1. Introduction
1. L’Assemblée parlementaire a
renvoyé une proposition de résolution sur cette question (
Doc. 13976) à la commission des questions politiques et de la démocratie,
qui m'a nommé rapporteur le 24 mai 2016. Le 12 octobre 2016, j'ai
eu un échange de vues avec M. Matthias Kloth, Secrétaire exécutif
du Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL),
et M. Carlo Chiaromonte, Secrétaire du Comité d'experts sur le terrorisme
(CODEXTER). Le 7 novembre 2016, la commission a tenu un échange
de vues avec la participation de M. Tom Keatinge, Directeur du Centre
d'études sur la sécurité et la criminalité financière, Royal United
Services Institute, Royaume-Uni. Le 24 janvier 2017, j'ai rencontré
MM. Christian Mommers et Mathieu Birker du Bureau du Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe.
2. Bien que certaines sources de financement mentionnées dans
ce rapport soient spécifiques au groupe terroriste Daech, beaucoup
peuvent être, et sont, utilisées par d'autres organisations terroristes.
La défaite militaire de Daech en Irak et en Syrie ne signifie pas,
malheureusement, la fin de ce groupe terroriste, qui se transformera
probablement en quelque chose de différent. Il est donc important
de s'assurer qu'il ne sera pas en mesure d'utiliser les sources
de financement qu'il a utilisées dans le passé. Par conséquent,
afin que le titre du rapport en reflète mieux la portée et le but,
j’ai proposé d’en changer légèrement le libellé comme suit: «Le financement
du groupe terroriste Daech: enseignements retenus»
2. Brève présentation de Daech
3. Daech, également connu sous
le nom d’EI (État Islamique), EIIS (État islamique en Iraq et en
Syrie), ou EIIL (État islamique en Irak et al-Sham/Levant)
est
une organisation terroriste qui s'est séparée du groupe terroriste
«Al-Qaïda en Irak» (AQI). Son idéologie, qui est classée dans la
catégorie «salafisme djihadiste», est caractérisée par une vision
sectaire anti-chiite (et anti-occidentale) et une application sévère
de la loi islamique. Le but de Daech est de restaurer un «califat»
où tous les habitants respecteront la loi de la charia, dans le
but de purifier l'islam et «d'asservir les mécréants».
4. Daech avait pris le contrôle de nombreuses régions de Syrie
et d'Irak, notamment de villes importantes comme Raqqa et Mossoul
(désormais reprises par les forces irakiennes, kurdes et syriennes)
et, à son apogée, 10 millions de personnes vivaient sous sa férule.
Les frappes aériennes internationales effectuées en 2016 et 2017
ont réduit de plus en plus le territoire contrôlé par l'organisation.
Sur le territoire qu'il occupait, le groupe Daech avait mis en place
sa propre administration et pris en charge de nombreux domaines généralement
gérés par l'État (fiscalité, sécurité et éducation). Le groupe a
également construit des infrastructures et recruté et formé des
combattants.
5. Daech et d’autres groupes terroristes d’inspiration islamiste
sont désormais considérés comme opérationnels dans au moins 39 pays
de diverses régions du globe. Le Département d’État américain affirme que
des groupes islamistes ont été actifs dans les pays suivants: Allemagne,
Albanie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie,
Danemark, Espagne, France, Géorgie, Italie, Kosovo*
, Norvège, Pays-Bas,
Royaume-Uni, Russie, Serbie, Suède et Turquie.
6. Les activités de Daech ont consisté à gouverner les territoires
dont il s’est emparé mais aussi à lancer des attaques terroristes
dans le monde arabe et au-delà. L'organisation a revendiqué des
attentats en France, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni,
aux États-Unis, en Turquie, au Bangladesh, en Espagne et dans de
nombreux autres pays du monde. Bien que ces tragédies soient parfois
dues à une attaque dirigée par un groupe plus organisé, les actes
de terreur sont souvent le fait de «loups solitaires» ou d’individus
isolés, radicalisés par ce qu'ils entendent et lisent en ligne sur
les plateformes du groupe. Environ 5 000 personnes domiciliées dans
l'Union européenne feraient partie des combattants étrangers. En
effet, comme le rapporte CNN, ces individus, et en particulier les
combattants étrangers qui rentrent d'Irak et de Syrie et peuvent
raviver des réseaux clandestins dans leurs pays, posent un grave
problème à l'Europe et aux États-Unis
.
La France semble être la plus exposée à ce phénomène, avec plus
de 1 700 rapatriés potentiels. Toutefois, dans le chaos qui a suivi
l'effondrement de Daech, on a perdu la trace d'un grand nombre de
djihadistes européens. La menace principale ne vient cependant pas
des djihadistes qui sont partis à l'étranger pour défendre le «Califat» mais
de ceux qui, imprégnés des idées de Daech, sont restés dans leur
pays pour y commettre des atrocités. Les attentats de Londres et
de Manchester, au Royaume-Uni, en 2017, en sont une preuve.
7. Daech a commencé à attirer des combattants du monde entier
après avoir annoncé qu'il voulait créer un «califat». En septembre
2014, la Central Intelligence Agency (CIA) estimait que Daech comptait
entre 20 000 et 31 500 combattants (dont 15 000 recrues étrangères
venant souvent de pays européens). Les services de renseignements
américains, quant à eux, ont estimé que le nombre de combattants
se situait entre 20 000 et 25 000 en 2016. Les informations concernant
le nombre de combattants sont particulièrement controversées et
susceptibles de changer en fonction des sources et des variables
prises en compte.
8. Daech se caractérise des autres groupes djihadistes traditionnels
par ses techniques de recrutement. Les médias électroniques jouent
un rôle très important dans la stratégie de communication et de
recrutement du groupe: les volontaires utilisent généralement les
réseaux sociaux et d'autres plateformes internet pour contacter
les recruteurs et devenir djihadistes; il est beaucoup moins fréquent
que les recruteurs de Daech contactent des volontaires. En outre,
les mosquées, les terrains de football, les universités et les prisons
font partie des environnements préférés de Daech pour diffuser sa
stratégie de promotion du recrutement et «chasser» les jeunes.
9. Plusieurs journaux et rapports ont qualifié Daech de «marque»
(internationale) comptant 57 unités de production. Ces productions
médiatiques ont servi à promouvoir des idéaux au moyen de vidéos,
à communiquer, à envoyer des messages et, enfin, à recruter des
combattants étrangers. La revue Foreign Affairs explique
qu’à son apogée, en 2014-2015, Daech avait réussi à se faire passer
pour une insurrection supra-étatique. Ses affiliés n'ont pas seulement
adopté le projet du groupe, mais aussi ses efforts et ses stratégies
de gouvernance (légales, juridiques, éducatives et propagandistes),
transposant à l'étranger le système élaboré en Syrie et en Irak.
Or, la propagande diffusée dans les médias ne ciblait pas uniquement
les recruteurs internationaux: Daech l'a également utilisée pour
contraindre les populations locales à lui faire allégeance dans
les territoires qu'il prétendait gouverner.
3. Différentes
sources de revenus
10. Lors de l’audition organisée
par la commission le 7 novembre 2016, M. Tom Keatinge, Directeur
du Centre d’études sur la sécurité et la criminalité financière,
Royal United Services Institute, Royaume-Uni, a souligné que l’existence
de précieuses matières premières (essentiellement du pétrole) et
de populations à taxer sur les territoires contrôlés par Daech lui
permettait de facilement financer ses activités. Al Shabaab a également
mis à profit cette stratégie en Somalie (par le prélèvement de l’impôt
sur les populations et le contrôle des exportations de charbon),
tout comme Al Qaïda au Maghreb (qui prélève l’impôt sur la circulation des
marchandises licites et illicites – comme la drogue – et des personnes
traversant son territoire).
