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Rapport | Doc. 14573 | 08 juin 2018

L’autonomisation des femmes dans l’économie

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Elena CENTEMERO, Italie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14046, Renvoi 4218 du 20 juin 2016. 2018 - Troisième partie de session

Résumé

En dépit de progrès significatifs récents, l'inégalité entre les sexes demeure un problème grave et est particulièrement évident dans l'économie avec des différences injustifiées de rémunération (écart salarial entre hommes et femmes, se traduisant plus tard en écart au niveau de la retraite), un accès difficile à l'emploi, une progression professionnelle plus lente, une segmentation entre les sexes (surreprésentation des femmes ou des hommes dans un secteur économique donné) et un faible nombre de femmes occupant les postes de haut niveau des grandes entreprises (plafond de verre).

Il est possible et nécessaire de changer cette situation. Ces dernières années, des politiques et législations innovantes dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ont introduit des quotas pour le genre sous-représenté dans les conseils d'administration, des obligations de transparence sur les niveaux de rémunération dans les entreprises privées et une forme de certification ou label d’égalité de genre.

Les obstacles à l'autonomisation économique des femmes sont principalement de nature culturelle. Par conséquent, les mesures culturelles, y compris dans les domaines de la formation et de l'éducation, ainsi que la sensibilisation et l'information, peuvent jouer un rôle important dans la promotion de l'égalité. Les parcours d’éducation STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) devraient être particulièrement encouragés chez les femmes et les filles. Elles sont fortement sous-représentées dans ces domaines, bien qu’ils soient très prometteurs en termes de développement économique et de perspectives de carrière.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 5 juin 2018.

(open)
1. Malgré les progrès notables obtenus ces dernières décennies, les inégalités entre les femmes et les hommes persistent encore dans les États membres du Conseil de l’Europe et au-delà, de manière particulièrement évidente dans l’économie.
2. Ces inégalités se manifestent dans l’économie sous des formes variées, notamment les difficultés que rencontrent les femmes dans l’accès au marché du travail et dans la progression de leur carrière, particulièrement aux fonctions supérieures (plafond de verre). Les disparités injustifiées de rémunération (fossé salarial) sont une forme flagrante de discrimination entre les sexes sur le marché du travail.
3. Les femmes sont sous-représentées dans les fonctions d’encadrement et surreprésentées dans les emplois hors norme, à temps partiel et précaires, généralement moins ouverts sur le développement professionnel et l’avancement dans la carrière. On constate également des différences entre les femmes et les hommes parmi les travailleurs indépendants et les entrepreneurs: les hommes sont plus de 50 % plus nombreux que les femmes à exercer une activité indépendante et le fossé se creuse avec la taille de l’entreprise.
4. La segmentation de l’économie en fonction du genre contribue aussi aux disparités, car les rémunérations sont tendanciellement inférieures dans les activités à dominante féminine telles que l’éducation, l’action sociale et les soins. Les femmes sont particulièrement sous-représentées dans les disciplines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), où les possibilités d’emploi et de progression professionnelle sont meilleures.
5. L’Assemblée parlementaire a systématiquement prôné l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie par des mesures comme les actions positives (quotas de femmes dans les conseils d’administration, mesures de conciliation entre vie professionnelle et familiale), et avec des textes comme la Résolution 1719 (2010) et la Recommandation 1911 (2010) sur les femmes et la crise économique et financière , la Résolution 1825 (2011) et la Recommandation 1977 (2011) « Davantage de femmes dans les instances de décision économiques et sociales », la Résolution 1921 (2013) « Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité », ainsi que la Résolution 1939 (2013) « Le congé parental, moyen d’encourager l’égalité des sexes ».
6. La situation s’est améliorée dans certains États membres du Conseil de l’Europe, grâce à une pluralité de mesures allant de la discrimination positive à des efforts de conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, notamment par des horaires flexibles et le congé parental. Les actions de sensibilisation, de formation et d’éducation tout au long de la vie ont aussi contribué à cette amélioration, qui reste toutefois lente et ne touche pas tous les pays au même degré.
7. L’expérience des sociétés plus égalitaires dans ce domaine montre que l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie conditionne les progrès dans d’autres domaines, dont la vie politique et publique.
8. L’Assemblée constate avec inquiétude que les inégalités au travail ont de graves répercussions sur le bien-être économique des femmes, non seulement dans l’immédiat, mais aussi à plus longue échéance, du fait que les bas salaires, l’emploi précaire et les possibilités réduites de progression dans la carrière se conjuguent au fil du temps pour résulter en un patrimoine et une retraite bien inférieurs. Elle observe que les manifestations de la discrimination entre les femmes et les hommes dans l’économie sont interconnectées et liées aux inégalités de genre au sein du foyer. Il convient de ne jamais perdre de vue cette interconnexion dans l’analyse des diverses formes d’inégalité et dans la recherche des contre-mesures possibles.
9. L’Assemblée estime que l’éducation a un rôle crucial à jouer dans la lutte contre les facteurs culturels qui entravent la participation des femmes à la vie économique, particulièrement les stéréotypes restreignant la liberté des femmes dans le choix d’études et d’une carrière, et leur attribuant une part disproportionnée des tâches non rémunérées ménagères et de soins aux personnes. Il serait aussi possible de lutter contre la ségrégation sur le marché du travail par la formation et l’éducation tout au long de la vie. Les femmes et les filles devraient en particulier être fortement encouragées à étudier les disciplines STIM, eu égard à leur importance croissante et au déséquilibre actuellement observé dans ce domaine.
10. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire:
10.1. en ce qui concerne les salariées:
10.1.1. à encourager les entreprises publiques et privées à adopter des politiques visant à renforcer l’équilibre entre femmes et hommes et l’égalité des chances au travail, par des politiques de gestion des ressources humaines couvrant des domaines tels que le recrutement, la formation et l’avancement professionnel ;
10.1.2. à exiger que les entreprises publiques et privées adoptent des politiques de transparence des salaires, fondées sur des barèmes publiés de rémunération par secteur et type d’emploi, en vue de garantir l’application du principe de l’égalité de salaire à égalité de travail;
10.1.3. à envisager l’introduction d’un système de certification attestant du fait que le régime de rémunération d’une entreprise n’est pas discriminatoire, notamment entre les femmes et les hommes ;
10.1.4. à adopter une législation et des politiques prévoyant des mesures de conciliation de la vie professionnelle et privée, dont des formules de travail flexibles (travail à temps partiel, télétravail, horaires flexibles), ainsi que des congés parentaux attrayants ;
10.1.5. à proposer des services financièrement abordables de garde d’enfants de tous âges et à encourager les entreprises à faire de même ;
10.1.6. à mettre en place des mesures incitatives en matière de garde d’enfants, comme déductions fiscales ou chèques de garde d’enfants ;
10.1.7. à promouvoir, notamment par des incitations financières et fiscales, des politiques d’entreprises encourageant les femmes à reprendre le travail après un congé de maternité, y compris par la formation ou l’orientation professionnelles ;
10.2. en ce qui concerne les femmes ayant des fonctions directoriales:
10.2.1. à introduire des quotas de 30 % au moins de sièges réservés au sexe sous-représenté au sein des organes de direction, assortis de sanctions financières et non financières telles que la révocation de l’ensemble du conseil dans les cas graves de non-respect ;
10.3. en ce qui concerne les femmes entrepreneures:
10.3.1. à promouvoir l’accès des femmes à des financements pour la création d’entreprises et à la propriété foncière, notamment par des crédits spéciaux à taux d’intérêt réduit ;
10.3.2. à offrir aux femmes des possibilités de formation et des conseils gratuits ou à prix abordable en matière de création d’entreprises, spécialement conçus à leur intention ;
10.3.3. à encourager les programmes de mentorat et d’accompagnement des femmes entrepreneures et à améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des pépinières d’entreprises ;
10.4. en ce qui concerne l’éducation:
10.4.1. à introduire dans les programmes scolaires des cours d’éducation à la citoyenneté mettant particulièrement l’accent sur l’égalité de genre et fondés sur une approche holistique englobant l’égalité entre femmes et hommes dans la vie privée et publique, y compris en ce qui concerne l’éducation et la participation dans la vie professionnelle ;
10.4.2. à dispenser au personnel enseignant et non enseignant des établissements scolaires des formations sur les questions de genre et d’égalité, en vue de lutter contre les stéréotypes sexistes dans l’éducation, notamment en ce qui concerne l’orientation scolaire et professionnelle ;
10.4.3. à inciter les jeunes filles, par des actions d’orientation organisées tout au long de leur formation scolaire et universitaire, à opter pour les disciplines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) ;
10.4.4. à encourager les établissements d’enseignement scolaire et universitaire à rechercher de nouveaux modes de recrutement des élèves et des étudiants dans les disciplines STIM, pour y redresser l’équilibre entre les sexes ;
10.4.5. à promouvoir l’égalité d’accès des femmes et des hommes aux technologies de l’information et de la communication ainsi qu’à la formation tout au long de la vie dans ce domaine;
10.4.6. à introduire dans les programmes scolaires d’économie et finance la connaissance des instruments normatifs et financiers qui permettent aux femmes de mieux s’intégrer dans le vie économique et qui assurent l’égalité entre les femmes et les hommes;
10.5. en ce qui concerne l’information et la sensibilisation:
10.5.1. à encourager l’organisation de campagnes d’information et de sensibilisation afin de lutter contre les stéréotypes de genre, en particulier dans le monde du travail, en s’appuyant notamment sur des modèles et des témoignages pertinents ;
10.6. en ce qui concerne la collecte de données:
10.6.1. à promouvoir la collecte et l’analyse de données sur les effets des pratiques de gestion innovantes visant à l’égalité entre les femmes et les hommes.

