour des opérations intérieures dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le fait pour les armées de se retrouver en concurrence de plus en plus forte avec d’autres employeurs pour recruter les meilleurs candidats possibles, ce qui pourrait poser – à plus long terme – la question de la viabilité des forces armées, sont parmi les raisons qui les ont poussées à ne plus négliger les compétences des femmes 
			(4) 
			Voir Australian Human
Rights Commission, Review into the Treatment of Women in the Australian
Defence Force, Phase 2 Report: 2012, Overview and Recommendations,
p. 20; Philippe Manigart et Delphine Resteigne, «Genre et ethnicité:
deux types de diversité militaire passés à la loupe», Dynamiques internationales, no 11,
décembre 2015, p. 1-15. ni celles des minorités ethniques.
6. Par ailleurs, que les forces armées se voient imposer la féminisation ou la recherchent, les missions qui sont confiées aux femmes sont de plus en plus diversifiées. Une participation accrue à des opérations de maintien de la paix amène les forces armées à être davantage en contact avec les populations civiles, contexte dans lequel la présence de femmes parmi le personnel militaire peut sensiblement améliorer les relations entre population civile et armée. Au sein des Nations Unies, il a été remarqué par exemple que «les femmes Casques bleus élargissent l’éventail de compétences et d’aptitudes dont disposent toutes les catégories de personnel, améliorent l’efficacité opérationnelle de toutes les tâches ainsi que l’image, l’accessibilité et la crédibilité des missions aux yeux de la population locale» 
			(5) 
			Prévenir les conflits,
transformer la justice, obtenir la paix – Etude mondiale sur la
mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations
Unies, ONU Femmes, 2015, p. 141..
7. Les forces armées ont ainsi de plus en plus intérêt à capitaliser sur une diversité d’expériences et de façons de penser. Tout comme chez d’autres employeurs, la diversité renforce la capacité à innover, à résoudre des problèmes et à prendre des décisions bien fondées 
			(6) 
			Voir entre autres sources,
Australian Human Rights Commission, op.
cit., p. 26.. Pour les forces armées, recruter et conserver parmi leur personnel un plus grand nombre de femmes est aujourd’hui un enjeu essentiel.
8. Pour les femmes, c’est aussi avoir le droit de servir, à part entière, leur pays. 

3. Egalité d’accès et carrières des femmes dans les forces armées

9. Des efforts sont en cours dans de nombreux pays d’Europe pour augmenter le nombre de femmes travaillant au sein des forces armées, pour les raisons évoquées ci-dessus ainsi que dans le contexte de la mise en œuvre de la Résolution 1325 «Femmes, paix et sécurité» des Nations Unies 
			(7) 
			La Résolution 1325
(2000) «Femmes, paix et sécurité» adoptée le 31 octobre 2000 par
le Conseil de sécurité des Nations Unies a été suivie par six résolutions
connexes: les Résolutions 1820 (2008), 1888 (2009), 1889 (2009),
1960 (2010), 2106 (2013) et 2122 (2013). La mise en œuvre de ces
résolutions est souvent désignée comme «le programme pour les femmes,
la paix et la sécurité» («women, peace
and security agenda»). Voir notamment UNSCR 1325 Reload: An
Analysis of Annual National Reports to the NATO Committee on Gender
Perspectives from 1999-2013: Policies, Recruitment, Retention &
Operations, Findings & Recommendations, 1er juin
2015, p. 17 et suiv. 26 des 28 Etats membres de l’OTAN couverts
par cette publication sont membres du Conseil de l’Europe.. Dans ce chapitre, j’analyse différents aspects de l’accès des femmes aux forces armées et de leurs carrières en leur sein.

3.1. Acceptation des femmes dans les forces armées au cours du XXe siècle

10. La situation et l’accès des femmes à différents rôles au sein des forces armées varient fortement d’un pays à l’autre. Le laps de temps s’étant écoulé entre l’admission des premières femmes au sein des forces armées et l’ouverture de l’accès des femmes à tous les postes peut en effet être très court ou au contraire de plusieurs décennies, si tant est que les femmes aient aujourd’hui accès à tous les postes.
11. Les pays ayant ouvert le plus tôt les portes de leurs forces armées aux femmes ne sont pas forcément les premiers à leur avoir permis d’accéder à tous les postes. Pendant la première guerre mondiale, des bataillons de femmes-soldats et des postes de pilote-aviatrice existaient déjà au sein des forces armées russes, mais l’accès à tous les postes ne leur est actuellement pas encore ouvert 
			(8) 
			Les listes de postes
auxquels les femmes militaires ont accès sont établies par le ministre
de la Défense.   . De même, parmi les Etats membres de l’OTAN, deux des six pays dans lesquels des restrictions existent encore quant à l’accès des femmes à certains postes militaires avaient commencé à accepter des femmes au sein de leurs forces armées dès 1944 (Pays-Bas) ou 1946 (Grèce). En revanche, dans les 12 pays ayant rejoint l’OTAN à partir de 1999, les femmes ont déjà, théoriquement, accès à l’ensemble des postes. Ce progrès était déjà acquis avant leur adhésion à l’OTAN, ou a été accompli peu après 
			(9) 
			UNSCR 1325 Reload,
p. 18..
12. En Allemagne, les femmes ont pu accéder aux professions civiles des forces armées à partir de 1975, et leur accès à d’autres professions, notamment médicales, s’est progressivement élargi au cours des années 1980 et 1990. Il a toutefois fallu attendre un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne 
			(10) 
			Affaire
C-285/98, Kreil c. Bundesrepublik Deutschland,
arrêt du 11 janvier 2000. pour que l’ensemble des postes et des professions soient ouverts aux femmes, en 2000. Elles constituent aujourd’hui 10,5 % des effectifs globaux des forces armées allemandes.
13. Le cas de la Norvège est également intéressant à cet égard. Depuis leur abrogation en 1985, il n’existe plus de barrières formelles à l’accès des femmes à tous les postes et fonctions militaires. D’après des femmes militaires que j’ai rencontrées lors de ma visite d’information d’octobre 2015, le souhait de recruter des femmes à certains postes a d’abord été exprimé par les forces armées elles-mêmes à la suite de la deuxième guerre mondiale, afin de libérer davantage d’hommes pour partir vers des postes opérationnels – mais le milieu politique n’était pas prêt. Vers la fin des années 1970 et dans le contexte des luttes féministes – alors que les forces armées ne cherchaient plus à recruter des femmes – des décisions politiques ont été prises pour imposer leur présence. Au cours des années 1990, les débats tournaient essentiellement autour de questions de principe. Ce n’est que depuis peu que l’on reconnaît explicitement le besoin, sur le plan opérationnel, de bénéficier des compétences des femmes au sein des forces armées. Aujourd’hui, les politiques en matière d’égalité de genre au sein des forces armées norvégiennes sont fondées sur trois principes directeurs: la compétence, l’égalité des chances, et la légitimité des forces armées aux yeux de l’ensemble de la population. En 2007, dans son Livre blanc no 36, le Parlement norvégien a estimé qu’il serait réaliste de viser à atteindre une proportion de 20 % de femmes exerçant des rôles militaires en 2020. Fin 2014, 17 % des effectifs globaux des forces armées norvégiennes étaient des femmes. Toutefois, malgré 200 actions ciblées menées depuis 1985, les femmes représentaient seulement 10,2 % des effectifs militaires 
			(11) 
			Un
chiffre aujourd’hui en dessous de la moyenne pour les effectifs
militaires parmi les pays membres de l’OTAN.. Des fonds importants ont été alloués à des recherches sur les causes de cette situation et à l’identification des mesures qui pourraient être prises pour accroître le recrutement des femmes militaires et surtout les inciter à poursuivre leurs carrières au sein des forces armées.
14. Comme cet exemple le montre, un chiffre national global peut masquer des réalités contrastées. Les proportions de femmes varient en effet, de manière significative, selon les corps d’armées et les services. Ainsi, l’armée de terre française comprend 10 % de femmes. En revanche, elles représentent 21 % du personnel au sein du service du Commissariat et 57,6 % des effectifs du Service de santé. En Croatie, 10 % des effectifs militaires sont des femmes, comparés à 35,6 % du personnel civil. Au Danemark, ces proportions atteignent 6 % pour le personnel militaire et 39 % pour les civils; en Lettonie, 16,7 % des effectifs militaires et 65,4 % des civils; au Portugal, 11,3 % et 64 % respectivement.
15. Face à de tels écarts, il serait dommage de s’arrêter, sous prétexte que la situation ne serait guère différente dans la société civile, au simple constat que la plus forte présence des femmes dans les services civils et les fonctions administratives n’est pas une spécificité des femmes dans les armées 
			(12) 
			Sénat français, Rapport
d’information no 373, Des femmes engagées
au service de la défense de notre pays, 26 mars 2015, p. 12. . En effet, la question de savoir pourquoi les femmes restent cantonnées dans certains types de métiers se pose aussi bien dans la société civile qu’au sein des forces armées.

