1. Introduction et portée du rapport
1. Ce rapport a pour objet d’analyser
comment la corruption peut nuire à la démocratie dans différents contextes
et de mieux comprendre pourquoi, malgré la longue histoire et la
diffusion continue de ce phénomène dans les sociétés contemporaines,
il est toujours difficile d’appliquer une «recette» unique qui serait
efficace à coup sûr partout en Europe.
2. Le titre initial de la proposition de résolution était «La
corruption en tant que système de gouvernance: un obstacle à l’efficacité
et au progrès des institutions». J’ai proposé de le remplacer par
«Promouvoir l’intégrité dans la gouvernance pour lutter contre la
corruption politique», de façon à mettre l’accent sur les outils
et les stratégies destinés à promouvoir une culture de l’intégrité,
de la transparence et de la responsabilité.
3. L’Assemblée parlementaire a adopté une position ferme en reconnaissant
que la corruption est une menace à la prééminence du droit, par
l’adoption de la
Résolution
1943 (2013) et de la
Recommandation
2019 (2013), suivies par la
Réponse du Comité des Ministres le 21 janvier 2014. L’Assemblée
a souligné la nécessité d'ériger en infractions pénales appropriées
les faits de corruption, de garantir l'indépendance du système judiciaire
et d'assurer un degré élevé de transparence dans la vie politique,
administrative et économique. Elle a aussi appelé à la normalisation
de la lutte contre la corruption dans divers programmes et activités
du Conseil de l’Europe et a souligné la nécessité que les parlements
nationaux contribuent activement, dans leurs contextes nationaux
respectifs, à la mise en œuvre des recommandations émises par le
Groupe d’États du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECO)
et d'autres organes de suivi.
4. Dans mon rapport, je traiterai en priorité la corruption politique,
c’est-à-dire l’utilisation inappropriée, par l’État ou par les représentants
de l’État, des ressources ou pouvoirs gouvernementaux dont ils disposent
à des fins de gains personnels illégitimes et habituellement secrets
.
Cette question est au cœur même de ce que le Conseil de l’Europe
représente, car la lutte contre la corruption demeure non seulement
une pierre angulaire de la prééminence du droit, mais aussi une
composante essentielle de toute démocratie véritable.
5. Dans certains pays, la corruption est considérée comme une
«pathologie» du système social, tandis que dans d'autres, elle est
perçue comme un élément «physiologique» et semble jouer un rôle
structurel dans la société. Pour être efficaces, les stratégies
de lutte contre la corruption ne peuvent faire l'impasse sur le contexte
culturel, c'est-à-dire les différentes traditions et coutumes, ni
sur les sensibilités qui existent dans une Europe hétérogène. Ces
stratégies devraient aussi prendre en compte l’impact de l’édification
de l’État moderne sur la corruption. Ainsi, il n'est pas possible
de régler le problème de la corruption en Europe méridionale en
se contentant d'appliquer les politiques et structures de lutte
contre la corruption qui fonctionnent dans les pays d'Europe du
Nord, lesquels sont habituellement en tête des divers classements
sur la lutte contre ce fléau. De plus, les anciens pays d'Europe
centrale et orientale sont passés assez récemment d'un régime totalitaire
à un régime démocratique (en moins de 30 ans), élément dont il faut
tenir compte pour comprendre et analyser le phénomène de la corruption
dans ces pays et élaborer des stratégies appropriées de lutte contre
la corruption. Pour illustrer ce point, je me suis intéressé à quatre
cas, dont trois ont fait l'objet d’une visite d'information: l'Ukraine,
où je me suis rendu en janvier 2016; les Pays-Bas, où je me suis
rendu en novembre 2016; l’Espagne, où j'ai participé à des discussions
fructueuses en mars 2017; et le Royaume-Uni, dont la situation m'a
été présentée par le professeur Mark Knights, historien à l'université
de Warwick.
6. Mon objectif n'est pas de désigner ni de blâmer tel ou tel
pays, mais de comprendre les causes profondes de la corruption et
de voir ce qui peut être fait au niveau national et européen pour
encourager une culture de l'intégrité, en tenant compte de l'environnement
national et local. J'entends également, entre autres, exposer un
certain nombre de stratégies de lutte contre la corruption en termes
de législation, d'institutions et d'éducation, et m'attacher plus
particulièrement au mandat et aux compétences des institutions nationales
de lutte contre la corruption.
7. Je remercie la commission pour l'organisation de plusieurs
auditions, à savoir: le 20 avril 2015, à Strasbourg, avec la participation
de M. Raffaele Cantone, président de l'Autorité italienne de lutte
contre la corruption, et M. Sergei Guriev, professeur d'économie
à l'Institut d'études politiques de Paris; le 1er septembre 2015,
à Paris, avec la participation de M. Giovanni Kessler, directeur
général de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de la Commission
européenne, M. Bálint Magyar, chercheur et consultant stratégique
chez Financial Research Plc., Hongrie, et Mme Kathryn
Gordon, économiste principale, Division de la lutte contre la corruption
de l'OCDE; et le 8 mars 2016, à Paris, avec la participation de
M. Drago Kos, président du Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption.
8. Par ailleurs, le 4 juin 2015, la Commission a participé à
une conférence sur le thème «Vers un code de conduite pour les parlementaires:
une comparaison des expériences nationales et internationales»,
organisée à Rome par la Chambre des députés italienne, sous les
auspices de Mme Laura Boldrini, présidente
de la Chambre des députés.
9. Le 23 septembre 2015, j'ai participé à un échange de vues
avec une délégation de la Commission des affaires constitutionnelles
du Parlement européen (AFCO) à Bruxelles; et le 2 décembre 2016,
j’ai coorganisé, en coopération avec la Direction Générale Droits
de l'homme et État de droit du Conseil de l'Europe et la Secrétaire
Générale Adjointe Gabriella Battaini-Dragoni, dans les locaux du
bureau du Conseil de l'Europe à Venise, une audition d'experts sur
le thème «La corruption et ses tendances: un défi politique», dont
les échanges de vues ont beaucoup éclairé mon rapport.
10. Le 20 mars 2017, j'ai assisté au lancement du Cinquième Cycle
d’Évaluation du GRECO, dont le thème s'intitule «Prévention de la
corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements
centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs».
11. Un certain nombre de questions importantes, notamment les
groupes d'intérêts, la protection des lanceurs d'alerte, le blanchiment
de capitaux, le pantouflage et les conflits d'intérêts, ainsi que
les travaux pertinents du Comité d'experts sur l'évaluation des
mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL), ont été exclues du périmètre de mon analyse.
Ces questions sont traitées avec succès par la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme
et
je souhaite également mentionner les actes du séminaire de Venise
concernant les tendances actuelles en Europe dans la lutte contre
la corruption, y compris la restitution des avoirs et les bénéficiaires
effectifs
.
12. Enfin et surtout, la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias a adopté un rapport de Mme Gülsün
Bilgehan intitulé «Le contrôle parlementaire de la corruption: la
coopération des parlements avec les médias d'investigation»
, qui contribuera à un échange de
vues sur les moyens de regagner la confiance dans les médias et
dans les institutions démocratiques. Un débat conjoint avec le présent
rapport aura lieu pendant la partie de session de juin 2017.
2. Études
de cas
13. Les quatre pays suivants, Royaume-Uni,
Ukraine, Pays-Bas et Espagne, ont été sélectionnés au vu de leurs
différences sur les plans historique, culturel, géographique et
politique.
2.1. L'impact
de l'édification de l'État moderne sur la corruption: le cas de
la Grande-Bretagne
14. La session du matin du séminaire
de Venise La corruption et ses tendances:
un défi politique a porté sur les facteurs de corruption
et sur les réformes destinées à lutter contre ce fléau. Dès l’apparition
des premières formes d’État moderne, la corruption a atteint et
pénétré les structures publiques. À mesure que les États se développaient,
certains ont réussi, progressivement, à prévenir et éradiquer la
corruption en prenant des mesures à l’égard des comportements et
des secteurs présentant un risque particulier. Dans d’autres, la corruption
continue de parasiter les politiques publiques et la société en
général.
15. M. Knights s'est intéressé à ce que l'histoire de la Grande-Bretagne
nous dit de la corruption, et je m'inspire de son analyse pour montrer
l'impact de l'édification de l'État moderne sur ce phénomène.
16. D’après les indices de perception de la corruption, le Royaume-Uni
semble aujourd’hui relativement épargné par ce phénomène
. Mais il n’en possède pas moins une longue
histoire de lutte contre la corruption, les stratégies dans ce domaine
ont évolué au fil des siècles, et ne datent pas de quelques années
ou décennies
. Elles ont souvent été façonnées
par des facteurs proprement britannique – la réforme protestante au
xvie siècle, deux révolutions au xviie siècle,
l’expansion de l’État et de l’Empire au xviiie siècle.
Ce qui revient à dire que chaque État doit prendre des mesures adaptées
à son histoire nationale, à sa culture et à sa mentalité?
17. La perception de ce qu’est la corruption, c’est-à-dire des
raisons pour lesquelles elle représente le plus grand danger et
de la manière dont elle le fait, a changé au fil du temps; de même,
ses traits constitutifs furent également controversés, des versions
antagonistes s’opposant dans le temps, depuis l’idée de la corruption de
l’Église catholique dans l’Angleterre protestante du xvie siècle
jusqu’à la corruption des titulaires de charges publiques ou la
corrosion du système politique au début du xixe siècle.
De plus, tandis que l’on voyait dans l’«intérêt personnel» la source
de la corruption aux xvie et xviie siècles,
ce concept est devenu le régulateur invisible du marché libre, capable
d’éradiquer la corruption aux xviiie et
xixe siècles.
18. De nombreuses conduites corrompues étaient ancrées dans les
pratiques, les coutumes et les normes sociales d’une époque et d’un
lieu. En Grande-Bretagne, la lutte contre la corruption s’inscrivait
dans un contexte plus large, marqué par les notions d’amitié, de
parenté, de patronage et de gratification, où les «pots-de-vin»
étaient des «cadeaux», des «présents», des «signes de reconnaissance»
de la part d’un ami ou d’un obligé.
19. Si la corruption est donc étroitement liée aux caractéristiques
socioculturelles d’un pays, nous devons reconnaître que ces mentalités
et ces valeurs évoluent lentement et que ce processus est le reflet
d’un vaste débat qui va bien au-delà des institutions et de l’administration
de la puissance publique. Les progrès n’ont pas été réguliers et
ont pu connaître des retours en arrière, et de nombreuses tentatives,
étalées sur une longue période, ont parfois été nécessaires pour
que la lutte contre la corruption produise les résultats escomptés
.