11. M. Keatinge a souligné qu'il était nécessaire d'examiner l'intersection
entre la criminalité organisée et le terrorisme et a ajouté que
le secteur financier devrait apporter sa contribution en prévenant
les acteurs du secteur que des fonds pouvaient être utilisés pour
de telles activités. La manière dont les 40 recommandations du Groupe
d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI)
sont
mises en œuvre devrait faire l’objet d’un suivi. Enfin, il a affirmé
que la moindre faille du système financier serait exploitée par
Daech et que les renseignements financiers à caractère privé devraient
donc être échangés pour suivre les mouvements de capitaux.
12. Les produits illicites tirés de l'occupation de territoires
en Syrie et en Irak proviennent notamment de l'extorsion, du pillage
bancaire, des champs pétroliers, de la traite des êtres humains,
de la taxation des marchandises et des espèces. Daech a également
tiré des revenus de l'enlèvement contre rançon, de dons, du soutien
matériel des combattants terroristes étrangers et de la collecte
de fonds au moyen des réseaux sociaux.
13. Daech se distingue de la plupart des autres groupes terroristes
par le volume considérable de capitaux qu’il a été capable de collecter;
cela lui a valu la réputation d’être un des groupes terroristes
les plus riches du monde, sinon le plus riche. Par contre, au début
de son existence, en 2014 en 2015, il a pris à l’égard de sa population
des engagements sociaux très généreux qui ont dû absorber une bonne
partie de ses ressources financières considérables. Étant donné
la capacité de ce groupe à tirer des recettes du territoire qu’il
contrôle, il était particulièrement difficile d’interrompre et de
réduire le flux de ses revenus. Selon Jean Charles Brisard, un expert
français du financement du terrorisme, Daech tirait environ 60 %
de ses revenus des ressources naturelles présentes sur le territoire
illégalement occupé, et environ 40 % d’activités criminelles, comme l’extorsion.
Fin 2017, les possibilités de financement de Daech avaient fortement
diminué.
3.1. Revenus
générés par le pétrole
14. Le contrôle des champs pétroliers
et des raffineries en Irak et en Syrie a été une source considérable de
revenus pour Daech. Désireux de créer un État durable et autosuffisant,
le groupe terroriste a reconnu l'importance des revenus générés
par le pétrole. Il a cependant rencontré un certain nombre de problèmes concernant
l'utilisation des gisements de pétrole, notamment celui de sa dépendance
à l'égard des négociants et des trafiquants pour transporter et
vendre le pétrole. Daech a également peiné à acquérir les équipements et
à recruter le personnel nécessaire pour exploiter les champs pétrolifères.
L'organisation a donc utilisé des moyens primitifs pour extraire
et raffiner le pétrole afin de le monétiser. Les transactions concernant
le commerce du pétrole de Daech se faisaient principalement en espèces,
ce qui les rendait difficiles à détecter et donc à interrompre.
15. Les revenus générés par le pétrole ont diminué en 2016 (environ
$US 200 millions contre plus de $US 500 millions en 2015) en raison
de la chute des prix du pétrole mais aussi des frappes aériennes
menées par la coalition internationale, qui ciblait tout ce qui
était lié à la production de pétrole. Ces revenus ont encore diminué
en 2017.
16. La majeure partie du pétrole brut produit par Daech était
directement vendu aux négociants indépendants syriens et irakiens
sur les champs pétrolifères. Selon des négociants, malgré les frappes aériennes,
Daech avait maintenu la production pétrolière, en perdant toutefois
une partie de ses bénéfices. Pour compenser les pertes de revenus,
l'organisation a adopté de nouvelles méthodes pour gagner davantage d'argent,
par exemple en accordant aux négociants une «licence» permettant
d'éviter les files d'attente et d'acheter 1 000 barils d'un coup
s'ils pouvaient payer d'avance. Le régime d'Assad semble également
avoir acheté du pétrole à Daech. Le 7 mars 2015, un Syrien a été
sanctionné par l'Union européenne pour avoir agi en tant qu'intermédiaire
alors que le régime d'Assad essayait d'acheter du pétrole au groupe
terroriste
.
17. Selon le Wall Street Journal,
les pertes de revenus subies par Daech l'ont contraint à négocier
de plus en plus avec le régime d'Assad. Les ventes de pétrole et
de gaz au régime syrien ont dès lors représenté la source de financement
la plus importante de Daech et ont remplacé les recettes provenant
des impôts et redevances diverses. De nombreux responsables américains
et européens affirment que le gouvernement d'Assad, qui a pourtant
déclaré qu'il combattait le groupe, dépendait presque entièrement
du gaz produit sur le territoire contrôlé par Daech et apportait
donc un soutien direct à ce dernier dans le cadre des achats/reventes
d'énergie.
3.2. Revenus
générés par l'exploitation d'autres ressources naturelles (à l'exclusion
du pétrole)
18. Daech a également pris le contrôle
des champs cultivés, stocké du blé dans des silos et contrôlé sa distribution.
Il a ainsi pu fixer les prix des produits agricoles. Selon L’Organisation
des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Daech a
pris le contrôle de plus de 40 % des terres à blé dans les régions
de l'Irak qu'il contrôlait. Daech a publié des brochures avec des
photos de champs aux épis dorés et de combattants distribuant de
la nourriture, et s'en est servi pour tenter de convaincre la population
locale qu'il pouvait mieux gouverner que les gouvernements arabes,
qualifiés d'infidèles.
19. En plus des ressources agricoles, Daech aurait également pris
le contrôle de la mine de phosphate d'Akashat et de l'usine d'Al-Qaim
dans la province d'Al-Anbar, Irak, en 2015, ainsi que de plusieurs
usines d'extraction de soufre appartenant à la société publique
d'exploitation du soufre de Mishraq et de la principale mine de
sel de la Syrie. Daech avait aussi la mainmise sur cinq grandes
cimenteries en Syrie et en Irak. D’après les estimations, en 2014,
les dérivés du phosphate ont rapporté environ $US 300 millions à
Daech, et les ciments $US 292 millions supplémentaires. Daech contrôlait
également le champ gazier d'Akkas dans la province d'Al Anbar, qui
est la plus grande réserve de gaz naturel en Irak.
3.3. Revenus
générés par l’impôt et l’extorsion
20. Pour compenser la perte des
revenus générés par le pétrole, Daech a augmenté son recours à l'extorsion,
en taxant presque tout (communications, retraits d'argent, consommation,
taxe de circulation, taxe sur les salaires, impôt assurant la «protection»
des résidents non islamiques) et en confisquant également des maisons,
du mobilier et des terres.
21. L’extorsion de fonds a été largement utilisée par le groupe
terroriste pour générer des revenus. Daech a détourné la «zakat»
pour taxer la population
du territoire occupé. Cet impôt a particulièrement été utilisé contre
les agriculteurs pour prélever une partie de leurs récoltes. Daech
a perçu des impôts sur toutes les marchandises transitant par le
territoire qu'il contrôlait. Il faisait par exemple payer un péage
de $US 200 dans le nord de l'Irak ou une taxe «douanière» de $US 800
pour les camions entrant sur le territoire occupé en Irak.
22. Le Gouvernement irakien payait des fonctionnaires vivant et
travaillant dans les territoires occupés par Daech. Ces fonctionnaires
étaient contraints de sortir de ces territoires pour toucher leurs
salaires afin d'éviter le placement de leur argent dans des banques
contrôlées par le groupe terroriste. Cependant, à leur retour dans
leurs foyers, leurs salaires étaient imposés par Daech, parfois
à hauteur de 50 %, offrant ainsi au groupe une source régulière
de revenus. Selon certaines estimations, cet impôt aurait rapporté
au groupe jusqu'à $US 360 millions en 2014. Selon le Centre international
d’études sur la radicalisation (ICSR), les revenus provenant des
taxes et redevances diverses ont baissé en 2016, surtout après la
prise de Mossoul, pour s'établir à $US 250 millions, mais ils représentaient
encore 43 % des revenus du groupe.
