1. Introduction
1. En 2015, les 47 Etats membres
du Conseil de l'Europe comptaient, ensemble, 826 millions d’habitants, soit
11,3 % de la population mondiale.
2. Ces dernières décennies, la dynamique démographique européenne
a connu d’importants changements, qui ont eu des répercussions directes
sur l’évolution sociale et économique de l’Europe. Cela fait plusieurs
décennies que l’Europe enregistre de faibles taux de natalité. La
fécondité moyenne est de 1,5 enfant par femme sur cette période.
Elle est inférieure d’un quart au «seuil de simple remplacement
des générations», qui s’établit à 2,1 enfants par femme en Europe,
compte tenu du niveau sanitaire élevé. Cette situation caractérisée
par une fécondité durablement basse a été qualifiée d’«hiver démographique»
par les spécialistes.
3. L’hiver démographique a pour première conséquence d’accentuer
le vieillissement de la population, c'est-à-dire d’augmenter la
proportion de personnes âgées dans la société. Ce phénomène, appelé
en démographie vieillissement «par le bas» de la pyramide des âges,
est très marqué, en raison de la faiblesse des effectifs des générations
naissantes.
4. Une deuxième conséquence, qui ne concerne à ce jour que certains
pays européens et un nombre croissant de régions, tient à un excédent
des décès par rapport aux naissances, soit un solde naturel négatif, appelé
«dépopulation». Cette dépopulation conduit à une diminution de la
population, donc à un «dépeuplement» dans les territoires où le
solde migratoire est négatif ou insuffisamment positif pour compenser
ce solde naturel négatif.
5. Une troisième conséquence de l’«hiver démographique» s’exerce
sur la population active. D’une part, celle-ci vieillit au fur et
à mesure que les générations d’actifs arrivant sur le marché du
travail sont moins nombreuses que les générations précédentes. Ainsi,
la proportion des 55-64 ans dans la population active peut devenir
plus importante que celle des 25-34 ans. D’autre part, l’intensité
de l’«hiver démographique» peut engendrer une baisse de la population
active.
6. La baisse de la population active peut être enrayée par l’augmentation
du taux d’emploi, par exemple celui des jeunes et des seniors. Mais
cela n’est pas nécessairement suffisant pour satisfaire les besoins
de l’économie.
7. L’insuffisance de la population active peut signifier un besoin
d’immigration, dite «immigration de remplacement». Il convient d’ailleurs
de préciser que l’histoire livre divers exemples permettant de comprendre l'impact
de la dynamique des populations sur les politiques migratoires.
8. L’Assemblée parlementaire a déjà examiné les questions de
population en Europe dans plusieurs de ses résolutions et recommandations
. Le dernier texte en date est la
Résolution 1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les
défis en opportunités». Vu les événements qui se sont produits depuis
en Europe, notamment la crise économique et l’afflux important de
migrants, il est grand temps d’analyser l’incidence de l’actuelle
dynamique démographique européenne sur les politiques migratoires.
9. Le présent rapport s’appuie sur une analyse réalisée par M. Gérard-François
Dumont, Professeur à l’université Paris-Sorbonne
, et sur les conclusions
d’une audition organisée par la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées. Il tient aussi compte des données collectées
lors de la mission d’information que j’ai effectuée en Allemagne
le 31 mai 2016. Les conclusions de la mission en République de Moldova
(26-27 septembre 2016) figurent dans un addendum au présent rapport.
10. Le rapport décrit les traits saillants de la dynamique démographique
des pays européens, en passant en revue des facteurs comme l’occupation
humaine, les taux de natalité, les taux de mortalité et la composition par
âge de la population, ainsi que leurs effets. Il analyse les tendances
démographiques de l’époque moderne à l’aide de quelques exemples
historiques illustrant les effets des tendances démographiques sur
les politiques migratoires. Enfin, le rapport tente de déterminer
dans quelle mesure les migrations peuvent contribuer à améliorer
une situation marquée par le vieillissement de la population européenne
et la réduction de la population active.
2. Les traits saillants de
la dynamique des populations européennes
11. L’ensemble formé par les 47
Etats membres du Conseil de l’Europe présente une répartition géographique
fort diversifiée de sa population, et une évolution naturelle caractérisée
par une très faible fécondité comme par un fort vieillissement.
2.1. Une distribution spatiale
très inégale du peuplement
12. Concernant le peuplement des
territoires des pays du Conseil de l’Europe, la question qui se
pose est la suivante: la densité de population de ces territoires
peut-elle être considérée comme telle que les marges de peuplement
supplémentaires seraient si faibles qu’elles obligeraient à adopter
des politiques rejetant toute immigration, voire encourageant l’émigration?
13. Les 826 millions d’habitants des Etats membres du Conseil
de l’Europe disposent d’une superficie cumulée de 23 835 milliers
de km2. La densité moyenne est donc de
35 habitants/km2, soit un chiffre nettement
plus faible que celle de l’Inde (400) ou de la Chine (143). Elle
est même inférieure à la moyenne mondiale (55), légèrement inférieure
à celle de l’Afrique (39) et supérieure à celle de l’Amérique (25).
Ces comparaisons peuvent conduire à conclure que l’ensemble géographique
formé par les Etats membres dispose d’incontestables marges de peuplement
.
14. Toutefois, le Conseil de l’Europe a pour membre le pays disposant
de la plus vaste superficie au monde, la Russie, avec 17 098 milliers
de km2, soit 13,4 % de l’écoumène. Or,
dans ce pays, de nombreuses et vastes superficies n’offrent, compte
tenu des conditions topographiques ou climatiques, que bien peu
de possibilités pour l’occupation humaine. En effet, la vie y est
difficile pour le métabolisme humain, en raison, d’une part, de températures
moyennes basses à très basses toute l’année et, d’autre part, de
la localisation d’une grande partie du territoire russe au-delà
du cercle polaire arctique, donc avec au moins une journée où le
soleil ne se lève pas en hiver et, le plus souvent, plusieurs mois
au cours desquels la lumière du jour ne dure que quelques heures.