3.2. Service militaire obligatoire et professionnalisation des forces armées

16. Un autre facteur ayant une influence non négligeable sur la proportion de femmes employées au sein des forces armées est l’existence ou non du service militaire obligatoire, et l’application ou non de cette obligation aux femmes.
17. En Europe, le service militaire obligatoire s’applique à tous (femmes et hommes) dans un seul pays, à savoir la Norvège 
			(13) 
			Le service militaire
est obligatoire pour les femmes dans un seul autre pays au monde,
en Israël. Dans ce pays, qui compte aussi l’une des proportions
les plus élevées (33 %) de femmes soldats, la durée du service militaire
est de 24 mois pour les femmes et 32 mois pour les hommes.. Chaque année depuis 2014, tous les jeunes âgés de 17 ans sont appelés à passer les procédures de sélection obligatoires des forces armées. Des 63 000 jeunes appelés, environ 8 000 jeunes femmes et hommes seront sélectionnés pour effectuer le service militaire, d’une durée d’environ un an 
			(14) 
			Chaque
appelé doit remplir sur internet un questionnaire d’auto-évaluation
concernant sa santé, ses capacités physiques et sa motivation pour
servir au sein des forces armées. Sur la base de ces réponses, environ
20 000 jeunes sont sélectionnés pour passer des épreuves physiques
et médicales ainsi qu’un entretien. Les 8 000 jeunes ayant le mieux
réussi ces épreuves sont sélectionnés pour effectuer réellement
le service militaire, d’une durée d’environ un an.. Il n’y a pas de quota homme/femme dans ce processus: ce sont les individus qui remplissent le mieux les critères recherchés par les forces armées qui sont sélectionnés. Il est à noter que l’obligation de se présenter aux procédures de sélection des forces armées s’applique déjà depuis 2010 à tous. Toutefois, entre 2010 et 2014, les femmes avaient le droit de se désister si elles étaient sélectionnées. D’après les chercheurs que j’ai rencontrés en Norvège, l’on a déjà pu constater une augmentation du nombre de femmes se disant motivées pour effectuer le service militaire, leur proportion passant de 17 % en 2010 à 23 % cinq ans plus tard. Pendant cette période, beaucoup de femmes sélectionnées pour effectuer le service militaire ont toutefois exercé leur droit de se désister. Reste à savoir si cette tendance continuera à la suite de la modification de la loi en 2014, et quel sera l’impact de celle-ci à long terme sur la proportion de femmes employées dans des fonctions militaires opérationnelles.
18. Concernant d’autres pays, le service militaire obligatoire existe mais ne s’applique qu’aux hommes dans 10 pays sur lesquels nous disposons d’informations à ce sujet: l’Autriche, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Fédération de Russie, la Suisse et la Turquie. Dans la plupart de ces pays les femmes peuvent également s’engager pour le service militaire sur une base volontaire. La proportion de femmes travaillant au sein des forces armées varie fortement entre ces pays. En Suisse, 0,75 % des effectifs des forces armées sont des femmes, alors qu’en Estonie, les femmes constituent 11,4 % du personnel militaire et 26% des effectifs globaux des forces armées.
19. Dans les cas où le service militaire obligatoire a existé dans le passé uniquement pour les hommes puis a été aboli ou suspendu (processus de «professionnalisation»), les armées ont été contraintes de trouver de nouvelles sources de recrues. Comme en France, où le service militaire obligatoire pour les hommes a été aboli en 1996, certaines armées ayant une longue tradition masculine ont fait le constat qu’elles ne pouvaient plus se permettre de passer à côté de 50 % de la population et ont commencé à chercher activement à recruter davantage de femmes. Toutefois, les objectifs de recrutement de femmes ne sont pas toujours atteints. Comme l’a indiqué Mme Françoise Gaudin lors de l’audition organisée par la commission sur l’égalité et la non-discrimination le 1er juin 2015, alors que l’objectif fixé en France est de 20 %, le recrutement actuel de femmes est de 12 %, même si leur part dans le corps des officiers progresse. Dans d’autres pays, notamment ceux où les forces armées ont été constituées après la chute du mur de Berlin, le recrutement de femmes est un enjeu crucial depuis leur création. Bien que les femmes n’aient jamais été soumises au service militaire obligatoire dans ces pays, la proportion de femmes engagées au sein des armées est souvent comparable, voire supérieure à celle des armées dans lesquelles le service militaire est encore obligatoire pour les hommes. Ainsi, en Croatie, où le service militaire obligatoire a été suspendu en 2008, les femmes constituent 10 % des effectifs militaires (12,51 % des effectifs globaux); en République tchèque, où le service militaire obligatoire n’a pas été mis en place lors de la création de son armée, 13,76 % des effectifs militaires sont des femmes.
20. Il est évidemment difficile de tirer des conclusions quant à l’impact du service militaire obligatoire sur la féminisation des armées. D’une part, l’histoire récente des différents pays, la présence ou non de conflits armés sur leur territoire ou dans les pays limitrophes, ont pu avoir une influence importante sur l’engagement des femmes et des hommes au sein des armées. D’autre part, la conception même du rôle des forces armées peut varier d’un pays à l’autre. Chaque pays étant libre d’imposer ou non le service militaire obligatoire, il sera toutefois essentiel, quelle que soit la politique adoptée en la matière, d’intégrer systématiquement la dimension de genre dans les réflexions sur sa mise en œuvre.

3.3. Recrutement

21. Pour augmenter le nombre de femmes militaires, il faut bien sûr en recruter davantage. Un aspect intéressant évoqué par plusieurs de mes interlocuteurs en Norvège concerne l’image des forces armées au sein de la population en général, et notamment l’image véhiculée par les forces armées elles-mêmes dans leurs campagnes de recrutement. Jusqu’à récemment, les messages transmis et les images utilisées à l’appui de ces campagnes étaient associés aux capacités physiques et à la masculinité (courses dans la boue, fusils, balles). Autrement dit, la nature même des campagnes de recrutement, ancrée dans des stéréotypes dépassés et éloignés des besoins actuels des forces armées, a eu jusqu’à récemment tendance à motiver davantage de candidats masculins que féminins 
			(15) 
			La crainte de ne pas
réussir les épreuves physiques est également évoquée comme un facteur
influençant le taux de désistement des femmes entre les première
et deuxième étapes de sélection pour le service militaire en Norvège.. Je considère donc comme une initiative très intéressante le développement d’une nouvelle campagne de recrutement, plus représentative de la réalité actuelle des forces armées, axée davantage sur les compétences techniques et les valeurs que représentent les forces armées.
22. Pour être capable d’attirer les meilleures recrues, hommes ou femmes, les forces armées doivent désormais bénéficier d’une réputation d’employeur de choix 
			(16) 
			Voir entre autres sources,
Australian Human Rights Commission, op.
cit., p. 20. . Leur traitement de la diversité et notamment de l’égalité de genre sera un facteur d’évaluation important pour un certain nombre de femmes dans ce contexte. Si le milieu militaire est perçu par le grand public comme sexiste, voire misogyne, de nombreuses femmes seront dissuadées d’y poursuivre une carrière.
23. Lors de ma visite à l’OTAN le 23 février 2016, mes différents interlocuteurs s’accordaient à insister sur le fait que, dans le recrutement et la progression de carrière, même si fixer des objectifs chiffrés et évaluer les résultats est important, l’accent doit surtout être mis sur la recherche des compétences dont les armées ont besoin. La communication de la hiérarchie à ce sujet doit également être très claire. D’une part, mettre en exergue les compétences requises permet d’assurer que les forces armées bénéficient du personnel le mieux en adéquation avec ses besoins; d’autre part, cette approche garantit aux femmes recrutées ou promues un meilleur accueil, puisque leurs compétences ne sont pas sujettes à question 
			(17) 
			UNSCR 1325 Reload,
p. 7. .