B. Exposé des motifs, par Mme Elena Centemero, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. L’Assemblée parlementaire s’est penchée sur la question de l’égalité de genre dans l’économie selon diverses perspectives. Parmi les textes adoptés en la matière figurent la Résolution 1719 (2010) et la Recommandation 1911 (2010) sur les femmes et la crise économique et financière , la Résolution 1825 (2011) et la Recommandation 1977 (2011) « Davantage de femmes dans les instances de décision économiques et sociales », la Résolution 1921 (2013) « Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité » ainsi que la Résolution 1939 (2013) « Le congé parental, moyen d’encourager l’égalité des sexes ».
2. Toutefois, malgré les progrès notables accomplis au cours de ces dernières décennies, l’inégalité entre les femmes et les hommes pose toujours de graves problèmes. Elle est présente dans tous les domaines de la vie publique, y compris la représentation politique, et particulièrement évidente dans l’économie. Des études récentes montrent que la situation n’évolue que très lentement. En Europe, pour des emplois similaires, l’écart de rémunération (« fossé salarial ») entre les femmes et les hommes est aujourd’hui d’environ 23 %. Le nombre de femmes occupant des postes de direction dans de grandes entreprises est dérisoire.
3. Il est possible de modifier cet état de choses: les chiffres montrent que les niveaux d’inégalité varient considérablement d’un pays à l’autre et que, dans certains d’entre eux, la participation des femmes à l’économie a été considérablement accrue par diverses mesures allant de la discrimination positive (quotas au sein des organes de direction des entreprises publiques) à des mesures de conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, sans compter les actions de sensibilisation, de formation et d’éducation tout au long de la vie, assurément essentielles pour réaliser des progrès dans ce domaine.
4. Il est communément admis que l’égalité de genre dépend d’une série de facteurs étroitement liés les uns aux autres. L’expérience des sociétés plus égalitaires dans ce domaine montre que l’égalité entre les femmes et les hommes au travail conditionne les progrès dans d’autres domaines, dont la vie politique et publique. C’est la raison pour laquelle il est capital de donner aux femmes les moyens d’occuper leur place dans l’économie.
5. Le présent rapport aborde l’expérience des femmes et des hommes au travail et dans l’ensemble de l’économie. Il analyse les obstacles à la progression des femmes dans la vie professionnelle, leur incidence pénalisante sur la vie de chacune et sur le développement économique général, et les moyens de traiter ce problème.
6. La discrimination revêt diverses formes. Les femmes éprouvent plus de difficultés que les hommes à accéder au marché du travail et à faire carrière. Et comme il a déjà été indiqué, les écarts de salaire injustifiés entre les femmes et les hommes restent fréquents. C’est l’une des formes les plus manifestes de la discrimination à l’égard des femmes sur le marché du travail. Elle a de graves répercussions sur le bien-être économique des femmes à court, mais aussi à long terme, du fait que des niveaux de rémunération inférieurs se traduisent, avec le temps, par des retraites inférieures.
7. La segmentation par genres est une autre caractéristique du marché du travail. Les femmes sont souvent surreprésentées dans certains secteurs féminisés (comme l’éducation, l’action sociale et la santé) et sous-représentées dans les sciences, l’ingénierie et la technologie. Ce type de segmentation tend à accentuer les inégalités, notamment salariales, car les secteurs dans lesquels les femmes sont le plus présentes offrent souvent des rémunérations moyennes inférieures.
8. En outre, les femmes sont surreprésentées dans des emplois hors norme (travail temporaire, à temps partiel et d’astreinte , placements intérimaires et autres formules multipartites) ou précaires, généralement moins ouverts sur la progression professionnelle et l’avancement dans la carrière.
9. Les femmes sont encore largement sous-représentées dans les organes de direction des entreprises: les données publiées par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) montrent qu’en 2014, le pourcentage de sièges attribués à des femmes au sein des conseils d’administration des plus grandes entreprises cotées en Bourse n’était que de 20 % dans les 28 États membres de l’OCDE.
10. On constate aussi des différences entre les sexes parmi les travailleurs indépendants: 8,3 % des femmes actives (contre 12,4 % des hommes) exercent une activité indépendante et n’ont pas de salariés ; l’écart se creuse considérablement lorsqu’il s’agit de développer l’entreprise puisqu’en moyenne, dans les pays membres de l’OCDE, 2,2 % des femmes seulement, contre 5,5 % des hommes, exercent une activité indépendante et ont des salariés.
11. Ces diverses manifestations de l’inégalité sont interconnectées. Elles sont en outre liées aux inégalités entre les femmes et les hommes au foyer – ce qu’il convient toujours de prendre en compte dans l’analyse des formes d’inégalité et la recherche des contre-mesures possibles.