23. Les enlèvements contre rançon étaient également largement
utilisés par Daech pour générer des revenus. Il est très difficile
d’en préciser le montant car les paiements étaient effectués en
espèces ou dissimulés par les sociétés privées qui effectuaient
les versements. Selon les États membres du GAFI, il se situait entre
$US 20 et 45 millions pour l'année 2014, et autour de $US 23 millions
pour 2015. D'autres sources affirment qu'il pouvait atteindre $US 120
millions par an.
3.4. Revenus
issus du contrôle de succursales bancaires
24. Avec l'occupation de certaines
parties de l'Irak, Daech y a pris le contrôle de plusieurs succursales bancaires.
L'argent déposé dans les banques d'État était considéré comme la
«propriété» du groupe tandis que la population devait payer une
taxe à Daech pour retirer son argent des banques privées. Les États-Unis d'Amérique
ont estimé qu'en 2015, Daech avait eu accès à environ $US 50 milliards
en espèces grâce à ce système. Le groupe aurait en outre réussi
à s'emparer d'environ $US 574 millions déposés à la banque centrale
de la ville lorsqu'il a pris le contrôle de Mossoul.
25. Les autorités irakiennes ont tenté de couper l'accès de Daech
au système bancaire international en chargeant les établissements
financiers d'empêcher les virements à destination et en provenance
du territoire contrôlé par le groupe. Par contre, en Syrie le régime
d'Assad permettait aux banques du territoire contrôlé par l'organisation
de continuer à fonctionner, et il aurait même entretenu des relations
commerciales avec Daech.
3.5. Revenus
générés par le pillage d'objets culturels
26. Le pillage et la vente d'objets
culturels sur le marché noir étaient une autre source de revenus
pour Daech. Il est impossible de donner une idée précise de ce que
ce commerce illicite a rapporté à l'organisation. Daech a pu gagner
de l’argent de deux façons différentes avec biens culturels: soit
par leur vente directe, soit en taxant les trafiquants.
27. À propos du pillage organisé par Daech, le directeur des programmes
et des partenariats du Conseil international des musées a déclaré
«nous sommes confrontés à la plus grande destruction de masse du patrimoine
culturel depuis la Seconde guerre mondiale».
28. Selon James McAndrew, qui a travaillé pour les douanes américaines
et le département de la Sécurité intérieure, ce ne sont pas les
grandes maisons de ventes aux enchères qui posent problème, car
elles évitent les objets culturels provenant d'Irak ou de Syrie,
mais les particuliers. McAndrew pense que ces objets sont vraisemblablement
vendus à de riches individus de la région, tels que les Émiratis,
les Saoudiens et les Iraniens. Il craint également que ces antiquités
ne finissent dans des ports francs, et ne soient donc plus tenues de
passer par les douanes, où elles pourraient être saisies.
3.6. Revenus
provenant de tiers
29. Contrairement aux affirmations
de nombreux articles de presse indiquant que Daech touchait de fortes sommes
d'argent provenant de dons privés, ces derniers ne représentaient
en réalité qu'un petite part des revenus du groupe. Ainsi, un rapport
de 2015 de la RAND Corporation a établi que la part des dons privés
dans la province d'Anbar était inférieure à 5 % entre juin 2005
et mai 2006.
30. Dans un rapport écrit présenté à la sous-commission de la
Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes du
Royaume-Uni, le Ministre de la Défense a déclaré qu’il existe des
preuves historiques attestant que Daech a bénéficié de dons financiers
provenant des pays du Golfe. Par ailleurs, il semblerait que Daech
bénéficie de donations familiales passant par les systèmes alternatifs
et non réglementés de transferts de fonds
.
31. Daech a également levé des fonds par le biais des combattants
terroristes étrangers et des réseaux sociaux. Il s’agissait toutefois
de montants relativement faibles.
4. Comment
Daech transfère ses fonds
4.1. Le
système financier international
32. La communauté internationale
a été particulièrement préoccupée par l'accès de Daech au système financier
international par l'intermédiaire des banques qu'il contrôlait en
Irak et en Syrie. La Banque centrale d'Irak a donc donné des instructions
pour l'en empêcher. Par contre, aucune mesure de ce type n'a été
prise par les établissements situés sur le territoire syrien contrôlé
par Daech.
33. Daech a également accédé au système financier international
dans des zones situées à la périphérie du territoire qu'il contrôlait.
Les autorités américaines ont déclaré que le groupe terroriste avait
reçu des transferts électroniques de fonds «dans des régions connues
pour être une plateforme de financement, de logistique et de contrebande
pour les combattants terroristes étrangers et les organisations
terroristes». Des virements bancaires à des destinataires basés
juste en dehors du territoire occupé par Daech ont également été
détectés.
34. En outre, des combattants terroristes étrangers ont pu retirer
de l'argent avec des cartes de débit associées à leurs comptes bancaires
nationaux en utilisant des distributeurs automatiques situés à proximité du
territoire contrôlé par Daech.
4.2. Autres
méthodes de transfert de fonds
35. Il existe également des préoccupations
concernant les services de transfert de fonds et de valeurs (MVTS).
Le GAFI en donne la définition suivante: «Service financier qui
consiste à accepter les espèces, les chèques ou tout autre instrument
de paiement ou dépôt de valeur et à payer une somme équivalente
en espèces ou sous toute autre forme à un bénéficiaire au moyen
d'une communication, d'un message, d'un transfert ou d'un système
de compensation auquel appartient le service de transfert de fonds
ou de valeurs. Les opérations effectuées par le biais de ces services
peuvent impliquer un ou plusieurs intermédiaires et une tierce partie
réceptrice du paiement final, et peuvent inclure tout nouveau moyen
de paiement.» Le groupe Daech étant coupé du système financier international,
il est à craindre qu'il utilise des sociétés fournissant de tels
services en Irak et en Syrie.
36. Le «hawala»
serait
couramment utilisé par l'État islamique et nombre de ces transactions
sont impossibles à détecter. Ce système de paiement n'exige pas
de transférer de l'argent physiquement. Comme il est basé sur la
confiance entre deux «hawaladars» (agents de change), il est peu
probable qu'une trace papier de la transaction soit conservée. En
outre, le hawala est souvent peu coûteux et utilise à la fois des
taux de change compétitifs et des frais de transfert modérés. L'utilisation
du système de «hawala» pour transférer des fonds à Daech et à d'autres
groupes extrémistes permet de virer des espèces sans contrôle. Il
est relativement facile pour un membre d'une tribu de passer un
coup de téléphone et de promettre à un autre membre d'une tribu
de lui envoyer de l'argent qui sera ensuite acheminé vers Daech.
37. L'utilisation du système de «hawala» pour financer le terrorisme
par l’intermédiaire de tribus repose sur la loyauté, la confiance
et les relations de sang qui les caractérisent. Cette dynamique
solide donne aux groupes terroristes un grand rayon d’action ainsi
qu’une grande marge de manœuvre pour opérer.
4.3. Contrebande
le long des itinéraires existants
38. Daech recourt également à la
contrebande (argent, or et autres objets de valeur) pour transférer
de l'argent. Selon le GAFI, des passeurs d'espèces sont recrutés
pour transporter de l'argent ou d'autres objets de valeur qui sont
remis à Daech. Ils utilisent généralement des convois d'aide humanitaire
ou des biens qui sont transportés physiquement par des personnes
franchissant les frontières de la région.
39. Des rapports indiquent que le groupe terroriste a réussi à
utiliser des itinéraires du marché noir qui avaient commencé à apparaître
sous l'ère de Saddam, dans les années 1990.
4.4. Nouvelles
méthodes de transfert de fonds: cartes prépayées et monnaies virtuelles
40. Les progrès technologiques
représentent également des moyens possibles de transfert d'argent
pour Daech. Les cartes prépayées et les monnaies virtuelles sont
de nouvelles méthodes qui préoccupent au plus haut point la communauté
internationale.
