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Rapport | Doc. 14402 | 22 septembre 2017

Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité voire l'éventuel génocide commis par Daech

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Pieter OMTZIGT, Pays-Bas, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14167, Renvoi 4251 du 25 novembre 2016. 2017 - Quatrième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme conclut qu’en Syrie et en Irak, Daech a commis des actes de génocide à l’encontre des minorités yézidie, chrétiennes et musulmanes non sunnites avec l’intention de détruire en tout ou partie ces groupes, ainsi que d’autres crimes réprimés par le droit international.

Ni la Syrie ni l’Irak ne sont Parties à la Cour pénale internationale (CPI), dont la compétence matérielle s’étend à ces crimes. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a été empêché de déférer la situation en Syrie à la CPI. La procureure de la CPI a refusé d’ouvrir une enquête. Il n’existe à l’heure actuelle aucun mécanisme judiciaire international en mesure de traduire Daech en justice. Il appartient avant tout aux autorités nationales d’engager des poursuites pour les crimes réprimés par le droit international.

Il importe que les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les parlements qui jouissent du statut d’observateur et de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire reconnaissent le génocide commis par Daech et prennent des mesures particulières pour prévenir ces crimes et les autres crimes réprimés par le droit international et pour punir leurs auteurs. Les Nations Unies devraient quant à elles mettre en place des mécanismes appropriés d’enquête sur les crimes graves commis en Irak et envisager la création d’un mécanisme judiciaire spécial pour juger leurs auteurs. La commission propose également d’adresser des recommandations pratiques à la Syrie et à l’Irak, à la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne et à la procureure de la CPI.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 5 septembre
2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak. Elle réaffirme sa position selon laquelle «des individus agissant au nom de (...) Daech (...) ont commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international. Il importe que les États agissent en vertu de la présomption que Daech commet un génocide», ainsi que ses appels aux ses États membres et observateurs «à respecter leurs obligations positives nées de la Convention des Nations Unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide [la Convention de 1948 contre le génocide], en prenant toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir un génocide».
2. De nombreux parlements nationaux, notamment des États membres du Conseil de l’Europe comme l’Autriche, la France la Lituanie et le Royaume-Uni, ainsi que ceux des États-Unis d’Amérique, du Canada et de l’Australie, ont aussi condamné les actes de Daech en les taxant de génocide, de même que le Parlement européen, les gouvernements des États-Unis et du Canada et le Pape François. Ces positions politiques traduisent les évaluations réalisées par les experts d’éminents mécanismes internationaux comme la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur la République arabe syrienne, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités.
3. Il existe des preuves concluantes indiquant que Daech a commis contre des membres des minorités yézidie, chrétiennes et musulmanes non sunnites des actes génocides, parmi lesquels des massacres et des meurtres isolés, ainsi que des préjudices corporels ou psychologiques graves, en recourant à la torture, à des passages à tabac et à des traitements dégradants et inhumains, et, dans le cas des groupes yézidi et chrétiens, à des viols et à l’esclavage et aux abus sexuels. En outre, des données concluantes montrent que Daech:
3.1. a soumis les yézidis au travail forcé, notamment au service militaire, et à l’endoctrinement terroriste, notamment en formant des enfants à l’attentat-suicide à la bombe, ce qui a entraîné de graves préjudices corporels et psychologiques; délibérément soumis le groupe yézidi à des conditions de vie propres à entraîner sa destruction physique, en partie en le mettant en état de siège et en lui imposant des conditions de vie insalubres et une malnutrition sans accès à des soins médicaux; imposé des mesures destinées à éviter les naissances en séparant les femmes yézidies des hommes yézidis; et transféré de force les enfants du groupe vers un autre groupe, en les forçant ensuite à se convertir et en les endoctrinant.
3.2. a déployé des membres des minorités chrétiennes pour les utiliser comme «boucliers humains», causant ainsi de graves préjudices corporels et psychologiques, et séparé des enfants chrétiens de leur mère en les transférant de force vers un autre groupe.
4. Ces actes ont été commis par Daech avec l’intention de détruire en tout ou partie les groupes minoritaires yézidi, chrétiens et non sunnites. En particulier, Daech a fait de nombreuses déclarations politiques et de doctrine visant notamment la destruction des minorités yézidie, chrétiennes et musulmanes non sunnites en tant que groupes ainsi que des déclarations d’intention en vue de commettre des actes génocides précis contre ces minorités, avant et pendant la commission de ces actes. Dans ces déclarations, Daech a notamment taxé les yézidis de «païens adorateurs du diable» et les chrétiens d’«esclaves de la Croix» dont les femmes et les fils seront réduits en esclavage. Les atrocités commises par Daech à l’encontre de ces trois groupes ont été systématiques et en tout point conformes à ces déclarations. La destruction systématique par Daech de lieux de culte yézidis, chrétiens et musulmans non sunnites vient également étayer son intention génocide de commettre les actes précités. Les pillages des maisons et des biens yézidis, chrétiens et musulmans non sunnites témoignent aussi d’une intention génocide de disperser et d’affaiblir la cohésion de ces groupes, en vue de leur destruction.
5. Ni la Syrie ni l’Irak ne sont Parties à la Cour pénale internationale (CPI), dont la compétence matérielle comprend le crime de génocide ainsi que d’autres crimes réprimés par le droit international. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a été empêché, en raison du véto de deux de ses membres permanents, de déférer la situation en Syrie à la CPI, et la procureure de la CPI a refusé d’ouvrir une enquête sur les allégations d’infractions par des ressortissants d’un État Partie au Statut de Rome de la CPI. Il n’y a donc actuellement aucun mécanisme judiciaire international qui soit en mesure de poursuivre Daech. À cet égard, l’Assemblée rappelle que les enquêtes et les poursuites relatives aux crimes visés par le Statut de Rome incombent en premier lieu aux autorités nationales, en particulier à celles des États dans lesquels ces crimes ont été commis.
6. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire, le cas échéant:
6.1. à reconnaître officiellement que Daech a commis un génocide, notamment contre le peuple yézidi, les minorités chrétiennes et les minorités musulmanes non sunnites;
6.2. à prendre des mesures rapides et efficaces conformément aux obligations qu’ils ont contractées au titre de la Convention de 1948 contre le génocide afin de prévenir et de punir les actes de génocide, et à répondre de leur responsabilité générale d’agir contre les crimes réprimés par le droit international, notamment:
6.2.1. en prévoyant une compétence universelle pour connaître des crimes visés par le Statut de Rome de la CPI, lorsque ce n’est pas déjà le cas, et en menant des enquêtes sur les membres présumés de Daech qui relèvent de leur juridiction ou de leur contrôle, et, lorsque cela est justifié, en traduisant ces personnes en justice;
6.2.2. en poursuivant toutes les infractions commises relevant de leur juridiction en lien avec des activités de Daech à l’étranger, et, à cet égard, en ratifiant et en mettant pleinement en œuvre la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme de 2005 (STCE no 196) et son Protocole additionnel de 2015 (STCE no 217);
6.2.3. en mettant en œuvre les recommandations énoncées dans la Résolution 2091 (2016) de l’Assemblée sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak;
6.2.4. en contribuant au recueil et à la conservation d’éléments attestant des crimes commis par Daech, notamment en faisant des contributions volontaires au budget du «Mécanisme international, impartial et indépendant des Nations Unies chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables», pour que ce mécanisme soit pleinement opérationnel sans plus attendre;
6.2.5. en ne s’opposant pas aux éventuelles résolutions futures du Conseil de sécurité des Nations Unies susceptibles de contribuer à la poursuite des membres de Daech devant un tribunal international, hybride ou national.
7. L’Assemblée appelle les Nations Unies à créer, au besoin, des mécanismes visant à recueillir des informations et à faciliter, y compris en recueillant et en conservant des éléments de preuve, les enquêtes sur les personnes responsables de crimes graves commis en Irak ainsi que les poursuites visant ces personnes. Elle demande aux autorités irakiennes d’apporter leur coopération à de telles initiatives. Elle appelle la communauté internationale à se préparer à fournir les ressources nécessaires pour que ces mécanismes soient rapidement opérationnels. Elle demande en outre aux Nations Unies d’envisager la création d’un mécanisme judiciaire spécial pour juger les crimes commis par Daech en Irak. Ce mécanisme pourrait s’appuyer sur des modèles internationaux ou hybrides existants ou être établi dans les tribunaux nationaux irakiens, avec l’assistance d’experts internationaux faisant office de conseillers plutôt que de juges.
8. L’Assemblée appelle également:
8.1. la Syrie et l’Irak à ratifier le Statut de Rome de la CPI;
8.2. la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne à mener à bien son rapport sur le génocide perpétré par Daech contre les minorités religieuses autres que les yézidis;
8.3. la procureure de la CPI à réexaminer, à la lumière des soumissions ultérieures des parties concernées, sa décision de ne pas ouvrir d’enquête préliminaire sur les crimes commis par Daech.

