Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14335 | 07 juin 2017

Les migrations, une chance à saisir pour le développement européen

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Andrea RIGONI, Italie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13974, Renvoi 4196 du 22 avril 2016. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

Le présent rapport contredit les idées reçues selon lesquelles les migrants menaceraient les populations locales en volant leurs emplois et en exploitant les régimes de sécurité sociale. Il démontre par des exemples concrets de quelle manière les migrants contribuent à la croissance économique et à la richesse nationale. Il attire l’attention des autorités des États membres et de leurs sociétés sur l’incidence positive des migrations sur le développement économique en Europe. Il analyse les politiques européennes qui permettraient de tirer pleinement parti des possibilités offertes par l’immigration.

Ce rapport propose des mesures concrètes dans une approche gagnant-gagnant du phénomène migratoire en Europe, en tirant les enseignements des erreurs passées et en s’adaptant aux changements rapides de notre société. Il présente également les avantages qui découlent du fait d’accepter les demandeurs d’asile et les réfugiés et de leur permettre de régulariser leur situation.

Les États membres du Conseil de l’Europe sont encouragés à assurer la collecte, l’analyse et le suivi d’informations sur leurs besoins en main d’œuvre en vue d’élaborer des stratégies migratoires porteuses d’avenir et de répondre à leurs besoins dans différents secteurs de l’économie. Ils devraient promouvoir des programmes nationaux ciblés de régularisation de migrants en situation irrégulière et élaborer des normes européennes en matière de qualifications et de compétences afin de faciliter la reconnaissance des qualifications et l’évaluation des compétences des migrants.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 avril
2017.

(open)
1. Le développement économique de l'Europe dépend de sa capacité à mieux utiliser les compétences et les talents des personnes et de promouvoir des technologies et entreprises innovantes. Dans un contexte de crise politique et économique en Europe, tout doit être mis en œuvre pour construire des sociétés cohésives qui permettent à chacun de leurs membres de participer pleinement et activement à leur développement et à leur croissance économique.
2. Le nombre de migrants, y compris les réfugiés et les migrants économiques, a considérablement augmenté ces dernières années et cette vague migratoire présente un certain nombre de défis et d'opportunités pour l'Europe. L'absence d'une politique migratoire coordonnée au niveau européen a favorisé la montée des peurs irrationnelles au sein de la population européenne, lesquelles ont été ensuite exploitées par certaines forces politiques et certains médias qui ont donné une image déformée de la migration, présentée comme une menace.
3. L'Assemblée parlementaire est très préoccupée par cette approche négative des migrations. En fait, il existe un écart entre la réalité de la situation économique et démographique de l'Europe et la perception négative générale des conséquences des migrations. Les pénuries de main-d'œuvre dans un certain nombre de secteurs, notamment l'agriculture, la construction, l'hôtellerie, la restauration, l'informatique et les services financiers, ainsi que le vieillissement de la population dû à la fois à une augmentation de l'espérance de vie et à de faibles taux de natalité sont autant de facteurs qui entraînent une réduction significative de la part de la population en âge de travailler et qui montrent que les migrations pourraient être très bénéfiques pour l'Europe si seulement les mesures politiques nécessaires étaient mises en œuvre.
4. Au cours de la dernière décennie, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les migrants ont représenté 70 % de l’augmentation de la main-d’œuvre en Europe. Ces dernières années, ils ont représenté 15 % des primo-entrées sur le marché du travail dans des secteurs à forte croissance, tels que la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. Dans certains pays européens, la population n’a pu augmenter ces dernières années que grâce aux afflux migratoires. De plus, les migrants apportent de la diversité aux pays européens, contribuent aux échanges culturels et ont un impact important sur les arts, le sport, la mode, les médias et la gastronomie.
5. L’Assemblée estime qu’il est urgent de lutter contre la rhétorique négative utilisée contre les migrations et de porter à l’attention du public la preuve économique de leurs avantages pour la société européenne. Tous les acteurs publics et privés devraient participer à l’élaboration de nouvelles politiques migratoires pour l’Europe, fondées sur des données factuelles et centrées sur son potentiel de développement.
6. L’Assemblée considère qu’il est nécessaire, pour tirer un parti maximum des migrations en Europe, d’éliminer un certain nombre d’obstacles bureaucratiques et de formes de discrimination ouverte ou dissimulée envers les migrants, qui freinent leur intégration dans les sociétés d’accueil.
7. Elle considère également que, pour prendre l’avantage sur la concurrence mondiale et attirer les meilleurs spécialistes, les pays européens doivent renforcer la transparence sur le marché du travail et ménager davantage de voies légales de migration vers l’Europe.
8. L'Assemblée souligne que, pour exploiter les avantages des migrations, il faudrait mettre en œuvre des politiques bien conçues, notamment au niveau local, qui favoriseraient la connaissance des différentes cultures et traditions tout en intégrant les migrants dans les sociétés d'accueil. Ces politiques permettraient de prévenir les risques de conflits et de rompre avec l’image négative des migrants.
9. L'Assemblée est convaincue que, pour faciliter des migrations mutuellement bénéfiques en Europe, les États membres devraient prendre des mesures concrètes dans des domaines qui ont une incidence positive sur ce processus. Par conséquent, elle recommande aux États membres:
9.1. d’améliorer la législation nationale:
9.1.1. en simplifiant les procédures de migration pour les travailleurs qualifiés dont les compétences répondent aux besoins économiques nationaux;
9.1.2. en élaborant des règlements clairs sur l'emploi des migrants non qualifiés et des travailleurs saisonniers et domestiques;
9.1.3. en accélérant la procédure d’asile et en permettant aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail avant même l’achèvement de la procédure;
9.1.4. en introduisant le droit de vote et de se présenter aux élections locales pour tous les migrants réguliers qui ont résidé au moins cinq ans dans le pays hôte;
9.1.5. en introduisant des dispositions pertinentes sanctionnant la discrimination à l'égard des migrants;
9.2. de faciliter l'accès des migrants au marché du travail:
9.2.1. en élaborant des politiques et des plans d'action qui favorisent l'inclusion des femmes migrantes dans le marché du travail et répondent à leurs besoins spécifiques;
9.2.2. en améliorant les conditions d’accueil pour les étudiants et les chercheurs les plus brillants issus de pays non européens et en leur proposant des offres d’emploi attrayantes;
9.2.3. en encourageant une coopération efficace entre les gouvernements et les milieux d’affaires pour concevoir et financer les formations professionnelles pour les migrants;
9.2.4. en soutenant les initiatives commerciales des migrants en proposant des microcrédits;
9.2.5. en invitant des représentants des secteurs public et privé ainsi que des syndicats et des organisations de migrants à participer à la révision des politiques migratoires nationales;
9.3. de promouvoir des sociétés inclusives en créant les conditions nécessaires à la participation pleine et active des migrants à tous les domaines de la vie:
9.3.1. en mettant en place des programmes nationaux de régularisation ciblés en faveur des migrants irréguliers;
9.3.2. en encourageant et en soutenant financièrement des initiatives locales, notamment des initiatives d’organisations de migrants visant à améliorer la participation des migrants à la vie des communautés locales;
9.3.3. en donnant à tous les migrants la possibilité d’accéder gratuitement à des cours d'orientation civique dans le pays d’accueil;
9.3.4. en offrant aux migrants des possibilités d’apprentissage des langues;
9.3.5. en veillant à ce que des cours de langue et d’éducation à la citoyenneté soient organisés pour les demandeurs d’asile et les réfugiés;
9.3.6. en élaborant des programmes éducatifs dans les écoles pour favoriser la connaissance des différentes cultures, langues et religions;
9.3.7. en encourageant les migrants à participer activement aux activités des partis politiques, des syndicats, et des associations de migrants et de diasporas;
9.3.8. en facilitant les processus de naturalisation des migrants résidant dans le pays d’accueil depuis au moins cinq ans;
9.4. de coopérer pour créer un système européen qui faciliterait la protection sociale de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, protégerait les droits sociaux et économiques fondamentaux que le système de traités de la Charte sociale européenne garantit et s’appuierait sur les normes du Code européen de sécurité sociale (STE no 48) et de son Protocole (STE no 48A).
10. L’Assemblée encourage le Conseil de l’Europe, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’OCDE et l’Union européenne à renforcer leur coopération en vue de promouvoir une image positive des migrants en Europe en développant des activités communes dans les domaines du développement social, économique et humain.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 avril 2017.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2017) «Les migrations, une chance à saisir pour le développement européen», souligne que les États membres devraient prendre des mesures concrètes pour veiller à ce que les migrations vers l'Europe aient des conséquences bénéfiques aussi bien pour les migrants que pour les pays d'accueil et pour tirer un parti maximum de l’incidence de ces migrations sur les sociétés européennes.
2. L'Assemblée se félicite du travail considérable qui a été accompli dans ce domaine par divers organes et institutions du Conseil de l'Europe, notamment les activités intergouvernementales, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe et le Représentant spécial du Secrétaire général sur les migrations et les réfugiés. Elle regrette cependant qu’il n’y ait aucun organe intergouvernemental au Conseil de l’Europe qui soit chargé spécifiquement de promouvoir les normes du Conseil dans les États membres.
3. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’envisager la possibilité de créer, éventuellement sous la forme d’un accord partiel élargi en coopération avec l’Union européenne, un observatoire européen des migrations et du développement interculturel pour aider les États membres du Conseil de l’Europe à élaborer des stratégies, des cadres juridiques et des plans d’action, ainsi que des projets spécifiques dans le domaine des migrations.

