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Rapport | Doc. 14847 | 25 mars 2019

Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Mart van de VEN, Pays-Bas, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14439, Renvoi 4344 du 24 novembre 2017. 2019 - Deuxième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme est profondément préoccupée par l'ampleur du blanchiment d'argent dans les États membres du Conseil de l'Europe, notamment les exemples récents connus sous le nom de «lessiveuse internationale» et de «lessiveuse azerbaïdjanaise».

Ces «lessiveuses» impliquaient toutes deux d'importantes sommes d'argent provenant d'hommes d'affaires fortunés, de membres du crime organisé et de hauts fonctionnaires. Toutes deux ont exploité diverses failles dans de multiples juridictions, y compris des sociétés-écrans, souvent basées au Royaume-Uni ou dans ses territoires d'outre-mer, et des banques peu réglementées, notamment en Lettonie et en Estonie. La lessiveuse internationale impliquait des juges moldaves corrompus. La lessiveuse azerbaïdjanaise a contribué aux activités de corruption menées au sein de l’Assemblée parlementaire. Ni l'une ni l'autre n'a fait l'objet d'une enquête adéquate de la part des autorités nationales.

Le rapport de la commission analyse les problèmes à tous les niveaux d'activité et de responsabilité réglementaire avant de faire une série de recommandations à adresser aux États membres, à l'Union européenne et au Comité des Ministres visant à renforcer la lutte internationale contre le blanchiment d'argent, le crime organisé et la corruption

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 4 mars 2019.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par l'ampleur du blanchiment de capitaux dans lequel sont impliqués des États membres du Conseil de l'Europe. Le système de «lessiveuse internationale», qui a permis de transférer illégalement au moins 21 milliards $US , et peut-être jusqu’à 80 milliards $US, depuis la Fédération de Russie à des destinataires situés dans le monde entier, et le système de «lessiveuse azerbaïdjanaise», qui a transféré 2,9 milliards $US hors d'Azerbaïdjan, en sont les exemples récents les plus alarmants. Le blanchiment de capitaux, surtout à une telle échelle, représente une grave menace pour la stabilité démocratique, les droits de l'homme et l'État de droit dans les pays à partir desquels, à travers et vers lesquels des fonds illicites sont transférés, notamment en facilitant, en encourageant et en dissimulant la corruption et d’autres formes d’activité criminelle grave.
2. Le système de lessiveuse internationale a été rendu possible par l’existence de graves problèmes structurels à différents niveaux. Il est né de la volonté d'hommes d'affaires russes, de membres du crime organisé et, apparemment, d'intérêts liés aux organes de l'État (notamment le Service fédéral de sécurité, FSB) pour transférer illicitement d'énormes sommes d'argent hors du pays, à un coût de transaction minimal. Il reposait généralement sur la corruption des systèmes judiciaire et bancaire moldaves, l'opacité de la propriété effective des sociétés-écrans, souvent établies au Royaume-Uni ou dans ses territoires d'outre-mer, et les défaillances et insuffisances des systèmes de lutte contre le blanchiment de capitaux de nombreuses banques, notamment la banque ABLV en Lettonie, ainsi que sur l’inefficacité de régimes nationaux de surveillance en matière de blanchiment de capitaux. Malgré certaines évolutions encourageantes dans la République de Moldova et la promesse d'une enquête au Royaume-Uni, le système de lessiveuse internationale n'a toujours pas fait l'objet d'une enquête judiciaire satisfaisante. Il est particulièrement préoccupant que les autorités moldaves aient accusé leurs homologues russes d'entraver leur travail, selon eux sur instruction du FSB.
3. Le système de lessiveuse azerbaïdjanaise comportait plusieurs caractéristiques similaires. L'argent provenait souvent de riches hommes d'affaires et d'autres personnes étroitement associées aux plus hauts niveaux de gouvernement, y compris les membres de la famille des ministres du gouvernement et du président. Il passait par l'intermédiaire de sociétés-écrans dont la propriété effective était dissimulée et dont les plus importantes étaient, là encore, établies au Royaume-Uni ou dans ses territoires d'outre-mer. Une grande partie de ces sommes ont été blanchies par l'intermédiaire d'une banque balte, en l'occurrence la filiale estonienne de la Danske Bank; les procédures internes de lutte contre le blanchiment de capitaux de la Danske Bank, aussi bien au niveau de sa filiale que du groupe, étaient incroyablement lacunaires. Les autorités nationales de lutte contre le blanchiment de capitaux se sont révélées inefficaces, la répartition des compétences entre les autorités estoniennes et danoises de surveillance financière étant par ailleurs incertaine.
4. Le système de lessiveuse azerbaïdjanaise a également fourni des sommes d’argent qui ont contribué aux activités de corruption menées au sein de l’Assemblée parlementaire, comme l’a établi le rapport du Groupe d’enquête indépendant concernant les allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire (GIAC). Il apparaît que cinq anciens membres de l'Assemblée ont bénéficié d’une partie de cet argent; ils ont tous été sanctionnés par l'Assemblée pour violation de ses règles déontologiques. Luca Volontè est poursuivi par les autorités italiennes pour corruption et blanchiment de capitaux. Alain Destexhe a fait l'objet d'une enquête menée par les autorités belges. Le Parlement allemand a estimé que Karin Strenz avait enfreint les dispositions de son code de déontologie. On ignore toutefois à ce jour si des mesures ont été prises à l'encontre des deux autres, Eduard Lintner (Allemagne) et Zmago Jelinčič Plemeniti (Slovénie). Bien que la Résolution 2185 (2017) de l’Assemblée «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?» ait tout particulièrement invité instamment les autorités azerbaïdjanaises à ouvrir sans tarder une enquête indépendante et impartiale sur ces allégations, il semblerait que rien n’ait été fait et que les deux parlementaires azerbaïdjanais les plus profondément impliqués dans cette affaire – Elkhan Suleymanov et Muslum Mammadov – n’aient fait l’objet d’aucune forme de sanction.
5. L'analyse des systèmes de lessiveuse et d'autres systèmes de blanchiment de capitaux à grande échelle révélés ces dernières années fait apparaître un certain nombre de problèmes à différents niveaux. Il s'agit notamment des éléments suivants:
5.1. au niveau des institutions financières et des autres entités commerciales:
5.1.1. la mauvaise compréhension et la mise en œuvre inadéquate des exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux des prestataires de services aux sociétés et fiducies, des institutions financières et des autres entités réglementées, y compris l’absence d’application des procédures élémentaires visant à connaître les clients et la source des fonds ou d’une fortune, l'incompatibilité des systèmes informatiques qui empêche l'application des normes et procédures communes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, la rédaction par les filiales de documents capitaux dans des langues qui ne sont pas comprises au siège social et le fait de ne pas avoir pourvu des postes essentiels dans la lutte contre le blanchiment de capitaux;
5.1.2. la minimisation délibérée ou par négligence des risques de blanchiment de capitaux par la direction et les cadres supérieurs des institutions financières;
5.1.3. la complicité entre les employés et les auteurs connus ou les personnes soupçonnées de blanchiment de capitaux;
5.1.4. l'absence ou la faiblesse des procédures prévues pour lancer l’alerte et de la protection des lanceurs d’alerte au sein des institutions financières;
5.2. au niveau national:
5.2.1. l’inadéquation du droit interne et des politiques nationales en matière de prévention de la corruption, notamment l’absence de déclarations publiquement accessibles de patrimoine et de revenus des responsables publics, y compris des parlementaires et des ministres du gouvernement, ainsi que des candidats à des mandats électifs, et la possibilité donnée aux personnes inculpées, voire condamnées pour des infractions de corruption ou de blanchiment de capitaux de présenter leur candidature et d’être élues à des fonctions publiques;
5.2.2. l’inadéquation des cadres juridiques de lutte contre le blanchiment de capitaux, et notamment des dispositions qui autorisent l’opacité de la propriété effective des sociétés et des fiducies;
5.2.3. l’allocation de ressources insuffisantes aux organes de surveillance et d’enquête de la lutte contre le blanchiment de capitaux et la fragmentation des compétences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux entre de nombreuses instances, dont certaines ignorent parfois leurs attributions précises;
5.2.4. l’absence de poursuites engagées pour infraction autonome ou accessoire de blanchiment de capitaux, puisque doit être apportée tout d’abord la preuve d’une infraction principale, bien souvent commise dans un pays étranger qui se montre peu coopératif;
5.2.5. l’inadéquation de l’identification et de la recherche des produits du crime pendant les premiers stades des enquêtes judiciaires;