B. Exposé des motifs, par M. Pieter Omtzigt, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution sur laquelle repose le présent rapport a été déposée le 11 octobre 2016. Elle rappelle les crimes commis par Daech, considère qu’ils pourraient être qualifiés au moins de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, tout en restant ambiguë sur leur qualification ou non de génocide, et évoque la difficulté de porter cette question devant la Cour pénale internationale (CPI). Elle a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport le 25 novembre 2016.
2. Avant cela, j’avais déposé une proposition de résolution qui souscrivait sans ambiguïté au point de vue antérieur de l’Assemblée parlementaire, à savoir que ces actes pouvaient être qualifiés de génocide 
			(2) 
			Doc. 14098, proposition de résolution «Il est urgent de mettre
fin au génocide commis par Daech et de veiller à punir ceux qui
s’en rendent complices» du 22 juin 2016, déposée par Pieter Omtzigt
et 27 de ses collègues.. J’ai l’intention de conserver ce point de vue. La distinction est en effet importante: la reconnaissance du crime de génocide génère des obligations positives en droit international, notamment l’obligation de prendre des mesures faite aux États Parties à la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (ci-après «Convention de 1948 contre le génocide»). La communauté internationale a par conséquent, envers les victimes des atrocités commises par Daech, l’obligation morale et juridique d’apprécier la situation avec clarté et honnêteté et de faire résolument traduire en justice les auteurs dans la pleine mesure de leur crime. Il ne faut pas que l’Assemblée régresse vers une position plus faible.
3. Outre cette différence, les deux propositions partagent un objectif commun: trouver le moyen de surmonter les obstacles à la traduction en justice des membres de Daech et encourager la communauté internationale à prendre d’urgence des mesures efficaces en la matière. Cet objectif demeure le but premier de mon rapport.
4. Au cours de l’élaboration du rapport, la commission a organisé une audition avec la participation de Mme Nadia Murad, survivante yézidie de Daech et lauréate du Prix des droits de l’homme Václav Havel de l’Assemblée 2016, M. Geoffrey Robertson QC, ancien président du Tribunal spécial pour la Sierra Leone des Nations Unies, et Mme Ewelina Ochab, chargée de recherche en droit et doctorante à l’Université du Kent (Royaume-Uni). En outre, un questionnaire a été envoyé: je remercie les parlements des 22 États membres et observateurs qui ont répondu 
			(3) 
			Allemagne, Autriche,
Azerbaïdjan, Canada, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France,
Hongrie, Irlande, Lituanie, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne,
Roumanie, Royaume-Uni, République slovaque, Slovénie, Suède et Suisse..

2. Origines et évolution de Daech 
			(4) 
			Sauf mention contraire,
la description des origines et de l’évolution de Daech dans cette
partie est tirée du rapport «Rule of Terror: Living under ISIS in
Syria» de la Commission d’enquête internationale indépendante sur
la République arabe syrienne, Nations Unies, 14 novembre 2014, A/HRC/27/CRP.3.

5. L’origine de Daech remonte au groupe Al Qaïda en Irak (AQI), établi par Abou Moussab Al-Zarkaoui en 2004 à partir d’un ancien groupe djihadiste irakien. En 2006, après la mort d’Al-Zarkaoui dans une frappe aérienne américaine, Al Qaïda en Irak a fusionné avec d’autres groupes djihadistes irakiens et s’est rebaptisé l’État islamique d’Irak. En 2011, l’État islamique d’Irak, désormais dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi, s’est uni au groupe Jabhat Al-Nosra, affilié à Al Qaïda, qui combattait en Syrie. En 2013, cette alliance a volé en éclats et a laissé place à un nouveau groupe dominant, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech). Daech donnait au départ la priorité à la création par la force d’un «État» par rapport à la lutte contre le Gouvernement syrien, ce qui l’a conduit à se heurter à d’autres groupes armés, puis à se retirer dans ses bastions du nord-est de la Syrie, où il a regroupé ses moyens militaires et financiers. La conquête de territoires importants en Irak en juillet 2014 a considérablement augmenté ses ressources et lui a permis de poursuivre son expansion en Syrie orientale, où la complexité du conflit en cours et le vide laissé par le pouvoir lui en donnaient la possibilité.
6. La rapide expansion de Daech montre que la communauté internationale avait au départ largement sous-estimé la menace qu’il représentait. Ses succès militaires aussi spectaculaires que soudains lui ont permis d’attirer une aide étrangère financière et matérielle, y compris sous forme de combattants étrangers. Les armes et le matériel destinés aux groupes modérés sont bien souvent arrivés entre les mains des extrémistes, et notamment de Daech, dont ils ont encore renforcé les capacités. Cette situation lui a permis d’étendre son contrôle sur des territoires et de s’emparer de leurs ressources économiques: en juin 2014, lors de la prise de Mossoul, Daech a fait main basse sur la somme en dépôt dans la Banque centrale d’Irak 
			(5) 
			«ISIS Is the World’s
Richest Terror Group, But Spending Money Fast», NBC News, 20 mars
2015., qui pouvait se monter à $US 400 millions; au sommet de son pouvoir, il contrôlait plus de 80 % des infrastructures pétrolières syriennes, dont il a tiré environ $US 500 millions en 2015, ce qui lui a assuré un revenu total d’environ $US 1 milliard 
			(6) 
			«ISIS Losses By the
Numbers», Wilson Center, 25 mars 2016. D’autres rapports laissent
entendre que les recettes annuelles totales de Daech en 2015 se
montaient à $US 2 milliards. Voir «Global Terrorism Index 2016»,
Institute for Economics and Peace.. Ses ressources économiques lui permettaient de rémunérer généreusement ses combattants, tout en continuant à attirer de nouvelles recrues. Depuis, la situation de Daech s’est considérablement dégradée: début juillet 2017, les forces irakiennes ont repris le centre de Mossoul 
			(7) 
			«ISIS clings to last
tiny urban patches of crumbling “caliphate”», CBS News, 4 juillet
2017. à l’exception d’une petite zone, et son bastion syrien, Raqqa, a été cerné et attaqué par les forces arabes et kurdes soutenues par les États-Unis 
			(8) 
			«Iraqi forces enter
Mosul where ISIS declared caliphate», The
Guardian, 29 juin 2017.. Ses recettes ont décliné à mesure que ses pertes territoriales augmentaient, passant, selon une estimation, de $US 81 millions par mois au deuxième trimestre 2015 à $US 16 millions au deuxième trimestre 2017 
			(9) 
			«ISIS is in retreat
and its sources of income are drying up», CNN, 29 juin 2017..
7. Daech fonctionne selon une structure hiérarchique, dont le commandement est centralisé. À sa tête, Al-Baghdadi détient un pouvoir absolu, qui s’exerce au travers de divers organes, dont un conseil militaire et un réseau d’émirs et de commandants militaires régionaux et locaux, qui font régner une discipline stricte et assurent un contrôle complet du territoire. La structure dirigeante de Daech est dominée par les combattants étrangers 
			(10) 
			Il convient de noter
que la procureure de la CPI a une opinion contraire sur ce point,
qui joue un rôle important dans l’ouverture ou non d’une enquête:
voir plus loin le paragraphe 33.. Dans les régions placées sous son contrôle fonctionne un appareil administratif primitif: une police des mœurs et une police générale, des tribunaux et des organes chargés de gérer le recrutement, les relations tribales et l’éducation, ainsi que les quelques services élémentaires que lui permettent ses ressources financières. Le 29 juin 2014, Daech a proclamé le «califat», qui s’exerçait au départ sur les régions qu’il contrôlait dans le nord de l’Irak et à l’est de la Syrie, mais dont les prétentions territoriales portaient sur un espace géographique nettement plus important. Cette proclamation a davantage encore incité de nouvelles recrues à adhérer à ce groupe.
8. Des dizaines de milliers de «combattants étrangers», qui ne sont pas ressortissants syriens ou irakiens, se sont rendus dans la région pour rejoindre Daech, bien que leur nombre et le flux de nouvelles recrues aient diminué depuis le point culminant de ses succès militaires de 2015, puisque les 31 500 combattants présents mi 2014 n’étaient plus que 25 000 début 2016 
			(11) 
			«ISIS Losses By the
Numbers», op. cit.; en août 2016, d’après certaines informations, Daech ne comptait plus que 15 à 20 000 combattants au total 
			(12) 
			«Isis ranks dwindle
to 15 000 amid “retreat on all fronts”, claims Pentagon», The Guardian, 11 août 2016.. Ces combattants étrangers proviennent d’au moins 86 pays: parmi les États membres du Conseil de l’Europe, les combattants étrangers sont issus majoritairement d’Allemagne, de France, du Royaume-Uni, de Russie et de Turquie; en proportion du nombre d’habitants, d’importants contingents sont également venus d’Autriche, de Belgique, de Bosnie-Herzégovine, du Danemark, de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et de Suède. 3 700 combattants proviennent uniquement de quatre pays européens: le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et la France 
			(13) 
			«Foreign Fighters:
An Updated Assessment of the Flow of Foreign Fighters into Syria
and Iraq», The Soufan Group, décembre 2015. . On considère que 20 % à 30 % des combattants étrangers issus des pays occidentaux sont retournés chez eux 
			(14) 
			Rapport de la Conférence
de Munich sur la sécurité, 2016.; cette proportion pourrait encore augmenter, puisque Daech continue à perdre du terrain, tandis que ses moyens ne cessent de se détériorer. Certaines des personnes ayant déjà regagné leur pays ont été impliquées dans la planification et la conduite d’attaques terroristes à grande échelle: quelques-uns des terroristes impliqués dans les attentats à Paris de novembre 2015 (qui a provoqué la mort de 130 civils) et ceux à Bruxelles de mars 2016 (32 morts) étaient des anciens combattants de Daech en Syrie, et l’auteur de l’attentat suicide à Manchester en mai 2017 (22 morts) s’étaient engagé auprès de Daech en Libye et en Syrie 
			(15) 
			«Paris attacks:
Who were the attackers?», BBC News, 27 avril 2016; «Who Are Mohamed
Abrini And Osama Kraeim?», Sky News, 8 avril 2017; «Everything we
know about Manchester suicide bomber Salman Abedi», The Telegraph, 26 mai 2017..

