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Rapport | Doc. 14135 | 19 septembre 2016

Les mutilations génitales féminines en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Béatrice FRESKO-ROLFO, Monaco, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13736, Renvoi 4126 du 24 avril 2015. 2016 - Quatrième partie de session

Résumé

Les mutilations génitales féminines constituent une violation grave des droits de la femme et de l’enfant. Au niveau mondial, 200 millions de femmes et de filles ont subi des mutilations génitales, y compris des femmes et filles ressortissantes ou résidentes de pays européens.

Les mutilations génitales féminines ne sont requises par aucun texte religieux, mais elles sont ancrées dans la culture et les croyances des communautés qui les pratiquent. La prévention doit être au cœur du dispositif et impliquer tous les acteurs concernés: les femmes et les hommes des communautés qui pratiquent les mutilations génitales, les organisations de terrain, les services sociaux et éducatifs, la police, la justice, les professionnels de santé et les services d’asile.

Les Etats membres doivent renforcer leur arsenal juridique, développer des campagnes de sensibilisation, d’information et d’éducation ainsi que des programmes de formation pour les professionnels en contact avec des femmes et des filles ayant subi ou à risque de subir des mutilations génitales. Les parlements doivent être encouragés à agir contre cette pratique néfaste et les Etats membres invités à contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable des Nations Unies.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre
2016.

(open)
1. En 2016, 200 millions de femmes et de filles avaient, dans le monde, subi des mutilations génitales. Ces pratiques ont lieu principalement dans certains pays d’Afrique ou d’Asie, mais également en Europe. Chaque jour, des femmes et des filles qui sont des ressortissantes des Etats membres du Conseil de l’Europe ou qui y résident sont menacées de subir des mutilations génitales.
2. L’Assemblée parlementaire a condamné ces pratiques dès 2001 dans sa Résolution 1247 (2001) sur les mutilations sexuelles féminines et à nouveau en 2013 dans sa Résolution 1952 (2013) sur le droit des enfants à l’intégrité physique. Pourtant, malgré la prise de conscience croissante au niveau international de la gravité des mutilations génitales féminines, celles-ci perdurent et demeurent ancrées dans les cultures et traditions des communautés qui les pratiquent. L’Assemblée rappelle à cet égard que les mutilations génitales féminines ne sont requises par aucun texte religieux.
3. L’Assemblée souligne que les mutilations génitales féminines sont une violence faite aux femmes et aux enfants et constituent une violation flagrante des droits humains. Elles portent gravement atteinte au droit à l’intégrité physique et mentale, à l’interdiction des actes cruels, inhumains ou dégradants et au droit à la santé. Les mutilations étant pratiquées le plus souvent au cours de l’enfance, elles constituent également une violation des droits de l’enfant.
4. L’Assemblée est convaincue que la prévention doit être au cœur de tout dispositif visant à éliminer les mutilations génitales féminines et inclure tous les acteurs concernés qu’il s’agisse des communautés qui les pratiquent, des organisations de terrain, des services sociaux et éducatifs, de la police, de la justice ou encore des professionnels de la santé. Les campagnes de sensibilisation, d’information et d’éducation doivent inclure aussi bien les femmes que les hommes des communautés concernées et veiller à dissocier ces pratiques de la religion, des stéréotypes de genre et des croyances culturelles qui perpétuent la discrimination à l’égard des femmes.
5. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
5.1. à reconnaître les mutilations génitales féminines en tant que violence faite aux femmes et aux enfants et à les intégrer de manière systématique dans les procédures et politiques nationales de lutte contre les violences;
5.2. à mener des campagnes publiques de sensibilisation et d’information contre les mutilations génitales féminines, fournir des informations dans les langues les plus parlées par les communautés pratiquant les mutilations génitales féminines, et soutenir, y compris financièrement, les initiatives des organisations non-gouvernementales dans ce domaine;
5.3. à ériger en infractions pénales le fait de soumettre ou de contraindre une femme ou une fille à subir une mutilation génitale et le fait d’inciter une fille à subir un tel acte, y compris lorsqu’elle est pratiquée par des professionnels de santé, ou de lui fournir les moyens à cette fin;
5.4. à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des filles subissent une mutilation génitale à l’occasion de voyages dans les pays d’origine de leurs parents et renforcer à cette fin la coopération judiciaire et policière internationale;
5.5. à prévoir la compétence extraterritoriale des juridictions nationales afin que des poursuites pénales puissent être engagées lorsque les mutilations ont été commises à l’étranger sur, ou par, des ressortissants ou des résidents d’Etats membres du Conseil de l’Europe;
5.6. à signer et/ou ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), donner pleine application à ses dispositions et coopérer pleinement avec le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) et le Comité des Parties dans le cadre du suivi de la mise en œuvre de cette convention;
5.7. à fournir aux femmes et aux filles ayant subi ou risquant de subir des mutilations génitales l’accès à des services d’urgence, tels que des permanences téléphoniques gratuites et des refuges, ainsi qu’à des services de soins et de conseils;
5.8. à assurer et coordonner la collecte, au niveau national et selon une méthodologie commune, de données sur les cas de mutilations génitales féminines, à veiller à leur partage entre les autorités impliquées dans la lutte contre ces pratiques, dans le respect des normes internationales de protection et de confidentialité des données, et à développer sur cette base des politiques adaptées et ciblées visant à mettre fin aux mutilations génitales féminines;
5.9. à former les professionnels de la santé, les enseignants, la police, les travailleurs sociaux et ceux travaillant dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile à la détection des mutilations génitales féminines et établir des mécanismes permettant le signalement des filles à risque ou ayant subi des mutilations génitales;
5.10. à assurer la formation des professionnels de la santé pour qu’ils soient en mesure de diagnostiquer les mutilations génitales féminines et d’apporter les soins appropriés aux femmes et aux filles qui souffrent de conséquences physiques et psychologiques de ces mutilations;
5.11. à reconnaître les mutilations génitales féminines en tant que persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, à mettre en place des procédures d’asile sensibles au genre et à intégrer la question des mutilations génitales féminines dans des entretiens individualisés avec les femmes provenant de pays où elles sont pratiquées;
5.12. à inclure la lutte contre les mutilations génitales féminines dans les activités de coopération internationale et d’aide au développement.
6. L’Assemblée encourage les parlements nationaux à soutenir les actions de prévention des mutilations génitales féminines au niveau national et à travers leurs activités de coopération internationale.
7. L’Assemblée salue et soutient les Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies qui incluent l’élimination des mutilations génitales féminines d’ici 2030 et encourage tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à contribuer activement à la mise en œuvre des Objectifs.
8. L’Assemblée reconnaît enfin que les mutilations génitales féminines sont liées à d’autres pratiques traditionnelles néfastes, et en particulier les mariages précoces et forcés qu’il conviendrait d’examiner de manière distincte.

