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Rapport | Doc. 14510 | 12 mars 2018

Le financement du groupe terroriste Daech: enseignements retenus

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Phil WILSON, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13976, Renvoi 4198 du 22 avril 2016. 2018 - Deuxième partie de session

Résumé

Les enseignements que l’on peut retenir de Daech prouvent qu'un groupe terroriste inspiré par une idéologie islamiste extrême peut causer des destructions massives, envahir un territoire, en réduire les populations en esclavage et gagner de l'argent par la vente de ressources nationales et par l'extorsion.

Daech a été défait militairement en Irak et en Syrie. Cependant, cela ne signifie pas la fin de ce groupe terroriste. En outre, bien que certaines sources de financement mentionnées dans ce rapport soient spécifiques à Daech, beaucoup peuvent être, et sont, utilisées par d'autres organisations terroristes. Il est donc important de veiller à ce que les terroristes ne puissent pas utiliser les sources de financement qu'ils ont utilisées dans le passé.

La commission des questions politiques et de la démocratie propose que les pays coopèrent et se coordonnent étroitement entre eux et avec les structures internationales qui ont été mises en place pour contrer cette menace. La réponse n'est pas simple, elle ne peut pas non plus être trouvée du jour au lendemain. Ce n'est qu'avec le soutien des États membres d'organisations, telles que le Conseil de l'Europe, que la propagation d'idéologies perverses peut être évitée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 janvier
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire reste préoccupée par la menace que constituent les organisations terroristes comme Daech pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient, même si le projet de Daech visant à créer un califat en Syrie/Irak a échoué, essentiellement grâce aux interventions militaires de combattants irakiens et syriens, kurdes y inclus, soutenus par la communauté internationale.
2. L'Assemblée met en garde que la défaite militaire de Daech en Irak et en Syrie ne signifie pas pour autant la fin de ce groupe terroriste, qui réapparaîtra probablement sous une autre forme. Il est donc important de s'assurer qu'il ne puisse plus utiliser ses sources de financement passées. De plus, si certaines d’entre elles sont spécifiques à Daech, beaucoup sont potentiellement, voire effectivement, utilisées par d'autres organisations terroristes.
3. Les activités de Daech ont notamment consisté à lancer des attaques terroristes dans le monde arabe et au-delà. Cette organisation a revendiqué la responsabilité d’attentats commis dans de nombreux pays du monde. Bien que ces tragédies soient parfois des attaques organisées et dirigées par le groupe, elles sont souvent le fait de «loups solitaires» ou d'individus isolés, qui ont été radicalisés. Un des problèmes les plus graves pour l'Europe et les États-Unis est posé par ces personnes, en particulier des combattants étrangers rentrés d'Irak et de Syrie qui peuvent raviver des réseaux clandestins dans leur pays. L'Assemblée se réfère sur ce point à sa Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak.
4. La lutte contre Daech nous apprend qu'un groupe terroriste inspiré par une idéologie islamiste extrémiste peut causer des destructions massives, en envahissant un territoire, en réduisant les populations en esclavage et en gagnant de l'argent par la vente de ressources nationales et l'extorsion. L’argent peut aussi être exporté dans le monde entier à d'autres fondamentalistes partageant la même idéologie en utilisant ou en contournant le système financier mondial existant.
5. Le terrorisme islamiste, et donc son financement, reposent sur une idéologie extrémiste qui prône l'adhésion à la cause terroriste. Il est donc nécessaire de prévoir une initiative à l'échelle mondiale pour éradiquer l'extrémisme et la religion intolérante.
6. L’Assemblée salue les résolutions prises et appliquées par les États membres et les instances internationales pour régler le problème du financement du terrorisme. L’Assemblée espère en particulier une mise en œuvre rapide et efficace des normes du Groupe d’action financière (GAFI) dans le monde, et plus spécifiquement de ses quarante recommandations sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération. Les États membres devraient les utiliser pour interrompre les flux de fonds ainsi que les avoirs financiers et économiques des personnes et entités figurant sur la liste des sanctions contre Al-Qaida et Daech, conformément aux dispositions de la Résolution 2253 des Nations Unies.
7. L’Assemblée se félicite également de la décision du GAFI d’élargir son rayonnement géographique et la mobilisation mondiale pour lutter contre le financement du terrorisme. En effet, le terrorisme (comme l’illustre Daech) est un phénomène mouvant et transnational, qui affecte chacune des diverses parties du monde. Il convient donc que les instances et organisations internationales laissent leurs portes ouvertes à tout nouveau membre désireux de mettre en œuvre les outils juridiques et financiers pour enrayer le financement du terrorisme. Il est toutefois essentiel qu’elles offrent une assistance et des conseils aux pays moins avancés, qui manquent souvent de moyens et présentent des lacunes stratégiques pour lutter efficacement contre le terrorisme.
8. Des opérations financières efficaces sont indispensables pour mettre un terme aux activités d’organisations terroristes comme Daech. Des instances nationales (et internationales) comme les Cellules de renseignement financier peuvent apporter une aide précieuse dans l’identification des réseaux terroristes et de leurs appuis financiers, et il convient donc que les États membres continuent de les soutenir et de les utiliser. Les structures collectives d'application de la loi, comme Interpol et Europol, devraient davantage être mises à profit par les États membres, notamment afin de pouvoir poursuivre et sanctionner les combattants terroristes étrangers et tous les autres qui apportent un soutien matériel à Daech.
9. L’Assemblée reconnaît le travail accompli par le Conseil de l'Europe en la matière, et notamment par le Comité d'experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) et le Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER).
10. L’Assemblée rappelle également l’aide importante apportée par le programme États-Unis/Union européenne de surveillance du financement du terrorisme (TFTP) pour identifier les réseaux et filières de financement des organisations terroristes, et appelle donc les États membres à faire une utilisation plus proactive de ce programme.
11. La manière dont des organisations terroristes internationales telles que Daech financent leurs opérations dans le monde entier peut uniquement être combattue par l’action concertée des pays contre ce type d'activité, et notamment par des interventions militaires approuvées par les Nations Unies, chaque fois que les circonstances l'imposent. Les échanges entre organisations internationales d'informations financières qui pourront perturber, voire arrêter, les activités terroristes, est un autre défi à relever.
12. L’Assemblée appelle donc les États membres:
12.1. à empêcher et à interrompre, par tous les moyens disponibles, toutes les sources, techniques et filières de financement de Daech et d’autres organisations terroristes comme l’extorsion, la taxation, l’exploitation des ressources naturelles, la contrebande d’antiquités, le trafic de drogue, le pillage de banques, le pillage de civils et de biens culturels, les donations extérieures et l'enlèvement contre rançon;
12.2. à continuer de promouvoir et de soutenir la recherche sur les sources et les filières de financement du terrorisme afin de toujours être au courant des nouvelles méthodes alternatives de financement, comme les monnaies virtuelles;
12.3. à instaurer et à développer les efforts de collaboration et de coopération transfrontalières, et avec les organismes et institutions internationaux, pour favoriser des échanges d’informations et de renseignements plus transparents, plus efficaces et plus rapides;
12.4. à intensifier le renforcement des capacités et l’assistance technique en faveur des points chauds du financement du terrorisme, conformément aux dispositions du Plan d'action contre le terrorisme élaboré par les États membres du G20;
12.5. à réaffirmer la nécessité de renforcer les capacités locales d'enquête et de lutte contre le financement du terrorisme, y compris la corruption;
12.6. à étudier et à développer les nouvelles technologies permettant de mieux tracer, surveiller et finalement éliminer les filières de financement du terrorisme;
12.7. à améliorer la mise en œuvre effective des normes internationales sur la transparence, conformément aux recommandations des Nations Unies et du GAFI;
12.8. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198). Elle note à cet égard que Andorre, l’Irlande, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse et la République tchèque ne l’ont pas signée, tandis que l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, l’Islande, la Lituanie, Luxembourg et Monaco l’ont signée mais ne l’ont pas ratifiée;
12.9. à adopter des initiatives telles que le groupe de travail joint britannique sur le renseignement en matière de blanchiment de capitaux, afin de faciliter le partage de renseignements sur le financement du terrorisme;
12.10. à développer, sur l’exemple de la France, des lignes directrices nationales actualisées, fondées sur les normes internationales, pour apporter des conseils concrets aux entreprises et aux particuliers des secteurs inscrits parmi les sources de financement de Daech;
12.11. à envisager d'interdire de nouvelles relations commerciales avec les banques en Syrie. Il est nécessaire de faire preuve de vigilance en ce qui concerne les transactions et transferts financiers effectués en Irak, en Syrie et en Libye, ainsi que dans leurs régions frontalières;
12.12. à créer un deuxième niveau de sécurité pour vérifier les noms des clans et tribus dans les aéroports et aux frontières terrestres, compte tenu du nombre croissant de réfugiés et de diasporas en Europe originaires de Syrie et d'Afrique du Nord;
12.13. à mieux coordonner les actions menées par les ministères et organismes publics contre le financement du terrorisme;
12.14. à accorder une attention particulière à la capacité des «loups solitaires», imprégnés d'idées extrémistes, de recueillir des fonds en utilisant, par exemple, des paiements de prestations sociales ou des cartes prépayées pour commettre des actes terroristes.
13. Enfin, l’Assemblée appelle les États membres de l’Union européenne à mettre en œuvre les propositions énoncées dans le Plan d'action de 2016 pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme, et notamment: à faire en sorte que la directive anti-blanchiment de capitaux s'applique aux plateformes d'échange de monnaies virtuelles; à réexaminer l’interdiction de tenir des registres centralisés indiquant tous les comptes bancaires appartenant à une seule personne; à élargir le mandat des Cellules de renseignement financier; et à améliorer l'efficacité des mesures de gel d'avoirs sur la base des listes des États-Unis.