41. Un rapport publié par Europol à la suite d'une enquête sur
l'utilisation potentielle de monnaies virtuelles par Daech, comme
le bitcoin, a indiqué qu'il n'existait aucune preuve de l'existence
de réseaux de financement de l'EI. Des rapports de tiers ont laissé
entendre que des terroristes utilisaient des monnaies anonymes pour financer
leurs activités, mais ces allégations n'ont pas été confirmées.
42. Les cartes prépayées sont également une source de préoccupation,
en particulier depuis les attentats commis à Paris en novembre 2015.
Les auteurs de ces attentats ont utilisé des cartes prépayées pour
acheter leurs armes et payer les transports et les appartements.
Comme ils ne transportaient que de petites sommes d'argent à la
fois, il était extrêmement difficile de détecter les mouvements,
et donc les sources, de l'argent qui avait servi à financer l'attaque.
43. Les autorités saoudiennes ont également signalé au GAFI que
des personnes associées à Daech avaient sollicité des donateurs
sur Twitter et leur avaient dit d'établir un contact sur Skype.
Les agents ont ensuite demandé à ces donateurs d'acheter des cartes
prépayées internationales (par exemple, un crédit de téléphonie
mobile, un crédit en magasin) et d'envoyer les numéros de cartes
sur Skype. Les informations parvenaient ensuite à un «abonné» résidant
près du territoire contrôlé par Daech en Syrie. L'abonné pouvait les
revendre et récupérer l'argent qu'il remettait au groupe.
44. La communauté internationale s'inquiète particulièrement de
l'accès de Daech au système financier international et de l'utilisation
de nouvelles méthodes et du transfert de fonds. Des stratégies pour
interrompre ces pratiques sont en cours d'élaboration. Il est à
noter cependant que ce sont les services de transfert d'argent «classiques»
qui sont les plus compliqués à détecter et donc à interrompre, comme
la contrebande et le «hawala».
45. Il est nécessaire de mettre en place une approche intergouvernementale
du contrôle des dépenses publiques, par exemple des allocations
sociales et d'autres prestations versées à des individus soupçonnés d'infractions
terroristes ou condamnés pour celles-ci. Par exemple, il a été rapporté
en septembre 2016 que le prédicateur haineux, Anjem Choudary, avait
touché jusqu'à £ 500 000 de prestations versées par le Gouvernement
britannique au cours des vingt dernières années.
5. Recommandations
internationales pour mettre fin au financement du terrorisme
5.1. Recommandations
du Groupe d'action financière (GAFI)
46. J'ai essayé à plusieurs reprises
d'inviter M. David Lewis, Secrétaire exécutif du GAFI, à une réunion
de la commission, mais cela n'a malheureusement pas été possible.
Selon le GAFI, la coopération internationale doit être renforcée
pour mettre fin au financement de Daech et l'échange de renseignements
et d'informations doit être non seulement plus systématique mais
aussi plus rapide.
47. Un contrôle accru des liens financiers du groupe terroriste
permettrait de créer davantage de listes permettant de tarir les
sources de revenus de Daech et d'autres groupes terroristes. L'identification
des circuits et des personnes impliqués dans le trafic de produits
prélevés sur le territoire occupé par l'organisation contribuerait
à faire cesser le transit de ces marchandises, en particulier le
pétrole.
48. Les réseaux sociaux sont également utilisés par Daech pour
mobiliser des donateurs, qui sont plutôt des donateurs de base que
des donateurs aisés. Les innovations technologiques permettent de
transférer de l'argent de façon instantanée et de plus en plus anonyme.
Il est donc important de trouver des moyens d'empêcher ces pratiques.
Il est tout aussi important d'intervenir davantage fermement lorsque
des terroristes étrangers quittent leur pays d'origine pour rejoindre
le groupe terroriste. Il conviendrait, notamment, de geler leurs
avoirs et d'incriminer les transferts de fonds dont ils sont destinataires.
49. Le GAFI recommande également aux sociétés qui opèrent dans
le secteur du commerce des antiquités d'élaborer et de diffuser
des documents plus rigoureux sur l'origine des objets, afin d'éviter
que des objets culturels pillés soient vendus et de faire en sorte
que les comportements suspects et les documents frauduleux soient
signalés et que les informations sur les objets volés soient communiquées.
50. En octobre 2016, le GAFI a publié de nouvelles lignes directrices
relatives à la criminalisation du financement du terrorisme, qui
visent à examiner la Note interprétative à la recommandation 5 afin
d'aider les pays à mettre en œuvre les dispositions de ladite recommandation
et celles de la Convention internationale des Nations Unies pour
la répression du financement du terrorisme. Le but poursuivi était
de veiller à ce que la recommandation tienne compte de tous les
divers mécanismes de financement utilisés par Daech, y compris les
combattants étrangers et les ressources naturelles/économiques.
En outre, elle clarifie la portée de l'expression «soutien économique»
et l'étend, notamment, au commerce de ressources naturelles et à
des biens qui pourraient être utilisés pour obtenir des fonds. Le
terme «fonds» figurant dans la recommandation a donc été remplacé
par «fonds et autres biens».
51. En qualité de Président du GAFI, Juan Manuel Vega-Serrano
a remarqué, lors de la réunion spéciale conjointe des comités du
Conseil de sécurité des Nations Unies et du GAFI, qui s'est tenue
le 12 décembre 2016, que de nombreux pays sont confrontés à des
lacunes considérables dans la mise en œuvre de la lutte contre le
financement du terrorisme. En effet, rares sont les juridictions
(moins d'une sur cinq) qui ont prononcé ne serait-ce qu'une condamnation
pénale pour le financement d'activités terroristes, et ce, malgré
tous les outils juridiques et réglementaires nécessaires mis à disposition.
M. Vega-Serrano a déclaré que le GAFI avait l'intention de donner
aux organismes opérationnels la possibilité de s'exprimer davantage
sur ces questions au sein de l'organisation, notamment à partir
du forum des Cellules de renseignement financier (CRF) du GAFI, lancé
en octobre 2016.
52. Réaffirmant qu'il est important de parvenir à une coordination
et une coopération plus efficaces au plan national et international
pour mieux lutter contre le financement des activités terroristes,
le GAFI prévoit d'élaborer des projets visant à identifier et éliminer
les obstacles à l'échange d'informations dans le secteur privé.
Une partie de ce projet a déjà été discutée activement lors du Forum
consultatif du secteur privé à Vienne.
53. En juin 2017, lors de sa réunion plénière, le GAFI a réitéré
l'importance de l'échange d'informations, qu'il considère comme
essentiel pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme.
Il a également adopté un rapport sur le sujet, mais ce document
ne sera mis à disposition qu'aux principaux organismes qui interviennent
dans la lutte contre le financement du terrorisme. Le document présentera
des bonnes pratiques ainsi que des outils concrets visant à améliorer
la coopération et l'échange d'informations au sein des juridictions.
En outre, dans le prolongement du Forum qui s'est tenu en mars à
Vienne, le GAFI a commencé à élaborer des lignes directrices relatives
à l'échange d'informations dans le secteur privé, notamment des explications
sur la façon d'échanger des informations dans le cadre des transferts
électroniques, des relations entre correspondants, et de l'utilisation
de passerelles ou de partenariats public-privé. Enfin, la plénière
a permis au GAFI de se prononcer sur des projets visant à s'attaquer
aux sources, techniques et filières de financement du terrorisme
afin de s'assurer que tous les États membres mettent en œuvre des
mesures pour prévenir, détecter et combattre le financement du terrorisme.
54. En janvier 2018, le GAFI a publié un rapport sur le financement
du recrutement à des fins terroristes, qui permet une meilleure
compréhension des différentes méthodes et techniques du recrutement
terroriste.
