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Résolution 2254 (2019)
La liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques
1. L’Assemblée
parlementaire rappelle que des élections libres constituent un pilier
de toute société démocratique. Le choix des électeurs n’est pas
réellement libre s’il n’est pas un choix bien informé; dès lors, le
droit à la liberté d’information et la liberté des médias constituent
des conditions essentielles du droit à des élections libres, conformément
à l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9). Les
médias doivent être libres d’informer le public, sans pressions
politiques, économiques ou d’autre nature, et dans le respect de
l’éthique professionnelle.
2. Les médias professionnels sont soumis à diverses obligations
visant à assurer une couverture équilibrée et impartiale des élections
et une participation équitable au processus électoral de tous les
candidats et partis politiques.
3. À côté des médias professionnels, de nouveaux acteurs médiatiques
sont entrés en scène: les médias sociaux. Leur impact sur le public
est de plus en plus important, y compris pendant les campagnes électorales: ils
permettent aux partis politiques et aux candidats de faire passer
leurs messages «directement» à l’électorat, et à leurs sympathisants
de disséminer ces messages.
4. Dans bon nombre de pays, les médias sociaux ne sont pas soumis
à la régulation des médias en général ou aux règles spécifiques
concernant la période électorale. Par ailleurs, la particularité
de la communication sur internet rend difficile l’application aux
médias sociaux des principes que les médias professionnels doivent respecter.
La plupart des tentatives de régulation n’ont pas abouti à des résultats
convaincants de conformité; d'autres tentatives musclées ont relevé
de la censure. Par ailleurs, les sites qui font l’objet d’une décision
de fermeture peuvent répondre par la création de «sites miroirs»
en dehors des frontières nationales, ce qui réduit l’efficacité
des sanctions adoptées par les autorités nationales. L’autorégulation
des médias sociaux s’avère, elle aussi, défaillante car ces médias
ne tiennent souvent pas compte des conventions largement acceptées par
les médias professionnels.
5. Compte tenu des lacunes juridiques existantes, les diverses
formes de communication malveillante en ligne mettent en danger
le déroulement correct et équitable du processus électoral et, in fine, la démocratie elle-même.
Aujourd’hui, il y a suffisamment d’éléments qui prouvent que des
régimes autocratiques et des acteurs ou groupes d’intérêt anonymes
utilisent les médias sociaux pour manipuler l’opinion publique avec
des fausses nouvelles, des campagnes coordonnées de désinformation
et des «trolls» ou des «bots» pour attaquer non seulement des candidats
du camp adverse, mais aussi des défenseurs des droits de l'homme,
des militants, des groupes de la société civile et des journalistes.
Par ailleurs, même si des recherches récentes semblent montrer que
les utilisateurs de médias sociaux sont exposés à des sources d'information
plus diverses que ceux qui n'utilisent pas de sources en ligne,
les «bulles de filtrage» et les «chambres d'écho» peuvent entraver
les bénéfices potentiels d'une telle exposition positive, cloisonner
les flux d’information et saper les facultés d’esprit critique des
utilisateurs d’internet, en renforçant ainsi les préjugés.
6. Pour répondre efficacement à ces problèmes, les États membres
doivent veiller à garantir le droit à l’information via des médias
indépendants; ils doivent également mettre en œuvre des stratégies
efficaces afin de protéger le processus électoral et la démocratie
de la menace que la manipulation de l’information et la propagande
indue à travers les médias sociaux représentent.
7. L'Assemblée rappelle, dans ce contexte, les obligations qui
découlent de l'article 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme (STE no 5) et les normes contenues
dans de nombreux textes du Conseil de l'Europe, y compris les recommandations
suivantes du Comité des Ministres: la Recommandation
CM/Rec(2007)15 sur des mesures concernant la couverture des campagnes
électorales par les médias, la Recommandation
CM/Rec(2007)3 sur la mission des médias de service public dans la
société de l’information, la Recommandation
Rec(2004)16 sur le droit de réponse dans le nouvel environnement
des médias, la Recommandation
CM/Rec(2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu
des médias, et, plus récemment, la Recommandation
CM/Rec(2018)1 sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété,
de même que la Recommandation
Rec(2000)23 sur l’indépendance et les fonctions des autorités de régulation
du secteur de la radiodiffusion, la Recommandation
n° R(97)20 sur le «discours de haine», ainsi que la Recommandation
de politique générale n° 15 sur la lutte contre le discours de haine, de la Commission européenne
contre le racisme et l'intolérance (ECRI), et le Code
de bonne conduite en matière électorale de la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise). Elle rappelle également les Lignes
directrices relatives à l’analyse des médias au cours de missions
d’observation d’élections de 2009, le rapport de 2013 et les Lignes directrices
conjointes visant à prévenir et à répondre à l’utilisation abusive
de ressources administratives pendant les processus électoraux de
2016, ainsi que les Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques, de 2010; ces trois textes ont été publiés conjointement
par la Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH).