B. Exposé des motifs, par Mme Béatrice Fresko-Rolfo, rapporteure

(open)

1. Introduction

«Dans le monde, une fille est soumise aux mutilations génitales toutes les cinq minutes» (OMS)

1. Chaque jour, des femmes et des filles qui sont nos ressortissantes ou qui résident sur nos territoires sont menacées de subir des mutilations génitales. Elles seraient 180 000 filles au sein de l’Union européenne 
			(2) 
			Parlement européen,
Résolution du 14 juin 2012 sur l'élimination de la mutilation génitale
féminine.. Ces pratiques, loin de se produire uniquement dans certains pays d’Afrique, se retrouvent aussi en Asie et en Europe. Des mutilations génitales féminines sont pratiquées le plus souvent de manière traditionnelle, mais nous pouvons également craindre une médicalisation de la pratique.
2. Selon une estimation du Parlement européen, 500 000 femmes et filles vivraient avec des mutilations génitales au sein de l’Union européenne 
			(3) 
			Il
n’existe malheureusement pas de données permettant d’évaluer l’ampleur
de ce phénomène dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de
l’Europe.. Des chiffres rendus publics en 2015 indiquent qu’au Royaume-Uni seulement, 137 000 femmes et filles, qui résident de manière permanente en Angleterre et au Pays de Galles, ont subi des mutilations génitales 
			(4) 
			Alison Macfarlane et
Efua Dorkenoo, Prevalence of Female Genital Mutilation in England
and Wales: National and local estimates, City University Londres,
juillet 2015.. Dans certains quartiers de Londres, cela concernerait près d’une femme sur 20.
3. Au niveau mondial, alors que l’estimation longtemps avancée était de 130 millions de femmes et de filles ayant subi des mutilations génitales, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) a révélé en février 2016 que ce chiffre serait en réalité d’au moins 200 millions de femmes et de filles dans les 30 pays pour lesquels des données sont disponibles 
			(5) 
			UNICEF,
Female Genital Mutilation/Cutting: A Global Concern, 5 février 2016.. La Somalie, la Guinée, Djibouti, la Sierra Léone, le Mali, l’Egypte, le Soudan font partie des pays les plus touchés 
			(6) 
			UNICEF, Ibid. Dans ces pays, plus de 85 %
des femmes et des filles âgées de 15 à 49 ans ont subi des mutilations génitales.. Cette forte hausse s’explique par la croissance de la population mondiale mais également par le fait que des pays tels que l’Indonésie ont commencé à collecter des données au niveau national. La mobilisation internationale est ainsi plus que jamais nécessaire et je me félicite que la fin des mutilations génitales pour 2030 ait été intégrée aux Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies en septembre 2015.
4. Les chiffres sont alarmants et ils démontrent, si besoin en était, que nous sommes directement concernés. Il nous faut reconnaître la nature globale de cette pratique et agir pour prévenir, protéger, punir, réparer et prendre en charge les conséquences à long terme sur la vie de ces femmes. Ce faisant, il faut nous rappeler que derrière les chiffres il y a des femmes, des jeunes filles et des enfants et que ce sont elles qui subissent ces pratiques et leurs conséquences et qui doivent être au cœur de notre attention. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai rencontré des femmes qui ont subi des mutilations génitales. Je voudrais les remercier d’avoir accepté de partager leurs histoires personnelles avec moi et leur dire mon admiration pour leur courage. Elles m’ont aidée à comprendre ce que les chiffres ou les meilleurs experts ne pourront jamais nous dire, la souffrance et l’incompréhension face à cette violence qui leur a été infligée.

2. Des pratiques traditionnelles néfastes

5. Les Nations Unies qualifient les mutilations génitales féminines (ci-après «MGF») de «pratiques traditionnelles néfastes, enracinées dans la discrimination, fondée notamment sur le genre, qui s’accompagnent souvent de violences, causent un préjudice physique ou psychosocial ou des souffrances et qui sont prescrites ou maintenues en place par les normes sociales qui perpétuent la domination de l’homme et l’inégalité des femmes 
			(7) 
			Recommandation générale/observation
générale conjointe no 31 du Comité pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et no 18
du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables,
4 novembre 2014.». Ce qualificatif de «pratiques traditionnelles néfastes» est également utilisé dans le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme relatif aux droits des femmes en Afrique (protocole de Maputo) qui exige que les Etats interdisent toutes formes de MGF à travers des mesures législatives assorties de sanctions 
			(8) 
			Le
protocole de Maputo, adopté en 2003 par les Etats membres de l’Union
africaine, est entré en vigueur le 25 novembre 2005. Il a été ratifié
par 36 Etats et signé par 15 autres. Trois Etats ne l’ont ni signé
ni ratifié: le Botswana, l’Egypte et la Tunisie. Etat de signatures
et ratifications au 1er septembre 2016..

2.1. Une violation des droits des femmes et des enfants

6. Les MGF constituent une violation flagrante des droits humains tels que reconnus par de nombreux textes internationaux. Elles portent gravement atteinte au droit à l’intégrité physique et mentale, au droit à la vie, à l’interdiction des actes cruels, inhumains ou dégradants 
			(9) 
			En 2007, la Cour européenne
des droits de l’homme a admis que le fait de soumettre une femme
à une MGF équivaut à un traitement contraire à l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)
qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants
(Collins et Akaziebie c. Suède (déc.),
Requête no 23944/05, arrêt du 8 mars
2007)., à l’interdiction de la discrimination – en particulier basée sur le genre – et au droit à la santé.
7. Les droits de l’enfant sont également violés par la pratique des MGF puisqu’elles sont dans la majorité des cas pratiquées sur des filles de moins de 15 ans. L’UNICEF a constaté que dans la moitié des pays où les MGF se pratiquent, les filles les subissent avant l’âge de cinq ans. Les témoignages sont particulièrement choquants 
			(10) 
			Voir par exemple: Khady,
«Mutilée», Oh! Editions, Paris, 2005.. Ils mettent chaque fois en lumière la contrainte physique subie par l’enfant pour qu’elle soit soumise à cette mutilation, la souffrance physique extrêmement violente mais aussi la souffrance morale de l’enfant dont la confiance a été trahie par ses proches et les séquelles psychologiques qui en découlent.
8. Les MGF peuvent également être pratiquées sur des femmes adultes. Tel sera par exemple le cas de femmes qui n’avaient pas été excisées pendant l’enfance et qui le seront avant leur mariage. De même, des ré-infibulations sont pratiquées dans certains cas sur des femmes après un accouchement ou des rapports sexuels.
9. Les MGF doivent être reconnues comme une forme grave de violence faite aux femmes et aux enfants, traitées en tant que telles dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et pleinement intégrées dans les politiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

2.2. Terminologie

10. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai eu plusieurs échanges sur la terminologie utilisée pour désigner à la fois les femmes et la pratique. Le terme «cutting» est parfois employé au Royaume-Uni, soit pour se conformer à la terminologie utilisée par des institutions internationales telles que l’UNICEF, soit dans un souci de ménager la sensibilité des femmes concernées. Or, de l’avis général de mes interlocuteurs, ce terme devrait être évité parce qu’il tend à minimiser la gravité de la pratique. Par ailleurs, dans les pays francophones, certains préfèrent l’emploi de l’expression «mutilations sexuelles» qui permet de souligner la volonté de contrôle de la sexualité de la femme à travers la pratique des MGF. Pour ma part, je pense que l’expression «mutilations génitales féminines» doit être préférée parce qu’elle est celle retenue par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), ainsi que par la grande majorité des organisations non-gouvernementales actives dans le domaine.
11. S’agissant des femmes, l’expression «survivante» est très fréquemment utilisée à la place de «victime». Au Royaume-Uni, tous mes interlocuteurs m’ont indiqué que leur position est d’employer l’expression souhaitée par les femmes concernées elles-mêmes et qui est souvent celle de «survivante». Je pense qu’il s’agit de la bonne approche et je m’emploierai dans mon rapport à utiliser cette expression autant que possible. Enfin, il a également été souligné pendant la visite d’information au Royaume-Uni, en mars 2016, que l’emploi de termes tels que «barbare» ou «horrible» devrait être évité afin de ne pas offenser et stigmatiser les personnes issues des communautés qui pratiquent les MGF.