2. Salariées: disparités de rémunération entre les femmes et les hommes

12. L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est un problème majeur ; aucun pays ne l’a entièrement comblé, estime le Forum économique mondial. Il est en moyenne de 16.7 % dans les États membres de l’Union européenne 
			(2) 
			Fiche d’information
de l’Union européenne « Éliminer l’écart de rémunération entre les
femmes et les hommes au sein de l’Union européenne », 2016.. Il dépend de plusieurs facteurs. L’éducation en est un: les femmes ont un niveau d’éducation élevé — supérieur à celui des hommes — mais elles se spécialisent dans des disciplines moins recherchées sur le marché du travail. Elles sont relativement peu nombreuses à opter pour les disciplines « STIM » (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), qui offrent de meilleures perspectives d’emploi. La maternité constitue depuis longtemps une entrave à l’accès des femmes à l’emploi et à la progression dans leur carrière. Cela reste vrai, mais il convient de souligner que le taux de fécondité et le taux d’emploi des femmes sont positivement corrélés, ce qui s’explique par le fait que les pays où le taux d’emploi des femmes est le plus élevé sont souvent aussi ceux qui offrent un soutien adéquat à la parentalité, notamment par des structures de garde d’enfants et des aides financières aux familles.
13. Certains traits culturels profondément ancrés dans nos sociétés, tels que le partage des tâches au sein de la famille, ont des effets qui débordent dans le monde du travail et contribuent à perpétuer les différences de rémunération entre les femmes et les hommes. Les tâches non rémunérées ne sont toujours pas équitablement partagées entre les femmes et les hommes. L’idée que la parentalité aurait un effet négatif sur la motivation professionnelle des femmes et positif sur celle des hommes reste très répandue. La ségrégation entre les sexes par secteurs d’activité a également une incidence: les salaires sont souvent plus bas dans les secteurs plus féminisés que les autres.
14. Lors de l’audition du 23 juin 2016, M. Sam Smethers, directeur de la Fawcett Society, une organisation caritative basée à Londres, a indiqué que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est actuellement de 19 % au Royaume-Uni, et monte même à 30 % dans les emplois à temps partiel. Ses effets se cumulent au long de la vie active, ce qui se traduit finalement par des disparités des retraites encore plus larges, de quelque 40 %. Les chiffres sont comparables à l’échelle de l’Union européenne: l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) indique que l’écart des retraites était de 38 % en 2012. Cela résulte de l’accumulation des inégalités dont les femmes sont victimes tout au long de leur vie: outre les différences de salaires, elles sont victimes d’une « pénalité de maternité » (liée au temps de travail non rémunéré consacré à la maternité et à la garde des enfants) et d’une ségrégation sur le marché du travail. Aujourd’hui, les régimes de retraite ne sont pas adaptés aux contraintes de la vie professionnelle moderne, qui s’est fractionnée. Les salariés changent généralement d’emploi plusieurs fois dans leur vie, mais ont souvent du mal à obtenir une retraite correspondant à la durée et à la valeur de l’ensemble de leur carrière.
15. Mme Katie McCracken, chercheuse, Opcit Research, a montré que la capacité d’action d’une femme est soumise à toute une série de facteurs, certains individuels (subjectifs, personnels) et d’autres structurels, c’est-à-dire associés à la structure de la société et au cadre juridique. Les pratiques culturelles et familiales, les médias, les normes et attentes sociales transcendent cette distinction. La discrimination présente elle aussi ce double caractère individuel et structurel.
16. La prise de conscience de cet état de choses progresse et la volonté politique d’y remédier se renforce, soutenue par les considérations éthiques et les indicateurs économiques. Pourquoi le travail de quelqu’un vaudrait-il 20 % à 30 % de moins pour la seule raison que la personne est une femme ? Et pourquoi un pays devrait-il renoncer à accroître sa prospérité en raison d’une conception dépassée des rôles de l’homme et de la femme et autres entraves culturelles héritées du passé à l’accès des femmes au travail ? En effet, les recherches montrent que le développement économique s’accélérerait nettement si les femmes et les hommes pouvaient y contribuer à égalité. Mme Smethers a évoqué des estimations intéressantes sur le produit national brut du Royaume-Uni, qui augmenterait de 600 milliards de livres si le fossé était comblé. Autrement dit, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes se traduit par un lourd déficit de productivité. Aux États-Unis, l’économiste Heidi Hartmann, présidente de l’Institute for Women’s Policy Research, a estimé que l’égalité de rémunération des femmes et des hommes stimulerait l’économie et ajouterait au moins trois ou quatre points de pourcentage à la croissance 
			(3) 
			« Closing The Gender
Wage Gap Would Create “Huge” Economic Stimulus, Economists Say »,
Laura Bassett, Huffington Post,
24 octobre 2012..
17. Bien qu’un nouvel élan politique apparaisse, il n’est pas toujours facile pour les décideurs de déterminer le meilleur moyen de faire leur juste place aux femmes dans l’économie. Pour cette raison, il convient de recenser les mesures qui se sont révélées les plus efficaces dans la lutte contre les inégalités (législation, politiques publiques et autorégulation des entreprises).
18. Mme Paola Profeta, professeure à l’Université Bocconi, a donné à notre commission des indications sur les politiques que les économistes jugent les plus efficaces. Les actions portant sur la garde des enfants en bas âge ont par exemple une incidence positive non seulement sur le développement de l’enfant, mais aussi sur la mobilité sociale. Elles englobent la mise en place d’une infrastructure adéquate et de services de garde d’enfants accessibles, mais aussi des incitations financières, telles que déductions fiscales et chèques-garde d’enfants pour les frais de cette nature. Les politiques relatives au congé de paternité jouent également un rôle important, car elles ont de multiples effets à la fois sur l’emploi des femmes, sur les cultures d’entreprise et sur les mentalités (outre des avantages évidents, au sein de la famille, en ce qui concerne la relation père-enfant). Des mesures devraient également être prises par les entreprises pour encourager les mères à reprendre le travail, car une part notable des femmes abandonnent leur activité professionnelle à la naissance de leur deuxième enfant. L’assouplissement des conditions de travail (télétravail et horaires flexibles) augmente la productivité, un meilleur équilibre entre travail et vie privée ainsi qu’un plus juste partage des tâches au foyer. Il faudrait que les emplois de qualité soient aussi ouverts au temps partiel (aujourd’hui, ils sont en général réservés aux fonctions déqualifiées). Les obligations de transparence constituent par ailleurs une pratique intéressante: en l’absence de transparence, une femme peut difficilement détecter par elle-même et mesurer les discriminations qu’elle subit en matière salariale. Il pourrait donc être judicieux d’adopter des dispositions qui imposent aux organisations de publier leur écart de rémunération entre les femmes et les hommes et les écarts de primes (comme le fait par exemple la législation du Royaume-Uni).
19. L’Islande a mis en place des mesures innovantes dans sa loi sur l’égalité de rémunération votée par l’Althingi (parlement) en avril 2017. Le nouveau texte impose aux sociétés publiques et privées employant 25 salariés ou davantage de faire vérifier et certifier par une instance de contrôle extérieure que leur système de rémunération garantit l’égalité entre les femmes et les hommes. Il prévoit des sanctions financières en cas de non-respect, et les syndicats peuvent aussi agir contre les entreprises fautives. La loi aborde l’égalité entre hommes et femmes dans l’avancement professionnel et les systèmes de rémunération des entreprises par le biais de la transparence des critères. Elle cherche aussi, d’une manière plus générale, à promouvoir le souci de l’égalité des sexes parmi les employeurs et les salariés, et à inciter les femmes à se porter candidates à toutes les fonctions, y compris celles qui sont traditionnellement considérées comme réservées aux hommes.
20. Le respect des normes définies dans les lignes directrices permet aux entreprises d’obtenir la certification (un logo spécial a été créé à cet égard). Le système d’analyse et de certification prévoit un déploiement échelonné. Dans un premier temps, il s’appliquera aux entreprises de plus de 215 salariés (les grandes sociétés), qui doivent être contrôlées d’ici la fin 2018. La seconde étape, qui doit se clore en 2021, étendra le contrôle aux sociétés de plus de 25 salariés. Les petites entreprises de moins de 25 salariés ne sont pas soumises à cette réglementation en raison du coût relativement élevé de la procédure. Bien qu’une grande partie des sociétés islandaises appartienne à cette dernière catégorie, la loi devrait couvrir près de 60 % de la population active.
21. Le processus de certification se déroule en plusieurs phases: d’abord, le système de rémunération utilisé par les responsables de la société est analysé ; des écarts injustifiés de salaire entre les femmes et les hommes peuvent alors apparaître. Ensuite, l’entreprise met en place un plan d’action pour l’égalité des sexes, que peut contrôler le Centre pour l’égalité des sexes (bureau national créé par le ministère de la Protection sociale). Après quoi elle déploie des politiques de soutien à l’égalité entre les femmes et les hommes pour remédier à d’éventuels déséquilibres. L’analyse du système de rémunération est réalisée par des auditeurs externes conformément aux lignes directrices approuvées par le ministère de la Protection sociale. Les auditeurs suivent une formation spécifique, supervisée par le gouvernement.
22. La rédaction de la loi sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes s’est appuyée sur d’amples négociations et coopérations avec les partenaires sociaux (syndicats et fédérations d’employeurs). Aboutissement d’un long processus, elle a été précédée de plusieurs lois et politiques sur l’égalité entre les sexes, qui lui ont ouvert la voie ces dernières décennies. Il s’agit de mesures de conciliation de la vie active et de la vie familiale, comme les mécanismes de congé parental et la loi sur les quotas de genre au sein des organes de direction des grandes entreprises. Ce texte commençant juste à être appliqué, il est trop tôt pour en apprécier les effets. Les premiers résultats ne seront pas connus avant 2019.
23. L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est un problème complexe qui appelle des interventions dans plusieurs domaines. Les mesures mentionnées ci-dessus me paraissent conjuguer judicieusement les aspects culturels, économiques et sociaux. Les politiques de promotion de l’égalité des sexes constituent un bon investissement pour n’importe quel pays. Elles apportent une valeur ajoutée à l’économie et, comme mentionné précédemment, contribuent à la croissance économique. Elles créent un cercle vertueux en augmentant la présence des femmes dans les fonctions décisionnelles, dans l’économie et la politique, ce qui contribue en retour à éliminer les autres formes de discrimination. Ces politiques devraient être convenablement financées et figurer en bonne place dans les priorités des décideurs. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