Il n’est donc pas illogique d’examiner le peuplement des pays du
Conseil de l’Europe en écartant la Russie, vu sa géographie spécifique.
15. Dans ce cas, les 681 millions d’habitants des 46 Etats considérés
vivent sur 6 737 km2. Une telle superficie
est équivalente aux deux tiers de celle de la Chine et au double
de celle de l’Inde. Mais elle est cinq fois plus faible que celle
de l’Afrique et près de sept fois moindre que celle de l’Amérique.
La densité moyenne des 46 pays est de 101 habitants/km2,
chiffre qui est presque le double de la moyenne mondiale mais qui demeure,
à nouveau, inférieur à la densité de la Chine et, davantage encore,
de l’Inde. Ces données quantitatives concluent donc au fait que
l’Europe dispose, toutes choses égales par ailleurs, de marges de peuplement.
16. Ces dernières sont encore plus incontestables en examinant
la répartition géographique de la population. Une caractéristique
de l’ensemble géodémographique formé par le Conseil de l’Europe
est la répartition très inégale de la population. Examinons-la à
l’échelle des Etats, puis à celle des régions.
17. La géographie du peuplement des pays du Conseil de l’Europe
présente, grosso modo, une logique centre-périphérie
. En effet, la
région la plus dense est ce qu’il est convenu d’appeler la «dorsale
européenne». Celle-ci, allant du Royaume-Uni à l’Italie, en passant
par le Benelux et l’Allemagne, comporte un ensemble de pays dont
la densité de population dépasse 200 habitants/km2 et
même légèrement 400 aux Pays-Bas.
18. A la périphérie limitrophe de cette dorsale, les pays européens
ont des densités moins importantes, entre 101 et 150 habitants/km².
Il s’agit de l’Autriche, du Danemark, de la Hongrie, de la Pologne,
de la République slovaque, de la République tchèque et de la France.
19. Au-delà de cette périphérie limitrophe, la densité s’amoindrit
à 100 habitants/km² ou moins, tout en restant supérieure à 55 habitants/km2: Bulgarie,
Espagne, Roumanie, Ukraine, pays des Balkans. Ne font exception
que la République de Moldova et le Portugal, respectivement à 121
et 112 habitants/km2.
20. Enfin, la densité de population est particulièrement faible,
inférieure ou nettement inférieure à 55 habitants/km² dans les pays
Baltes et dans des pays septentrionaux dont une partie du territoire
se situe au-dessus du cercle polaire arctique: Islande, Norvège,
Suède et Finlande.
21. Pour retrouver une densité de population équivalente à la
moyenne des pays du Conseil de l’Europe, (Russie non comprise),
soit autour de 100 habitant/km2, il faut
considérer la Turquie et deux des trois pays du Sud-Caucase, l’Arménie
et l’Azerbaïdjan, tandis que la densité de la Géorgie est de moitié
inférieure à cette moyenne.
22. Toutefois, deux pays européens peu vastes ont les densités
les plus élevées. Le premier, Malte, qui compte 1 333 habitants/km²,
est, il est vrai, un très petit archipel méditerranéen. Le second,
l’Etat à la plus faible superficie, Monaco, avec 40 000 habitants/km²,
n’est pas très éloigné de la dorsale de peuplement.
23. A l’échelle des pays, le peuplement de l’Europe présente donc
une logique géographique d’ensemble.
24. A l’échelle des régions des différents Etats du Conseil de
l’Europe, la logique du peuplement resserre la dorsale précisée
ci-dessus comme ensemble géographique le plus dense, ne retenant
par exemple de l’Allemagne que les régions de l’Allemagne rhénane.
A cette échelle des régions, les différences de peuplement sont
nettement plus accusées; elles tiennent à des décisions politiques,
aux effets de l’urbanisation ou aux résultats des migrations depuis
des régions peu attrayantes vers des régions attractives
.
25. D’une part, la densité de population dépasse 1 000 habitants/km²
dans des régions fortement urbanisées et à faible superficie. C’est
par exemple le cas en Angleterre, dans les régions de Liverpool, Manchester,
Birmingham et, bien sûr, Londres, ou en Allemagne avec les trois
villes-Etats (Stadtstaat), Brême, Hambourg et Berlin. Quant à la
région Île-de-France autour de Paris, sa densité avoisine 1 000 habitants/km², ce
qui constitue notamment un héritage de la politique centralisatrice
de la France.
26. D’autre part, la densité est relativement élevée dans des
régions européennes qui se montrent attractives par leur dynamisme
économique ou par leur qualité de vie supposée, comme certaines
régions littorales (Communauté de Valencia, Catalogne, Provence-Alpes-Côte
d’Azur, Ligurie) ou continentales (certains cantons suisses, la
Bavière, le Bade-Wurtemberg, le Piémont ou la Lombardie).
27. A l’inverse, les régions septentrionales de l’Europe sont
très peu denses. C’est également le cas de régions non littorales
ne disposant pas d’une grande ville et ayant subi une forte émigration
rurale, comme les Castille espagnoles ou les régions françaises
du massif Central.
28. Ainsi, les pays du Conseil de l’Europe ne forment pas ce qu’on
appellerait en démographie un «monde plein». Les possibilités de
peuplement, en particulier dans les régions fort peu denses, sont
incontestables. Un peuplement supplémentaire est donc possible par
excédent des naissances sur les décès ou par apport migratoire.
Il importe donc de savoir si les pays du Conseil de l’Europe accroissent
leur peuplement sous l’effet de leur mouvement naturel, ce qui nécessite
d’examiner la natalité et la mortalité.
29. Dans plusieurs autres régions, comme l’Afrique subsaharienne
ou le sous-continent indien, l’évolution démographique s’inscrit
dans la période dite de la «transition démographique», pendant laquelle
une population passe d’une mortalité et d’une natalité élevées à
une mortalité et à une natalité abaissées
.
