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Résolution 2252 (2019)

Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 22 janvier 2019 (4e séance) (voir Doc. 14661, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: Lord Donald Anderson). Texte adopté par l’Assemblée le 22 janvier 2019 (4e séance).

1. L’Assemblée parlementaire réaffirme son engagement à lutter contre l’impunité des auteurs de graves violations des droits de l'homme et contre la corruption, qui menacent l’État de droit.
2. Elle rappelle sa Résolution 1966 (2014) «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski», qui exhorte les autorités russes compétentes à mener une enquête complète sur les circonstances et le contexte de la mort en détention provisoire de Sergueï Magnitski, et à amener les responsables à rendre des comptes. M. Magnitski avait dénoncé une fraude de grande ampleur au détriment du Trésor public russe, commise par des criminels bénéficiant de la complicité de fonctionnaires corrompus. La Résolution 1966 (2014), adoptée en janvier 2014, envisageait en dernier ressort des sanctions ciblées, comme l’interdiction de visas et le gel d’avoirs, contre les personnes impliquées dans ce crime et sa dissimulation.
3. Fin 2014, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a estimé que la Fédération de Russie n’avait accompli aucun progrès dans la mise en œuvre de la résolution de l’Assemblée. Au lieu de demander des comptes aux auteurs des crimes commis contre M. Magnitski et de ceux découverts par lui, les autorités russes ont harcelé la mère de M. Magnitski, sa veuve et son ancien client, M. William Browder. En janvier 2015, la Présidente de l’Assemblée a donc transmis la Résolution 1966 (2014) à toutes les délégations nationales pour un suivi par les autorités compétentes.
4. Depuis, les autorités russes n’ont toujours pas fait de progrès dans la poursuite en justice des auteurs et des bénéficiaires du crime commis contre Sergueï Magnitski, malgré l’engagement actif de sa famille dans la procédure. Toutes les poursuites pénales engagées contre les fonctionnaires impliqués dans les mauvais traitements et le meurtre de M. Magnitski ont été closes; certains de ces fonctionnaires ont été publiquement félicités par de hauts représentants de l’État, d’autres ont reçu une promotion.
5. L’Assemblée note par ailleurs que l’ancien client de M. Magnitski, M. William Browder, qui fait campagne à travers le monde contre l’impunité, continue d’être harcelé et persécuté par les autorités russes, notamment par le recours abusif et répété aux procédures de notice rouge et de diffusion d’Interpol. L’Assemblée note avec regret que, malgré sa Résolution 2161 (2017) «Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes», la Russie a tenté une nouvelle fois, en janvier 2019, de faire un usage abusif des procédures d’Interpol contre M. Browder.
6. Dans l’intervalle, plusieurs États membres ou observateurs (dont l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis) ont adopté des instruments législatifs et autres pour permettre à leur gouvernement d’imposer des sanctions ciblées aux auteurs et aux bénéficiaires de graves violations des droits de l'homme.
7. L’Assemblée se félicite du fait que les instruments les plus récents de ce type (adoptés aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni) ne se limitent pas aux ressortissants de pays particuliers, ou reconnus coupables d’implication dans des crimes particuliers, comme le meurtre de Sergueï Magnitski. Ils peuvent en effet s’appliquer à tout auteur de grave violation des droits de l'homme qui bénéficie de l’impunité dans son pays.
8. En outre, l’Assemblée approuve chaleureusement l’initiative des Pays-Bas et d’autres, au Conseil de l’Union européenne, visant à adopter un instrument juridique permettant d’appliquer des sanctions ciblées aux auteurs de violations des droits de l'homme sans limites géographiques. Elle appelle le Conseil de l’Union européenne à mentionner, dans le titre de cet instrument, le nom de Sergueï Magnitski, qui représente toutes les personnes courageuses qui, dans de nombreux pays, ont perdu la vie en luttant contre la corruption et en défendant les droits de l'homme et l’État de droit.
9. La loi de 2017 du Royaume-Uni sur les financements criminels entend par «violation ou abus flagrant des droits de l'homme» un traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant infligé par un fonctionnaire, par un individu agissant dans le cadre de fonctions officielles ou par un tiers agissant à l’instigation ou avec le consentement de l’un ou de l’autre à une personne qui a tenté de divulguer une activité illégale menée par un fonctionnaire ou un individu agissant dans le cadre de fonctions officielles, ou de défendre ou de promouvoir les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Des définitions similaires figurent dans les lois Magnitski adoptées aux États-Unis et au Canada.