3. Quotas d’hommes et de femmes dans les directions des entreprises

24. La Norvège a adopté en 2006 des mesures radicales pour améliorer l’équilibre hommes-femmes dans les directions des grandes entreprises, notamment un quota de 40 % de femmes pour les entreprises cotées en Bourse. Le nouveau texte est entré en vigueur en 2008; il prévoit des sanctions sévères pour les entreprises non conformes, dont la dissolution forcée.
25. Neuf ans plus tard, une étude approfondie sur les effets des quotas de femmes 
			(4) 
			« The
female quota’s effect on Norwegian business », sous la direction
de Mari Teigen, Oslo, 2015., fondée sur les réponses de 404 cadres supérieurs à un questionnaire envoyé à 127 entreprises, a donné une image nuancée des résultats ainsi obtenus. Les sociétés cotées en Bourse auxquelles la loi s’applique ont rapidement atteint la proportion minimale réglementaire de femmes dans les organes de direction, soit 40 %. Cette proportion est restée identique depuis 2009. Toutefois, le nombre des sociétés cotées en Bourse est passé de 452 au moment où la loi a été adoptée à 257 en 2013, nombre d’entre elles ayant changé de statut. Quoi qu’il en soit, ces entreprises sont grandes, mais peu nombreuses. En revanche, il y a plus de 250 000 sociétés non cotées (qui ne sont pas couvertes par la loi). Dans ce groupe, la part des femmes au sein des conseils d’administration est nettement inférieure (autour de 20 %) et n’a quasiment pas changé depuis dix ans. Cela montre bien que rien ne bouge en l’absence d’une législation et de sanctions adéquates.
26. L’un des effets secondaires de la loi sur les quotas souvent mis en avant est que les rares femmes gestionnaires chevronnées avaient fini par cumuler des sièges dans plusieurs sociétés. Le phénomène s’est pratiquement résorbé depuis: les femmes occupaient en moyenne 2,46 sièges et les hommes 2,25 dans des conseils d’administration en 2013.
27. La loi sur les quotas n’a pas nécessairement changé les mentalités au sein de la population, et son incidence est même restée limitée à certains égards: selon les réponses au questionnaire cité ci-dessus, il reste plus difficile pour les femmes cadres que pour leurs homologues masculins de concilier vie professionnelle et vie privée. On peut en conclure que les tâches ménagères et les soins aux enfants continuent d’incomber davantage aux femmes. Si le nombre de femmes membres de conseils d’administration a considérablement augmenté, aucune progression n’a été constatée en revanche en ce qui concerne les présidents-directeurs généraux (PDG): en Norvège, aucun des 60 plus grandes entreprises n’est une femme.
28. En dépit de certaines insuffisances, la loi norvégienne sur les quotas est perçue comme un tournant et a suscité un vif intérêt en Europe et dans le monde. Le législateur de plusieurs pays (comme la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Islande et l’Italie) s’est inspiré de ce modèle. Le Portugal a rejoint le mouvement assez récemment: la loi adoptée en juin 2017 impose un quota de genre de 33,3 % au sein des organes d’administration et de surveillance des entreprises publiques à partir de janvier 2018, et de ceux des entreprises cotées en Bourse à partir de janvier 2020.
29. J’ai pu me familiariser en janvier 2017 avec la loi française sur les quotas 
			(5) 
			Loi
no 2011-103 du 27 janvier 2011 relative
à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein
des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité
professionnelle., dans le cadre d’une visite d’information effectuée à l’approche du délai d’application du niveau seuil minimum de 40 %. Cette loi, présentée par M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo Zimmermann, notre collègue au sein de la commission, a été votée en 2011 à une large majorité multipartite. Elle s’applique aux entreprises cotées ou non en Bourse qui emploient depuis trois exercices consécutifs un personnel permanent d’au moins 500 personnes et dégagent un chiffre d’affaires d’au moins 50 millions d’euros. En outre, elle concerne les établissements publics à caractère industriel et commercial, comme les entreprises industrielles et les entreprises détenues par l’État.
30. Mes interlocuteurs de Paris, qui représentaient des entreprises privées, des professions libérales et des organismes publics de défense de l’égalité des genres, se sont accordés à reconnaître que la loi avait eu de notables effets positifs. La plupart des entreprises ciblées, dans l’ensemble soucieuses de se mettre en conformité avec la loi, ont atteint le seuil exigé, et on constate même des changements qualitatifs. La diversité a généralement eu des effets positifs dans les organes de direction: en moyenne, leurs membres sont aujourd’hui plus jeunes et possèdent une meilleure formation. Ils semblent également plus indépendants et plus ouverts à l’innovation. Mme Brigitte Longuet, une juriste expérimentée possédant une connaissance approfondie du monde des professions libérales et de la situation des femmes dans d’autres secteurs de l’économie, a porté un avis très favorable sur la loi. Les mentalités auraient manifestement évolué au sein des grandes entreprises, et la diversité accrue au sein des équipes de direction serait unanimement perçue comme un atout.
31. Certains des interlocuteurs rencontrés ont relevé les insuffisances de ce texte, notamment l’absence de sanction en cas de non-respect de ses dispositions. En fait, la loi ne désigne même pas clairement l’autorité chargée de veiller à son application. Les entreprises concernées ont fait preuve de bonne volonté, mais rien ne garantit la pérennité des changements. En outre, le champ d’application de la loi est restreint, car il ne couvre pas les petites et moyennes entreprises. Des modifications mineures du texte suffiraient à remédier à certaines de ses insuffisances. L’an dernier, une évaluation de son application a été réalisée conjointement par deux organismes de défense de l’égalité: le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil Supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Leur rapport formule une série de recommandations visant principalement à rendre l’application des règles plus aisée et plus efficace.
32. Mme Élisabeth Richard, membre de la direction de la grande entreprise énergétique ENGIE, a été chargée du dossier de « la place des femmes ». Elle m’a expliqué que son entreprise avait pris une série de mesures visant à renforcer la représentation des femmes à tous les niveaux, à la suite d’une visite d’un membre du gouvernement français qui s’était enquis de la situation en la matière auprès de l’équipe dirigeante. Les efforts déployés par diverses parties prenantes et leurs effets sont encourageants. La loi sur les quotas reste à mon avis la plus efficace des mesures adoptées ces dernières années. L’effet positif qu’elle semble avoir sur la culture d’entreprise et, à plus longue échéance, sur les mentalités en général, rend cet instrument particulièrement utile et nécessaire.
33. Des règles similaires ont été adoptées en 2011 en Autriche, en Belgique, en Italie et aux Pays-Bas. Comme je l’ai déjà indiqué, notre commission s’est entretenue avec Mme Lella Golfo, ex-députée italienne et l’un des auteurs de la loi 120/2011, qui fixait une représentation minimale de chaque sexe de 20 % à partir de 2012 et de 33 % à partir de 2015 dans les organes de direction des entreprises cotées. Lorsque la préparation du projet de loi a débuté en 2009, seuls 5,6 % des membres de ces organes étaient des femmes. Il était urgent d’adopter des mesures radicales et le système norvégien avait été choisi comme modèle. Les quotas que prévoit la loi sont temporaires: ils ne valent que pour trois mandatures des conseils, soit neuf ans au total. CONSOB (organisme public chargé de surveiller les entreprises cotées et le fonctionnement du marché boursier) et le Département de l’égalité des chances du gouvernement sont chargés de veiller à l’application de la loi. Il leur incombe également d’appliquer des sanctions en cas de non-respect (amendes comprises entre 100 000 et 1 million d’euros, voire révocation de l’ensemble du conseil d’administration).
34. D’après Mme Golfo, la loi a eu des effets remarquables, qui sont allés bien au-delà des résultats escomptés, sur le plan quantitatif, mais aussi qualitatif. La proportion des femmes occupant des postes de direction dans les entreprises concernées est passée de 5,6 % à plus de 30 %, comme le veut le texte. La qualité des conseils d’administration s’en est également trouvée améliorée: tout comme je l’avais observé en France, la loi sur les quotas s’est traduite par des conseils d’administration composés en moyenne de membres plus jeunes et mieux formés.
35. Les organisations de défense des droits des femmes ont réalisé un intense travail de sensibilisation et de mobilisation pour que la loi sur les quotas soit adoptée, malgré l’opposition de nombreux parlementaires. Les députées étaient alors moins nombreuses qu’aujourd’hui (sans compter qu’elles n’étaient pas toutes favorables au projet de loi), ce qui montre bien, s’il en était besoin, que la représentation politique des femmes est liée à leur statut dans l’ensemble de la société. La Fondation Marisa Bellisario, que préside Mme Golfo, s’est également employée à renforcer la prise de conscience au sein des grandes entreprises. En réponse à l’objection selon laquelle il n’y avait pas assez de femmes capables d’occuper des postes de haute direction, elle a diffusé 2 500 curricula vitae de candidates possédant le profil requis. En Italie comme ailleurs, la loi sur les quotas a impulsé un revirement culturel: même les opposants d’hier sont nombreux à reconnaître aujourd’hui que le texte a eu des effets bénéfiques. Les similitudes sont frappantes entre les quotas applicables aux organes de direction des entreprises publiques et les quotas électoraux. Dans les deux cas, l’instauration de quotas a été obtenue au terme d’une longue et dure campagne de lutte contre le déficit de représentation. Dans les deux cas, il peut être utile de considérer les quotas comme une mesure provisoire et dans les deux cas encore, l’impact est rapide et visible, et il s’accompagne de changements culturels qui devraient persister à plus long terme.
36. En novembre 2017, la commissaire de l’Union européenne à la Justice et à l’Égalité des genres, Vĕra Jourová, a annoncé de nouvelles propositions de promotion des quotas de genre au sein des organes de direction des entreprises. Celles dans lesquelles les femmes sont insuffisamment représentées parmi les directeurs non exécutifs (moins de 60 %) seraient tenues de leur donner priorité dans l’examen des candidatures à ce type de fonctions. Je me félicite de cette initiative ; j’espère que les pays membres de l’Union européenne la soutiendront (par le passé, plusieurs d’entre eux ont résisté à des actions de ce type, pour diverses raisons).
37. Eu égard aux similitudes que j’ai évoqué entre les quotas au sein des directions d’entreprise et les quotas électoraux en politique, et sachant que je suis fervente partisane de ces derniers, je ne puis que prôner la discrimination positive au sein des équipes de direction des entreprises. La logique qui a présidé à son adoption dans plusieurs pays et la constatation de ses effets montrent qu’il s’agit d’une mesure efficace et nécessaire, en particulier dans l’immédiat.