3.4. Accès des femmes à différentes professions au sein des forces armées

24. Dans certains pays, les femmes n’ont pas accès à toutes les professions existant au sein des forces armées. Au Royaume-Uni, par exemple, si 94 % des types de fonctions au sein de l’armée de l’air sont ouverts aux femmes, seuls 79 % le sont dans la marine et 70 % dans l’armée de terre. En effet, les unités destinées à s’engager dans des combats rapprochés («ground close combat») excluent totalement l’emploi des femmes. Cette exclusion serait fondée sur des considérations de «cohésion d’équipe» et partant, d’«efficacité dans les situations de combat» («combat effectiveness »). Une étude récente du ministère de la Défense britannique au sujet de l’exclusion des femmes de ces fonctions conclut à la nécessité de mener des recherches physiologiques supplémentaires afin d’évaluer les risques pour les femmes et d’identifier des pistes permettant de minimiser l’impact de ces risques avant de décider de la levée ou non de l’interdiction 
			(18) 
			Ministry of Defence,
Women in Ground Close Combat (GCC) Review Paper – 1er décembre
2014, publié le 19 décembre 2014; voir aussi le précédent Report
on the Review of the Exclusion of Women from Ground Close-Combat Roles,
novembre 2010. .
25. En France, le seul corps de l’armée qui n’acceptait toujours pas les femmes était celui des sous-mariniers, en raison des conditions de vie à bord des sous-marins inadaptées à la mixité. La construction de sous-marins nucléaires adaptés à l’embarquement d’équipages mixtes est toutefois en cours. Les premiers bâtiments devraient être livrés à partir de 2017, et plusieurs femmes sont déjà candidates. Des réflexions et un processus similaires sont également en cours aux Pays-Bas. Les autorités françaises ont indiqué s’inspirer, en la matière, des politiques d’accueil de femmes à bord de sous-marins en place dans d’autre pays, et notamment au Royaume-Uni 
			(19) 
			Voir Féminisation des
équipages de sous-marins français, 14e législature,
Question écrite no 00951 de Mme Maryvonne
Blondin (Finistère – SOC), publiée dans le JO
Sénat du 19 juillet 2012, p. 1619, et Réponse du ministère de
la Défense publiée dans le JO Sénat du
23 août 2012, p. 1877.. Cet exemple met, par ailleurs, clairement en relief le fait qu’en matière d’égalité de genre, les armées progressent sur différents fronts à des rythmes variés, certaines évolutions considérées comme problématiques dans un pays pouvant au contraire aller très vite dans un autre, et inversement.
26. Ces cas ne doivent pas masquer le fait que dans la majorité des pays européens, il n’y a plus d’interdiction formelle faite aux femmes d’exercer tel ou tel métier au sein des armées 
			(20) 
			Informations fournies
par les différents parlements nationaux. D’après ces informations,
aucune profession militaire n’est interdite d’accès aux femmes dans
les pays suivants: Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie,
Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Lettonie,
Lituanie, Monténégro, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Serbie,
Slovénie, Suède, Suisse, République tchèque et Turquie. Voir aussi
UNSCR 1325 Reload, p. 18..
27. Il faut toutefois souligner que, dans la pratique, la suppression des interdictions légales ne conduit pas automatiquement à l’accès des femmes aux professions dont elles étaient auparavant exclues. Au Portugal, toutes les professions sont ouvertes aux femmes depuis 2008, mais il n’y a toujours aucune femme dans plusieurs corps militaires (opérations spéciales, corps des marines, personnel des sous-marins, etc). Au Monténégro et en Serbie, malgré l’absence de toute restriction légale en la matière, les autorités médicales compétentes déconseillent la nomination de femmes à certaines fonctions, pour des motifs sanitaires, et une certaine autocensure est également constatée chez les femmes, qui s’abstiennent de postuler pour ces fonctions.
28. Concernant les critères physiques appliqués au recrutement des hommes et des femmes à différents rôles au sein des forces armées, l’on entend souvent que ces critères doivent être les mêmes pour tous. Le contraire serait perçu comme la mise en place d’un système de quotas ou d’action positive en faveur des femmes, notion rejetée notamment par les femmes qui ne souhaitent pas être considérées par leurs collègues comme moins crédibles, moins fortes ou moins capables. Or, d’après les chercheurs que j’ai rencontrés en Norvège, lorsque la même question est posée par le biais d’un questionnaire anonyme, 89 % des femmes et une majorité d’hommes estiment qu’il faudrait mettre en place des critères physiques différents pour les femmes et les hommes (qui correspondraient à un niveau d’effort équivalent pour les deux sexes).
29. Dans ce contexte, une autre initiative prise par les forces armées norvégiennes est particulièrement intéressante. Malgré l’absence de barrières formelles, certaines unités n’ont jamais pu recruter de femmes. Ayant néanmoins besoin de femmes dans ces unités, l’armée de terre a récemment lancé un projet pilote, créant une troupe de parachutistes composée uniquement de femmes, recrutées pour y accomplir leur service militaire à la suite d’une procédure de sélection très rigoureuse, mais sur la base de critères physiques adaptés. Cette initiative, qui répondait à un besoin clair des forces armées et qui était perçue de façon positive par tous mes interlocuteurs, a permis de former, pour la première fois, 14 femmes au métier de parachutiste. La très grande majorité de ces femmes a décidé de rester à la fin de leur période de formation. Reste à suivre comment se passera leur intégration par la suite, dans des unités qui deviendront ainsi mixtes.
30. Au vu de ces éléments, même dans les pays où il n’existe aucune restriction légale à l’exercice par les femmes de toutes les professions au sein des forces armées, des politiques proactives de recrutement mais aussi d’accueil des femmes dans les professions dont elles ont précédemment été exclues semblent nécessaires.

3.5. Participation des femmes aux opérations extérieures

31. La participation des femmes à des opérations extérieures représente une plus-value réelle, car elles peuvent, par exemple, faciliter les contacts avec les populations civiles locales, voire représenter un facteur d’apaisement au sein des équipes militaires 
			(21) 
			Sénat
français, Rapport d’information n° 373, 26 mars 2015, p. 24-26.
Voir aussi Danish Women in Combat, un reportage d’Emma Nelson, 25 février
2014, <a href='http://forces.tv/35360017'>http://forces.tv/35360017</a>.. La question essentielle n’est donc pas de savoir si les femmes devraient pouvoir participer à des opérations extérieures, mais comment gérer cette participation afin qu’elle se passe au mieux.
32. La mise en œuvre de la Résolution 1325 et des résolutions connexes du Conseil de sécurité des Nations Unies a conduit l’OTAN à réfléchir de manière approfondie au rôle des femmes militaires lors d’opérations extérieures (par exemple en Afghanistan). La directive BI-SCD 40-1 précise le cadre et les modalités de mise en œuvre de ces instruments, notamment dans le contexte des opérations extérieures. L’OTAN y reconnaît explicitement qu’accroître la participation des femmes aux opérations extérieures renforce l’efficacité de ces opérations, relève que la prise en compte de la perspective de genre influe positivement sur le théâtre des opérations et enjoint les acteurs concernés à élargir la participation des femmes aux opérations extérieures. Il met en exergue l’importance de l’intégration de la perspective de genre à toutes les étapes de préparation et de mise en œuvre d’une opération extérieure et prévoit de manière détaillée la formation obligatoire sur la dimension de genre à dispenser aux membres des forces armées avant tout déploiement. Il définit également le rôle des conseillers sur la dimension de genre. Il précise par ailleurs le code de conduite applicable aux troupes déployées et définit les notions d’exploitation sexuelle et d’abus sexuel.
33. Dans la pratique, les femmes restent encore minoritaires parmi le personnel déployé pour des opérations extérieures. Comme l’a indiqué Mme Françoise Gaudin lors de l’audition de la commission, la proportion de femmes participant aux opérations extérieures de l’armée de terre française sur le terrain, par exemple au Mali et en République centrafricaine, reste faible, à environ 5 %. Avant même le danger ou l’éloignement de la famille, des femmes ayant participé à de telles opérations relèvent les difficultés liées à la rusticité des conditions de vie (promiscuité, tentes ou blocs sanitaires parfois mixtes). Par ailleurs, le sentiment à la fois d’être minoritaire et de devoir tout faire pour que la féminité passe inaperçue peut être accru, augmentant ainsi le stress auquel les femmes militaires doivent faire face dans des situations déjà particulièrement exigeantes pour tous. Certains de mes interlocuteurs lors de ma visite à l’OTAN ont souligné par ailleurs que lorsque les femmes militaires sont présentes en très petit nombre dans le cadre d’opérations extérieures, leurs collègues masculins ont tendance à les surprotéger, les confinant à des rôles perçus comme moins dangereux. Elles sont ainsi contraintes d’affirmer leur droit de participer sur un pied d’égalité à la mission.
34. De tels éléments doivent être pris en compte par toute force armée souhaitant déployer davantage de femmes dans ses opérations extérieures. Je note par ailleurs avec intérêt que, selon mes interlocuteurs à l’OTAN, la prise de conscience est en marche, car les commandants ayant dirigé des opérations extérieures auxquelles ont participé des femmes sont, dans la plupart des cas, catégoriques: ils ne souhaitent plus jamais être à la tête de compagnies composées uniquement d’hommes.