C. Exposé des motifs, par M. Andrea Rigoni, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Différents moyens permettant de renforcer le rôle positif des migrations ont été présentés dans plusieurs rapports et résolutions de l’Assemblée parlementaire, en particulier la récente Résolution 2124 (2016) sur les réseaux éducatifs et culturels des communautés de migrants et des diasporas, la Résolution 2006 (2015) «Intégration des immigrés en Europe: la nécessité d’une politique volontaire, continue et globale» et la Résolution 1972 (2014) «Assurer que les migrants constituent une richesse pour les sociétés d’accueil européennes» 
			(3) 
			Doc. 14069, rapport de la commission de la culture, de la science,
de l’éducation et des médias, rapporteur: (M. Pierre-Yves Le Borgn’); Doc. 13530, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées (rapporteure: Mme Marietta
Karamanli), et Doc. 13367, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées (rapporteure: Mme Athina
Kyriakidou)., dans lesquels l’Assemblée a examiné des questions diverses, à savoir: la reconnaissance des qualifications; l’accès au marché du travail pendant la procédure de demande d’asile; les possibilités d’emploi pour les étudiants étrangers; la participation des acteurs privés à l’identification des pénuries de main-d’œuvre dans différents secteurs de l’économie; et l’élaboration de stratégies communes avec les gouvernements.
2. J’ai entrepris le présent rapport dans le prolongement de mon précédent rapport sur «La participation démocratique des diasporas de migrants» et de la Résolution 2043 (2015) adoptée par l’Assemblée en 2015 
			(4) 
			Doc. 13648, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées (rapporteur: M. Andrea Rigoni).. Cette résolution souligne l’importance de la participation des diasporas au développement économique, social et culturel de leur pays de résidence. Le présent rapport exprime également une réaction face au discours xénophobe et hostile aux migrants qui se développe dans de nombreux pays européens sous l’effet de la crise en cours relative aux migrants et aux réfugiés. Il contredit les idées reçues selon lesquelles les migrants menaceraient les populations locales en volant leurs emplois et en exploitant les systèmes de sécurité sociale. Il démontre par des exemples concrets de quelle manière les migrants contribuent à la croissance économique et à la richesse nationale. Il attire l’attention des autorités des États membres et de leurs sociétés sur l’incidence positive des migrations sur le développement économique en Europe et analyse les politiques européennes qui permettraient de tirer pleinement parti des possibilités offertes par l’immigration.
3. Dans ce rapport, j’emploie le terme de «migrants» au sens strict, c’est-à-dire désignant les migrants en situation régulière et les réfugiés reconnus. Néanmoins, dans les passages qui portent sur les problèmes particuliers des demandeurs d’asile ou des migrants en situation irrégulière, je précise clairement de quelle catégorie de personnes il s’agit.
4. Ce rapport a pour but de proposer des mesures concrètes dans une approche gagnant-gagnant du phénomène migratoire en Europe, en tirant les enseignements des erreurs passées et en s’adaptant aux changements rapides de notre société. Il présente également les avantages qui découlent du fait d’accepter les demandeurs d’asile et les réfugiés et de leur permettre de régulariser leur situation.
5. Pendant la préparation du présent rapport, j’ai effectué deux visites d’information au Luxembourg (20- 21 décembre 2016) et au Royaume-Uni (11-12 janvier 2017) et je tiens à remercier les délégations nationales de ces deux pays ainsi que leurs secrétariats pour leur soutien dans l’organisation de ces missions. Le rapport rend compte des constatations faites au cours de ces missions