4. Entrepreneuriat féminin

38. Les femmes ne travaillent pas seulement dans des entreprises, à des fonctions d’encadrement ou autres: certaines créent leur propre entreprise. Des différences entre les femmes et les hommes existent aussi dans ce domaine. Comme l’a expliqué devant notre commission Mme Valérie Frey, chercheuse à l’OCDE, rares sont les données permettant de comparer les pays sur ce terrain, mais les statistiques sur le travail indépendant fournissent certaines indications. Environ les deux tiers des chefs de petites entreprises sont des hommes pour un tiers de femmes. Celles-ci seraient moins nombreuses que les hommes à opter pour une activité indépendante, et cela pour des motifs en partie subjectifs: certaines d’entre elles n’ont pas la confiance en soi nécessaire (cet élément est frappant et j’y reviendrai). Des facteurs objectifs contribuent également à ce déficit d’entrepreneuriat chez les femmes ; l’accès plus difficile à des financements joue un grand rôle à ce niveau, comme le montrent des études menées dans plusieurs États membres de l’OCDE.
39. Les entreprises dirigées par une femme ou un homme diffèrent également par la taille (en moyenne, les femmes créent et dirigent des entreprises plus petites) et malheureusement aussi par les bénéfices (l’écart observé entre les femmes et les hommes est ici encore plus important que pour les salaires). Même la femme chef d’entreprise supporte une charge de travail non rémunéré plus lourde que son partenaire masculin et a donc du mal à concilier ses tâches au foyer et son travail rémunéré. Les entreprises dirigées par des femmes opèrent souvent aussi dans des secteurs d’activité s’appuyant traditionnellement sur du personnel féminin, comme les soins. Les femmes chefs d’entreprise ont généralement un niveau d’éducation supérieur à celui de leurs homologues masculins, mais dans des domaines qui ne sont pas nécessairement en rapport avec leur activité professionnelle. Point plus positif, le taux de survie des entreprises est comparable dans les deux groupes.
40. L’un des moments les plus intéressants de ma mission en France a été la visite de la pépinière d’entreprises Paris Pionnières. Des dizaines de « pionnières » travaillent dans un espace commun de création d’entreprises. Les start-up sont en plein essor à Paris et il est encourageant de voir que l’une des organisations à l’avant-garde du phénomène est inspirée et dirigée par des femmes. Cet « incubateur au féminin », comme il se définit lui-même, offre à ses membres non seulement un local, mais aussi et surtout un appui technique, des formations, des conseils juridiques et d’autres services. Mme Marie Georges, sa présidente actuelle, est une femme d’affaires chevronnée qui a créé sa propre entreprise il y a dix ans avec l’appui de cette organisation. Elle a clairement indiqué que ses services ne sont pas réservés aux femmes, bien au contraire, puisque le mot clé est « diversité »: la pépinière Paris Pionnières elle-même, ainsi que les jeunes entreprises créées avec son aide, tirent parti des idées et du travail de femmes et d’hommes de générations différentes. J’ai eu l’occasion de rencontrer des représentantes de trois nouvelles entreprises. L’une d’entre elles, qui prépare actuellement une application pour smartphone, m’a expliqué que la contribution de l’un des associés, un homme d’une soixantaine d’années, était indispensable pour créer un outil utilisable par les jeunes et les moins jeunes.
41. L’expérience de cet incubateur est une bonne pratique qui mérite d’être partagée et, partout où cela est possible, transposée dans d’autres contextes. Elle montre que si les pouvoirs publics ont le devoir d’agir pour permettre aux femmes de s’affirmer, les entrepreneur(e)s et les entreprises ont aussi un rôle à jouer. Et ce rôle peut être déterminant.
42. Pour ce qui est de la marge d’action du législateur et des responsables politiques, l’OCDE formule une série de recommandations à l’intention de ses membres. L’égalité d’accès à des financements pour les femmes et les hommes devrait être une priorité de premier ordre. On trouve également de bonnes pratiques en la matière chez certains États membres non européens de l’OCDE: en Corée par exemple, un fonds spécial a été créé pour les femmes entrepreneures ; au Mexique, un fonds accorde des taux préférentiels aux femmes. Il est en outre souhaitable d’adopter des politiques de soutien à l’internationalisation et à l’innovation dans les entreprises, l’innovation amenant souvent à mettre en question des schémas culturels traditionnels et la ségrégation entre les sexes dans les affaires. L’OCDE recommande par ailleurs d’organiser des campagnes de sensibilisation ainsi que des programmes de formation, de mentorat et d’accompagnement.
43. Je rappelle une fois encore que les femmes se heurtent à des facteurs subjectifs et culturels pour prendre leur place dans l’économie. Il est décevant de constater que c’est le manque de confiance en soi qui les empêche de créer autant d’affaires indépendantes que les hommes. Il leur est difficile de surmonter les effets manifestement durables des stéréotypes de rôles que leur impose subtilement, mais constamment, la société dès le premier âge. J’y vois la confirmation que les politiques en faveur des femmes doivent s’appuyer sur l’éducation, la sensibilisation, l’orientation professionnelle et la lutte systématique contre les stéréotypes sexuels.

5. La fracture numérique entre les femmes et les hommes

44. La fracture numérique entre hommes et femmes a fréquemment été mentionnée à la 61ème session de la Commission sur la condition de la femme (CSW) des Nations Unies, en mars 2017. Les parties prenantes ont parfaitement conscience que l’accès à internet est très inégal, avec des variations notables en fonction des zones géographiques, des groupes socio-économiques et du sexe. Ces cinq dernières années, la recherche et les débats politiques ont bien mis en lumière que la fracture numérique affecte tout particulièrement les femmes, ce qu’a confirmé le rapport annuel de l’Union internationale des télécommunications (UIT) publié au début de 2017 
			(6) 
			Faits
et chiffres sur les TIC pour 2016, Union internationale des télécommunications,
Genève, 2017.. On y lisait malheureusement aussi que l’écart continue de se creuser. L’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a constitué un groupe de travail sur la fracture numérique entre les femmes et les hommes en septembre 2016, en réaction à la conclusion inquiétante que le déficit d’accès des femmes à l’internet était de 11 % par rapport aux hommes au niveau mondial (selon l’UIT il a depuis atteint 12 %) et de 29 % dans les pays les moins avancés. À l’échelle mondiale, les femmes étaient environ 200 millions de moins que les hommes à posséder un téléphone portable — le mode de connexion à internet le plus courant dans les pays en développement.