3. Les crimes commis par Daech

9. Dès 2014, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, spécialement créée par les Nations Unies, concluait que Daech, en sa qualité de groupe armé au sens de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du droit international coutumier, avait commis une série de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité; dans son rapport, la commission d’enquête qualifiait Daech de «groupe dans lequel règnent cohésion et coordination», dirigé par un «commandement responsable» doté d’une «structure hiérarchique», capable «d’imposer une discipline à ses membres et d’assurer la mise en œuvre coordonnée des décisions prises par sa direction». «Les commandants [de Daech] ont délibérément choisi de perpétrer ces crimes de guerre et ces crimes contre l’humanité avec l’intention évidente de s’en prendre à des personnes, en sachant qu’il s’agissait de civils ou de personnes hors d’état de combattre. Ils sont pénalement responsables, à titre individuel, de ces crimes 
			(16) 
			«Rule of Terror: Living
under ISIS in Syria», Rapport de la Commission d’enquête internationale
indépendante sur la République arabe syrienne, 14 novembre 2014,
paragraphes 74-78..» Je ne vois pas de raison de mettre en doute cette analyse, et, à ma connaissance, aucun commentateur sérieux de la situation en Syrie et en Irak ne l’a du reste remise en question.
10. Les mécanismes internationaux se sont montrés très prudents, à juste titre, pour déterminer si Daech avait commis précisément le crime de génocide. En août 2014, le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide et la Conseillère spéciale pour la responsabilité de protéger se sont montrés particulièrement circonspects, en déclarant: «Il est possible que les comptes rendus que nous avons reçus sur les actes commis par “l’État islamique” soulignent un risque de génocide 
			(17) 
			Déclaration d’Adama
Dieng, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention
du génocide, et de Jennifer Welsh, Conseillère spéciale du Secrétaire
général pour la responsabilité de protéger, sur la situation en
Irak, 12 août 2014..» En mars 2015, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies a indiqué en des termes légèrement plus précis que, «à la lumière de l’ensemble des informations recueillies, on peut raisonnablement conclure que certains de ces faits [les attaques lancées par Daech contre des groupes religieux et ethniques] peuvent être constitutifs de génocide». En particulier, «il ressort également de ces renseignements que l’EIIL a commis ces actes avec l’intention de détruire les yézidis en tant que groupe et qu’il s’agit d’agressions systématiques contre cette communauté, dont l’identité est fondée sur ses croyances religieuses. Si ces actes sont confirmés, ils pourraient être constitutifs de génocide 
			(18) 
			Rapport du Haut-commissariat
aux droits de l’homme des Nations Unies, 13 mars 2015, A/HRC/28/18.».
11. L’appréciation des faits par la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne a elle aussi évolué avec le temps, à mesure que les preuves de la nature et de l’étendue des atrocités commises par Daech se sont accumulées. En août 2015, elle constatait les motifs religieux des exactions commises par Daech à l’égard de la communauté yézidie, qu’il considérait comme une communauté de païens et d’infidèles, et les violations des droits de l’homme particulièrement patentes dont les femmes et les jeunes filles étaient la cible. Elle a également fait état des attaques discriminatoires caractéristiques de nature religieuse lancées contre les communautés chrétiennes. Mais tout en réitérant la conclusion que Daech avait commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, la Commission d’enquête internationale ne qualifiait pas à ce stade ces actes de génocide 
			(19) 
			Rapport de la Commission
d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne,
13 août 2015, A/HRC/30/48..
12. Le rapport de juin 2016 de la Commission d’enquête internationale cherchait tout spécialement à déterminer si Daech avait commis un crime de génocide à l’encontre de la communauté yézidie en Irak 
			(20) 
			À l’époque, la Commission
d’enquête internationale était composée de M. Paulo Sérgio Pinheiro
(président), juriste brésilien, de Mme Karen
Koning AbuZayd, diplomate américaine, de M. Vitit Muntarbhorn, professeur
de droit international thaïlandais, et de Mme Carla
Del Ponte, ex-procureure générale suisse et procureure générale
des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. . Compte tenu de l’accumulation des preuves disponibles à l’époque, la Commission était désormais en mesure de faire un constat dépourvu d’ambiguïté: «l’État islamique en Irak et au Levant a commis et continue de commettre un crime de génocide, ainsi que de multiples crimes contre l’humanité et crimes de guerre, à l’encontre des yézidis. (...) L’EIIL cherche à détruire les yézidis de plusieurs manières prévues par les rédacteurs de la Convention de 1948 contre le génocide 
			(21) 
			«“They came to destroy”:
ISIS Crimes Against the Yazidis», 15 juin 2016, A/HRC/32/CRP.2..» La Commission d’enquête internationale ne s’est pas penchée sur les atrocités commises à l’égard d’autres minorités religieuses.
13. Il y a néanmoins quelques désaccords sur la question du génocide. Ces désaccords sont de deux ordres. Premièrement, la question doit-elle être tranchée par un organe judiciaire (international)? Deuxièmement, les faits établis concernant les actes perpétrés par Daech en Syrie et en Irak répondent-ils à la définition du génocide selon le droit international? Une autre polémique, qui relève du second point, concerne la question de savoir quels groupes ethniques et religieux ont été victimes d’actes génocides commis par Daech. Je développerai ces deux questions l’une après l’autre.

3.1. La question du génocide doit-elle être tranchée par un organe judiciaire?

14. Cette objection a été émise par certains gouvernements, y compris dans des pays où les parlements ont reconnu le génocide et ont appelé leur gouvernement à agir. J’espère sincèrement que cette attitude ne traduit pas une réticence à accepter les conséquences juridiques de la reconnaissance par un État de la commission de génocide. Ce serait trahir les principes essentiels qui sous-tendent la Convention de 1948 contre le génocide et faire obstacle à la réalisation de son objectif. Je suis aussi en désaccord avec ceux qui affirmeraient que la qualification des actes de Daech en génocide pourrait porter préjudice aux poursuites pénales ultérieures. La reconnaissance politique par des États du génocide commis par Daech ne compromet en rien les poursuites pénales engagées à l’encontre de tel ou tel suspect traduit par des procureurs indépendants devant des tribunaux indépendants, car la culpabilité individuelle devrait toujours être établie dans chaque cas.
15. Cette objection constitue un véritable cercle vicieux. Si les États ne reconnaissent pas que le génocide de Daech est établi avec ce que l’on pourrait appeler un niveau de preuve politique et que cela entraîne par conséquent, au titre de la Convention de 1948 contre le génocide, l’obligation juridique de le prévenir et de le punir, il y a beaucoup moins de chances que les tribunaux aient un jour la possibilité de trancher la question avec un niveau de preuve pénal; les États continueront donc de réserver leur position, et les tribunaux seront toujours dans l’incapacité d’agir, etc., etc. Dans l’intervalle, le génocide se sera poursuivi et la population visée aura été anéantie. Comme l’a dit le responsable politique britannique Lord Alton à l’issue d’un débat parlementaire au Royaume-Uni, «Puisqu’il n’existe pas de mécanisme formel pour présenter des preuves de génocide à la Haute Cour, les États se rejettent mutuellement la responsabilité et se tordent les mains de désespoir. Ils répètent sans cesse que c’est à la justice de déterminer si un génocide est en cours, mais refusent de fournir l’élément susceptible de déclencher la saisine des tribunaux. Le parlement (...) doit forcer la main du gouvernement. Sinon, autant déchirer la Convention contre le génocide comme un bout de papier sans valeur 
			(22) 
			«Why won’t
the government recognise Daesh atrocities as genocide? I have a
hunch», The Guardian, 19 avril
2016..» Il est essentiel que les États prennent cette décision, après délibération minutieuse et éclairée, pour que la Convention de 1948 contre le génocide soit efficace. Le Comité consultatif néerlandais sur les questions de droit international public et le Conseiller externe sur le droit international public ont noté que «[l]e gouvernement est le représentant le plus important de l’État dans les relations internationales. C’est donc au premier chef au gouvernement qu’il incombe de déterminer si un génocide ou des crimes contre l’humanité ont été ou sont commis dans un autre État 
			(23) 
			«Advies inzake mogelijkheden, betekenis
en wenselijkheid van het gebruik door politici van de term genocide», 21 mars
2017.».