2.3. Définition et conséquences des mutilations génitales féminines

«Une condamnation à perpétuité» 
			(11) 
			Témoignage de Hibo
Wandere recueilli par Lydia Smith: «FGM: I was 6 years old and I
screamed because I wanted to die», IBTimes,
5 février 2015.

12. En termes médicaux, les MGF correspondent à toutes les interventions incluant l'ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales.
13. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi une classification de quatre types de MGF à laquelle il est très fréquemment fait référence 
			(12) 
			Le type 1 correspond
à la clitoridectomie, soit l’ablation partielle ou totale du clitoris
et plus rarement, seulement du prépuce, un repli de peau entourant
le clitoris. La forme la plus commune de mutilation génitale féminine
est l’excision (type 2): l’ablation partielle ou totale du clitoris
et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres. L’infibulation
(type 3) correspond au rétrécissement de l’orifice vaginal par la
création d’une fermeture réalisée en coupant et en repositionnant
les lèvres intérieures, et parfois extérieures, avec ou sans ablation
du clitoris. Enfin, le type 4 correspond à toutes les autres interventions
néfastes pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins
non thérapeutiques (ponction, percement, incision, scarification
et cautérisation).. Toutefois, des voix s’élèvent pour contester son utilisation en particulier parce qu’elle établirait une échelle de gravité, ne prend pas en compte les conséquences à long terme sur la vie des femmes voire risque d’empêcher les poursuites pénales pour ce qui est des MGF de type 4 dont la définition donnée par l’OMS ne correspond pas au sens juridique communément admis de «mutilation» 
			(13) 
			Commission
européenne, Female genital mutilation in Europe: an analysis of
court cases, 2015, p. 21.. Le Dr Pierre Foldès, chirurgien urologue français, défend ainsi l’idée selon laquelle «il n’y a pas de petite excision» 
			(14) 
			Intervention du Dr
Pierre Foldès devant le Réseau parlementaire pour le droit des femmes
de vivre sans violence, Strasbourg, 24 juin 2015.. Pour lui, toute excision est un geste de mutilation qui touche le sexe de la femme et qui est accompagné ou non, selon les traditions, de gestes complémentaires.
14. Ainsi que le rappelle l’OMS, les MGF ne présentent aucun avantage pour la santé 
			(15) 
			OMS,
«Les mutilations génitales féminines, Comprendre et lutter contre
la violence à l’égard des femmes», 2012.. Au contraire, elles comportent de graves conséquences médicales pour les femmes qui en sont victimes, non seulement lors de la mutilation mais aussi tout au long de leur vie. Ces risques couvrent les douleurs, les saignements et hémorragies pouvant entraîner la mort, les infections urinaires et gynécologiques, les complications obstétricales, dont la perte du bébé et le risque de fistules vésico-vaginales, ainsi que les conséquences psychologiques liées au traumatisme de la mutilation.
15. Lors d’une audition organisée par le Réseau parlementaire sur le droit des femmes de vivre sans violence le 24 juin 2015, le Dr Foldès a précisé que la pratique des MGF entraînait 15 % de mortalité immédiate. Or, il apparaît que la conscience des risques est relativement minime tant dans les pays les plus touchés qu’au sein des communautés émigrées.
16. Les MGF ont également pour effet, dans la majorité des cas, de rendre les rapports sexuels douloureux pour les femmes survivantes. Les conséquences sexuelles des mutilations comprennent également l’absence de plaisir lors des rapports, la suppression de zones érogènes entraînant la baisse voire l’absence de sensations sexuelles. Cet aspect des MGF symbolise une forme de contrôle des hommes sur la sexualité des femmes: en amoindrissant le désir sexuel des femmes, les hommes renforcent leur domination et s’assurent que leurs femmes leur seront fidèles mais aussi que leurs filles demeureront vierges jusqu’à leur mariage. Il convient à cet égard de souligner que tout parallèle entre la circoncision masculine et la mutilation génitale féminine doit être rejeté, ne serait-ce que parce que le clitoris, dont la seule fonction est le plaisir sexuel, n’a pas d’équivalent chez l’homme.

2.4. Les origines multiples des mutilations génitales féminines

17. Afin de formuler des recommandations précises et adaptées concernant les moyens de protéger et de venir en aide aux femmes, selon les besoins qu’elles expriment, il est à mon sens de la première importance de se pencher sur la question des origines des MGF. Je suis convaincue qu’il s’agit d’un préalable nécessaire à l’adoption tant de mesures pertinentes pour lutter contre elles que de politiques d’information efficaces à destination des communautés les pratiquant.
18. Les origines des MGF sont nombreuses et les témoignages des femmes survivantes sont d’importantes sources pour leur compréhension. Lors d’une audition co-organisée en 2013 par le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence, Mme Djenabou Teliwel Diallo avait expliqué que «les hommes musulmans guinéens ne se marient pas à une fille non excisée parce qu’ils sont convaincus que le clitoris entraîne l’impuissance de l’homme, et qu’un enfant peut mourir s’il touche le clitoris de sa mère à la naissance» 
			(16) 
			«L’excision des cent
filles», témoignage de Djenabou Teliwel Diallo dans «Les femmes
réfugiées et la Convention d’Istanbul», Compte rendu de l’audition
du 23 janvier 2013 sur «Prévenir et combattre les violences sexuelles
liées au genre» organisée par le Réseau parlementaire pour le droit
des femmes de vivre sans violence, la Commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe et le Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés, p. 17-18.. Elle avait également souligné que sa mère «a été endoctrinée par la tradition comme toutes les autres mamans» et qu’elles «le font malgré elles, elles s’y sentent obligées parce qu’elles pensent que c’est pour le bien de leur enfant».
19. L’acceptation sociale engendrée par la continuité de la pratique est perçue comme l’un des bénéfices principaux des MGF, tant selon les femmes et les filles que selon les hommes et les garçons. Les normes sociales jouent un rôle clé en la matière: elles sont la marque d’une culture et d’une tradition dont le non-respect entraîne nécessairement le rejet social et la marginalisation. Le poids de la tradition et de l’ordre social sont alors déterminants dans la continuité des pratiques. Les sondages réalisés montrent que les femmes qui pratiquent les MGF ne savent souvent pas pourquoi elles le font, si ce n’est que la pratique a toujours été et doit continuer d’être. Cela a été également été mis en avant par Mme Naana Otoo-Oyortey, Directrice de FORWARD (Royaume-Uni) et Présidente du Conseil d’administration du Réseau européen End FGM, lors de l’audition du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence de juin 2015.
20. Le motif religieux est souvent invoqué pour justifier la pratique des MGF, en particulier par des communautés de confession musulmane. Or, il est essentiel de rappeler que les MGF sont bien plus anciennes que l’Islam et bien qu’elles soient aussi pratiquées par des musulmans, elles ne constituent pas un précepte de l’Islam. De fait, des pays où l’Islam est la religion majoritaire, tels que la Turquie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l’Azerbaïdjan, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ne connaissent pas ces pratiques. De plus, au sein d’un même pays, ces pratiques peuvent être observées dans certaines régions et pas dans d’autres. En Irak, par exemple, les MGF ne sont ainsi pratiquées que dans la région du Kurdistan. De nombreux leaders religieux ont fait entendre leur voix sur la question des MGF afin de les condamner et de recommander l’abandon de ces pratiques. De plus, si la majorité des groupes pratiquant les MGF sont de confession musulmane, de nombreux autres groupes religieux, notamment chrétiens 
			(17) 
			UNICEF, Female Genital
Mutilation/Cutting: A statistical overview and exploration of the
dynamics of change, juillet 2013, p. 73. En Ethiopie, les FGM sont
pratiquées par 70 % des Chrétiens, lesquels représentent 60 % de
la population. ainsi que les animistes et les juifs falashas, continuent d’y soumettre leurs femmes et leurs filles.
21. La pratique des MGF repose également sur la croyance selon laquelle les hommes n’épouseront que les femmes qui ont été excisées ou infibulées. Ainsi, «la volonté d’un mariage conforme aux convenances, qui est fréquemment indispensable pour la sécurité économique et sociale ainsi que pour satisfaire les idéaux locaux en matière de maternité et de féminité, peut expliquer la persistance de cette pratique» 
			(18) 
			«Eliminer
les mutilations sexuelles féminines», Déclaration interinstitutions,
HCDH, OMS, ONUSIDA, PNUD, UNCEA, UNESCO, UNFPA, UNHCR, UNICEF, UNIFEM,
p. 6.. L’honneur familial est dès lors mis en jeu et protégé par la pratique des MGF sur les filles, avant qu’elles n’atteignent l’âge de se marier. C’est également ce qui peut entraîner une ré-excision: si la première excision n’est pas jugée suffisamment bien faite, elle peut alors être de nouveau pratiquée sur la jeune femme. Les mutilations sont vues, dans ce contexte, comme un gage de chasteté et de pureté, et par-dessus tout, de moralité pour l’ensemble de la famille. Sous cet angle, les MGF représentent clairement une forme de contrôle sur la femme et notamment sur sa sexualité. Parmi les garçons et les hommes, la préservation de la virginité fait partie des motifs principaux pour la pratique des MGF 
			(19) 
			UNICEF, précité, 2013,
p. 68. . De manière équivalente, elles peuvent également être vues comme la réalisation d’un rite de passage et d’une entrée dans l’âge adulte.
22. La diversité des pratiques et des raisons invoquées pour expliquer voire justifier les MGF montre à quel point celles-ci relèvent de la pratique culturelle, et non de préceptes religieux. Il est en effet fondamental de rappeler que les MGF ne sont prescrites par aucun texte religieux. Je suis convaincue que le seul point commun qui lie et caractérise toutes ces pratiques reste celui d’une volonté de contrôler la femme et sa sexualité.