Dans d’autres régions qui ont terminé leur transition démographique,
comme l’Amérique, l’évolution démographique demeure dynamique. En
revanche, les pays du Conseil de l’Europe sont, en moyenne, particulièrement concernés
par des changements démographiques inédits avec une situation d’«hiver
démographique» qui appelle des politiques adaptées.
2.2. La natalité presque partout
d’«hiver démographique»
30. Au milieu des années 2010,
le taux de natalité moyen des Etats membres du Conseil de l’Europe
a la particularité d’être le plus faible de tous les ensembles continentaux
: il est en effet de 11 naissances
pour mille habitants, contre 20 pour la moyenne mondiale. Ce taux
est presque aussi élevé que celui de la Chine, pays qui, il est
vrai, a accentué la diminution de sa natalité par une politique
démographique coercitive. Il est supérieur à celui du Japon, où
la fécondité s’est considérablement abaissée depuis plusieurs décennies
et où le nombre de personnes âgées est particulièrement élevé en
raison d’une des espérances de vie les plus longues au monde. La
faible natalité moyenne des Etats du Conseil de l’Europe est bien
mise en évidence par deux pourcentages: ces Etats représentent 11,3 %
de la population dans le monde mais seulement 6,3 % des naissances,
précisément 9,3 millions de naissances en 2015, dans un ensemble
mondial qui en a enregistré 147 millions.
31. La principale raison de la faible natalité moyenne des Etats
membres tient à l’abaissement de la fécondité
,
ces dernières décennies, jusqu’à un niveau moyen d’environ 1,5 enfant
par femme. L’indice synthétique de fécondité de l’Europe est tombé
de 2,65 enfants par femme au début des années 1950 à 1,5 dans les
années 2010. Or, il faut rappeler que, compte tenu du niveau sanitaire
européen, il faudrait 2,1 enfants par femme pour permettre le simple
renouvellement des générations, c’est-à-dire pour que cent femmes
d’une génération soient remplacées à la génération suivante, soit
une trentaine d’années plus tard, par le même effectif de cent femmes.
Pour dénommer cette situation, à la fin des années 1970, l’expression
«hiver démographique» a été utilisée pour définir une période de
fécondité nettement et durablement au-dessous du seuil de remplacement
des générations
.
32. Toutefois, ce régime démographique naturel d’«hiver démographique»
connaît des variations spatiales qui révèlent en partie des logiques
géographiques. En effet, la géographie de la fécondité, selon les
dernières données (2015), met en évidence des contrastes. Un seul
pays présente une fécondité supérieure au seuil de remplacement
des générations: la Turquie, avec 2,2 enfants par femme. Certes,
l’Azerbaïdjan a le même niveau de fécondité mais son seuil de remplacement
des générations, compte tenu de taux de mortalité avant l’âge adulte
relativement élevés, est de 2,27 enfants par femme. Ensuite, les
fécondités les plus élevées, ou les moins basses, donc entre 1,7
et 2,0 enfants par femme, s’observent surtout en Europe septentrionale (Irlande,
Islande, Norvège, Royaume-Uni, Suède, Danemark et Finlande), dans
le pays le plus vaste de l’Europe occidentale, la France, et en
Russie, pays qui a enregistré une hausse de sa fécondité par rapport aux
années 2000.
33. A l’inverse, les fécondités très basses, inférieures à 1,4
enfant par femme, s’enregistrent en Europe méridionale (Bosnie-Herzégovine,
Espagne, Grèce, Portugal) ou en Europe orientale (République de
Moldova, Pologne et Roumanie). De fait, la République de Moldova
est le pays du monde dont la population diminue le plus vite
.
34. Entre les deux niveaux ci-dessus, la fécondité est basse,
à 1,5 ou 1,6 enfant par femme, dans une quinzaine de pays: Allemagne,
Autriche, Ukraine, Croatie, Serbie, etc.
35. Les différences de fécondité selon les pays européens, dues
à des facteurs culturels, économiques et sociaux propres à chaque
pays, ont aussi des causes politiques: de façon générale, les pays
qui consacrent davantage de moyens à la politique familiale ont
les fécondités les plus élevées; en revanche, ceux qui ont une politique
familiale fort réduite enregistrent une très faible fécondité.
36. La faible fécondité moyenne dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe est de nature à engendrer une baisse de la population.
En effet, une fécondité de 1,5 enfant par femme signifie qu’une
cohorte de 100 femmes, soit cent femmes nées une année considérée,
serait suivie à la génération suivante, soit une trentaine d’années
plus tard, par une cohorte de seulement 71 femmes. Certes, globalement,
la projection moyenne à l’horizon 2050 n’anticipe pas une baisse
de la population mais une stagnation, avec 831 millions d’habitants
en 2050 contre 826 en 2015. Mais cette absence de baisse s’explique
principalement par deux hypothèses favorables: une hausse de l’espérance
de vie et des apports migratoires.
37. Face à l’«hiver démographique», il est souhaitable que les
pays du Conseil de l’Europe déploient des politiques et des services
qui permettent aux couples de choisir le nombre d’enfants qu’ils
souhaitent et, en particulier, de concilier leur vie familiale et
leur vie professionnelle, ce qui a des chances de faire augmenter
le taux de natalité.
2.3. Des conditions de mortalité
particulièrement favorables
38. Dans les années 2010, les pays
du Conseil de l’Europe enregistrent ensemble une hausse du nombre des
décès, précisément à 9,3 millions en 2015, soit 18,2 % des décès
totaux dans le monde (51 millions). Cela ne s’explique nullement
par une détérioration des conditions de vie. Bien au contraire,
ces dernières années, l’espérance de vie s’est accrue pour les deux
sexes. Toutefois, plus le nombre de personnes âgées augmente et
plus celui de décès est susceptible de s’accroître. La raison de
l’augmentation du nombre de décès tient donc essentiellement à la
croissance du nombre de personnes susceptibles de décéder puisque,
selon la formule de J.M. Keynes: «à long terme, nous serons tous
morts».