2. Contribution des migrants au développement de l’Europe

6. La crise des réfugiés, qui a été provoquée par un certain nombre de conflits armés dans des régions voisines de l’Europe, a créé un important afflux de migrants vers cette région au cours des dernières années. Beaucoup de pays européens ont fait preuve de solidarité et d’empathie en accueillant des réfugiés; malheureusement, en raison de l’image déformée des migrants présentée par les médias et la manipulation de certains partis politiques, les idées reçues selon lesquelles les migrants menaceraient les populations locales en volant leurs emplois et en exploitant les systèmes de sécurité sociale sont devenues un thème dominant dans la population européenne. En effet, 52 % des résidents de l’Union européenne ont exprimé une opinion négative à l’égard de l’augmentation des flux migratoires à destination de l’Europe 
			(5) 
			Tendances
de la migration dans le monde, fiche d’information 2015, Organisation
internationale pour les migrations (OIM), avril 2016..
7. Cette opinion négative à l’égard des flux migratoires a entraîné une crise politique en Europe ainsi qu’une montée significative des mouvements populistes anti-migrants, inspirés par certains partis de droite. La question des migrations, qui a été exploitée et manipulée par les partis pro-Brexit, a été une des principales causes du vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. De manière générale, le problème des migrations en Europe a montré qu’il existait un grand écart entre la réalité de la situation et l’image qu’elle véhicule.
8. Or la réalité dans le monde d’aujourd’hui est que les migrants représentent plus d’un milliard de personnes. Parmi les 10 premiers pays qui accueillent des migrants, cinq sont européens: l’Allemagne (12 millions de migrants enregistrés), la Fédération de Russie (11,9 millions), la France (7,8 millions) et l’Espagne (5,8 millions). Un certain nombre de pays européens ont une part importante de leur population qui vit à l’étranger: la Bosnie-Herzégovine (avec 43 % de la population vivant à l’étranger), l’Albanie (plus de 39 %), l’Arménie (plus de 31 %), le Portugal (plus de 22 %) et l’Irlande (19 %) 
			(6) 
			Ibid.,
p. 5..
9. Les flux migratoires vers l’Europe ne feront qu’augmenter, non seulement en raison de la crise en Syrie, en Irak et en Libye, mais aussi en raison de la mondialisation du marché du travail et du désir naturel de chacun de trouver un meilleur emploi et de meilleures conditions de vie. Le changement climatique et les catastrophes naturelles auront également une influence sur le processus de migration. En conséquence, les politiques qui visent à fermer les frontières et à édifier des murs n’auront jamais les résultats escomptés. Les populations continueront de se déplacer et toute restriction supplémentaire ne fera qu’augmenter les migrations irrégulières.
10. En outre, le développement économique, démographique et culturel de l’Europe montre bien que, contrairement à la rhétorique négative, l’espace européen a besoin de migrants pour sa croissance et sa prospérité futures.

2.1. Contribution à la croissance économique

11. Au cours de la dernière décennie, les migrants ont participé à hauteur de 70 % à l’augmentation de la main-d’œuvre en Europe. Ces dernières années, ils ont représenté 15 % des primo-entrées sur le marché du travail dans des secteurs à forte croissance, tels que la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques 
			(7) 
			Is
migration good for the economy?, Débat sur les politiques migratoires,
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
mai 2014. . Selon les prévisions, la demande en travailleurs hautement qualifiés en Europe devrait augmenter considérablement d’ici à la fin de l’année 2020, jusqu’à atteindre 13,5 millions de personnes.
12. De nombreux pays européens, en particulier les membres de l’Union européenne, connaissent une pénurie de main-d’œuvre dans un certain nombre de secteurs économiques, comme l’agriculture, la construction, l’hôtellerie, la restauration, l’informatique et les services financiers, qui est en partie comblée par les migrants.
13. En outre, les migrants acceptent aussi plus facilement les emplois qui n’attirent pas les populations locales, notamment dans certains secteurs tels que le nettoyage, la restauration et les emplois de maison pour les femmes, ainsi que les travaux agricoles, la construction, et les emplois semi-qualifiés dans l’industrie manufacturière pour les hommes. Au Luxembourg par exemple, des secteurs de l’économie comme la construction, l’hôtellerie et la restauration dépendent totalement des travailleurs migrants. En outre, les migrants saisonniers constituent une part importante de la main-d’œuvre agricole.
14. Contrairement à la plupart des discours populistes hostiles aux migrants qui affirment que ces derniers sont une lourde charge pour le système de protection sociale, une étude récente de l’OCDE sur l’impact budgétaire des migrations dans tous les pays européens membres de l’OCDE a montré que les migrants contribuent plus aux impôts et aux cotisations sociales qu’ils ne reçoivent de prestations individuelles 
			(8) 
			Ibid., p. 2.. Au Luxembourg et en Suisse, les migrants fournissent un bénéfice net estimé d’environ 2 % du produit intérieur brut (PIB) pour les deniers publics 
			(9) 
			Ibid.. Par conséquent, des mesures qui faciliteraient leur accès à l’emploi ne permettraient pas seulement de répondre à leurs besoins vitaux, mais dynamiseraient le développement économique de leur pays d’accueil.
15. Des exemples de pays tels que le Royaume-Uni et le Luxembourg démontrent que les migrants qualifiés contribuent énormément aux avancées économiques et scientifiques de ces pays. Parmi les pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni attire le plus grand nombre de migrants diplômés de l’enseignement supérieur qui travaillent principalement dans les secteurs de la finance, de la technologie et des médias 
			(10) 
			Alan
Travis, Mass EU migration into Britain is actually good news for
UK economy, The Guardian,
18 février 2016.. En général, les migrants qualifiés contribuent davantage au pays d’accueil que la population autochtone, car le pays d’accueil ne supporte pas les frais liés à leur éducation et formation professionnelle.
16. Les migrations jouent un rôle important dans le développement du secteur privé. Les migrants sont très intéressés par la création de liens commerciaux avec leurs pays d’origine et partagent des idées novatrices avec des entreprises privées, notamment sur la façon de combler les lacunes du marché et de tirer un meilleur profit des possibilités existantes. Ils peuvent également donner des avis sur le transfert de technologies et les possibilités d’investissement.
17. En général, les migrants ont plutôt tendance à compléter la main-d’œuvre locale qu’à la remplacer, car la législation du travail favorise les employés locaux dans de nombreux pays européens. Cependant, dans certains cas, les migrations peuvent effectivement augmenter le chômage dans la population locale, un phénomène qui a été signalé dans le sud de la Turquie, où ont afflué de très nombreux réfugiés syriens. Les membres de la population locale qui ont fini par perdre leur emploi travaillaient principalement dans le secteur informel. Or celui-ci était le seul à pouvoir offrir des emplois aux réfugiés, ce qui a créé une concurrence tendue sur le marché du travail local 
			(11) 
			Klaus Zimmermann, Refugee
and Migrant Labour Market Integration: Europe in Need of a New Policy
Agenda, l’université de Princeton et UNU-MERIT, 29 septembre 2016..
18. Il est très important de mentionner la contribution que les migrants apportent à leur pays d’origine au moyen des transferts de fonds, du transfert de connaissances et de la création d’entreprises communes. Dans certains pays comme l’Arménie et la République de Moldova, les fonds envoyés par les migrants représentent respectivement 14 % et 25 % du produit intérieur brut (PIB) national.
19. Avec la mondialisation du marché du travail, les pays se font concurrence pour attirer chez eux les spécialistes les plus qualifiés au monde. À l’avenir, cette quête des cerveaux deviendra de plus en plus acharnée et seuls les pays offrant les meilleures conditions de vie aux migrants qualifiés, garantissant leur sécurité, des niveaux de vie élevés et leur inclusion sociale ainsi que celle de leur famille obtiendront la main-d’œuvre la plus qualifiée.