10. L’Assemblée salue l’adoption récente par le Parlement géorgien d’une résolution qui établit une liste de personnes ayant commis de graves violations des droits de l'homme (ou responsables de la dissimulation de ces violations) sur le territoire géorgien qui, actuellement, n’est pas sous le contrôle effectif des autorités géorgiennes (la liste «Otkhozoria-Tatunashvili»), et soutient les mesures proposées dans la Résolution du Parlement européen sur les territoires géorgiens qui demeurent occupés par la Russie dix ans après l’invasion du pays (2018/2741(RSP)).
11. L’Assemblée considère que les sanctions ciblées («intelligentes») contre des personnes et des entreprises affiliées sont préférables aux sanctions économiques générales ou à d’autres sanctions qui visent des pays tout entiers:
11.1. les sanctions ciblées envoient un message clair à tous les auteurs de graves violations des droits de l'homme pour leur dire qu’ils ne sont pas les bienvenus dans les pays ayant adopté les sanctions et que ces pays ne se rendront pas complices de leurs agissements répréhensibles en les autorisant à utiliser leurs institutions financières ou à jouir des produits de leur crime;
11.2. les sanctions générales, au contraire, nuisent en premier lieu à la population et surtout pas aux élites dirigeantes qui sont responsables des actes ayant entraîné les sanctions.
12. L’Assemblée rappelle également sa Résolution 1597 (2008) sur les listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne, et insiste sur le fait que les exigences d’équité de la procédure et de transparence énoncées dans ce texte doivent s'appliquer également aux personnes accusées de graves violations des droits de l’homme autres que des actes de terrorisme.
13. L’Assemblée appelle par conséquent tous les États membres du Conseil de l'Europe, l’Union européenne et les États ayant le statut d’observateur ou tout autre statut de coopération auprès du Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire:
13.1. à envisager d’adopter une loi ou un autre instrument juridique permettant à leur exécutif, sous la surveillance générale du parlement, d’imposer des sanctions ciblées comme l'interdiction de visa et le gel de comptes bancaires aux personnes dont il y a lieu de croire qu’elles sont personnellement responsables de graves violations des droits de l’homme pour lesquelles elles jouissent de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison de pratiques de corruption;
13.2. à faire en sorte que ces lois ou instruments juridiques fixent une procédure équitable et transparente pour imposer des sanctions ciblées, comme indiqué en matière d’infractions terroristes dans la Résolution 1597 (2008), en particulier en veillant:
13.2.1. à ce que les personnes visées soient informées de l’imposition des sanctions et des raisons complètes et précises de cette décision, et à ce leur soit offerte la possibilité de répondre dans un délai raisonnable aux accusations sous-tendant les sanctions;
13.2.2. à ce que l’instance prenant la décision d’imposer des sanctions soit indépendante de celle qui rassemble les informations et propose d’inscrire une personne sur la liste des sanctions;
13.2.3. à ce que la décision initiale d’imposer des sanctions puisse être contestée devant un tribunal ou une instance d’appel dotée d’une indépendance et d’un pouvoir de décision suffisants, y compris le pouvoir de retirer une personne visée de la liste et de lui accorder une indemnisation adéquate si les sanctions avaient été infligées par erreur;
13.3. à coopérer les uns avec les autres pour identifier les personnes cibles appropriées, notamment en utilisant les mécanismes pertinents de l’Union européenne et en partageant les informations sur les personnes inscrites sur les listes de sanctions ainsi que les raisons pour lesquelles il y a lieu de croire qu’elles sont responsables de graves violations des droits de l’homme et bénéficient de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison de pratiques de corruption;
13.4. à exploiter la vaste base d’informations et de preuves portant sur de graves violations des droits de l’homme dont les auteurs restent impunis, qui sont rassemblées et consignées par des organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales de défense des droits de l’homme, et notamment par le Centre de documentation Natalia Estemirova à Oslo (Norvège);
13.5. à s’abstenir de coopérer dans toute poursuite pénale politiquement motivée liée à l’affaire Magnitski, comme celles qui visent son ancien client, M. William Browder.
14. De plus, l’Assemblée encourage les parlementaires qui la composent:
14.1. à suivre le précédent créé par leurs collègues dans un certain nombre des pays qui ont déjà pris des mesures dans ce domaine, en s’efforçant de persuader leur gouvernement d’adopter des propositions similaires et, le cas échéant, à agir eux-mêmes pour prendre des initiatives législatives;
14.2. à maintenir des contacts étroits avec l’Assemblée au sujet de toute initiative de ce type qu’ils proposeront ou qu’ils auront adoptée et à demander conseil et assistance appropriés à l’Assemblée, si besoin.