3. Réponses juridiques, sociales et médicales aux mutilations génitales féminines

3.1. La criminalisation des pratiques

23. La Convention d’Istanbul requiert des Etats Parties qu’ils érigent en infraction pénale le fait de soumettre ou contraindre une femme ou une fille à une MGF mais également d’inciter une enfant à s’y soumettre (article 38) 
			(20) 
			Pour une présentation
détaillée de la Convention d’Istanbul sur les MGF, voir Conseil
de l’Europe, Amnesty International, «La Convention du Conseil de
l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique – Un outil pour mettre fin
aux mutilations génitales féminines», janvier 2015.. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont introduit dans leur code pénal une infraction spécifique relative aux MGF, parfois sans attendre d’avoir ratifié la Convention d’Istanbul 
			(21) 
			Il s’agit notamment
de: l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, Chypre, le
Danemark, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, Malte, Monaco, la Norvège,
les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse.. Dans d'autres Etats, les MGF sont couvertes par d’autres dispositions pénales générales. Elles entrent, par exemple, dans la qualification des dommages corporels (Grèce, République slovaque), des mutilations (Estonie), des blessures volontaires (Turquie) ou encore des violences ayant entraîné la mort, une infirmité permanente ou une mutilation (France) 
			(22) 
			Pour
plus d’informations, voir les réponses reçues des Etats membres
du Conseil de l’Europe au questionnaire sur les mutilations génitales
féminines et le mariage forcé, CDDH-MF(2016)03, 14 avril 2016, p.
105-114.. Ces infractions sont généralement passibles de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans de réclusion, voire 20 ans pour les cas les plus graves (mutilation ayant entraîné la mort ou commise sur une mineure).
24. Quelle que soit la qualification juridique, l'important est que ces pratiques puissent être poursuivies pénalement. Certains pays considèrent ne pas être concernés par les MGF, mais je pense que cela doit être démontré. Je voudrais encourager l'ensemble des Etats membres à se doter des moyens juridiques permettant de poursuivre et de sanctionner les MGF. La première étape serait de créer une infraction spécifique qui inclut toutes les lésions commises sur les organes génitaux féminins pour des raisons non-médicales.
25. Une source d’inquiétude est que la criminalisation de cette pratique ne se traduit pas en poursuites et condamnations pénales. Au sein de l’Union européenne, jusqu’en février 2012, seuls 41 cas ont été portés devant les tribunaux, principalement en France (29 cas) 
			(23) 
			Institut
européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), Estimation
of girls at risk of female genital mutilation in the European Union,
2015, p. 19.. Depuis cette date, d’autres cas ont été enregistrés mais ils demeurent rares comparés au nombre estimé de femmes et de filles ayant subi ou risquant de subir des MGF. Ce faible taux de poursuites et de sanctions est problématique puisqu’il empêche que l’interdiction des MGF soit prise au sérieux par les membres des communautés concernées.
26. Au Royaume-Uni, les MGF ont été érigées en infraction pénale dès 1985 (Prohibition of Female Circumcision Act) et l’arsenal juridique a été renforcé en 2003 (Female Genital Mutilation Act). Pourtant, jusqu’en 2014, aucune poursuite relative aux MGF n’a été portée devant les tribunaux britanniques. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait. D’une part, très peu de victimes portent plainte, en raison notamment de la difficulté de dénoncer ses propres parents, d’identifier les auteurs quand les mutilations ont été commises à l’étranger et quand les victimes étaient très jeunes, ou encore de la pression sociale. D’autre part, le fait que les professionnels de santé, les services sociaux, le personnel éducatif ne dénoncent que rarement les MGF a été analysé comme contribuant également à l’absence de poursuites.
27. C’est fort de ce constat que le Royaume-Uni a, en 2015, encore renforcé son dispositif juridique (Serious Crime Act) à travers quatre mesures principales:
  • l’anonymat des victimes qui a pour objectif de faciliter la dénonciation des MGF par les victimes. Toutefois, certains de mes interlocuteurs au Royaume-Uni ont fait remarquer que dans les affaires relatives aux MGF les personnes impliquées sont généralement les parents et des membres de la famille, ce qui rend l’anonymat très difficile voire impossible à appliquer en pratique;
  • la responsabilité parentale qui implique que si une personne a sous sa responsabilité une fille qui a subi une MGF, elle peut en être tenue pénalement responsable à moins qu’elle ne démontre que l’enfant n’était pas sous sa surveillance au moment des faits. Cette mesure permet de contourner la difficulté tenant à l’identification de la personne qui a effectivement réalisé la MGF, laquelle a le plus souvent lieu à l’étranger;
  • le signalement obligatoire qui oblige les membres des professions réglementées des secteurs sociaux, médicaux et éducatifs à signaler à la police les filles de moins de 18 ans ayant subi des MGF lorsqu’il existe une preuve physique qu’une MGF a été commise ou lorsque que l’enfant en fait la révélation;
  • les ordres de protection qui peuvent être ordonnés par un tribunal aux affaires familiales lorsqu’il existe des craintes sérieuses qu’une fille soit envoyée dans le pays d’origine de la famille aux fins d’y subir une MGF. Les mesures ordonnées peuvent inclure l’interdiction de sortie du territoire ou la confiscation du passeport. Il revient aux tribunaux de décider en fonction des circonstances de chaque cas des mesures appropriées à ordonner et de leur durée dans le temps. Pour les neuf premiers mois de leur mise en application (juillet 2015-mars 2016), 60 requêtes ont été déposées et 46 ordres de protection ont été ordonnés. Cette mesure suscite des inquiétudes de la part des organisations non-gouvernementales que j’ai rencontrées à Londres dans la mesure où elle peut être perçue comme une atteinte à la liberté de circulation des personnes originaires de pays pratiquant les MGF. En effet, la définition des filles à risque est peu claire, une fille étant généralement considérée comme telle si sa mère a elle-même subi une MGF. Or, ce critère peut aboutir à ne plus considérer une femme comme une victime ou une survivante, mais comme une auteure potentielle d’infraction, et stigmatiser ainsi toute une communauté. De plus, il met l’accent sur la mère uniquement et ne prend pas en compte le fait que, dans certains cas, c’est le père qui est issu d’une communauté affectée par les MGF et non la mère. De même, un enfant étant considéré comme la responsabilité de la communauté au sens large, une fille peut subir une MGF malgré l’opposition de ses parents.
28. La législation britannique prévoit également la compétence extraterritoriale des juridictions nationales pour les actes commis à l’étranger, d’une part à l’égard de ses nationaux et résidents et, d’autre part, par ses nationaux et résidents. Cette disposition est essentielle dans la mesure où les MGF sont commises dans leur grande majorité à l’occasion de vacances dans le pays d’origine des parents. La compétence extraterritoriale des juridictions nationales est également inscrite dans la Convention d’Istanbul (article 44). Je regrette qu’il s’agisse d’une des rares dispositions pouvant faire l’objet d’une réserve par les Etats au moment de la ratification de la Convention. J’appelle les Etats à ne pas en faire usage et, le cas échéant, à retirer, dès que possible, leur réserve à cette disposition fondamentale pour la protection des filles contre les MGF.
29. La lutte contre les MGF passe également par un renforcement de la coopération internationale, tant judiciaire que policière. Or, les représentants de la police de Londres que j’ai rencontrés ont indiqué qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de coopération policière aux frontières pour empêcher que des familles contournent les ordres de protection en voyageant vers leur pays d’origine à partir d’un autre pays européen. Au Royaume-Uni, l’opération Limelight est déclenchée dans les principaux aéroports trois fois par an, au moment des vacances scolaires. Au cours de cette opération, deux vols par jour sont choisis et les familles avec des fillettes revenant de pays où les MGF sont pratiquées sont interrogées par deux officiers afin de déterminer si une MGF a eu lieu. L’objectif affiché est de montrer que la lutte contre les MGF est prise au sérieux par les autorités nationales. Je regrette toutefois que cette opération ne soit pas également mise en place au moment du départ vers ces pays afin de renforcer sa dimension préventive.
30. Enfin, je voudrais souligner que le renforcement du cadre répressif doit s’accompagner de structures d’aide aux victimes. Il est essentiel que les filles craignant de subir des MGF ou les ayant subies puissent avoir accès à des services juridiques, des services de soins, y compris psychologiques, des lignes téléphoniques d’urgence ou encore des refuges lorsqu’elles fuient leurs familles.

