Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2255 (2019)
Les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande
1. L’Assemblée parlementaire estime
que les médias de service public ont une mission indispensable à remplir
dans nos sociétés démocratiques. Ils devraient être une tribune
pour un débat public pluraliste et un moyen de promouvoir une plus
large participation démocratique des individus, ainsi qu’un facteur
de cohésion sociale et d’intégration de toutes les personnes, groupes
et communautés.
2. L’indépendance éditoriale et institutionnelle, ainsi qu’un
financement suffisant et stable constituent les conditions indispensables
pour que les médias de service public puissent effectivement remplir
leur mission. En retour, les médias de service public devraient
fournir un journalisme de haute qualité en mettant l’accent sur
les questions d’intérêt public et en présentant au grand public
des informations fiables et une diversité d’opinions. Cela est d’autant
plus important dans le nouvel environnement médiatique, où la diffusion
de la désinformation, de la propagande et du discours de haine augmente
de manière exponentielle, en particulier par le biais des médias
sociaux.
3. Si le discours de haine peut exiger des poursuites judiciaires,
la désinformation, la propagande et plus largement le désordre informationnel
– créés par des faits décontextualisés, des sauts de logique et
des contre-vérités répétitives – peuvent être plus facilement combattus
à l’aide d’informations fiables. Or, les médias commerciaux ne font
pas toujours ce travail, en particulier lorsqu’ils appartiennent
à des entrepreneurs ayant des liens ou ambitions politiques. Les
médias de service public, en tant que sources indépendantes d’informations
fiables et de commentaires impartiaux, sont par définition bien
placés pour combattre le phénomène du désordre informationnel.
4. Pleinement consciente de la menace que représentent la désinformation,
la propagande et d’autres formes de désordre informationnel pour
les sociétés démocratiques, l’Assemblée associe sa voix à celles
des instances internationales comme les Nations Unies et l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ont reconnu
la nécessité de disposer d’écosystèmes médiatiques solides et diversifiés,
et ont approuvé le rôle des médias de service public dans la lutte
contre la désinformation et la propagande.
5. L’Assemblée est consciente que les médias de service public
doivent aujourd’hui relever plusieurs défis. Dans de nombreux États
membres, on constate l’émergence d’une tendance caractérisée par
des menaces pesant sur l’indépendance des médias de service public
ou de leurs organes de régulation. La préférence de nombreux gouvernements
pour un financement généré par le contribuable leur confère une
plus grande influence budgétaire, qui peut aboutir à un plus grand
contrôle étatique des contenus. De plus, en raison des pressions
commerciales exercées par les marchés médiatiques, les médias de
service public subissent parfois les critiques de concurrents commerciaux
les accusant de créer une distorsion du marché des actualités numériques.
De même, les médias de service public sont fondamentalement des
institutions nationales, ce qui signifie qu’aucun modèle unique
ne convient pour lutter contre le désordre informationnel national
ou international dans tous les contextes. Tous ces défis risquent
d’affaiblir la capacité des médias de service public à combattre
la désinformation et la propagande.
6. L’Assemblée estime que, dans l’environnement médiatique actuel,
il est nécessaire de disposer de médias de service public solides
pour combattre le désordre informationnel. En conséquence, l’Assemblée recommande
aux États membres:
6.1. de garantir
l’indépendance éditoriale, ainsi qu’un financement suffisant et
stable, pour les médias de service public, afin de s’assurer que
ces médias sont capables de produire des nouvelles et des informations
fiables et précises, et de maintenir un journalisme de qualité qui
mérite la confiance du public;
6.2. d’assurer que leurs cadres juridiques nationaux permettent
aux médias de service public d’utiliser l’internet et de diffuser
en ligne;
6.3. de garantir un financement approprié des médias de service
public afin qu’ils puissent allouer des ressources suffisantes à
l’innovation en termes de contenus, de formes et de technologie
en vue de promouvoir leur rôle en tant qu’acteurs principaux de
la lutte contre la désinformation et la propagande, et en tant qu’intervenants
cruciaux de la protection des écosystèmes de la communication et
des médias en Europe;
6.4. d’éviter le terme de «fausses nouvelles» («fake news»), qui a été excessivement
politisé et fréquemment utilisé pour attribuer une étiquette négative
aux journalistes et aux organes de presse indépendants émettant
des critiques; d’utiliser au lieu de cela – comme recommandé par
le Conseil de l’Europe – la notion de «désordre informationnel»
pour décrire le contenu, l’objectif et l’étendue de la diffusion
d’informations trompeuses;