39. La baisse de la mortalité, qui engendre une hausse de la longévité,
tient à quatre facteurs principaux:
- une meilleure alimentation, plus complète, plus riche
et plus variée, notamment grâce au progrès technique agricole, et
au développement des possibilités de transports et, donc, d’échanges;
- de meilleures conditions et pratiques d’hygiène;
- les progrès et le développement des techniques médicales
et pharmaceutiques et des réseaux sanitaires;
- le progrès du machinisme qui diminue la pénibilité du
travail.
40. La géographie de la mortalité des pays du Conseil de l'Europe
peut être approchée par l’espérance de vie
.
Celle des femmes à la naissance est égale ou supérieure à 79 ans
dans tous les pays d’Europe septentrionale et occidentale, ainsi
que dans la plupart des pays d’Europe orientale et méridionale,
Chypre, Géorgie et Turquie comprises.
41. A un niveau plus faible, donc inférieur à 79 ans, ne figure
qu’une minorité de pays: Bulgarie, République de Moldova, Roumanie,
Russie, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, “l’ex-République yougoslave
de Macédoine”, Serbie, Arménie et Azerbaïdjan.
42. Dans tous les pays, l’espérance de vie à la naissance des
hommes est inférieure à celle des femmes, les plus grands écarts
existant en Lettonie (9 ans), Lituanie et Ukraine (10 ans), et enfin
en Russie (11 ans).
43. Bien entendu, il faut espérer que la baisse, il est vrai considérable
au cours des dernières décennies, des mortalités infantile, infanto-adolescente
et maternelle, se poursuivra. Mais, compte tenu de leurs niveaux déjà
très bas, les progrès encore envisageables ne pourront pas avoir
d’effets démographiques considérables. Des progrès sont également
possibles en matière d’espérance de vie des personnes âgées, mais
il ne faut pas en attendre une hausse significative de la population.
44. Toutefois, le risque que l’amélioration de l’espérance de
vie puisse s’arrêter existe, en cas de détérioration des systèmes
sanitaires, d’assurance maladie ou des pratiques d’hygiène. Par
exemple, le développement possible des conduites à risque, comme
la consommation de drogues (tabac, stupéfiants, alcool, etc.), pourrait
avoir des effets délétères sur l’espérance de vie et, du fait de
l’âge jeune des personnes concernées par ces conduites, conduire
à une augmentation du nombre d’années potentielles de vie perdues. Face
à ce risque, il faut améliorer l’éducation à la santé et à l’hygiène.
En outre, la vigilance et la réactivité des pouvoirs publics à l’égard
des industries doivent être amplifiées afin que la qualité de l’alimentation
tant humaine qu’animale soit préservée (additifs alimentaires, produits
phytosanitaires, produits cosmétiques, perturbateurs endocriniens),
ainsi que l’environnement dans lequel les populations vivent (air,
eau, etc.). La baisse de la mortalité excessive des personnes en
âge de travailler rendra aussi la main-d'œuvre en meilleure santé
et plus nombreuse, ce qui diminuera la nécessité de migrations de
travail.
2.4. La géographie des taux d’accroissement
naturel
45. Le bilan de la natalité et
de la mortalité de l’année 2015, assez semblable à celui des années précédentes,
signifie donc une stagnation démographique, avec un nombre semblable
de naissances et de décès.
46. Toutefois, à l’examen des données du Population Reference
Bureau de l’année 2015, le régime démographique naturel des pays
du Conseil de l’Europe marque une différence entre des pays ayant
un taux d’accroissement naturel positif, donc plus de naissances
que de décès, et ceux avec un taux nul ou négatif. La géographie
de ces derniers recouvre des pays d’Europe centrale et orientale
(Bulgarie, Hongrie, République de Moldova, Pologne, Roumanie, République
tchèque, Russie), septentrionale (Estonie, Lettonie, Lituanie, Finlande)
ou méridionale (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Grèce, Italie, Portugal
et Serbie). Ces pays cumulent les effets d’une fécondité particulièrement
basse et d’une longévité moindre par rapport à la moyenne. Seul
un pays d’Europe occidentale, l’Allemagne, a un taux d’accroissement
naturel négatif.
47. A l’opposé, en 2015, les pays du Conseil de l’Europe à taux
d’accroissement naturel nettement positif, donc équivalent à la
moyenne mondiale (qui est de 1,2 pour cent habitants), ne sont que
deux: la Turquie et l’Azerbaïdjan.
48. Dans les pays du Conseil de l’Europe à taux d’accroissement
naturel positif mais nettement inférieur à la moyenne mondiale,
la raison fondamentale de ce niveau positif est presque toujours
ce qu’on appelle en démographie l’effet d’inertie. Ce dernier signifie
que l’analyse d’une population doit prendre en compte l’évolution
démographique cachée dans la composition par sexe et par âge (la
pyramide des âges). Ainsi, des pays du Conseil de l’Europe (Danemark,
Autriche, Luxembourg ou Suisse) enregistrent une croissance démographique
naturelle, donc un excédent des naissances sur les décès, en dépit
d’une fécondité fort abaissée, en raison de leur pyramide des âges
leur donnant (encore) une proportion relativement élevée de femmes
en âge fécond
.
49. Le bilan du mouvement naturel des Etats membres engendre des
perspectives incontestables: sauf forte remontée de la fécondité,
important accroissement de l’espérance de vie ou apports migratoires,
la population est appelée à diminuer sous l’effet de son vieillissement.
2.5. Un vieillissement de la
population qui s’accentue
50. En effet, l’ensemble formé
par les pays du Conseil de l’Europe est la région la plus vieillie
du monde, en raison de la proportion élevée de personnes âgées de
65 ans ou plus dans l’ensemble de sa population.