20. Il ne faut donc pas voir la lutte contre la corruption comme
un processus déterminé aboutissant à un État dont la corruption
aurait été éradiquée, mais plutôt comme un travail de longue haleine
où il faut réagir en permanence aux nouvelles formes de corruption,
au fur et à mesure qu’elles apparaissent.
21. Malgré les indices aujourd’hui plutôt favorables de perception
de la corruption, le Brexit britannique peut aussi s’expliquer en
partie par un sentiment de corruption très diffus et répandu dans
les couches populaires, qui estiment que le système fonctionne uniquement
dans l’intérêt personnel de certains groupes, qui en profitent au
détriment de l’ensemble de la population. Tout comme la corruption,
la lutte contre la corruption peut prendre de nombreuses formes
et peut aussi être extrêmement politique.
22. Certaines solutions qui peuvent nous paraître évidentes aujourd’hui
se sont parfois révélées être à double tranchant par le passé. Ainsi,
avant que le système représentatif soit remanié, au xixe siècle,
les élections et les partis politiques étaient considérés comme
d’importants vecteurs de corruption plutôt que comme des mécanismes
permettant de la limiter. La presse, capable à l’occasion de révéler
des scandales de corruption, s’ingéniait aussi parfois à justifier
des systèmes corrompus ou se laissait acheter par le gouvernement.
Les lanceurs d’alerte, qui dénonçaient la corruption ou proposaient
des solutions, étaient systématiquement dénigrés, menacés ou neutralisés.
23. Le cœur de l’État prémoderne reposait en outre sur un paradoxe:
son expansion ouvrait la voie à de nouvelles possibilités de corruption
en créant dans le même temps des pouvoirs plus puissants et des
cadres réglementaires à même d’entraver cette dernière. La croissance
de l’État participait à la fois du problème et de la solution.
24. Il est intéressant de constater que les réformes administratives
les plus abouties sont celles qui ont été entreprises par des commissions
apolitiques chargées de passer au crible toutes les branches du
pouvoir et qui ont bénéficié d’un véritable soutien politique. Il
semble que cela ait coïncidé, dans le cas de la Grande-Bretagne,
avec des vagues de «réforme morale», dont le but était de purifier
à la fois les élites et l’ensemble de la nation. La réforme institutionnelle
était donc envisagée parallèlement à un processus plus large d’introspection
au niveau individuel et collectif. Ce vaste débat public et ce processus
d’introspection ont eu, en partie, lieu à l’occasion de scandales
de corruption qui ont suscité un vif intérêt et de nombreuses discussions
et généré une pression populaire en faveur de réformes. Mais ces
scandales pouvaient aussi, ce qui fut souvent le cas, déclencher
des attaques personnelles qui ne se sont accompagnées d’aucune réforme systémique.
25. Pour résumer, la lutte contre la corruption est un difficile
numéro d’équilibriste. L’une des plus grandes difficultés est de
laisser une marge de manœuvre suffisante aux fonctionnaires pour
qu’ils puissent être efficaces, novateurs et souples dans l’exercice
de leurs fonctions, tout en encadrant cette marge de manœuvre par
des règles et protocoles stricts, qui risquent d’étouffer les initiatives,
d’entraver la gouvernance et même de créer de nouveaux moyens d’extorquer
des pots-de-vin. Cet équilibre doit être constamment calibré par l’État
et par la population.
26. Une grande partie des études spécialisées sur la corruption
se concentrent, pour des raisons tout à fait compréhensibles, sur
la corruption gouvernementale, administrative et institutionnelle.
Cependant, M. Knights conclut qu’il est nécessaire que les universitaires
et les instances chargées d’élaborer les politiques publiques portent
une plus grande attention à la manière dont la corruption était
et reste enracinée dans les valeurs culturelles et sociales. Ces
dernières évoluent lentement, mais elles constituent le cadre essentiel
dans lequel s’inscrivent les réformes institutionnelles.
2.2. Transition
vers la démocratie du système de l'Union soviétique: le cas de l'Ukraine
2.2.1. Contexte
général
27. En choisissant l’Ukraine comme
étude de cas, j'ai privilégié le riche passé historique qu’elle
partage avec ses voisins, ainsi que son contexte actuel, marqué
par des efforts importants et radicaux visant à lutter contre la
corruption. Parmi les principales revendications de l'Euromaidan
et du mouvement qui s'en est suivi figurent des mesures claires
et concrètes en la matière, comme cela a été discuté lors de ma
visite à Kiev les 19 et 20 janvier 2016.
28. Certaines données préliminaires sur l'Ukraine révèlent que:
- la mesure du contrôle de la
corruption fournie par les indicateurs de gouvernance mondiaux de
la Banque mondiale n'a presque pas changé ces cinq dernières années
(2010-2014): seuls 17 % des pays du monde font pire que l'Ukraine;
- Indice de perception de la corruption 2015 de Transparency
International: l'Ukraine se situe à la 130e place
sur 167 Etats;
- bien que des sanctions aient été envisagées en cas d'infractions
de corruption, un rapport officiel du ministère de la Justice indique
qu'en 2013, seuls trois fonctionnaires se sont vus, après enquête,
déchus du droit d'occuper un poste dans la fonction publique;
- malgré les critiques émises à l'égard d'affaires de corruption
de haut niveau, on m'a dit que les citoyens corrompaient régulièrement
des fonctionnaires pour «accélérer» des services publics inefficaces,
et voient rarement l'effet dommageable de la corruption ordinaire,
qui nourrit globalement une culture de mauvaise gouvernance et d'impunité;
- une étude de PACT Uniter signale par ailleurs que plus de
la moitié des citoyens ont déjà fait l'expérience de la corruption
en 2015; de plus, un tiers de la population estime que la corruption
est à présent plus généralisée qu'avant l'Euromaidan.
2.2.2. Contexte
historique
2.2.2.1. L'époque
de l'Empire russe (XIXe– début du XXe siècle)
29. En 1830, alors que la plupart
du territoire actuel de l'Ukraine faisait partie de l'Empire russe,
une des maisons d'édition situées à Saint-Pétersbourg publia un
livre intitulé «L'art d'accepter des pots-de-vin». Dans ce livre,
l'auteur avait établi, de manière satirique, une classification
des pots-de-vin – cadeaux ou repas, argent, services réciproques
– et prodigué des conseils sur la façon dont un fonctionnaire pouvait
extorquer une commission illicite à un usager. Cela montre que la
société avait conscience de la manière dont la corruption, notamment
par les pots-de-vin, s'était infiltrée dans une puissante administration
étatique sur laquelle, outre l'armée, l'autorité publique, représentée
par le monarque, était fondée. Des lois visant à une meilleure détection
et prévention de la corruption furent adoptées au cours du XIXe siècle
. Une Commission spéciale du Sénat,
établie en 1862 pour enquêter sur les causes de la corruption des
fonctionnaires, avait conclu que celle-ci découlait d'une législation
inappropriée, de l'insuffisance des salaires et de l'effet peu dissuasif
des sanctions. Par ailleurs, le manque d'indépendance de la justice,
la forte subordination hiérarchique au sein de l'administration
de l'État, les qualifications insuffisantes des fonctionnaires et
la mauvaise transparence des affaires publiques furent aussi mentionnés
.
2.2.2.2. L’époque
soviétique
30. La révolution russe fut suivie
de la formation de l'Union des républiques socialistes soviétiques,
dont certaines avaient peut-être à l'origine des relations culturellement
et historiquement différentes avec les autorités publiques. On procéda
à une harmonisation en établissant une nouvelle structure gouvernementale composée
de l'appareil d'État (ensemble de postes à responsabilités politiques
ou bureaucratiques au sein des organes locaux et centraux) et de
la nomenklatura (élite de
la direction du parti). Cet appareil structurel constitua le socle
de l'État jusqu'à la fin de l'époque soviétique.
31. La première chose à remarquer concernant cette époque est
que le terme «corruption» n’était pas employé avant les années 1980.
Cette infraction n'existait pas dans les codes pénaux pertinents
des Républiques soviétiques, y compris l'Ukraine. A la place étaient
employés les termes «commission illicite» et «abus de pouvoir»,
ce qui excluait les manifestations de favoritisme et de népotisme
des comportements sanctionnés. Plus tard, d'autres infractions furent
ajoutées aux codes pénaux, visant à s'attaquer au marché «occulte»
qui avait commencé à se développer dans les années 1970 pour répondre
aux demandes de consommation croissantes des citoyens. Cette approche
compromit et restreignit la compréhension de la corruption pendant
l'époque soviétique. En outre, la position officielle, consistant
à considérer les commissions illicites typiques d'un État exploiteur,
ne permettait pas au nouvel appareil d'État de classer certains agissements
dans la catégorie de la corruption
. Plusieurs
affaires de commissions illicites furent toutefois rapportées, surtout
vers la fin de l'époque soviétique
.
32. L'économie planifiée, les entreprises détenues par l'État
aux objectifs de production définis à l'avance, les prix fixes,
les possibilités limitées d'acquérir des effets et des biens personnels,
ainsi que les avantages accordés aux élites par voie officielle,
réduisaient le nombre de transaction corrompues, mais accentuaient
des inégalités sociales et économiques qui ne faisaient que s’aggraver.
33. Cependant, même si le système de l'Union soviétique ne laissait
que peu de place à la redistribution des biens et des servies au-delà
des voies et procédures officielles, il semblerait que l'économie
planifiée ait encouragé des pratiques détournées. À l'époque, les
objectifs politiques prévalaient sur les réalités économiques. En
vue d'atteindre ces objectifs parfois irréalistes, ou de falsifier
les données afin de préserver une image de réussite, l'État devait
pouvoir compter sur une puissante structure de dirigeants, allant
des gestionnaires locaux aux agents présents dans les capitales,
qui corrompaient tous leur propre supérieur hiérarchique
. La célèbre
affaire de la «Mafia du coton», qui fit l'objet d'une enquête dans
les années 1980, illustre cette organisation. L'affaire avait beau
concerner la République d'Ouzbékistan, le même système était plus
ou moins présent dans les autres Républiques soviétiques.
2.2.3. Lutte
contre la corruption et édification de l'État dans l'Ukraine post-soviétique
et moderne
34. Le terme «post-communiste»,
comme le terme «post-soviétique», n'évoque pas une simple période historique,
mais plutôt le fait que les circonstances qui ont précédé la transition
démocratique ont joué un rôle décisif dans la formation du système
.
Quelques auteurs ont affirmé que malgré l'apparence monolithique
de l'État soviétique, le pouvoir et l'autorité étaient en définitive
entre les mains du parti, et non de l'État. Par conséquent, quand
le parti s'est effondré, «il n'y avait quasiment pas d'État pour
le remplacer»
.
