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Résolution 2191 (2017)
Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes
1. Les personnes intersexes naissent
avec des caractéristiques sexuelles biologiques qui ne correspondent
pas aux normes sociétales ou aux définitions médicales de ce qui
fait qu’une personne est de sexe masculin ou féminin. Parfois, ces
caractéristiques sont détectées à la naissance; dans d’autres cas,
elles ne deviennent apparentes que plus tard au cours de la vie,
notamment au moment de la puberté. Bien que leurs situations soient
diverses et variées, la majorité des personnes intersexes sont en
bonne santé physique. Seules quelques-unes sont atteintes d’affections
médicales mettant en danger leur santé. Or, la situation des personnes
intersexes est traitée depuis longtemps sous un angle essentiellement
médical. La thèse dominante dans le milieu médical est qu’il est
possible et souhaitable que le corps des enfants intersexes soit,
le plus tôt possible, rendu conforme à un paradigme soit masculin
soit féminin, souvent au moyen d’une intervention chirurgicale et/ou
hormonale, et que les enfants doivent ensuite être élevés selon
le sexe qui a ainsi été assigné à leur corps.
2. L’Assemblée parlementaire considère que cette approche entraîne
des atteintes graves à l’intégrité physique, touchant dans bien
des cas de très jeunes enfants ou des nourrissons qui ne sont pas
en mesure de donner leur consentement et dont on ne connaît pas
l’identité de genre. Et cela, alors qu’il n’existe pas de preuves
de l’efficacité à long terme de tels traitements, que la santé des
personnes concernées n’est pas directement menacée et que les traitements
n’ont pas de réelle visée thérapeutique, étant destinés à éviter
ou à atténuer des problèmes – perçus tels − d’ordre plutôt social
que médical. Bien souvent, ils nécessitent des traitements hormonaux
à vie et engendrent des complications médicales, aggravées par la
honte et le secret.
3. Une pression pèse souvent sur les parents pour qu’ils prennent
des décisions urgentes au nom de leur enfant, entraînant des changements
qui bouleverseront sa vie future, sans qu’ils comprennent véritablement les
conséquences à long terme des décisions qui auront été prises concernant
le corps de cet enfant durant sa prime ou petite enfance.
4. Bien que l’on assiste à une prise de conscience croissante
de ces questions, des efforts concertés restent nécessaires pour
sensibiliser le grand public à la situation et aux droits des personnes
intersexes, afin qu’elles soient pleinement acceptées au sein de
la société, sans stigmatisation ni discrimination.
5. L’Assemblée souligne l’importance de veiller à assurer que
la loi ne crée ni ne perpétue des obstacles à l’égalité pour les
personnes intersexes. Pour cela, il faut notamment faire en sorte
que les personnes intersexes qui ne s’identifient pas en tant que
personne de sexe masculin ou féminin bénéficient de la reconnaissance
juridique de leur identité de genre, et que, dans les cas où leur
genre n’a pas été correctement enregistré à la naissance, la procédure
de rectification du genre soit simple et fondée uniquement sur le principe
de l’autodétermination, comme le prévoit la Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée
sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en
Europe. Des modifications de la législation antidiscrimination pourraient
également être nécessaires pour couvrir efficacement la situation
des personnes intersexes.
6. L’Assemblée considère que cette situation est susceptible
de soulever des questions importantes au vu de plusieurs dispositions
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
et notamment de ses articles 3 et 8.
7. Compte tenu de ce qui précède et ayant à l’esprit les dispositions
de la Convention pour la protection des droits de l'homme et de
la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie
et de la médecine: Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine
(STE no 164, «Convention d’Oviedo») et les
recommandations pertinentes contenues dans sa Résolution 1952 (2013) sur le droit
des enfants à l’intégrité physique, ainsi que celles du Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et de plusieurs organes
de suivi des traités des Nations Unies, l’Assemblée invite les États
membres du Conseil de l’Europe:
7.1. pour
protéger efficacement le droit des enfants à l’intégrité physique
et à l’autonomie corporelle, et donner aux personnes intersexes
les moyens d’exercer et de faire valoir ces droits:
7.1.1. à
interdire les actes chirurgicaux de «normalisation sexuelle» sans
nécessité médicale ainsi que les stérilisations et autres traitements
pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement éclairé;
7.1.2. à garantir que, hormis dans les cas où la vie de l’enfant
est directement en jeu, tout traitement visant à modifier les caractéristiques
sexuelles de l’enfant, notamment ses gonades ou ses organes génitaux
externes ou internes, est reporté jusqu’au moment où cet enfant
est en mesure de participer à la décision, en vertu du droit à l’autodétermination
et du principe du consentement libre et éclairé;
7.1.3. à assurer à toutes les personnes intersexes des soins
