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Résolution 2161 (2017)
Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes
1. L’Assemblée parlementaire souligne
l’importance de l’instrument efficace de coopération internationale dans
la lutte contre la criminalité transnationale, notamment contre
le terrorisme, que représente Interpol.
2. Interpol repose sur l’entraide entre les services répressifs
nationaux et devrait fonctionner dans une parfaite neutralité et
dans le respect des droits de l’homme des suspects.
3. Le système des notices internationales permet à la police
des pays membres de partager des informations essentielles en matière
pénale. Les services de police peuvent les utiliser pour alerter
les services répressifs d’autres pays de risques éventuels ou pour
demander leur assistance afin d’élucider des affaires criminelles.
Les «notices rouges», en particulier, permettent de demander la
localisation et l’arrestation d’une personne recherchée par une
juridiction nationale ou un tribunal international, en vue d’obtenir
son extradition. Le nombre de notices rouges a considérablement
augmenté ces dix dernières années.
4. L’article 2 de son statut impose à Interpol d’agir dans l’esprit
de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article
3 lui interdit rigoureusement toute intervention ou activité à caractère
politique, militaire, religieux ou raciste. Mais, ces dernières
années, dans un certain nombre de cas, Interpol et son système de notices
rouges ont été abusivement détournés par certains États membres
à des fins politiques, en vue de réprimer la liberté d’expression
ou de persécuter des opposants politiques à l’étranger.
5. Les notices rouges ont de graves effets préjudiciables aux
droits de l’homme des personnes visées, y compris les droits à la
liberté et à la sûreté et le droit à un procès équitable. Il importe
par conséquent que les notices rouges soient demandées par un Bureau
central national (BCN) et diffusées par Interpol uniquement lorsqu’il
existe de sérieuses raisons de soupçonner la personne visée. Ces
motifs devraient être vérifiés selon une procédure conçue pour minimiser
la possibilité de recours abusifs, sans entraver la coopération
policière internationale dans l’immense majorité des situations
légitimes.
6. Les personnes visées ne peuvent contester avec succès les
notices rouges devant aucune juridiction nationale ou internationale.
Cette immunité de juridiction ne peut se justifier que dans la mesure
où un mécanisme de recours interne offre un recours effectif au
sens des normes applicables en matière de droits de l’homme. À cet
égard, il a été reproché à la Commission de contrôle des fichiers
d’Interpol (CCF) de ne pas être en mesure de traiter le nombre important
et croissant de plaintes de plus en plus complexes.
7. L’Assemblée constate qu’Interpol a réagi à ces critiques en
engageant un dialogue intégrant la société civile. Le Groupe de
travail sur la réforme des mécanismes de traitement de l’information
d’Interpol a présenté un certain nombre de propositions de réforme,
qui ont été adoptées lors de l’Assemblée générale d’Interpol à Bali
(Indonésie) en novembre 2016. Parmi les améliorations récentes,
y compris celles qui ont été décidées à Bali, figurent:
7.1. le renforcement supplémentaire
de la procédure de vérification interne d’Interpol préalable à la publication
des notices rouges, par la mise en place d’une équipe spéciale composée
de juristes, de policiers et d’analystes;
7.2. la nomination d’un agent de protection des données au
sein du secrétariat général d’Interpol;
7.3. le renforcement de la CCF, dont le nouveau statut est
entré en vigueur en mars 2017, réalisé notamment en séparant ses
fonctions consultatives de ses fonctions de recours, en augmentant
à cinq le nombre des membres de la chambre chargée des recours,
en définissant un calendrier de travail clair, en conférant à ses
conclusions un caractère contraignant pour Interpol et en accroissant
les ressources mises à sa disposition.