35. À la suite de la chute de l'Union soviétique, des élections
en Ukraine ont amené au pouvoir, comme dans d'autres pays post-communistes,
d'anciens membres de l'élite du parti, qui étaient habitués à une
certaine structure intérieure et à un certain mode opératoire du
système
. En plus
d'hériter de cette structure opérationnelle et décisionnelle, l'ancienne
élite a réussi à accroître sa puissance économique par le biais
d'une privatisation massive. Dans le même temps, la corruption a
infiltré, à tous les niveaux, des institutions publiques comme la
fonction publique, les services douaniers et l'administration fiscale.
36. C'est à cette époque que la corruption a commencé à apparaître
comme un indicateur important de la faiblesse de l'État. Les institutions
étatiques fondamentales ont alors commencé à perdre leur autonomie
vis-à-vis d’élites concurrentes qui façonnaient l'élaboration des
politiques et l'environnement régulateur et juridique, et elles
ont aussi vu leur pouvoir de mise en œuvre des politiques réduit
.
Dans le sillage de l'Euromaidan, la distribution des postes dans
les institutions publiques est ouvertement devenue une sorte de commerce.
37. Quel a été l'impact de cette nouvelle réalité sur les formes
de corruption ? Tout d'abord, de nouvelles formes de corruption
sont apparues qui n'étaient pas régies par le droit pénal, comme
l'abus de l'autorité publique à des fins personnelles, le détournement
des fonds publics, le trafic d'influence et bien d'autres. En conséquence,
sous la pression des institutions internationales, l'Ukraine a commencé
à élaborer des outils juridiques adéquats visant à lutter contre
ces actes. Toutefois, même plusieurs années après, ces outils ne suffisent
toujours pas, étant donné qu'il n'existe pas de compréhension claire
des diverses formes de corruption, y compris pots-au-vin, usage
abusif et détournement du budget de l'État
.
En outre, la corruption continue d'être qualifiée comme telle principalement
lorsqu'elle a trait au détournement des fonds de l'État et est perpétrée
par une personne physique
.
Le concept de responsabilité pénale des personnes morales ayant commis
des infractions de corruption soulève de grandes inquiétudes, car
l'instauration de cette responsabilité nécessiterait de remettre
à plat tout le système de détection et d'enquête qui ne vise actuellement
que les personnes physiques.
38. Deuxièmement, selon des experts «[dans] les économies en transition,
la corruption a pris un nouvel aspect – celui des oligarques, ainsi
nommés, qui manipulent l’élaboration des politiques»
. On appelle ce comportement la «captation
de l'État». «Tandis que la plupart des formes de corruption visent
à changer la manière dont les lois, règles ou réglementations sont
appliquées à celui qui verse le pot-de-vin, la captation de l’État
procède d’efforts visant à influer sur la formation de ces lois,
règles et réglementations. Les pots-de-vin aux parlementaires pour
«acheter» leur vote sur des lois importantes, aux autorités gouvernementales
pour qu’elles promulguent des règlements ou décrets favorables,
aux juges pour influencer les décisions rendues par les tribunaux
sont des exemples classiques de corruption de haut niveau à laquelle
les entreprises recourent pour modeler à leur avantage la structure
légale et réglementaire de l’économie.»
2.2.4. La
situation actuelle
39. Parmi les principales revendications
de l'Euromaidan figurent des mesures claires et concrètes visant
à lutter contre la corruption. Au lendemain de l'Euromaidan, au
terme de négociations difficiles qui font suite à chaque introduction
d'un projet de loi anticorruption au Parlement, les législateurs
(de la précédente législature) ont adopté en octobre 2014 un ensemble
complet de lois anticorruption, ainsi que des outils juridiques
importants en 2015. Pour des mises à jour plus récentes, je me réfère
au rapport des co-rapporteurs de la commission pour le respect des
obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi), M. Jordi Xuclà et M. Axel Fischer, qui a analysé en détail
les réformes internes en cours, y compris la lutte contre la corruption.
40. Dans la
Résolution
2145 (2017) intitulée
Le fonctionnement
des institutions démocratiques en Ukraine, adoptée le
25 janvier 2017, l’Assemblée a noté que «la corruption généralisée
en Ukraine reste un point de préoccupation majeur. L’absence prolongée
de progrès notables et concrets dans ce domaine, notamment en ce
qui concerne les poursuites et les condamnations, pourrait réduire
les effets de l’ambitieux programme de réformes élaboré par les
autorités et, à long terme, ébranler la confiance des citoyens dans
le système politique et judiciaire dans son ensemble. Dans ce contexte,
l’Assemblée s’inquiète de la lenteur des progrès de la lutte contre
la corruption, et du peu de résultats concrets. Elle réitère en
outre sa préoccupation face à l’existence de liens trop étroits
entre les intérêts politiques et les intérêts économiques dans la
sphère politique nationale, ce qui influence la perception de la
population et peut entraver la lutte contre la corruption. L’Assemblée
se félicite par conséquent du cadre institutionnel général mis en
place pour lutter contre la corruption dans le pays, dont elle attend
maintenant des résultats tangibles et concrets, notamment en ce
qui concerne les poursuites et les condamnations. En particulier,
l’Assemblée salue la mise en œuvre du système de déclaration en
ligne et appelle les autorités à s’assurer que l’Agence nationale
sur la prévention de la corruption dispose des ressources nécessaires
pour procéder à l’examen des déclarations des avoirs; demande aux
autorités de garantir que le procureur spécialisé dans la lutte
contre la corruption dispose des moyens suffisants pour s’acquitter
de sa mission, notamment pour ouvrir des bureaux dans toutes les
régions du pays; invite les autorités à créer un tribunal spécialisé
dans la lutte contre la corruption et à combattre la corruption
généralisée au sein du pouvoir judiciaire, ce qui est essentiel
pour le succès de la lutte contre la corruption en général; et salue
l’adoption de la loi sur la fonction publique et demande aux autorités
de veiller à l’adoption rapide de toutes les lois d’application
de ce texte».
41. Ces recommandations montrent que, dans le cas de l’Ukraine,
une approche pluridimensionnelle s’impose et que les instances internationales
doivent faire pression et fixer des conditions pour persuader les autorités
à progresser véritablement dans la lutte contre la corruption. Parallèlement,
c’est en comprenant les difficultés que pose à un pays issu de l’ancien
système soviétique la transition vers la démocratie et l’État de droit
que l’on peut améliorer les diverses formes de soutien à la lutte
contre la corruption, notamment le soutien qu’apportent les Plans
d’action du Conseil de l’Europe 2015-2017 et tout autre plan à venir.
2.3. Maintenir
la confiance dans les institutions démocratiques: le cas des Pays-Bas
2.3.1. Contexte
général
42. Le 8 novembre 2016, j’ai effectué
une visite à La Haye. Malgré l'excellente coopération et le programme mis
en place avec l'aide du Parlement néerlandais, s’entretenir de la
corruption aux Pays-Bas est en quelque sorte une tâche plus complexe
que lors de ma visite précédente en Ukraine, au sens où les autorités
sont moins intéressées par ce qu’elles considèrent «ne pas être
un problème» dans leur pays. Mon analyse est donc moins probante
et moins développée et se concentre principalement sur les raisons
pour lesquelles les Pays-Bas ont été capables de construire une
société relativement résiliente en matière de corruption.
43. Au cours de mes discussions avec les interlocuteurs néerlandais,
je me suis plus particulièrement intéressé aux liens entre la qualité
de la gouvernance et l’État de droit, d’une part, et aux tendances
actuelles de la corruption, notamment les lacunes existantes, les
défis en matière de gouvernance, les traditions historiques, les
aspects culturels, sociétaux et religieux de la société et du paysage
politique néerlandais, d’autre part.
2.3.2. La
corruption dans l’histoire
44. Les Pays-Bas sont un pays de
tradition protestante et puritaine qui est aujourd’hui largement
sécularisé. Les communautés catholiques, plus importantes dans le
sud du pays, sont parfois perçues comme étant plus corrompues que
les communautés protestantes. Cependant, les antécédents religieux
et les différences entre catholiques et protestants ne sont pas
si significatifs.
45. Le faible niveau de corruption et le haut niveau de confiance
sont perçus par les néerlandais non seulement comme une valeur morale,
mais aussi comme un avantage économique, et sont souvent activement
mis en avant par le gouvernement pour attirer les investissements
étrangers. En 2015, les Pays-Bas figuraient au cinquième rang de
l’Indice de perception de la corruption de Transparency International,
et il existe une forte demande des citoyens en matière de transparence
et de responsabilité et une intelligence collective des effets nuisibles
de la corruption.
46. J’ai eu une discussion intéressante avec des chercheurs sur
l’histoire de la corruption, qui ont souligné que les sept provinces
néerlandaises des XVIIe et XVIIIe siècles
étaient considérées comme corrompues et que les élites comptaient
sur les «gentlemen’s agreements» pour maintenir la corruption sous
contrôle. Dans le sillage des réformes libérales d’après 1848, de
l’avènement de la presse libre, des élections au suffrage direct
et de l’apparition d’institutions étatiques plus fortes qui collectaient
les impôts pour le bien commun, les nouvelles législations ont établi
une distinction plus précise entre les intérêts publics et privés.
47. La manière de faire de la politique et de traiter tous les
problèmes de société selon les «gentlemen’s agreements» semble toujours
être présente dans les mentalités actuelles. Par ailleurs, maintenir
la confiance dans les institutions semble également être un trait
fondamental de la politique néerlandaise et lorsqu’un scandale de
corruption éclate, les informations sont rendues publiques et discutées
au parlement, également par le biais d’enquêtes parlementaires,
ainsi que par la presse, et aboutissent rarement à des condamnations.
2.3.3. Caractéristiques
principales de la stratégie néerlandaise de lutte contre la corruption
48. Il n’y a pas d’agence spécialement
consacrée à la prévention et à la lutte contre la corruption. Cependant,
les politiques relatives à l’intégrité et à la lutte contre la corruption
sont essentielles dans l’administration publique néerlandaise tant
au niveau national que local, l’accent étant mis sur la prévention. Cela
est ressorti comme une évidence pendant mes entretiens avec divers
interlocuteurs, notamment le président de la Cour suprême et le
Procureur général, le Médiateur, des membres du Sénat et le conseiller gouvernemental
à l’intégrité pour les maires et les élus locaux.
49. Un grand nombre d’entre eux ont reconnu que la corruption
existe toujours mais ont également souligné une distinction très
nette entre la corruption politique (quelques cas, essentiellement
au niveau provincial/local) et la corruption bureaucratique (touchant
essentiellement les fonctionnaires et les fonctions liées à l’urbanisme et
au secteur du bâtiment). La charge de la preuve est souvent trop
lourde pour que l’action publique puisse être exercée, et la plupart
des affaires de corruption se concluent par une transaction pénale.
Il est généralement admis que moins de cas de corruption donnent
lieu à moins de réglementation.