2.2. Incidence sur l’évolution démographique de la population

20. Selon l’analyse faite par Mme Kristin Ørmen Johnsen dans son rapport sur l’incidence de la dynamique démographique européenne sur les politiques migratoires 
			(12) 
			Doc.14143, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées., la tendance au vieillissement de la population européenne ne peut que s’accélérer, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie et de l’insuffisance des taux de fécondité. Il en résultera un déclin de la main-d’œuvre qui créera inévitablement le besoin d’attirer de jeunes migrants qualifiés.
21. Des politiques migratoires volontaires pourraient améliorer considérablement la situation démographique en Europe. Des données statistiques récentes montrent que dans certains pays européens, la croissance de la population n’a été rendue possible que par un afflux de migrants. La réduction de la main-d’œuvre en Europe aura de fortes répercussions économiques, car un nombre plus restreint de personnes contribuera à financer les retraites, la consommation diminuera et la protection sociale sera limitée. Comme la majorité des migrants viennent en Europe pour travailler et sont en âge de le faire (entre 22 et 45 ans), leur inclusion dans la main-d’œuvre européenne contribuera à diminuer le taux de dépendance.
22. En Allemagne, qui enregistre un solde démographique naturel négatif, l’augmentation de la population en 2015 n’est due qu’à la croissance démographique de la population issue de l’immigration qui représente aujourd’hui 21 % de la population totale du pays 
			(13) 
			Population with a migrant
background at record high, DESTATIS, communiqué de presse, 16 septembre
2016..
23. Au Luxembourg, la population étrangère a contribué à un accroissement démographique naturel qui affiche un excédent de 2 150 naissances, contre un déficit de naissances de -18 au sein de la population autochtone 
			(14) 
			Rapport «Migration
internationale au Luxembourg. Système d’observation permanente des
migrations internationales (SOPEMI)», octobre 2016, Olai, 19 décembre
2016..
24. En Écosse, selon des données fournies par un expert de l’association des collectivités locales d’Écosse (COSLA), 90 % de l’accroissement projeté de la population dans les 10 ans à venir sera dû à l’immigration, partant de l’hypothèse que l’immigration nette actuelle se poursuivra à un rythme constant.
25. Certes, les problèmes démographiques de l’Europe ne peuvent pas se résoudre uniquement par l’immigration; toutefois, les responsables politiques devraient mieux utiliser les flux migratoires en cours, en élaborant des stratégies migratoires à long terme qui répondent aux besoins actuels de l’économie européenne.

2.3. Incidences sur le développement culturel

26. Les migrants qui représentent des cultures et des traditions différentes apportent de la diversité et participent aux échanges culturels. Dans des pays tels que la Suisse et le Luxembourg, où les migrants représentent respectivement 26 % et 47 % de la population, la diversité culturelle s’inscrit désormais dans la vie quotidienne, avec de nouveaux modes de communication interculturels et d’échanges culturels.
27. Les migrations ont une grande incidence sur les sports en Europe. Les migrants sont souvent jeunes et choisissent des activités sportives comme un vecteur d’intégration dans la communauté locale. Ce grand intérêt fait que les pays d’accueil sont régulièrement représentés aux Jeux olympiques et à des championnats mondiaux par des athlètes professionnels d’origine étrangère.
28. L’influence culturelle des migrants a eu une grande incidence sur les tendances de l’art, de la mode et de la cuisine en Europe, au bénéfice de la diversité.
29. La présence importante de migrants dans certains pays européens a également influé sur les moyens de communication et de diffusion. Plusieurs émissions ont été élaborées à destination des migrants et avec leur participation. La production médiatique tend de plus en plus à se diversifier en Europe 
			(15) 
			Impact de l’immigration
sur les sociétés européennes, Réseau européen sur les migrations,
mars 2006, p. 11..
30. Les sociétés multiculturelles offrent de nouvelles perspectives et sont beaucoup plus attractives du point de vue économique; il en résulte que les pays qui accueillent une grande proportion d’étrangers atteignent un niveau de développement et réalisent des progrès économiques plus marqués.
31. Dans une perspective à long terme, les migrations peuvent avoir une incidence positive sur la société européenne, qui devient ainsi plus tolérante, plus diverse et plus ouverte d’esprit.

3. Comment faciliter des résultats gagnant-gagnant en rapport avec les migrations en Europe?

32. L’économie, la population et le développement culturel européens ont subi d’importantes transformations sous l’influence des flux migratoires; ce processus est irréversible, comme je l’ai mentionné précédemment. Notre tâche est de découvrir comment nous pouvons obtenir les meilleurs résultats gagnant-gagnant pour nos sociétés et pour le bien-être des migrants.
33. Plusieurs facteurs influencent directement l’impact des migrants sur le développement européen. Le principal facteur est l’accès des migrants au marché du travail. Dans ce domaine, malheureusement, les migrants sont confrontés à un certain nombre d’obstacles juridiques et administratifs qui empêchent leur intégration harmonieuse dans la main-d’œuvre européenne et les rendent vulnérables à l’exploitation et à la discrimination. D’autres facteurs importants sont l’intégration des migrants dans la société d’accueil et leur participation à la vie culturelle et politique.

3.1. Éliminer les obstacles et la discrimination entravant l’accès au marché du travail