51. La première cause du vieillissement de la population européenne
est ce qu’on appelle le vieillissement «par le bas», dû à une fécondité
fort abaissée. Il en résulte des effectifs moindres dans les générations
de jeunes, ce qui favorise une diminution du pourcentage de la population
jeune et, inversement, une augmentation de celui de la population
âgée. Cet incontestable vieillissement «par le bas» se trouve complété par
une autre cause: les progrès sanitaires et hygiéniques ainsi que
les améliorations des conditions de vie qui engendrent le vieillissement
«par le haut». Ce dernier résulte de l’augmentation de l’espérance
de vie des personnes âgées.
52. Les échanges migratoires constituent un troisième facteur
pouvant avoir des effets sur l’intensité du vieillissement. Mais
il s’agit, en ce qui concerne les pays du Conseil de l’Europe, d’un
frein au vieillissement puisque l’immigration y est constituée,
pour l’essentiel, de populations jeunes. En effet, la propension
à émigrer vers l’Europe pour des raisons économiques (y trouver
un travail ou un meilleur travail, avec des revenus supérieurs,
ou y chercher une amélioration de ses conditions de vie) est inversement
proportionnelle à l’âge des actifs. Par exemple, les ressortissants
d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie qui viennent assurer des services
aux particuliers, notamment dans le domaine de la garde d’enfants
ou de l’aide aux personnes âgées, font partie des générations de
jeunes actifs. Il en va de même pour les immigrants travaillant
dans les métiers du bâtiment et des travaux publics.
53. Le caractère généralement jeune de l’immigration en Europe
concerne aussi les demandeurs d’asile et, plus encore, le regroupement
familial, qui voit entrer principalement des femmes et des enfants,
ainsi que les étudiants originaires des autres continents. En outre,
comme l’attestent les régularisations d’immigrés en situation illégale
effectuées dans plusieurs Etats membres ces dernières décennies,
leur moyenne d’âge est également nettement inférieure à la moyenne.
54. Le facteur migratoire exerce un autre effet limitant le vieillissement
dans la mesure où il concerne des populations à la fois en plus
forte proportion d’âge à la fécondité et ayant souvent des fécondités
plus élevées que la population déjà présente. Le système migratoire
européen concourt donc à rajeunir la population, mais l’intensité
des vieillissements «par le haut» et «par le bas» gomme largement
cet effet.
55. Le vieillissement européen semble appelé à s’accentuer à l’avenir
puisque les projections démographiques laissent généralement penser
que les effets des deux premiers facteurs étudiés, les vieillissements
«par le haut» et «par le bas», vont s’intensifier: probable diminution
des naissances en raison de la baisse du nombre de femmes en âge
de procréer, donc même en cas de légère remontée de la fécondité et
de hausse de l’espérance de vie des personnes âgées.
56. Un quatrième facteur joue dans le même sens: l’héritage démographique,
avec des générations arrivant à l’âge de la retraite plus nombreuses
que les précédentes, dont le nombre avait été minoré en raison des effets
des guerres mondiales.
57. Toutefois, l’intensité du vieillissement est fort différente
selon l’Etat membre. Les écarts de vieillissement sont importants
entre les maxima de l’Italie (22 % de 65 ans ou plus en 2015), de
l’Allemagne et de la Grèce (21 %) et les minima de la Turquie (8 %)
et de l’Azerbaïdjan (7 %). Ces écarts s’expliquent par les intensités variables
des facteurs du vieillissement: évolution des niveaux et des calendriers
de la fécondité, différences dans l’évolution de l’espérance de
vie des personnes âgées et les niveaux atteints selon les pays,
variété dans l’héritage démographique, différences dans le système
migratoire et la composition par âge des flux d’immigration et d’émigration.
58. Comme les intensités et les rythmes du vieillissement sont
fort différents selon les territoires européens, l’éventail de ses
conséquences économiques, sociales ou politiques est très large.
Selon les tendances du début du XXIe siècle,
les plus forts vieillissements à venir devraient se constater en
Europe orientale, qui cumule à la fois des fécondités très basses,
des potentialités d’augmentation de l’espérance de vie des personnes
âgées et une moindre attractivité migratoire vis-à-vis de populations
jeunes susceptibles de minorer le vieillissement.
59. Les Etats membres qui enregistrent une forte émigration de
leurs jeunes actifs devraient déployer des politiques d’emploi pour
faciliter leur attractivité économique et diminuer l’exode rural
qui, en raison de son importance, nuit à la fois à leur bon équilibre
démographique et à leur dynamique économique.
2.6. La double inversion de la
pyramide des âges
60. Une autre caractéristique démographique
des Etats membres, résultant essentiellement de l’évolution de la
natalité et de la mortalité, tient à la forme de la pyramide des
âges. En effet, alors que celle de la population dans le monde a
logiquement une forme pyramidale, celle des pays du Conseil de l’Europe
compte au moins deux différences notables. La première tient à une
proportion d’effectifs beaucoup plus élevée parmi les générations
les plus âgées, avec une prépondérance de femmes, en raison, d’une
part, de la longévité plus élevée en Europe et, d’autre part, de
la longévité supérieure des femmes par rapport aux hommes.
61. La seconde tient à la base étroite de la pyramide des âges,
puisque les générations de moins de 20 ans sont nettement moins
nombreuses que celles correspondant à la population active, en conséquence
de la fécondité abaissée. Ainsi, la pyramide des âges a enregistré
une double inversion: davantage de personnes âgées que de jeunes
et, au sein de la population active, davantage d’actifs âgés que
d’actifs jeunes.
62. En conséquence, plusieurs pays enregistrent une diminution
de leur population active et émettent, comme l’Allemagne, le souhait
de trouver ce qu’il est convenu d’appeler, depuis un rapport des
Nations Unies paru en 2000, des «migrations de remplacement». A
partir des chiffres livrés par Eurostat, il est ainsi possible de
noter qu’entre 2005 et 2015, l’éventail des évolutions de la tranche
d’âge 15-64 ans est considérable: il varie entre +23,0 % pour le
Luxembourg, exclusivement grâce à des apports migratoires, et +15,4 %
pour la Turquie, en raison de sa dynamique naturelle, et -14,6 %
pour la Lettonie. Près de 20 pays du Conseil de l’Europe ont enregistré
une diminution de leur population dans cette tranche d’âge. Outre
la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie ont connu les
plus forts pourcentages de baisse de leur population active, supérieurs
à 7 %. En dépit des apports migratoires dont elle a bénéficié dans
cette période 2005-2015, l’Allemagne a vu sa population de la même
tranche d’âge diminuer de 2,72 %.