45. Une étude est arrivée à la conclusion que l’internet renforce la capacité d’action des personnes qui y ont accès ; elle avait été publiée par Betterplace.lab (un projet en ligne ayant vocation à diffuser des connaissances, à mobiliser par des récits et à lutter en faveur d’une numérisation qui profite à l’humanité) présent à une rencontre organisée par le Gouvernement allemand en marge de la Commission sur la condition de la femme. En d’autres termes, les technologies de l’information ont transformé le monde plus rapidement que toute révolution technologique précédente, avec des répercussions considérables sur l’économie, l’administration publique ainsi que sur la créativité, la participation à la vie politique et l’intégration sociale — mais malheureusement pas pour tout le monde.
46. Le rapport de Betterplace.lab (Combler la fracture numérique entre les femmes et les hommes) » s’appuie sur des recherches menées dans six pays (de l’Éthiopie à l’Allemagne) placés très différemment sur l’échelle de l’indice de développement humain. Il révèle que ce type spécifique d’écart entre les femmes et les hommes est plus prononcé dans les pays en développement, même s’il apparaît aussi sous d’autres formes dans des nations plus prospères. Même en Allemagne, sixième pays sur 188 à l’indice de développement humain, où l’on compte plus de 126 téléphones portables pour 100 habitants (taux de couverture de 126,6 %) et où 75 % de la population ont accès à l’internet à haut débit sur leur réseau mobile, l’égalité des chances n’existe pas entre les femmes et les hommes dans le monde numérique. En effet, si l’accès aux technologies de l’information est le même pour tous dans la vie quotidienne, les femmes accusent un retard sur les hommes pour ce qui est de la maîtrise de l’internet.
47. On constate également des différences notables dans la branche des technologies de l’information. L’étude rappelle que les femmes ne représentent que 15 % des salariés dans les métiers en rapport avec les mathématiques et la technique, et tout juste 20 % de l’ensemble des diplômés en TIC. Mme Maren Heltsche, programmeuse et membre du conseil d’administration de Digital Media Women (un réseau de femmes opérant dans l’économie numérique allemande) et citée dans le rapport, déclare que cette activité est totalement dominée par les hommes, et que les femmes s’y sentent mal à l’aise. Et de conclure qu’il ne suffit pas d’encourager les femmes à entreprendre des études en TIC, il faut aussi les inciter à poursuivre dans ce domaine au terme de leur formation. En outre, la disparité salariale entre hommes et femmes est de 24 % dans ce secteur, contre 20 % dans l’industrie allemande en général.
48. Le monde des start-up est lui aussi à dominante masculine. Hans Raffauf, cofondateur de l’entreprise qui a produit Clue, une application dédiée à la santé des femmes, a constaté au moment de recruter du personnel que des femmes se déclaraient inaptes et qu’il avait à les convaincre de leurs capacités. Dans la même ligne, le manque de confiance en soi des femmes rejoint le manque de confiance des banques dans les compétences des femmes, qui ont moins de chances que les hommes d’obtenir des financements privés pour créer une start-up.
49. Un soutien spécifique – émanant à la fois des pouvoirs publics, des pairs et des réseaux – doit venir contrebalancer les obstacles rencontrés par les femmes désireuses de prendre pied dans le monde des technologies de l’information et d’y réussir. Des dizaines de réseaux s’y emploient, dont nous ne citerons que quelques-uns des principaux.
  • Women Who Code (WWCode), une organisation internationale à but non lucratif ayant vocation à encourager les femmes à l’excellence dans les carrières technologiques, a constitué des réseaux locaux dans plusieurs capitales européennes, mais également dans des villes plus petites comme Belfast et Bristol (Royaume-Uni) ou Cluj-Napoca (Roumanie).
  • Digital Media Women a son siège à Hambourg et des antennes dans toute l’Allemagne.
  • Fintech Ladies Europe se définit comme un cercle restreint de femmes cadres de très haut niveau travaillant dans le secteur de la finance et des fintech. Ses premières activités de réseautage se sont déroulées sous la forme de dîners organisés dans des capitales financières telles que Zurich, Londres et Francfort.
  • Paris Pionnières, association à laquelle j’ai rendu visite en janvier 2017, a une vocation plus générale, mais un large pourcentage de ceux qui prennent part à ses activités sont associés à des start-up en rapport avec les TIC.
  • QVC NEXT Lab, un projet de soutien et de mentorat lancé par la branche italienne de la multinationale américaine QVC, vise les start-up gérées par des femmes ; il a été lancé à Milan le 4 mai 2017, j’ai assisté à sa présentation officielle et l’ai trouvé très prometteur.
  • La conférence European Women in Technology, organisée pour la première fois à Amsterdam en 2016, est devenue un important rendez-vous annuel ouvrant des possibilités de réseautage aux femmes européennes dans le monde des TIC.
50. Je souhaiterais encore mentionner un exemple remarquable de partenariat multipartite: le European Centre for Women and Technology (ECWT), créé en 2008 et établi en Norvège. L’ECWT rassemble plus de 130 organisations ainsi que des membres du monde des affaires, du gouvernement, de l’enseignement et d’organisations à but non lucratif. Tous s’efforcent d’accroître la participation des filles et des femmes dans le domaine de la technologie en général, et des technologies de l’information et de la communication en particulier.
51. Les politiques et financements publics doivent promouvoir et soutenir les réseaux de femmes de ce type, qui ont prouvé leur efficacité dans nombre de contextes.
52. La visibilité des femmes dans la technologie revêt également une grande importance. Il a été constaté que les manuels scolaires et les musées des sciences présentent les inventrices comme des exceptions à la règle. Les femmes sont aujourd’hui minoritaires dans la recherche, mais c’est une minorité significative. Leur contribution à la recherche et à l’innovation devrait être mise en lumière par des informations objectives.
53. En 2016, l’équipe de recherche sur le genre et les TIC de l’Université de Catalogne a organisé un séminaire sur le sexisme universitaire et les implications éthiques de la sous-représentation des femmes dans la technologie. Les professeures Montse Serra et Mireia Farrús ont affirmé qu’il ne suffisait pas d’augmenter la proportion de femmes dans les domaines technologiques, mais qu’il fallait « féminiser la technologie », c’est-à-dire intégrer des éléments traditionnellement perçus comme féminins – empathie, protection, soins, etc. – dans la recherche scientifique et la technologie. Les carrières technologiques seraient ainsi rendues plus attrayantes pour les femmes, ce qui contribuerait à un monde meilleur, ont-elles ajouté.