50. Pour lutter contre la corruption, depuis 1996, la police néerlandaise
dispose d’un service d’enquête hautement spécialisé (Département
d’investigations internes de la police nationale — Rijksrecherche), qui doit rendre
des comptes au Conseil des procureurs généraux. Ce service est chargé
d’enquêter sur les cas de corruption impliquant des fonctionnaires
de police, des membres du pouvoir judiciaire et des agents de la fonction
publique de haut rang. Plus récemment, il s’est également vu attribuer
la tâche d’enquêter sur la corruption d’agents publics étrangers,
car l’OCDE a demandé aux Pays-Bas de déployer davantage d’efforts pour
appliquer leur législation relative à la corruption d’agents publics
étrangers.
51. Toutes les recommandations adoptées par le GRECO lors de son
Troisième cycle d’évaluation concernant les incriminations ont été
mises en œuvre en 2010. Lors du Quatrième cycle d’évaluation du GRECO
(prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs),
lancé en 2012, le GRECO a fait remarquer qu’aux Pays-Bas, la prévention
de la corruption chez les parlementaires, les juges et les procureurs reposait
dans une large mesure sur la confiance mutuelle, l’ouverture et
le contrôle public, mais a également fait état d’un certain nombre
de préoccupations. S’agissant des membres du parlement, des évolutions positives
ont eu lieu, comme la révision du Règlement intérieur des deux chambres
pour inclure des aspects liés à l’intégrité et aux conflits d’intérêts,
le développement des obligations de déclaration et de nouvelles mesures
de sensibilisation décidées par les deux chambres.
52. Le GRECO a également recommandé l’élaboration de lignes directrices
sur les contacts des parlementaires avec des tiers et un récent
document sur le lobbying a été rédigé par des membres de la Chambre
des représentants (deuxième chambre). D’après les discussions que
j’ai pu avoir, il semble y avoir un désaccord pour réglementer cette
question, qui est perçue comme «inutile».
53. Ma discussion avec le Médiateur a confirmé que sur les quelque
40 000 plaintes annuelles, rares sont celles qui concernent des
cas de corruption. La plupart sont liées à l’intégrité, à la bonne
gouvernance et au népotisme, en particulier en relation avec les
Caraïbes néerlandaises, qui connaissent un niveau élevé de corruption.
Il a souligné l’importance pour chaque institution d’adopter un
règlement ou code de conduite interne relatif à l’intégrité, ce
qui joue un rôle important pour construire la confiance des citoyens
dans les institutions.
54. Une Commission indépendante sur la protection des lanceurs
d’alerte est en place depuis juillet 2016; cependant, il existe
toujours des inquiétudes quant à l’efficacité de la législation
en place, qui ne garantit pas pleinement l’anonymat des lanceurs
d’alerte.
2.3.4. L’importance
de l’intégrité au niveau local
55. Intégrité, transparence et
responsabilité semblent être d’une importance capitale dans le secteur
public, en particulier au niveau local. La plupart des municipalités
néerlandaises ont mis en œuvre une politique locale d’intégrité,
qui inclut des conseils et un accompagnement sur l’intégrité à l’intention
des élus et fonctionnaires locaux.
56. J’ai eu une discussion intéressante avec un conseiller du
ministère de l’Intérieur, M. Hans Groot, qui est chargé des conseils
dispensés aux maires sur les questions d’intégrité en relation avec
la gestion de la ville et les élus siégeant dans les conseils municipaux.
La grande majorité des questions soulevées par les maires concernait
les conflits d’intérêts et l’usage abusif de fonds. Cela permet
aussi de sensibiliser les citoyens au comportement qu’ils peuvent
attendre de leurs élus et fonctionnaires locaux. J’ai trouvé qu’il
s’agissait d’une bonne pratique qui peut être utile pour d’autres
États membres du Conseil de l’Europe.
57. Dans toutes mes discussions, j’ai pu avoir confirmation que
l’environnement et un certain contrôle social jouent un rôle crucial.
Ces dernières années, les affaires de corruption ont abouti à un
certain nombre de condamnations et, lorsqu’il s’agissait d’une affaire
d’intégrité, les personnes reconnues coupables ont été ostracisées
ou ont démissionné de leur poste. Le jour où j’étais à La Haye,
par exemple, le Comité central d’entreprise représentant 65 000
policiers a démissionné en masse en raison d’allégations d’utilisation
abusive de fonds publics, qui auraient été distribués aux partis
ou dépensés pour des dîners ou des biens de luxe.
58. Le même environnement favorable, qui est propice à une société
résiliente aux comportements répréhensibles, a été beaucoup plus
difficile à mettre en place dans les Caraïbes néerlandaises, anciennes colonies
autrefois contrôlées par la Couronne hollandaise et la Compagnie
hollandaise des Indes occidentales. Au XIXe siècle,
l’administration publique était gérée par les gouverneurs, notamment
les élites locales et les fonctionnaires néerlandais, un rôle minime
étant accordé à la population locale. Les problèmes de dette élevée et
de mauvaise gestion financière globale, d’une bureaucratie en surnombre
et de corruption continuent de sévir dans la région. Le népotisme
est aussi un problème sur ces petites îles à la population peu nombreuse, où
des liens étroits font qu’il est difficile d’obliger les personnes
à rendre des comptes.
Le
porte-parole pour les affaires caribéennes de la Chambre des représentants,
a confirmé que la corruption des fonctionnaires continuait d’être
un sujet d’inquiétude majeur, en dépit des nombreux efforts déployés
pour la combattre.
59. Cela n’a fait que renforcer mon idée qu’il est absolument
essentiel d’étudier l’environnement et de chercher à comprendre
la corruption dans un contexte politique et social donné pour aborder
efficacement ce phénomène.
2.4. Appeler
l’attention sur les questions de gouvernance locale: le cas de l’Espagne
60. L’Espagne, en tant que pays
d’Europe méridionale, constitue un cas d’étude intéressant. Il semble
que le pays connaisse sans cesse des scandales de corruption politique,
souvent amplifiés par les médias
. De plus, la démocratie est relativement
nouvelle en Espagne: elle a été instaurée en 1975 après plus de
trente ans d’un régime autoritaire, qui a fait suite à une guerre
civile sanglante entre 1936 et 1939.
61. L’Espagne est membre du Conseil de l’Europe depuis 1977. Elle
a rejoint l’Union européenne en 1986 et a adopté l’euro en 2002.
Pendant cette période, elle a connu une modernisation et une croissance économique
rapides, notamment une envolée des dépenses d’infrastructures et
de la construction immobilière. La flambée récente de la corruption
a aussi été liée au développement des villes et des infrastructures,
et aux failles de l’organisation institutionnelle, particulièrement
au niveau local et régional. Depuis 2006, les préoccupations se
font plus vives et le gouvernement a investi dans de nouvelles équipes
et une réglementation plus stricte pour lutter contre la corruption
et améliorer le système d’intégrité au niveau local. Les très nombreuses
enquêtes qui ont été menées ont donné lieu à des scandales politiques
et divers responsables politiques et administrateurs ont été condamnés
.
62. Les 9 et 10 mars 2017, en marge des réunions du Bureau et
de la Commission permanente, j'ai pu m'entretenir avec des représentants
du Conseil espagnol pour la transparence et la bonne gouvernance,
du Centre pour les études constitutionnelles et du Bureau du procureur
général. Je remercie le président de la délégation espagnole, qui
a organisé ces rencontres.
63. En 2014, le GRECO a produit un rapport sur la prévention de
la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, dans
lequel il appelle l’attention sur la montée de la corruption politique
en Espagne. Dans un rapport de conformité adopté le 1er juillet
2016, le GRECO a pris note d’un certain nombre de réformes figurant
dans le «Plan sur la revitalisation de la démocratie», qui prévoient
notamment le contrôle renforcé de l’activité économique des partis
politiques, la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique
pour les postes de haut rang dans l'administration, et un ensemble
substantiel de mesures pénales dans le cadre de la réforme du Code
pénal (notamment l'incrimination de l'infraction de financement
illégal de parti, l'allongement de la durée de prescription et des
sanctions plus sévères pour les infractions de corruption). Le GRECO
a également noté que selon les instituts de sondage, la classe politique
et les partis politiques affichent la cote de confiance la plus
basse.
64. J’ai pu m’entretenir de cette question avec les autorités
espagnoles, en mettant l'accent sur un certain nombre de réformes
visant à rétablir la confiance, en particulier la loi sur la transparence
de 2014, qui a constitué un tournant dans la lutte contre la corruption
en Espagne. Cette loi introduit des règles concernant la publication
des contrats publics, la bonne gouvernance, l'accès à l'information,
la création de portails web pour les administrations, autant de
dispositions essentielles pour lutter contre la corruption, assurer
la participation au débat public et restaurer la confiance de la
population dans la politique. Lorsque l'État n'accède pas à une demande
ou ne fournit pas suffisamment d'informations, les citoyens peuvent
saisir le Conseil pour la transparence et la bonne gouvernance,
qui est l'organe chargé de veiller à la conformité avec la législation.
Je me suis également entretenu de la «loi 3/2015» sur les postes
de haut rang de l'administration publique générale adoptée en mars
2015, qui définit les règles visant à prévenir les conflits d'intérêts
de cette catégorie de fonctionnaires ainsi que le processus de suivi
et d’application.
65. Il semble que les scandales de corruption continus aient amené
les responsables politiques à considérer la transparence plus sérieusement
et les récentes condamnations montrent que les auteurs d’actes de corruption
doivent rendre des comptes. Comme le soulignent les organisations
de la société civile, il existe manifestement en Espagne, au sein
de l’administration et du public en général, une ferme volonté de
passer à une nouvelle forme de gouvernance, plus ouverte et plus
participative
. Parallèlement, ces cas de corruption perpétuent
les inquiétudes de la population concernant le manque de contrôle
des dépenses publiques, creusant ainsi le fossé entre les perceptions
et la réalité.
66. Une étude portant sur la perception du public, élaborée à
partir d'une enquête menée en Espagne en 2009, semble indiquer que
les perceptions de la corruption dans l'administration et dans la
classe politique sont liées à une moindre satisfaction concernant
la démocratie et l’action du gouvernement, une défiance envers les
institutions et les structures sociales, et une plus grande acceptation
du non-respect des règles. Les conclusions de cette étude semblent
en outre indiquer que les actions de lutte contre la corruption
ne devraient pas être limitées à la grande corruption ou à la corruption
politique, malgré la médiatisation de ces affaires, et qu’il conviendrait
d’accorder une place égale à la prévention de la petite corruption
ou de la corruption administrative au quotidien, là où les citoyens
sont le plus à même de rencontrer les pouvoirs publics en face à
face
.