63. Certes, la baisse de la population active peut être enrayée
par l’augmentation du taux d’emploi, par exemple celui des jeunes
et des seniors. Mais cela n’est pas nécessairement suffisant pour
satisfaire les besoins de l’économie. D’autres pays ont enregistré
une hausse de leur population active uniquement grâce à des apports
migratoires, comme la Suisse, l’Autriche et l’Italie, ou grâce à
une combinaison d’apports migratoires et de fécondité moins abaissée
dans les précédentes décennies, comme la France ou le Royaume-Uni.
Or, entre des pays européens ayant un système économique semblable,
la création de richesses est corrélée à l’importance de la population
active, plus précisément à la population active ayant un emploi.
Par exemple, le produit intérieur brut (PIB) de la France est six
fois supérieur à celui de la Belgique parce que la France compte
une population active six fois supérieure.
64. Pour mieux réfléchir à l'impact de la dynamique des populations
sur les politiques migratoires, il est utile de prendre des exemples
historiques qui permettront une mise en perspective.
3. Exemples historiques illustrant
les effets des évolutions démographiques sur les politiques migratoires
65. L’histoire recèle de nombreux
exemples de politiques migratoires dont la mise en œuvre s’est notamment
fondée sur les dynamiques démographiques, qu’il s’agisse des niveaux
de peuplement, de natalité ou de mortalité.
3.1. Niveau de peuplement et
politique migratoire
66. Déjà, des auteurs du passé,
comme Platon ou Machiavel, proposent dans leurs ouvrages la mise
en œuvre de politiques migratoires variables selon le peuplement.
Platon, dans Les Lois, s’affiche
partisan de la fixité démographique du peuplement. Il souhaite dans
la cité d’Athènes «ajuster le nombre des foyers au chiffre de cinq
mille quarante», et il présente tout un ensemble de mesures publiques
pour y parvenir. Platon demande un encouragement à l’émigration
si la natalité est jugée trop élevée et, dans le cas contraire,
et si on ne parvient pas à augmenter la natalité, une politique
d’immigration. Machiavel, dans ses Histoires
florentines (1520-1526), conseille aux princes et aux
républiques «d’entretenir partout une abondante population». Toutefois,
selon les ressources exploitables, il souhaite une mise en œuvre
de politiques d’émigration ou d’immigration.
67. Dans la réalité, nombre de pays, jugeant leur peuplement insuffisant
par rapport à leur potentiel économique, ont déployé des politiques
migratoires favorisant l’immigration. Par exemple, le Brésil, au XIXe siècle
et dans le premier quart du XXe siècle,
a souhaité accueillir une importante immigration européenne, qui
atteignit son apogée de 1900 à la guerre de 1914-1918. De même,
l’Argentine du XIXe siècle encouragea
l’immigration d’Européens, parfois en fournissant gratuitement des
terres ou en les louant à un faible prix. Le cas des Etats-Unis
encourageant l’immigration européenne est bien connu, avec une politique migratoire
d’immigration choisie, par le biais de deux réglementations: d’une
part, des interdictions selon l’origine des personnes, avec des
quotas fixés pour décourager et empêcher la venue d’immigrants non européens
(quotas supprimés seulement en 1965) et, d’autre part, un tri effectué,
par exemple de 1892 à 1954, à Ellis Island, dans la baie de New
York, principale porte d'entrée aux Etats-Unis pour les 12 millions
de personnes qui purent y transiter. Parmi les mesures d’attraction
migratoire, en dépit des contraintes ci-dessus complétées par l’interdiction
à certaines catégories de personnes (anarchistes, polygames, etc.),
il faut rappeler la sécurité juridique offerte par les Etats-Unis
aux immigrants avec l’attribution de la nationalité américaine aux
enfants dès leur naissance, selon un systématique jus soli toujours en vigueur à ce
jour.
68. Au XXe siècle comme au XXIe,
les exemples du Canada et de l’Australie, deux pays très faiblement peuplés
puisque la densité de population y est respectivement de 4 et de
3 habitants/km2, sont bien connus. Par
exemple, le Parlement du Canada vote chaque année une loi fixant
le nombre d’immigrants que ce pays est prêt à accueillir dans le
cadre de sa politique d’immigration choisie. Ces dernières décennies,
parmi les pays avides d’immigration, il faut citer le cas du Gabon,
pays au très faible peuplement (7 habitants/km2)
et n’ayant pas assez de population active compte tenu de son potentiel
économique, par exemple en minerais ou dans tout ce qui concerne
l’industrie du bois.
69. A l’inverse, il est arrivé que des pays à fort peuplement
découragent l’immigration et notamment le retour de leurs ressortissants
ayant auparavant émigré. Ainsi, l’Inde, après son indépendance en
1947, prôna l’intégration des communautés indiennes émigrées dans
les nouveaux Etats issus du démembrement de l’Empire britannique,
communautés représentant plusieurs millions d’habitants. Aussi les
nombreux Indiens résidant en Birmanie et en Malaisie furent-ils
enjoints d’adopter la nationalité de ces nouveaux Etats devenant indépendants
et, donc, à ne pas revenir concourir au peuplement de l’Inde. Ensuite,
en 1972, le Gouvernement indien se montra à nouveau très réticent
à l’accueil de ses émigrés d’outre-mer. Il fit savoir qu’il n’était
pas prêt à recevoir ses ressortissants, au nombre d’environ 50 000,
qui avaient été expulsés par le Gouvernement ougandais d’Amin Dada.
Nombre d’entre eux durent donc trouver refuge ailleurs, notamment
au Royaume-Uni.