3.2. La définition du génocide selon le droit international est-elle satisfaite?

16. Les atrocités perpétrées par Daech satisfont à la définition du génocide donnée à l’article II de la Convention de 1948 contre le génocide. L’élément moral (intention criminelle) du génocide est une «intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel»; l’élément matériel (actes criminels) comprend les meurtres, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, la soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe, les mesures visant à entraver les naissances et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Les atrocités commises par Daech, qui englobent le meurtre, la torture, le viol et autres violences sexuelles (qui peuvent être considérés comme des formes d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale 
			(24) 
			Tribunal pénal international
pour le Rwanda, Chambre de première instance, le
Procureur c. Akayesu, affaire no ICTR-96-4-T,
arrêt du 2 septembre 1998.), la réduction en esclavage, les déplacements forcés, la séparation d’enfants de leur famille et maints autres crimes, correspondent à de nombreux actes énumérés à l’article II. Ces atrocités sont commises majoritairement à l’encontre de groupes religieux, par exemple les chrétiens, les yézidis et d’autres minorités, avec l’intention précise de détruire en tout ou partie ces groupes. Daech prend pour cible les minorités religieuses de Syrie et d’Irak, car il veut établir un État purement islamique et par conséquent supprimer tout pluralisme religieux dans la région. Il est vrai que Daech commet également des crimes contre la population dans son ensemble, mais il n’existe pas de preuve qu’il le fait avec l’intention précise nécessaire pour qualifier ces autres crimes de génocide.
17. Il convient de noter à quel point de nombreux facteurs de risque de génocide énoncés dans le «cadre d’analyse» du Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide correspondent aux circonstances dans lesquelles Daech commet ces actes; citons, par exemple, la présence d’armes et d’éléments armés illégaux; la motivation des acteurs dirigeants de Daech; sa motivation à cibler un groupe et à le séparer du reste de la population; son recours à une idéologie d’exclusion et à une construction des identités, réparties en «nous» et «eux»; le fait de présenter un groupe cible comme un groupe indigne et inférieur, pour justifier les actes commis à son encontre; l’environnement propice créé par le conflit armé en cours, qui facilite l’accès aux armes et la commission d’un génocide; les preuves qui démontrent l’intention qu’a Daech de détruire en tout ou partie un groupe particulier; la nature des atrocités commises, et notamment le viol systématique des femmes qui peut avoir pour but de donner une nouvelle identité ethnique aux enfants ou d’humilier et de terroriser ce groupe pour le diviser; et, enfin, l’élimination ciblée des dirigeants des communautés et/ou des hommes et/ou femmes d’une catégorie d’âge particulière (la «génération future» ou la catégorie en âge de prendre les armes). Ces circonstances renforcent le sentiment confiant que l’attitude de Daech peut être qualifiée de génocide.