de santé dispensés par une équipe multidisciplinaire spécialisée,
composée de professionnels de santé, mais aussi d’autres professionnels
compétents tels que des psychologues, des travailleurs sociaux et
des éthiciens, selon une approche globale centrée sur le patient
et suivant des lignes directrices élaborées ensemble par les organisations
de personnes intersexes et les professionnels concernés;
7.1.4. à garantir que les personnes intersexes ont un accès effectif
aux soins de santé tout au long de leur vie;
7.1.5. à garantir que les personnes intersexes ont pleinement
accès à leur dossier médical;
7.1.6. à assurer une formation complète et actualisée sur ces
questions à l’ensemble des professionnels du secteur médico-psychologique
et autres professionnels concernés, en expliquant notamment de manière
claire que les corps intersexes sont le résultat de variations naturelles
du développement sexuel et qu’ils n’ont pas en tant que tels à être
modifiés;
7.2. en vue d’aider les personnes intersexes, leurs parents
et leur entourage à faire face aux problèmes posés notamment par
les attitudes sociales à l’égard des variations des caractéristiques sexuelles:
7.2.1. à veiller à ce qu’il existe des mécanismes de soutien
psychosocial adaptés pour les personnes intersexes et leur famille,
tout au long de leur vie;
7.2.2. à soutenir les organisations de la société civile qui
œuvrent pour briser le silence sur la situation des personnes intersexes
et pour créer un environnement dans lequel les personnes intersexes
peuvent parler ouvertement et sans risque de ce qu’elles vivent;
7.3. en ce qui concerne l’état civil et la reconnaissance juridique
du genre:
7.3.1. à garantir que les lois et les pratiques
relatives à l’enregistrement des naissances, en particulier à l’enregistrement
du sexe des nouveau-nés, respectent dûment le droit à la vie privée en
laissant une latitude suffisante pour prendre en compte la situation
des enfants intersexes sans contraindre les parents ni les professionnels
de santé à révéler inutilement le statut intersexe d’un enfant;
7.3.2. à simplifier les procédures de reconnaissance juridique
du genre conformément aux recommandations adoptées par l’Assemblée
dans sa Résolution 2048 (2015) et
à veiller en particulier à ce que ces procédures soient rapides,
transparentes et accessibles à tous sur la base du droit à l’autodétermination;
7.3.3. lorsque les pouvoirs publics recourent à des classifications
en matière de genre, à veiller à ce qu’il existe un ensemble d’options
pour tous, y compris pour les personnes intersexes qui ne s’identifient
ni comme homme ni comme femme;
7.3.4. à envisager de rendre facultatif pour tous l’enregistrement
du sexe sur les certificats de naissance et autres documents d’identité;
7.3.5. à veiller, conformément au droit au respect de la vie
privée, à ce que les personnes intersexes ne soient pas privées
de la possibilité de conclure un partenariat civil ou un mariage, ou
de rester dans une telle relation après la reconnaissance juridique
de leur genre;
7.4. afin de combattre la discrimination à l’égard des personnes
intersexes, à veiller à ce que les lois antidiscrimination s’appliquent
effectivement aux personnes intersexes et les protègent, en faisant
en sorte d’interdire expressément la discrimination fondée sur les
caractéristiques sexuelles dans tous les textes pertinents et/ou
en sensibilisant les avocats, la police, les procureurs, les juges
et tous les autres professionnels compétents, ainsi que les personnes
intersexes sur la possibilité de réagir aux actes de discrimination
à leur égard en invoquant une discrimination fondée sur le sexe
ou encore «sur tout autre motif» (non précisé) lorsque la liste
des motifs interdits dans les dispositions nationales antidiscrimination
applicables n’est pas exhaustive;
7.5. à recueillir davantage de données et à mener de plus amples
études sur la situation et les droits des personnes intersexes,
notamment sur l’impact à long terme des actes chirurgicaux de «normalisation
sexuelle», des stérilisations et des autres traitements pratiqués
sur les personnes intersexes sans leur consentement libre et éclairé,
et à cet égard:
7.5.1. à réaliser une enquête sur les effets
dommageables des traitements invasifs et/ou irréversibles de «normalisation
sexuelle» déjà pratiqués sur des individus sans leur consentement,
et à envisager d’indemniser, éventuellement par le biais d’un fonds
spécifique, les personnes qui souffrent des conséquences des traitements
dont elles ont fait l’objet;
7.5.2. afin d’avoir une vision complète des pratiques actuelles,
à tenir un registre de toutes les interventions pratiquées sur les
caractéristiques sexuelles d’enfants;
7.6. à mener des campagnes pour sensibiliser les professionnels
concernés et le grand public à la situation et aux droits des personnes
intersexes.
8. Enfin, l’Assemblée invite les parlements nationaux à œuvrer
activement, avec la participation des personnes intersexes et de
leurs organisations représentatives, pour sensibiliser l’opinion
publique sur la situation des personnes intersexes dans leur pays
et pour traduire dans les faits les recommandations ci-dessus.