5.2.6. le caractère insuffisamment dissuasif des peines prévues pour les infractions de blanchiment de capitaux;
5.2.7. la répression et la restriction des activités des acteurs indépendants de la société civile et des médias, qui assurent un important contrôle démocratique des faits de corruption et des autres actes pénalement répréhensibles;
5.2.8. l’absence de coopération des autorités nationales dans les enquêtes de lutte contre le blanchiment de capitaux menées par les autorités d’autres pays, voire leur obstruction à ces enquêtes;
5.2.9. l’incertitude qui accompagne la répartition des compétences entre les agences nationales de surveillance financière dans le domaine de la surveillance des institutions financières multinationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux;
5.3. au niveau européen et international:
5.3.1. le fait que la surveillance de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux dépende d’autorités nationales décentralisées, alors même que leur inadéquation dans certains pays a été démontrée;
5.3.2. la transposition incomplète en droit interne et la mise en œuvre incomplète des principaux instruments de l’Union européenne, notamment la 4e Directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (Directive (EU) 105/849);
5.3.3. la relative inattention, jusqu’à ces derniers temps, du Groupe d'action financière (GAFI) et du Comité d'experts du Conseil de l’Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) à l’égard de l’efficacité et de la mise en œuvre des régimes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux.
6. L’Assemblée appelle par conséquent:
6.1. la Fédération de Russie:
6.1.1. à mener une enquête complète et effective sur le système de lessiveuse internationale révélé par de nombreux médias publics, en tirant pleinement parti des éléments de preuve obtenus dans le cadre d'autres enquêtes judiciaires, et à poursuivre et punir tous les auteurs d’infractions en rapport avec ces faits;
6.1.2. à coopérer pleinement avec les autorités compétentes des autres pays dans l’enquête sur le système de lessiveuse internationale et les autres systèmes internationaux de blanchiment de capitaux dans lesquels la Russie est impliquée;
6.2. la République de Moldova:
6.2.1. à poursuivre pleinement et de manière effective son enquête sur le système de lessiveuse internationale et à poursuivre et punir tous les auteurs d’infractions en rapport avec ces faits;
6.2.2. à mettre en place des dispositions qui empêchent les personnes inculpées ou condamnées pour de graves infractions, y compris pour corruption et blanchiment de capitaux, de prendre ou d’exercer des fonctions publiques;
6.2.3. à poursuivre avec diligence les enquêtes et l’engagement de poursuites à l’encontre des candidats à une fonction publique et des responsables publics, y compris des élus, tout en évitant scrupuleusement toute inégalité de traitement motivée par des considérations politiques;
6.2.4. à envisager d’abroger «l’amnistie fiscale» mise en place en juillet 2018, car elle risque de faciliter le blanchiment de capitaux;
6.2.5. à veiller à réglementer rigoureusement son programme de «visa en or», car il risque lui aussi de faciliter le blanchiment de capitaux, surtout lorsqu’il est associé à «l’amnistie fiscale»;
6.3. l’Azerbaïdjan:
6.3.1. à mener une enquête complète et effective sur le blanchiment de capitaux auquel se livre l’Azerbaïdjan et qui a été révélé par de nombreux médias publics, y compris par le rapport du GIAC, et à poursuivre et punir tous les auteurs d’infractions en rapport avec ces faits;
6.3.2. à respecter pleinement les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des organes indépendants de la société civile et des médias, comme l’a demandé par le passé l’Assemblée à de nombreuses reprises;
6.3.3. à réagir sans plus tarder à la Résolution 2185 (2017) de l’Assemblée «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?», en particulier en ouvrant une enquête indépendante et impartiale sur les allégations de corruption des membres de l’Assemblée formulées dans le rapport du GIAC et en coopérant pleinement avec les autorités et instances internationales compétentes en la matière;
6.4. le Royaume-Uni:
6.4.1. à veiller à mettre pleinement en œuvre la nouvelle obligation faite aux autorités des territoires britanniques d’outre-mer de mettre en place un registre publiquement accessible de la propriété effective des sociétés et fiducies sur leur territoire;
6.4.2. à envisager d’étendre cette obligation aux dépendances de la Couronne que sont Jersey, Guernesey et l’île de Man;
6.4.3. à envisager d’exiger la pleine transparence de la propriété effective de l’ensemble des sociétés et fiducies établies au Royaume-Uni, y compris des sociétés en commandite par actions, grâce à un registre publiquement accessible;
6.4.4. à veiller à ce que les prestataires de services aux sociétés et fiducies respectent pleinement les exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et fassent l’objet d’une surveillance effective de la part des autorités nationales compétentes;
6.4.5. à veiller à ce que le nouveau Centre national de lutte contre la criminalité économique fonctionne de manière effective pour éviter la fragmentation et l’inefficacité des activités de lutte contre le blanchiment de capitaux;
6.4.6. à veiller à ce que le potentiel de la nouvelle ordonnance sur l’enrichissement illicite soit pleinement exploité;
6.4.7. à veiller à ce que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne s’accompagne pas d’un affaiblissement des normes ou des activités de lutte contre le blanchiment de capitaux et à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir que le Royaume-Uni continue à participer aussi pleinement que possible aux instances pertinentes de l’Union européenne, notamment Europol;
6.5. le Danemark:
6.5.1. à veiller à ce que la Danske Bank mette en œuvre pleinement et de manière effective toutes les ordonnances qui lui sont adressées par l’autorité danoise de surveillance financière;
6.5.2. à prendre les mesures adéquates, notamment sous forme d’engagement de poursuites pénales, à l’encontre de tout employé de la Danske Bank, y compris les cadres dirigeants et supérieurs, susceptible d’avoir enfreint la réglementation et la législation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux;
6.6. l’Estonie:
6.6.1. à veiller à ce que la Danske Bank mette en œuvre pleinement et de manière effective toutes les mesures que lui indique l’autorité estonienne de surveillance financière;
6.6.2. à prendre les mesures adéquates, notamment sous forme d’engagement de poursuites pénales, à l’encontre de tout employé de la Danske Bank, y compris les cadres dirigeants et supérieurs, susceptible d’avoir enfreint la réglementation et la législation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux;
6.7. l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe:
6.7.1. à enquêter pleinement et de manière effective sur toute implication dans les systèmes de lessiveuse de personnes physiques ou morales sur leur territoire;
6.7.2. à faire obligation aux élus et aux candidats à une fonction élective, y compris aux candidats à la présidence, de procéder à la déclaration publiquement accessible de leur patrimoine et de leurs revenus;
6.7.3. à veiller à ce que leurs régimes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux soient pleinement conformes à l’ensemble des normes internationales applicables et soient mis en œuvre de manière effective;
6.7.4. à veiller à ce que leurs instances de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux bénéficient de ressources adéquates et d’un personnel suffisamment qualifié et rémunéré;
6.7.5. à prévoir dans leur droit interne la confiscation sans condamnation préalable, ainsi que la possibilité de procéder à la confiscation d’une valeur équivalente et à l’imposition des gains illicites, tout en établissant des garanties adéquates, comme le recommande la Résolution 2218 (2018) «Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites»;
6.7.6. à mettre rapidement et pleinement en œuvre toutes les recommandations pertinentes du GAFI, de MONEYVAL et du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe;
6.8. l’Union européenne:
6.8.1. à veiller à ce que ses États membres transposent en droit interne et mettent en œuvre pleinement et de manière effective les 4e et 5e (Directive (EU) 2018/843) Directives sur la lutte contre le blanchiment de capitaux;
6.8.2. à veiller à ce que la proposition de modification du règlement sur la surveillance bancaire permette à l'Autorité bancaire européenne de coordonner et d’évaluer les autorités nationales compétentes, de manière à garantir des synergies et éviter des divergences dans l’interprétation des règles et des activités pratiques, et à remédier aux points faibles et renforcer le fonctionnement du système général de lutte contre le blanchiment de capitaux;
6.8.3. à veiller à ce que son Plan d’action pour mieux lutter contre le blanchiment de capitaux de décembre 2018 soit mis en œuvre pleinement et de manière effective;
6.8.4. à veiller à ce que la proposition de directive sur la protection des lanceurs d’alerte prévoie la protection effective des lanceurs d’alerte du secteur financier;
6.8.5. à mieux coordonner ses activités de lutte contre le blanchiment de capitaux avec celles du Conseil de l'Europe.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 4 mars 2019.

