Imprimer
Autres documents liés

Avis de commission | Doc. 14536 | 24 avril 2018

Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Volodymyr ARIEV, Ukraine, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14044 et Doc. 14048, Renvoi 4217 du 20 juin 2016. Commission chargée du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Voir Doc. 14523. Avis approuvé par la commission le 24 avril 2018. 2018 - Deuxième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias se félicite du rapport de M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC) pour la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et de son projet de résolution et de recommandation. Elle partage l’idée principale de ce rapport et considère que la question de la guerre hybride et des obligations relatives aux droits de l’homme est d’actualité brûlante depuis quelques années et soulève de multiples problèmes, notamment en raison de l’évolution rapide des technologies et de la complexité et des lacunes juridiques à ce sujet.
2. Le rapport souligne que les adversaires hybrides agissent par-delà les frontières légales et dans des espaces sous-réglementés, qu’ils exploitent les seuils légaux limitant les ripostes et sont prêts à commettre de graves violations du droit en profitant de l’ambiguïté du droit et des faits. Ils nient leurs opérations hybrides afin de créer une zone grise du droit à l’intérieur de laquelle ils peuvent agir librement. Parvenir à réglementer la guerre hybride est un défi, car l’une des parties cherche systématiquement à se soustraire à ses responsabilités légales. Comme l’utilisation du large éventail de moyens hybrides disponibles pour mener un conflit ne fait l’objet d’aucune limitation internationalement reconnue, les États tentent de contrer ces nouvelles menaces à l’aide du droit pénal. Certaines mesures internes prises pour faire face à des menaces hybrides peuvent à leur tour porter atteinte aux droits fondamentaux.
3. Le rapport fait valoir à juste titre que les craintes que peut soulever la lutte contre les menaces hybrides en matière de droits de l’homme peuvent être atténuées en adoptant l’approche retenue pour les mesures antiterroristes. Les ripostes des États aux menaces hybrides devraient être légales et proportionnées. En ce qui concerne la liberté d’expression, certaines restrictions visant à contrôler le contenu des informations peuvent être imposées, en particulier pour lutter contre le discours de haine. Toutefois, comme le rapport l’indique à juste titre, ces restrictions ne devraient pas être discriminatoires ni entraîner une censure générale. Ce qui rend le problème particulièrement délicat est qu’il n’est pas toujours possible d’identifier l’adversaire hybride et d’attribuer la responsabilité des menaces hybrides à un État précis. De plus, des phénomènes tels que les campagnes de désinformation peuvent aussi créer un conflit entre certains droits de l’homme et certaines libertés fondamentales.
4. Si les menaces hybrides et certaines mesures prises en réaction constituent un danger pour les droits fondamentaux, la «zone grise» juridique qui entoure actuellement ces nouvelles menaces met aussi en danger la coopération juridique fondée sur la confiance mutuelle et la compréhension commune des règles applicables. C’est pourquoi la commission partage entièrement le point de vue selon lequel le Conseil de l’Europe doit être pertinent dans les réponses complexes aux menaces hybrides mettant notamment en jeu des moyens juridiques, diplomatiques, militaires et de contre-espionnage et jouer un rôle de premier plan en soutenant l’élaboration de réponses juridiques communes et en apportant sa grande expertise dans le domaine des droits de l’homme.
5. La commission approuve le projet de résolution proposé mais suggère néanmoins de lui apporter quelques modifications pour lui conférer plus de force.

B. Amendements proposés

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Après le paragraphe 1, insérer le paragraphe suivant:

«L’Assemblée rappelle ses précédents textes relatifs à la cybercriminalité, notamment la Recommandation 2077 (2015) «Accroître la coopération contre le cyberterrorisme et d’autres attaques de grande ampleur sur internet», la Résolution 1986 (2014) «Améliorer la protection et la sécurité des utilisateurs dans le cyberespace» et la Résolution 1565 (2007) «Comment prévenir la cybercriminalité dirigée contre les institutions publiques des Etats membres et observateurs?». Les orientations politiques qu’elles contiennent sont des instruments importants qui peuvent être utiles pour la prévention des conséquences des guerres hybrides.

Amendement B (au projet de résolution)

À la deuxième phrase du paragraphe 2, après les mots «infrastructures stratégiques d’un pays comme», ajouter les mots «l’approvisionnement énergétique,».

Amendement C (au projet de résolution)

Après le paragraphe 2, insérer le paragraphe suivant:

«L’Assemblée exprime aussi sa vive inquiétude au vu des nombreux cas de campagnes massives de désinformation visant à nuire à la sécurité, à l’ordre public et aux processus démocratiques pacifiques. Il est vital de développer des outils pour protéger la démocratie contre les «armes de l’information» tout en préservant la liberté d’expression et la liberté des médias dans le pays attaqué.»