6. Le déficit de confiance en soi des femmes par rapport aux hommes

54. Diverses sources indiquent que les femmes et les hommes ont des attitudes différentes au travail. Les femmes se montreraient plus réticentes à prendre la parole en réunion, à postuler pour des emplois, à négocier leur salaire et à se lancer dans la création d’entreprise. Des recherches révèlent qu’elles sous-estiment leurs compétences, qu’elles sont moins portées à se mesurer avec d’autres, et que la confiance en soi est pour elles un élément déterminant dans le choix de leurs études et de leur carrière. Certains de ces travaux figurent dans une publication de l’université de Harvard de 2015 
			(7) 
			Confidence Men? Gender
and Confidence: Evidence among Top Economists, Sarsons and Xuo,
Harvard, 2015.. Partant du principe que progresser vers une compréhension de la nature du déficit de confiance en soi est une étape importante dans l’élimination des derniers freins à l’égalité entre les genres, les chercheurs ont montré que même au plus haut niveau de responsabilité, les femmes ont moins confiance en elles que les hommes. En d’autres termes, percer le « plafond de verre » ne permet pas automatiquement de surmonter cet obstacle particulier.
55. Une étude dirigée par des chercheurs européens et américains pour le Journal of Personality and Social Psychology sur des femmes et des hommes de 48 pays a conclu que les schémas précédemment observés dans le monde occidental (le degré moyen d’estime de soi est plus faible chez les femmes que chez les hommes et augmente pour les deux sexes avec l’âge, de l’adolescence jusqu’au milieu de l’âge adulte) se retrouvent également ailleurs. Cependant, leur ampleur varie: en effet, l’écart paraît plus large dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.
56. Ces résultats laissent plusieurs questions sans réponse, dont celle de savoir si le degré de confiance en soi est un trait de caractère inné, ou plutôt un reflet de l’environnement et en particulier des rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes. Par conséquent, on ne voit pas si le déficit de confiance en soi des femmes est une conséquence de la discrimination sur le marché du travail ou l’une de ses causes. Je trouverais plus plausible que, comme l’observe Jessica Valenti, journaliste au Guardian, le manque de confiance en soi ne soit pas tant un défaut personnel que le résultat d’une culture qui ne donne aux femmes aucune raison d’avoir confiance en elles.
57. Je suis tout à fait d’accord aussi avec tous ceux (économistes, entrepreneurs et autres) qui estiment que remédier à ce déficit de confiance en soi aiderait à lutter contre la discrimination au travail. Mais comment y parvenir ? Le problème étant essentiellement culturel, il appelle évidemment des solutions culturelles. Il nous faut créer, notamment par l’éducation, une culture valorisant les femmes sûres d’elles. Il va de soi que les modèles féminins ont une influence positive. Il faut que les femmes qui réussissent aient la possibilité de faire connaître leur histoire et n’hésitent pas à le faire. L’exposition #Femmes inspirantes, organisée par la commission sur l’égalité et la non-discrimination en avril 2017 (les membres de la commission y présentaient des femmes qui les avaient inspirées à entreprendre une carrière politique), est un bon exemple de présentation de modèles féminins. Cette exposition a connu un vif succès ; elle pourrait être reprise dans d’autres contextes, ce qui contribuerait à l’action de sensibilisation menée par le Conseil de l’Europe sur ce thème.
58. Mme Samantha Cristoforetti, ingénieure, pilote de chasse dans l’armée de l’air italienne et astronaute de l’Agence spatiale européenne, s’est fait un nom en Italie en participant à la mission Futura, ce qui l’a conduite à passer 199 jours dans la station spatiale internationale entre 2014 et 2015. Au-delà des travaux scientifiques menés à bord, l’ASE et Samantha Cristoforetti ont fait un excellent travail de communication en organisant des activités de sensibilisation auprès des enfants et des jeunes, en postant sur YouTube de nombreuses vidéos sur la vie quotidienne des astronautes et en twittant régulièrement depuis le compte @Astrosamantha. Mme Cristoforetti est devenue un modèle féminin. Cela ne veut pas dire qu’une femme doive posséder ses extraordinaires qualités physiques et intellectuelles pour espérer réussir dans la vie. Mais l’histoire d’une femme qui, non contente de briser le plafond de verre, l’a survolé de plusieurs milliers de kilomètres, pourrait inspirer et rassurer bien des femmes et des filles.
59. En projetant une image non stéréotypée des femmes, les médias traditionnels et en ligne pourraient beaucoup contribuer à transformer les attitudes. Cela est actuellement rendu plus difficile par la présence très modeste de femmes à des postes clés au sein des médias. J’aimerais évoquer une action intéressante de la FKA, l’association islandaise des femmes chefs d’entreprise. Une journée nationale de la femme a été organisée dans les médias en 2016 dans le but de remédier à la sous-représentation des femmes pendant une journée symbolique. Les chaînes de radiotélévision islandaise interviewent d’habitude 38 % de femmes (pour une moyenne mondiale de 25 %), et 62 % d’hommes. Pendant une journée, en octobre 2016, elles ont délibérément inversé les chiffres. Cette initiative a provoqué un débat au sein du public islandais et a contribué à la sensibilisation. Il serait opportun et utile de tenter la même expérience à l’échelle internationale. Le Conseil de l’Europe est probablement le mieux placé pour promouvoir une journée européenne ou internationale de la femme dans les médias.