3.3. Quels groupes ethniques et religieux ont été victimes du génocide perpétré par Daech?

18. Comme indiqué plus haut, le rapport détaillé 2016 de la Commission d’enquête internationale conclut sans détour que Daech a bien commis un génocide contre les yézidis. D’autres éminents acteurs internationaux sont parvenus à la même conclusion, parmi lesquels le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(25) 
			«Protecting
minority rights to prevent or mitigate the impact of humanitarian
crisis», allocution devant le 9e Forum
sur les questions relatives aux minorités, 24 novembre 2016. et la Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités 
			(26) 
			Déclaration de la Rapporteuse
spéciale sur les questions relatives aux minorités à l’issue de
sa visite officielle en Irak, du 27 février au 7 mars 2016., ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées comme Genocide Watch 
			(27) 
			«ISIS
is committing genocide», The Washington
Examiner, 20 août 2015. et le musée du Mémorial de l’Holocauste des États-Unis 
			(28) 
			«“Our Generation is
Gone”: The Islamic State’s Targeting of Iraqi Minorities in Ninewa»,
2015.. Le rapport de la Commission d’enquête internationale décrit en détail le traitement infligé aux yézidis par Daech, à commencer par l’attaque armée sur leur terre natale et le siège du Mont Sinjar, qui leur ont imposé des conditions d’existence propres à entraîner la destruction du groupe en tout ou partie. Les yézidis ont ensuite été séparés par âge et par sexe, cette mesure visant à empêcher les naissances au sein du groupe, la tradition religieuse yézidie imposant que les parents soient tous deux yézidis pour que l’enfant le soit aussi. Les femmes et les filles pubères ont été séparées de leurs parents masculins et les femmes mariées séparées des femmes non mariées, ce qui revient à dire que les filles pubères ont été séparées de leur mère. Il y a eu au moins un massacre de femmes âgées (plus de 60 ans). Des groupes de femmes et de filles ont ensuite été transférés de force vers des sites de détention de masse, où elles ont été entassées dans des conditions sanitaires précaires, quasiment sans eau et sans nourriture; bon nombre d’entre elles, en particulier les jeunes filles, sont tombées gravement malades et n’ont reçu aucun soin médical. Des combattants de Daech sont venus sur ces sites pour choisir, acheter et soustraire des femmes yézidies, qu’ils nomment «sabayas» (esclaves) et considèrent comme des biens; ces marchés aux esclaves se sont développés jusqu’à inclure des enchères en ligne, et bon nombre de femmes yézidies ont été achetées et revendues à maintes reprises. Les femmes asservies ont été systématiquement violées et soumises à d’autres formes de violences sexuelles et elles ont été violemment battues. Les survivantes qui se sont enfuies ou ont été revendues à leur famille souffrent des effets psychologiques graves consécutifs aux traumatismes mentaux et physiques extrêmes qu’elles ont subis. Un grand nombre d’hommes et de garçons pubères ont été tués sur-le-champ ou convertis de force à l’islam, retenus captifs et contraints au travail forcé. Les garçons prépubères ont été séparés de leur mère à l’âge de sept ans (et transférés sous la contrainte vers un autre groupe), puis convertis de force et contraints de suivre des sessions d’endoctrinement et de formation militaire, y compris pour commettre des attentats-suicides, ce qui a gravement porté atteinte à leur intégrité mentale; l’objectif de la conversion et de l’endoctrinement forcés était de détruire leur identité religieuse. Les plus jeunes enfants, quoique non séparés de leur mère, ont été brutalisés de façon répétée; ils ont notamment reçu des coups et enduré des insultes, ce qui a gravement porté atteinte à leur intégrité physique et mentale.
19. Dans sa propagande, avant même l’attaque sur Sinjar, Daech expliquait précisément comment les yézidis – qu’il considère comme des «adorateurs du diable» – devaient être traités selon son interprétation de la loi islamique. Le traitement infligé ultérieurement par Daech aux captifs yézidis, où que ce soit, a été en tout point conforme à cette doctrine. D’autres groupes ethniques et religieux non sunnites victimes de Daech n’ont pas été systématiquement soumis au même traitement; cela s’explique par le fait que dans sa doctrine et sa conduite, Daech établit une distinction entre les yézidis, considérés comme des «païens» (mushrik), et les juifs et les chrétiens, qui sont désignés «peuples du Livre» (Ahl Al-Kitab). Les atrocités commises à l’encontre des yézidis ont été accompagnées de la destruction systématique des sanctuaires et des temples yézidis, actes que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de Justice considèrent comme pouvant servir de preuves pour confirmer l’intention de détruire le groupe, en tant que tel 
			(29) 
			Le
procureur c. Krstic, arrêt de la Chambre d’Appel du TPIY,
19 avril 2014; Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro, application de la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, arrêt de la
Cour internationale de Justice, 16 février 2006..
20. Je souscris pleinement aux conclusions de la Commission d’enquête internationale, qui sont très largement appuyées par maintes autres sources et de nombreux commentateurs faisant autorité. Il ne fait aucun doute que Daech a commis et continue de commettre un génocide à l’encontre des yézidis.
21. Il est aussi largement admis, y compris dans de nombreuses déclarations parlementaires, que Daech a commis un génocide à l’encontre de minorités chrétiennes. La Commission d’enquête internationale n’a pas encore fait rapport sur les atrocités commises par Daech à l’égard d’autres minorités religieuses. D’autres rapports de la Commission fournissent néanmoins des informations. Selon ces rapports, bien que Daech affirme considérer les chrétiens comme un «peuple du Livre», ces derniers ont subi des déplacements forcés et des privations de biens; quelque 200 000 chrétiens ont fui leur domicile dans les plaines de Ninive lors de l’offensive de Daech, à l’issue de laquelle ce dernier a détruit des églises et des cathédrales historiques chrétiennes 
			(30) 
			A/HRC/28/18,
paragraphes 21-22.. Les rapports de la Commission d’enquête internationale mentionnent aussi qu’en septembre et octobre 2013, Daech a attaqué et détruit des églises de diverses confessions chrétiennes dans le gouvernorat de Raqqa 
			(31) 
			A/HRC/27/CRP.3, paragraphes
25-26., et qu’en février 2015, il a attaqué des villages chrétiens en ciblant les villageois en fonction de leur religion 
			(32) 
			A/HRC/30/48,
paragraphes 120-122.. Une autre source indique qu’en juin 2014, Daech a attaqué des chrétiens araméens, assyriens et chaldéens dans la province de Mossoul, en les ciblant en fonction de leur religion, qu’il a confisqué la totalité des églises, des maisons et autres biens des chrétiens après les avoir marqués de la lettre arabe «N» (pour «Nasrani», c’est-à-dire chrétien), et qu’il a vendu des femmes chrétiennes et yézidies comme esclaves, en publiant même une liste de prix 
			(33) 
			«De Arabische lente
en de genocide op Arameeërs», juillet 2017, Fédération des Araméens
des Pays-Bas.. Un autre rapport présente un cas de violations par Daech à l’encontre de chrétiens qui est constitutif du crime de génocide: le cas est solidement argumenté, apporte des éléments de preuve détaillés et repose sur des déclarations précises, sur des politiques et sur des conduites caractéristiques qui correspondent aux exigences de la définition juridique figurant dans la Convention de 1948 contre le génocide 
			(34) 
			«Genocide
against Christians in the Middle East», 9 mars 2016, Knights of
Columbus/In Defense of Christians.. Ce rapport décrit la séparation d’enfants chrétiens de leur mère, l’esclavage sexuel de femmes chrétiennes, les meurtres «courants» de chrétiens (estimés à plusieurs milliers sur l’ensemble de la Syrie) et des prises d’otage. Il mentionne des déclarations d’intention de Daech, notamment son intention «de conquérir votre Rome, de briser vos croix et de réduire vos femmes en esclavage [et] de vendre vos fils sur le marché aux esclaves» ainsi que «de brûler les esclaves de la Croix». D’après les auteurs, «[l]a lettre de ces déclarations, en particulier dans ce contexte, est claire: le soi-disant califat a programmé la destruction des chrétiens, maintenant et dans un combat apocalyptique à venir».
22. Certains affirment que Daech tolère les chrétiens au même titre qu’ils étaient tolérés sous le «Pacte d’Umar», lequel régissait leur statut dans les califats musulmans entre les IXe et XIXe siècles. Cette affirmation a été vivement réfutée, essentiellement au motif suivant: puisque les chrétiens sont contraints de payer l’impôt appelé djizîa, ce système ne correspond pas en pratique à l’ancien modèle historique; Or, l’impôt est fixé à une valeur confiscatoire et ceux qui le paient sont néanmoins victimes de meurtre, de mauvais traitements, de privation de liberté, ils servent de boucliers humains et ne sont pas en mesure de pratiquer leur religion, en partie en raison des destructions d’églises et de l’enlèvement de prêtres 
			(35) 
			Voir
par exemple «Falling for ISIS Propaganda about Christians», The American Interest, 21 juillet
2016, et «Genocide against Christians in the Middle East».. Les chrétiens sont face à un choix épouvantable: payer la djizîa, se convertir à l’islam, fuir ou être tués. La dure réalité est que Daech considère les chrétiens comme des infidèles qui méritent d’être abattus: sa djizîa a été décrite comme «un stratagème grâce auquel l’État islamique en Irak et au Levant peut empêcher les chrétiens de la région de profiter de lui et de lui porter atteinte» et comme une «astuce publicitaire du califat» 
			(36) 
			Voir par exemple «Christians’
Life in ISIS-Controlled Iraq: A Daily Dance With Death», National Catholic Register, 6 avril
2017, et «Genocide against Christians in the Middle East»; également
«Convert, pay tax, or die, Islamic State warns Christians», Reuters,
18 juillet 2014.. Selon une estimation souvent citée, un tiers environ des 200 000 à 250 000 chrétiens d’Irak en 2014 ont fui le pays, nombre de ceux qui sont restés sont déplacés à l’intérieur du territoire, et peut-être près de la moitié des 2 millions de chrétiens que comptaient la Syrie en 2011 ont fui, là encore avec de forts taux de déplacements internes 
			(37) 
			«Understanding recent
movements of Christians from Syria and Iraq to other countries across
the Middle East and Europe», Open Doors International/Served/Middle
East Concern, juin 2017. . Il convient de rappeler que Daech est aussi présent en Égypte, où il a, de façon systématique, attaqué des églises et expulsé des communautés coptes chrétiennes de leur domicile 
			(38) 
			Voir
par exemple «Egypt’s Christians Flee ISIS Violence», Human Rights
Watch, 13 mars 2017..
23. La nature et l’ampleur des atrocités commises par Daech à l’encontre de chrétiens, les conséquences de ces atrocités sur les communautés chrétiennes en particulier d’Irak et de Syrie en tant que groupes et les nombreuses déclarations d’intention de Daech motivées par la doctrine sont toutes extrêmement bien documentées et conduisent fortement à penser qu’il y a bien un génocide délibéré.
24. La Commission d’enquête internationale fournit également dans ses rapports généraux des informations précises sur les crimes commis par Daech à l’encontre de musulmans non sunnites, notamment de chiites, que l’organisation considère comme des apostats ou des hérétiques; de nombreux commentateurs et certaines déclarations parlementaires considèrent aussi que ces actes s’analysent en génocide. Les dizaines de milliers de Turkmènes et de Shabaks qui vivaient dans des villages autour de Mossoul ont quasiment tous fui lorsque Daech a assiégé la ville en 2014. Nombre d’entre eux, y compris des enfants, ont néanmoins été capturés, sommés de se «repentir» de leurs croyances «hérétiques», torturés et tués, et leurs mosquées et biens ont été pillés 
			(39) 
			«Iraq:
ISIS Abducting, Killing, Expelling Minorities», Human Rights Watch,
19 juillet 2014.. Au cours de ces attaques, Daech a torturé et tué plus d’un millier de chiites qui avaient été délibérément séparés des soldats irakiens capturés. En août 2015, une bombe de Daech a tué au moins 76 personnes d’un quartier de Bagdad à majorité chiite 
			(40) 
			«Islamic
State claims huge truck bomb attack in Baghdad’s Sadr City», Reuters,
13 août 2015.. En juillet 2016, Daech a de nouveau attaqué un quartier chiite de Bagdad, faisant plus de 300 morts 
			(41) 
			«The ISIS campaign
against Iraq’s Shia Muslims is not politics. It’s genocide», The Guardian, 5 janvier 2017.. Plus tard ce même mois, l’organisation a attaqué le mausolée de Sayed Mohamed ben Ali al-Hadi, lieu saint chiite du centre de l’Irak, tuant au moins 40 personnes 
			(42) 
			«Iraq
says Balad suicide blast is Isis attempt to stir up sectarian war», The Guardian, 8 juillet 2016.. En avril 2017, lors d’un attentat-suicide, un membre de Daech a attaqué un bus transportant pour l’essentiel des villageois chiites qui fuyaient des zones détenues par les rebelles dans le cadre d’un échange décidé d’un commun accord, tuant 126 personnes, dont 80 enfants 
			(43) 
			«It’s Time To Acknowledge
Shi’ite Genocide», Huffington Post,
18 avril 2017..
25. La nature et l’ampleur des atrocités commises par Daech à l’encontre de musulmans non sunnites, les conséquences de ces atrocités sur ces communautés, en particulier en Irak et en Syrie, en tant que groupes et les nombreuses déclarations d’intention de Daech motivées par la doctrine sont toutes bien documentées et conduisent fortement à penser qu’il y a bien un génocide délibéré.