34. Bien que de nombreux pays européens aient incontestablement besoin des travailleurs migrants, ceux-ci restent confrontés à des obstacles bureaucratiques et à des formes de discrimination ouverte ou dissimulée qui leur compliquent la vie et freinent leur intégration dans la société d’accueil.
35. Le dernier rapport «Perspectives des migrations internationales» de l’OCDE 
			(16) 
			Perspectives
des migrations internationales 2016, OCDE, p. 60-61. présente des résultats qui montrent que les taux d’emploi des migrants dans la plupart des pays de l’OCDE restent inférieurs à ceux des ressortissants nationaux, tandis que le taux de chômage des nouveaux migrants et des migrants installés dépasse celui de la population autochtone.
36. Les migrants nouvellement arrivés ont davantage de difficultés à trouver un emploi que les migrants installés car ils n’ont pas les compétences linguistiques du pays d’accueil, ont des problèmes pour faire reconnaître leurs diplômes, sont souvent surqualifiés et entrent en concurrence avec des personnes autochtones qui, dans de nombreux pays européens, ont la priorité en matière d’emploi sur les migrants. Ils éprouvent également des difficultés à obtenir des renseignements sur les possibilités d’emploi, les règlements et les obligations au niveau local, et n’ont pas les contacts qui pourraient leur communiquer ces informations. En outre, l’incertitude qui pèse sur leur statut au regard du droit de séjour limite considérablement leurs possibilités d’emploi.
37. Enfin, les migrants qui sont confrontés à des obstacles juridiques et administratifs sont très souvent contraints de travailler dans l’économie souterraine, où ils peuvent être exploités et soumis à des violences et abus.
38. Il est donc nécessaire d’inclure des dispositions régissant l’emploi des travailleurs migrants dans les législations nationales, et de réglementer clairement la délivrance des permis de travail et des visas d’admission temporaire avec autorisation de travailler. Il convient également de garantir la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles de cette population. Le droit du travail doit être simplifié pour les travailleurs qualifiés dont le profil répond aux besoins économiques du marché européen. Dans les secteurs à faibles qualifications et notamment les emplois de maison, la réglementation est quasi inexistante dans de nombreux pays européens. Il est indispensable d’élaborer des normes européennes communes sur l’emploi des migrants dans cette branche d’activité. En outre, pour les travailleurs saisonniers et faiblement qualifiés, les gouvernements doivent ménager des voies légales de migration afin de remplacer les méthodes illégales parfois employées par les migrants en situation irrégulière qui souhaitent accéder à des possibilités d’emploi.
39. Une attention particulière devrait être accordée à la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés. En effet, ceux-ci sont souvent confrontés à des restrictions administratives à l’accès au marché du travail, qui les empêchent notamment de devenir des travailleurs indépendants. Seul un petit nombre de pays européens offre un accès immédiat au marché du travail pour les demandeurs d’asile. Par exemple, la Grèce, la Norvège, le Portugal et la Suède n’appliquent aucune restriction à l’accès des demandeurs d’asile au marché de l’emploi, tandis qu’en Irlande et en Lituanie les demandeurs d’asile ne peuvent pas accéder au marché du travail durant toute la procédure 
			(17) 
			<a href=''>Challenges
in the Labour Market Integration of Asylum Seekers and Refugees, </a>Commission européenne, mai 2016, p. 7.. De plus, dans de nombreux pays d’accueil, l’accès adéquat des enfants de demandeurs d’asile et de réfugiés à l’éducation est également loin d’être garanti et devrait être assuré à un stade précoce de la procédure de détermination du statut de réfugié.
40. Il est également essentiel d’élaborer des normes européennes en matière de qualifications et de compétences, ce qui pourrait régler le problème de la reconnaissance des diplômes des migrants.
41. Pendant mes visites d’information au Luxembourg et au Royaume-Uni, les représentants syndicaux m’ont clairement fait savoir que les principaux obstacles auxquels les migrants étaient confrontés étaient très souvent l’application insuffisante de la législation du travail et la bureaucratisation du processus migratoire.
42. En ce qui concerne l’élaboration des politiques, il existe des lacunes importantes en matière de données et d’analyses sur l’incidence de la législation en vigueur sur les différentes catégories de migrants, et un manque de données statistiques sur leur participation à la main-d’œuvre européenne. Les pays européens doivent donc collecter ces renseignements sur une base régulière afin d’élaborer de nouvelles politiques migratoires fondées sur des données factuelles.
43. Des représentants des secteurs public et privé ainsi que des syndicats et des organisations de migrants doivent être invités à participer à la révision des législations nationales et des politiques de migration de main-d’œuvre.
44. Les réseaux de diasporas jouent également un rôle important car ils soutiennent les migrants nouvellement arrivés et leur communiquent les informations nécessaires sur les particularités du marché de l’emploi local et les règles administratives du pays d’accueil. Dans l’ensemble, les pays d’accueil devraient faciliter l’accès gratuit des migrants aux informations sur le marché de l’emploi, car il est essentiel de faire coïncider les besoins économiques des marchés locaux avec les compétences spécifiques des migrants.

3.1.1. Rôle du secteur privé

45. Le secteur privé a tout à gagner à aider les migrants à s’intégrer sans heurts dans la main-d’œuvre européenne.
46. Il existe de très bons exemples d’initiatives privées qui facilitent l’embauche des réfugiés. On peut citer le programme «Welcome Talent» de LinkedIn en Suède, qui permet de constituer des viviers de migrants talentueux pouvant être consultés par des recruteurs et de dispenser des formations aux migrants sur la façon de créer un profil LinkedIn efficace 
			(18) 
			<a href='https://linkedinforgood.linkedin.com/welcome-talent-se'>https://linkedinforgood.linkedin.com/welcome-talent-se.</a>.
47. En Allemagne, certaines entreprises qui exigent des travaux manuels qualifiés ont un besoin urgent de main-d’œuvre pour pourvoir des emplois vacants. De grandes sociétés, telles que Deutsche Telekom, Evonik, Bosch Group, Uniqlo et Siemens, mettent en place des formations, des stages et des bourses d’études pour les réfugiés 
			(19) 
			<a href='https://www.devex.com/news/the-role-of-the-private-sector-in-alleviating-the-refugee-crisis-87901'>https://www.devex.com/news/the-role-of-the-private-sector-in-alleviating-the-refugee-crisis-87901</a>.. D’autres entreprises, telles que Daimler, ont même demandé à la Bundestag d’adopter une législation accordant une autorisation de travailler aux réfugiés et aux demandeurs d’asile qui ont résidé un mois dans le pays 
			(20) 
			German Companies See
Refugees as Opportunity, Markus Dettmer, Carolina Katschak et Georg
Ruppert, Der Spiegel, 27 août
2015..
48. Le secteur sportif peut largement contribuer à promouvoir la participation des migrants et des réfugiés en matière sociale et d’emploi. En Allemagne, par exemple, le club de football Bayern de Munich a créé un «camp d’entraînement» pour les jeunes réfugiés qui bénéficient de repas, de cours d’allemand et d’équipements de foot. De plus, en février 2016, ce club a levé 1 million d’euros en organisant un match amical pour soutenir des projets d’intégration en Allemagne 
			(21) 
			<a href='https://www.devex.com/news/the-role-of-the-private-sector-in-alleviating-the-refugee-crisis-87901'>https://www.devex.com/news/the-role-of-the-private-sector-in-alleviating-the-refugee-crisis-87901</a>/, Participation du secteur privé..
49. En Finlande, certaines sociétés privées ont engagé un partenariat avec le gouvernement pour que les réfugiés disposent de comptes bancaires, de cartes de débit prépayées et de comptes de paiement mobile.
50. Il est intéressant de noter que les migrants ont souvent un intérêt plus marqué que la population autochtone pour l’entrepreneuriat. Au Royaume-Uni, par exemple, le travail indépendant est plus fréquent chez les migrants que dans la population autochtone. Au Luxembourg, certaines études ont montré que les migrants de première génération, en particulier ceux dotés d’un niveau d’instruction élevé, présentent un grand potentiel d’entrepreneuriat 
			(22) 
			Entrepreneurship and
immigration: evidence from GEM Luxembourg de Chiara Peroni, Cesare
Rillo et Francesco Sarracino, Economie
et Statistiques, mai 2015, p. 15.. Il est donc essentiel de soutenir les projets de création d’entreprise des migrants et pour cela, de supprimer les obstacles bureaucratiques qui freinent leur accès au crédit et aux documents nécessaires, en leur fournissant l’appui logistique et les formations professionnelles dont ils ont besoin.
51. Le secteur privé peut également soutenir les initiatives entrepreneuriales des migrants en leur fournissant des microcrédits. Les entreprises peuvent également s’appuyer sur les connaissances privilégiées des migrants lorsqu’elles élaborent des projets d’investissement dans le pays d’origine de ceux-ci, lequel peut ainsi bénéficier de créations d’emplois et de possibilités de développement.
52. Les gouvernements doivent collaborer activement avec le secteur privé pour établir des politiques migratoires efficaces qui répondent aux pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs concrets de l’économie. Ils doivent promouvoir une coopération efficace, en concevant et en finançant les formations professionnelles nécessaires pour les migrants, tout en élaborant des stratégies qui les encouragent à travailler dans des secteurs moins attractifs, comme l’agriculture et la fabrication.
53. Les autorités gouvernementales doivent également encourager le secteur privé à employer des réfugiés en informant les entreprises des avantages potentiels de la diversification culturelle de leur main-d’œuvre.