3.6. Progression de carrière et accès des femmes aux plus hauts rangs

35. Dans le contexte du développement de la carrière, les femmes militaires affirment ressentir la nécessité de démontrer leur ténacité et de faire constamment leurs preuves, en en faisant plus que les hommes afin de gagner leur confiance, alors que celle-ci est accordée presque naturellement aux collègues masculins 
			(22) 
			Sénat français, Rapport
d’information no 373, op. cit., p. 19-20..
36. Même si des exemples de femmes ayant atteint les plus hauts rangs militaires peuvent désormais être cités dans de nombreux pays européens, la représentation des femmes dans les postes les plus élevés des forces armées reste globalement faible, et lorsqu’elles occupent des postes à très haut rang, ceux-ci sont souvent des postes à caractère administratif. Le constat de l’existence d’un «plafond de verre» est très largement partagé. A travers l’ensemble des forces armées des pays membres de l’OTAN, environ 11 % du personnel occupant les rangs allant de soldat/matelot/aviateur jusqu’à capitaine/lieutenant de vaisseau (OF2) est féminin. Or, au-dessus de ce rang, la proportion baisse de manière significative. Elle est de 5,1 % pour les rangs allant de commandant/capitaine de corvette à colonel/capitaine de vaisseau (OF3-OF5) et de seulement 0,6 % parmi les officiers généraux (OF6 et plus) 
			(23) 
			UNSCR 1325
Reload, p. 28. Pour les équivalences de grades, voir STANAG 2116,
Codes OTAN des grades du personnel militaire.. Souvent, les premières femmes nommées à des grades élevés travaillent dans les corps médicaux ou dans des fonctions de relations publiques ou de logistique. Cela est dû notamment au fait que, dans de nombreuses armées, les femmes ont d’abord été recrutées à des fonctions non liées au combat, et sont toujours davantage représentées dans ces types de fonctions. Par ailleurs, il est à noter que dans six pays membres de l’OTAN, les femmes n’ont toujours pas accès à tous les postes 
			(24) 
			 UNSCR 1325 Reload,
p. 18. Il s’agit des pays suivants: France, Grèce, Italie, Pays-Bas,
Royaume-Uni et Etats-Unis. Un septième pays, l’Islande, n’a pas
de forces armées..
37. Les plans de carrière sont souvent excessivement rigides, réservant l’accès aux grades élevés aux seuls militaires ayant suivi certains parcours bien précis. Or, les femmes sont souvent encouragées à s’orienter vers des postes élevés de soutien ou dans l’administration, considérés comme plus accessibles, et ne se rendent compte que trop tard que cela réduit leurs possibilités d’avancement. Cette rigidité empêche les armées de gérer leur personnel de manière souple et a pour effet de pousser des militaires hautement qualifiés et formés mais qui ne peuvent progresser puisqu’(ils ou) elles n’ont pas suivi le parcours préconisé (notamment la participation aux opérations extérieures) à quitter les forces armées, entraînant pour celles-ci de lourdes pertes de compétences 
			(25) 
			 UNSCR 1325 Reload,
p. 35..
38. Des recherches sur les forces armées norvégiennes montrent que les femmes militaires estiment avoir le même accès que leurs collègues masculins aux informations officielles relatives aux possibilités de carrière. Toutefois, des conseils importants sont aussi fournis par le biais de réseaux informels et peu transparents, auxquels les hommes (encore largement majoritaires au sein des forces armées) ont davantage accès que les femmes 
			(26) 
			Kari Røren Strand,
«Onwards and Upwards ?» in Frank Brundtland Steder (ed.), Military Women – The Achilles Heel in Defence
Politics?, Oslo, Abstrakt forlag AS, 2015, p. 191-210. . Les femmes militaires ainsi que les chercheurs soulignent que les femmes ont parfois besoin d’être poussées à postuler pour des postes opérationnels ou des promotions, car, sans un tel encouragement actif, elles n’oseront pas se mettre en avant pour ces fonctions.
39. Parmi les freins et obstacles, citons notamment les difficultés d’accès des femmes aux écoles militaires supérieures. Soulignons également la persistance de stéréotypes à l’égard des femmes, qui peuvent être particulièrement pesants dans les écoles militaires et contre lesquels il demeure nécessaire de lutter fermement, en renforçant dans ces écoles notamment la formation à l’égalité et la non-discrimination – y compris pour les formateurs eux-mêmes.

3.7. Conciliation vie privée/vie professionnelle

40. Les questions liées à la conciliation du métier militaire et de la vie familiale sont particulièrement critiques en ce qui concerne la maternité ainsi que l’impact sur la vie familiale des exigences de mobilité géographique. Il s’agit là d’autant de facteurs auxquels sont confrontées toutes les femmes exerçant un métier, mais qui peuvent avoir un impact accru au sein des armées, où les étapes décisives dans la progression de la carrière militaire se déroulent souvent en parallèle à celles de la vie familiale.
41. Il convient de souligner que les forces armées ont rarement été conçues pour favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Bien au contraire, il existe souvent une mentalité selon laquelle les «bons» militaires sont ceux qui consacrent leur vie toute entière aux forces armées, à l’exclusion de toute autre priorité. Même si certaines des difficultés susmentionnées sont bien connues des femmes travaillant dans le secteur civil, l’environnement militaire clos accentue la pression sur les femmes et multiplie leur sentiment d’isolement au sein d’un monde parfois hostile 
			(27) 
			Sénat français, Rapport
d’information n° 373, op. cit.,
p. 17-22..
42. L’obligation de mobilité entre différentes bases militaires, même en dehors des déploiements pour des opérations extérieures, peut induire un nombre important de départs. D’après mes interlocuteurs de l’OTAN, au Canada, les entretiens de départ démontrent que non seulement les femmes mais aussi les hommes, invoquent des raisons familiales comme motif de départ des forces armées. Toutefois, les femmes ont davantage tendance à quitter les forces armées lorsque leurs enfants sont en bas âge, alors que les hommes qui partent pour des raisons familiales le font généralement plus tard, lorsque leurs enfants sont adolescents et que leur famille n’est plus prête à accepter la mobilité.
43. Le constat que les femmes quittent souvent les forces armées au moment de la maternité ou lorsque leurs enfants sont en bas âge a conduit en Australie à une réflexion importante sur les coûts que cela entraîne. La nécessité de proposer davantage de flexibilité dans les carrières militaires s’est dès lors imposée comme une évidence, afin de prévenir les départs et ainsi de capitaliser sur l’investissement des forces armées dans un personnel performant 
			(28) 
			UNSCR 1325 Reload,
p. 36. . Soulignons dans ce contexte l’approche fondée à la fois sur la reconnaissance des compétences et sur la mise en place d’une plus grande flexibilité des parcours, afin d’accroître l’attractivité de ce milieu professionnel et de réduire le nombre de départs.
44. Au sein des forces armées, les mentalités évoluent toutefois lentement. Les mères d’enfants en bas âge qui partent en opérations extérieures ou simplement sur des bases militaires éloignées sont confrontées à des questions et attitudes de la part de leurs collègues qui les renvoient sans cesse à l’image d’être (mauvaises) mères avant d’être (éventuellement bonnes) militaires («Tu as un bébé? Mais… qu’est-ce que tu fais ici?»). Sans être forcément malveillantes, de telles questions sont déstabilisantes, provoquant ou renforçant des sentiments de culpabilité et suscitant des questionnements chez certaines femmes quant à la légitimité de leur présence au sein des forces armées. Ces questions ne sont pas posées aux jeunes pères militaires.
45. Les attitudes de la société à cet égard restent également au niveau des stéréotypes. J’ai eu le privilège de rencontrer en Norvège trois femmes officiers des forces armées, ayant le rang de colonel, lieutenant-colonel et capitaine de frégate. Toutes ont des enfants et toutes ont participé à des opérations extérieures. Pour un homme militaire, partir en opération extérieure est considéré comme normal. Les femmes qui acceptent de participer à une opération extérieure seront critiquées par leur entourage, voire accusées d’abandonner leurs enfants. Au retour, il arrive que personne ne pose de question à la femme militaire sur sa mission, alors que tout le monde demande à son époux comment il a tenu le coup. Le retour tant idéalisé pendant qu’on est en mission est parfois très dur.
46. Une bonne pratique existant dans plusieurs pays m’a été signalée, selon laquelle, lorsqu’un bataillon entier est appelé à partir en opération extérieure, un système de soutien aux familles est mis en place. Toutefois, cette pratique est rarement institutionnalisée mais dépend de la bonne volonté du commandant. Par ailleurs, lorsqu’un militaire est le seul de son bataillon à partir en opération extérieure (par exemple en tant que spécialiste accompagnant un autre bataillon), il est rarement inclus dans de tels dispositifs.
47. Au sein des forces armées norvégiennes, de nombreuses mesures intéressantes ont été mises en place afin de permettre aux militaires ayant une famille de participer aux opérations extérieures, allant par exemple de la prise en charge des frais de voyage des grands-parents pour leur permettre de s’occuper des enfants (s’ils en ont la possibilité) au fait de couvrir les frais de garde des enfants en l’absence des deux parents ou les frais de ménage ou d’entretien en l’absence d’un des parents. Dans les familles où les deux parents sont militaires, il est considéré comme essentiel de ne jamais envoyer les deux parents en mission en même temps.
48. Par ailleurs, l’introduction en Norvège d’un congé de paternité non transférable (actuellement de 10 semaines) a contribué à un changement radical des mentalités. Gérer la naissance d’un enfant n’est en effet plus considéré comme le seul problème de la mère: désormais, il revient à l’armée, comme à tout autre employeur, de s’organiser afin que tous les parents puissent exercer leur droit au congé parental. En Fédération de Russie, la question de l’accès au congé parental des militaires hommes est également à l’étude dans le cadre de l’exécution d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a considéré que «la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes dans la société ne peut servir à justifier l’exclusion des hommes, y compris ceux travaillant dans l’armée, du droit au congé parental. (…) les stéréotypes liés au sexe – telle l’idée que ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants et plutôt les hommes qui travaillent pour gagner de l’argent – ne peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante de la différence de traitement en cause» 
			(29) 
			Markin
c. Russie, Requête no 30078/06,
arrêt du 22 mars 2012, paragraphe 143. Voir aussi le rapport de l’Assemblée
«Egalité et coresponsabilité parentales» (rapporteure: Mme Françoise
Hetto-Gaasch, Luxembourg, PPE/DC), Doc. 13870, paragraphes 63-65..
49. D’après les principes énoncés en annexe à la Recommandation CM/Rec(2010)4, les membres des forces armées ont droit au respect de la vie privée et familiale. Le droit à un congé de maternité ou paternité, à des allocations familiales et à des services de garde de jour étant garanti par les articles 8, 16 et 27 de la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163), il devrait s’appliquer aux membres des forces armées comme aux civils lorsqu’ils servent dans leur propre Etat et, dans la mesure du possible, lorsqu’ils sont déployés dans un autre pays. Parmi de bons exemples cités à cet égard, en France, le ministère de la Défense a porté à plus de mille le nombre de ses crèches. Aux Pays-Bas, les mères d’enfants en bas âge ont la possibilité de travailler à temps partiel et il existe des centres de garde de jour. Les pères peuvent également prendre un congé parental. Le droit à un congé de maternité ou à un congé parental pour les membres des forces armées est également reconnu en Roumanie 
			(30) 
			CM/Rec(2010)4.
Voir Exposé des motifs, document H/Inf(2010)5, p. 49, et les sources
qui y sont citées. .