3.2. La formation des professionnels, la prise en charge médicale et le partage d’information

31. La formation des professionnels est fondamentale non seulement pour la détection des cas de MGF et le signalement des filles à risque, mais également pour le traitement des conséquences des MGF. Lors des rencontres que j’ai faites dans le cadre de la préparation de mon rapport, il m’a été fréquemment rapporté que les MGF ne sont parfois détectées qu’au moment de l’accouchement, par la sage-femme, alors même que la grossesse de la femme a été suivie par un gynécologue. Cela révèle un manque de formation du corps médical, voire un manque d’attention portée à ces femmes, d’autant plus problématique que les accouchements de femmes ayant subi des MGF peuvent entraîner de très graves complications qui n’auront pas pu être correctement anticipées.
32. Au Royaume-Uni, il a été estimé qu’environ 1,5 % des femmes qui accouchent en Angleterre et au Pays de Galles ont subi des MGF 
			(24) 
			Macfarlane, Dorkenoo, op. cit., p. 24.. La formation des professionnels est dès lors cruciale pour que ces femmes puissent recevoir des soins appropriés. La formation des sages-femmes est à cet égard déterminante puisqu’elles sont parfois le seul membre du personnel médical auquel une femme ayant subi une MGF aura accès.
33. Il existe au Royaume-Uni 16 cliniques spécialisées dans les soins relatifs aux MGF et j’ai pu en visiter une lors de ma visite d’information, la African Well Woman’s Clinic qui se situe au sein de l’hôpital Guy’s and St Thomas et qui a été créée en 1997 par le Docteur Momoh. Le service de maternité accueille chaque jour au moins une femme ayant subi des MGF. Ces femmes sont prises en charge, conseillées et informées sur le cadre juridique applicable aux MGF. Le Docteur Momoh m’a fait part de la nécessité de fournir aux femmes l’accès à ces soins sur tout le territoire. La politique du Royaume-Uni de «dispersion» des demandeurs d’asile mise en œuvre dans tout le pays rend en effet nécessaire que ces soins soient accessibles sur tout le territoire, y compris dans des lieux parfois reculés où vivent ces femmes. J’ai été à cet égard informée qu’une étude est en cours pour identifier les coûts standards de ces soins afin qu’ils soient à l’avenir accessibles dans chaque clinique relevant du National Health Service.
34. Au Royaume-Uni, les opérations de désinfibulation sont prises en charge par le National Health Service. En revanche, les opérations de réparation et de reconstruction ne le sont pas. La raison avancée est qu’il n’existerait pas de preuve médicale des bienfaits de ces opérations. Des recherches sont toutefois en cours. En conséquence de cela, les femmes qui souhaitent une opération de réparation ou de reconstruction se rendent à l’étranger, en France ou en Allemagne par exemple. Je pense que les femmes survivantes devraient avoir la possibilité de recourir à des opérations de réparation et de reconstruction. L’aspect psychologique étant très important, elles doivent pouvoir bénéficier d’un soutien psychologique avant et, le cas échéant, après l’opération. En France, un protocole de chirurgie réparatrice a été mis au point et ces opérations sont intégralement prises en charge par l’assurance maladie depuis 2003. J’ai rencontré à Paris et à Londres des femmes qui avaient été réparées et j’ai été frappée par l’effet de ces opérations sur elles pour se sentir entières et femmes. Je suis convaincue que les femmes survivantes devraient bénéficier de ce choix et qu’il appartient à chaque femme de décider pour elle-même, en fonction de son histoire personnelle, d’y avoir recours ou non.
35. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai également été touchée par les propos de l’activiste Nimco Ali qui a raconté qu’enfant elle avait confié à une enseignante avoir subi une mutilation génitale, à quoi l’enseignante lui avait répondu: «C’est ce qui arrive à des filles comme toi» 
			(25) 
			Nimco
Ali’s war to end FGM, Anne Summers Reports,
no 13, août-septembre 2015, p. 21.. Une telle réaction montre à quel point il est important que les MGF soient considérées comme une infraction pénale et une violence à l’égard des enfants basée sur le genre. La sensibilisation des professionnels en contact avec des enfants est à cet égard essentielle. Or, on le voit avec ce témoignage, le manque de formation des professionnels, la crainte de stigmatiser une communauté, les préjugés, la difficulté d’aborder un sujet largement tabou, empêchent les signalements et le travail de prévention.
36. Au Royaume-Uni, l’introduction de l’obligation de signalement par les professionnels en contact avec des enfants a mis en lumière la nécessité d’une meilleure information et formation des professionnels auxquels cette obligation incombe désormais. Il est en particulier très important de les rassurer sur les actions de la police après un signalement, et notamment la proportionnalité des réactions par rapport au facteur risque. Certains professionnels peuvent en effet être réticents à faire un signalement par crainte de mesures disproportionnées telles que l’arrestation des parents et le placement en institutions de leurs enfants. Il importe ainsi d’expliquer aux professionnels la procédure suivie dans de tels cas et d’opérer un changement de culture parmi le personnel médical, et notamment les médecins généralistes qui ont parfois été perçus comme se cachant derrière le secret professionnel.
37. La collecte de données et le partage d’information entre le personnel médical, les services sociaux, l’école, la police et, le cas échéant, les services d’asile sont cruciaux pour permettre la détection des filles risquant de subir des MGF mais également pour déterminer avec précision le nombre de femmes et filles touchées par ces pratiques. Comme l’a souligné récemment l’Assemblée parlementaire dans sa Résolution 2101 (2016), la collecte systématique et globale de données est une condition préalable à une action efficace et rationnelle contre les violences faites aux femmes 
			(26) 
			Résolution 2101 (2016) sur la collecte systématique de données relatives à
la violence à l’égard des femmes; voir également Doc. 13988, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination
(rapporteure: Mme Maria Edera Spadoni,
Italie, NI)..