3.2. Construire des sociétés inclusives

54. Le thème de l’intégration des migrants est devenu un sujet brûlant dans le débat politique. Dans son rapport, Mme Susanna Huovinen examine les aspects particuliers de l’intégration des réfugiés en période de fortes pressions 
			(23) 
			L’intégration
des réfugiés en période de fortes pressions: enseignements à tirer
de l’expérience récente et exemples de bonnes pratiques (rapporteure:
Mme Susanna Huovinen, Finlande, SOC).. À mon avis, l’échec des politiques d’intégration dans bon nombre de pays européens donne une connotation négative au terme «intégration». De nombreux acteurs perçoivent l’intégration des migrants comme un processus obligatoire d’acquisition de connaissances linguistiques et d’initiation au fonctionnement de la société d’accueil qui précède l’octroi du statut de résident. Les connaissances linguistiques sont devenues un indicateur d’intégration des migrants dans la société d’accueil; or la réalité montre que même dotés d’une parfaite maîtrise de la langue du pays d’accueil, les migrants peuvent être isolés et même se radicaliser.
55. Je pense donc que l’intégration doit être remplacée par un processus d’inclusion sociale, qui vise à créer les conditions nécessaires à la participation pleine et active de chaque membre de la société à tous les domaines de la vie, y compris les activités civiques, sociales, économiques et politiques, ainsi qu’au processus de prise de décisions. L’inclusion sociale doit mettre chaque personne à contribution – et pas seulement les migrants; chacun doit apprendre à vivre dans une communauté multilingue, multiculturelle et plurireligieuse.
56. Le Conseil de l’Europe est l’une des premières organisations internationales à avoir élaboré un plan d’action sur la construction de sociétés inclusives 
			(24) 
			Plan
d’action sur la construction de sociétés inclusives (2016-2019),
CM(2016)25, 2 mars 2016., qui propose une palette de mesures visant à aider ses États membres à gérer la diversité en Europe, en promouvant la compréhension et le respect mutuels. Ce plan d’action comprend plusieurs initiatives importantes, telles que présentées par un groupe de travail sur les qualifications des réfugiés, à savoir: la création de l’«Alliance parlementaire contre la haine», et la promotion des «Lignes directrices sur la prévention de la radicalisation et des manifestations de haine au niveau local» adoptées par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. Je suis heureux de mentionner que ce plan d’action reprend également l’idée de notre commission de créer un «réseau parlementaire européen sur les politiques relatives aux diasporas» et que ce réseau sera lancé en septembre 2017 à Lisbonne.
57. La sécurité sociale des migrants constitue l’un des aspects les plus importants de leur processus d’inclusion. En règle générale, la protection sociale est l’une des conditions de l’inclusion sociale et constitue un excellent investissement dans le développement économique du pays. Les pouvoirs locaux jouant un rôle central dans le processus d’inclusion sociale, il est très important de promouvoir des initiatives locales positives qui peuvent ensuite être adoptées à l’échelle européenne.
58. En France, un réseau de villes solidaires a été créé pour partager les bonnes pratiques d’accueil des réfugiés et mobiliser les citoyens dans ce sens. À l’initiative de la ville de Strasbourg et des communes italiennes de Catane et de Rovereto, ce réseau a été élargi à l’échelle européenne avec le lancement, en octobre 2016, du «Réseau européen des villes solidaires». Avec l’aide du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, les meilleures pratiques de ce réseau sur les politiques publiques en matière d’accueil et de participation des réfugiés ont été compilées dans le «vade-mecum». Ce guide permettra aux villes européennes de tirer des enseignements de leurs expériences respectives et de coopérer étroitement sur la question de l’accueil des réfugiés en Europe 
			(25) 
			Welcoming refugees
with dignity, vademecum on the reception and integration of refugees
in European cities, Strasbourg.eu..
59. Une initiative très intéressante a été élaborée à l’échelle régionale en Écosse, la «stratégie des New Scots» 
			(26) 
			New Scots: integrating
Refugees in Scotland’s Communities (2014-2017), COSLA, Gouvernement
écossais, décembre 2013., destinée à coordonner tous les efforts des organisations engagées dans l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. La communauté régionale écossaise a également élaboré une boîte à outils des politiques migratoires, visant à aider les autorités locales et leurs partenaires à comprendre la situation démographique locale et à soutenir la mise en œuvre des politiques relatives aux migrations.
60. Toutefois, dans certaines situations particulières comme celle du Luxembourg, le processus d’inclusion sociale devient assez compliqué, même pour les citoyens européens. Pour faciliter le processus, l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration a conçu un contrat d’accueil et d’intégration, afin de promouvoir la participation active des migrants à la société luxembourgeoise. L’instrument est proposé à tous les migrants qui résident dans le pays sur une base volontaire. Les migrants qui signent le contrat peuvent bénéficier de réductions sur les cours de langue, de cours d’instruction civique gratuits et d’une journée d’orientation gratuite (programme destiné à familiariser les migrants avec les instances officielles et les organisations du Luxembourg).