67. La corruption des pouvoirs locaux est un problème de plus
en plus reconnu en Espagne. Un certain nombre de responsables avec
lesquels je me suis entretenu à Madrid ont confirmé qu'il subsiste
de nombreuses difficultés au niveau local, qu’ils décrivent comme
une sorte de «société féodale», où la culture de l’impunité, tout
particulièrement dans les partis politiques, reste vivace. Sur les
plus de 8 000 villes espagnoles, 5 000 environ sont de petits villages.
Depuis les années 1980, l’Espagne est dans un processus de décentralisation,
avec trois niveaux de gouvernance: central, régional et local. L’essor
économique des années 2000 s’est accompagné d’une recrudescence
de la corruption politique au niveau local.
68. Une explication structurelle possible du degré élevé de corruption
pourrait être le grand nombre de personnes nommées pour des raisons
politiques qui travaillent dans l’administration locale. Dans une
ville européenne de taille moyenne type (entre 100 000 et 500 000
habitants), deux ou trois personnes peut-être, y compris le maire,
doivent leur emploi à la victoire d’un parti politique. Or, dans
une ville espagnole de taille moyenne, le parti qui remporte les
élections locales peut attribuer des postes de haut rang à des centaines
de personnes. Il faut donc devenir riche rapidement pour anticiper
l’éventuelle perte d’emploi aux élections suivantes. De plus, les
élus politiques corrompus n’ont pas à craindre d’être dénoncés par
des fonctionnaires indépendants et impartiaux
.
69. Si la poursuite des actes de corruption et la responsabilité
pour ces actes sont essentielles, il convient de rester méfiant
quant au rôle trop important accordé aux magistrats dans la lutte
contre la corruption, comme ce fut le cas en Italie dans les années
1990, car cela peut avoir des conséquences inattendues comme un pessimisme
profondément ancré concernant l’intégrité des élites politiques
et le renforcement de la tolérance généralisée à l'égard des actes
illicites
.
70. En conclusion, je pense que l’expérience espagnole souligne
combien il est important d’être très attentif au niveau local et
régional et de mettre en place une structure et des procédures institutionnelles
qui encouragent la responsabilité et la transparence des pouvoirs
publics et qui préviennent la corruption, ces actions contribuant
à apaiser le mécontentement et à promouvoir le respect des lois
et des normes sociales.
2.5. Considérations
générales
71. L’étude du contexte historique,
politique, économique et social de ces quatre pays, qui représentent
les quatre coins de l’Europe, révèle d’importantes caractéristiques
qui doivent être prises en compte dans toute stratégie de lutte
contre la corruption.
72. Premièrement, tous ces pays prouvent qu’il est important de
tenir compte des effets de l’édification de l’État moderne sur la
corruption. Comme le démontre l’histoire de l’Ukraine, un État absent
dépourvu d’une administration impartiale, indépendante et non politique
produira des résultats différents de ceux de la Grande-Bretagne,
où ces conditions se sont mises en place au fil des siècles. Il
est dont essentiel de disposer d’organes administratifs et de supervision
politiquement indépendants pour assurer le succès de toute stratégie
de lutte contre la corruption.
73. Deuxièmement, comme le montrent les cas espagnol et néerlandais,
l’impartialité de l’État est cruciale à tous les niveaux, qu’il
s’agisse du niveau central, régional ou local, en métropole comme
dans les territoires d'outre-mer.
74. Troisièmement, comme le montrent les cas néerlandais et britannique,
toute stratégie de lutte contre la corruption doit reposer sur deux
piliers fondamentaux, à savoir la croissance économique et l’évolution culturelle.
3. Stratégies
de lutte contre la corruption
3.1. Action
des institutions internationales et européennes
75. Dans le présent chapitre, je
donne une vue d’ensemble des principaux acteurs internationaux qui soutiennent
activement les États membres du Conseil de l’Europe dans la lutte
contre la corruption. Cette liste, non exhaustive, ne couvre pas
tous les outils juridiques disponibles dans la lutte contre la corruption.
3.1.1. OCDE
76. Le 8 mars 2016, la commission
a eu un échange de vues avec M. Drago Kos, président du Groupe de travail
de l’OCDE sur la corruption, qui a été créé en 1994 pour suivre
la mise en œuvre et le respect de la Convention de l'OCDE contre
la corruption, de la Recommandation de 2009 de l’OCDE visant à renforcer
la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les
transactions commerciales internationales (Recommandation de 2009
contre la corruption) et des instruments connexes.
77. M. Kos a mis en garde contre le risque d'une Europe à deux
vitesses, certains pays disposant d'une réglementation anticorruption
évoluée et d'organes de lutte contre la corruption spécialisés,
tandis que d'autres, notamment certains pays de la «vieille» Europe,
accuseraient un retard. De nombreux nouveaux États membres de l'Union
européenne mettent en place des systèmes anticorruption solides,
comme le demande l’Union européenne. Cela étant, ces systèmes ne
bénéficient pas toujours du soutien de l'État et manquent souvent
de ressources et de personnel. M. Kos a fait remarquer que les compétences
attribuées aux autorités de lutte contre la corruption, en particulier,
varient d'un pays à l'autre en Europe, certaines portant exclusivement
sur la prévention, tandis que d'autres concernent la répression,
et qu'il convient de trouver un juste équilibre entre ces deux options.
La Grèce, par exemple, a même créé un ministère de la lutte contre
la corruption, dont l'efficacité reste toutefois à prouver.
78. L'OCDE a également publié des lignes directrices pour la gestion
des conflits d'intérêts dans le service public. L'objectif est de
promouvoir une culture de service public, dans laquelle les conflits
d'intérêts sont détectés et résolus ou gérés, et de soutenir les
partenariats entre le secteur public, le secteur privé et le secteur associatif.
Une boîte à outils fournit des exemples et des instruments à l'usage
des décideurs et des gestionnaires.
79. Comme l'a souligné M. Kos plus récemment, l'un des plus grands
défis qui se posent à l'OCDE concerne le respect de ses instruments,
et l'accent doit être mis sur la détection, principalement sur la
protection des lanceurs d'alerte, la participation des médias et
les ressources et les connaissances des organismes de mise en œuvre,
mais aussi sur la coopération internationale et la participation
des entreprises. Depuis 1999, la moitié des 41 États signataires
n’a pas engagé une seule poursuite pour corruption transnationale.
«Il ne s’agit pas de manque de clarté ou de dispositions juridiques,
mais de manque de volonté de la part des gouvernements, pour des
raisons politiques, économiques ou personnelles», a-t-il déclaré
.
80. L'OCDE a également élaboré une Recommandation sur l'intégrité
publique, qui propose aux décideurs un modèle de stratégie dans
ce domaine. Cette recommandation repose sur l'hypothèse selon laquelle
les approches traditionnelles fondées sur l’adoption de nouvelles
règles, le respect plus scrupuleux des dispositions et le renforcement
de la répression ont eu une efficacité limitée. Une réponse stratégique
durable à la corruption est l'intégrité publique, qui désigne l'harmonisation
et le respect de valeurs, de principes et de normes éthiques partagés
qui visent à défendre et à privilégier l'intérêt général contre
les intérêts privés dans le secteur public. L'intégrité ne concerne
pas seulement le gouvernement national; elle doit être présente jusque
dans les communes, là où les individus en ont une expérience directe
.
81. Il est donc important de soutenir les outils mis à disposition
par l'OCDE, notamment par des initiatives des parlements nationaux,
en synergie avec les organes du Conseil de l'Europe, et d’inciter
tous les États à agir. L'introduction de sanctions pour non-respect
des recommandations de l'OCDE pourrait également être envisagée.
3.1.2. Conseil
de l’Europe
82. Le Comité européen pour les
problèmes criminels (CDPC), le GRECO, et la Division de la criminalité
et de la coopération économiques font partie du soutien anti-corruption
de l'Organisation. Dès les années 1990, le Conseil de l’Europe a
adopté les Conventions pénale et civile sur la corruption (STE nos 173
et 174), ainsi qu’un ensemble de recommandations aux États membres
portant sur les vingt principes directeurs pour la lutte contre
la corruption, sur les codes de conduite pour les agents publics,
et sur les règles communes contre la corruption dans le financement
des partis politiques et des campagnes électorales.
83. En 1999, le Conseil de l’Europe a créé le GRECO, une instance
de suivi pour évaluer la conformité avec ces normes. Ce mécanisme
d’évaluation mutuelle et de pression par les pairs respecte l’égalité
des droits et obligations de ses 49 membres
.
84. Le 20 mars 2017, j’ai assisté au lancement du Cinquième cycle
d’évaluation du GRECO et j’ai souligné l’importance de la conformité.
Les recommandations formulées par des instances internationales
et européennes comme le GRECO et l’OCDE doivent être pleinement
mises en œuvre, en particulier aux plus hauts niveaux politiques,
et les parlements peuvent être associés de façon plus active.
85. Malheureusement, les progrès accomplis par les États membres
dans la mise en œuvre des recommandations du Quatrième cycle d’évaluation
du GRECO concernant la prévention de la corruption des parlementaires,
des juges et des procureurs ont, de façon générale, été plus lents
que lors des précédents cycles d’évaluation. Il est extrêmement
inquiétant de constater que plus nous nous rapprochons des institutions
centrales, plus les États membres rechignent à se rendre accessibles
et à coopérer avec le GRECO. Cette tendance doit être inversée lors
du Cinquième cycle d’évaluation, qui porte sur le cœur même de l’État,
les hautes fonctions de l'exécutif et les services répressifs. Les
ministres, les vice-ministres, les secrétaires d’État, les membres
de Cabinets et les responsables politiques de haut rang doivent
donner l’exemple pour le reste de l’administration centrale, régionale
et locale, le secteur privé et tous les citoyens, envers lesquels
ils sont comptables.
86. Le Conseil de l’Europe soutient aussi des pays dans la mise
en œuvre de normes européennes et internationales de lutte contre
la corruption et contre le blanchiment de capitaux, sur la base
d’interventions bilatérales par pays et de programmes de coopération
multilatérale, dans des domaines comme la bonne gouvernance, la
corruption, l’éthique, les conflits d’intérêts, le blanchiment de
capitaux, la restitution d’avoirs, le financement du terrorisme,
la criminalité organisée et l’entraide juridique en matière pénale
ainsi que toutes les réformes pénales et judiciaires connexes relevant
de ces domaines.
87. Ces deux dernières années passées en qualité de rapporteur
m’ont convaincu que nous avons besoin de synergies plus fortes pour
intensifier la lutte contre les formes anciennes et nouvelles de
la corruption et améliorer la conformité avec les recommandations
formulées par les instances du Conseil de l’Europe. Le dialogue
entre la société civile et les organisations nationales et internationales
peut être approfondi. Une façon de faire serait de créer un réseau
anticorruption de décideurs, d’universitaires, d’étudiants, d’intellectuels,
d’ONG et de défenseurs des droits de l’homme, de préférence avec
le soutien de contributions volontaires d’États membres et de l’Union
européenne. De semblables réseaux sont déjà actifs et efficaces
à l'échelon du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits de
l'homme, par exemple en ce qui concerne la lutte contre la violence
faite aux femmes et la protection des droits de l’enfant. Il est
grand temps d’appeler l’attention sur le domaine de la prééminence
du droit, dont la lutte contre la corruption est un pilier essentiel.