B. Exposé des motifs, par M. Phil Wilson, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’Assemblée parlementaire a renvoyé une proposition de résolution sur cette question (Doc. 13976) à la commission des questions politiques et de la démocratie, qui m'a nommé rapporteur le 24 mai 2016. Le 12 octobre 2016, j'ai eu un échange de vues avec M. Matthias Kloth, Secrétaire exécutif du Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), et M. Carlo Chiaromonte, Secrétaire du Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER). Le 7 novembre 2016, la commission a tenu un échange de vues avec la participation de M. Tom Keatinge, Directeur du Centre d'études sur la sécurité et la criminalité financière, Royal United Services Institute, Royaume-Uni. Le 24 janvier 2017, j'ai rencontré MM. Christian Mommers et Mathieu Birker du Bureau du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe.
2. Bien que certaines sources de financement mentionnées dans ce rapport soient spécifiques au groupe terroriste Daech, beaucoup peuvent être, et sont, utilisées par d'autres organisations terroristes. La défaite militaire de Daech en Irak et en Syrie ne signifie pas, malheureusement, la fin de ce groupe terroriste, qui se transformera probablement en quelque chose de différent. Il est donc important de s'assurer qu'il ne sera pas en mesure d'utiliser les sources de financement qu'il a utilisées dans le passé. Par conséquent, afin que le titre du rapport en reflète mieux la portée et le but, j’ai proposé d’en changer légèrement le libellé comme suit: «Le financement du groupe terroriste Daech: enseignements retenus»

2. Brève présentation de Daech

3. Daech, également connu sous le nom d’EI (État Islamique), EIIS (État islamique en Iraq et en Syrie), ou EIIL (État islamique en Irak et al-Sham/Levant) 
			(2) 
			Voir également le Doc. 13618 «Menaces contre l'humanité posées par le groupe terroriste
connu sous le nom d’“EI”: la violence à l’encontre des chrétiens
et d’autres communautés religieuses ou ethniques». est une organisation terroriste qui s'est séparée du groupe terroriste «Al-Qaïda en Irak» (AQI). Son idéologie, qui est classée dans la catégorie «salafisme djihadiste», est caractérisée par une vision sectaire anti-chiite (et anti-occidentale) et une application sévère de la loi islamique. Le but de Daech est de restaurer un «califat» où tous les habitants respecteront la loi de la charia, dans le but de purifier l'islam et «d'asservir les mécréants».
4. Daech avait pris le contrôle de nombreuses régions de Syrie et d'Irak, notamment de villes importantes comme Raqqa et Mossoul (désormais reprises par les forces irakiennes, kurdes et syriennes) et, à son apogée, 10 millions de personnes vivaient sous sa férule. Les frappes aériennes internationales effectuées en 2016 et 2017 ont réduit de plus en plus le territoire contrôlé par l'organisation. Sur le territoire qu'il occupait, le groupe Daech avait mis en place sa propre administration et pris en charge de nombreux domaines généralement gérés par l'État (fiscalité, sécurité et éducation). Le groupe a également construit des infrastructures et recruté et formé des combattants.
5. Daech et d’autres groupes terroristes d’inspiration islamiste sont désormais considérés comme opérationnels dans au moins 39 pays de diverses régions du globe. Le Département d’État américain affirme que des groupes islamistes ont été actifs dans les pays suivants: Allemagne, Albanie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Géorgie, Italie, Kosovo* 
			(3) 
			* Toute référence au
Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo., Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Suède et Turquie.
6. Les activités de Daech ont consisté à gouverner les territoires dont il s’est emparé mais aussi à lancer des attaques terroristes dans le monde arabe et au-delà. L'organisation a revendiqué des attentats en France, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Turquie, au Bangladesh, en Espagne et dans de nombreux autres pays du monde. Bien que ces tragédies soient parfois dues à une attaque dirigée par un groupe plus organisé, les actes de terreur sont souvent le fait de «loups solitaires» ou d’individus isolés, radicalisés par ce qu'ils entendent et lisent en ligne sur les plateformes du groupe. Environ 5 000 personnes domiciliées dans l'Union européenne feraient partie des combattants étrangers. En effet, comme le rapporte CNN, ces individus, et en particulier les combattants étrangers qui rentrent d'Irak et de Syrie et peuvent raviver des réseaux clandestins dans leurs pays, posent un grave problème à l'Europe et aux États-Unis 
			(4) 
			Voir également Doc. 13937 «Les combattants étrangers en Syrie et en Irak».. La France semble être la plus exposée à ce phénomène, avec plus de 1 700 rapatriés potentiels. Toutefois, dans le chaos qui a suivi l'effondrement de Daech, on a perdu la trace d'un grand nombre de djihadistes européens. La menace principale ne vient cependant pas des djihadistes qui sont partis à l'étranger pour défendre le «Califat» mais de ceux qui, imprégnés des idées de Daech, sont restés dans leur pays pour y commettre des atrocités. Les attentats de Londres et de Manchester, au Royaume-Uni, en 2017, en sont une preuve.
7. Daech a commencé à attirer des combattants du monde entier après avoir annoncé qu'il voulait créer un «califat». En septembre 2014, la Central Intelligence Agency (CIA) estimait que Daech comptait entre 20 000 et 31 500 combattants (dont 15 000 recrues étrangères venant souvent de pays européens). Les services de renseignements américains, quant à eux, ont estimé que le nombre de combattants se situait entre 20 000 et 25 000 en 2016. Les informations concernant le nombre de combattants sont particulièrement controversées et susceptibles de changer en fonction des sources et des variables prises en compte.
8. Daech se caractérise des autres groupes djihadistes traditionnels par ses techniques de recrutement. Les médias électroniques jouent un rôle très important dans la stratégie de communication et de recrutement du groupe: les volontaires utilisent généralement les réseaux sociaux et d'autres plateformes internet pour contacter les recruteurs et devenir djihadistes; il est beaucoup moins fréquent que les recruteurs de Daech contactent des volontaires. En outre, les mosquées, les terrains de football, les universités et les prisons font partie des environnements préférés de Daech pour diffuser sa stratégie de promotion du recrutement et «chasser» les jeunes.
9. Plusieurs journaux et rapports ont qualifié Daech de «marque» (internationale) comptant 57 unités de production. Ces productions médiatiques ont servi à promouvoir des idéaux au moyen de vidéos, à communiquer, à envoyer des messages et, enfin, à recruter des combattants étrangers. La revue Foreign Affairs explique qu’à son apogée, en 2014-2015, Daech avait réussi à se faire passer pour une insurrection supra-étatique. Ses affiliés n'ont pas seulement adopté le projet du groupe, mais aussi ses efforts et ses stratégies de gouvernance (légales, juridiques, éducatives et propagandistes), transposant à l'étranger le système élaboré en Syrie et en Irak. Or, la propagande diffusée dans les médias ne ciblait pas uniquement les recruteurs internationaux: Daech l'a également utilisée pour contraindre les populations locales à lui faire allégeance dans les territoires qu'il prétendait gouverner.