8. Dès lors, l’Assemblée appelle les États membres à revoir,
si nécessaire, leur cadre de régulation en matière de couverture
médiatique des campagnes électorales, afin de les mettre en conformité
avec les normes du Conseil de l’Europe, en veillant en particulier:
8.1. à promouvoir un environnement
médiatique libre, indépendant et pluraliste, comme condition essentielle
pour contrecarrer la désinformation et la propagande indue;
8.2. à éviter la concentration des médias, en faisant également
attention aussi au problème de la propriété croisée;
8.3. à imposer, si cela n’a pas été fait, aux médias publics
et privés du secteur de la radiodiffusion de couvrir de manière
équitable et impartiale les campagnes électorales, en assurant aux
partis d’opposition une couverture médiatique équilibrée dans les
programmes d’actualité et d’information, et à assortir cette obligation
de sanctions adéquates, en prévoyant les mécanismes de contrôle
et de redressement nécessaires à en assurer l’application effective;
8.4. à limiter au strict minimum le recours aux mesures restrictives
de la liberté d’expression, qui doivent non seulement être prévues
par la loi et avoir un but légitime, mais aussi être nécessaires
dans une société démocratique; cela implique qu’elles ne doivent
pas être arbitraires ni avoir une motivation politique;
8.5. à garantir à tout parti ou candidat victime d’une fausse
information diffusée par les médias, y compris sur internet, le
droit à une rectification rapide de cette information et le droit
de demander réparation devant un tribunal;
8.6. à distinguer clairement les activités de campagne des
activités d’information des médias publics et privés, afin d’assurer
l’égalité des candidats politiques ainsi que le choix libre et conscient
des électeurs;
8.7. à adopter des règles strictes en matière de couverture
des activités gouvernementales par les médias, pour éviter que la
couverture médiatique des cérémonies auxquelles le gouvernement
assiste, ou qu’il organise, se traduise par un traitement préférentiel
et par des avantages indus accordés aux partis au pouvoir et à leurs
candidats en période électorale;
8.8. à garantir, là où les partis politiques et les candidats
ont le droit d'acheter de l'espace publicitaire à des fins électorales,
l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions et les
tarifs; et, dans ce contexte, à exiger que la publicité politique
payante soit aisément reconnaissable en tant que telle;
8.9. à assurer une totale transparence vis-à-vis du public
lorsque des médias sont la propriété de partis ou politiciens;
8.10. à garantir l’indépendance éditoriale des médias de service
public, en mettant fin à toute tentative de les influencer ou de
les transformer en médias gouvernementaux: l'utilisation des médias
de service publics pour promouvoir un parti politique ou un candidat
précis doit être considérée comme un détournement illégal de fonds
publics;
8.11. à renforcer les capacités opérationnelles des autorités
de régulation des médias qui doivent être indépendantes vis-à-vis
des pouvoirs politiques et économiques; et, à cet égard:
8.11.1. veiller à ce que la composition
de ces instances soit politiquement neutre et fondée sur l’expertise
et la compétence en matière de médias;
8.11.2. chercher à renforcer leur rôle afin qu'ils puissent contribuer
plus efficacement à relever les défis posés par l'utilisation des
médias sociaux en tant que vecteurs de communication politique et
à lutter contre le désordre informationnel.
9. Concernant plus spécifiquement les risques que représentent
pour le bon déroulement du processus électoral la désinformation
et la propagande indue via l’internet et les médias sociaux, l’Assemblée
appelle les États membres:
9.1. à
s’abstenir de diffuser ou d’encourager la diffusion sur internet
des déclarations, communications ou nouvelles dont ils savent ou
devraient raisonnablement savoir qu’elles représentent de la désinformation
ou de la propagande indue;
9.2. à développer des cadres de régulation spécifiques concernant
les contenus internet en période électorale, et à y inclure des
dispositions concernant la transparence en matière de contenus sponsorisés
publiés sur les médias sociaux, afin que le public puisse connaître
la source qui finance une publicité électorale ou toute autre information
ou opinion;
9.3. à établir une responsabilité juridique claire pour les
sociétés de médias sociaux qui publient des contenus illégaux préjudiciables
aux candidats ou qui violent les règles essentielles de la communication médiatique
en période électorale;
9.4. à veiller à ce que les sanctions prévues en relation avec
des contenus illicites ne soient pas détournées pour forcer l’autocensure
des opinions et des positions critiques des opposants, et à limiter l’application
de mesures extrêmes telles que le blocage de sites web entiers,
d’adresses IP, de ports et de protocoles internet aux cas les plus
graves, en respectant pleinement les conditions strictes fixées par
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme;
9.5. à prévoir des formations spécifiques pour les organes
d’administration électorale et les instances de régulation des médias,
afin que leurs membres puissent mieux comprendre le nouvel environnement médiatique,
en vue de renforcer la mise en œuvre de la réglementation sur la
communication politique via les médias sociaux;
9.6. à encourager toutes les parties prenantes – y compris
les intermédiaires d’internet, les médias, la société civile et
le monde universitaire – à développer des initiatives participatives
visant à mieux faire comprendre au grand public le danger de la
désinformation et de la propagande indue véhiculées sur internet,
et à rechercher ensemble des solutions adéquates à ces phénomènes.