3.2. Evolution de la natalité
et politique migratoire
70. Concernant les dynamiques de
la natalité, elles ont également des effets sur les politiques migratoires. Toute
faible natalité engendre, une vingtaine d’années plus tard, des
insuffisances de population active. Aussi est-il arrivé que des
pays cherchent à compenser ce manque par des migrations de remplacement.
Par exemple, la France du XIXe siècle
s’est caractérisée par une fécondité exceptionnellement abaissée,
d’où la faiblesse de sa population active. Elle a donc décidé de
favoriser l’immigration, à l’époque essentiellement européenne.
Pour cela, elle conforta par exemple le maintien des enfants de
familles dont les parents étaient de nationalité étrangère en instaurant
en 1851 le double jus soli,
c’est-à-dire en attribuant automatiquement la nationalité française
à toute personne née en France d’un étranger lui-même né en France.
71. En revanche, dans des pays à forte natalité, les dirigeants
n’agissent guère pour freiner l’émigration, bien que cette dernière
ait pour effet de réduire leurs ressources humaines, et plus particulièrement
les plus actives puisque l’émigration se concentre sur la tranche
d’âge des 18-30 ans. Dans tous les pays africains portés ces dernières
décennies par une natalité élevée et ses effets stimulant la croissance
démographique, aucun gouvernement n’a mis en œuvre d’action freinant
l’émigration. Qui plus est, peu d’actions ont été ou sont conduites
pour lutter contre les passeurs qui, exploitant la misère humaine,
privent en même temps les pays d’une force de travail parfois particulièrement
compétente (médecins, ingénieurs, etc.).
3.3. Evolution de la mortalité
et politique migratoire
72. Les dynamiques de la mortalité
exercent également des effets sur les politiques migratoires. Des
pays ayant souffert d’une forte mortalité limitant les effectifs
de la population peuvent opter pour des politiques migratoires visant
à attirer des actifs dans leur pays. Par exemple, après la première
guerre mondiale, la France, après avoir perdu 1 350 000 jeunes hommes
dans le conflit, et face à 2 millions de blessés à productivité
réduite ou nulle du fait de leurs blessures, décida de conduire
des politiques destinées à faire venir des actifs d’autres pays,
qu’ils soient limitrophes ou non, comme la Pologne. Autre exemple:
après la seconde guerre mondiale, la Belgique a passé des accords
avec l’Italie pour aller y recruter des travailleurs. En vertu d’un
protocole signé à Rome le 23 juin 1946 et de ses annexes du 26 avril 1947,
des ouvriers italiens étaient recrutés en Italie, après avoir passé
les tests médicaux, avant d’être acheminés par train dans les principales gares
de Wallonie.
73. L’existence d’une mortalité forte, due à une pandémie dans
un pays, peut avoir l’effet contraire, poussant des pays limitrophes
à fermer leurs frontières pour empêcher l’immigration. Par exemple,
lors de l’épidémie de choléra au Zimbabwe, d'août 2008 à juillet 2009,
le Botswana a renforcé ses 500 km de grillage électrifié le long
de la frontière pour empêcher l’arrivée éventuelle de Zimbabwéens
contaminés.
74. Les exemples ci-dessus montrent que différents pays ont déployé
ou déploient des politiques migratoires qui ne sont pas indépendantes
de la dynamique des populations.
4. Les migrations peuvent-elles
résoudre les problèmes démographiques de l’Europe?
75. Du tableau dans l’annexe 3,
qui rend compte des mouvements naturel et migratoire des Etats membres du
Conseil de l'Europe, il ressort clairement que, même si l’on prend
en compte l’augmentation importante des flux migratoires vers l’Europe
ces dernières années, provoquée notamment par l’arrivée de réfugiés,
la dynamique démographique européenne n’a pas été influencée de
manière significative. Il est donc peu probable que les migrations
puissent à elles seules enrayer le déclin démographique de l’Europe.
76. Cependant, les migrations pourraient être considérées comme
un facteur contribuant à contrebalancer le vieillissement démographique
de l’Europe. Nombreux sont les pays européens qui ne parviendront
pas à maintenir leurs systèmes de protection sociale sans une augmentation
du nombre de contribuables qui travaillent. Par exemple, environ
20 % de la population de l’Allemagne est âgée de plus de 65 ans
et l’accroissement naturel de la population est négatif. Face à
ce problème, le Gouvernement allemand dépense quelque 250 millions
d’euros par an en allocations familiales pour essayer d’inverser
la tendance, mais sans grand succès. Sous l’effet de la réinstallation
de réfugiés ces deux dernières années, une légère augmentation de
la population a toutefois été enregistrée. Cela dit, même si les
arrivées de migrants continuent au rythme actuel, il sera difficile
d’inverser une tendance au déclin démographique qui s’observe depuis
une dizaine d’années déjà. En outre, intégrer autant de réfugiés
sur le marché du travail ne va pas de soi. De fait, la grande majorité
des réfugiés arrivés en Allemagne ces dernières années étaient peu
qualifiés et avaient un faible niveau d’instruction. Or, ce sont
surtout des postes qualifiés que l’Allemagne a besoin de pourvoir
.
77. Le problème est que le gouvernement, qui se concentre sur
la recherche d’une solution à la question des réfugiés et de leur
intégration, n’a pas de stratégie bien structurée pour encourager
l’accroissement naturel de la population et attirer des migrants
diplômés pour occuper les postes qualifiés vacants.
78. Il faut aussi garder à l’esprit que, pour ce qui est d’attirer
la main-d'œuvre qualifiée, l’Europe sera en concurrence avec des
pays comme l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande.
Ces pays d’immigration traditionnelle se caractérisent par une croissance
démographique et par des marchés du travail très attractifs. Pour
être concurrentielle, l’Europe devra impérativement rétablir la
confiance sur les questions migratoires dans sa population. Les
citoyens européens surestiment souvent le nombre de migrants présents dans
leur pays et craignent que ces étrangers ne leur prennent leur emploi.