3. Différentes sources de revenus

10. Lors de l’audition organisée par la commission le 7 novembre 2016, M. Tom Keatinge, Directeur du Centre d’études sur la sécurité et la criminalité financière, Royal United Services Institute, Royaume-Uni, a souligné que l’existence de précieuses matières premières (essentiellement du pétrole) et de populations à taxer sur les territoires contrôlés par Daech lui permettait de facilement financer ses activités. Al Shabaab a également mis à profit cette stratégie en Somalie (par le prélèvement de l’impôt sur les populations et le contrôle des exportations de charbon), tout comme Al Qaïda au Maghreb (qui prélève l’impôt sur la circulation des marchandises licites et illicites – comme la drogue – et des personnes traversant son territoire).
11. M. Keatinge a souligné qu'il était nécessaire d'examiner l'intersection entre la criminalité organisée et le terrorisme et a ajouté que le secteur financier devrait apporter sa contribution en prévenant les acteurs du secteur que des fonds pouvaient être utilisés pour de telles activités. La manière dont les 40 recommandations du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) 
			(5) 
			Le GAFI a été créé
en juillet 1989 lors d'un Sommet du G-7 à Paris. Son mandat initial
était «d'examiner et d'élaborer des mesures de lutte contre le blanchiment
de capitaux». Ce mandat a été élargi en octobre 2001 et inclut désormais
la lutte contre le financement du terrorisme. sont mises en œuvre devrait faire l’objet d’un suivi. Enfin, il a affirmé que la moindre faille du système financier serait exploitée par Daech et que les renseignements financiers à caractère privé devraient donc être échangés pour suivre les mouvements de capitaux.
12. Les produits illicites tirés de l'occupation de territoires en Syrie et en Irak proviennent notamment de l'extorsion, du pillage bancaire, des champs pétroliers, de la traite des êtres humains, de la taxation des marchandises et des espèces. Daech a également tiré des revenus de l'enlèvement contre rançon, de dons, du soutien matériel des combattants terroristes étrangers et de la collecte de fonds au moyen des réseaux sociaux.
13. Daech se distingue de la plupart des autres groupes terroristes par le volume considérable de capitaux qu’il a été capable de collecter; cela lui a valu la réputation d’être un des groupes terroristes les plus riches du monde, sinon le plus riche. Par contre, au début de son existence, en 2014 en 2015, il a pris à l’égard de sa population des engagements sociaux très généreux qui ont dû absorber une bonne partie de ses ressources financières considérables. Étant donné la capacité de ce groupe à tirer des recettes du territoire qu’il contrôle, il était particulièrement difficile d’interrompre et de réduire le flux de ses revenus. Selon Jean Charles Brisard, un expert français du financement du terrorisme, Daech tirait environ 60 % de ses revenus des ressources naturelles présentes sur le territoire illégalement occupé, et environ 40 % d’activités criminelles, comme l’extorsion. Fin 2017, les possibilités de financement de Daech avaient fortement diminué.

3.1. Revenus générés par le pétrole

14. Le contrôle des champs pétroliers et des raffineries en Irak et en Syrie a été une source considérable de revenus pour Daech. Désireux de créer un État durable et autosuffisant, le groupe terroriste a reconnu l'importance des revenus générés par le pétrole. Il a cependant rencontré un certain nombre de problèmes concernant l'utilisation des gisements de pétrole, notamment celui de sa dépendance à l'égard des négociants et des trafiquants pour transporter et vendre le pétrole. Daech a également peiné à acquérir les équipements et à recruter le personnel nécessaire pour exploiter les champs pétrolifères. L'organisation a donc utilisé des moyens primitifs pour extraire et raffiner le pétrole afin de le monétiser. Les transactions concernant le commerce du pétrole de Daech se faisaient principalement en espèces, ce qui les rendait difficiles à détecter et donc à interrompre.
15. Les revenus générés par le pétrole ont diminué en 2016 (environ $US 200 millions contre plus de $US 500 millions en 2015) en raison de la chute des prix du pétrole mais aussi des frappes aériennes menées par la coalition internationale, qui ciblait tout ce qui était lié à la production de pétrole. Ces revenus ont encore diminué en 2017.
16. La majeure partie du pétrole brut produit par Daech était directement vendu aux négociants indépendants syriens et irakiens sur les champs pétrolifères. Selon des négociants, malgré les frappes aériennes, Daech avait maintenu la production pétrolière, en perdant toutefois une partie de ses bénéfices. Pour compenser les pertes de revenus, l'organisation a adopté de nouvelles méthodes pour gagner davantage d'argent, par exemple en accordant aux négociants une «licence» permettant d'éviter les files d'attente et d'acheter 1 000 barils d'un coup s'ils pouvaient payer d'avance. Le régime d'Assad semble également avoir acheté du pétrole à Daech. Le 7 mars 2015, un Syrien a été sanctionné par l'Union européenne pour avoir agi en tant qu'intermédiaire alors que le régime d'Assad essayait d'acheter du pétrole au groupe terroriste 
			(6) 
			<a href='http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/the-islamic-states-backdoor-banking'>www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/the-islamic-states-backdoor-banking</a>..
17. Selon le Wall Street Journal, les pertes de revenus subies par Daech l'ont contraint à négocier de plus en plus avec le régime d'Assad. Les ventes de pétrole et de gaz au régime syrien ont dès lors représenté la source de financement la plus importante de Daech et ont remplacé les recettes provenant des impôts et redevances diverses. De nombreux responsables américains et européens affirment que le gouvernement d'Assad, qui a pourtant déclaré qu'il combattait le groupe, dépendait presque entièrement du gaz produit sur le territoire contrôlé par Daech et apportait donc un soutien direct à ce dernier dans le cadre des achats/reventes d'énergie.

3.2. Revenus générés par l'exploitation d'autres ressources naturelles (à l'exclusion du pétrole)

18. Daech a également pris le contrôle des champs cultivés, stocké du blé dans des silos et contrôlé sa distribution. Il a ainsi pu fixer les prix des produits agricoles. Selon L’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Daech a pris le contrôle de plus de 40 % des terres à blé dans les régions de l'Irak qu'il contrôlait. Daech a publié des brochures avec des photos de champs aux épis dorés et de combattants distribuant de la nourriture, et s'en est servi pour tenter de convaincre la population locale qu'il pouvait mieux gouverner que les gouvernements arabes, qualifiés d'infidèles.
19. En plus des ressources agricoles, Daech aurait également pris le contrôle de la mine de phosphate d'Akashat et de l'usine d'Al-Qaim dans la province d'Al-Anbar, Irak, en 2015, ainsi que de plusieurs usines d'extraction de soufre appartenant à la société publique d'exploitation du soufre de Mishraq et de la principale mine de sel de la Syrie. Daech avait aussi la mainmise sur cinq grandes cimenteries en Syrie et en Irak. D’après les estimations, en 2014, les dérivés du phosphate ont rapporté environ $US 300 millions à Daech, et les ciments $US 292 millions supplémentaires. Daech contrôlait également le champ gazier d'Akkas dans la province d'Al Anbar, qui est la plus grande réserve de gaz naturel en Irak.

3.3. Revenus générés par l’impôt et l’extorsion

20. Pour compenser la perte des revenus générés par le pétrole, Daech a augmenté son recours à l'extorsion, en taxant presque tout (communications, retraits d'argent, consommation, taxe de circulation, taxe sur les salaires, impôt assurant la «protection» des résidents non islamiques) et en confisquant également des maisons, du mobilier et des terres.
21. L’extorsion de fonds a été largement utilisée par le groupe terroriste pour générer des revenus. Daech a détourné la «zakat» 
			(7) 
			La «zakat» (aumône)
est un impôt islamique pour aider les pauvres; c'est l'un des cinq
piliers de l'Islam. pour taxer la population du territoire occupé. Cet impôt a particulièrement été utilisé contre les agriculteurs pour prélever une partie de leurs récoltes. Daech a perçu des impôts sur toutes les marchandises transitant par le territoire qu'il contrôlait. Il faisait par exemple payer un péage de $US 200 dans le nord de l'Irak ou une taxe «douanière» de $US 800 pour les camions entrant sur le territoire occupé en Irak.
22. Le Gouvernement irakien payait des fonctionnaires vivant et travaillant dans les territoires occupés par Daech. Ces fonctionnaires étaient contraints de sortir de ces territoires pour toucher leurs salaires afin d'éviter le placement de leur argent dans des banques contrôlées par le groupe terroriste. Cependant, à leur retour dans leurs foyers, leurs salaires étaient imposés par Daech, parfois à hauteur de 50 %, offrant ainsi au groupe une source régulière de revenus. Selon certaines estimations, cet impôt aurait rapporté au groupe jusqu'à $US 360 millions en 2014. Selon le Centre international d’études sur la radicalisation (ICSR), les revenus provenant des taxes et redevances diverses ont baissé en 2016, surtout après la prise de Mossoul, pour s'établir à $US 250 millions, mais ils représentaient encore 43 % des revenus du groupe.
23. Les enlèvements contre rançon étaient également largement utilisés par Daech pour générer des revenus. Il est très difficile d’en préciser le montant car les paiements étaient effectués en espèces ou dissimulés par les sociétés privées qui effectuaient les versements. Selon les États membres du GAFI, il se situait entre $US 20 et 45 millions pour l'année 2014, et autour de $US 23 millions pour 2015. D'autres sources affirment qu'il pouvait atteindre $US 120 millions par an.

3.4. Revenus issus du contrôle de succursales bancaires

24. Avec l'occupation de certaines parties de l'Irak, Daech y a pris le contrôle de plusieurs succursales bancaires. L'argent déposé dans les banques d'État était considéré comme la «propriété» du groupe tandis que la population devait payer une taxe à Daech pour retirer son argent des banques privées. Les États-Unis d'Amérique ont estimé qu'en 2015, Daech avait eu accès à environ $US 50 milliards en espèces grâce à ce système. Le groupe aurait en outre réussi à s'emparer d'environ $US 574 millions déposés à la banque centrale de la ville lorsqu'il a pris le contrôle de Mossoul.
25. Les autorités irakiennes ont tenté de couper l'accès de Daech au système bancaire international en chargeant les établissements financiers d'empêcher les virements à destination et en provenance du territoire contrôlé par le groupe. Par contre, en Syrie le régime d'Assad permettait aux banques du territoire contrôlé par l'organisation de continuer à fonctionner, et il aurait même entretenu des relations commerciales avec Daech.