7. Promouvoir l’enseignement et l’emploi dans les disciplines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques)

60. Dans le monde entier, la demande de personnes formées aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques (STIM) va croissant. Ces disciplines sont en effet indispensables à l’industrie et à la recherche et développement ainsi que dans la plupart des autres secteurs, et essentielles aussi dans la maîtrise des défis actuels du développement durable. La demande grandissante de spécialistes de ce type se heurte généralement à une pénurie marquée de main-d’œuvre. Ces effectifs limités, combinés au haut niveau de formation requis, ont pour effet que les professionnels des STIM sont parmi les plus convoités sur le marché de l’emploi, ce qui rehausse leur employabilité et pousse les salaires à la hausse.
61. Les femmes sont nettement sous-représentées dans les STIM. Cette moindre participation débute dans l’enseignement, les filles étant moins nombreuses que les garçons à opter pour des études scientifiques à l’école ou à l’université (en revanche, la représentation des deux groupes est pratiquement égale parmi les diplômés de droit, d’études commerciales et de médecine). Le déséquilibre entre les femmes et les hommes s’accentue encore à l’issue des études: moitié moins de diplômées en STIM optent pour une carrière dans ces domaines que leurs pairs masculins.
62. L’UNESCO estime que les femmes ne représentent dans le monde que 28 % des chercheurs, et que l’écart se creuse davantage encore aux plus hauts niveaux décisionnels. Le rapport She figures 2015 de l’Union européenne 
			(8) 
			She figures 2015, Commission
européenne, Bruxelles, 2016. confirme la sous-représentation des femmes dans les métiers des sciences et de la technologie en Europe. Il contient cependant des informations encourageantes: les pays membres de l’Union européenne auraient par exemple de plus en plus tendance à intégrer la dimension de genre dans les contenus de la recherche.
63. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la sous-représentation des femmes conduisent évidemment à penser qu’il conviendrait d’encourager les jeunes filles à étudier les STIM et à y faire carrière. Cela aurait en outre pour effet d’ouvrir l’accès des femmes à des emplois mieux rémunérés et de résorber les disparités salariales actuelles entre les femmes et les hommes.
64. Les politiques publiques d’éducation revêtent une importance capitale dans ce secteur et les indications des organisations internationales sont utiles aux gouvernements. Le Conseil de l’Europe est intervenu en la matière il y a une dizaine d’années déjà avec la Recommandation CM/Rec(2007)13 du Comité des Ministres relative à l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation (Orientation scolaire et professionnelle). Ce texte fournit en effet des outils concrets pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans et par l’éducation, dans le but de lutter contre les préjugés sexistes et sexuels traditionnels et de garantir en définitive l’égalité entre les sexes pour le plus grand bien de la société tout entière.
65. La publication 2015 de l’OCDE intitulée «L’égalité des sexes dans l’éducation — Aptitudes, comportement et confiance» offre des éléments utiles à cette fin. Le document qualifie la situation de préoccupante, car il apparaît que les filles ne sont pas incitées à poursuivre des études scientifiques et que leurs enseignants sont moins convaincus de leurs compétences que de celles des garçons. Les filles sont ainsi moins motivées, et même les meilleures d’entre elles ont moins confiance en leur aptitude à résoudre des problèmes scientifiques et mathématiques. Les écarts de performance entre les femmes et les hommes ne résulteraient pas de différences d’aptitudes innées, mais plutôt des attitudes des élèves à l’égard de l’apprentissage et de leur comportement à l’école, de la façon dont ils choisissent d’utiliser leur temps libre et de leur confiance en soi, explique le rapport.
66. Des activités de sensibilisation pourraient contribuer à remédier à cette situation. L’UNESCO organise par exemple une Journée internationale des femmes et des filles de science (11 février), qui crée l’occasion de faire un point annuel sur la situation et d’entreprendre des actions concrètes. L’UNESCO dirige également le projet SAGA (STEM et égalité des genres) qui vise à améliorer la situation des femmes et à réduire l’écart entre les sexes dans les disciplines STIM dans tous les pays et à tous les niveaux de l’éducation et de la recherche. Pour ce faire, il a été procédé à un inventaire des politiques en faveur de l’égalité hommes-femmes dans ce domaine. Ce projet fournit également des outils d’élaboration de politiques fondées sur des faits et mène au sein des États membres des activités de renforcement des capacités en vue de la collecte de données sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans les disciplines STIM.
67. Je voudrais évoquer une pratique particulièrement intéressante des Pays-Bas: les interventions conjuguées à long terme pour accroître la participation des femmes dans les disciplines STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) par recours à des modèles féminins. Ces actions touchent l’ensemble de la chaîne du système d’éducation, du primaire au supérieur, ainsi que le marché du travail. Une base de données de plus de 200 modèles féminins a été constituée et les femmes qui y figurent rencontrent des élèves et des étudiantes de tous niveaux pour leur faire part de leur expérience.
68. Le Royaume-Uni a réalisé entre 2009 et 2012 le programme national HE STEM en Angleterre et au pays de Galles. Cette action visait à accroître la participation dans les disciplines STIM et à améliorer les compétences de la population active dans ces domaines. Plus de 90 établissements d’enseignement supérieur y ont participé. Il s’agissait de tenter d’appliquer de nouveaux modes de recrutement des étudiants et d’enseignement de ces matières. La première évaluation, à laquelle il a été procédé dès la clôture du programme, a conclu que les principaux buts avaient été atteints, en particulier pour ce qui est de la sensibilisation des étudiants. Il serait intéressant de déterminer si le programme continue d’avoir des effets à moyen terme.
69. L’étude des disciplines STIM est encouragée dans divers contextes pour remédier à la pénurie de personnel qualifié, mais ces actions ne visent pas nécessairement les femmes et les filles. Il est toutefois important d’intégrer la dimension de genre dans les activités d’information et de sensibilisation. Le message à transmettre est que la science et la technologie sont indispensables aux progrès de la société et bénéficient à tous ceux qui s’y consacrent.

8. Conclusions

70. La discrimination et les inégalités entre femmes et hommes présentent de multiples facettes. Les recherches effectuées en préparation à ce rapport, les contributions des experts recueillies au fil de multiples auditions et les informations obtenues à la faveur des visites d’information ont montré à l’évidence qu’il n’existe pas de recette toute simple d’élimination de la discrimination et d’instauration de l’égalité. Des actions multiples sont nécessaires, depuis les quotas imposés dans les organes de direction des entreprises jusqu’à la transparence des rémunérations, en passant par l’éducation et la formation. Il est essentiel de promouvoir les disciplines STIM, car cela contribuerait à la résorption de la ségrégation fondée sur le genre entre secteurs d’activité et à l’élimination des disparités de rémunération. Des mesures facilitant la conciliation du travail et de la vie privée sont également nécessaires. Les actions à entreprendre pourront varier d’un pays à l’autre, et les priorités dépendront des particularités sociales, économiques et culturelles de chaque situation.