Les données de l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM) montrent que les migrations permanentes de pays tiers vers
les pays européens est faible, bien plus faible que vers les Etats-Unis.
Cependant, la migration nette en provenance de pays non membres
de l’Union européenne stimule la dynamique démographique des pays
européens
.
79. A long terme, l’afflux de jeunes travailleurs migrants pourrait
atténuer les problèmes démographiques de certains pays européens,
notamment en comblant un manque de travailleurs qualifiés et en
contribuant ainsi à la croissance du PIB et au financement des retraites.
Cela suppose de mettre en place des politiques qui créent des conditions
favorables à la participation des migrants au marché de l’emploi.
Ces politiques devraient être fondées sur une analyse sectorielle
complète du marché de l’emploi permettant de recenser les besoins
réels de main-d'œuvre immigrée. Il est également nécessaire de lever
tous les obstacles liés au droit interne qui empêchent les réfugiés
qualifiés d’accéder rapidement à l’emploi.
80. Il faudrait encourager la conclusion d’accords bilatéraux
entre les pays d’origine des migrants et les pays d’accueil pour
réduire le coût des migrations et garantir aux migrants des possibilités
d’emploi légal et une couverture sociale. De tels accords contribuent
aussi à lutter contre le travail clandestin et à prévenir l’exploitation
des migrants.
81. Les pays d’accueil devraient certes créer des possibilités
légales, pour les réfugiés, de s’intégrer plus vite sur le marché
du travail, mais ils devraient aussi promouvoir la formation professionnelle
des réfugiés qui n’ont pas les compétences requises. Concernant
les migrants hautement qualifiés, il importe de faciliter la reconnaissance
de leurs diplômes et de leur expérience professionnelle.
82. Enfin, si un travail décent constitue le meilleur moyen d’inciter
les migrants à s’intégrer, les pays d’accueil devraient aussi revoir
leurs politiques d’intégration, de manière à ce que les migrants
ne soient pas victimes de ségrégation dans la société d’accueil,
mais participent à la vie sociale et culturelle de la collectivité. Il
importe également d’encourager la participation des femmes migrantes
au marché du travail. Cela favorisera leur intégration et réduira
les risques de ségrégation. Il faudrait organiser des programmes
d’intégration spécialement destinés aux femmes, qui comprennent
des cours de langue, une formation professionnelle et une familiarisation
avec la culture du pays d’accueil. Quant à la population locale,
elle devrait être mieux informée des avantages économiques des migrations
légales et de la diversité culturelle pour la société. Les citoyens
européens devraient être encouragés à accepter les différences culturelles
et religieuses des migrants lorsqu’elles ne sont pas contraires
à la loi ni aux valeurs des droits de l'homme. Dans le même temps, le
droit interne devrait prévoir des mesures strictes contre toutes
les formes de discrimination, de racisme et de xénophobie.
5. Conclusion
et recommandations
83. Compte tenu de la distribution
spatiale très inégale du peuplement selon les territoires, les Etats européens
doivent prendre en compte leur situation démographique particulière
pour tenter de corriger cette distribution.
84. Face à une natalité presque partout proche d’un hiver démographique,
il est souhaitable de promouvoir des politiques qui permettent aux
couples d'avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent, car cela a
des chances de faire augmenter les taux de natalité. Dans ce dessein,
il convient, par des politiques adaptées (politique «familiale»,
conciliation entre vie professionnelle et vie familiale supposant
des systèmes de garde des enfants en bas âge, etc.), de permettre
aux parents potentiels de choisir librement le nombre de leurs enfants,
en levant les freins qui empêchent ce libre choix.
85. Le fait que les conditions de mortalité soient particulièrement
favorables par rapport aux autres régions du monde ne doit pas être
considéré comme un acquis. Il faut agir pour maintenir ces conditions
favorables, voire pour améliorer davantage l’espérance de vie en
bonne santé. Puisque le droit à la santé est un droit de l’homme,
cela suppose de poursuivre les efforts pour améliorer l’hygiène,
notamment à travers l’éducation à l’hygiène, et, parallèlement,
de renforcer les réseaux sanitaires et le contrôle sur l'utilisation
des produits chimiques (produits phytosanitaires, cosmétiques, perturbateurs
endocriniens, etc.).
86. Même si les migrations ne peuvent pas constituer une solution
permanente aux défis démographiques de l’Europe, des politiques
migratoires proactives pourraient améliorer la situation. Pour mieux
utiliser l’important afflux de migrants que connaît actuellement
l’Europe, les pays d’accueil devraient élaborer des stratégies politiques
à long terme, fondées sur les besoins du marché du travail, qui
favorisent l’intégration des migrants et encouragent leur entrée
rapide sur le marché du travail.
87. A travers l’ensemble de ses réglementations, tout pays a une
politique migratoire, même si elle ne fait pas l’objet d’une formulation
explicite. Il est juste que les Etats, de même qu’ils se choisissent
une politique étrangère, une politique économique ou une politique
sociale, réfléchissent à leur politique migratoire, souhaitable
pour le pays et conforme au bien commun comme aux intérêts de leur
population. Cette réflexion doit se fonder sur des valeurs, comme
celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ou
dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
Elle doit également prendre en compte le principe de réalité, ce
qui suppose de bien connaître la dynamique démographique du pays
et les besoins de son marché du travail
.
88. Face au vieillissement de la population qui s’accentue et
parfois au dépeuplement, la politique migratoire de chaque pays
doit s’adapter. Cela suppose, par exemple, que les gouvernements
prennent des mesures pour inciter les jeunes à rester dans leurs
pays d'origine où s'observent de forts taux d'émigration, ce qui limitera
les effets du vieillissement.
89. Au sein des pays du Conseil de l’Europe, l’intensité de l’hiver
démographique est variable selon les pays, engendrant des évolutions
qui peuvent être divergentes. Il en résulte que les politiques migratoires
ne devraient pas être nécessairement les mêmes, mais dépendre de
la dynamique propre à la population concernée.