3.5. Revenus générés par le pillage d'objets culturels

26. Le pillage et la vente d'objets culturels sur le marché noir étaient une autre source de revenus pour Daech. Il est impossible de donner une idée précise de ce que ce commerce illicite a rapporté à l'organisation. Daech a pu gagner de l’argent de deux façons différentes avec biens culturels: soit par leur vente directe, soit en taxant les trafiquants.
27. À propos du pillage organisé par Daech, le directeur des programmes et des partenariats du Conseil international des musées a déclaré «nous sommes confrontés à la plus grande destruction de masse du patrimoine culturel depuis la Seconde guerre mondiale».
28. Selon James McAndrew, qui a travaillé pour les douanes américaines et le département de la Sécurité intérieure, ce ne sont pas les grandes maisons de ventes aux enchères qui posent problème, car elles évitent les objets culturels provenant d'Irak ou de Syrie, mais les particuliers. McAndrew pense que ces objets sont vraisemblablement vendus à de riches individus de la région, tels que les Émiratis, les Saoudiens et les Iraniens. Il craint également que ces antiquités ne finissent dans des ports francs, et ne soient donc plus tenues de passer par les douanes, où elles pourraient être saisies.

3.6. Revenus provenant de tiers

29. Contrairement aux affirmations de nombreux articles de presse indiquant que Daech touchait de fortes sommes d'argent provenant de dons privés, ces derniers ne représentaient en réalité qu'un petite part des revenus du groupe. Ainsi, un rapport de 2015 de la RAND Corporation a établi que la part des dons privés dans la province d'Anbar était inférieure à 5 % entre juin 2005 et mai 2006.
30. Dans un rapport écrit présenté à la sous-commission de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, le Ministre de la Défense a déclaré qu’il existe des preuves historiques attestant que Daech a bénéficié de dons financiers provenant des pays du Golfe. Par ailleurs, il semblerait que Daech bénéficie de donations familiales passant par les systèmes alternatifs et non réglementés de transferts de fonds 
			(8) 
			 <a href='http://data.parliament.uk/writtenevidence/committeeevidence.svc/evidencedocument/foreign-affairs-subcommittee/isil-financing/written/33364.pdf'>http://data.parliament.uk/writtenevidence/committeeevidence.svc/evidencedocument/foreign-affairs-subcommittee/isil-financing/written/33364.pdf.</a>.
31. Daech a également levé des fonds par le biais des combattants terroristes étrangers et des réseaux sociaux. Il s’agissait toutefois de montants relativement faibles.

4. Comment Daech transfère ses fonds

4.1. Le système financier international

32. La communauté internationale a été particulièrement préoccupée par l'accès de Daech au système financier international par l'intermédiaire des banques qu'il contrôlait en Irak et en Syrie. La Banque centrale d'Irak a donc donné des instructions pour l'en empêcher. Par contre, aucune mesure de ce type n'a été prise par les établissements situés sur le territoire syrien contrôlé par Daech.
33. Daech a également accédé au système financier international dans des zones situées à la périphérie du territoire qu'il contrôlait. Les autorités américaines ont déclaré que le groupe terroriste avait reçu des transferts électroniques de fonds «dans des régions connues pour être une plateforme de financement, de logistique et de contrebande pour les combattants terroristes étrangers et les organisations terroristes». Des virements bancaires à des destinataires basés juste en dehors du territoire occupé par Daech ont également été détectés.
34. En outre, des combattants terroristes étrangers ont pu retirer de l'argent avec des cartes de débit associées à leurs comptes bancaires nationaux en utilisant des distributeurs automatiques situés à proximité du territoire contrôlé par Daech.

4.2. Autres méthodes de transfert de fonds

35. Il existe également des préoccupations concernant les services de transfert de fonds et de valeurs (MVTS). Le GAFI en donne la définition suivante: «Service financier qui consiste à accepter les espèces, les chèques ou tout autre instrument de paiement ou dépôt de valeur et à payer une somme équivalente en espèces ou sous toute autre forme à un bénéficiaire au moyen d'une communication, d'un message, d'un transfert ou d'un système de compensation auquel appartient le service de transfert de fonds ou de valeurs. Les opérations effectuées par le biais de ces services peuvent impliquer un ou plusieurs intermédiaires et une tierce partie réceptrice du paiement final, et peuvent inclure tout nouveau moyen de paiement.» Le groupe Daech étant coupé du système financier international, il est à craindre qu'il utilise des sociétés fournissant de tels services en Irak et en Syrie.
36. Le «hawala» 
			(9) 
			Le
hawala est défini comme un système traditionnel de transfert d'argent
à une personne qui se trouve dans un autre pays ou région en remettant
une somme d’argent à un agent, qui contacte l’agent le plus proche
du destinataire pour le charger de lui verser la somme. serait couramment utilisé par l'État islamique et nombre de ces transactions sont impossibles à détecter. Ce système de paiement n'exige pas de transférer de l'argent physiquement. Comme il est basé sur la confiance entre deux «hawaladars» (agents de change), il est peu probable qu'une trace papier de la transaction soit conservée. En outre, le hawala est souvent peu coûteux et utilise à la fois des taux de change compétitifs et des frais de transfert modérés. L'utilisation du système de «hawala» pour transférer des fonds à Daech et à d'autres groupes extrémistes permet de virer des espèces sans contrôle. Il est relativement facile pour un membre d'une tribu de passer un coup de téléphone et de promettre à un autre membre d'une tribu de lui envoyer de l'argent qui sera ensuite acheminé vers Daech.
37. L'utilisation du système de «hawala» pour financer le terrorisme par l’intermédiaire de tribus repose sur la loyauté, la confiance et les relations de sang qui les caractérisent. Cette dynamique solide donne aux groupes terroristes un grand rayon d’action ainsi qu’une grande marge de manœuvre pour opérer.

4.3. Contrebande le long des itinéraires existants

38. Daech recourt également à la contrebande (argent, or et autres objets de valeur) pour transférer de l'argent. Selon le GAFI, des passeurs d'espèces sont recrutés pour transporter de l'argent ou d'autres objets de valeur qui sont remis à Daech. Ils utilisent généralement des convois d'aide humanitaire ou des biens qui sont transportés physiquement par des personnes franchissant les frontières de la région.
39. Des rapports indiquent que le groupe terroriste a réussi à utiliser des itinéraires du marché noir qui avaient commencé à apparaître sous l'ère de Saddam, dans les années 1990.

4.4. Nouvelles méthodes de transfert de fonds: cartes prépayées et monnaies virtuelles

40. Les progrès technologiques représentent également des moyens possibles de transfert d'argent pour Daech. Les cartes prépayées et les monnaies virtuelles sont de nouvelles méthodes qui préoccupent au plus haut point la communauté internationale.
41. Un rapport publié par Europol à la suite d'une enquête sur l'utilisation potentielle de monnaies virtuelles par Daech, comme le bitcoin, a indiqué qu'il n'existait aucune preuve de l'existence de réseaux de financement de l'EI. Des rapports de tiers ont laissé entendre que des terroristes utilisaient des monnaies anonymes pour financer leurs activités, mais ces allégations n'ont pas été confirmées.
42. Les cartes prépayées sont également une source de préoccupation, en particulier depuis les attentats commis à Paris en novembre 2015. Les auteurs de ces attentats ont utilisé des cartes prépayées pour acheter leurs armes et payer les transports et les appartements. Comme ils ne transportaient que de petites sommes d'argent à la fois, il était extrêmement difficile de détecter les mouvements, et donc les sources, de l'argent qui avait servi à financer l'attaque.
43. Les autorités saoudiennes ont également signalé au GAFI que des personnes associées à Daech avaient sollicité des donateurs sur Twitter et leur avaient dit d'établir un contact sur Skype. Les agents ont ensuite demandé à ces donateurs d'acheter des cartes prépayées internationales (par exemple, un crédit de téléphonie mobile, un crédit en magasin) et d'envoyer les numéros de cartes sur Skype. Les informations parvenaient ensuite à un «abonné» résidant près du territoire contrôlé par Daech en Syrie. L'abonné pouvait les revendre et récupérer l'argent qu'il remettait au groupe.
44. La communauté internationale s'inquiète particulièrement de l'accès de Daech au système financier international et de l'utilisation de nouvelles méthodes et du transfert de fonds. Des stratégies pour interrompre ces pratiques sont en cours d'élaboration. Il est à noter cependant que ce sont les services de transfert d'argent «classiques» qui sont les plus compliqués à détecter et donc à interrompre, comme la contrebande et le «hawala».
45. Il est nécessaire de mettre en place une approche intergouvernementale du contrôle des dépenses publiques, par exemple des allocations sociales et d'autres prestations versées à des individus soupçonnés d'infractions terroristes ou condamnés pour celles-ci. Par exemple, il a été rapporté en septembre 2016 que le prédicateur haineux, Anjem Choudary, avait touché jusqu'à £ 500 000 de prestations versées par le Gouvernement britannique au cours des vingt dernières années.