(open)
1. Rappelant sa Résolution … (2019) «Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux», l’Assemblée parlementaire appelle le Comité des Ministres:
1.1. à continuer de faire des activités nationales et internationales et de la coopération visant à lutter contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux des priorités stratégiques du Conseil de l’Europe, en gardant à l’esprit les graves menaces qu’ils représentent pour la stabilité démocratique, les droits de l’homme et l’État de droit dans l’ensemble de l’Europe;
1.2. à veiller à ce que, indépendamment de la future situation budgétaire, ces activités, notamment le Comité d'experts du Conseil de l’Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) et le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), continuent à bénéficier de ressources adéquates;
1.3. à mieux coordonner ses activités de lutte contre le blanchiment de capitaux avec celles d’autres instances internationales, notamment l’Union européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques et les Nations Unies.

C. Exposé des motifs, par M. Mart van de Ven, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution à l’origine du présent rapport a été motivée par le système international de blanchiment de capitaux, la «lessiveuse internationale», dénoncé par les journalistes d’investigation travaillant pour le Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP) et utilisé pour transférer, entre 2010 et 2014, au moins 21 milliards $ US depuis la Fédération de Russie par le biais de sociétés-écrans vers les banques de 96 pays du monde 
			(3) 
			Doc. 14439; Renvoi 4345 du 24 novembre 2017.. La proposition de résolution fait également état du système de blanchiment azerbaïdjanais désormais connu sous le nom de «lessiveuse azerbaïdjanaise», également dénoncé par l’OCCRP, notamment, qui y voit «une opération de blanchiment de capitaux complexe et une caisse noire qui a servi à distribuer 2,9 milliards $US sur une période de deux ans via quatre sociétés-écrans enregistrées au Royaume-Uni» 
			(4) 
			«The
Azerbaijani Laundromat», OCCRP..
2. Comme l’indique la proposition de résolution, la corruption, le crime organisé et le blanchiment des capitaux constituent une grave menace pour l’État de droit et entravent le développement de la démocratie et de l’économie. L’ampleur, la durée et l’étendue des systèmes de blanchiment de «la lessiveuse internationale» et de «la lessiveuse azerbaïdjanaise» laissent supposer l’existence d’éventuelles failles dans les mécanismes nationaux, régionaux et/ou internationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux auquel se livrent les groupes du crime organisé et d’autres acteurs. En conséquence, la proposition demande à l’Assemblée parlementaire d’enquêter sur ces questions en vue de formuler d’éventuelles recommandations susceptibles d’améliorer les mécanismes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en la matière.
3. À l’occasion de l’établissement du présent rapport, je me suis rendu à Londres (Royaume-Uni) où j’ai rencontré les responsables de l’Agence de lutte contre la criminalité (National Crime Agency) et les représentants de Transparency International UK. La commission des questions juridiques et des droits de l'homme a par ailleurs procédé à deux auditions d’experts. Elle a tout d’abord auditionné, lors de sa réunion du 26 juin 2018, M. Paul Radu, Directeur exécutif du Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP), et Mme Maira Martini, Coordinatrice de la connaissance et de la politique, Transparency International. Elle a ensuite auditionné, lors de sa réunion du 13 décembre 2018, M. Daniel Thelesklaf, Président du Comité d'experts du Conseil de l’Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), Mme Khadija Ismayilova, rédactrice régionale (OCCRP), M. Howard Wilkinson, ancien chef des marchés baltiques, Danske Bank Estonie (lanceur d’alerte au sujet de la Danske Bank), et M. Steve Kohn, associé du cabinet d’avocats Kohn, Kohn et Colapinto (avocat de M. Wilkinson). J’aimerais remercier toutes ces personnes de leur précieuse contribution à l’élaboration du présent rapport.

2. La «lessiveuse internationale»

2.1. Le fonctionnement de la «lessiveuse internationale»

4. La lessiveuse internationale a fonctionné comme suit. Des sociétés-écrans secrètement détenues par des blanchisseurs de capitaux russes ont été créées à l’étranger; elles n’existaient que sur le papier et n’avaient aucune activité commerciale réelle. L’une de ces sociétés «prêtait» une somme d’argent à une autre, qui s’engageait par contrat à rembourser cette somme – sans qu’il y ait eu réellement transfert d’argent. La dette était garantie par une société russe dans le cadre d’une opération à laquelle participait un ressortissant moldave. La société débitrice ne faisant pas face à ses engagements, la société créditrice exigeait de la société russe garante qu’elle honore le prêt. La participation d’un ressortissant moldave permettait d’obtenir le remboursement de la dette par un tribunal moldave, où un juge corrompu ordonnait à la société russe d’honorer sa caution en remboursant la dette à la société créditrice. Le tribunal moldave désignait un exécuteur judiciaire – également complice – pour faire procéder au transfert. La société russe garante effectuait alors le transfert d’une banque russe vers un compte ouvert à la Moldincoinbank, ce qui permettait de blanchir cette somme sous forme de remboursement d’une dette ordonné par un tribunal.
5. 8 milliards $ US ont été directement retirés de comptes de la Moldincoinbank et 13 autres milliards $ US ont été transférés vers la Trasta Komercbanka en Lettonie et, à partir de là, dans le monde entier 
			(5) 
			L’un
des principaux actionnaires de la Trasta Komercbanka était Ivan
Fursin, un ancien membre de la délégation ukrainienne auprès de
l’Assemblée parlementaire («Latvia: European Central Bank Revokes
Trasta Komercbanka License», OCCRP, 5 mars 2016). Son vice-président
était Alfreds Cepanis, ancien président du Parlement letton. Un
autre de ses actionnaires était aussi vice-président de la Centragas
AG à Vienne, contrôlée par l’Ukrainien Dmytro Firtash, dont Ivan
Fursin était également actionnaire à hauteur de 10 %. La Trasta
Komercbanka a également été impliquée dans le blanchiment des 230
millions $	US liés à l’affaire Magnitski («Following the Magnitsky
Money», OCCRP, 12 août 2012), ainsi que dans une fraude d’un montant
de 150 millions $	US à laquelle a été mêlée une société d’État ukrainienne
et dans laquelle Fursin a également joué un rôle distinct («Echo
of Scandal of the Year: Money for Boiko Oil Rig were paid into “Personal
Bank”», Anti-Corruption Action Centre, 14 juillet 2012). (les services de détection et de répression moldaves et lettons pensent que le montant total pourrait s’élever à  80 milliards $ US 
			(6) 
			«The Global Laundromat:
how did it work and who benefited?», The
Guardian, 20 mars 2017.). Ces transactions ont commencé en 2010, même si la plupart d’entre elles ont eu lieu en 2013 et 2014. Au cours de cette période, les 21 sociétés-écrans ont effectué 26 746 paiements, auxquels ont pris part 732 banques étrangères, dont un grand nombre ont leur siège dans des États membres du Conseil de l’Europe, tels que l’Ukraine, le Danemark, le Royaume-Uni, Chypre, la Suisse, l’Estonie, la Suède, la Lituanie, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Hongrie et la Turquie 
			(7) 
			«The top 50 global
banks allegedly involved in a $21 billion Russian money-laundering
scheme», Quartz, 21 mars 2017..
6. Selon les articles de presse, 19 banques russes et plus de 90 sociétés russes ont été mêlées à cette opération de blanchiment. C’est notamment le cas de la Russian Land Bank (RZB), qui, à partir de 2011, a été détenue par six sociétés sises à Chypre. La part la plus importante était celle de la Boaden Ltd, propriété d’Alexandre Grigoriev, de Saint-Petersbourg, qui a pris la tête du conseil d’administration de la RZB. Une nouvelle équipe de direction a été mise en place, dont faisait partie Igor Poutine, cousin du président russe 
			(8) 
			Igor Poutine détenait
également (comme Alexandre Grigoriev) des parts et siégeait au conseil
d’administration de la Prompersbank, présentée comme un «maillon
essentiel» d’une autre opération russe de blanchiment de capitaux
au sujet de laquelle la Deutsche Bank s’est vue infliger une amende
de 630 millions $	US par des autorités de régulation des États-Unis
et du Royaume-Uni («The Russian Banker Who Knew Too Much», Bloomsberg, 20 novembre 2017). Il
a également été membre du conseil d’administration de la Master
Bank, dont l’agrément a été annulé en 2013 pour pratiques frauduleuses
(«Russia Revokes Licence of a Bank With Ties to Putin», New York Times, 20 novembre 2013).. En mars 2014, la Banque centrale russe a annulé l’agrément de la RZB pour infraction à la législation sur la lutte contre le blanchiment des capitaux sous la forme de transferts d’un montant approximatif de 500 millions $US; les enquêteurs moldaves affirment que la RZB a en fait transféré quelque cinq milliards de dollars vers la Moldincoinbank. En mars 2013, Grigoriev a acquis une autre banque russe, la Zapadny, qui a également transféré de l’argent vers la Moldincoinbank. Ilya Lomakine-Roumiantsev, qui a été à la tête de la Direction des services d’experts de l’Administration présidentielle russe jusqu’en 2011 
			(9) 
			«Executive order releasing
Ilya Lomakin-Rumyantsev from his duties as head of the Presidential
Experts’ Directorate», en.kremlin.ru, 24 mars 2011., présidait le conseil d’administration de la Zapadny. Cette banque s’est également vue retirer son agrément en avril 2014.
7. Entre décembre 2013 et mai 2014, plus de 21 millions $ US ont été déposés sur des comptes détenus par Grigoriev à la Moldincoinbank. Cet argent avait été transféré depuis une société moldave et une société sud-africaine, la première étant enregistrée à la même adresse que celle du siège d’une société liée à Vyacheslav Platon. Cet ancien parlementaire moldave détenait officiellement 4,5 % du capital de la Moldincoinbank et il est soupçonné de s’être dissimulé derrière d’autres actionnaires fictifs. Ces deux sociétés avaient elles-mêmes reçu l’argent de deux sociétés britanniques, dont l’une était la Westburn Properties Ltd. Lorsque l’OCCRP a pris contact avec Grigoriev avant octobre 2014, celui-ci a nié détenir des comptes à la Moldincoinbank et a indiqué qu’il appartenait aux autorités russes de prouver l’irrégularité de ses virements bancaires à l’étranger. Il a été arrêté à Moscou en octobre 2015 pour des faits relatifs à une autre banque, Doninvest, qui s’était également vue retirer son agrément. Les médias l’ont présenté comme le «chef de l’un des groupes criminels organisés les plus importants de Russie» 
			(10) 
			«With regard to main
cashier Grigoriev it was initiated case for creating OCG», Crime
Russia, 15 août 2016.. Un autre actionnaire de la RZB, Beslan Boulgouchev, a reçu sur son compte à la Moldincoinbank 1,4 million $US de la même société sud-africaine.
8. L’argent était souvent transféré vers des hommes d’affaires russes extrêmement riches proches du centre du pouvoir. Alexeï Krapivine, par exemple, aurait reçu 277 millions $US sur des comptes bancaires suisses via ce système de blanchiment 
			(11) 
			«Prosecutor
General’s Office raids Russian Railways», CrimeRussia, 31 mars 2017.. Krapivine est le fils d’un conseiller du directeur des chemins de fer russes, qui avait été un proche collaborateur du Président Poutine depuis les années 90. L’empire commercial de Krapivine, constitué d’un grand nombre de sociétés-écrans dont les véritables propriétaires étaient dissimulés 
			(12) 
			Des
renseignements sur leurs véritables propriétaires ont été mis au
jour en partie grâce à la fuite des «Panama Papers» («Wringing profits
from the Russian Railways», OCCRP, 5 avril 2016) et en partie grâce
aux informations fournies par Guermane Gorbountsov, un banquier
russe (et ancien copropriétaire, avec Krapivine père, de la banque
STB, qui gérait les comptes des sociétés prestataires de services
ferroviaires des Krapivine), qui a fui à Londres où il a survécu
a une tentative d’assassinat en 2012 («Russian Railways paid billions
to secretive private companies», Reuters, 23 mai 2014). Gorbountsov
est depuis retourné en République de Moldova, où il fait l’objet
d’une enquête pour infractions de blanchiment de capitaux en rapport
avec l’Universalbank, dont il a été propriétaire de 2008 à 2011
(«Moldova Charges Russian Banker With Money-Laundering», Reuters,
12 décembre 2017). La République de Moldova a émis un mandat d’arrêt
international contre Renato Usatii, chef d’un parti politique prorusse
qui s’est approprié l’Universalbank en 2011 et vit à présent à Moscou,
pour des faits relatifs à la tentative d’assassinat dont Gorbountsov
a été victime («Moldovan court issues arrest warrant for Renato
Usatii in Gorbuntsov case», bne IntelliNews,
26 octobre 2016)., reposait sur les contrats passés avec les Chemins de fer russes pour une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars, dont un grand nombre auraient été exécutés de manière frauduleuse. D’autres utilisateurs russes du système de blanchiment avaient passé des contrats de marchés publics avec l’État russe: Georgy Gens, par exemple, propriétaire d’une société enregistrée aux îles Vierges britanniques qui a reçu 27 millions $US via ce système de blanchiment, possède également le groupe Lanit, une société informatique à laquelle les marchés publics ont rapporté 890 millions $US entre 2010 et 2016. Sergueï Guirdine, bénéficiaire effectif d’une autre société enregistrée aux îles Vierges britanniques, qui a reçu près de 96 millions $US via le système de blanchiment, détient également une société informatique titulaire de contrats d’une valeur de 246 millions $US passés avec la banque publique Sberbank. Ruslan Rostovtsev, ancien adjoint au maire de Sotchi et magnat du charbon russe, serait impliqué dans un trafic organisé depuis la région séparatiste de Donetsk en Ukraine 
			(13) 
			«Who Profits From The
Broken Russia-Ukraine Peace Deal?» Forbes,
26 janvier 2018. et aurait transféré plus de 400 millions $US hors de Russie 
			(14) 
			«Coal
mining turns laundering: new facts on Moldovan laundroma», Pravda, 8 janvier 2019..
9. Les actionnaires ou administrateurs d’un certain nombre de sociétés russes étaient des ressortissants moldaves ou ukrainiens. Les enquêtes menées par l’OCCRP montrent que ces personnes, souvent de condition modeste, servaient de prête-noms. Ainsi, par exemple, Ruslan Siloci, propriétaire d’une petite entreprise à Căuşeni, qui vivait chez ses parents, était mentionné comme actionnaire majoritaire d’une société censée devoir 500 millions $US à la Westburn Properties. Siloci a effectivement admis devant les journalistes de l’OCCRP qu’il avait servi d’homme de paille. Căuşeni est la ville natale de Vyacheslav Platon, dont le père dirige l’agence locale de la Moldincoinbank.
10. Le premier transfert lié au système de lessiveuse internationale a été effectué le 22 octobre 2010, lorsqu’une société britannique, Valemont Properties Ltd, a intenté à Chisinau une action en justice contre les garants d’un prêt qu’elle avait consenti à une autre société britannique. Les garants étaient un Moldave et deux sociétés russes. Le juge a certifié la dette et ordonné au ressortissant moldave et aux sociétés russes d’exécuter la garantie; les sociétés russes ont alors transféré plusieurs milliards de roubles de deux banques russes, EB Transinvestbank OOO et KB Inkredbank, vers un compte ouvert à la Moldincoinbank et contrôlé par un exécuteur judiciaire moldave. Cet argent a ensuite été converti en livres et viré à Valemont. Comme nous l’avons indiqué plus haut, d’autres transferts liés au système de blanchiment russe ont suivi le même schéma. En mai 2014, le Conseil supérieur de la magistrature moldave a indiqué qu’un grand nombre de décisions de justice rendues dans des affaires de recouvrement de dettes de ce type l’avaient été de façon illégale, sur la foi de documents qui n’avaient pas été dûment authentifiés ou certifiés. Valemont Properties a continué à jouer un rôle essentiel dans la lessiveuse internationale: par exemple, le jour même où elle a reçu un virement de 5,9 millions $ US via la Moldincoinbank, Valemont a réglé à une société allemande 250 000 $US pour deux voitures Bentley, dont l’une a été remise à la femme qui était alors l’épouse de Vyacheslav Platon et l’autre à un employé de l’une des sociétés de ce dernier.