6.5. de soutenir la recherche sur le désordre informationnel
pour mieux comprendre son impact sur le public et d’essayer de trouver
des solutions adéquates pour en neutraliser les effets négatifs;
6.6. d’ouvrir un dialogue multipartite sur les obligations
de service public des médias sociaux pour en tirer des bénéfices
d’intérêt public pour la société, ainsi que de mener des débats
sur la question du modèle économique des organisations des médias
d’information qui continuent de défendre un journalisme de qualité,
mais sont sous pression économique car leurs revenus publicitaires
sont éclipsés par les plateformes des médias sociaux;
6.7. de soutenir les collaborations multipartites visant à
mettre au point de nouveaux outils de vérification des faits pour
les contenus générés par les utilisateurs et de vérification des
faits à l'aide de l'intelligence artificielle;
6.8. d’assurer un véritable suivi des recommandations du Groupe
d’experts de haut niveau de la Commission européenne sur les fausses
nouvelles et la désinformation en ligne, à savoir de créer un réseau
de centres de recherche visant à étudier la désinformation afin
d’assurer un suivi de l’ampleur, des techniques et outils, de la
nature précise et de l’impact potentiel de la désinformation dans
la société, d’identifier et de cartographier les sources et mécanismes
de la désinformation qui contribuent à son amplification numérique,
de fournir un espace sûr pour accéder aux données des plateformes
et les analyser, et de mieux comprendre le fonctionnement des algorithmes.
7. L’Assemblée invite les organisations des médias de service
public:
7.1. à pleinement mettre
en œuvre les lignes directrices et principes éditoriaux proposés
par l’Union européenne de radio-télévision pour garantir la qualité
et la crédibilité du journalisme, et à agir comme centres nationaux
d’informations fiables servant de modèles, en dialoguant avec le
public dans toute sa diversité;
7.2. à envisager le fait de lutter contre la désinformation
et la propagande comme étant une de leurs missions prioritaires
et, à cet égard, à chercher à renforcer leur rôle en établissant
des liens avec les plateformes des médias sociaux, les médias traditionnels,
les responsables politiques et d’autres acteurs dans le cadre d’une
action commune contre le désordre informationnel, et à participer
à des partenariats en faveur d’initiatives de vérification des faits
à la fois aux niveaux local, régional et mondial;
7.3. à cultiver des points de vue analytiques, à développer
des programmes d’actualité et d’éducation afin d’informer le grand
public sur l’importance de l’esprit critique à l’égard des sources,
de la vérification des faits et des «bulles de filtrage», en expliquant
les dommages causés par la désinformation, la propagande et les
«actualités alternatives»;
7.4. à attirer le public grâce à la qualité et à l’innovation,
en utilisant des contenus en ligne informatifs et créatifs et des
plateformes de médias sociaux ayant une plus vaste audience afin
de toucher les jeunes et d’autres publics difficiles à atteindre;
7.5. tout en réagissant rapidement aux nouvelles, à développer
des sujets de manière lente, délibérative et analytique qui soient
vérifiés, replacés dans leur contexte et rapportés de manière impartiale.
8. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
8.1. à participer activement aux
projets de vérification des faits lancés par le réseau First Draft
et International Fact-Checking Network, et à développer des outils
spécifiques permettant aux utilisateurs et aux journalistes de déceler
la désinformation et de promouvoir un engagement positif à l’aide
de technologies de l’information en mutation rapide;
8.2. à coopérer avec les médias d’information européens publics
et privés pour améliorer la visibilité d’actualités exactes et fiables,
et faciliter l’accès des utilisateurs à celles-ci, ainsi qu’avec
la société civile et les organisations spécialisées dans la vérification
des contenus afin de garantir l’exactitude de toutes les informations
sur les plateformes des médias sociaux.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision
à continuer de promouvoir ses lignes directrices et principes éditoriaux
et, dans ce contexte:
9.1. à proposer
à ses membres des stratégies avancées concernant les diverses manières
de lutter contre le désordre informationnel et d’aider le public
à développer des capacités critiques et analytiques dans sa consommation
de nouvelles;
9.2. à développer davantage, entre ses membres, les initiatives
de vérification des faits novatrices et collaboratives et les systèmes
de vérification des contenus générés par les utilisateurs, en recherchant des
synergies avec d’autres partenaires d’informations de qualité;
9.3. à organiser des ateliers et des formations systématiques
pour ses membres sur les techniques de vérification et à encourager
l’échange de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre
la désinformation et la propagande;
9.4. à contribuer et à participer activement à des études ciblées
portant sur le désordre informationnel.