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Résolution 2252 (2019)
Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues
1. L’Assemblée
parlementaire réaffirme son engagement à lutter contre l’impunité
des auteurs de graves violations des droits de l'homme et contre
la corruption, qui menacent l’État de droit.
2. Elle rappelle sa Résolution
1966 (2014) «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski», qui
exhorte les autorités russes compétentes à mener une enquête complète
sur les circonstances et le contexte de la mort en détention provisoire
de Sergueï Magnitski, et à amener les responsables à rendre des comptes.
M. Magnitski avait dénoncé une fraude de grande ampleur au détriment
du Trésor public russe, commise par des criminels bénéficiant de
la complicité de fonctionnaires corrompus. La Résolution 1966 (2014), adoptée en janvier 2014, envisageait en dernier ressort
des sanctions ciblées, comme l’interdiction de visas et le gel d’avoirs,
contre les personnes impliquées dans ce crime et sa dissimulation.
3. Fin 2014, la commission des questions juridiques et des droits
de l'homme a estimé que la Fédération de Russie n’avait accompli
aucun progrès dans la mise en œuvre de la résolution de l’Assemblée.
Au lieu de demander des comptes aux auteurs des crimes commis contre
M. Magnitski et de ceux découverts par lui, les autorités russes
ont harcelé la mère de M. Magnitski, sa veuve et son ancien client,
M. William Browder. En janvier 2015, la Présidente de l’Assemblée
a donc transmis la Résolution
1966 (2014) à toutes les délégations nationales pour un suivi par
les autorités compétentes.
4. Depuis, les autorités russes n’ont toujours pas fait de progrès
dans la poursuite en justice des auteurs et des bénéficiaires du
crime commis contre Sergueï Magnitski, malgré l’engagement actif
de sa famille dans la procédure. Toutes les poursuites pénales engagées
contre les fonctionnaires impliqués dans les mauvais traitements
et le meurtre de M. Magnitski ont été closes; certains de ces fonctionnaires
ont été publiquement félicités par de hauts représentants de l’État,
d’autres ont reçu une promotion.
5. L’Assemblée note par ailleurs que l’ancien client de M. Magnitski,
M. William Browder, qui fait campagne à travers le monde contre
l’impunité, continue d’être harcelé et persécuté par les autorités
russes, notamment par le recours abusif et répété aux procédures
de notice rouge et de diffusion d’Interpol. L’Assemblée note avec
regret que, malgré sa Résolution
2161 (2017) «Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de garanties
légales plus strictes», la Russie a tenté une nouvelle fois, en
janvier 2019, de faire un usage abusif des procédures d’Interpol
contre M. Browder.
6. Dans l’intervalle, plusieurs États membres ou observateurs
(dont l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Royaume-Uni, le Canada
et les États-Unis) ont adopté des instruments législatifs et autres
pour permettre à leur gouvernement d’imposer des sanctions ciblées
aux auteurs et aux bénéficiaires de graves violations des droits
de l'homme.
7. L’Assemblée se félicite du fait que les instruments les plus
récents de ce type (adoptés aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni)
ne se limitent pas aux ressortissants de pays particuliers, ou reconnus coupables
d’implication dans des crimes particuliers, comme le meurtre de
Sergueï Magnitski. Ils peuvent en effet s’appliquer à tout auteur
de grave violation des droits de l'homme qui bénéficie de l’impunité
dans son pays.
8. En outre, l’Assemblée approuve chaleureusement l’initiative
des Pays-Bas et d’autres, au Conseil de l’Union européenne, visant
à adopter un instrument juridique permettant d’appliquer des sanctions
ciblées aux auteurs de violations des droits de l'homme sans limites
géographiques. Elle appelle le Conseil de l’Union européenne à mentionner,
dans le titre de cet instrument, le nom de Sergueï Magnitski, qui
représente toutes les personnes courageuses qui, dans de nombreux
pays, ont perdu la vie en luttant contre la corruption et en défendant
les droits de l'homme et l’État de droit.
9. La loi de 2017 du Royaume-Uni sur les financements criminels
entend par «violation ou abus flagrant des droits de l'homme» un
traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant infligé par
un fonctionnaire, par un individu agissant dans le cadre de fonctions
officielles ou par un tiers agissant à l’instigation ou avec le consentement
de l’un ou de l’autre à une personne qui a tenté de divulguer une
activité illégale menée par un fonctionnaire ou un individu agissant
dans le cadre de fonctions officielles, ou de défendre ou de promouvoir les
droits de l’homme et les libertés fondamentales. Des définitions
similaires figurent dans les lois Magnitski adoptées aux États-Unis
et au Canada.