5. Recommandations internationales pour mettre fin au financement du terrorisme

5.1. Recommandations du Groupe d'action financière (GAFI)

46. J'ai essayé à plusieurs reprises d'inviter M. David Lewis, Secrétaire exécutif du GAFI, à une réunion de la commission, mais cela n'a malheureusement pas été possible. Selon le GAFI, la coopération internationale doit être renforcée pour mettre fin au financement de Daech et l'échange de renseignements et d'informations doit être non seulement plus systématique mais aussi plus rapide.
47. Un contrôle accru des liens financiers du groupe terroriste permettrait de créer davantage de listes permettant de tarir les sources de revenus de Daech et d'autres groupes terroristes. L'identification des circuits et des personnes impliqués dans le trafic de produits prélevés sur le territoire occupé par l'organisation contribuerait à faire cesser le transit de ces marchandises, en particulier le pétrole.
48. Les réseaux sociaux sont également utilisés par Daech pour mobiliser des donateurs, qui sont plutôt des donateurs de base que des donateurs aisés. Les innovations technologiques permettent de transférer de l'argent de façon instantanée et de plus en plus anonyme. Il est donc important de trouver des moyens d'empêcher ces pratiques. Il est tout aussi important d'intervenir davantage fermement lorsque des terroristes étrangers quittent leur pays d'origine pour rejoindre le groupe terroriste. Il conviendrait, notamment, de geler leurs avoirs et d'incriminer les transferts de fonds dont ils sont destinataires.
49. Le GAFI recommande également aux sociétés qui opèrent dans le secteur du commerce des antiquités d'élaborer et de diffuser des documents plus rigoureux sur l'origine des objets, afin d'éviter que des objets culturels pillés soient vendus et de faire en sorte que les comportements suspects et les documents frauduleux soient signalés et que les informations sur les objets volés soient communiquées.
50. En octobre 2016, le GAFI a publié de nouvelles lignes directrices relatives à la criminalisation du financement du terrorisme, qui visent à examiner la Note interprétative à la recommandation 5 afin d'aider les pays à mettre en œuvre les dispositions de ladite recommandation et celles de la Convention internationale des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme. Le but poursuivi était de veiller à ce que la recommandation tienne compte de tous les divers mécanismes de financement utilisés par Daech, y compris les combattants étrangers et les ressources naturelles/économiques. En outre, elle clarifie la portée de l'expression «soutien économique» et l'étend, notamment, au commerce de ressources naturelles et à des biens qui pourraient être utilisés pour obtenir des fonds. Le terme «fonds» figurant dans la recommandation a donc été remplacé par «fonds et autres biens».
51. En qualité de Président du GAFI, Juan Manuel Vega-Serrano a remarqué, lors de la réunion spéciale conjointe des comités du Conseil de sécurité des Nations Unies et du GAFI, qui s'est tenue le 12 décembre 2016, que de nombreux pays sont confrontés à des lacunes considérables dans la mise en œuvre de la lutte contre le financement du terrorisme. En effet, rares sont les juridictions (moins d'une sur cinq) qui ont prononcé ne serait-ce qu'une condamnation pénale pour le financement d'activités terroristes, et ce, malgré tous les outils juridiques et réglementaires nécessaires mis à disposition. M. Vega-Serrano a déclaré que le GAFI avait l'intention de donner aux organismes opérationnels la possibilité de s'exprimer davantage sur ces questions au sein de l'organisation, notamment à partir du forum des Cellules de renseignement financier (CRF) du GAFI, lancé en octobre 2016.
52. Réaffirmant qu'il est important de parvenir à une coordination et une coopération plus efficaces au plan national et international pour mieux lutter contre le financement des activités terroristes, le GAFI prévoit d'élaborer des projets visant à identifier et éliminer les obstacles à l'échange d'informations dans le secteur privé. Une partie de ce projet a déjà été discutée activement lors du Forum consultatif du secteur privé à Vienne.
53. En juin 2017, lors de sa réunion plénière, le GAFI a réitéré l'importance de l'échange d'informations, qu'il considère comme essentiel pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme. Il a également adopté un rapport sur le sujet, mais ce document ne sera mis à disposition qu'aux principaux organismes qui interviennent dans la lutte contre le financement du terrorisme. Le document présentera des bonnes pratiques ainsi que des outils concrets visant à améliorer la coopération et l'échange d'informations au sein des juridictions. En outre, dans le prolongement du Forum qui s'est tenu en mars à Vienne, le GAFI a commencé à élaborer des lignes directrices relatives à l'échange d'informations dans le secteur privé, notamment des explications sur la façon d'échanger des informations dans le cadre des transferts électroniques, des relations entre correspondants, et de l'utilisation de passerelles ou de partenariats public-privé. Enfin, la plénière a permis au GAFI de se prononcer sur des projets visant à s'attaquer aux sources, techniques et filières de financement du terrorisme afin de s'assurer que tous les États membres mettent en œuvre des mesures pour prévenir, détecter et combattre le financement du terrorisme.
54. En janvier 2018, le GAFI a publié un rapport sur le financement du recrutement à des fins terroristes, qui permet une meilleure compréhension des différentes méthodes et techniques du recrutement terroriste.

5.2. Recommandations des Nations Unies

55. Les Nations Unies ont pris de nombreuses mesures pour tenter de mettre fin au financement des groupes terroristes et ces mesures ont désormais été étendues à Daech. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions relatives à cette question et des rapports ont également été publiés. Les rapports et les résolutions adoptées comprennent des obligations et des recommandations pour les États membres.
56. En décembre 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2253, qui a été proposée dans le prolongement de l'initiative conjointe des États-Unis et de la Fédération de Russie. La résolution fait référence à de nombreuses résolutions antérieures, dont la plupart sont directement liées à la prévention du terrorisme, l'arrêt du financement du terrorisme et la prévention du blanchiment de capitaux. D'autres recommandations sont adressées aux États membres, que les Nations Unies invitent instamment à appliquer de nouvelles mesures de prévention du financement du terrorisme.
57. Les Nations Unies renouvellent leur appel aux États membres de faire tout leur possible pour empêcher le paiement de rançons pour libérer des otages et ne pas faire de concessions politiques en échange de telles libérations. La résolution invite également les organisations non gouvernementales, sans but lucratif et de bienfaisance, à empêcher que des abus soient commis dans ce secteur pour financer des activités terroristes.
58. Tout comme le GAFI, la Résolution 2253 recommande aux États membres de coopérer pleinement entre eux, d'améliorer les pratiques de partage d'informations entre les gouvernements et de soumettre plus activement les demandes d'inscription des personnes et entités qui appuient Daech. La Résolution 2253 encourage également tous les États membres à mettre pleinement en œuvre les 40 recommandations révisées du GAFI sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération. La résolution affirme que les États membres devraient utiliser les recommandations du GAFI pour interrompre les flux de fonds ainsi que les avoirs financiers et économiques des personnes et entités figurant sur la liste des sanctions contre Al-Qaida et Daech.
59. En mai 2016, le Secrétaire général des Nations Unies a publié un rapport sur la menace posée par Daech. Dans ce rapport, d'autres recommandations ont été faites aux États membres pour qu'ils contribuent à faire barrage à Daech et à interrompre son financement. Le Secrétaire général a prié les États membres de rester attentifs au fait que le groupe terroriste pourrait chercher à accroître ses revenus dans d'autres domaines ou à élargir ses sources de revenus, qui sont actuellement très faibles. Le rapport recommande également aux États membres d'accorder une attention particulière aux nouvelles méthodes de paiement, telles que les cartes prépayées et les monnaies virtuelles, et prévient les États membres limitrophes avec le territoire contrôlé par Daech que le groupe peut essayer d'accéder au secteur financier en les utilisant comme intermédiaires.
60. En outre, le rapport invite les États membres non seulement à coopérer entre eux, mais aussi à inclure le secteur privé dans cette coopération. Il note que des mesures ont été mises en œuvre pour sécuriser les frontières, car on sait que Daech utilise des techniques de transfert transfrontalier d'espèces. Le rapport recommande néanmoins de renforcer les contrôles aux frontières. Enfin, s'agissant du financement de Daech, le rapport encourage les États membres à utiliser d'autres instruments internationaux pour empêcher Daech d'utiliser les méthodes de la criminalité transnationale organisée.
61. En février 2017, le Secrétaire général des Nations Unies a réaffirmé que l'Organisation était résolue à recueillir des données sur les sources de financement de Daech et à les mettre à la disposition des États membres (du GAFI) sous la forme d'une analyse triennale. La lutte contre le financement de Daech a été inscrite comme point permanent de l'ordre du jour des séances plénières.
62. En mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2347, qui traite de la protection du patrimoine culturel dans les conflits armés. Le texte aborde spécifiquement le commerce illicite et le trafic de biens culturels liés au financement de groupes terroristes tels que Daech. Il prie les États membres de prendre les mesures voulues pour empêcher et combattre le trafic illicite de biens culturels, et notamment les suivantes: l'amélioration des listes d'inventaire et des législations nationales régissant l'importation et l'exportation; la création d'unités spécialisées et l'élaboration de procédures consacrées à la collecte de renseignements sur les activités criminelles de ce type; la contribution aux bases de données de l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol), de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), et à la plateforme ARCHEO de l'Organisation Mondiale des Douanes (OMD); la participation à toutes sortes d'activités culturelles sur les normes relatives aux documents sur l'origine des biens; et la création de programmes éducatifs sur la protection du patrimoine culturel.
63. En outre, la Résolution 2347 invite l'UNESCO, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Interpol, l'OMD et d'autres organisations internationales à aider les États membres à mettre en œuvre ces mesures, et plus généralement à prévenir la destruction et le pillage des biens culturels quels qu'ils soient. Toutes mesures ont été prises lorsqu'il a été reconnu officiellement que le pillage d'objets culturels était une des principales sources de financement de Daech.
64. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a reconnu les difficultés rencontrées par les États membres de l'Union européenne en matière de détection des opérations financières effectués par/vers Daech, d'autant qu'il s'agit souvent de petites sommes d'argent ou de sociétés de transferts de fonds informelles.