3.8. Durée de carrière des femmes au sein des forces armées, départs

50. Si l’âge de la retraite est le même pour les femmes et les hommes dans la plupart des armées (variant selon les fonctions exercées plutôt que le sexe), peu d’informations semblent exister en ce qui concerne la durée moyenne réelle de la carrière des femmes militaires. Or, de telles informations sont indispensables dès lors qu’il s’agit de mettre en place une politique visant à accroître le nombre de femmes au sein des forces armées. En effet, il ne suffit pas de recruter un plus grand nombre de femmes: encore faut-il que celles-ci y poursuivent leurs carrières au moins aussi longtemps que les hommes.
51. En France, la durée moyenne de service au moment du départ est de 12,6 ans pour les femmes officiers, contre 24,7 ans pour les hommes 
			(31) 
			La
place des femmes au ministère de la Défense en 2015, document présenté
le 1er juin 2015 à la commission par Mme Françoise
Gaudin, haut fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère de
la Défense, p. 3.. En Norvège, un taux de départ plus élevé a également été constaté chez les femmes, notamment chez les femmes âgées de moins de 30 ans et celles qui exercent des fonctions militaires – précisément le secteur où le pourcentage de femmes est le plus faible 
			(32) 
			Frank Brundtland
Steder, «Is it Possible to Increase the Share of Military Women
in the Norwegian Armed Forces?», International
Relations and Diplomacy, mai 2014, vol. 2, no 5,
p. 293-309, p. 296.. D’après une étude menée en 2008, les femmes ont plus tendance à avoir une approche utilitaire de la carrière militaire, l’utilisant comme tremplin vers des carrières civiles. Cela est surtout le cas des femmes ayant choisi (à l’époque où ce n’était pas obligatoire) de faire le service militaire ou de suivre un enseignement dans une école de formation militaire initiale. Sont également évoqués des motifs personnels ou familiaux, et un climat défavorable aux femmes, voire de harcèlement moral ou sexuel à leur égard. Ce dernier motif concernerait environ un cinquième des femmes qui quittent les forces armées 
			(33) 
			Informations fournies
par le Parlement norvégien.. Par contraste, en République tchèque, la durée moyenne de la carrière des femmes militaires est équivalente à celle des hommes 
			(34) 
			Pour les femmes, la
durée de carrière moyenne est de 4 861 jours (13 ans et demi); celle
des hommes est de 4 888 jours (27 jours de plus que leurs collègues
féminines)..
52. Des différences importantes peuvent exister entre des pays où la plupart des militaires passent l’intégralité de leur carrière au sein des forces armées et ceux où sont proposées en priorité des carrières militaires à durée limitée, c’est-à-dire un engagement pour un certain nombre d’années seulement, suivi soit de l’embauche en tant que militaire de carrière, soit d’une «réinsertion accompagnée» dans le marché du travail civil. Ce modèle, pratiqué par exemple en Allemagne 
			(35) 
			Les
militaires employés sur cette base sont appelés «Soldat(inn)en auf
Zeit» ou «Zeitsoldat(inn)en». , peut attirer des femmes, notamment en début de carrière et sans enfants, car comme en Norvège, il peut fournir un tremplin vers des carrières civiles plus valorisantes. Toutefois, s’agissant d’une politique contractuelle impliquant une rotation importante du personnel, pour maintenir ou accroître la féminisation des forces armées, il est nécessaire de chercher constamment à recruter une proportion élevée de femmes. Cela représente un investissement financier important pour le pays, tant en ce qui concerne le recrutement que pour former les remplaçants.
53. Les comparaisons entre pays en ce qui concerne la durée de carrière des femmes militaires s’avèrent difficiles du fait de l’ouverture récente et progressive de différentes fonctions aux femmes militaires dans la plupart des pays. Toutefois, chaque armée souhaitant renforcer la féminisation de ses structures devra disposer d’informations et d’analyses en ce qui concerne les durées de carrière des femmes comparées à celles des hommes au sein des forces armées.

3.9. Adapter les structures à la présence d’un plus grand nombre de femmes

54. Configurer l’espace, prévoir des uniformes appropriés, sont autant d’adaptations qui doivent accompagner la féminisation des forces armées. Lors de ma visite en Norvège, les représentants des conscrits (TMO) ont insisté sur l’importance pour les femmes de disposer d’un équipement et d’uniformes adaptés à la morphologie des femmes. Certains interlocuteurs rencontrés lors de ma visite à l’OTAN ont en outre souligné que pour les femmes enceintes, l’absence d’uniformes militaires adaptés à la grossesse, pose doublement problème: obligée de s’habiller en civil, une femme militaire enceinte perd sa légitimité et son autorité vis-à-vis de collègues de rang inférieur qui ne la connaissent pas, car son rang devient invisible, et elle aussi. Dans les structures très hiérarchisées des forces armées, cela ne peut être perçu comme neutre par les femmes concernées.
55. Toujours sur le plan très concret, une initiative qui mérite d’être signalée est l’introduction de dortoirs mixtes. Cette pratique existe déjà en Suède depuis les années 1990 mais aucune recherche ne semble avoir été faite dans ce pays sur son impact. En Norvège, des dortoirs mixtes ont été mis en place sur certaines bases militaires seulement, notamment là où les baraques existantes sont très exiguës et ne permettent pas d’autres adaptations à la mixité des unités qui y sont stationnées. Contrairement aux craintes de certains, les dortoirs mixtes ne semblent pas avoir attisé les tensions entre les femmes et les hommes. Au contraire, les chercheurs norvégiens ont constaté qu’elle a eu pour effet une désexualisation des relations; ce sont avant tout des relations d’amitié et de solidarité qui se sont installées entre les militaires des deux sexes. Les femmes ont par ailleurs souligné que grâce à cette configuration, elles ne se trouvaient plus en dehors des réseaux de circulation d’informations et qu’il y avait moins de concurrence et d’intrigues entre elles. Concernant les conditions nécessaires au bon fonctionnement des dortoirs mixtes, les chercheurs soulignent le rôle essentiel de la hiérarchie, qui doit mener une véritable politique de la porte ouverte, et clairement énoncer et appliquer une politique de l’interdiction des relations sexuelles entre les conscrits (les couples qui se formeraient devant être séparés) ainsi que l’interdiction de l’alcool.