4. La position des acteurs nationaux et internationaux sur la question du génocide

26. À mesure que les preuves s’accumulaient et que la position des mécanismes de contrôle indépendants évoluait, un nombre croissant d’importants acteurs nationaux et internationaux sont également parvenus à la conclusion que Daech a commis un génocide. L’Assemblée parlementaire a été l’une des premières à conclure en janvier 2016 que Daech avait «commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international» et à appeler les États membres «à respecter leurs obligations positives nées de la [Convention de 1948 contre le génocide], en prenant toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir un génocide» 
			(44) 
			Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, paragraphes
2 et 21.2. En octobre 2016, l’Assemblée a réaffirmé sa position
en appelant les États membres à «remplir leur obligation positive,
en droit international, de prévenir le génocide en cours en Syrie
et en Irak»: voir la Résolution
2134 (2016), «Coopération avec la Cour pénale internationale: pour
un engagement étendu et concret», paragraphe 8.. Le Parlement européen a adopté une résolution analogue le mois suivant, en déclarant que Daech commettait un génocide à l’encontre des chrétiens, des yézidis et d’autres minorités religieuses, et en invitant instamment le Conseil de sécurité des Nations Unies à déférer cette question devant la CPI 
			(45) 
			Résolution
du Parlement européen du 4 février 2016 sur le massacre systématique
des minorités religieuses par le soi-disant groupe «EIIL/Daech»,
paragraphe 2..
27. Plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont adopté une position analogue. Dès le 15 décembre 2015, le Seimas de la République de Lituanie déclarait que «les atrocités perpétrées à l’encontre de chrétiens et de représentants d’autres minorités religieuses qui sont visées au Moyen-Orient, en particulier en Irak et en Syrie, et en Afrique du Nord seulement pour des motifs religieux peuvent être considérées comme un génocide». La Chambre des communes du Royaume-Uni a déclaré le 20 avril 2016 par un vote à l’unanimité de ses 278 membres qu’elle était convaincue que «les chrétiens, les yézidis et les autres minorités ethniques et religieuses d’Irak et de Syrie aux mains de Daech subissent un génocide» et a appelé le Gouvernement britannique «à saisir immédiatement le Conseil de sécurité des Nations Unies en vue de donner compétence à la CPI, afin que les auteurs de ces actes soient traduits en justice». Le 8 décembre 2016, l’Assemblée nationale française a estimé que les violences et les crimes commis par Daech à l’encontre des chrétiens, des yézidis et des autres populations minoritaires satisfaisaient aux critères de la définition du génocide et a appelé le Gouvernement français à reconnaître officiellement ce génocide et à saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies de la question, afin qu’il donne mandat à la CPI de poursuivre les auteurs de ces crimes. En 2016 également, le Parlement hongrois a déclaré que les atrocités commises par Daech «devaient être considérées comme des actes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre». Le 7 juin 2017, le Conseil national autrichien a approuvé la résolution du Parlement européen, tout en appelant le Conseil de sécurité des Nations Unies à déclarer officiellement que les atrocités commises par l’État islamique en Irak et au Levant à l’encontre des chrétiens et d’autres minorités religieuses et ethniques sont des actes de génocide et en demandant que les auteurs de ces crimes soient traduits devant la CPI.
28. Un certain nombre de pays non européens ont également pris position. Le 14 mars 2016, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté, à l’unanimité de ses 393 membres, une résolution qui qualifie de génocide les atrocités commises à l’encontre des chrétiens, des yézidis et des autres minorités ethniques et religieuses d’Irak et de Syrie. Le 15 mars 2016, le Sénat américain a déclaré que les atrocités perpétrées par Daech à l’encontre de chrétiens, de yézidis et d’autres minorités religieuses et ethniques d’Irak et de Syrie constituaient des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et un génocide. Le 17 mars 2016, le secrétaire d’État américain, dans un discours soigneusement pesé et bien argumenté, a déclaré: «Daech est responsable d’un génocide commis à l’encontre de plusieurs groupes présents dans les régions placées sous son contrôle, notamment les yézidis, les chrétiens et les musulmans chiites. Daech commet un génocide par ses propres proclamations, par son idéologie et par ses actes, autrement dit par ce qu’il dit, par ce qu’il pense et par ce qu’il fait (…). Daech tue les chrétiens parce qu’ils sont chrétiens, les yézidis parce qu’ils sont yézidis, les chiites parce qu’ils sont chiites». Le secrétaire d’État a ensuite fait remarquer qu’il n’était «ni juge, ni procureur, ni membre d’un jury à propos des allégations de génocide, de crime contre l’humanité et de nettoyage ethnique commis par des personnes précises. En définitive, tous les faits doivent être mis en lumière par une enquête indépendante et par une décision de justice officielle rendue par une juridiction ou un tribunal compétent. Mais les États-Unis soutiendront résolument les initiatives qui visent à recueillir, établir documents à l’appui, conserver et analyser les preuves des atrocités commises et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que les auteurs de ces actes aient à en répondre 
			(46) 
			Lors
de l’examen de la situation au Moyen-Orient effectué à l’occasion
de la 7419e réunion du Conseil de sécurité
du 27 mars 2015, l’Autriche, l’Irak et la Nouvelle-Zélande ont qualifié
les actes de Daech de génocide; la Bulgarie, la Fédération de Russie,
la Slovénie et la Suisse partageaient apparemment ce point de vue.». L’actuelle administration américaine a soutenu cette position, le Secrétaire d’État Tillerson ayant déclaré que «l’État islamique en Irak et au Levant est manifestement responsable de génocide contre les yézidis, les chrétiens et les musulmans chiites dans les zones qu’il contrôle 
			(47) 
			Préface
au rapport International Religious Freedom
Report 2016, Département d’État américain.». Le Gouvernement canadien a réaffirmé le 16 juin 2016 qu’il reconnaissait le génocide des yézidis commis par Daech et la Chambre des communes du Canada a adopté à l’unanimité en octobre 2016 une résolution en ce sens. Le 2 mai 2016, la Chambre des représentants australienne a reconnu la «conduite génocidaire actuelle [de Daech...] à l’encontre de minorités indigènes en Irak, notamment du peuple assyrien [chrétien] 
			(48) 
			«Australia Recognises
Crimes Committed By ISIS Against Assyrians As Genocide», Assyrian
International News Agency, 2 mai 2016.». Le pape François a aussi déclaré qu’«une forme de génocide» est actuellement commise à l’encontre des chrétiens du Moyen-Orient 
			(49) 
			Allocution du Saint-Père
à la deuxième Rencontre mondiale des mouvements populaires, 9 juillet
2015..

5. La situation juridique de l’engagement des poursuites à l’encontre des membres de Daech

29. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il ne fait aucun doute que Daech ait commis une série de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Irak et en Syrie et il est de plus en plus admis qu’il a également commis un génocide. De tels actes relèvent de la compétence conférée à la CPI par les articles 5, 6, 7 et 8 du Statut de Rome. En vertu de l’article 28, les commandants militaires de Daech seraient responsables des crimes commis par leurs subordonnés, compte tenu de la structure hiérarchique de Daech et de la discipline interne rigoureuse qui y règne (voir plus haut les paragraphes 7 et 9). Il est peu probable que les subordonnés des forces militaires puissent invoquer l’exonération de responsabilité prévue pour les actes «commis sur ordre d’un supérieur» au titre de l’article 33, en raison, à tout le moins, du caractère manifestement illégal des ordres donnés 
			(50) 
			CDI, Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa 48e session
(6 mai-26 juillet 1996), UN Doc A/51/10, 90..
30. En vertu de l’article 12 du Statut de Rome, la CPI peut uniquement exercer sa compétence si le crime allégué a été commis sur le territoire d’un État Partie ou par l’un de ses ressortissants, ou par le ressortissant d’un État ayant accepté la compétence de la CPI pour le crime en question. Dans le cas contraire, la CPI est compétente si le Conseil de sécurité des Nations Unies défère «la situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis» au procureur au titre de l’article 13, comme cela avait été le cas, par exemple, pour le Soudan et la Libye.
31. L’Irak et la Syrie ne sont pas Parties au Statut de Rome et n’ont pas non plus accepté la compétence de la CPI. Cette dernière ne peut donc pas exercer de compétence territoriale pour tous les crimes pertinents commis dans ces pays. Mais, comme nous l’avons vu plus haut au paragraphe 8, de nombreux combattants étrangers, dont plusieurs milliers de ressortissants des États membres du Conseil de l’Europe et d’autres États Parties au Statut de Rome, ont rejoint les rangs de Daech et bon nombre d’entre eux auront pris part, à un degré ou à un autre, à la commission de crimes réprimés par le droit international. Cet élément pourrait conduire ces personnes à relever de la compétence de la CPI à titre individuel, même si les crimes qu’elles ont commis n’ont pas eu lieu sur le territoire d’un État relevant de sa compétence.
32. En vertu de l’article 53 du Statut de Rome, la procureure de la CPI, après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une enquête, à moins qu’elle ne conclue qu’il n’y a pas de base raisonnable pour poursuivre; pour prendre sa décision, elle examine si les renseignements en sa possession fournissent une base raisonnable pour penser qu’un crime relevant de la compétence de la CPI a été ou est en voie d’être commis. Elle peut à tout moment reconsidérer cette décision sur la base de nouveaux faits ou de nouvelles informations.
33. Le 8 avril 2015, la procureure a publié une «Déclaration à propos des crimes qui auraient été commis par l’EIIS». Elle y faisait remarquer que «les atrocités qui auraient été commises par l’EIIS constituent sans l’ombre d’un doute des crimes graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale et menacent la paix, la sécurité et le bien-être de la région en cause et du monde» 
			(51) 
			Ce libellé rappelle
celui de l’article 39 de la Charte des Nations Unies, qui précise
que «[l]e Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace
contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression
et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformément aux article 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix
et la sécurité internationales». Il peut donc s’entendre comme faisant
obligation au Conseil de sécurité de déférer la situation au procureur
de la CPI.. Elle a rappelé par ailleurs que, bien que la CPI ne jouisse pas d’une compétence territoriale sur ces crimes, elle pouvait néanmoins exercer sa compétence personnelle sur les auteurs supposés de ces actes qui sont ressortissants d’un État Partie. Des milliers de combattants étrangers ont rejoint les rangs de Daech, et certains d’entre eux peuvent avoir pris part à la commission de crimes réprimés par le droit international, mais cette organisation est avant tout dirigée par des ressortissants irakiens et syriens, de sorte que les perspectives d’enquête et de poursuites à l’encontre des dirigeants les plus responsables semblent limitées. Elle concluait donc que, «au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire était trop étriqué».
34. Dans sa déclaration, la procureure faisait par ailleurs remarquer que la décision d’États non Parties au Statut de Rome (c’est-à-dire l’Irak et la Syrie) d’accepter la compétence de la CPI, ou du Conseil de sécurité des Nations Unies de saisir la CPI pour qu’elle intervienne, était complètement indépendante de la volonté de la CPI. Elle soulignait également qu’il incombait en premier lieu aux autorités nationales d’enquêter sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre leurs auteurs, en ajoutant que le Bureau du procureur restait prêt à collaborer avec les États concernés pour apporter son soutien aux enquêtes et aux poursuites menées à l’échelon national. Le Bureau continuera en outre à recueillir tout renseignement supplémentaire sur les différentes positions occupées par les ressortissants d’États Parties au sein de Daech qui pourrait l’amener à reconsidérer sa décision.
35. Le 17 décembre 2015, Global Justice Centre a écrit à la procureure pour étayer les informations détaillées complémentaires sur les combattants étrangers et leur rôle au sein de Daech présentées par les organisations Yazda et Free Yazidi Foundation, afin de réunir les conditions nécessaires à l’ouverture d’un examen préliminaire du génocide et des autres crimes commis à l’encontre des yézidis par les ressortissants des États Parties au Statut de Rome. Ce courrier rappelle la politique adoptée par le Bureau du procureur, telle qu’il l’énonce dans son Rapport sur les activités menées en 2015 en matière d’examen préliminaire, où il est précisé que le Bureau «étendra sa stratégie générale en matière de poursuites pour s’intéresser aux criminels de rang intermédiaire ou élevé, voire aux criminels de rang inférieur ayant acquis une grande notoriété, en vue de remonter en haut de la pyramide et d’atteindre les principaux responsables des crimes les plus graves. Le Bureau peut également envisager d’engager des poursuites contre des criminels de rang inférieur ayant commis des actes particulièrement graves et acquis une grande notoriété». Il mentionne également l’importance que la procureure devrait accorder aux crimes assortis de violences sexuelles, de violences à l’égard des femmes ou de violences sur mineurs, conformément à l’article 54 du Statut de Rome et à la politique adoptée par le Bureau au sujet des crimes sexuels et à caractère sexiste.