Amendement D (au projet de résolution)

Après le paragraphe 8.2, insérer le paragraphe suivant:

«à maintenir l’échange d’information relatif aux agressions hybrides en Europe et à mettre en commun les expériences et bonnes pratiques en matière de lutte contre les menaces hybrides;»

C. Exposé des motifs, par M. Volodymyr Ariev, rapporteur pour avis

(open)

1. Observations générales

1. Le rapport établi par M. Boriss Cilevičs pour la commission des questions juridiques et des droits de l’homme est bien documenté et cohérent dans ses explications. Je souhaiterais toutefois y apporter quelques précisions supplémentaires et formuler de brefs commentaires.
2. Le paragraphe 5 de l’exposé des motifs fait état d’une confrontation verbale entre les experts de sécurité occidentaux et russes au sujet de «menaces hybrides» réciproques, ce qui donne l’impression qu’il y aurait une espèce d’équilibre entre les actions de la Fédération de Russie et celles de l’Occident. Je ne crois pas que telle était l’intention du rapporteur et je tiens à souligner que nous ne pouvons comparer, par exemple, les actions entreprises par les pays ex-soviétiques pour parvenir à l’indépendance, qui ont abouti à l’apparition de nouveaux États démocratiques, d’un côté, et l’intervention russe en Ukraine, qui a conduit à un conflit armé dans ce pays et entraîné de graves conséquences humanitaires, de l’autre.
3. Au paragraphe 7 de l’exposé des motifs, il est indiqué que le but de la «guerre de l’information» est de gagner la confiance de la population. J’ajouterai ici une autre catégorie de public très importante, à savoir les décideurs, qui sont un élément décisif d’une riposte adaptée à une attaque relevant de la guerre hybride, comme dans le cas de l’annexion de la Crimée par la Russie. La campagne de désinformation affirmant qu’il n’y avait pas de militaires russes en Crimée n’avait probablement pas pour but de tromper les masses à l’Ouest, mais visait très certainement à ralentir et retarder les processus de décision des dirigeants politiques européens.
4. Toujours au paragraphe 7, il est fait état d’intrusions de la Russie dans le processus électoral aux États-Unis, en Allemagne, en France et dans certains pays des Balkans. J’ajouterais que, selon diverses sources, ces intrusions de la Russie, notamment sous forme de cyberattaques et de campagnes de désinformation, ont concerné, depuis 2004, au moins 27 pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
5. Le paragraphe 8 indique à juste titre que l’absence d’obligation de rendre des comptes pour les propos tenus en ligne et l’absence d’attribution de la paternité de ces propos constituent un obstacle à l’identification des sources de désinformation. En même temps, je ferais remarquer que lorsqu’une information est exacte et légale, peu importe que la source soit située dans le pays ou à l’étranger. Les deux problèmes ne devraient pas être mélangés. Ainsi, la Lettonie et la Lituanie ont interdit temporairement des chaînes de télévision russes non parce qu’elles étaient russes mais parce qu’elles portaient atteinte à l’État ou à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ou parce qu’elles répandaient la haine. Nombre de ces chaînes répandaient aussi de faux messages alarmants du type «votre gouvernement/les élites occidentales/Bruxelles et Washington planifie[nt] secrètement des attentats terroristes» ou «ils organisent la crise des migrants afin de remplacer la population blanche par des musulmans».
6. Au même paragraphe 8, il est fait mention des «usines de trolls» russes et de la difficulté de faire la distinction entre la liberté d’expression de militants en ligne et l’ingérence d’États. Cependant, plusieurs indices laissent penser que l’Agence de recherche sur internet, basée à Saint-Pétersbourg (également connue sous les noms de «Trolls d’Olgino» ou de «Kremlebots»), est contrôlée par les services de renseignement russes et qu’elle a utilisé de faux comptes sur les grands réseaux sociaux, les forums de discussion et les sites de journaux en ligne pour promouvoir les intérêts de politique intérieure et étrangère du Kremlin, notamment en Ukraine, et pour tenter d’influer sur l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis.
7. Pour conclure, je suis entièrement d’accord avec le rapporteur pour dire que le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle de premier plan dans les réponses complexes aux menaces hybrides en élaborant des ripostes juridiques et en apportant sa grande expertise dans le domaine des droits de l’homme. Je suis d’avis que les amendements proposés donneraient plus de force au projet de résolution. La partie qui suit expose brièvement les raisons de ces propositions.

2. Justification des amendements proposés au projet de résolution

Amendement A

Il paraît approprié de rappeler dans le projet de résolution les rapports précédents de l’Assemblée concernant la coopération pour la lutte contre le cyberterrorisme, pour la sécurité dans le cyberespace et pour la prévention de la cybercriminalité. Les orientations politiques qu’ils contiennent me paraissent des plus pertinentes dans le contexte actuel.

Amendement B

Bien que le paragraphe 2 n’ait pas pour objet de fournir une liste exhaustive des éléments décrivant la «guerre hybride», il semble important de mentionner explicitement les menaces contre l’approvisionnement énergétique afin de compléter le tableau.

Amendement C

Ces dernières années, les campagnes massives de désinformation se sont faites plus fréquentes, intenses et dangereuses. Je crois qu’il est nécessaire que l’Assemblée exprime sa vive inquiétude à ce sujet et appelle les États à développer des outils pour protéger la démocratie contre les «armes de l’information».

Amendement D

Comme il est essentiel de maintenir l’échange d’information et de mettre en commun expériences et bonnes pratiques en matière de lutte contre les menaces hybrides, il serait important que le projet de résolution comporte un appel explicite en ce sens.