10. L’Assemblée salue l’adoption récente par le Parlement géorgien
d’une résolution qui établit une liste de personnes ayant commis
de graves violations des droits de l'homme (ou responsables de la
dissimulation de ces violations) sur le territoire géorgien qui,
actuellement, n’est pas sous le contrôle effectif des autorités géorgiennes
(la liste «Otkhozoria-Tatunashvili»), et soutient les mesures proposées
dans la Résolution du Parlement européen sur les territoires géorgiens
qui demeurent occupés par la Russie dix ans après l’invasion du
pays (2018/2741(RSP)).
11. L’Assemblée considère que les sanctions ciblées («intelligentes»)
contre des personnes et des entreprises affiliées sont préférables
aux sanctions économiques générales ou à d’autres sanctions qui
visent des pays tout entiers:
11.1. les
sanctions ciblées envoient un message clair à tous les auteurs de
graves violations des droits de l'homme pour leur dire qu’ils ne
sont pas les bienvenus dans les pays ayant adopté les sanctions
et que ces pays ne se rendront pas complices de leurs agissements
répréhensibles en les autorisant à utiliser leurs institutions financières
ou à jouir des produits de leur crime;
11.2. les sanctions générales, au contraire, nuisent en premier
lieu à la population et surtout pas aux élites dirigeantes qui sont
responsables des actes ayant entraîné les sanctions.
12. L’Assemblée rappelle également sa Résolution 1597 (2008) sur les listes noires du Conseil de sécurité des Nations
Unies et de l’Union européenne, et insiste sur le fait que les exigences
d’équité de la procédure et de transparence énoncées dans ce texte
doivent s'appliquer également aux personnes accusées de graves violations
des droits de l’homme autres que des actes de terrorisme.
13. L’Assemblée appelle par conséquent tous les États membres
du Conseil de l'Europe, l’Union européenne et les États ayant le
statut d’observateur ou tout autre statut de coopération auprès
du Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire:
13.1. à envisager d’adopter une loi
ou un autre instrument juridique permettant à leur exécutif, sous
la surveillance générale du parlement, d’imposer des sanctions ciblées
comme l'interdiction de visa et le gel de comptes bancaires aux
personnes dont il y a lieu de croire qu’elles sont personnellement responsables
de graves violations des droits de l’homme pour lesquelles elles
jouissent de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison
de pratiques de corruption;
13.2. à faire en sorte que ces lois ou instruments juridiques
fixent une procédure équitable et transparente pour imposer des
sanctions ciblées, comme indiqué en matière d’infractions terroristes dans
la Résolution 1597 (2008), en particulier en veillant:
13.2.1. à ce que les personnes visées soient informées de l’imposition
des sanctions et des raisons complètes et précises de cette décision,
et à ce leur soit offerte la possibilité de répondre dans un délai
raisonnable aux accusations sous-tendant les sanctions;
13.2.2. à ce que l’instance prenant la décision d’imposer des
sanctions soit indépendante de celle qui rassemble les informations
et propose d’inscrire une personne sur la liste des sanctions;
13.2.3. à ce que la décision initiale d’imposer des sanctions
puisse être contestée devant un tribunal ou une instance d’appel
dotée d’une indépendance et d’un pouvoir de décision suffisants, y
compris le pouvoir de retirer une personne visée de la liste et
de lui accorder une indemnisation adéquate si les sanctions avaient
été infligées par erreur;
13.3. à coopérer les uns avec les autres pour identifier les
personnes cibles appropriées, notamment en utilisant les mécanismes
pertinents de l’Union européenne et en partageant les informations
sur les personnes inscrites sur les listes de sanctions ainsi que
les raisons pour lesquelles il y a lieu de croire qu’elles sont
responsables de graves violations des droits de l’homme et bénéficient
de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison de pratiques
de corruption;
13.4. à exploiter la vaste base d’informations et de preuves
portant sur de graves violations des droits de l’homme dont les
auteurs restent impunis, qui sont rassemblées et consignées par
des organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales
de défense des droits de l’homme, et notamment par le Centre de
documentation Natalia Estemirova à Oslo (Norvège);
13.5. à s’abstenir de coopérer dans toute poursuite pénale politiquement
motivée liée à l’affaire Magnitski, comme celles qui visent son
ancien client, M. William Browder.
14. De plus, l’Assemblée encourage les parlementaires qui la composent:
14.1. à suivre le précédent créé par
leurs collègues dans un certain nombre des pays qui ont déjà pris des
mesures dans ce domaine, en s’efforçant de persuader leur gouvernement
d’adopter des propositions similaires et, le cas échéant, à agir
eux-mêmes pour prendre des initiatives législatives;
14.2. à maintenir des contacts étroits avec l’Assemblée au sujet
de toute initiative de ce type qu’ils proposeront ou qu’ils auront
adoptée et à demander conseil et assistance appropriés à l’Assemblée,
si besoin.