3.10. Changer les mentalités

56. Soulignons à nouveau que l’environnement militaire a été conçu par et pour des hommes. Alors que la composition des forces armées est de plus en plus diversifiée, il y existe encore une culture machiste. Le fait de se conformer à la culture interne préexistante y est souvent valorisé, voire perçue comme un facteur essentiel de cohésion, et il peut exister une forte pression pour se conformer à la culture régnante. La loyauté, valeur fondamentale au sein des forces armées, est souvent appréciée à travers ce prisme, et la présence récompensée plus que la performance. Aucune des mesures décrites ci-dessus ne permettra d’atteindre une réelle intégration des femmes au sein des forces armées si la culture interne ne change pas. Il ne suffit pas d’ajouter une pincée de femmes, de remuer et c’est prêt: il faut repenser les structures et les pratiques afin que tous les membres des forces armées, femmes et hommes, puissent s’épanouir 
			(36) 
			Entretien
avec Elizabeth Broderick, Australian Sex Discrimination Commissioner,
«The Gender Mission», Foreign Correspondent, ABC TV, reportage diffusé
le 5 août 2014, <a href='http://www.abc.net.au/foreign/content/2014/s4061340.htm'>www.abc.net.au/foreign/content/2014/s4061340.htm</a>. .
57. Aujourd’hui, de plus en plus de structures militaires sont en train de prendre conscience que la diversité, loin de compromettre leur efficacité, peut renforcer leurs capacités opérationnelles. Plus encore que dans d’autres milieux professionnels, la hiérarchie doit toutefois s’engager activement pour transmettre ce message, afin que toutes les différences soient acceptées positivement et valorisées. En effet, compte tenu de la façon de fonctionner des forces armées et de la «culture d’entreprise» et/ou l’«esprit de corps» qui y règnent, l’implication de la hiérarchie est primordiale – non seulement au plus haut niveau, mais aussi au niveau de l’encadrement intermédiaire – pour faire évoluer les mentalités. En parallèle, l’accent doit être clairement mis dans les recrutements et promotions sur le choix des candidats les plus compétents (voir plus haut).
58. En ce qui concerne la formation à la dimension de genre, l’engagement de la hiérarchie est tout aussi essentiel. Il ne suffit pas qu’elle répète sans cesse les messages susmentionnés, en les imposant comme un point accessoire ou une contrainte venue d’en haut ou de l’extérieur. La dimension et la perspective de genre doivent être réellement intégrées dans l’enseignement à tous les niveaux.

4. Le harcèlement et les violences à l’égard des femmes dans les forces armées

4.1. Tour d’horizon

59. En 2010, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe notait que, malheureusement, le harcèlement et la violence sexuels à l’encontre du personnel militaire étaient encore courants. Il relevait que cela affecte le bien-être émotionnel et psychologique des victimes, nuit aux résultats professionnels du personnel et discrédite plus généralement les forces armées 
			(37) 
			Recommandation CM/Rec(2010)4,
Principe Q.  . Au-delà des limites géographiques du Conseil de l’Europe, les armées américaines, australiennes et canadiennes, par exemple, ont déjà reconnu l’existence de ces phénomènes en leur sein.
60. La culture interne préexistante, les stéréotypes persistants, le fait que la féminisation des forces armées soit, pour certains, un processus subi et non choisi, créent un environnement propice aux harcèlements. De nombreuses femmes militaires font état de brimades continuelles à leur égard. Dans certains cas, et en particulier dans les situations de forte promiscuité, montrer le moindre signe de féminité est traité par les hommes comme une provocation. Selon une enquête menée en Norvège, alors que 90 % des appelées se disent satisfaites de leur service militaire, 17 % indiquent avoir subi des harcèlements sexuels pendant cette période, principalement sous forme de commentaires, de regards ou de gestes inappropriés, et 5 % ont indiqué qu’il s’agissait d’incidents graves. Ces chiffres posent à nouveau la question de la mentalité qui prévaut au sein des forces armées: serait-il question pour certaines femmes d’«internaliser» la culture existante, de se résigner à l’idée que «ici, c’est comme ça que se passe» ?
61. Les phénomènes de harcèlement et de violences à l’égard des femmes dans les forces armées peuvent poser des risques très graves, voire être fatals, pour elles. Un cas particulièrement alarmant s’est produit lors du déploiement des forces de coalition en Irak, dans lequel plusieurs femmes ont souffert de déshydratation, et deux d’entre elles en sont mortes. L’enquête sur leur décès a révélé que, malgré les conditions climatiques sévères, les femmes concernées avaient arrêté de boire au courant de l’après-midi, afin d’éviter d’avoir à aller aux toilettes pendant la nuit. Plusieurs d’entre elles avaient été harcelées par leurs collègues masculins, et certaines avaient même été violées 
			(38) 
			Civil-Military
Cooperation Centre of Excellence (CCOE), Gender
Makes Sense – A Way to Improve Your Mission, Enschede,
2008, p. 9..
62. Un ouvrage consacré en 2014 à la situation dans les forces armées françaises fait état de cas de violence, d'agression, de harcèlement des femmes; la plupart des femmes ayant témoigné de tels cas avaient quitté les forces armées en raison de ces faits et éprouvaient encore les conséquences de ce traumatisme 
			(39) 
			Leila Miñano et Julia
Pascual, La guerre invisible: révélations
sur les violences sexuelles dans l’armée française, Les Arènes,
2014.. De nouveaux cas continuent à être révélés et médiatisés; les victimes sont souvent de jeunes femmes en attente de titularisation et partant, dans une situation professionnelle particulièrement précaire. Or, le harcèlement sexuel n’est pas une fatalité: dans une récente affaire française, une gendarme victime de harcèlement sexuel à Joigny (faits pour lesquels les auteurs ont été condamnés en première instance) n’avait jamais eu de problème lié à son genre lors de sa précédente affectation de trois ans, dans une unité de 28 gendarmes où elle était la seule femme. Cette affaire met en lumière une fois de plus le rôle clé joué par le personnel encadrant dans la création d’un climat accueillant ou hostile envers les femmes 
			(40) 
			Informations
fournies par M. Jacques Bessy, président de l’Adefdromil, lors de
l’audition du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre
sans violence à Strasbourg, le 20 avril 2016. Quant aux circonstances
de l’affaire citée, voir notamment «Prison avec sursis pour les
deux gendarmes de Joigny», lyonne.fr, 12 avril 2016..
63. En Norvège, en 2011, le cas très médiatisé d’une jeune femme militaire qui avait été contrainte par son supérieur hiérarchique à se baigner nue avec une trentaine de collègues masculins, a conduit à une certaine prise de conscience sur l’importance de s’attaquer au harcèlement moral et sexuel au sein des forces armées. Au-delà du cas individuel, un certain nombre d’enseignements importants ont pu être tirés de cette affaire. Tout d’abord, il existe (encore) une culture sexiste au sein des forces armées norvégiennes, mais aussi parfois une culture de rivalité entre différents groupes; lorsque certains hommes militaires font l’objet de brimades de la part de leurs collègues, ils reproduisent ces comportements en les infligeant à d’autres groupes – notamment les femmes. La notion de pouvoir est par ailleurs souvent entendue, au sein des forces armées, comme le fait d’exercer le pouvoir sur quelque chose, plutôt que dans le sens de la promotion de l’«autonomisation» (empowerment) de l’autre. D’autre part, l’accès à l’alcool, comme partout, est un élément qui augmente sensiblement les risques de harcèlement voire de violences sexuelles, et ce encore plus chez les jeunes gens effectuant leur service militaire. Les fêtes et les sorties sont des moments de risques particulièrement accrus. Enfin, les jeunes conscrits effectuant leur service militaire disposent, via leurs smartphones, internet et les réseaux sociaux, d’outils qui permettent d’exposer une ou plusieurs victimes à l’humiliation et au harcèlement à très grande échelle (tout comme dans la vie civile, hélas). Leur hiérarchie, souvent moins au fait de ces outils, doit néanmoins réagir vite lorsque des cas de harcèlement en ligne se produisent au sein de leurs troupes.