2.2. La situation dans des pays précis impliqués dans le système de lessiveuse internationale

11. La République de Moldova a progressé dans l’enquête qu’elle a ouverte sur la lessiveuse internationale. À l’automne 2016, 14 juges en exercice ou anciens juges et deux huissiers de justice ont été arrêtés; des mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre un autre juge et un huissier de justice, tandis qu’un autre juge a fait l’objet d’une enquête avant son décès. Le 8 février 2017, les 14 juges et deux procureurs ont été officiellement accusés de complicité de blanchiment de capitaux et d’avoir délibérément rendu des décisions illégales 
			(15) 
			«“Russian
Laundromat” case sent to court in Moldova, fourteen judges and two
bailiffs involved», Moldova.org, 8 février 2017.. Le 10 mars 2017, le parquet anticorruption a mis en examen quatre cadres supérieurs, en exercice ou non, de la Banque nationale de Moldavie, à savoir l’ex-vice-gouverneure Emma Tăbârță, le directeur du Département du contrôle des opérations bancaires Matei Dohotaru, et le directeur du Département de la réglementation et de la délivrance des autorisations Vladimir Țurcan, ainsi que son directeur adjoint. Ces quatre personnes ont été inculpées de manquement à leur obligation de contrôle de la Moldincoinbank, situation qui a rendu possibles des virements suspects portant sur plus de 22 milliards $US 
			(16) 
			«Russian Laundromat:
Cases of four employees of Moldova National Bank sent to court»,
Moldova.org, 13 mars 2017.. Vyacheslav Platon a été arrêté en juillet 2016 à Kiev (Ukraine) et extradé vers la République de Moldova sous le chef d’accusation de participation à l’organisation du système de blanchiment russe. En avril 2017, Platon a été condamné à une peine de 18 ans d’emprisonnement pour d’autres infractions de blanchiment de capitaux et de détournement de fonds, qualifiées en République de Moldova de «vol du siècle» 
			(17) 
			«Moldovan businessman
jailed for role in $1 billion bank fraud», Reuters, 20 avril 2017. (Ilan Shor, qui a été arrêté en mars 2015 pour sa participation au «vol du siècle», aurait reçu environ 22 millions $ US par l’intermédiaire du système de lessiveuse internationale 
			(18) 
			«Two huge scams. One
Moldovan businessman», OCCRP, 20 mars. En juin 2015, alors qu'il
était toujours en état d'arrestation, M. Shor a été élu maire de
la ville moldave d’Orhei. Rappelons que M. Platon avait également
été élu en République de Moldova.). D’autres personnes apparemment impliquées ne semblent pas avoir fait l’objet d’une enquête: par exemple, 130 000 $ US passés par le système de blanchiment ont servi à payer le logement londonien de la fille de Ion Muruianu, ancien président de la Cour suprême de la République de Moldova et, depuis 2012, juge à la Cour d’appel de Chisinau. Muruianu a déclaré que cette situation était conforme à un accord passé avec un «actionnaire de plusieurs banques» qu’il n’a pas nommé, mais cette qualification irait comme un gant à Platon.
12. La tournure prise plus récemment par les événements en République de Moldova est cependant moins encourageante. Moldinconbank est toujours en activité et a été récemment acquise par deux hommes d’affaires bulgares: Ognian Donev, accusé de blanchiment de capitaux en 2012 et d’évasion fiscale en 2015 
			(19) 
			«Bulgaria’s
Sopharma CEO Ognian Donev Charged with BGN 63 M Tax Evasion», Novinite,
30 juillet 2015., et Radosvet Radev, propriétaire de médias et ancien collaborateur du Comité de la sécurité d’État à l’époque communiste 
			(20) 
			«Powerful
Bulgarian businessmen buy “bad apple” bank in Moldova», Bivol, 23
janvier 2019.. Une «amnistie fiscale» mise en place en juillet 2018 permet aux ressortissants moldaves d’enregistrer des actifs sans démontrer les modalités de leur acquisition en s’acquittant d’une taxe de 3 %. Le dirigeant de l’opposition Andrei Nastase – dont la victoire aux élections municipales de Chisinau en juin 2018 a été annulée par les juridictions moldaves – a qualifié cette mesure de «légalisation de sommes frauduleusement acquises» 
			(21) 
			«Moldovan Opposition
Leader Says New Tax Measures “Legalize Fraud”», RFE/RL, 30 juillet
2018.. En novembre, en raison des préoccupations suscitées à l’égard de l’État de droit par la situation, et notamment par «l’amnistie fiscale», les élections municipales de Chisinau de 2018 et le «vol du siècle» d’un milliard de dollars, la Commission européenne a réduit son assistance financière annuelle à la République de Moldova de 20 millions d’euros et a suspendu son programme d’assistance macrofinancière de 100 millions d’euros 
			(22) 
			«EU
Cuts Moldova Funding Amid Rule-Of-Law Concerns», RFE/RL, 15 novembre
2018.. Cette décision peut être mise en parallèle avec le nouveau système de «passeport en or» de la République de Moldova, auquel il a été reproché de faciliter le blanchiment de capitaux et qui permettra aux nouveaux ressortissants moldaves d’accéder sans visa à l’espace Schengen et à d’autres États membres du Conseil de l’Europe, notamment la Russie et la Turquie 
			(23) 
			«Moldova Hopes “Golden
Visa” Program Will Bring In € 1.3 Bill», OCCRP, 12 juillet 2018.
Il convient de noter qu'un autre élément peut être mis en parallèle
avec la situation en vigueur à Malte: le système de «passeport en
or» de la République de Moldova sera lui aussi (en partie) géré
par Henley and Partners, qui serait impliquée dans les faits de corruption
et de blanchiment de capitaux commis à Malte à l'aide de ces passeports..
13. Dans son rapport de 2016 sur la République de Moldova, le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) a noté que «[l]a corruption constitue l’un des défis majeurs auxquels est confrontée la République de Moldova. La mise en œuvre effective du cadre législatif et des politiques de lutte contre la corruption demeure problématique et les principales institutions chargées de combattre ce phénomène pâtissent de capacités insuffisantes et du manque d’indépendance». En ce qui concerne l’appareil judiciaire, le rapport relève que «la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature sont fortement critiqués (…). La sensibilisation des juges aux normes d’éthique et d’intégrité devrait être renforcée et les règles relatives aux cadeaux et à d’autres avantages effectivement appliquées. (…) Le cadre juridique et opérationnel concernant la responsabilité disciplinaire des juges devrait être réexaminé afin de renforcer leur imputabilité» 
			(24) 
			«Quatrième cycle d’évaluation:
Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des
procureurs», GRECO, 1er juillet 2016.
Le prochain rapport est attendu en juillet 2019.. En 2018, la République de Moldova se situait au 117e rang sur 180 États, selon l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, soit une progression de cinq places par rapport à 2017, et obtenait la note de 33/100 (0 étant attribué à l’État le plus corrompu), soit deux points de mieux, ce qui reste cependant inférieur à la moyenne des États d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le dernier rapport de MONEYVAL sur la République de Moldova, qui remonte à 2012, a fait état d’une série de défaillances, notamment dans la poursuite des infractions de blanchiment de capitaux, le régime de confiscation des biens blanchis, l’identification des bénéficiaires effectifs et la compréhension des structures de propriété et de contrôle des clients qui sont des personnes morales, la déclaration des opérations suspectes et l’utilisation de sociétés-écrans ou «fantômes» pour blanchir des capitaux par le biais d’opérations bancaires fictives 
			(25) 
			«Rapport
de la quatrième visite d’évaluation – Résumé», MONEYVAL, 4 décembre
2012..
14. Comme nous l’avons indiqué plus haut, au moins deux des banques russes impliquées dans la lessiveuse internationale, à savoir la RZB et la Zapadny, ont vu leur agrément annulé en 2014, peu de temps avant que l’OCCRP ne publie les résultats de ses investigations. En dehors de ces sanctions administratives prises à l’encontre de personnes morales, il existe toutefois peu d’informations sur les enquêtes menées par les autorités russes au sujet du système de lessiveuse internationale. Grigoriev a été arrêté en octobre 2015 sous les chefs d’accusation de crime organisé et de fraude bancaire, mais il n’a pas encore été jugé 
			(26) 
			«Banking
behind the mirror. Who is going to dethrone current “cash-out king”?»,
Crime Russia, 29 octobre 2018.. En juillet 2018, Boris Fomin, ancien administrateur de Promsperbank – qui comptait notamment parmi ses actionnaires Igor Poutine et Grigoriev et dont la Banque centrale russe a procédé à la fermeture en 2015 – a fourni des éléments de preuve au sujet d’un réseau de banquiers russes corrompus baptisé «Miaso» («la viande»), qui avait organisé le système de lessiveuse internationale 
			(27) 
			«Miaso
withdraws $ 21 billion from Russia», Rosbalt, 3 juillet 2018.. Les éléments fournis par M. Fomin impliqueraient Ivan Myazin, qualifié de «banquier de l’ombre no 1», qui a lui-même été détenu par le FSB dans le cadre d’un détournement de fonds de Promsperbank 