5.3. Recommandations de l'Union européenne

65. Il a été souligné dans l'Agenda européen sur la sécurité (2015) qu'il était nécessaire d'intervenir au niveau des opérations financières pour mettre un terme aux activités des groupes terroristes. Il a été souligné en particulier que les CRF 
			(10) 
			Selon le Groupe
Egmont, les CRF devraient servir de centres nationaux de réception
et d'analyse des déclarations de transactions suspectes, d'autres
renseignements pertinents sur le blanchiment de capitaux, d'infractions
associées et de financement du terrorisme, et aussi de diffusion
des résultats de ces analyses. peuvent contribuer à détecter les réseaux terroristes et leurs donateurs et que le Programme États-Unis/Union européenne de surveillance du financement du terrorisme a fourni de nombreuses pistes pour identifier les réseaux financiers des organisations terroristes. Il a enfin été recommandé aux États membres d’utiliser ce programme de façon plus engagée.
66. En février 2016, la Commission européenne a présenté son Plan d'action pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme au Parlement européen et au Conseil. Elle y recense plusieurs méthodes utilisées pour financer des groupes terroristes comme Daech, et énumère un certain nombre de pistes que les États membres de l'Union européenne et l'ensemble de la communauté internationale peuvent suivre pour empêcher le financement du terrorisme.
67. L'innovation technologique permet de créer de nouvelles méthodes qui peuvent aider à financer des groupes terroristes. Les monnaies virtuelles, par exemple, posent un problème en raison de leur anonymat. Le Plan d'action souligne la nécessité d'accroître l'échange de renseignements entre les États afin d'aborder le problème.
68. Dans son Plan d'action, la Commission énumérait trois moyens qui peuvent être utilisés immédiatement pour contribuer à la lutte contre le financement du terrorisme. Il était proposé:
  • d'avancer la date d'entrée en application de la 4ème directive sur le blanchiment à la fin de 2016 au plus tard; cette directive a été entièrement mise en œuvre le 26 juin 2017;
  • que la Commission recense plus rapidement les pays tiers qui «présentent des lacunes en matière de stratégie de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme»;
  • que les CRF intensifient leur coopération entre elles, ainsi qu’avec les cellules des pays tiers et le secteur privé.
69. La Commission formule de nombreuses propositions différentes dans son Plan d'action pour lutter contre le financement du terrorisme. Elles consistent notamment à faire en sorte que la directive anti-blanchiment de capitaux s’applique aux plateformes d'échange de monnaies virtuelles et à trouver une solution pour empêcher le financement du terrorisme par des cartes de crédit prépayées mais sans que cela ait un effet négatif sur les personnes vulnérables socialement ou économiquement; réviser la législation de l'Union européenne pour obliger les États membres à tenir des registres centralisés indiquant tous les comptes bancaires appartenant à une seule personne, ce qui serait un soutien très utile pour les CRF. Enfin, la Commission propose d’amender la directive anti-blanchiment de capitaux pour élargir le champ de compétences de ces cellules, et d’améliorer l'efficacité des mesures de gel d’avoirs sur la base des listes des Nations Unies.
70. La Commission a également l'intention de proposer une directive visant à harmoniser les définitions et les sanctions des différents États membres en ce qui concerne l'infraction de blanchiment.
71. La législation communautaire actuelle permet de contrôler les personnes qui entrent ou sortent de l’Union européenne avec un montant égal ou supérieur à € 10 000. Une évaluation menée par la Commission lui a permis de constater que cette loi doit être renforcée afin qu’elle s’étende aux espèces envoyées par la poste et par des expéditions de fret, et qu’elle permette aux autorités de contrôler des personnes voyageant avec un montant moins élevé lorsqu'elles sont soupçonnées d'activités illicites. La Commission étudie également la possibilité de créer un régime européen de gel des avoirs qui irait au-delà du cadre actuel des Nations Unies. Ces nouvelles dispositions permettraient à l'Union européenne de geler les avoirs de personnes liées à des groupes terroristes qui ne figurent pas sur les listes des Nations Unies.
72. Priver Daech de ses sources de financement est une priorité de l'Union européenne; il est donc nécessaire d'élaborer une nouvelle législation pour empêcher que des produits provenant de territoires contrôlés par Daech soient exportés vers l'Irak et la Syrie. En ce qui concerne les biens culturels, il existe deux règlements de l’Union européenne qui visent à imposer des restrictions commerciales sur les biens qui ont été enlevés illégalement d'Irak et de Syrie. Cependant, l'efficacité de ces réglementations peut être remise en question. La Commission cherchera donc à trouver de meilleures réglementations et mesures pour prévenir le trafic illégal de biens culturels.
73. La Commission insiste également sur le renforcement de la coopération entre l'Union européenne, d'autres entités internationales (les Nations Unies, le G20) et des pays tiers menacés par des groupes terroristes et qui présentent des lacunes stratégiques en matière de lutte contre le financement de ces groupes.
74. Dans une déclaration commune faisant suite à la réunion sur la défaite de Daech, les ministres européens de la Coalition mondiale ont réaffirmé et renforcé leur engagement en faveur d'une «approche intégrée, multidimensionnelle et globale pour vaincre Daech et son réseau mondial». Tout en reconnaissant la pression exercée sur les finances du groupe terroriste par les frappes militaires et l'engagement diplomatique des partenaires de la coalition, ils se sont engagés à rester vigilants et à soutenir les efforts visant à priver Daech de ses sources de financement, de ses combattants et d'autres ressources à sa disposition.
75. Les ministres ont également encouragé le partage d'informations, le contrôle accru des voyageurs et l'application plus stricte de la loi afin de pouvoir poursuivre et sanctionner les combattants terroristes étrangers et tous ceux qui ont apporté un soutien matériel à Daech. Ils ont recommandé aux États d'utiliser des moyens collectifs d'application de la loi, tels qu'Europol et Interpol, ainsi que les CRF. De même, ils ont réaffirmé qu'ils soutenaient les cadres réglementaires internationaux, notamment les Résolutions 2178 et 2253 du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que le GAFI, le Forum mondial contre le terrorisme et le groupe Egmont de CRF.
76. S'agissant des nouvelles mesures proposées par le GAFI au sujet du secteur privé, les ministres de la Coalition globale ont salué ces initiatives et se sont engagés à collaborer spécifiquement avec le secteur pour empêcher Daech d'exploiter les réseaux sociaux et d'autres plateformes en ligne comme source de transactions financières.
77. Le 12 avril 2017, la Commission européenne a publié un nouveau rapport d'étape sur la mise en place d’une Union de la sécurité réelle et effective à l'attention du Parlement européen, du Conseil européen et du Conseil. Le rapport, qui a été publié après l'attentat terroriste commis le 7 avril à Stockholm, porte essentiellement sur la cybercriminalité organisée et sur les moyens sur lesquels les activités terroristes s’appuient. Il expose le point de vue de la Commission sur ce que devraient être les futures priorités de l'Union européenne en matière de lutte contre la criminalité organisée, considérée comme la principale source de financement des terroristes.
78. Le rapport présente une initiative législative sur la sécurité, à savoir la Directive (UE) 2017/541 du 15 mars 2017 sur la lutte contre le terrorisme, qui traite spécifiquement de la lutte contre le terrorisme et incrimine les actes tels que le financement du terrorisme. Dans la directive, l'Union appelle les États membres à préciser la définition des infractions terroristes, des infractions liées à des groupes terroristes et des infractions liées à des activités terroristes, afin de couvrir le financement du terrorisme de façon plus complète. En outre, elle suggère que le financement du terrorisme devrait être sanctionnable au pénal dans les États membres, au lieu d'être simplement empêché. L’infraction viserait également les personnes agissant en tant qu'intermédiaires dans la fourniture ou la transmission de services, d'actifs et de biens à des organisations terroristes.
79. La Directive (UE) 2017/541 présente des mesures législatives demandées par les États membres pour lutter contre les infractions liées aux activités terroristes (dont le financement du terrorisme) mais n'indique pas explicitement que Daech est la cible unique de ces mesures. Elle englobe en effet tous les types d'activités et de groupes terroristes.
80. Le 21 mars 2017, des discussions sur la proposition de la Commission visant à modifier de manière ciblée la quatrième directive sur le blanchiment de capitaux ont été engagées. Le principal point inscrit à l'ordre du jour était de savoir comment traiter (et combattre) les nouveaux moyens de financement du terrorisme, tels que les monnaies virtuelles et les cartes prépayées.
81. Comme le soulignait ce Plan, l'Union européenne s'est efforcée, tout au long de 2017, de proposer une législation visant à renforcer les capacités des autorités douanières à lutter contre le commerce de biens et de biens culturels auquel se livrent les terroristes.
82. Le GAFI, les Nations Unies et l'Union européenne ont pris une part très active dans l'élaboration de recommandations visant à aider les États membres à empêcher le financement de Daech. Néanmoins, des efforts doivent encore être consentis tant au niveau européen qu'au niveau national. Afin de mettre en œuvre des stratégies plus efficaces, il est nécessaire de renforcer les capacités de coopération et d'enquête concernant les activités financières de Daech. Il est également crucial que les réglementations internationales et européennes soient mises en œuvre plus rapidement par les États membres.