10. L’Assemblée invite les professionnels et les organismes du
secteur des médias:
10.1. à développer
des cadres d'autorégulation contenant des normes professionnelles
et éthiques concernant leur couverture des campagnes électorales,
incluant notamment le respect de la dignité humaine et du principe
de non-discrimination;
10.2. à assurer une couverture exhaustive et synthétique de
la campagne électorale, des candidats et de leurs plateformes, pour
permettre aux électeurs de faire un choix en meilleure connaissance
de cause le jour du scrutin;
10.3. à établir une distinction claire entre les activités de
ceux qui sont au pouvoir et les activités menées par des représentants
de partis politiques se présentant à une élection, en veillant à
ne pas accorder de traitement de faveur à ceux qui sont au pouvoir;
10.4. à adopter des règles internes strictes et des sanctions
dissuasives à l’égard des journalistes et des directeurs de rédaction
pour les empêcher d’accepter de l’argent et d’autres avantages en
retour d’une couverture médiatique positive d’un candidat;
10.5. à éviter de diffuser des messages fondés sur des informations
non vérifiées ou sur des rumeurs, et censés provoquer le scandale
ou visant des fins de propagande indue; au cas où de tels messages seraient
jugés importants ou urgents, leur diffusion devrait s’accompagner
d’un avertissement spécifiant l’absence de vérification;
10.6. à dénoncer toute tentative de manipulation de l’information
pendant la campagne électorale, dans les médias professionnels ou
sur les plateformes des médias sociaux, et, dans ce contexte, à établir
une coopération forte et étroite au sein de la profession pour combattre
la désinformation et la propagande indue.
11. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
11.1. à développer des initiatives
proposant à l’utilisateur des services de vérification factuelle
des informations et offrant aux usagers les outils pour signaler
des informations trompeuses, et à revoir leurs modèles publicitaires
pour s’assurer qu’ils ne nuisent pas à la diversité des opinions
et des idées;
11.2. à coopérer avec la société civile et avec des organisations
de toute tendance politique spécialisées dans la vérification des
contenus pour s’assurer que toute information est confirmée par une
source tierce qui fait autorité;
11.3. à soutenir la recherche et le développement de solutions
technologiques adéquates que l’utilisateur pourra appliquer pour
détecter la désinformation et la propagande indue.
12. L’Assemblée invite la Fédération européenne des journalistes
(FEJ) à promouvoir auprès de ses membres une prise de conscience
des questions abordées dans la présente résolution et à faciliter
l’échange d’expériences et de bonnes pratiques concernant la couverture
des campagnes électorales. À ce propos, l’Assemblée invite la FEJ
à promouvoir parmi ses membres une collaboration efficace concernant
la vérification des faits et la démystification, surtout en période
électorale.
13. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision
(UER) à continuer de promouvoir ses lignes directrices et principes
éditoriaux et à encourager les médias européens de service public
à les appliquer pleinement, en gardant à l’esprit leur rôle particulier
lors des campagnes électorales, en tant que source indépendante
d’informations impartiales, exactes et pertinentes, et d’opinions
politiques diverses. Dans ce contexte, l’UER devrait soutenir une
coopération active entre ses membres pour contrecarrer le phénomène de
la désinformation et de la propagande indue en général et lors des
campagnes électorales en particulier.
14. Enfin, l’Assemblée estime que le Forum mondial de la démocratie
du Conseil de l’Europe pourrait offrir une tribune appropriée pour
examiner différents aspects relatifs à la liberté des médias et
aux défis liés à l’information et à la démocratie à l’ère numérique,
avec la participation des médias, des acteurs des médias sociaux,
des associations de journalistes, des organisations de la société
civile, des internautes et des décideurs politiques.