			(28) 
			«“Shadow
Banker No. 1” detained in case of $51.6m embezzlement from Promsperbank»,
Crime Russia, 15 mai 2018. et qui avait «d’importants contacts avec les forces de l’ordre, ainsi qu’avec la Banque centrale de la Fédération de Russie et le Service fédéral des marchés financiers»; Myazin aurait utilisé des fonds de Promsperbank pour corrompre des responsables de la Banque centrale russe 
			(29) 
			«Ex-head of Promsperbank
rolls on protection from Central Bank and Deutsche Bank», Crime
Russia, 16 mai 2018.. D’après les informations disponibles, on ignore toutefois si les autorités russes mènent véritablement des enquêtes sur le système de lessiveuse internationale ou sur d’autres activités criminelles exercées par des personnes qui ont participé à ce système de lessiveuse. Quant à Igor Poutine, il semble n’avoir toujours pas été inquiété 
			(30) 
			«Chi è Igor Putin,
il cugino del presidente russo», Lettera 43,
3 décembre 2018..
15. Les deux autres pays ayant joué un rôle particulièrement important dans la lessiveuse internationale sont la Lettonie et le Royaume-Uni, y compris des territoires britanniques d’outre-mer tels que les îles Vierges britanniques. La Lettonie a été qualifiée de pays exposé au blanchiment de capitaux originaires de Russie pour plusieurs raisons: sa relative stabilité par rapport à un grand nombre de ses voisins d’Europe orientale; sa faible fiscalité et ses professionnels de la finance russophones; et son accès au marché occidental plus large, qui lui permet de se soustraire à la réglementation plus stricte en vigueur dans d’autres pays. D’après les informations dont on dispose, la plupart des 16 banques de Lettonie n’auraient pratiquement que des clients étrangers, dont les dépôts, détenus principalement sous une forme immédiatement transférable, représentent 43 % du système bancaire letton 
			(31) 
			«A
Latvian Sock in the Laundromat? The Fight against Money Laundering»,
Foreign Policy Research Institute, 28 avril 2017.. Le président de la commission parlementaire de la défense, des affaires intérieures et de la prévention de la corruption a qualifié la Lettonie de «Suisse des États baltes» 
			(32) 
			«Latvia:
When the United States scolded the “Switzerland of the Baltics”»,
Euractiv, 5 septembre 2018.. L’Autorité lettone de surveillance financière a elle-même fait savoir que les banques qui détiennent des fonds appartenant à des non-résidents avaient plus de risque d’être associées à des opérations de blanchiment de capitaux 
			(33) 
			«Non-resident
banking business in Latvia – benefits and risks», Financial and
Capital Market Commission, 26 novembre 2012.. En février 2018, le Premier ministre letton a promis de réduire le montant des dépôts étrangers dans les banques du pays, à la suite des accusations de «blanchiment de capitaux institutionnalisé» lancées par le Département du Trésor des États-Unis contre la banque ABLV, troisième plus important prêteur de fonds du pays 
			(34) 
			«Latvia PM vows to
act on money laundering allegations», Financial
Times, 23 février 2018., soupçonnée d’être indirectement liée au programme d’armement de la Corée du Nord. Dans sa dernière évaluation de la Lettonie, en 2012, MONEYVAL a constaté que ce pays n’avait appliqué que partiellement les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) concernant le devoir de vigilance relatif à la clientèle, la déclaration des opérations suspectes et l’attention particulière à accorder aux pays présentant un risque plus élevé, entre autres problèmes évoqués 
			(35) 
			«Rapport de la quatrième
visite d’évaluation – Résumé», MONEYVAL, 5 juillet 2012.. Le prochain rapport de MONEYVAL sur la Lettonie est attendu prochainement. L’Autorité lettone des services financiers a réduit les activités de la Trasta Komercbanka en janvier 2016 et la Banque centrale européenne a annulé son agrément en mars de la même année (l’autorisation d’exercer son activité à Chypre a par ailleurs été annulée par la banque centrale de ce pays; quatre des huit banques ayant reçu le plus d’argent via la lessiveuse internationale exerçaient leurs activités à Chypre). Un audit national du système bancaire letton effectué après la mise au jour de la lessiveuse internationale n’a abouti qu’à infliger € 640 000 d’amende à trois banques 
			(36) 
			«Latvia’s top banking
official is accused of demanding bribes», The
Economist, 22 février 2018.. En 2017, la Lettonie a ouvert uniquement 85 enquêtes dans des affaires de blanchiment, alors que ses banques avaient fait 17 900 déclarations d’opération suspecte 
			(37) 
			«Russian
billions slip through Latvia’s loose ne»”, Reuters, 16 mars 2018..
16. Dans un rapport de 2015, le Gouvernement britannique a reconnu que «[l]es facteurs qui attirent au Royaume-Uni les activités financières légitimes sont également ceux qui attirent les activités de blanchiment des produits du crime». Un rapport équivalent établi en 2017 indiquait que «le principal risque de blanchiment de capitaux en rapport avec la Russie est de voir le produit du crime et de la corruption transiter par l’économie britannique, qu’il s’agisse du secteur réglementé ou du secteur non réglementé» 
			(38) 
			«National
risk assessment of money laundering and terrorist financing», ministère
des finances/Ministère de l’intérieur britannique, octobre 2015/octobre
2017.. Ownership Transparency a fait observer que «[d]es “sociétés de complaisance” britanniques légalement constituées pour en dissimuler les bénéficiaires effectifs ont contribué à accumuler et à légitimer les entreprises criminelles de blanchiment de fonds illicites» 
			(39) 
			«Lessons
from the Global Laundromat investigation: Part One», Ownership Transparency,
29 mars 2017.. Les 21 sociétés-écrans impliquées comprenaient les deux sociétés mentionnées plus haut, à savoir la Westburn Properties LLP et la Valemont Properties LLP; 19 d’entre elles étaient britanniques et la plupart ont depuis été dissoutes 
			(40) 
			«British banks handled
vast sums of laundered Russian money», The
Guardian, 20 mars 2017.. 113 «sociétés écossaises en commandite simple», qualifiées de «système de confidentialité fait-maison du Royaume-Uni», ont également été impliquées dans le transfert de fonds 
			(41) 
			«Offshore
in the UK: Analysing the Use of Scottish Limited Partnerships in
Corruption and Money Laundering», Transparency International/Bellingcat,
juin 2017.. Les banques ayant leur siège au Royaume-Uni ont également participé au blanchiment de quelque 740 millions $US de la lessiveuse 
			(42) 
			«UK
authorities explore “Laundromat” money-laundering claims», Financial Times, 22 mars 2017.. En mars 2017, le ministre chargé de la réglementation des services bancaires et financiers a annoncé au Parlement que l’autorité de surveillance des pratiques des établissements financiers (la Financial Conduct Authority – et l’Agence nationale de lutte contre la criminalité (NCA) allaient enquêter sur les faits relatifs au système de blanchiment de la lessiveuse internationale 
			(43) 
			«UK to investigate
any UK banking involvement in “Laundromat” case», Reuters, 21 mars
2017.. Ces enquêtes sont toujours en cours. En revanche, il a été indiqué que la direction supérieure de l’Agence nationale de lutte contre la criminalité avait demandé au responsable de son unité Corruption internationale d’interrompre l’enquête ouverte sur le blanchiment de capitaux russes lié à l’affaire Magnitski; la NCA a nié que cette décision ait été dictée par une quelconque influence politique 
			(44) 
			«MPs
demand explanation for not investigating “Russian money laundering”», The Telegraph, 6 octobre 2018..
17. Une coopération internationale efficace entre les organismes nationaux d’enquête et de contrôle sera indispensable si l’on veut faire la lumière sur toutes les ramifications du système de blanchiment de la lessiveuse internationale et sanctionner les auteurs d’agissements criminels. En novembre 2014, les agents de la Agence nationale britannique de lutte contre la criminalité ont coopéré avec la police moldave pour tenter d’identifier les itinéraires empruntés par les capitaux blanchis et déterminer le rôle que des sociétés britanniques ont pu jouer. De leur côté, les autorités moldaves se sont plaintes du manque de coopération de la part des autorités russes, quand celles-ci ne faisaient pas obstacle à leur action: selon une déclaration publiée en mars 2017, «les actes de maltraitance et de harcèlement à l’encontre des fonctionnaires moldaves à leur entrée sur le territoire de la Fédération de Russie et l’application à ceux-ci de mécanismes de surveillance à l’échelle internationale se sont multipliés à mesure que l’enquête [sur la lessiveuse internationale] progressait». Les autorités moldaves seraient convaincues que ces actes de harcèlement ont été ordonnés par le ministère de l’Intérieur et le FSB, dont les agents «ont utilisé une partie des fonds blanchis pour servir les intérêts de l’État russe» 
			(45) 
			«Moldova
sees Russian plot to derail money-laundering probe», Reuters, 15
mars 2017..