8. L’Assemblée se félicite de ces réformes, car ces mesures vont
toutes dans le bon sens. Elle souligne l’importance de leur mise
en œuvre et appelle Interpol à poursuivre l’amélioration de sa procédure
de notice rouge, afin de prévenir et de réparer plus efficacement
les recours abusifs, notamment:
8.1. en
intensifiant encore les vérifications préventives effectuées avant
la diffusion des notices rouges, en particulier:
8.1.1. en
renforçant les capacités de l’équipe spéciale d’Interpol chargée
de ces vérifications grâce à l’augmentation des ressources mises
à sa disposition;
8.1.2. en veillant à ce que les informations relatives aux affaires
pertinentes mises à disposition par les organes intergouvernementaux
internationaux ou régionaux de protection des droits de l’homme
(notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et
les organes compétents du Conseil de l’Europe) et, le cas échéant,
par les organisations non gouvernementales de défense des droits
de l’homme soient dûment prises en compte;
8.1.3. en publiant des interprétations suffisamment détaillées
et faisant autorité («recueils de pratiques») des articles 2 et
3 du statut et de la politique d’Interpol à l’égard des réfugiés
et du droit d’asile;
8.1.4. en réexaminant périodiquement les notices rouges pour
veiller à ce qu’elles soient supprimées lorsqu’elles n’ont pas donné
lieu à une réponse favorable aux demandes d’extradition dans un
délai raisonnable;
8.1.5. en examinant avec une attention particulière les demandes
répétées de notices rouges qui émanent du même BCN et visent la
même personne, lorsque des demandes antérieures ont été soit rejetées
par Interpol, soit supprimées sur décision de la CCF;
8.2. en renforçant le mécanisme de recours de la CCF:
8.2.1. en établissant son indépendance complète vis-à-vis d’Interpol,
notamment en continuant à veiller à ce que les agents qui procèdent
aux vérifications préventives ne participent pas à l’appréciation
des plaintes déposées contre les notices rouges qui ont satisfait
à ces contrôles;
8.2.2. en renforçant ses capacités, notamment en mettant à sa
disposition un personnel suffisant et qualifié dans les domaines
des droits de l’homme, du droit pénal et de la procédure pénale;
8.2.3. en veillant à ce que la CCF respecte les normes procédurales
minimales, en particulier en permettant aux personnes visées et
à leurs avocats d’être informés des motifs de la demande de notice
rouge invoqués par le BCN, auteur de la demande, et de formuler
des observations à leur sujet;
8.2.4. en veillant à ce que la CCF réagisse aux recours déposés
et statue à leur sujet dans un délai raisonnable, compte tenu de
la gravité des conséquences d’une notice rouge pour la personne
qui en fait l’objet;
8.2.5. en veillant à ce que la CCF publie ses décisions, sous
réserve de l’accord des requérants; ces décisions doivent être suffisamment
motivées pour contribuer à l’élaboration d’une jurisprudence cohérente
et prévisible;
8.3. en traitant de manière appropriée avec les BCN qui ont
fait à plusieurs reprises des demandes abusives de publication de
notices rouges, en particulier:
8.3.1. en conservant des
statistiques sur les notices rouges supprimées en amont par le mécanisme
préventif d’Interpol et en aval à l’occasion de leur contestation
aboutie devant la CCF;
8.3.2. en soumettant les nouvelles demandes de notices rouges
qui émanent de BCN auteurs d’un grand nombre de demandes abusives
à un examen préalable plus intensif;
8.3.3. en donnant également priorité à l’examen, par la CCF,
des plaintes déposées contre les notices rouges demandées par les
BCN auteurs d’un grand nombre de demandes abusives;
8.3.4. en mettant à la charge des BCN qui soumettent un grand
nombre de demandes abusives les coûts budgétaires supplémentaires
occasionnés par l’examen plus intensif qu’elles exigent;
8.4. en mettant en place un fonds d’indemnisation des victimes
de notices rouges abusives ou injustifiées, financé par les États
membres à proportion du nombre de notices rouges injustifiées demandées
par leur BCN.
9. L’Assemblée appelle tous les États membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à donner le bon exemple en veillant
à ce que les demandes de notices rouges de leur propre BCN précisent
clairement la personne visée, l’infraction présumée et les éléments
de preuve qui établissent un lien entre la personne visée et le
crime prétendu;
9.2. à communiquer rapidement à Interpol les informations pertinentes
sur les personnes visées par les notices rouges (par exemple l’octroi
de l’asile politique et les décisions de justice qui rejettent les demandes
d’extradition);
9.3. à s’abstenir de procéder à des arrestations sur la base
de notices rouges lorsqu’ils ont de sérieux motifs d’inquiétude
qui laissent à penser que la notice en question peut être abusive;
9.4. à user de leur influence au sein d’Interpol pour veiller
à la mise en œuvre des réformes nécessaires, afin qu’Interpol respecte
les droits de l’homme et l’État de droit, tout en demeurant un outil efficace
pour une coopération policière internationale légitime.