3.3. Promouvoir une société interculturelle

61. La culture est sans doute l’un des moyens les plus rapides de créer des passerelles entre les personnes d’origines et de milieux différents; mais seuls des investissements à long terme dans des politiques et stratégies qui facilitent le dialogue interculturel pourraient réellement changer les mentalités et les comportements.
62. Cependant, le manque de connaissance de la société d’accueil, de sa culture, de sa langue et de ses traditions crée d’importants obstacles à l’entrée des migrants sur le marché du travail. Il est donc très important que tous les migrants puissent accéder à des cours d’orientation civique axés sur la vie quotidienne dans le pays d’accueil.
63. La promotion d’une main-d’œuvre d’une large diversité culturelle crée de nouveaux débouchés pour les entreprises internationales, à savoir le partage de perspectives culturelles différentes, d’idées innovantes et de nouveaux partenaires internationaux. Le secteur privé et le milieu des affaires doivent encourager la diversité culturelle au sein des entreprises, en fournissant des programmes sur la diversité pour leur personnel, ainsi que des formations linguistiques et professionnelles pour les travailleurs migrants.
64. La connaissance de la langue de la société d’accueil est essentielle à la survie des migrants dans le pays d’accueil. Il est donc important d’offrir des possibilités d’apprentissage des langues par les migrants non seulement dans les pays d’accueil, mais aussi dans les pays d’origine en vue de leur départ. Dans cette perspective, des cours spéciaux de langues mis en place par des instituts culturels tels que l’Alliance française, le Goethe Institut, la Dante Alighieri et le British Council pourraient être très utiles.
65. Le programme du Conseil de l’Europe sur l’intégration linguistique des migrants adultes (ILMA) a présenté aux gouvernements un ensemble de bonnes pratiques et de recommandations de politique générale sur les cours de langue destinés aux migrants.
66. Dans de nombreux pays européens, les demandeurs d’asile et les réfugiés ne peuvent recevoir des cours de langue et d’éducation à la citoyenneté qu’après une certaine durée de séjour dans le pays d’accueil. Cela entrave considérablement leurs possibilités d’inclusion dans la société et la main-d’œuvre du pays d’accueil. Des cours de langue et d’éducation à la citoyenneté devraient être organisés immédiatement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, quel que soit leur statut relatif à la procédure d’asile.
67. L’éducation a un rôle crucial à jouer dans la promotion de la société interculturelle. Les écoles et d’autres établissements d’enseignement doivent être préparés à accueillir des élèves et des étudiants parlant une langue autre que la langue du pays hôte. Des programmes éducatifs spéciaux doivent être élaborés pour promouvoir la connaissance des différentes cultures, langues et religions. Je pense que ce thème sera plus largement traité par notre commission dans le prochain rapport sur «L’intégration, l’autonomisation et la protection des enfants migrants par la scolarité obligatoire».
68. Les migrants qui possèdent un niveau d’éducation élevé ont plus de chances de trouver un emploi en Europe. Pour cette raison, les efforts déployés par les collectivités locales pour offrir aux migrants et aux réfugiés des possibilités d’éducation ont une incidence positive réelle sur les économies locales. À cet égard, l’exemple positif du partenariat conclu entre les autorités municipales de Strasbourg et l’université de Strasbourg en vue d’offrir aux réfugiés et aux demandeurs d’asile la possibilité d’apprendre la langue française et de recevoir gratuitement des formations professionnelles tout au long de la vie constitue un excellent point de référence.
69. La population d’accueil devrait également être préparée à accepter les migrants issus de milieux culturels différents. À cet effet, il convient d’adopter des politiques générales bien conçues à l’échelle locale, qui promeuvent la connaissance des différentes cultures, traditions et pratiques religieuses. Ces politiques permettraient de prévenir les risques de conflits et de rompre avec l’image négative des migrants.

3.4. Encourager la participation démocratique des migrants

70. La participation des migrants aux élections et aux activités des organisations politiques ou civiles leur offre de meilleurs opportunités d’exprimer leurs points de vue auprès des autorités et de la collectivité en général.
71. Mais un certain nombre d’obstacles entravent la participation démocratique des migrants: les ressources financières, les connaissances linguistiques, les possibilités de constitution de réseaux et les restrictions à la citoyenneté. Les pays d’accueil doivent contribuer à supprimer ces obstacles pour veiller au bon fonctionnement de la démocratie en Europe.
72. Les migrants en situation régulière doivent pouvoir exercer leurs droits politiques de vote et d’éligibilité, quel que soit leur statut de résident en cours. Au moment de la rédaction du présent rapport, tous les pays européens n’accordent pas ces droits à leurs citoyens sans restriction. Comme l’énonce la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), les pays d’accueil doivent accorder le droit de vote aux élections locales aux migrants résidant sur leur sol depuis au moins cinq ans. Comme je l’ai écrit dans mon rapport précédent 
			(27) 
			Doc.13648, La participation démocratique des diasporas de migrants., l’octroi du droit de vote aux migrants dans leur pays de résidence peut également, dans une certaine mesure, les protéger contre les stéréotypes négatifs dont ils peuvent faire l’objet lors des campagnes électorales.
73. L’accès à la nationalité est un outil important pour que les migrants participent plus activement à la société d’accueil. Le droit à la naturalisation après cinq ans de séjour régulier dans le pays, qui est déjà accordé dans plusieurs pays européens, a une incidence très positive sur la participation politique durable des migrants. Une étude réalisée récemment en Suisse a prouvé que les migrants qui sont naturalisés et donc obtiennent un passeport suisse suite aux référendums locaux développent un niveau élevé de connaissances et d’engagement politiques 
			(28) 
			Jens
Hainmueller, Dominik Hangartner et Guiseppe Pietrantuone, Naturalization
fosters the long-term political integration of immigrants, <a href='http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/PMC4611668'>www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/PMC4611668.</a>. L’assouplissement des exigences en matière de durée de résidence pourrait donc avoir une incidence bénéfique du fait des effets positifs de la naturalisation des migrants.
74. Les migrants devraient également être encouragés à participer plus activement aux activités des partis politiques, des syndicats et des associations de migrants et de diasporas. Par leur participation citoyenne aux travaux de ces associations, les migrants peuvent acquérir des capacités de constitution de réseaux et des connaissances politiques, et s’engager davantage dans la société des collectivités locales. Les partis politiques, les syndicats et les organisations civiques doivent élaborer des programmes spéciaux qui encouragent l’engagement des migrants.
75. Parmi les initiatives de la société civile auxquelles les migrants participent, il faut également saluer la journée d’action intitulée «Un jour sans nous», qui a été organisée au Royaume-Uni le 20 février 2017 pour défendre le rôle des migrants dans le pays. Cette manifestation nationale englobait différents modes d’expression, dont des défilés, des forums sur les médias sociaux, des stands, des pique-niques, des spectacles, des ateliers et des événements culturels dans plusieurs universités et d’autres lieux.
76. La participation des migrants à des organismes consultatifs aux niveaux local et national est une autre forme importante de participation communautaire. Les migrants doivent se faire entendre dans les débats sur les politiques migratoires et être consultés sur toutes les réformes envisagées par les pouvoirs publics qui touchent leurs intérêts. D’après les conclusions de nombreuses analyses politiques, le fait que les migrants n’exposent pas leur point de vue dans les débats politiques et sociaux altère leur image auprès du grand public. De nombreux pays européens qui sont Parties à la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local appliquent les dispositions relatives à la création d’organismes consultatifs. Au Luxembourg par exemple, les migrants peuvent donner leur avis sur des mesures politiques et des propositions juridiques diverses par la voie du Conseil national pour étrangers qui les représente. En Italie, il existe deux systèmes distincts de représentation politique des étrangers au niveau local: l’organe consultatif des étrangers et le conseiller adjoint (Consigliere Aggiunto). Le premier est un organe élu qui représente les résidents étrangers avec un statut consultatif. Les conseillers adjoints sont eux aussi directement élus par les résidents étrangers et participent régulièrement aux assemblées municipales. Il est important que les États membres fournissent les fonds nécessaires à la création et au bon fonctionnement de tels organes consultatifs.
77. Je tiens à souligner le rôle des collectivités locales dans la participation démocratique des migrants. La vie quotidienne des migrants se déroulant au niveau local, les collectivités locales doivent soutenir les initiatives des migrants, voire encourager leur participation en élaborant des programmes axés sur cette population.