3. La «lessiveuse azerbaïdjanaise»

3.1. Le fonctionnement de la «lessiveuse azerbaïdjanaise»

18. Le système de la «lessiveuse azerbaïdjanaise», qui a été révélé à la suite d’une fuite de documents bancaires, présente avec la lessiveuse internationale de nombreuses analogies, comme l’implication de personnes proches du cœur du pouvoir politique et le transfert de fonds par des sociétés-écrans. Il s’agissait de quatre sociétés principales enregistrées au Royaume-Uni, l’identité de leurs bénéficiaires effectifs étant tenue secrète: Hilux Services et Polux Management, sociétés écossaises en commandite simple (voir plus haut) sises en Écosse, et Metastar Invest LLP et LCM Alliance LLP, dont le siège était en Angleterre, ainsi que de nombreuses entités qui avaient leur siège dans des juridictions «offshore» (extraterritoriales). Au moins 33 des sociétés impliquées dans la lessiveuse internationale ont également joué un rôle dans la lessiveuse azerbaïdjanaise 
			(46) 
			«The Origin of the
Money», OCCRP, 4 septembre 2017.. La Trasta Komercbanka lettone, dont le rôle a été essentiel dans la lessiveuse internationale, a également pris part à la lessiveuse azerbaïdjanaise 
			(47) 
			«Massive Azerbaijan
“laundromat” scheme had a Latvian connection», LSM, 4 septembre
2017.. La principale banque étrangère impliquée dans ce système, la Danske Bank Estonie, avait également son siège dans un État balte; cette banque avait par ailleurs reçu près de 1,2 milliard $ US de la Trasta Komercbanka par l’intermédiaire de la lessiveuse internationale 
			(48) 
			La
Danske Bank Estonia est également soupçonnée d’implication dans
le blanchiment de capitaux auquel s’est livrée une société enregistrée
au Royaume-Uni, la Lantana Trade LLP, dont les propriétaires avaient
des liens avec différentes banques russes par la suite fermées,
parmi lesquelles la Promsperbank, qui avait notamment pour actionnaires
Igor Poutine et Alexandre Grigoriev (voir plus haut).. Là encore, l’existence de liens avec l’affaire Magnitski a été relevée: la Metastar Invest était contrôlée par deux sociétés sises au Belize qui contrôlaient également une société enregistrée au Royaume-Uni, Armut Services, laquelle aurait aidé à transférer hors de Russie les 230 millions $US de l’affaire Magnitski 
			(49) 
			«UK companies “linked
to Azerbaijan pipeline bribery scandal”», The
Observer, 31 décembre 2016.; ces fonds ont transité par la Danske Bank Estonie. À la différence de la lessiveuse internationale, la lessiveuse azerbaïdjanaise n’a toutefois pas eu recours à la corruption des juges ou au remboursement de dettes fictives pour masquer les transferts, qui ont représenté un montant de 2,9 milliards $US et ont donné lieu à plus de 16 000 opérations.
19. Sur ce total, 1,4 milliard $US provenaient d’un compte ouvert dans un établissement public, la Banque internationale de l’Azerbaïdjan (IBA), au nom de la Baktelekom MMC. Baktelekom a été créée par Rasim Asadov, fils d’un ancien ministre de l’Intérieur et partenaire commercial de membres de la famille de la femme du Président Aliev. L’IBA est également soupçonnée d’avoir accordé sciemment des prêts douteux pour un montant de plusieurs milliards de dollars à des sociétés-écrans sises à l’étranger, dont certaines sont impliquées dans la lessiveuse azerbaïdjanaise. Au début de 2017, cet établissement s’est déclaré en faillite au Royaume-Uni et aux États-Unis. Après l’IBA, les deux principaux contributeurs ont été des sociétés offshore «ayant des liens directs avec le régime azerbaïdjanais et impliquées dans une grave affaire de corruption à laquelle était mêlé [l’ancien membre de l’APCE Luca Volonte]», à savoir la Faberlex LP (sise en Écosse), qui a transféré plus de 169 millions $US, et la Jetfield Networks Ltd (sise en Nouvelle-Zélande), qui a transféré 105 millions $US. La société publique russe d’exportation d’armes Rosoboronexport, qui fournit des équipements militaires au Gouvernement azerbaïdjanais, a transféré plus de 29 millions $US vers la Metastar Invest 
			(50) 
			«The Origin of the
Money», OCCRP..
20. Comme dans le cas de la lessiveuse internationale, on a parfois fait appel à des membres de la population locale de condition modeste pour dissimuler l’identité des véritables bénéficiaires ayant le contrôle effectif des sociétés-écrans. Faberlex, Hilux et Polux «appartenaient» à un chauffeur au service d’une banque de Bakou, qui vivait au milieu de petits élevages de volaille dans la banlieue de cette ville. L’identité des autres personnes impliquées en dit peut-être plus long: les documents bancaires de la LCM Alliance désignent comme signataire Zamina Zamanova, sous-directrice de la Kapital Bank, qui appartient à la famille du Président Aliev. Les quatre sociétés-écrans de base étaient enregistrées au Royaume-Uni, mais les adresses indiquées pour leurs comptes à la Danske Bank se trouvaient toutes à Bakou.
21. Les fonds blanchis ont été versés à un large éventail de bénéficiaires, parmi lesquels des membres de la famille de plusieurs hauts fonctionnaires, comme Yaqoub Eyyoubov, premier Vice-Premier ministre de l’Azerbaïdjan (nommé directement par le Président) depuis 2003, exerçant des fonctions importantes dans l’industrie énergétique et les relations internationales, auquel le Président russe Poutine a décerné l’Ordre de l’amitié en 2016. Plus de 9 millions $US ont été transférés depuis la société Rosoboronexport, avec laquelle Eyyoubov avait négocié un contrat de vente d’armes, vers des comptes bancaires hongrois détenus par une société sise aux îles Vierges britanniques, Velasco International Inc., qui avait été créée par le cabinet juridique Mossack Fonseca et appartenait à l’un des fils d’Eyyoubov. Plus de 1,2 million $US  ont été reçus par l’AME Holdings S.R.O., sise en République tchèque, qui était contrôlée par une société sise aux îles Vierges britanniques, la Nettle Stone Investments Ltd; cette dernière société appartenait aux fils du chef adjoint de l’agence azerbaïdjanaise de lutte contre la corruption, Ali Naguiev, lesquels ont des intérêts économiques et financiers importants en République tchèque. La Metastar Invest a effectué des paiements mensuels d’un montant total de plus de 1,3 million $US aux filles de Fizouli Alakbarov, ministre du Travail et de la Protection sociale. Azer Gasimov, attaché de presse du Président Aliyev, a bénéficié de quatre versements d’un montant total de 130 400 $US, soi-disant pour financer un «voyage à but éducatif».
22. Le recours à des sociétés-écrans offshore par des personnes proches du pouvoir politique en Azerbaïdjan a également été mis en évidence dans les enquêtes sur l’affaire des «Panama Papers» en 2016 
			(51) 
			Voir le
rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et
du développement durable, «Enseignements à tirer de l’affaire des
‘Panama Papers’ pour assurer la justice sociale et fiscale», Doc. 14141.. Le fils et les deux filles du Président Aliev, ainsi que le fils du ministre des Finances, Fazil Mammadov, étaient les bénéficiaires effectifs de 80 % d’une fondation sise au Panama, gérée par la femme du Président (et à présent Vice-Présidente), Mehriban Alieva, et Mammadov, qui contrôlait une société sise au Panama dont les administrateurs en titre étaient fournis par le cabinet juridique panaméen Mossack Fonseca. Cette société possédait elle-même des parts sociales d’une société sise au Royaume-Uni qui détenait 51 % de l’AtaHolding, l’un des plus grands conglomérats d’Azerbaïdjan, d’une valeur de 490 millions $US en 2014, lequel avait des intérêts dans le secteur bancaire, les télécommunications, le bâtiment et le génie civil, l’industrie minière, et le secteur pétrolier et gazier du pays. Cette structure devait permettre de transférer de manière occulte les bénéfices de l’AtaHolding aux enfants du Président Aliev et de Mammadov. De plus, les filles du Président Aliev contrôlaient en partie trois sociétés panaméennes qui détenaient 56 % d’un consortium qui s’était vu accorder une concession minière de 30 ans en Azerbaïdjan 
			(52) 
			«How Family that Runs
Azerbaijan Built an Empire of Hidden Wealth», Consortium international
des journalistes d’investigation (ICIJ), 4 avril 2016. L’ICIJ a
ajouté cette mise en garde: «Si l’existence de ces sociétés occultes
ne fait aucun doute (…), on ignore si la structure destinée à profiter
aux filles adolescentes et au fils de six ans du Président Aliev (…)
a été ou non adoptée». On trouvera d’autres exemples dans les articles
«Offshore companies provide link between corporate mogul and Azerbaijan’s
president», ICIJ, 3 avril 2013, et «Offshores Close to President
Paid Nothing for State Share of Telecom», OCCRP, 27 mai 2015..