6. Mesures prises par le Conseil de l'Europe et ses États membres

6.1. Conventions adoptées par le Conseil de l'Europe

83. En 1990, le Conseil de l'Europe a adopté la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. Cette convention a été mise à jour en 2005 et est devenue la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198, «Convention de Varsovie»).
84. La Convention mise à jour en 2005 est entrée en vigueur le 1er mai 2008 à Varsovie. Elle tient compte du fait que le terrorisme peut être financé à la fois par le blanchiment de capitaux provenant d'activités criminelles et par des activités légales. C'est la première convention internationale qui vise à prévenir et contrôler le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Malgré son importance, seuls 34 États membres du Conseil de l'Europe l'ont ratifiée; sept États membres (Autriche, Estonie, Finlande, Islande, Lituanie, Luxembourg et Monaco) l'ont signée mais ne l'ont pas encore ratifiée. L'Union européenne l'a également signée mais non ratifiée. Les six autres États membres (Andorre, Irlande, Liechtenstein, Norvège, Suisse et République tchèque) n'ont pas signé la Convention.
85. En mai 2015, le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217) a été adopté par le Comité des Ministres. Ce Protocole additionnel traite également du financement du terrorisme à l'article 5, «Financer des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme», qui énonce ce qui suit:
«Aux fins du présent Protocole, on entend par “financer des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme” la fourniture ou la collecte, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, de fonds permettant totalement ou partiellement à toute personne de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme, tel que défini au paragraphe 1 de l'article 4 du présent Protocole, sachant que les fonds ont, totalement ou partiellement, pour but de servir ces fins.
Chaque Partie adopte les mesures qui s'avèrent nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, le fait de “financer des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme”, tel que défini au paragraphe 1, lorsqu'il est commis illégalement et intentionnellement.»
86. Le Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme est entré en vigueur le 1er juillet 2017. Malgré les faits saillants récents et la menace croissante que représentent les groupes terroristes, en particulier Daech, sept États membres (Autriche, Azerbaïdjan, Géorgie, Irlande, Liechtenstein, Saint-Marin et Serbie) ne l'ont pas signé et seulement 11 l'ont ratifié.
87. Le Conseil de l'Europe a aussi récemment adopté la Convention sur les infractions visant des biens culturels (STCE no 221), entrée en vigueur le 19 mai 2017. La Convention vise à prévenir et à combattre le trafic illicite et la destruction des biens culturels, dans le cadre de l'action du Conseil de l’Europe contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le préambule se lit comme suit:
«(…) Considérant que la criminalité organisée est impliquée dans le trafic de biens culturels;
Constatant avec préoccupation que des groupes terroristes sont impliqués dans la destruction délibérée de patrimoine culturel et que le commerce illégal de biens culturels représente une source de financement pour ces groupes (…)»
88. La Convention peut être comprise comme un nouvel effort de l'Organisation, de ses États membres et des autres signataires de la communauté internationale de faire cesser non seulement la destruction du patrimoine culturel unique, mais aussi de tarir l'une des principales sources de revenus de Daech. La Convention établit un certain nombre d'infractions pénales telles que le vol, les fouilles illégales, l'importation et l'exportation illégales ainsi que l'acquisition et la mise sur le marché de biens ainsi obtenus (le marché noir dans le cas de Daech). Par ailleurs, elle vise également à encourager la coopération internationale pour lutter contre ces crimes.
89. La Convention sur les infractions visant les biens culturels a été signée à ce jour par un très petit nombre d'États membres (Arménie, Chypre, Grèce, Italie, Lettonie, Portugal, Saint-Marin, Slovénie et Ukraine); le Mexique est un signataire non membre; et seul Chypre l'a ratifiée. Cinq ratifications dont celles d'au moins trois États membres du Conseil de l'Europe sont nécessaires pour son entrée en vigueur.
90. Le Conseil de l'Europe a donc adopté des mesures pour mettre un terme au financement du terrorisme. Cependant, malgré la menace actuelle que représente Daech, certains États membres ne les ont toujours pas mises en œuvre.

6.2. Mesures prises par les États membres pour empêcher le financement de Daech

91. Selon le GAFI, la République tchèque était en 2016 l'un des quatre États au monde qui ne disposait pas d'une infraction autonome pour le financement du terrorisme. Cependant, la République tchèque a depuis lors introduit une telle infraction. (Les trois autres sont des États non-membres du Conseil de l'Europe: le Brésil, qui élabore actuellement une loi pour faire évoluer sa position, la Libye et l'Autorité palestinienne.)
92. Cependant, d'autres États membres du Conseil de l'Europe ont pris des mesures plus radicales pour empêcher le financement de l'organisation terroriste Daech. La France et le Royaume Uni, notamment, peuvent être considérées comme des États qui ont pris des mesures qui vont au-delà des normes internationales empêcher le financement de Daech et y mettre fin.
93. Le Gouvernement français a publié des lignes directrices pour empêcher le financement de Daech. Ces lignes directrices, qui reposent sur des normes internationales, vont un cran plus loin et indiquent aux particuliers et aux entreprises les secteurs dans lesquels ils doivent encore faire preuve de toute la vigilance nécessaire. En juin 2016, le Gouvernement français a mis à jour son plan d'action pour la vigilance financière concernant Daech. Ce plan d'action rappelle les normes internationales et les lois européennes avant de formuler plusieurs autres recommandations, notamment: que les établissements financiers et de crédit doivent être vigilants à l’égard de tous les établissements financiers et de crédit établis dans les États et régions suivants: Syrie, Irak (provinces de Ninive, Salaheddine, Anbar), et Libye (Syrte, Derna, Ajdabiya et alentours); qu’il leur est également interdit d’établir de nouvelles relations commerciales avec des banques en Syrie et dans les régions d'Irak et de Libye mentionnées ci-dessus; qu’ils doivent également sensibiliser leurs clients qui ont des liens avec le secteur pétrolier au risque de financement de Daech; que les biens culturels ne doivent pas être importés de Libye sans l'approbation du Gouvernement libyen; que les établissements financiers et de crédit doivent également être vigilants lorsqu'ils traitent des transactions qui n'ont pas été approuvées par les gouvernements irakien, syrien et libyen; et que, le cas échéant, toute transaction suspecte doit être refusée et/ou déclarée à Tracfin 
			(11) 
			Tracfin
est un service administratif français qui s’occupe du traitement
du renseignement financier. Sa mission principale est de rassembler,
analyser et exploiter les renseignements permettant de prévenir
le blanchiment de capitaux et les circuits financiers clandestins..
94. En novembre 2015, le ministre français des Finances de l'époque, Michel Sapin, a écrit à toutes les principales associations d'antiquaires du pays, afin de les informer que la vente d'objets culturels risquait de contribuer au financement de Daech, et leur a demandé d'être vigilantes sur cette question. Les autorités françaises recommandent également une vigilance accrue à l'égard des transactions et des transferts financiers effectués en Syrie, Irak et Libye et les régions frontalières de ces trois pays, ainsi que des contrats d'assurance qui pourraient servir à financer Daech (principalement «enlèvement contre rançon»). Tout contrat d'assurance couvrant le territoire détenu par Daech doit être déclaré à Tracfin ou résilié de toute autre manière.
95. Les autorités françaises ont également publié des lignes directrices spécifiques pour éviter que les organisations non gouvernementales et les associations soient utilisées pour financer Daech. Enfin, la France a imposé une nouvelle réglementation visant à atténuer les vulnérabilités associées aux cartes de débit prépayées, de plus en plus utilisées par Daech et d'autres associations terroristes pour effectuer des transactions financières transfrontalières. Plus précisément, les autorités ont introduit l'obligation de traçabilité de toutes les transactions de plus de € 1 000 et de déclarer à la CRF les dépôts ou les retraits en espèces d'un montant supérieur à € 10 000 par mois et par client.
96. La CRF belge a mis en place un plan d'action destiné à renforcer la coordination entre les divers organismes chargés de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
97. Le Royaume-Uni, tout en adhérant aux normes internationales, a également créé le Joint Money Laundering Intelligence Taskforce (JMLIT) [Groupe de travail conjoint sur le renseignement en matière de blanchiment de capitaux]. Il s'agit d'une initiative des banques britanniques visant à mener des interventions en commun pour «nettoyer» les marchés financiers du Royaume-Uni. Le projet, qui s'appuie sur un cadre juridique rigoureux, fournit un environnement qui permet au secteur financier et au gouvernement d'échanger et d'analyser des renseignements pour détecter, prévenir et déstabiliser la criminalité financière au Royaume-Uni. Le groupe de travail est centré autour d'un groupe d'intervention composé d'agents d'organismes de lutte contre la criminalité et d'établissements financiers, douaniers et fiscaux. Le Royaume-Uni coopère avec d'autres organismes chargés de l'application de la loi. Les informations financières recueillies et partagées par le groupe de travail peuvent contribuer à perturber le financement de futures activités terroristes.
98. Le Royaume-Uni a également lancé une enquête sur le financement de Daech. La commission des affaires étrangères a créé une sous-commission qui étudie les sources de financement du groupe terroriste. Des experts ont été entendus lors de l'enquête, ce qui a déjà permis de découvrir un bien culturel originaire de Syrie ou d'Irak qui a ensuite été confisqué à un antiquaire et mis sous bonne garde en vue de le renvoyer ultérieurement à son lieu d'origine. Les éléments de preuve fournis au cours de cette enquête montrent également que les ministères intensifient leur coopération pour aider à prévenir le financement de Daech.
99. Le Conseil de l'Europe, ainsi que la majorité de ses États membres, prennent donc les mesures nécessaires pour empêcher cette organisation terroriste d'être financée. Cependant, beaucoup d'États membres n'ont pas adopté la convention du Conseil de l'Europe relative à cette question et n'ont pas pris de mesures allant au-delà des obligations européennes et internationales dans ce domaine.