4. Conclusions et recommandations

78. Le présent rapport a fait valoir qu’un processus migratoire efficace bénéficie non seulement aux migrants et à leur famille, mais aussi à toute la société européenne. En outre, grâce aux liens des diasporas, il a un effet considérable sur le développement des pays d’origine des migrants.
79. La première chose à faire dans nos pays est de combattre les discours négatifs sur les migrations et de montrer clairement au public les preuves économiques de leurs avantages potentiels pour nos sociétés. Tous les acteurs publics et privés doivent participer au processus d’élaboration d’une nouvelle politique migratoire pour l’Europe, fondée sur des données factuelles et axée sur les avantages économiques réels et les perspectives de développement.
80. Pour accroître les avantages des migrations vers l’Europe, il faut éliminer un certain nombre d’obstacles juridiques et bureaucratiques et de formes de discrimination ouverte ou dissimulée qui freinent considérablement l’intégration des migrants dans la société d’accueil.
81. La croissance économique de l’Europe dépendra de sa capacité à mieux utiliser les compétences et les talents de chacun et à promouvoir les technologies et les entreprises innovantes. Il faudra donc, en priorité, éliminer tous les obstacles à l’accès des migrants au marché du travail et leur offrir des possibilités de développement de leurs compétences et de leurs talents.
82. Pour tirer le meilleur parti de ce processus, il importe de créer une base juridique appropriée à l’échelle nationale et internationale, ainsi que des mécanismes adéquats de gestion des migrations, au bénéfice maximal de tous les acteurs.
83. Les pays européens doivent assurer la collecte, l’analyse et le suivi d’informations sur leurs besoins en main-d’œuvre, en vue d’élaborer des stratégies migratoires porteuses d’avenir et de répondre à leurs besoins dans différents secteurs de l’économie.
84. Pour prendre l’avantage sur la concurrence mondiale et attirer les meilleurs spécialistes, les pays européens doivent renforcer la transparence sur le marché du travail. Ils doivent également améliorer les conditions d’accueil pour les étudiants et les chercheurs les plus brillants issus de pays non européens et leur proposer les offres d’emploi les plus attrayantes. Il faudrait promouvoir des programmes nationaux ciblés de régularisation de migrants en situation irrégulière, comme l’ont fait certains pays, dont la France.
85. Il est également essentiel d’élaborer des normes européennes en matière de qualifications et de compétences, afin de faciliter la reconnaissance des qualifications et l’évaluation des compétences des migrants.
86. Les gouvernements et les milieux d’affaires doivent coopérer efficacement pour concevoir et financer les formations professionnelles nécessaires aux migrants, et élaborer des stratégies visant à orienter cette main-d’œuvre vers des secteurs moins attractifs, comme l’agriculture et la fabrication.
87. La création d’un système européen qui faciliterait la protection sociale de tous les travailleurs migrants et de leurs familles jouerait un rôle fondamental dans l’inclusion sociale des migrants et la prospérité des pays d’accueil. Ce système protégerait les droits sociaux et économiques fondamentaux que le système de traités de la Charte sociale européenne garantit et s’appuierait sur les normes du Code européen de sécurité sociale (STE no 48) et de son Protocole (STE no 48A). Les sociétés d’accueil devraient également veiller à ce que les migrants ne fassent pas l’objet de discriminations sur le marché du travail, aient le même niveau d’accès à l’emploi que les travailleurs locaux, et jouissent de l’égalité des droits sociaux, culturels et démocratiques.
88. Les initiatives des collectivités locales pour faciliter l’insertion sociale des migrants devraient être soutenues. Les autorités locales, les ONG et les organisations de migrants devraient recevoir un financement adéquat pour les activités qu’elles mènent en vue de renforcer la participation des réfugiés à la vie sociale.
89. Les banques locales devraient appuyer les efforts déployés par les migrants pour aider leur pays d’origine, en diminuant les coûts de transfert de fonds et en octroyant des microcrédits pour les projets d’investissement que ces personnes réalisent dans leurs pays d’origine.
90. Les gouvernements des pays d’accueil doivent signer des accords avec les pays d’origine des migrants en ce qui concerne les transferts des droits en matière de sécurité sociale et de retraite.
91. Les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe doivent encourager la participation active des migrants à la vie sociale et politique. Cette population qui contribue au développement économique des pays d’accueil devrait pouvoir exposer ses avis et ses préoccupations sur les grandes questions relatives au développement politique de ces pays.
92. À l’échelle européenne, il pourrait être envisagé de créer un observatoire européen des migrations et du développement interculturel pour aider les États membres du Conseil de l’Europe à relever les défis actuels de la migration, notamment en élaborant des stratégies, des cadres juridiques et des plans d’action et en mettant en œuvre des projets spécifiques. L’organisme pourrait servir de laboratoire pour concevoir des cadres législatifs qui réglementent les questions migratoires, appuyer des projets en faveur du développement interculturel et favoriser le dialogue entre les chercheurs, les responsables politiques et les acteurs de la société civile qui travaillent sur les problèmes de la migration. Le Conseil de l’Europe ayant déjà élaboré un ensemble impressionnant de normes relatives aux droits fondamentaux des migrants et ne disposant pas, pour le moment, de comité intergouvernemental chargé spécifiquement des questions liées aux migrations, il serait très important de promouvoir un tel observatoire et d’en faire un espace où ces normes pourraient être diffusées, développées et mises en œuvre. Il pourrait également servir à élaborer des politiques, effectuer des travaux de recherche et mener des activités de coopération et d’assistance. Il pourrait par ailleurs faire fonction d’organisme du Conseil de l’Europe dans le domaine des migrations réunissant tous les États membres, et être ouvert à la participation d’autres pays intéressés par cette coopération.
93. Sur le plan institutionnel, la coopération devrait être renforcée entre le Conseil de l’Europe, l’OCDE et l’Union européenne en vue de donner une image positive des migrants, notamment en ce qui concerne le développement économique.