3.2. La situation dans des pays précis impliqués dans la lessiveuse azerbaïdjanaise

23. Les 2,9 milliards $US ont transité par les comptes des quatre principales sociétés-écrans ouverts à la Danske Bank Estonie. À la suite des révélations concernant la participation de cette banque au blanchiment de plus d’un milliard de dollars de fonds de la lessiveuse internationale, son PDG a déclaré que la banque n’avait découvert la situation que lorsque les transferts avaient pris fin; son juriste principal a réagi d’une façon similaire aux reportages relatifs à la lessiveuse azerbaïdjanaise. Un spécialiste danois du blanchiment de capitaux a indiqué que «la Danske Bank [avait enfreint] presque toutes les dispositions antiblanchiment possibles dans cette affaire»; le président de l’American Anti-Corruption Institute a déclaré qu’il n’aurait pas dû être possible que la Danske Bank ne remarque pas l’importance et la nature des opérations. Le cas de la Danske Bank et de son antenne estonienne est d’une telle importance que je l’aborderai séparément dans la partie 4 du présent rapport.
24. Comme indiqué plus haut, le Royaume-Uni a également été fortement impliqué dans la lessiveuse azerbaïdjanaise, puisque quatre sociétés-écrans enregistrées dans ce pays ont joué un rôle essentiel. Au total, plus de 20 sociétés écossaises en commandite simple ont effectué des transferts de fonds; l’une d’elles, la Westburn Enterprises, a également été impliquée dans le système de lessiveuse internationale 
			(53) 
			«Revealed: all the
Scottish shell firms in Azerbaijan Laundromat», The Herald, 8 septembre 2017.. Comme l’implication du Royaume-Uni dans ces deux systèmes a été si considérable, nous l’examinerons séparément dans la partie 6 plus loin.
25. En 2018, selon l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, l’Azerbaïdjan a obtenu la note de 25/100, soit 6 points de moins qu’en 2007 et 10 points de moins que la moyenne des pays d’Europe orientale et d’Asie centrale; il se classait au 152e rang sur 180 États analysés, ce qui représente un recul de 30 places par rapport à l’année précédente. Dans son rapport de 2014 sur l’Azerbaïdjan, MONEYVAL a, dans ses principales conclusions, relevé une série de défaillances 
			(54) 
			«Rapport de la quatrième
visite d’évaluation – Résumé», MONEYVAL, 10 décembre 2014., telles que la limitation excessive du périmètre des infractions pénales; la non-extension aux personnes morales de la responsabilité pénale en matière de blanchiment de capitaux; l’incrimination inopérante du blanchiment de capitaux, du fait de la rareté des condamnations et de l’absence de procédures engagées du seul chef d’accusation de blanchiment; la non-présentation de déclarations d’opérations suspectes par les entreprises et professions non financières désignées et la présentation d’une seule déclaration par un établissement financier non bancaire; le fait que les sanctions applicables aux infractions au régime de lutte contre le blanchiment de capitaux ne soient pas efficaces, proportionnées ni dissuasives, qu’elles aient rarement été appliquées en pratique et n’aient jamais concerné les cadres supérieurs; et l’absence d’obligation pour les autorités de l’État de recueillir ou de mettre à disposition des informations sur les bénéficiaires effectifs. En juin 2012, le Parlement azerbaïdjanais a voté la restriction de l’accès du public à l’information sur l’enregistrement, la structure de propriété et les actionnaires des sociétés azerbaïdjanaises et a accordé au Président Aliev et à sa femme l’immunité de poursuites à vie 
			(55) 
			«Azerbaijan:
Parliament Throws Veil of Secrecy over Business Sector», EurasiaNet,
13 juin 2012..
26. L’Assemblée a déjà examiné cette situation à titre provisoire. Dans sa Résolution 2185 (2017) «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?», elle a indiqué qu’elle était «gravement préoccupée par des rapports faisant état d’un lien entre le Gouvernement azerbaïdjanais et un système de blanchiment de capitaux à grande échelle, qui a fonctionné dans les années 2012 à 2014 et a notamment servi à influencer l’action de membres de l’Assemblée à l’égard de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan. L’Assemblée invite instamment les autorités azerbaïdjanaises à ouvrir sans tarder une enquête indépendante et impartiale sur ces allégations, et, en outre, à coopérer pleinement avec les autorités et les organes internationaux compétents sur cette question». Malheureusement, les autorités azerbaïdjanaises semblent n’avoir fourni aucun effort ni fait preuve de la moindre volonté politique pour donner suite à la demande de l’Assemblée. Examinons à présent plus en détail cette question.