88. Notre propre Assemblée surveille le respect des engagements
pris par les États membres, y compris dans la lutte contre la corruption,
et émet des rapports sur la prééminence du droit. De plus, elle
a lancé, le 8 avril 2014, une Plateforme contre la corruption, réunissant
des élus des parlements des 47 États membres du Conseil de l’Europe
et d’États non membres, ainsi que des experts et d’autres parties
prenantes pour mettre en commun des informations, diffuser de bonnes
pratiques et débattre des moyens de lutter contre les nouvelles
formes de corruption.
89. Le 25 avril 2017, l’Assemblée a décidé de créer un groupe
d’enquête externe indépendant pour mener une enquête indépendante
approfondie sur les allégations de «corruption et de promotion d’intérêts»
portées à l’encontre de certains membres ou anciens membres de l’Assemblée.
Le groupe d’enquête a pour mission de vérifier s’il existe des comportements
individuels de membres ou d’anciens membres de l’Assemblée n’ayant
pas respecté les dispositions du Code de conduite des membres de
l’Assemblée parlementaire et autres textes déontologiques pertinents.
Il devra également identifier les pratiques contraires auxdites
normes déontologiques de l’Assemblée, et en déterminer l’ampleur.
Enfin, il lui faudra formuler des recommandations sur les mesures
à mettre en œuvre pour remédier aux déficiences et combler les lacunes
du cadre déontologique de l’Assemblée
.
3.1.3. Union
européenne
90. La Commission européenne a
publié son dernier rapport sur la corruption en 2014. Dans ce rapport,
elle montre la nature et l'ampleur de ce phénomène dans les États
membres de l'Union européenne et les différences que présentent
les politiques de lutte contre la corruption en termes d'efficacité.
L’Union européenne invitait instamment ses États membres à renforcer
les contrôles, à mettre en place des «sanctions plus dissuasives»
et à améliorer la transparence. Le rapport ne contenait pas d’évaluations
internes. Un suivi destiné à faire le bilan des avancées était annoncé
pour 2016.
91. Toutefois, en janvier 2017, le vice-président de la Commission
européenne, Frans Timmermans, a envoyé un courrier au président
de la Commission des libertés civiles du Parlement européen, le
député socialiste britannique Claude Moraes, dans lequel il déclare
qu’il est inutile de publier de nouveaux rapports, celui de 2014
fournissant une vue d’ensemble et constituant une base de travail
pour la suite.
92. En septembre 2015, le Comité des Ministres a estimé que l’adhésion
de l’Union européenne aux conventions essentielles du Conseil de
l’Europe et aux mécanismes et organes de suivi devait être encouragée et
facilitée. L’adhésion de l’Union européenne au GRECO reste la seule
réponse crédible témoignant de la détermination de l’Union à lutter
contre la corruption. D’après les priorités de l’Union européenne
concernant la coopération avec le Conseil de l’Europe en 2016-2017,
l’analyse des incidences de la pleine participation de l'Union européenne
au GRECO est toujours en cours et aucune avancée significative n'est
à noter concernant l'adhésion de l'Union
.
93. Un rapport sur la Transparence,
responsabilité et intégrité au sein des institutions européennes élaboré par
le député et rapporteur Sven Giegold, adopté en mars 2017 par la
Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen
appelle l’Union européenne à faire avancer sa candidature à l’adhésion
au GRECO et demande à la Commission européenne d’inclure, dans le
rapport, une présentation générale des problèmes de corruption les
plus importants dans les États membres de l’Union européenne, des recommandations
de politique publique pour s’attaquer à ces problèmes et des mesures
de suivi que devrait prendre la Commission européenne, en tenant
compte des effets préjudiciables des activités de corruption sur le
fonctionnement du marché interne. Le Parlement demande en outre
à la Commission de publier son prochain rapport anticorruption dans
l'Union européenne dans les meilleurs délais, d'y inclure un chapitre
sur les institutions de l'Union européenne et de poursuivre l'analyse,
au niveau des institutions de l’Union européenne et des États membres,
de l’environnement dans lequel les politiques sont mises en œuvre,
en vue d’identifier des facteurs critiques inhérents, des zones
de vulnérabilité et des facteurs de risque qui favorisent la corruption.
3.2. Créer
de la transparence dans la gouvernance grâce à des organes anticorruption spécialisés
94. Le cas de l’Italie fournit
un exemple intéressant de la façon dont les nouvelles formes de
corruption devraient amener à prendre des mesures spéciales pour
créer de la transparence dans la gouvernance, en tenant compte du
contexte national.
95. Dans une allocution devant notre commission en 2015, M. Raffaele
Cantone, président de l’autorité italienne de lutte contre la corruption,
soulignait que la corruption avait changé de visage en Italie ces
vingt dernières années. Avant les années 1990, la corruption était
vue comme un moyen pour les organisations criminelles d’atteindre
leurs objectifs en versant des pots-de-vin aux responsables politiques,
par exemple, pour l'attribution de marchés publics. Les enquêtes
ouvertes au début des années 1990 ont débouché sur la condamnation
de responsables politiques de haut rang. Depuis, la corruption est
devenue un moyen de pénétrer la vie politique et de s’accrocher
au pouvoir. En 2014, des scandales de corruption ont éclaté à Rome et
ont révélé une nouvelle pratique: certains responsables politiques
recevaient de l'argent pour voir leur carrière «accélérée» et devenaient
ainsi des instruments de corruption. Les enquêtes ont mis au jour
un réseau de responsables politiques corrompus impliqués dans le
bâtiment. Le dispositif habituel d’un corrupteur payant un responsable
public pour obtenir un bénéfice indu ne s'appliquait pas. En effet,
le corrupteur et le fonctionnaire ou le responsable politique appartenaient
à la même organisation et ils n’étaient plus rémunérés pour la commission
d’un acte illicite, mais pour leur appartenance à cette organisation.
Un système analogue aurait été en place dans d’autres secteurs comme
la justice, la passation des marchés publics et les réseaux d’assistance
sociale.
96. La loi italienne de 2012 sur la lutte contre la corruption
porte essentiellement sur la transparence des activités de tout
type menées par les autorités publiques. Ces dernières sont tenues
de communiquer les versements effectués et les actions entreprises
pour que la société civile puisse assurer une surveillance globale.
De plus, chaque institution publique doit produire un rapport d'évaluation
des risques et mettre en place des mesures préventives. Par ailleurs,
l’Italie a créé une autorité anticorruption afin de vérifier la conformité
avec les règles de transparence et de mettre en œuvre l’article
6 de la Convention des Nations Unies contre la corruption (en anglais
UNCAC), confiant ainsi la tâche de la prévention de la corruption
à une institution unique et indépendante. Son président est proposé
par le gouvernement, approuvé par les commissions du parlement à
une majorité des deux tiers pour une période de six ans et nommé
par le Président de la République. Malheureusement, la loi anticorruption
ne cible par les organisations privées qui sont impliquées dans
la vie publique, mais ne sont pas soumises à des obligations de
transparence. En outre, l'autorité ne peut cibler les parlementaires,
les juges et les commissaires extraordinaires, ce qui représente
une lacune dans le système de suivi.
97. Mme Nicoletta Parisi, membre de
l'autorité italienne de lutte contre la corruption, a souligné,
lors du séminaire de Venise, les principaux défis de l'institution,
notamment «l’attitude purement bureaucratique qui préside à la mise
en œuvre des plans et stratégies de prévention de la corruption
et d’amélioration de la transparence, les problèmes que pose la
reconnaissance de l’action des donneurs d’alerte dans le système juridique
italien, et la taille de l’administration nécessaire pour superviser
et contrôler les tâches et obligations des services publics
».
98. Les démocraties en transition et émergentes et les économies
en développement créent souvent des organes anticorruption séparés
et spécialisés en raison des hauts niveaux de corruption des organes
existants et en réaction aux pressions exercées par les donateurs
et les organisations internationales. Cette démarche est vue comme
une manière de réduire la corruption généralisée, les institutions
existantes étant jugées trop faibles pour cette tâche ou ne pouvant
contribuer à résoudre un problème dont elles font partie. Ces organes doivent
disposer de compétences spécialisées, d'un mandat clair et de pouvoirs
suffisants, par exemple des capacités d'enquête et des ressources
efficaces pour recueillir des éléments de preuve, et être soumis
à des mécanismes de contrôle appropriés. Toute nouvelle institution
doit s'adapter au contexte national particulier en tenant compte
des aspects culturels, juridiques et administratifs.
99. Selon l’OCDE
,
la prévention de la corruption et la lutte contre la corruption
par l’action répressive passent par un grand nombre de fonctions
multidisciplinaires, notamment:
- l’élaboration
de politiques de lutte contre la corruption, la coordination, le
suivi et la recherche (également pour comprendre l’ampleur du problème
et quels sont les domaines et les secteurs les plus exposés);
- la prévention de la corruption;
- l’éducation et la sensibilisation à la lutte contre la
corruption;
- les enquêtes et les poursuites sur les infractions de
corruption.
100. Il existe différents modèles d’institutions spécialisées dans
la lutte contre la corruption, notamment:
- agences anticorruption polyvalentes reposant sur les deux
piliers que sont la répression et la prévention de la corruption;
- organes de maintien de l’ordre, notamment services de
police et de poursuite spécialisés, dont l'action peut consister
en une combinaison de détection, d'enquête ou de poursuite des actes
de corruption;
- organes de coordination des politiques et de prévention,
qui exercent habituellement des fonctions de recherche, d’analyse,
de coordination et de prévention, mais qui n'ont pas de pouvoirs
de mise en application de la loi;
- mécanismes de contrôle internes mis en œuvre par d'autres
institutions publiques (par exemple, unités de déontologie interne,
d’intégrité et de prévention des conflits d’intérêts dans l’administration
ou dans des organes élus, conseils de la magistrature ou commissions
d'éthique spécialisées pour les juges, ou encore commission électorale
centrale aux fins de l’application des règles sur le financement
des partis politiques et des campagnes électorales).