5.2. Recommandations
des Nations Unies
55. Les Nations Unies ont pris
de nombreuses mesures pour tenter de mettre fin au financement des groupes
terroristes et ces mesures ont désormais été étendues à Daech. Le
Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions
relatives à cette question et des rapports ont également été publiés.
Les rapports et les résolutions adoptées comprennent des obligations
et des recommandations pour les États membres.
56. En décembre 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies
a adopté la Résolution 2253, qui a été proposée dans le prolongement
de l'initiative conjointe des États-Unis et de la Fédération de
Russie. La résolution fait référence à de nombreuses résolutions
antérieures, dont la plupart sont directement liées à la prévention
du terrorisme, l'arrêt du financement du terrorisme et la prévention
du blanchiment de capitaux. D'autres recommandations sont adressées
aux États membres, que les Nations Unies invitent instamment à appliquer
de nouvelles mesures de prévention du financement du terrorisme.
57. Les Nations Unies renouvellent leur appel aux États membres
de faire tout leur possible pour empêcher le paiement de rançons
pour libérer des otages et ne pas faire de concessions politiques
en échange de telles libérations. La résolution invite également
les organisations non gouvernementales, sans but lucratif et de bienfaisance,
à empêcher que des abus soient commis dans ce secteur pour financer
des activités terroristes.
58. Tout comme le GAFI, la Résolution 2253 recommande aux États
membres de coopérer pleinement entre eux, d'améliorer les pratiques
de partage d'informations entre les gouvernements et de soumettre
plus activement les demandes d'inscription des personnes et entités
qui appuient Daech. La Résolution 2253 encourage également tous
les États membres à mettre pleinement en œuvre les 40 recommandations révisées
du GAFI sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme et de la prolifération. La résolution affirme que
les États membres devraient utiliser les recommandations du GAFI
pour interrompre les flux de fonds ainsi que les avoirs financiers
et économiques des personnes et entités figurant sur la liste des
sanctions contre Al-Qaida et Daech.
59. En mai 2016, le Secrétaire général des Nations Unies a publié
un rapport sur la menace posée par Daech. Dans ce rapport, d'autres
recommandations ont été faites aux États membres pour qu'ils contribuent
à faire barrage à Daech et à interrompre son financement. Le Secrétaire
général a prié les États membres de rester attentifs au fait que
le groupe terroriste pourrait chercher à accroître ses revenus dans
d'autres domaines ou à élargir ses sources de revenus, qui sont
actuellement très faibles. Le rapport recommande également aux États
membres d'accorder une attention particulière aux nouvelles méthodes
de paiement, telles que les cartes prépayées et les monnaies virtuelles,
et prévient les États membres limitrophes avec le territoire contrôlé
par Daech que le groupe peut essayer d'accéder au secteur financier
en les utilisant comme intermédiaires.
60. En outre, le rapport invite les États membres non seulement
à coopérer entre eux, mais aussi à inclure le secteur privé dans
cette coopération. Il note que des mesures ont été mises en œuvre
pour sécuriser les frontières, car on sait que Daech utilise des
techniques de transfert transfrontalier d'espèces. Le rapport recommande
néanmoins de renforcer les contrôles aux frontières. Enfin, s'agissant
du financement de Daech, le rapport encourage les États membres
à utiliser d'autres instruments internationaux pour empêcher Daech d'utiliser
les méthodes de la criminalité transnationale organisée.
61. En février 2017, le Secrétaire général des Nations Unies a
réaffirmé que l'Organisation était résolue à recueillir des données
sur les sources de financement de Daech et à les mettre à la disposition
des États membres (du GAFI) sous la forme d'une analyse triennale.
La lutte contre le financement de Daech a été inscrite comme point
permanent de l'ordre du jour des séances plénières.
62. En mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté
la Résolution 2347, qui traite de la protection du patrimoine culturel
dans les conflits armés. Le texte aborde spécifiquement le commerce
illicite et le trafic de biens culturels liés au financement de
groupes terroristes tels que Daech. Il prie les États membres de
prendre les mesures voulues pour empêcher et combattre le trafic
illicite de biens culturels, et notamment les suivantes: l'amélioration
des listes d'inventaire et des législations nationales régissant l'importation
et l'exportation; la création d'unités spécialisées et l'élaboration
de procédures consacrées à la collecte de renseignements sur les
activités criminelles de ce type; la contribution aux bases de données
de l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol),
de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science
et la culture (UNESCO), et à la plateforme ARCHEO de l'Organisation
Mondiale des Douanes (OMD); la participation à toutes sortes d'activités
culturelles sur les normes relatives aux documents sur l'origine
des biens; et la création de programmes éducatifs sur la protection
du patrimoine culturel.
63. En outre, la Résolution 2347 invite l'UNESCO, l'Office des
Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Interpol, l'OMD
et d'autres organisations internationales à aider les États membres
à mettre en œuvre ces mesures, et plus généralement à prévenir la
destruction et le pillage des biens culturels quels qu'ils soient.
Toutes mesures ont été prises lorsqu'il a été reconnu officiellement
que le pillage d'objets culturels était une des principales sources
de financement de Daech.
64. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a reconnu les difficultés
rencontrées par les États membres de l'Union européenne en matière
de détection des opérations financières effectués par/vers Daech,
d'autant qu'il s'agit souvent de petites sommes d'argent ou de sociétés
de transferts de fonds informelles.
5.3. Recommandations
de l'Union européenne
65. Il a été souligné dans l'Agenda
européen sur la sécurité (2015) qu'il était nécessaire d'intervenir
au niveau des opérations financières pour mettre un terme aux activités
des groupes terroristes. Il a été souligné en particulier que les
CRF
peuvent contribuer
à détecter les réseaux terroristes et leurs donateurs et que le Programme
États-Unis/Union européenne de surveillance du financement du terrorisme
a fourni de nombreuses pistes pour identifier les réseaux financiers
des organisations terroristes. Il a enfin été recommandé aux États
membres d’utiliser ce programme de façon plus engagée.
66. En février 2016, la Commission européenne a présenté son Plan
d'action pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme
au Parlement européen et au Conseil. Elle y recense plusieurs méthodes
utilisées pour financer des groupes terroristes comme Daech, et
énumère un certain nombre de pistes que les États membres de l'Union
européenne et l'ensemble de la communauté internationale peuvent
suivre pour empêcher le financement du terrorisme.
67. L'innovation technologique permet de créer de nouvelles méthodes
qui peuvent aider à financer des groupes terroristes. Les monnaies
virtuelles, par exemple, posent un problème en raison de leur anonymat.
Le Plan d'action souligne la nécessité d'accroître l'échange de
renseignements entre les États afin d'aborder le problème.
68. Dans son Plan d'action, la Commission énumérait trois moyens
qui peuvent être utilisés immédiatement pour contribuer à la lutte
contre le financement du terrorisme. Il était proposé:
- d'avancer la date d'entrée en
application de la 4ème directive sur
le blanchiment à la fin de 2016 au plus tard; cette directive a
été entièrement mise en œuvre le 26 juin 2017;
- que la Commission recense plus rapidement les pays tiers
qui «présentent des lacunes en matière de stratégie de lutte contre
le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme»;
- que les CRF intensifient leur coopération entre elles,
ainsi qu’avec les cellules des pays tiers et le secteur privé.
69. La Commission formule de nombreuses propositions différentes
dans son Plan d'action pour lutter contre le financement du terrorisme.
Elles consistent notamment à faire en sorte que la directive anti-blanchiment
de capitaux s’applique aux plateformes d'échange de monnaies virtuelles
et à trouver une solution pour empêcher le financement du terrorisme
par des cartes de crédit prépayées mais sans que cela ait un effet négatif
sur les personnes vulnérables socialement ou économiquement; réviser
la législation de l'Union européenne pour obliger les États membres
à tenir des registres centralisés indiquant tous les comptes bancaires
appartenant à une seule personne, ce qui serait un soutien très
utile pour les CRF. Enfin, la Commission propose d’amender la directive
anti-blanchiment de capitaux pour élargir le champ de compétences
de ces cellules, et d’améliorer l'efficacité des mesures de gel
d’avoirs sur la base des listes des Nations Unies.