6. Surmonter les obstacles juridiques à l’engagement de poursuites à l’encontre des membres de Daech

36. Il existe trois moyens évidents de surmonter les obstacles à l’exercice par la CPI de sa compétence pour les crimes commis par Daech: premièrement, la Syrie et/ou l’Irak acceptent la compétence de la CPI; deuxièmement, le Conseil de sécurité défère la situation au procureur de la CPI; et, troisièmement, le procureur décide d’ouvrir une enquête sur les crimes commis par les ressortissants d’un État Partie au Statut de Rome ou qui a accepté la compétence de la CPI.
37. La première de ces trois solutions n’est pas réaliste. La deuxième est improbable, car elle concernerait l’ensemble de la «situation» dans laquelle les crimes ont été commis. Comme de graves allégations ont également été formulées au sujet d’actes commis par certains membres permanents du Conseil de sécurité ou par leurs alliés 
			(52) 
			Comme,
par exemple, lors de la 7777e réunion
du Conseil de sécurité du 25 septembre 2016., ceux-ci risquent de se montrer réticents à charger la CPI d’ouvrir une enquête qui donnerait lieu à l’examen, non seulement des crimes de Daech, mais également des éventuelles infractions commises par d’autres acteurs au cours du conflit plus général. Cela signifie qu’un ou plusieurs membres permanents pourraient avoir des raisons d’opposer leur veto à la décision de déférer la situation à la CPI. Le 22 mai 2014, un projet de résolution du Conseil de sécurité visant à déférer la situation en Syrie à la CPI s’est heurté au veto de la Russie et de la Chine, alors même que les 13 autres membres – y compris les États membres du Conseil de l’Europe que sont la France, la Lituanie, le Luxembourg et le Royaume-Uni – avaient voté en faveur de ce projet. Aucune tentative de déférer la situation en Syrie et/ou en Irak à la CPI n’a été faite par la suite et les initiatives de la communauté internationale visent désormais à retenir d’autres solutions pour pouvoir engager des poursuites à l’encontre des auteurs des atrocités commises en Syrie. En août 2017, Mme Carla Del Ponte, membre de la Commission d’enquête internationale, a démissionné pour protester contre l’incapacité du Conseil de sécurité des Nations Unies d’apporter une réponse en actes aux conclusions et aux recommandations de la commission, déclarant que son action «n’était appuyée par aucune volonté politique 
			(53) 
			«Syria
investigator Del Ponte quits, blaming U.N. Security Council», Reuters,
6 août 2017.».
38. La troisième solution envisageable permettant des poursuites devant la CPI, qui ne serait que partielle puisqu’elle se limiterait aux auteurs supposés ressortissants d’un État pour lequel la CPI a compétence, présente néanmoins plusieurs avantages importants. L’enquête de la procureure permettrait d’établir des éléments de preuve, notamment les dépositions de témoins, qui satisfassent aux critères requis pour leur présentation devant un tribunal, y compris devant les juridictions nationales. Quand bien même aucune poursuite ne serait engagée par la suite, ces éléments de preuve constitueraient un témoignage historique fiable des événements survenus. Si la procureure décidait de retenir des chefs d’accusation, cela marquerait le début d’une justice rendue aux victimes, permettrait la condamnation des auteurs de ces crimes et renforcerait la pression politique exercée sur le Conseil de sécurité pour le conduire à déférer la situation à la CPI.
39. L’autre moyen d’obtenir que justice soit rendue pourrait être la création d’un tribunal ad hoc. Depuis février 2015, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, consciente de l’absence de consensus entre les membres du Conseil de sécurité sur la question de la saisine de la CPI, recommande de déférer la situation à un tribunal ad hoc 
			(54) 
			A/HRC/28/69, paragraphe
146.b, A/HRC/32/CRP.2, paragraphe
207.a, et A/HRC/34/CRP.3,
paragraphe 120.c.; la résolution de mars 2016 de la Chambre des représentants des États-Unis a également appelé à la «création et au fonctionnement de tribunaux adéquats». Il existe diverses possibilités. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté des résolutions établissant des tribunaux pénaux internationaux ad hoc à deux reprises par le passé, pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et pour le Rwanda en 1994. Diverses juridictions spéciales ont également été constituées sur la base d’accords passés entre les autorités nationales de l’État dans lequel les crimes avaient été commis et les Nations Unies, comme le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé en 2002, et le Tribunal spécial pour le Liban, constitué en 2007. L’autre modèle envisageable pourrait être celui des mécanismes juridictionnels «hybrides» mis en place au sein des appareils judiciaires nationaux – comme les Formations spéciales pour les crimes graves commis au Timor oriental, créées en 2000, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, établies en 2001, ou la Chambre spéciale pour les crimes de guerre du Tribunal d’État de Bosnie-Herzégovine, constituée en 2004 – dans lesquels siègent des juges internationaux et des juges nationaux. Je crois comprendre que les autorités irakiennes hésitent quelque peu à accepter un «tribunal spécial» ou un mécanisme juridictionnel «hybride». Il pourrait donc être envisagé d’étudier des variantes à ces modèles, telles que des chambres extraordinaires au sein de tribunaux irakiens, composées de juges irakiens et assistées d’experts internationaux.
40. Mais comme l’a fait remarquer la procureure de la CPI, il incombe avant tout aux autorités nationales d’enquêter et d’engager des poursuites au sujet des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides, la CPI n’intervenant que lorsque les États n’agissent pas. Selon Amnesty International, l’immense majorité des États membres des Nations Unies ont légiféré de manière à prévoir une compétence universelle pour au moins l’un de ces crimes, même si cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont en mesure d’agir de manière effective pour faire appliquer le droit pénal international, en raison des obstacles que présente leur législation 
			(55) 
			«Universal Jurisdiction:
A preliminary survey of legislation around the world – 2012 update»,
IOR 53/019/2012.. La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne a fait observer dès février 2015 que de nombreux États sont disposés à ouvrir des enquêtes et à engager des poursuites à l’encontre de leurs propres ressortissants et que certains d’entre eux se sont montrés prêts à exercer une compétence universelle également à l’encontre de ressortissants étrangers; elle a invité instamment la communauté internationale à appliquer le principe de compétence universelle pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites à l’encontre des auteurs supposés de crimes 
			(56) 
			A/HRC/28/69, paragraphes
102-107 et paragraphe 145.a.. Plus récemment, l’Assemblée générale des Nations Unies a salué les initiatives prises par les États pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites à l’encontre des auteurs des crimes commis en Syrie, a invité instamment les autres États à faire de même et a encouragé le partage des informations entre États 
			(57) 
			Résolution de l’AGNU
71/248, paragraphe 3..
41. La plupart des pays qui ont répondu au questionnaire permettent l’exercice de la compétence universelle sur les infractions réprimées par le droit international, et ce de façon très claire en Allemagne, en Autriche, au Canada, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en France, en Irlande, en Lituanie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en République slovaque, en Slovénie, en Suède et en Suisse. Dans leurs réponses, de nombreux pays montrent clairement qu’ils ont pour politique d’appliquer des mesures de droit pénal aux personnes rentrant de Syrie ou d’Irak: l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont tous appelé l’attention sur leur volonté d’ouvrir des enquêtes et, lorsque cela est justifié, d’engager des poursuites à l’encontre des personnes qui regagnent le pays. En France, par exemple, la Cellule antiterroriste travaille actuellement sur 122 procédures: 170 personnes font l’objet d’une enquête, dont 105 sont en détention provisoire. Les Pays-Bas ont engagé des poursuites à l’encontre de 15 personnes ayant regagné le pays, dont trois ont été condamnées; la Norvège a poursuivi en justice huit personnes, parmi lesquelles cinq ont été condamnées; et les informations figurant dans la réponse du Royaume-Uni donnent à penser que huit personnes ayant regagné le pays ont été condamnées pour infractions terroristes. La Norvège a en outre indiqué qu’elle envisageait d’ouvrir des enquêtes pénales à l’encontre de personnes qui n’avaient pas encore regagné le pays de sorte que des mandats d’arrêt internationaux puissent être émis. Plusieurs réponses, en particulier celles du Danemark, de la Finlande, de la France et du Royaume-Uni, décrivent assez longuement la grave menace à long terme que posent éventuellement pour la sécurité les personnes qui rentrent chez elles. Le droit britannique permet la déchéance de la citoyenneté; selon certaines sources, plus de 150 djihadistes et criminels présumés ont été déchus de leur citoyenneté et empêchés de revenir au Royaume-Uni, dans un contexte de craintes que des membres de Daech n’affluent après la défaite militaire de l’organisation 
			(58) 
			«UK “has stripped 150
jihadists and criminals of citizenship”», The
Guardian, 30 juillet 2017.. Le Danemark a mis en place une interdiction de se rendre dans certaines zones touchées; d’autres pays autorisent la saisie des passeports appartenant aux suspects (la France, dans le cas des mineurs, l’Allemagne et le Royaume-Uni).
42. Plusieurs pays soulignent aussi la nécessité de prendre des mesures de déradicalisation et de réinsertion, notamment l’Autriche, le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Slovénie et la Suède, cette dernière insistant sur l’importance de ces mesures compte tenu des difficultés à obtenir des preuves à l’encontre des personnes ayant regagné le pays et à faire condamner ces personnes. Les mesures de rééducation destinées aux enfants des membres de Daech ayant regagné le pays, qui sont peut-être trop jeunes pour être considérés comme pénalement responsables de leur situation antérieure mais qui peuvent avoir subi un endoctrinement extrémiste violent, sont particulièrement importantes.
43. Que les auteurs des crimes commis par Daech soient ou non poursuivis devant les juridictions nationales ou internationales, la réunion des éléments de preuve demeure une tâche essentielle: le Conseiller spécial pour la prévention du génocide, par exemple, a appelé à ce que «tous les éléments de preuve des activités criminelles soient soigneusement établis document à l’appui et conservés pour être examinés ultérieurement par un tribunal» 
			(59) 
			Déclaration d’Adama
Dieng, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention
du génocide, sur la situation à et autour de Mossoul (Irak), 1er novembre
2016.. La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne a joué un rôle particulièrement important à cet égard, notamment en établissant des listes des auteurs supposés de ces crimes. Cette Commission, ainsi que la procureure de la CPI, ont fait part de leur volonté de partager les éléments de preuve dont ils disposent avec les autorités nationales. J’ai donc proposé que la commission demande au Bureau d’inviter l’un de ses représentants à prendre la parole devant l’Assemblée au cours du débat sur le présent rapport.
44. Le 21 décembre 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de créer un «Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables» 
			(60) 
			La création de ce nouveau
mécanisme a fait suite à l’événement organisé dans le cadre de la
campagne «Traduire Daech en justice» par les ministres des Affaires
étrangères du Royaume-Uni, de la Belgique et de l’Irak au cours
de la réunion du 19 septembre 2016 de la 71e session
de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a appelé à réunir
et à conserver les éléments de preuve en la matière.. Ce nouveau mécanisme coopérera étroitement avec la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne «pour ce qui est de recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments de preuve attestant de violations du droit international humanitaire, de violations du droit des droits de l’homme et d’atteintes à ce droit, et de constituer des dossiers en vue de faciliter et de diligenter des procédures pénales équitables, indépendantes et conformes aux normes du droit international devant des cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux, qui ont ou auront compétence pour connaître de ces crimes conformément au droit international 
			(61) 
			Résolution de l’AGNU
71/248, paragraphe 4.». Il convient cependant de noter que son mandat s’étend uniquement à la Syrie, pour les actes commis depuis 2011 non seulement par Daech mais également par toutes les parties au conflit, et qu’il n’englobe pas l’Irak. Par ailleurs, bien que Mme Catherine Marchi-Uhel, ancienne juge française, ait été nommée à la tête de ce mécanisme au mois de juillet, il n’a pas encore reçu les contributions volontaires nécessaires au financement de ses activités et n’est donc pas encore totalement opérationnel.
45. Un mécanisme analogue devrait être mis en place pour les atrocités commises par Daech en Irak. En outre, les États peuvent également contribuer individuellement à recueillir des éléments de preuve, par exemple en mettant en œuvre la recommandation de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, qui préconise que les États mettent leur expertise au service de ceux qui leur en font la demande pour contribuer à la conservation et à la documentation des sites de charniers 
			(62) 
			A/HRC/32/CRP.2, paragraphe
211.c..