101. Il est important que l’ensemble des États membres du Conseil
de l’Europe qui ont établi des organes spécialisés séparés de lutte
contre la corruption assurent leur indépendance et leur fournissent
des compétences spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants,
soumis à des mécanismes de contrôle appropriés, conformément à la
Résolution
97 (24) du Comité des Ministres portant sur les vingt principes directeurs
pour la lutte contre la corruption, ainsi qu’aux lignes directrices
de l’UNCAC. À cet égard, comme le montrent également les travaux
de suivi du GRECO, plusieurs Etats membres sont sur la bonne voie
(entre autres, l'Italie avec l’Autorité nationale contre la corruption
(ANAC)
, la Slovénie avec la Commission
pour la prévention de la corruption
et la Lettonie avec le Bureau de
prévention et de répression de la corruption
), tandis que d'autres doivent renforcer
le fonctionnement effectif des organismes de lutte contre la corruption
ou des autorités de mise en œuvre et leur permettre de s'acquitter
de leurs fonctions sans influence indue.
102. Conformément aux recommandations de l’OCDE, il est de la plus
haute importance que les institutions de lutte contre la corruption
mettent en place leurs propres mécanismes de suivi et d'évaluation
pour évaluer et améliorer leurs performances et renforcer l'appui
de l'opinion publique et continuer de lui rendre des comptes.
103. L'expérience montre que la seule création d'un organe spécialisé
dans la lutte contre la corruption ne contribue pas à réduire la
corruption. Les organismes de lutte contre la corruption ont besoin
du soutien de toutes les autres institutions publiques, y compris
des divers organes spécialisés chargés du contrôle et de l'intégrité,
et des services internes de diverses institutions publiques dans
un système harmonisé visant à prévenir et à détecter la corruption
dans le secteur public. L’Assemblée pourrait encourager les États
membres à développer cette idée.
3.3. Mettre
l’accent sur l'intégrité, la transparence et la responsabilité
104. Je n'ai pas abordé la question
des indices et des classements disponibles au niveau européen et
au niveau mondial, par exemple le célèbre indice de perception de
la corruption de Transparency International, essentiellement parce
que ces indices et classements reposent pour une large part sur
la perception des citoyens et des experts. De plus, la plupart des
recommandations en matière de lutte contre la corruption ne tiennent
pas compte du contexte local et des circonstances et besoins spécifiques.
105. Comme je l'ai mentionné dans l'étude de cas concernant les
Pays-Bas ainsi que dans le paragraphe précédent, l’intégrité, la
transparence et la responsabilité devraient figurer en bonne place
dans toutes les politiques publiques.
106. Malgré des investissements importants, les initiatives actuelles
de lutte contre la corruption semblent manquer d'efficacité et certains
chercheurs ont mis au point un nouvel indice appelé «indice de l'intégrité publique»
(IPI), qui offre une démarche transparente et fondée sur des données
factuelles pour contrôler la corruption et mesurer les progrès
.
107. L’indice IPI porte sur l'indépendance de la justice, la charge
administrative, l'ouverture aux échanges commerciaux, la transparence
budgétaire, la citoyenneté électronique et la liberté de la presse.
Les données montrent que le contrôle efficace de la corruption va
au-delà de l'adoption d'outils spécialisés et d'une réglementation
stricte, et dépend de la capacité de l'État à réduire les possibilités
d'abus (par exemple en allégeant les formalités administratives
et le nombre de processus bureaucratiques et en donnant la possibilité à
des acteurs externes de participer au processus budgétaire) et dépend
aussi de la capacité de la société à rendre son gouvernement comptable
de ses actes (par le renforcement de la responsabilité et, en particulier, par
l'action de la société civile et de la presse libre).
108. Ces travaux montrent également qu’une bonne stratégie de lutte
contre la corruption est dépendante du contexte et qu'elle ne peut
pas être transférée d'un pays à l'autre. De plus, malgré la nécessité
d'adopter des réformes communes pour améliorer la démocratie et
l'État de droit, chaque pays devrait rechercher les causes de ses
mauvais résultats et ensuite élaborer sa propre stratégie.
109. Plutôt que se concentrer uniquement sur la lutte contre la
corruption, il semble raisonnable d'intensifier aussi les efforts
visant à renforcer l'intégrité publique, domaine dans lequel le
Conseil de l'Europe dispose d'une vaste expertise, en particulier
s'agissant de l'indépendance de la justice, de la liberté de la
presse et de l'éducation à la citoyenneté.
3.4. Mesures
éducatives
110. Notre collègue Mme Eleonora
Cimbro (Italie, SOC) prépare actuellement un rapport sur le thème
«la jeunesse contre la corruption» et analyse en détail diverses
questions concernant la participation des jeunes aux activités de
lutte contre la corruption, la corruption dans le système éducatif,
et l'utilisation de l'internet, des médias sociaux et des médias
par les jeunes militants anticorruption. Cela étant, je pense qu'il
est important de rappeler brièvement deux domaines majeurs liés
à l'éducation dans lesquels le Conseil de l'Europe joue un rôle
de premier plan.
3.4.1. Éducation
pour la citoyenneté démocratique et les droits de l'homme
111. Pour lutter efficacement contre
la corruption, il est nécessaire d'adopter une approche ascendante,
qui démarre dès les premières années de l'éducation et devrait être
intégrée aux programmes scolaires du primaire et du secondaire.
Les enfants doivent apprendre, très tôt, à reconnaître les comportements
de corruption et la formation des jeunes aux valeurs morales et
au devoir civique devrait être le point de départ pour résoudre
toute une gamme de problèmes sociaux et politiques.
112. Le Conseil de l’Europe élabore actuellement un Cadre de référence
des compétences nécessaires à une culture de la démocratie, qui
sera adapté pour être utilisé dans le primaire et le secondaire,
l’enseignement supérieur et la formation professionnelle en Europe
ainsi que dans les programmes de formation nationaux. Dans ce cadre,
je pense qu’une attention toute particulière devrait être portée
à l’éducation à la lutte contre la corruption.
113. En 2010, le Conseil de l’Europe a également adopté une Charte
sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux
droits de l’homme
,
qui constitue une référence pour toutes les personnes qui s'occupent
de l'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme et un moyen
de diffuser de bonnes pratiques et d'élever le niveau partout en
Europe et au-delà. La Charte porte essentiellement sur la discrimination,
les préjugés et l’intolérance et sur la prévention de l’extrémisme
violent et de la radicalisation et la lutte contre ces fléaux. Un
premier cycle d’évaluation de la mise en œuvre de la Charte s’est
tenu en 2012 et un deuxième cycle est en cours. Le rapport sera
examiné lors d’une conférence sur l’état de l’éducation à la citoyenneté
et aux droits de l’homme en Europe, à Strasbourg, du 20 au 22 juin
2017.
114. J’ai été surpris de constater que l'expression «lutte contre
la corruption» ne soit mentionnée ni dans la charte, ni dans les
rapports de mise en œuvre. Je pense que la Charte devrait davantage
attirer l’attention sur la composante «prééminence du droit» de
l’éducation à la citoyenneté et plus particulièrement à l’éducation
à la lutte contre la corruption. Ce point pourrait être examiné
dans le cadre de la révision de cet instrument, actuellement en
cours.
115. Sur un plan plus pratique, un programme conjoint intitulé
«Droits de l’homme et démocratie en action» a été lancé en mai 2013
par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Ce programme
apporte des fonds permettant à au moins trois États parties à la
Convention culturelle européenne (STE no 18)
de coopérer sur des projets d’intérêt commun dans le domaine de
l’éducation à la citoyenneté démocratique et de l’éducation aux
droits de l’homme. Les projets actuels portent sur la promotion
de la gestion des établissements scolaires en faveur de l’inclusion
et sur les compétences pour l'action démocratique à l'ère numérique.
Là encore, l'Organisation pourrait envisager de concevoir des projets
sur l'éducation à la lutte contre la corruption, avec le soutien
de fonds de l'Union européenne ou de contributions volontaires nationales.
3.4.2. Lutter
contre la corruption dans le secteur de l’éducation
116. La corruption dans l’éducation
dans tous les États membres et à tous les niveaux d’enseignement suscite
des inquiétudes. Cette forme de corruption est difficile à quantifier.
Elle est très largement répandue dans l’enseignement supérieur,
en ce qui concerne l’accès ou les qualifications.
117. En 2015, le Conseil de l’Europe a lancé une Plateforme sur
l’éthique, la transparence et l’intégrité dans l’éducation (
ETINED), réseau de spécialistes désignés par les États membres
du Conseil de l’Europe et les États Parties à la Convention culturelle
européenne (50 États)
. La mission de cette plateforme
est de lutter contre la corruption et la fraude dans l'éducation
en mettant en commun de bonnes pratiques en matière de transparence
et d'intégrité dans l'éducation, en définissant des lignes directrices
et en renforçant les capacités de tous les acteurs. Les activités
de la plateforme comprennent la promotion d’un comportement éthique
de tous les acteurs du secteur de l’éducation, l’intégrité académique
et le plagiat, la reconnaissance des qualifications et la contribution
à l’action mondiale contre la corruption.
118. Dans certains pays comme l'Ukraine, la corruption dans l'enseignement
supérieur est un grave problème, mais les usines à diplômes, la
rédaction par un tiers et la culture de la triche existent partout
en Europe. C’est pourquoi une convention sur la fraude dans l’éducation
pourrait être une contribution pertinente du Conseil de l’Europe
et je nourris l’espoir que la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias examinera dûment ce point dans un prochain
rapport.
4. Conclusions
et recommandations
119. Des scandales de corruption
éclatent quasiment tous les jours dans de nombreux États membres
du Conseil de l'Europe et dans des institutions politiques nationales
et européennes, y compris dans notre propre Assemblée. Dans de nombreux
pays européens, un manque de responsabilité a engendré une impression
de quasi-impunité des élites politiques. Si, dans une société démocratique,
les grandes institutions comme les partis politiques, le parlement,
l’administration publique et l’appareil judiciaire sont systématiquement impliquées
dans des affaires de corruption, elles cessent d’être considérées
comme attentives aux besoins et aux problèmes des citoyens
. Cette
tendance a amené les dirigeants populistes à exploiter le désenchantement
du public à l’égard des «élites corrompues» et à se présenter comme
la «seule solution possible», alors qu'en réalité, ils ne s'attaquent
pas au problème et peuvent même contribuer sensiblement à son aggravation.
La lutte contre la corruption passe donc aussi par la restauration
de la confiance dans les institutions démocratiques, et notamment
par la participation active de la société civile.
120. En outre, la corruption s’infiltre constamment dans de nouveaux
domaines, au-delà des secteurs traditionnels comme celui de la construction.
Ainsi, ces dernières années, la mafia italienne s’est implantée dans
certains des plus grands centres d’accueil de migrants d’Europe,
écrémant les fonds publics destinés à la prise en charge des nouveaux
arrivants. Par ailleurs, la corruption prélève un lourd tribut sur l’environnement,
allant du détournement de fonds pendant la mise en œuvre de programmes environnementaux
à la grande corruption lors de la délivrance de permis et de licences
d’exploitation de ressources naturelles.