4.2. Tirer les enseignements du passé

64. Exposer ces faits constitue une étape indispensable pour permettre d’y répondre, et ce processus devrait être suivi dans toutes les forces armées en Europe. En France, la réaction du ministère de la Défense aux révélations sur le harcèlement et les violences dans les forces armées a été rapide et claire, avec la mise en place dès avril 2014 d’un plan d’action contre les harcèlements, violences et discriminations. Ce plan d’action est fondé sur une politique de tolérance zéro et comporte quatre axes majeurs: la prévention, l’accompagnement, la transparence et la sanction.
65. Tous les acteurs sont en effet d’accord pour souligner un certain nombre d’éléments clés permettant de mieux lutter contre les harcèlements. Il va de soi que le harcèlement et les abus sexuels doivent être interdits par la loi, au sein des forces armées comme en dehors. Cela est déjà fait dans la plupart des pays, soit en vertu du Code pénal et/ou de la loi antidiscrimination, soit dans le cadre d’une législation spécifique s’appliquant au personnel militaire. Plusieurs de mes interlocuteurs, soulignant le climat misogyne qui peut prévaloir au sein des forces armées, ont également insisté sur l’importance de l’inclusion, dans leurs codes de conduite internes, de dispositions fermes à cet égard – dispositions qui doivent être connues et appliquées à tous les niveaux. En outre, une politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement et des abus sexuels doit être non seulement mise en place, mais aussi clairement communiquée et systématiquement appliquée. Lors de ma rencontre avec les représentants des conscrits en Norvège, ceux-ci ont insisté sur l’importance d’une politique claire en la matière, définie au niveau national, applicable à toutes les unités, et non tributaire de la décision de chaque supérieur hiérarchique.
66. Dans le cadre d’opérations extérieures impliquant plusieurs armées, les perceptions quant au harcèlement sexuel peuvent varier selon les pays et cultures des différentes composantes des forces déployées. Il est d’autant plus important pour la hiérarchie d’adopter une position constante et cohérente en la matière. L’OTAN élabore désormais un code de conduite adapté aux conditions spécifiques de chaque mission, explicitant la politique de tolérance zéro en matière de harcèlement sexuel. Mes interlocuteurs m’ont indiqué que des lignes directrices militaires seront bientôt publiées, précisant les normes à respecter et les modalités de signalement des plaintes, et spécifiant la responsabilité du commandant à cet égard.
67. En dehors de l’Europe, pour sensibiliser les plus hauts gradés à ces questions, les forces armées australiennes ont mis en place une politique innovante: chaque officier général est invité à rencontrer une victime de harcèlement et/ou d’abus sexuels au sein des forces armées, qui s’entretient avec lui de l’impact que ces actes ont eu sur sa vie. Cette politique a été établie au moment où il y a eu une prise de conscience qu’il ne s’agissait pas seulement d’actes individuels isolés mais qu’il existait un véritable problème de culture interne au sein des forces armées. Le chef de l’armée s’est personnellement engagé à ce sujet, prenant une série de mesures fortes pour provoquer un changement de culture. Il a fait diffuser aux membres des forces armées, ainsi que sur YouTube, une vidéo au message catégorique: «L’armée a besoin des femmes; si cela ne vous convient pas, si vous n’êtes pas capable de respecter vos collègues, allez voir ailleurs 
			(41) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=QaqpoeVgr8U'>https://www.youtube.com/watch?v=QaqpoeVgr8U</a>, publié le 12 juin 2013 par AustralianArmyHQ..» Il a expliqué par la suite avoir choisi constamment un langage sans équivoque et sans ambiguïté à ce sujet, afin de toucher ceux qui profitaient le plus de la culture existante et qui avaient le moins envie de la changer 
			(42) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=6iJo2qimkKw'>https://www.youtube.com/watch?v=6iJo2qimkKw</a>, discours prononcé à l’OTAN le 1er juin
2015..

4.3. L’importance des mécanismes de plainte

68. Lorsque des cas de harcèlement ou d’abus sexuels se produisent, le rôle de la hiérarchie est crucial. Elle doit être accessible, les femmes et autres victimes de harcèlement ou de violences sexuelles doivent avoir confiance en leur hiérarchie pour les écouter lorsqu’elles signalent un problème, pour les prendre au sérieux et pour prendre des mesures rapides et efficaces pour mettre fin au harcèlement. Il faut également qu’il y ait un suivi efficace de ces affaires, y compris au niveau central. En effet, lorsque des cas sont résolus au niveau «local», sans que les faits ne soient remontés plus loin, les auteurs des faits continuent leur chemin sans conséquences particulières.
69. La mise en place de mécanismes de plainte accessibles et objectifs (proches des victimes mais indépendantes de leurs hiérarchies) est essentiel: qu’une plainte conduise à des sanctions ou non, la victime doit tout d’abord être entendue et sa plainte prise au sérieux. Malheureusement, bien que les Etats aient souvent mis en place des procédures internes pour dénoncer et punir ces faits, l’on constate que les femmes ont fréquemment peu confiance dans ces mécanismes et préfèrent se taire, voire quitter l’armée. C’est pourquoi en France, un plan d’action sur le harcèlement et la violence sexuelle a été lancé en avril 2014, comprenant des mesures de formation à tous les stades et à tous les niveaux de la hiérarchie, un accueil pour les victimes, du matériel de sensibilisation. La nouvelle cellule, dénommée Thémis, permet à chaque personnel, civil ou militaire, homme ou femme, du ministère de la Défense, victime ou témoin de harcèlements, violences et discriminations sexuels au sein des armées de le signaler. Huit mois après sa création, Thémis avait déjà pris en charge une soixantaine de victimes, dont de très nombreux cas antérieurs à sa création. D’après les informations publiées par le ministère, la cellule conseille les victimes, les soutient, les accompagne dans la durée pour s’assurer du bon déroulement de leur carrière, ou les réoriente vers le bon interlocuteur lorsque leurs demandes n’entrent pas dans le périmètre de la cellule 
			(43) 
			<a href='http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-cellule-themis-dresse-un-premier-bilan'>www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-cellule-themis-dresse-un-premier-bilan</a>..
70. En Norvège, un point faible des mécanismes de plainte a été souligné par différents acteurs: il incombe à la victime de décider si les faits relèvent, selon elle, d’une infraction pénale (affaire à traiter par la police) ou non (affaire à traiter par la voie militaire) – choix particulièrement difficile lorsque l’auteur des faits est, comme cela est souvent le cas, le supérieur hiérarchique de la victime. En effet, saisir la police n’est pas chose évidente, mais passer par la voie militaire implique de témoigner devant quatre supérieurs militaires qui risquent de limiter toute sanction éventuelle à une simple amende, sans inscrire la condamnation au casier de l’auteur, pour éviter de geler sa carrière militaire pendant cinq ans. La tolérance zéro atteint ses limites dans ce contexte.