4. Politique d’asile et mutilations génitales féminines

38. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ 16 000 femmes et filles ayant demandé l’asile en 2013 dans un pays membre de l’Union européenne auraient potentiellement déjà subi des MGF avant leur arrivée, soit 62 % du nombre total des femmes et filles demandeuses d’asile originaires de pays dans lesquels les MGF sont pratiquées 
			(27) 
			UNHCR, «Trop de souffrance.
Mutilations génitales féminines et asile dans l’Union européenne
– Mise à jour statistique», mars 2014.. Les demandes d’asile proviennent également de femmes et de filles qui risquent de subir des MGF, une seconde intervention (nouvelle excision, ré-infibulation à la suite d’un mariage ou d’un accouchement) ou qui ont reçu une chirurgie réparatrice et craignent de subir une nouvelle mutilation en cas de retour, de parents qui souhaitent protéger leurs filles, de femmes qui refusent de pratiquer les MGF dans leur pays d’origine ou qui militent contre elles 
			(28) 
			UNHCR,
«Trop de souffrance. Mutilations génitales féminines et asile dans
l’Union européenne – Une analyse statistique», mai 2013, p. 33..

4.1. La reconnaissance des mutilations génitales féminines en tant que persécution

39. Le HCR considère que les MGF sont une forme de violence basée sur le genre qui expose les femmes à de graves dommages, tant physiques que psychologiques, et équivaut à une persécution au sens de l’article 1er de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés 
			(29) 
			UNHCR, Note d’information
sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines,
mai 2009. Au niveau de l’Union européenne, en vertu de l’article
9 de la Directive dite «qualification» (Directive 2011/95/UE du Parlement
européen et du Conseil du 13 décembre 2011) un acte de persécution
peut notamment prendre la forme d’un acte dirigé contre une personne
en raison de son genre et être constitué par des violences physiques
ou mentales, y compris des violences sexuelles.. Dans sa Résolution 1765 (2010) sur les demandes d’asile liées au genre, l’Assemblée demandait également aux Etats membres de tenir compte des problèmes rencontrés par les victimes ou victimes potentielles de MGF dans le processus d’asile et notamment de «reconnaître les mutilations génitales féminines et le risque de mutilations génitales féminines comme des motifs possibles de demande d’asile».
40. Cette exigence se retrouve aux articles 60 et 61 de la Convention d’Istanbul qui demande aux Etats d’interpréter la Convention de Genève d’une manière sensible au genre, de reconnaître la violence fondée sur le genre comme motif de persécution ainsi que comme une forme de préjudice grave donnant lieu à la protection subsidiaire et de ne refouler personne vers un pays où sa vie serait en péril et où elle pourrait être victime de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Puisque la définition de réfugié donnée par la Convention de Genève ne tient pas compte du genre, la protection internationale mise en place par la Convention d’Istanbul est de première importance. Elle a permis de franchir une étape majeure dans la protection des femmes réfugiées victimes de violence en instaurant une interprétation sensible au genre de la définition de réfugié.
41. Un effet pervers de la reconnaissance des MGF comme motif de persécution doit cependant être ici signalé. Des femmes souhaitant émigrer sont en effet parfois encouragées à subir une excision au motif que cela pourrait leur faciliter l’obtention d’un titre de séjour. L’incitation à subir ou faire subir une mutilation génitale devrait être sévèrement réprimée.

4.2. La mise en place de procédures d’asile sensibles au genre

42. La nécessité de mettre en place des procédures spécifiques pour traiter les demandes d’asile afin d’en améliorer la qualité de traitement et de faire disparaître autant que possible les difficultés procédurales pour les femmes et les filles demandeuses d’asile est très nette. Il s’agit notamment de revoir les procédures d’accueil, qui doivent elles aussi être sensibles au genre, et les services de soutien aux femmes.
43. Par ailleurs, il existe un grand besoin de formation et de sensibilisation du personnel à la question des MGF afin, d’une part, de mieux écouter et accueillir les demandeuses d’asile qui viennent raconter leur histoire, et d’autre part, de mieux prendre en considération leurs demandes. Le Royaume-Uni a émis une instruction concernant la procédure d’asile qui donne des directives aux fonctionnaires pour prendre en charge les questions de violence basée sur le genre, et notamment celles liées aux MGF, y compris en ce qui concerne l’utilisation de procédures sensibles au genre 
			(30) 
			EIGE, Good practices
in combating female genital mutilation, 2013, p. 15..
44. J’ai participé le 23 octobre 2015 à Bruxelles à une conférence sur les MGF organisée par GAMS-Belgique et Intact au cours de laquelle Mme Geertrui Daem du Comité belge d’aide aux réfugiés a expliqué qu’en Belgique les demandeurs d’asile ont la possibilité de demander que l’officier de protection chargé de leur dossier et l’éventuel interprète soient du même sexe qu’eux. Elle a souligné l’importance de respecter ces demandes et, dans les cas de couples, de permettre un entretien individualisé avec la femme. En effet, lorsque le couple est reçu ensemble, la situation spécifique de la femme passe souvent au second plan. Or, il apparaît que les femmes ne parlent pas immédiatement des violences qu’elles ont subies, y compris les violences domestiques. Parfois, ce n’est qu’une fois la première demande d’asile rejetée qu’elles vont parler de ces violences. De plus, les MGF étant un motif reconnu de persécution, les officiers chargés d’instruire les demandes d’asile devraient effectuer de manière spontanée une recherche quand le taux de prévalence des MGF est très élevé dans le pays d’origine. Ils devraient être proactifs et poser des questions sur la pratique afin que la question de la prévention puisse être abordée avec la demandeuse d’asile, en particulier lorsque ses filles sont présentes. Les centres d’accueil devraient également être proactifs dans l’identification des groupes à risque afin de pouvoir mener une action de prévention.