7. Conclusions

46. Daech a commis certains des crimes les plus épouvantables que le monde ait connus ces dernières années, qui constituent sans le moindre doute des crimes réprimés par le droit international. Il n’a pas été possible de traduire en justice leurs auteurs en Syrie ou en Irak, les deux pays dans lesquels ces crimes ont été commis. Il n’a pas davantage été possible de porter ces affaires devant la CPI, car, d’une part, ni la Syrie ni l’Irak n’a accepté sa compétence, d’autre part, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas déféré la situation à la CPI et, enfin, la procureure de la CPI a décidé de ne pas ouvrir d’enquête au sujet des auteurs supposés de ces actes d’États qui relèvent de la compétence de la CPI. Alors que certains États ont fait de louables efforts pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites à l’encontre des auteurs des crimes commis par Daech en exerçant une compétence universelle, ces démarches sont loin de suffire à rendre justice aux victimes ou à exprimer la condamnation de la communauté internationale. Daech continue d’agir dans une impunité scandaleuse et la réaction de la communauté internationale dans son ensemble demeure tristement inadéquate.
47. La reconnaissance politique générale de la commission d’un génocide par Daech permettrait d’y parvenir, en transformant un cercle vicieux en un cercle vertueux. Les juridictions sont à l’heure actuelle incapables de se prononcer de manière définitive sur la question, faute de compétence ou de preuves; mais en l’absence d’une telle décision, de nombreux États ne respectent pas les obligations positives qui leur sont faites par la Convention de 1948 contre le génocide. La reconnaissance du génocide par les États à la suite d’une action concertée menée par eux conformément à leurs obligations pourrait donner à la CPI en particulier la possibilité et les moyens de traduire les membres de Daech en justice. L’allégation de génocide présente bien entendu une gravité particulière et ne doit pas être formulée à la légère, mais il existe désormais des éléments de preuve plus que suffisants pour justifier l’utilisation politique de ce terme, comme le montrent les positions adoptées par un nombre croissant d’instances nationales et internationales. Par ailleurs, le fait de désigner les actes commis par Daech en utilisant la qualification politique générale de génocide, tout en ayant des conséquences juridiques pour la communauté internationale en ouvrant la voie à des enquêtes judiciaires en bonne et due forme, ne serait en rien préjudiciable à l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de Daech, même si cette qualification peut être essentielle au cas où les auteurs de ces actes devaient être traduits en justice.
48. En attendant, la communauté internationale doit veiller à ce que les éléments de preuve indispensables à l’engagement d’éventuelles poursuites à l’encontre des membres de Daech, que ce soit devant des juridictions nationales ou internationales, soient réunis et conservés en respectant les critères de recevabilité requis. Tout comme les criminels de guerre nazis sont poursuivis aujourd’hui encore pour leurs crimes de haine, il importe que la justice ne trouve pas le repos jusqu’à ce que les criminels de Daech, qu’il s’agisse des acteurs principaux ou de leurs complices, répondent de leurs crimes et soient condamnés pour ceux-ci.
49. L’Assemblée parlementaire doit continuer résolument de condamner les crimes commis par Daech, y compris la commission d’un génocide, et formuler des recommandations précises aux États membres et observateurs et autres acteurs internationaux pertinents pour que les auteurs de ces crimes soient poursuivis et punis, comme cela est proposé dans le projet de résolution.