5. Structures

5.1. Rôle des parlements

71. Les parlements nationaux peuvent jouer un rôle important dans tous les domaines couverts par le présent rapport. L’Assemblée parlementaire de l’OTAN travaille depuis 2007 sur les femmes, la paix et la sécurité. Initialement traitée en marge des sessions plénières, aujourd’hui cette question figure régulièrement à l’ordre du jour de la commission sur la dimension civile de la sécurité. Ainsi, à l’initiative de cette commission, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a adopté en 2010 une résolution invitant les gouvernements et parlements des pays membres de cette organisation à intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre la Résolution 1325 
			(44) 
			Résolution 381 sur
Incorporer la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations
Unies sur les femmes, la paix et la sécurité dans le nouveau concept
stratégique de l’OTAN et dans les pratiques et les politiques de
l’Alliance, adoptée le 16 novembre 2010 par l’Assemblée plénière
à Varsovie, Pologne..
72. Depuis 2010, la commission sur la dimension civile de la sécurité élabore également une enquête biennale sur la contribution des parlements à la mise en œuvre de la Résolution 1325. Sans surprise, ce sont les parlements des pays ayant déjà adopté un plan d’action national sur les femmes, la paix et la sécurité qui sont aujourd’hui les plus actifs sur ces questions. Toutefois, ces bonnes pratiques peuvent être utilisées dans n’importe quel pays. Quatre grands domaines sont concernés: la recherche d’un équilibre de genre dans les postes de direction pertinents des organes parlementaires 
			(45) 
			Si seulement 16% des
membres de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN sont actuellement
des femmes, 61% de ces femmes occupent des postes à responsabilité
au sein de cette assemblée. ; les initiatives législatives visant à concrétiser les objectifs «femmes, paix et sécurité»; les débats, questions et rapports parlementaires à ce sujet; et l’implication de la société civile 
			(46) 
			Audrey Reeves, Le rôle
des parlements dans la promotion de l’agenda «Femmes, paix et sécurité»
dans les pays membres de l’OTAN : Enquête de l’Assemblée parlementaire
de l’OTAN (DCAF, 2015)..
73. Par ailleurs, mes interlocuteurs ont relevé que c’est grâce aux efforts d’une seule parlementaire, Mme Barbara Haering (membre de la délégation suisse de 2003 à 2007), que l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a commencé à s’intéresser à ces questions, devenues aujourd’hui incontournables. Autrement dit, il ne tient qu’à nous de promouvoir activement au sein de nos parlements la concrétisation des priorités relatives à la thématique «femmes, paix et sécurité», y compris celles liées à l’égalité de genre et la prévention des violences à l’égard des femmes au sein des forces armées.

5.2. L’intégration des perspectives de genre et les conseillers sur la dimension de genre 

74. Pour accomplir de réels progrès en matière d’intégration des femmes dans les forces armées, les questions relatives à la dimension de genre doivent faire l’objet d’une approche globale. C’est pourquoi il importe de mettre en place un plan d’action couvrant non seulement la législation, la formation, mais aussi le recrutement et les carrières, la conciliation vie privée-vie professionnelle et la prévention et la lutte contre le harcèlement et les abus sexuels 
			(47) 
			 UNSCR 1325
Reload, p. 7. Le terme «perspectives de genre» désigne ici la prise
en compte des différences entre hommes et femmes fondées sur le
genre, telles que celles-ci sont reflétées dans les rôles sociaux
attribués aux femmes et aux hommes, dans leurs interactions, ainsi
que dans la répartition du pouvoir et l’accès aux ressources.. La mise en place par l’OTAN de conseillers sur la dimension de genre (gender advisors) au sein de toutes ses structures, ainsi que le déploiement de conseillers sur la dimension de genre lors de chaque opération extérieure d’une force armée sont autant de mesures considérées aujourd’hui comme indispensables 
			(48) 
			 Voir par exemple Action
Plan for the implementation of the NATO/EAPC Policy on Women, Peace
and Security (prochaine date de révision prévue: juin 2016), actions
6.2, 6.3 et 14.3. . La prise en compte de la dimension de genre ne doit pas être considérée comme accessoire mais doit être faite de façon systématique et comme partie intégrante du travail quotidien, au sein des structures existantes, sans créer des structures parallèles.

5.3. Structures visant à protéger les droits du personnel militaire

75. Je souhaite également souligner l’importance des mécanismes permettant de faire remonter les préoccupations des femmes militaires. Citons à cet égard, en Norvège, le Commissaire parlementaire pour les forces armées (Stortingets Ombudsmann for Forsvaret), créé en 1952. Indépendant des forces armées, cet organe veille à la protection des droits de toutes les personnes employées en leur sein, à travers des inspections, le traitement de plaintes individuelles et la présentation d’un rapport annuel au parlement 
			(49) 
			Voir,
par exemple, Report from the Parliamentary Ombudsman’s Committee
for the Norwegian Armed Forces regarding its activities in the period
1 January 2014-31 December 2014, Oslo, mars 2015.. Bien que non-contraignantes, les recommandations de l’ombudsman sont, d’après son bureau, toujours respectées par les forces armées.
76. Les forces armées norvégiennes ont également mis en place un système de représentation des appelés (Tillitsmannsordningen i Forsvaret, TMO). Des représentants élus parmi les appelés sont présents au niveau local, où ils servent de porte-parole des appelés auprès de la hiérarchie pour aider à résoudre des problèmes locaux. Plusieurs TMO sont également élus au niveau national, pour y soumettre les questions d’intérêt plus général. L’intérêt de ce système réside à la fois dans sa proximité avec les conscrits et son accès direct aux interlocuteurs à tous les niveaux, ce qui permet d’identifier et de s’attaquer rapidement aux préoccupations et problèmes concrets des appelés.
77. En Irlande, une commission de suivi indépendante des forces armées (Independent Monitoring Group, IMG) a été établie en 2002 afin de veiller à la mise en œuvre d’une série de recommandations formulées dans le cadre d’une enquête menée sur le harcèlement moral et sexuel et les discriminations au sein des forces armées. L’IMG a déjà publié trois rapports (en 2004, 2008 et 2014) qui font état des suites données aux précédentes recommandations et identifient de bonnes pratiques mais aussi, le cas échéant, de nouvelles sources de préoccupations. Ces travaux sont suivis de près par le public et le parlement. Ils accroissent la transparence des forces armées et en même temps permettent à celles-ci d’évaluer l’efficacité des actions menées et d’identifier de nouveaux défis à relever 
			(50) 
			Megan
Bastick, La place du genre dans les mécanismes de plaintes, DCAF,
octobre 2015, exemple 11, p. 82 (citant <a href='http://www.defence.ie/website.nsf/IMG3_2014'>www.defence.ie/website.nsf/IMG3_2014</a>)..

5.4. Réseaux et associations de femmes militaires

78. Soulignons enfin l’intérêt des réseaux de femmes militaires. En Norvège, un tel réseau a été établi en 1989 afin de créer un lieu d’échange pour les femmes militaires, souvent peu nombreuses au sein des unités où elles travaillaient. Il vise à faciliter la diffusion et le partage d’informations et à motiver les femmes à poursuivre leurs carrières au sein des forces armées. Ce réseau reçoit un financement de la part des forces armées, qui ont également accepté de prévoir un congé spécial pour les femmes souhaitant participer à ses rencontres. En Bulgarie, au cours de ses quelques dix années d’existence, l’Association des femmes militaires bulgares (BUAFWA) a déjà permis de lever toutes les restrictions d’accès des femmes aux différentes professions des forces armées, ouvrant ainsi la voie à leur accès aux grades de commandement les plus élevés. Son statut d’organisation non gouvernementale (ONG) prévue par le Code de la défense lui permet d’agir auprès du ministère de la Défense afin que celui-ci s’attelle à faire progresser l’égalité de genre. Elle exerce ainsi une influence importante en tant que vecteur de changement des forces armées 
			(51) 
			Présentation
du lieutenant-colonel Nevena Miteva, présidente de l’association,
lors de l’audition organisée par le Réseau parlementaire pour le
droit des femmes de vivre sans violence, Strasbourg, 20 avril 2016.. Alors que la mise en place de tels réseaux est peu coûteuse, ils peuvent contribuer très concrètement à créer un environnement plus favorable pour les femmes au sein des forces armées.

6. Conclusions

79. Dans un monde changeant aux défis multiples, les forces armées ont tout à gagner à accueillir des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes. Cela renforce les capacités opérationnelles et l’efficacité des forces armées, et correspond aux attentes de sociétés qui souhaitent que les forces armées reflètent aussi la composition de la population. Pour les armées toutefois, intégrer les femmes ne va pas toujours de soi. Adapter le recrutement, les structures, les trajectoires de carrière sont autant de défis qui doivent être relevés en prenant en compte une approche globale de la dimension de genre.
80. De nombreuses femmes qui s’engagent dans les forces armées les quittent en raison de harcèlement ou d’autres violences sexuelles. Ces fléaux gâchent la vie de leurs victimes. Ce sont des violations des droits humains auxquels les Etats ont l’obligation de s’attaquer. Pour les armées, perdre des femmes – formées, compétentes, performantes – parce que leurs collègues refusent d’accepter leur présence, est également un gâchis.
81. Le harcèlement et les violences faites aux femmes au sein des forces armées ne sont pas une fatalité. De bonnes pratiques existent pour promouvoir une approche favorable à la diversité au sein des forces armées et pour permettre aux femmes d’y jouer pleinement leur rôle.
82. J’encourage les Etats membres à tirer profit des nombreuses études qui ont été menées à cet égard et qui sont abondamment citées dans le présent rapport, afin que leurs armées soient à la fois efficaces et respectueuses de l’égalité de genre.