5. Prévenir les mutilations génitales féminines: des défis complexes à relever

45. Les défis sont nombreux en matière de lutte contre les MGF. La prévention constitue certainement le défi le plus important à relever puisqu’il s’agit de faire changer les mentalités, non seulement des membres des communautés affectées mais également des professionnels en contact avec les femmes et les filles issues de ces communautés. Au cours de la préparation de mon rapport, trois autres défis me sont apparus comme particulièrement significatifs de la complexité de cette question.

5.1. Le maintien de la pratique au sein des populations issues de l’immigration

46. L’existence et la persistance des MGF en Europe sont liées à l’immigration. Bien que les études disponibles tendent à montrer que la pratique des MGF diminue au fil du temps au sein des populations issues de l’immigration 
			(31) 
			EIGE, op. cit., 2015., des membres des communautés pratiquant les MGF continuent à le faire une fois installés dans les Etats européens, que ce soit sur place ou lors de vacances dans leur pays d’origine.
47. Cette persistance des MGF tient à diverses raisons et notamment au besoin d’un sentiment d’appartenance à une communauté qui prend une ampleur bien plus importante dans un contexte migratoire. Ainsi, le maintien de la pratique s’inscrit dans un certain respect des traditions qui fait échec à un possible sentiment de trahison – envers l’ensemble de la communauté et en particulier envers les ancêtres.
48. Par ailleurs, la question de la perte d’identité est très présente ainsi que, une fois encore, celle de la pression sociale. En France, par exemple, il a ainsi été observé que les parents originaires de pays pratiquant les MGF «sont confrontés à deux systèmes de représentations en concurrence: en France l’excision est considérée comme une mutilation sexuelle et une atteinte grave aux droits humains, alors que dans leur pays d’origine, toute personne voulant être reconnue comme bon parent doit faire exciser ses filles (et circoncire ses garçons). Les migrants doivent concilier ces deux injonctions contradictoires. Cette situation paradoxale peut conduire à la mise en œuvre, par les parents, de stratégies qui conduisent à ne faire exciser qu’une ou une partie de ses filles». 
			(32) 
			INED,
Rapport final – Volet qualitatif du projet Excision et Handicap
(ExH). Comment orienter la prévention de l’excision chez les filles
et jeunes filles d’origine africaine vivant en France: Une étude
des déterminants sociaux et familiaux du phénomène, 2009, p. 15.
49. Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment empêcher que la pratique ne se poursuive. Pour cela, il faut également se demander comment susciter un changement des normes sociales qui prévalent dans les communautés issues de l’immigration. Il est nécessaire de faire passer l’idée selon laquelle un abandon de la pratique des MGF n’équivaut pas à l’abandon de leur identité. Pour cela, il faut être en mesure d’entraîner un changement de perception afin que les MGF ne soient plus considérées comme une pratique positive et bénéfique mais comme une pratique préjudiciable aux femmes et aux filles.
50. L’implication des communautés est ainsi décisive pour gagner la lutte contre les MGF. En effet, les meilleures lois ne peuvent pas changer les pratiques culturelles et traditionnelles sans l’engagement des communautés elles-mêmes. Pour cela, les échanges et la coopération entre les organisations issues des communautés et les autorités nationales doivent être sans cesse renforcés. Ces organisations ont en effet, par leur connaissance du terrain, un rôle d’intermédiaire essentiel, tant au sein des communautés issues de l’immigration que dans les communautés de leur pays d’origine. L’émancipation des femmes, mais également des hommes qui ont eux aussi un rôle à jouer pour convaincre les membres de leurs communautés d’abandonner ces pratiques, est un prérequis. Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un sujet qui demeure dans la sphère privée et qu’il peut être difficile à aborder pour les personnes concernées. Pointer du doigt cette pratique comme préjudiciable ne doit en aucun cas revenir à stigmatiser ses auteurs et l’ensemble de la communauté.

5.2. La médicalisation de la pratique

«Un médecin ou un soignant qui pratique une mutilation commet un crime envers la femme qui lui fait confiance, un crime envers l’esprit et l’éthique de la médecine et envers la société» 
			(33) 
			Pierre
Foldès et Frédérique Martz, «La médicalisation des mutilations génitales
féminines», Mini-dossier, Revue des Migrations
Forcées, Centre d’études sur les réfugiés, université
d’Oxford, mai 2015, p. 7.

51. Selon un constat de l’OMS, les politiques d’information auprès des communautés et notamment des exciseuses et qui ciblaient les conséquences médicales de ces pratiques n’ont pas été en mesure de mettre fin à la pratique des MGF 
			(34) 
			OMS, op. cit., 2012, p. 8.. Ces campagnes ont au contraire mené à une médicalisation accrue des MGF, sans pour autant réduire de manière drastique le nombre de MGF pratiquées. En effet, puisque les risques d’infection et de nombreux décès étaient liés aux conditions dans lesquelles les MGF étaient pratiquées, les familles ont eu recours de manière accrue à des professionnels de la santé afin de diminuer les risques sanitaires. D’après l’OMS, dans les pays pour lesquels des données existent, 18 % des MGF seraient ainsi pratiquées par du personnel de santé avec de très grandes variations entre les pays 
			(35) 
			Stratégie mondiale
visant à empêcher le personnel de santé de pratiquer des mutilations
sexuelles féminines, OMS, ONUSIDA, PNUD, UNFPA, UNHCR, UNICEF, UNIFEM,
FIGO, ICN, IOM, MWIA, WCPT, WMA, 2010.. C’est notamment le cas en Egypte, où une analyse récente des données collectées en 2014 auprès des mères a montré que les MGF des filles âgées de 0 à 19 ans avaient été réalisées par des personnels médicaux dans 82 % des cas 
			(36) 
			Ministry
of Health and Population, Egypt Demographic and Health Survey 2014,
mai 2015, p. 191. alors même que cela leur est interdit depuis 1997.
52. Les organisations internationales actives dans le domaine de la santé ont, à maintes reprises, condamné la médicalisation des MGF en tant que violation des droits fondamentaux et de l’éthique médicale, mais également parce qu’elle contribue à légitimer cette pratique auprès des communautés concernées et, par voie de conséquence, empêche qu’il y soit mis fin. De plus, comme l’a souligné le Dr Foldès, aux yeux d’experts non médicaux, et notamment du personnel en charge du traitement des demandes d’asile, la médicalisation de la pratique la fait passer pour un acte banal et minime qui pourrait dès lors ne pas constituer une persécution au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés 
			(37) 
			Foldès et Martz, op. cit., 2015, p. 6..
53. La formation des médecins sur les aspects éthiques et juridiques des MGF et sur les conséquences néfastes sur la vie des femmes doit être renforcée. Je me félicite des lignes directrices publiées récemment par l’OMS sur la prise en charge des complications des MGF qui rappellent de manière très ferme le principe selon lequel la médicalisation des MGF n’est jamais acceptable et «constitue une violation de l’éthique médicale car ces mutilations sont une pratique préjudiciable, la médicalisation les perpétue et les risques de telles interventions l’emportent sur les avantages perçus 
			(38) 
			Lignes
directrices de l’OMS sur la prise en charge des complications des
mutilations sexuelles féminines, mai 2016.». Les Etats doivent veiller à ce que les médecins pratiquant des MGF soient poursuivis et condamnés pénalement. Ces médecins devraient également être l’objet de sanctions professionnelles prononcées par les organisations professionnelles dont ils relèvent.