70. La Commission a également l'intention de proposer une directive
visant à harmoniser les définitions et les sanctions des différents
États membres en ce qui concerne l'infraction de blanchiment.
71. La législation communautaire actuelle permet de contrôler
les personnes qui entrent ou sortent de l’Union européenne avec
un montant égal ou supérieur à € 10 000. Une évaluation menée par
la Commission lui a permis de constater que cette loi doit être
renforcée afin qu’elle s’étende aux espèces envoyées par la poste
et par des expéditions de fret, et qu’elle permette aux autorités
de contrôler des personnes voyageant avec un montant moins élevé
lorsqu'elles sont soupçonnées d'activités illicites. La Commission
étudie également la possibilité de créer un régime européen de gel
des avoirs qui irait au-delà du cadre actuel des Nations Unies.
Ces nouvelles dispositions permettraient à l'Union européenne de
geler les avoirs de personnes liées à des groupes terroristes qui
ne figurent pas sur les listes des Nations Unies.
72. Priver Daech de ses sources de financement est une priorité
de l'Union européenne; il est donc nécessaire d'élaborer une nouvelle
législation pour empêcher que des produits provenant de territoires contrôlés
par Daech soient exportés vers l'Irak et la Syrie. En ce qui concerne
les biens culturels, il existe deux règlements de l’Union européenne
qui visent à imposer des restrictions commerciales sur les biens
qui ont été enlevés illégalement d'Irak et de Syrie. Cependant,
l'efficacité de ces réglementations peut être remise en question.
La Commission cherchera donc à trouver de meilleures réglementations
et mesures pour prévenir le trafic illégal de biens culturels.
73. La Commission insiste également sur le renforcement de la
coopération entre l'Union européenne, d'autres entités internationales
(les Nations Unies, le G20) et des pays tiers menacés par des groupes terroristes
et qui présentent des lacunes stratégiques en matière de lutte contre
le financement de ces groupes.
74. Dans une déclaration commune faisant suite à la réunion sur
la défaite de Daech, les ministres européens de la Coalition mondiale
ont réaffirmé et renforcé leur engagement en faveur d'une «approche intégrée,
multidimensionnelle et globale pour vaincre Daech et son réseau
mondial». Tout en reconnaissant la pression exercée sur les finances
du groupe terroriste par les frappes militaires et l'engagement
diplomatique des partenaires de la coalition, ils se sont engagés
à rester vigilants et à soutenir les efforts visant à priver Daech
de ses sources de financement, de ses combattants et d'autres ressources
à sa disposition.
75. Les ministres ont également encouragé le partage d'informations,
le contrôle accru des voyageurs et l'application plus stricte de
la loi afin de pouvoir poursuivre et sanctionner les combattants
terroristes étrangers et tous ceux qui ont apporté un soutien matériel
à Daech. Ils ont recommandé aux États d'utiliser des moyens collectifs
d'application de la loi, tels qu'Europol et Interpol, ainsi que
les CRF. De même, ils ont réaffirmé qu'ils soutenaient les cadres
réglementaires internationaux, notamment les Résolutions 2178 et
2253 du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que le GAFI,
le Forum mondial contre le terrorisme et le groupe Egmont de CRF.
76. S'agissant des nouvelles mesures proposées par le GAFI au
sujet du secteur privé, les ministres de la Coalition globale ont
salué ces initiatives et se sont engagés à collaborer spécifiquement
avec le secteur pour empêcher Daech d'exploiter les réseaux sociaux
et d'autres plateformes en ligne comme source de transactions financières.
77. Le 12 avril 2017, la Commission européenne a publié un nouveau
rapport d'étape sur la mise en place d’une Union de la sécurité
réelle et effective à l'attention du Parlement européen, du Conseil
européen et du Conseil. Le rapport, qui a été publié après l'attentat
terroriste commis le 7 avril à Stockholm, porte essentiellement
sur la cybercriminalité organisée et sur les moyens sur lesquels
les activités terroristes s’appuient. Il expose le point de vue
de la Commission sur ce que devraient être les futures priorités
de l'Union européenne en matière de lutte contre la criminalité
organisée, considérée comme la principale source de financement
des terroristes.
78. Le rapport présente une initiative législative sur la sécurité,
à savoir la Directive (UE) 2017/541 du 15 mars 2017 sur la lutte
contre le terrorisme, qui traite spécifiquement de la lutte contre
le terrorisme et incrimine les actes tels que le financement du
terrorisme. Dans la directive, l'Union appelle les États membres à
préciser la définition des infractions terroristes, des infractions
liées à des groupes terroristes et des infractions liées à des activités
terroristes, afin de couvrir le financement du terrorisme de façon
plus complète. En outre, elle suggère que le financement du terrorisme
devrait être sanctionnable au pénal dans les États membres, au lieu
d'être simplement empêché. L’infraction viserait également les personnes
agissant en tant qu'intermédiaires dans la fourniture ou la transmission
de services, d'actifs et de biens à des organisations terroristes.
79. La Directive (UE) 2017/541 présente des mesures législatives
demandées par les États membres pour lutter contre les infractions
liées aux activités terroristes (dont le financement du terrorisme)
mais n'indique pas explicitement que Daech est la cible unique de
ces mesures. Elle englobe en effet tous les types d'activités et de
groupes terroristes.
80. Le 21 mars 2017, des discussions sur la proposition de la
Commission visant à modifier de manière ciblée la quatrième directive
sur le blanchiment de capitaux ont été engagées. Le principal point
inscrit à l'ordre du jour était de savoir comment traiter (et combattre)
les nouveaux moyens de financement du terrorisme, tels que les monnaies
virtuelles et les cartes prépayées.
81. Comme le soulignait ce Plan, l'Union européenne s'est efforcée,
tout au long de 2017, de proposer une législation visant à renforcer
les capacités des autorités douanières à lutter contre le commerce
de biens et de biens culturels auquel se livrent les terroristes.
82. Le GAFI, les Nations Unies et l'Union européenne ont pris
une part très active dans l'élaboration de recommandations visant
à aider les États membres à empêcher le financement de Daech. Néanmoins,
des efforts doivent encore être consentis tant au niveau européen
qu'au niveau national. Afin de mettre en œuvre des stratégies plus
efficaces, il est nécessaire de renforcer les capacités de coopération
et d'enquête concernant les activités financières de Daech. Il est
également crucial que les réglementations internationales et européennes
soient mises en œuvre plus rapidement par les États membres.
6. Mesures
prises par le Conseil de l'Europe et ses États membres
6.1. Conventions
adoptées par le Conseil de l'Europe
83. En 1990, le Conseil de l'Europe
a adopté la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à
la saisie et à la confiscation des produits du crime. Cette convention
a été mise à jour en 2005 et est devenue la Convention du Conseil
de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et
à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme
(STCE no 198, «Convention de Varsovie»).
84. La Convention mise à jour en 2005 est entrée en vigueur le
1er mai 2008 à Varsovie. Elle tient compte du
fait que le terrorisme peut être financé à la fois par le blanchiment
de capitaux provenant d'activités criminelles et par des activités
légales. C'est la première convention internationale qui vise à
prévenir et contrôler le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme. Malgré son importance, seuls 34 États membres du
Conseil de l'Europe l'ont ratifiée; sept États membres (Autriche,
Estonie, Finlande, Islande, Lituanie, Luxembourg et Monaco) l'ont
signée mais ne l'ont pas encore ratifiée. L'Union européenne l'a également
signée mais non ratifiée. Les six autres États membres (Andorre,
Irlande, Liechtenstein, Norvège, Suisse et République tchèque) n'ont
pas signé la Convention.