6.3. La question des droits de l'homme

100. Afin d'évaluer les éventuelles incidences sur les droits de l'homme de la collecte et du partage d'informations effectués par les organismes chargés de la lutte contre le terrorisme, j'ai eu le plaisir de rencontrer MM. Christian Mommers et Mathieu Birker du Bureau du Commissaire aux droits de l'homme. Le Commissaire n'a pas abordé la question spécifique du financement du terrorisme mais il s'est déclaré préoccupé par certains aspects du Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme. Mon attention a été attirée sur le document de réflexion publié par le Commissaire sur la surveillance démocratique et effective des services de sécurité nationale.
101. Selon M. Muižnieks, «la prévention du terrorisme et la lutte contre celui-ci sont clairement un devoir de tous les États, qui doivent respecter et protéger la vie et la sécurité de tous. Cependant, l'obligation des États de prévenir le terrorisme et de le combattre ne devrait en aucun cas être remplie aux dépens des normes relatives aux droits de l'homme et des valeurs communes sur lesquelles se fondent les sociétés européennes. Cela serait une erreur, car les lois et les politiques respectueuses des droits de l'homme préservent les valeurs que les terroristes cherchent à détruire, affaiblissent la montée de la radicalisation et renforcent la confiance des citoyens dans l'État de droit et les institutions démocratiques. Dans ce contexte, les structures nationales des droits de l'homme (SNDH) ont un rôle crucial à jouer. En raison de leur nature, de leurs compétences et de leur expérience, ainsi que du respect et de la confiance qu'elles inspirent, ces structures constituent l'interface entre les autorités nationales et les citoyens et sont capables de les aider à garder la tête froide et à lutter efficacement contre le terrorisme sans céder à la peur ni bafouer les droits de l'homme 
			(12) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/national-human-rights-structures-protecting-human-rights-while-countering-terrorism'>Structures
nationales des droits de l’homme: protéger les droits de l’homme
tout en combattant le terrorisme</a>, Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme,
6 décembre 2016.».

7. Conclusions

102. Le plan de Daech visant à créer un califat en Syrie/Irak n'a pas d'avenir. Les interventions militaires menées par des combattants irakiens et syriens, kurdes y inclus, soutenus par la communauté internationale, a permis de contrecarrer les ambitions de Daech de créer un État islamique.
103. Cependant, la lutte contre cette organisation terroriste nous apprend qu'un groupe terroriste inspiré par une idéologie islamiste extrémiste peut causer des destructions massives, envahir un territoire dans lequel des populations peuvent être réduites en esclavage, et gagner de l'argent par la vente de ressources nationales et l'extorsion. Le groupe peut utiliser les fonds recueillis pour gouverner et en envoyer à d'autres fondamentalistes partageant la même idéologie dans le monde entier en utilisant ou en contournant le système financier mondial existant.
104. La communauté internationale peut tirer un enseignement essentiel: pour contrer ces activités terroristes elle doit utiliser, ou être prête à utiliser, la force militaire pour empêcher la création d'un califat. Elle doit également mettre à profit l'architecture financière internationale pour partager des informations afin de détecter les menaces terroristes à l'échelle mondiale. La finance est désormais mondialisée et les problèmes financiers, y compris le financement du terrorisme, exigent maintenant des réponses globales;
105. Tous les pays devraient réaffirmer la nécessité de renforcer les capacités locales d'enquête et de lutte contre le financement du terrorisme, y compris la corruption. Grâce à la corruption, Daech a souvent pu échapper aux restrictions permettant le mouvement et l'acquisition d'armes et de biens. La législation antiterroriste aide à faire face à ce problème, mais pour aller plus loin, il faut un système de renseignement, d'application de la loi et un système judiciaire plus solides.
106. Le terrorisme islamiste, et donc son financement, reposent sur une idéologie extrémiste qui prône l'adhésion à la cause terroriste. Il est nécessaire de prévoir une initiative à l'échelle mondiale, comprenant un rôle pour le Conseil de l'Europe, afin d'éradiquer l'extrémisme et la religion intolérante.
107. Parmi les autres mesures recommandées:
  • tous les États membres devraient signer et ratifier la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation et au financement du terrorisme;
  • le Conseil de l’Europe devrait encourager ses États membres à adopter des initiatives telles que celles du groupe de travail joint britannique sur le renseignement en matière de blanchiment de capitaux, afin de faciliter le partage de renseignements sur le financement du terrorisme;
  • les États membres devraient envisager d'interdire de nouvelles relations commerciales avec les banques en Syrie. Il est nécessaire de faire preuve de vigilance en ce qui concerne les transactions et transferts financiers effectués en Irak, Syrie et Libye ainsi que dans leurs régions frontalières;
  • le Conseil de l'Europe devrait utiliser ses relations avec les organismes de réglementation régionaux et frontaliers pour détecter les opérations menées par Daech avec les bureaux de change, afin que les établissements financiers formels et informels qui sont exploités par l'État islamique soient surveillés, voire fermés;
  • les États membres devraient, compte tenu du nombre croissant de réfugiés et de diasporas en Europe originaires de Syrie et d'Afrique du Nord, créer un deuxième niveau de sécurité pour vérifier les noms des clans et tribus aux aéroports et aux frontières terrestres;
  • chaque État membre devrait être encouragé à mieux coordonner les actions menées par les ministères et organismes publics contre le financement du terrorisme;
  • une attention particulière doit être accordée à la capacité des «loups solitaires», imprégnés d'idées extrémistes, de recueillir des fonds en utilisant, par exemple, des paiements de prestations sociales ou des cartes prépayées pour commettre des actes terroristes;
  • la manière dont des organisations terroristes internationales telles que Daech financent leurs opérations dans le monde entier ne peut être combattue que par des pays qui agissent de concert contre ce type d'activité, notamment par des interventions militaires approuvées par les Nations Unies, chaque fois que les circonstances l’imposent. L'amélioration des échanges entre les organisations internationales d'informations financières qui pourront perturber, voire arrêter, les activités terroristes, est un autre défi à relever.
108. Je ne pense pas que la réponse soit simple, où qu'elle puisse être trouvée du jour au lendemain. Mais je pense qu'avec le soutien des États membres d'organisations telles que le Conseil de l'Europe, nous pouvons empêcher la propagation d'idéologies perverses analogues à celle véhiculée par Daech, qui menace notre mode de vie et les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit défendues par le Conseil de l'Europe.