5.3. Le secret

54. Le secret autour de la pratique et de ses victimes apparaît également comme un défi majeur. Il empêche de poursuivre les auteurs de MGF dans les pays où elles ont été érigées en infraction pénale. La dynamique sociale autour de cette pratique est dès lors plus forte que la volonté d’y mettre fin et de poursuivre ceux qui lui permettent de continuer à exister malgré l’interdiction pénale. Ce secret autour des MGF entraîne également une grande difficulté pour les femmes et les filles d’en parler et donc de recevoir des soins adéquats, qu’ils soient médicaux ou psychologiques, si elles le désirent, ou simplement un suivi adapté lors de la grossesse et de l’accouchement. Par ailleurs, il est encore plus compliqué pour les autorités compétentes – et même pour toute autre personne – de détecter une fille en danger quand rien n’est mentionné dans son entourage ou directement par elle. Il me semble de ce fait qu’il est de la première importance de libérer la parole sur la question des MGF et de faire en sorte qu’il ne s’agisse plus d’un tabou afin que les femmes et les filles puissent plus librement se confier, obtenir de l’aide, voire venir en aide à une femme ou une fille de leur connaissance qui risque de subir des MGF.
55. Le secret et le tabou qui entourent les MGF compliquent grandement la collecte de données fiables sur le nombre de femmes ayant subi des mutilations ou de filles à risque. Or, l’on sait que les données sont un élément essentiel pour que les Etats définissent des politiques adaptées.
56. Les campagnes de sensibilisation, d’information et d’éducation ont dans ce contexte une importance fondamentale pour lever le tabou. Je voudrais saluer le dynamisme et l’engagement des représentants des organisations non gouvernementales qui travaillent sans relâche à informer, dialoguer, former à la lutte contre les MGF, malgré le manque de ressources financières pérennes auquel elles doivent souvent faire face. Leur implication dans le travail de prévention des MGF est déterminante puisqu’elles ont accès aux communautés concernées. L’aspect communautaire de la persistance des MGF doit en effet se retrouver dans toute campagne visant à mettre fin à ces pratiques: une seule famille s’y opposant sera exclue et marginalisée alors que plusieurs familles agissant ensemble pourront avoir un réel impact sur leur communauté. L’action de ces organisations devrait ainsi être soutenue financièrement si nous voulons gagner la bataille contre les MGF.

5.4. L’implication des hommes

«Bien que conscient de son pouvoir, [l’homme] n’en use pas. Soucieux de ne pas perturber l’ordre établi, il laisse la question des MGF confinée dans la sphère féminine» 
			(39) 
			Séverine Carillon et
Véronique Petit, «La pratique des mutilations génitales féminines
à Djibouti: une “affaire de femmes” entre les mains des hommes», Autrepart (52), 2009, p. 24.

57. Le travail de prévention doit inclure tous les membres de la famille et de la communauté, les femmes, les enfants mais également les hommes qui se tiennent trop souvent à l’écart des discussions sur les MGF. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a ainsi souligné qu’«[e]n tant que pères, frères, maris, dirigeants communautaires, dignitaires religieux ou responsables politiques, les hommes prennent de nombreuses décisions qui favorisent la poursuite de la pratique; ils peuvent donc contribuer à mettre fin aux actes de mutilation génitale féminine et autres pratiques préjudiciables» 
			(40) 
			Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme, «Prévention et élimination
de la mutilation génitale féminine: pratiques exemplaires et principales
difficultés», A/HCR/29/20, 27 mars 2015, p. 11.. De plus, une étude récente de l’UNICEF a clairement montré que les hommes peuvent être des agents du changement dans un certain nombre de pays dans la mesure où ils sont très nombreux à se déclarer opposés aux MGF, parfois plus nombreux que ne le pensent les femmes voire plus opposés à cette pratique que les femmes elles-mêmes 
			(41) 
			UNICEF, op. cit., 2013, p. 57 et 62-63..
58. Lors de ma visite d’information au Royaume-Uni, l’importance du rôle que les hommes et les pères peuvent jouer dans la lutte contre les MGF a été soulignée à plusieurs reprises par mes interlocuteurs. Le projet Men Speak Out soutenu par l’Union européenne est actuellement en cours et met précisément l’accent sur l’engagement des hommes. J’ai eu le plaisir de rencontrer l’un de ses représentants au Royaume-Uni. La voix des hommes peut faire la différence et elle doit être plus entendue. Je suis convaincue que les hommes doivent prendre leur part dans la lutte contre les MGF et s’opposer publiquement à une pratique qui se perpétue pour eux.

6. Conclusions

59. Les MGF constituent une violation grave des droits humains et portent atteinte au droit inaliénable des femmes et des enfants à leur intégrité physique. Leur corps leur appartient; il n’appartient pas à leurs parents ou à la communauté dont ils sont membres. Plusieurs femmes survivantes que j’ai rencontrées ont souligné l’importance pour elles «d’être entière». L’une d’elles m’a dit: «Je veux être une femme. Je suis vide. Nos parents ont gâché nos vies.» Ces mots montrent bien la détresse que peuvent ressentir les femmes survivantes et leur incompréhension face à la perpétuation de cette pratique. Il faut les écouter, les mettre au centre de nos discussions et redoubler d’efforts pour en finir avec les MGF.
60. La lutte contre les MGF est complexe parce qu’elle exige de comprendre le contexte culturel des communautés qui les pratiquent, d’éviter les stigmatisations et d’apporter une réponse concertée, multidisciplinaire et sur le long terme. Elle ne pourra être gagnée qu’en impliquant tous les acteurs concernés et au premier chef les communautés elles-mêmes, les femmes mais aussi les hommes de ces communautés. Les Etats ont également leur part de responsabilité dans la lutte contre les MGF en agissant avec diligence pour prévenir, enquêter, punir et accorder une réparation pour les actes de violence commis à l’égard des personnes placées sous leur juridiction, conformément à ce qu’exigent d’eux la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention d’Istanbul.
61. Enfin, je voudrais mentionner le fait que la lutte contre les MGF peut également se faire dans le cadre de la coopération internationale et de l’aide au développement. La nature transnationale des MGF exige en effet des solutions également transnationales. Aucun pays ne pourra mettre fin aux MGF en agissant de manière isolée. Il est dès lors très important de construire des ponts entre les pays concernés par les MGF et de soutenir l’action des organisations locales. Des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède investissent ainsi dans des programmes de prévention dans les pays affectés par les MGF partant de l’idée que le changement des pratiques culturelles dans les pays d’origine produira également un changement au sein des communautés établies en Europe. En tant que parlementaires, nous devons également nous efforcer dans le cadre des groupes d’amitié et du financement de l’aide au développement de soutenir les initiatives visant à éradiquer les MGF et de faire en sorte que la question des MGF reste sur l’agenda politique aussi longtemps qu’il sera nécessaire.