85. En mai 2015, le Protocole additionnel à la Convention du Conseil
de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217)
a été adopté par le Comité des Ministres. Ce Protocole additionnel
traite également du financement du terrorisme à l'article 5, «Financer
des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme», qui énonce ce
qui suit:
«Aux
fins du présent Protocole, on entend par “financer des voyages à
l'étranger à des fins de terrorisme” la fourniture ou la collecte,
par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, de fonds
permettant totalement ou partiellement à toute personne de se rendre
à l'étranger à des fins de terrorisme, tel que défini au paragraphe
1 de l'article 4 du présent Protocole, sachant que les fonds ont, totalement
ou partiellement, pour but de servir ces fins.
Chaque Partie adopte les mesures
qui s'avèrent nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément
à son droit interne, le fait de “financer des voyages à l'étranger
à des fins de terrorisme”, tel que défini au paragraphe 1, lorsqu'il
est commis illégalement et intentionnellement.»
86. Le Protocole additionnel à la Convention pour la prévention
du terrorisme est entré en vigueur le 1er juillet
2017. Malgré les faits saillants récents et la menace croissante
que représentent les groupes terroristes, en particulier Daech,
sept États membres (Autriche, Azerbaïdjan, Géorgie, Irlande, Liechtenstein, Saint-Marin
et Serbie) ne l'ont pas signé et seulement 11 l'ont ratifié.
87. Le Conseil de l'Europe a aussi récemment adopté la Convention
sur les infractions visant des biens culturels (STCE no 221),
entrée en vigueur le 19 mai 2017. La Convention vise à prévenir
et à combattre le trafic illicite et la destruction des biens culturels,
dans le cadre de l'action du Conseil de l’Europe contre le terrorisme
et la criminalité organisée. Le préambule se lit comme suit:
«(…)
Considérant que la criminalité organisée est impliquée dans le trafic
de biens culturels;
Constatant avec préoccupation
que des groupes terroristes sont impliqués dans la destruction délibérée de
patrimoine culturel et que le commerce illégal de biens culturels
représente une source de financement pour ces groupes (…)»
88. La Convention peut être comprise comme un nouvel effort de
l'Organisation, de ses États membres et des autres signataires de
la communauté internationale de faire cesser non seulement la destruction
du patrimoine culturel unique, mais aussi de tarir l'une des principales
sources de revenus de Daech. La Convention établit un certain nombre
d'infractions pénales telles que le vol, les fouilles illégales,
l'importation et l'exportation illégales ainsi que l'acquisition
et la mise sur le marché de biens ainsi obtenus (le marché noir dans
le cas de Daech). Par ailleurs, elle vise également à encourager
la coopération internationale pour lutter contre ces crimes.
89. La Convention sur les infractions visant les biens culturels
a été signée à ce jour par un très petit nombre d'États membres
(Arménie, Chypre, Grèce, Italie, Lettonie, Portugal, Saint-Marin,
Slovénie et Ukraine); le Mexique est un signataire non membre; et
seul Chypre l'a ratifiée. Cinq ratifications dont celles d'au moins
trois États membres du Conseil de l'Europe sont nécessaires pour
son entrée en vigueur.
90. Le Conseil de l'Europe a donc adopté des mesures pour mettre
un terme au financement du terrorisme. Cependant, malgré la menace
actuelle que représente Daech, certains États membres ne les ont
toujours pas mises en œuvre.
6.2. Mesures
prises par les États membres pour empêcher le financement de Daech
91. Selon le GAFI, la République
tchèque était en 2016 l'un des quatre États au monde qui ne disposait
pas d'une infraction autonome pour le financement du terrorisme.
Cependant, la République tchèque a depuis lors introduit une telle
infraction. (Les trois autres sont des États non-membres du Conseil
de l'Europe: le Brésil, qui élabore actuellement une loi pour faire
évoluer sa position, la Libye et l'Autorité palestinienne.)
92. Cependant, d'autres États membres du Conseil de l'Europe ont
pris des mesures plus radicales pour empêcher le financement de
l'organisation terroriste Daech. La France et le Royaume Uni, notamment, peuvent
être considérées comme des États qui ont pris des mesures qui vont
au-delà des normes internationales empêcher le financement de Daech
et y mettre fin.
93. Le Gouvernement français a publié des lignes directrices pour
empêcher le financement de Daech. Ces lignes directrices, qui reposent
sur des normes internationales, vont un cran plus loin et indiquent
aux particuliers et aux entreprises les secteurs dans lesquels ils
doivent encore faire preuve de toute la vigilance nécessaire. En
juin 2016, le Gouvernement français a mis à jour son plan d'action
pour la vigilance financière concernant Daech. Ce plan d'action
rappelle les normes internationales et les lois européennes avant
de formuler plusieurs autres recommandations, notamment: que les
établissements financiers et de crédit doivent être vigilants à
l’égard de tous les établissements financiers et de crédit établis
dans les États et régions suivants: Syrie, Irak (provinces de Ninive,
Salaheddine, Anbar), et Libye (Syrte, Derna, Ajdabiya et alentours); qu’il
leur est également interdit d’établir de nouvelles relations commerciales
avec des banques en Syrie et dans les régions d'Irak et de Libye
mentionnées ci-dessus; qu’ils doivent également sensibiliser leurs
clients qui ont des liens avec le secteur pétrolier au risque de
financement de Daech; que les biens culturels ne doivent pas être
importés de Libye sans l'approbation du Gouvernement libyen; que
les établissements financiers et de crédit doivent également être
vigilants lorsqu'ils traitent des transactions qui n'ont pas été
approuvées par les gouvernements irakien, syrien et libyen; et que,
le cas échéant, toute transaction suspecte doit être refusée et/ou
déclarée à Tracfin
.
94. En novembre 2015, le ministre français des Finances de l'époque,
Michel Sapin, a écrit à toutes les principales associations d'antiquaires
du pays, afin de les informer que la vente d'objets culturels risquait
de contribuer au financement de Daech, et leur a demandé d'être
vigilantes sur cette question. Les autorités françaises recommandent
également une vigilance accrue à l'égard des transactions et des
transferts financiers effectués en Syrie, Irak et Libye et les régions
frontalières de ces trois pays, ainsi que des contrats d'assurance
qui pourraient servir à financer Daech (principalement «enlèvement
contre rançon»). Tout contrat d'assurance couvrant le territoire
détenu par Daech doit être déclaré à Tracfin ou résilié de toute
autre manière.
95. Les autorités françaises ont également publié des lignes directrices
spécifiques pour éviter que les organisations non gouvernementales
et les associations soient utilisées pour financer Daech. Enfin,
la France a imposé une nouvelle réglementation visant à atténuer
les vulnérabilités associées aux cartes de débit prépayées, de plus
en plus utilisées par Daech et d'autres associations terroristes
pour effectuer des transactions financières transfrontalières. Plus
précisément, les autorités ont introduit l'obligation de traçabilité de
toutes les transactions de plus de € 1 000 et de déclarer à la CRF
les dépôts ou les retraits en espèces d'un montant supérieur à € 10 000
par mois et par client.
96. La CRF belge a mis en place un plan d'action destiné à renforcer
la coordination entre les divers organismes chargés de lutter contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
97. Le Royaume-Uni, tout en adhérant aux normes internationales,
a également créé le Joint Money Laundering Intelligence Taskforce
(JMLIT) [Groupe de travail conjoint sur le renseignement en matière
de blanchiment de capitaux]. Il s'agit d'une initiative des banques
britanniques visant à mener des interventions en commun pour «nettoyer»
les marchés financiers du Royaume-Uni. Le projet, qui s'appuie sur
un cadre juridique rigoureux, fournit un environnement qui permet
au secteur financier et au gouvernement d'échanger et d'analyser
des renseignements pour détecter, prévenir et déstabiliser la criminalité
financière au Royaume-Uni. Le groupe de travail est centré autour
d'un groupe d'intervention composé d'agents d'organismes de lutte contre
la criminalité et d'établissements financiers, douaniers et fiscaux.