121. En outre, ce qui est perçu comme une corruption inadmissible
évolue rapidement. Par exemple, la campagne électorale présidentielle
française de 2017 montre qu’il n’est plus acceptable que les politiciens emploient
des membres de leur famille, une pratique répandue et acceptée dans
de nombreux parlements, et que l'argument selon lequel cela protégerait
l'intégrité du parlementaire de pressions potentielles exercées
par des employeurs externes des membres de sa famille s'affaiblit.
En 2009, le scandale des dépenses parlementaires du Royaume-Uni,
concernant les demandes de remboursement de dépenses faites par
des membres du Parlement britannique au cours des années précédentes,
montre également que ce qui était accepté comme une pratique répandue
n'est plus ainsi. La perception de la corruption change donc dans
de nombreux pays membres du Conseil de l'Europe.
122. Ce rapport porte avant tout sur les facteurs de corruption.
Il tente de comprendre pourquoi les mesures existantes en matière
de transparence et de responsabilité ne parviennent que partiellement
à contrôler la corruption et comment favoriser un environnement
propice à une société résiliente face à la corruption. Comme le
démontrent les études de cas, cette difficulté est liée à la diversité
et à la richesse des traditions politiques, sociales, économiques
et culturelles des États membres du Conseil de l'Europe et, selon
moi, au fait que l'accent ne soit pas suffisamment mis sur le renforcement
de l'intégrité dans les institutions publiques et dans la société
en général.
123. Lors de la conception de stratégies efficaces de lutte contre
la corruption, les institutions nationales et européennes ne peuvent
ignorer les antécédents culturels et les perceptions existantes
et devraient également tenir compte de l'impact de l’édification
de l'État moderne sur la corruption. L'histoire montre qu'il est
important de penser à la lutte contre la corruption comme un travail
de longue haleine où il faut réagir en permanence aux nouvelles
formes de corruption au fur et à mesure qu’elles apparaissent, plutôt
que comme un processus déterminé aboutissant à un État dont la corruption
aurait été éradiquée. La Grande-Bretagne, par exemple, un pays relativement
peu corrompu, a une longue histoire de lutte contre la corruption
et les stratégies anticorruption ont évolué au cours des siècles
et ne se comptent pas en années ou en décennies. Cela suggère que
chaque État doit prendre des mesures adaptées à son histoire, sa
culture et sa mentalité nationale.
124. L’expression à la mode souvent répétée dans les milieux anticorruption
est le «manque de volonté politique». Comme le dit Francis Fukuyama,
«sans une stratégie politique pour surmonter ce problème, toute solution
est vouée à l’échec. La corruption sous ses diverses formes – favoritisme,
clientélisme, maximisation de la rente et vol proprement dit – profite
aux parties prenantes du système politique, qui sont en général
des acteurs très puissants
».
Selon Fukuyama, souvent, les initiatives en faveur de la transparence
tournent court et seuls les mécanismes d’action collective peuvent
apporter un changement lorsqu’ils sont associés à une volonté affichée.
De plus, les institutions de lutte contre la corruption et les procureurs
spéciaux obtiennent de bons résultats lorsqu’ils reçoivent un soutien
politique fort de la part des citoyens.
125. Le véritable défi est donc de créer une large coalition de
groupes de la société qui sont opposés à un système existant de
responsables politiques corrompus. Cela devrait être, à mon sens,
l’objectif du Conseil de l’Europe, en plus de l’excellent travail
déjà accompli pour suivre et renforcer les mécanismes juridiques
et les initiatives en faveur de la transparence dans les institutions
démocratiques de nos États membres. Les campagnes publiques et les
outils et projets d’éducation axés sur la lutte contre la corruption
et la promotion de l’intégrité dans les différentes couches de la
société, y compris dans les écoles et les universités, devraient être
une priorité de notre Organisation. Les niveaux local et régional
ne devraient pas être oubliés et le Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux pourrait aussi envisager de mettre en place des initiatives
analogues visant les conseils régionaux et municipaux.
126. Les institutions nationales de lutte contre la corruption
peuvent avoir diverses fonctions, y compris les agences anti-corruption,
les organes de maintien de l’ordre, de coordination et de prévention
des politiques et les mécanismes de contrôle interne mis en place
par d'autres institutions publiques. Le cas échéant, des organes
séparés et spécialisés dans la lutte contre la corruption peuvent
être nécessaires et les gouvernements doivent leur fournir des compétences
spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants, qui sont
soumis à des mécanismes de contrôle appropriés. Ces organes devraient
développer leurs mécanismes de suivi et d'évaluation pour analyser
et d'améliorer leur propre performance et de renforcer l'appui de
l'opinion publique en continuant de lui rendre des comptes. Le Conseil
de l'Europe pourrait constituer une plateforme pour les autorités
anti-corruption dans tous les pays du GRECO pour rassembler et discuter des
bonnes pratiques et des défis actuels dans la lutte contre la corruption.
Il pourrait même envisager la mise en place d’un réseau au niveau
européen.
127. Pour sa part, l'Assemblée devrait accorder une attention particulière
à la révision et à la mise en œuvre effective de son propre Code
de conduite et un soutien plein et entier doit être apporté au groupe
d’enquête externe indépendant chargé de mener à bien une enquête
détaillée et indépendante sur les allégations de corruption à l’égard
de certains membres ou anciens membres de l’Assemblée.
128. La plateforme contre la corruption de l’Assemblée peut être
renforcée et dotée des outils et des ressources nécessaires pour
promouvoir des campagnes de défense de l’intégrité dans tous les
parlements, avec le soutien de contributions nationales ou un financement
de l'Union européenne.
129. Par ailleurs, l’ensemble des parlements des membres et observateurs
du Conseil de l’Europe et les parlements bénéficient du statut d’observateur
ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire
peuvent promouvoir davantage les mesures de transparence et de responsabilité,
en particulier:
- en développant
un code de conduite comprenant des règles relatives à la prévention
des conflits d’intérêts, aux cadeaux reçus et autres avantages,
aux activités accessoires et intérêts financiers, aux obligations
de déclaration, et en en facilitant l’accès au public;
- en envisageant de créer une institution de conseil confidentiel
pour fournir aux élus des informations et des conseils sur les questions
liées à l’éthique, à l’intégrité et aux conflits d’intérêts éventuels,
ainsi que des formations spécifiques;
- en s’assurant que l’immunité parlementaire n’empêche pas
les parlementaires d’être poursuivis pour des faits de corruption;
- en établissant des procédures spécifiques de surveillance
parlementaire, en mettant particulièrement l’accent sur la mise
en œuvre des recommandations émanant du Cinquième Cycle d’évaluation
du GRECO qui portent sur la prévention de la corruption et la promotion
de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions
de l’exécutif) et des services répressifs.
130. Conformément au Code de bonne conduite en matière de partis
politiques de la Commission de Venise, le fait que des personnes
condamnées pour des faits de corruption ne soient pas exclues de
leur parti donne aux citoyens le sentiment que la corruption s’étend
à l’ensemble du parti concerné (et même à tous les partis) et cela
contribue à jeter le discrédit sur toute la sphère politique. L’Assemblée
pourrait donc réitérer la recommandation de la Commission de Venise
aux partis politiques d’exclure de leurs listes de candidats ainsi que
de leurs rangs toute personne reconnue coupable de corruption.
131. Les États membres du Conseil de l’Europe pourraient aussi
être invités à intensifier la lutte contre la corruption:
- en adoptant des règles rigoureuses
relatives à la déclaration de patrimoine, des revenus et des intérêts financiers
ou autres par les membres du gouvernement et du parlement, les dirigeants
de partis et de mouvements politiques et les fonctionnaires, juges
et procureurs et en rendant ces déclarations facilement accessibles
au public, ainsi qu’en établissant des organes de supervision indépendants
et en réglementant les activités des lobbies;
- en garantissant une coopération pleine et entière avec
le GRECO et le MONEYVAL, et en mettant en œuvre leurs recommandations;
- en garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire par
des procédures de recrutement et de promotion transparentes et,
si nécessaire, en recourant à des mesures disciplinaires appropriées,
appliquées par des instances qui échappent à toute ingérence politique
et autres influences indues;
- en reconnaissant le rôle des médias dans la dénonciation
de la corruption et en veillant à ce que la réglementation sur les
médias respecte la liberté et la responsabilité de la presse;
- en mettant en œuvre la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité
publique, qui présente les étapes à suivre pour protéger l’intérêt
général et le privilégier sur les intérêts privés dans le secteur
public;
- en envisageant de créer des unités spécialisées chargées
de l’intégrité dans les institutions publiques pour promouvoir l'éthique,
la responsabilité et la transparence;
- en étant attentif aux niveaux local et régional et en
envisageant de créer des services de conseil confidentiels, pour
donner aux élus locaux des informations et des conseils sur les
questions éthiques, liées à l’intégrité et sur les possibles conflits
d’intérêts, ainsi que des formations spécifiques;
- en organisant des campagnes de sensibilisation du public
à la lutte contre la corruption qui ciblent différents groupes de
citoyens, les médias, les ONG, les entreprises et le public en général;
- en incorporant des éléments sur l’intégrité dans les programmes
scolaires du primaire et du secondaire, avec le soutien du Conseil
de l’Europe.
132. L'adhésion de l'Union européenne au GRECO reste la seule réponse
crédible pour confirmer l'engagement de l'Union européenne en matière
de lutte contre la corruption.
133. Outre les approches traditionnelles reposant sur l’adoption
de plus de règles, d'institutions spécialisées, une conformité plus
stricte et une application plus sévère, les gouvernements devraient,
en poursuivant les recherches universitaires et en matière de politiques,
accorder l’attention nécessaire à la façon dont la corruption était
et est ancrée dans les valeurs sociales et culturelles, car elles
fournissent l’environnement essentiel dans lequel les réformes institutionnelles
peuvent aboutir.
134. Pour conclure, la démocratie reste un puissant instrument
de contrôle de la corruption, si tant est que les institutions démocratiques
accroissent la transparence, promeuvent l’intégrité et renforcent
les systèmes de responsabilité. Certains des éléments permettant
de renforcer la démocratie sont bien connus: un appareil judiciaire
indépendant et impartial; une bureaucratie fondée sur le mérite,
correctement rémunérée et compétente; des mécanismes de transparence
comme un système de déclaration obligatoire de patrimoine; des médias
libres et responsables; le développement d’une culture démocratique
et civique à l’école et l’université.
135. Dans le même temps, la volonté politique demeure un ingrédient
clé pour des stratégies réussies de lutte contre la corruption,
et les partis politiques doivent se montrer plus résolus à s’attaquer
à la corruption dans leurs propres rangs et à promouvoir l’intégrité
dans la vie publique.