Le Royaume-Uni coopère avec d'autres organismes chargés de l'application
de la loi. Les informations financières recueillies et partagées
par le groupe de travail peuvent contribuer à perturber le financement
de futures activités terroristes.
98. Le Royaume-Uni a également lancé une enquête sur le financement
de Daech. La commission des affaires étrangères a créé une sous-commission
qui étudie les sources de financement du groupe terroriste. Des
experts ont été entendus lors de l'enquête, ce qui a déjà permis
de découvrir un bien culturel originaire de Syrie ou d'Irak qui
a ensuite été confisqué à un antiquaire et mis sous bonne garde
en vue de le renvoyer ultérieurement à son lieu d'origine. Les éléments
de preuve fournis au cours de cette enquête montrent également que
les ministères intensifient leur coopération pour aider à prévenir
le financement de Daech.
99. Le Conseil de l'Europe, ainsi que la majorité de ses États
membres, prennent donc les mesures nécessaires pour empêcher cette
organisation terroriste d'être financée. Cependant, beaucoup d'États membres
n'ont pas adopté la convention du Conseil de l'Europe relative à
cette question et n'ont pas pris de mesures allant au-delà des obligations
européennes et internationales dans ce domaine.
6.3. La
question des droits de l'homme
100. Afin d'évaluer les éventuelles
incidences sur les droits de l'homme de la collecte et du partage d'informations
effectués par les organismes chargés de la lutte contre le terrorisme,
j'ai eu le plaisir de rencontrer MM. Christian Mommers et Mathieu
Birker du Bureau du Commissaire aux droits de l'homme. Le Commissaire
n'a pas abordé la question spécifique du financement du terrorisme
mais il s'est déclaré préoccupé par certains aspects du Protocole
additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme. Mon attention
a été attirée sur le document de réflexion publié par le Commissaire
sur la surveillance démocratique et effective des services de sécurité
nationale.
101. Selon M. Muižnieks, «la prévention du terrorisme et la lutte
contre celui-ci sont clairement un devoir de tous les États, qui
doivent respecter et protéger la vie et la sécurité de tous. Cependant,
l'obligation des États de prévenir le terrorisme et de le combattre
ne devrait en aucun cas être remplie aux dépens des normes relatives
aux droits de l'homme et des valeurs communes sur lesquelles se
fondent les sociétés européennes. Cela serait une erreur, car les
lois et les politiques respectueuses des droits de l'homme préservent
les valeurs que les terroristes cherchent à détruire, affaiblissent
la montée de la radicalisation et renforcent la confiance des citoyens
dans l'État de droit et les institutions démocratiques. Dans ce
contexte, les structures nationales des droits de l'homme (SNDH)
ont un rôle crucial à jouer. En raison de leur nature, de leurs
compétences et de leur expérience, ainsi que du respect et de la
confiance qu'elles inspirent, ces structures constituent l'interface
entre les autorités nationales et les citoyens et sont capables
de les aider à garder la tête froide et à lutter efficacement contre
le terrorisme sans céder à la peur ni bafouer les droits de l'homme
».
7. Conclusions
102. Le plan de Daech visant à créer
un califat en Syrie/Irak n'a pas d'avenir. Les interventions militaires menées
par des combattants irakiens et syriens, kurdes y inclus, soutenus
par la communauté internationale, a permis de contrecarrer les ambitions
de Daech de créer un État islamique.
103. Cependant, la lutte contre cette organisation terroriste nous
apprend qu'un groupe terroriste inspiré par une idéologie islamiste
extrémiste peut causer des destructions massives, envahir un territoire
dans lequel des populations peuvent être réduites en esclavage,
et gagner de l'argent par la vente de ressources nationales et l'extorsion.
Le groupe peut utiliser les fonds recueillis pour gouverner et en
envoyer à d'autres fondamentalistes partageant la même idéologie
dans le monde entier en utilisant ou en contournant le système financier
mondial existant.
104. La communauté internationale peut tirer un enseignement essentiel:
pour contrer ces activités terroristes elle doit utiliser, ou être
prête à utiliser, la force militaire pour empêcher la création d'un
califat. Elle doit également mettre à profit l'architecture financière
internationale pour partager des informations afin de détecter les
menaces terroristes à l'échelle mondiale. La finance est désormais
mondialisée et les problèmes financiers, y compris le financement
du terrorisme, exigent maintenant des réponses globales;
105. Tous les pays devraient réaffirmer la nécessité de renforcer
les capacités locales d'enquête et de lutte contre le financement
du terrorisme, y compris la corruption. Grâce à la corruption, Daech
a souvent pu échapper aux restrictions permettant le mouvement et
l'acquisition d'armes et de biens. La législation antiterroriste
aide à faire face à ce problème, mais pour aller plus loin, il faut
un système de renseignement, d'application de la loi et un système
judiciaire plus solides.
106. Le terrorisme islamiste, et donc son financement, reposent
sur une idéologie extrémiste qui prône l'adhésion à la cause terroriste.
Il est nécessaire de prévoir une initiative à l'échelle mondiale,
comprenant un rôle pour le Conseil de l'Europe, afin d'éradiquer
l'extrémisme et la religion intolérante.
107. Parmi les autres mesures recommandées:
- tous les États membres devraient signer et ratifier la
Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage,
à la saisie et à la confiscation et au financement du terrorisme;
- le Conseil de l’Europe devrait encourager ses États membres
à adopter des initiatives telles que celles du groupe de travail
joint britannique sur le renseignement en matière de blanchiment
de capitaux, afin de faciliter le partage de renseignements sur
le financement du terrorisme;
- les États membres devraient envisager d'interdire de nouvelles
relations commerciales avec les banques en Syrie. Il est nécessaire
de faire preuve de vigilance en ce qui concerne les transactions
et transferts financiers effectués en Irak, Syrie et Libye ainsi
que dans leurs régions frontalières;
- le Conseil de l'Europe devrait utiliser ses relations
avec les organismes de réglementation régionaux et frontaliers pour
détecter les opérations menées par Daech avec les bureaux de change,
afin que les établissements financiers formels et informels qui
sont exploités par l'État islamique soient surveillés, voire fermés;
- les États membres devraient, compte tenu du nombre croissant
de réfugiés et de diasporas en Europe originaires de Syrie et d'Afrique
du Nord, créer un deuxième niveau de sécurité pour vérifier les
noms des clans et tribus aux aéroports et aux frontières terrestres;
- chaque État membre devrait être encouragé à mieux coordonner
les actions menées par les ministères et organismes publics contre
le financement du terrorisme;
- une attention particulière doit être accordée à la capacité
des «loups solitaires», imprégnés d'idées extrémistes, de recueillir
des fonds en utilisant, par exemple, des paiements de prestations
sociales ou des cartes prépayées pour commettre des actes terroristes;
- la manière dont des organisations terroristes internationales
telles que Daech financent leurs opérations dans le monde entier
ne peut être combattue que par des pays qui agissent de concert
contre ce type d'activité, notamment par des interventions militaires
approuvées par les Nations Unies, chaque fois que les circonstances
l’imposent. L'amélioration des échanges entre les organisations
internationales d'informations financières qui pourront perturber,
voire arrêter, les activités terroristes, est un autre défi à relever.
108. Je ne pense pas que la réponse soit simple, où qu'elle puisse
être trouvée du jour au lendemain. Mais je pense qu'avec le soutien
des États membres d'organisations telles que le Conseil de l'Europe,
nous pouvons empêcher la propagation d'idéologies perverses analogues
à celle véhiculée par Daech, qui menace notre mode de vie et les
valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de
droit défendues par le Conseil de l'Europe.