3.3. La lessiveuse azerbaïdjanaise et les activités de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire

27. La lessiveuse azerbaïdjanaise a également servi à corrompre certains membres de l’Assemblée parlementaire, comme le montre le rapport du Groupe d’enquête indépendant concernant les allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire (GIAC). D’après les sources citées dans ce document, Luca Volontè, membre de la délégation italienne auprès de l’Assemblée (de 2008 à 2013) et ancien président du groupe politique PPE/DC de l’Assemblée, a reçu plus de 2 millions d’euros de diverses sources azerbaïdjanaises, notamment de deux membres de la délégation azerbaïdjanaise auprès de l’Assemblée 
			(56) 
			Voir
également l'article «Ein Korruptionsskandal mit Folgen», Der Tagesspiegel, 16 janvier 2018,
qui donne le chiffre plus précis de € 2,39 millions.. La plus grande partie de cette somme a été transférée, au travers de sociétés impliquées dans la lessiveuse azerbaïdjanaise, dont Metastar et Jetfield, par le biais de diverses banques, situées notamment en Lettonie et en Estonie, à la fondation «Novae Terrae» de M. Volontè et à la société LGV, constituée pendant cette période au nom de sa femme. Deux transferts effectués à LGV ont éveillé les soupçons de la banque destinataire et ont finalement conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire sur M. Volontè pour corruption et blanchiment de capitaux. Dans les courriers électroniques qu’il a échangés à cette époque avec Elkhan Suleymanov, membre de la délégation azerbaïdjanaise, M. Volontè a clairement indiqué qu’il comptait être récompensé du tristement célèbre rejet, par l’Assemblée, du «rapport Strässer» consacré aux prisonniers politiques en Azerbaïdjan, auquel il est censé avoir pris une part considérable; M. Suleymanov lui répondait par l’affirmative. Dans un message antérieur, M. Volontè avait précisé à Muslum Mammadov, autre membre de la délégation azerbaïdjanaise, que ses désirs étaient des ordres.
28. Eduard Lintner (membre de la délégation allemande, 1999-2010; ancien président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et de la commission de suivi) a également été le bénéficiaire d’importantes sommes d’argent remises par l’intermédiaire de la lessiveuse azerbaïdjanaise. En 2009, M. Lintner a créé l’Association pour la promotion des relations germano-azerbaïdjanaises (GEFDAB). En 2013, la GEFDAB a organisé une mission d’observation qui a rendu une appréciation très positive des élections présidentielles azerbaïdjanaises, alors même que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait constaté de nombreuses et graves défaillances. De 2012 à 2014, M. Lintner aurait reçu au total € 819 500 de l’Azerbaïdjan, via les sociétés Polux, Metastar et Hilux de la lessiveuse azerbaïdjanaise; les documents remis au GIAC par les procureurs italiens chargés du dossier Volontè montrent que des virements d’un montant de € 799 500 ont été effectués sur les comptes personnels de M. Lintner par les sociétés Hilux, Jetfield et Metastar. Mentionnons également M. Zmago Jelinčič Plemeniti (membre de la délégation slovène, 2009-2012), président du Parti national slovène, qui a reçu en juillet 2012 € 25 000 de sociétés britanniques impliquées dans la lessiveuse azerbaïdjanaise. M. Jelinčič Plemeniti avait agi en qualité d’observateur de trois élections azerbaïdjanaises, en 2005, 2010 et 2013, pour lesquelles il avait rendu une appréciation positive.
29. M. Lintner a également transféré des sommes provenant d’Azerbaïdjan à d’autres membres de l’Assemblée qui ont pris part à des activités relatives à l’Azerbaïdjan. Karin Strenz (membre de la délégation allemande 2010-2018) a par exemple reçu de l’argent de la société Line-M, constituée par M. Lintner soi-disant dans le seul but de transférer les sommes provenant d’Azerbaïdjan à des fins de lobbying en Allemagne, en rémunération de «services de consultant». Mme Strenz a pris part au suivi des élections azerbaïdjanaises de 2010 organisé par M. Lintner. Le rapport du GIAC comporte également des précisions sur son comportement suspect lors de l’observation par l’Assemblée des élections législatives azerbaïdjanaises de 2015. Deux membres de la délégation belge auprès de l’Assemblée, Alain Destexhe (2014-2017, ancien président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et rapporteur pour celle-ci sur l’Azerbaïdjan) et Stef Goris (membre de l’Assemblée en 1999-2007), ont fondé l’Académie européenne de l’observation des élections (EAEO), qui a bénéficié du financement de l’une des organisations de M. Lintner financées par l’Azerbaïdjan. Le rapport du GIAC fait remarquer que l’EAEO a évalué positivement les élections azerbaïdjanaises qu’elle a observées, alors même que celles-ci ont été généralement critiquées par la communauté internationale. La mission confiée à l’EAEO à l’occasion du référendum constitutionnel azerbaïdjanais en 2016 se composait par exemple de membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (dont Thierry Mariani de la délégation française (2012-2017), ancien président de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée), en dépit de l’existence parallèle d’une mission d’observation officielle de l’Assemblée 
			(57) 
			Le chef de ce groupe
de l’EAEO était M. Angelo Farrugia, président du Parlement maltais.
Rappelons à ce propos que l'Azerbaïdjan est fortement soupçonné
d'avoir procédé à la corruption du Gouvernement maltais et à un
blanchiment de capitaux par l'intermédiaire de banques maltaises:
voir la note introductive de M. Pieter Omtzigt «L’assassinat de Mme Daphne
Caruana Galizia et l’État de droit, à Malte et ailleurs: veiller
à ce que toute la lumière soit faite», document AS/Jur (2018) 30..
30. Le 18 janvier 2019, le Parlement allemand a conclu que Mme Strenz avait enfreint les dispositions du règlement du Bundestag relatives à la déclaration des sources de revenus externes en ne déclarant pas les sommes et les cadeaux remis par des lobbyistes azerbaïdjanais. Elle encourt une amende maximale de € 60 000. «Espérons que les responsables politiques de (…) Belgique et les autres parlements touchés par ce scandale suivront rapidement l’exemple du Bundestag», a déclaré Human Rights Watch dans une déclaration qui se félicitait de cette décision. Mais, à ma connaissance, aucun autre membre de l’Assemblée n’a encore fait l’objet de la moindre forme de sanction de la part de ses autorités nationales.
31. Bien que le parti Ecolo ait appelé le Sénat belge à conclure que M. Destexhe avait enfreint son code de déontologie 
			(58) 
			«Azerigate – Ecolo
demande au Sénat de constater qu’Alain Destexhe a enfreint son code
de déontologie», Agence Belga, 4 mai 2018., les dirigeants du Sénat, qui auraient examiné le cas de M. Destexhe à huis clos, ont décidé de ne prendre aucune mesure 
			(59) 
			«Destexhe – Azerbaïdjan:
le Sénat a fermé les yeux», Le Vif/L’Express,
17 janvier 2019.. Cette décision semble reposer sur le fait qu’en 2017 un procureur belge avait ouvert une enquête judiciaire à l’encontre de M. Destexhe au sujet du financement de l’EAEO et que cette procédure avait prétendument posé problème au regard de la séparation des pouvoirs. Cet argument ne me paraît guère convaincant. Je n’ai pas connaissance des progrès ultérieurs de l’enquête judiciaire, mais si ceux-ci s’avéraient peu concluants, le Sénat belge n’aurait plus aucune excuse pour ne pas agir.
32. Les procureurs italiens chargés du cas de M. Volontè ont approfondi leurs investigations sur le blanchiment de capitaux azerbaïdjanais, en examinant attentivement le rôle joué par la Danske Bank Estonie et quatre sociétés sises au Royaume-Uni. Ils ont adressé des commissions rogatoires aux autorités danoises, estoniennes, lettonnes et britanniques pour leur demander des informations supplémentaires. Les médias italiens supputent que ces enquêtes pourraient s’étendre à Malte, puisque Hilux aurait eu un compte à la Pilatus Bank, où sont également titulaires de comptes de nombreuses «personnalités politiques exposées» (PPE) azerbaïdjanaises, c’est-à-dire des individus dont le profil impose particulièrement de procéder à des vérifications anti-blanchiment. Rappelons que la Pilatus Bank était au cœur des reportages d’investigation de Daphne Caruana Galizia avant son assassinat en novembre 2017 
			(60) 
			«Danske Bank, anche
i pm di Milano indagano sul fiume di denaro da Baku» et «Danske
Bank, i pm di Milano indagano anche in Estonia, Lettonia e Gran
Bretagna», Il Sole 24 Ore, 2 et 21 janvier 2019..
33. En octobre 2018, Transparency International, constatant que l’Assemblée avait appelé les autorités nationales à donner suite au rapport du GIAC 
			(61) 
			La Résolution 2216 (2018) «Suivi du rapport du Groupe d’enquête indépendant sur
les allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire»
a appelé les parlements et les gouvernements nationaux «à examiner
le rapport du groupe d’enquête et à prendre les mesures qui s’imposent
à l’égard des cas mentionnés, qui méritent toute leur attention»., qui «présentait suffisamment d’éléments de preuve pour que 18 pays européens ouvrent leurs propres enquêtes sur les activités de corruption», «a cherché à déterminer quel pays concerné avait entrepris une action judiciaire. Les services répressifs de 12 pays européens n’ont donné aucune suite officielle, tandis que des enquêtes sont en cours dans les quatre autres. Un pays, l’Italie, a engagé une procédure devant la justice pénale sous le chef d’accusation de corruption. Deux autres pays, l’Azerbaïdjan et la Hongrie, ont refusé d’ouvrir une enquête» 
			(62) 
			«The
Azerbaijani Laundromat One Year On: Has Justice Been Served?», Transparency
International, 1er octobre 2018.. Cette situation est extrêmement décevante, surtout si l’on considère la demande distincte faite directement par l’Assemblée à l’Azerbaïdjan dans sa Résolution 2185 (voir plus haut). J’espère que l’Assemblée continuera à exercer des pressions pour que les États donnent suite à ses demandes.

4. La Danske Bank Estonie

34. Bien qu’elle soit loin d’être la seule banque ou institution financière concernée par les systèmes de lessiveuse, la Danske Bank Estonie mérite une attention particulière, car elle illustre les défaillances aiguës et prolongées de la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. La Danske Bank, fondée en 1871, est la plus importante banque du Danemark. En 2006, elle a fait l’acquisition de la banque finlandaise Sampo Bank, ainsi que de ses activités en Estonie, qui est devenue la Danske Bank Estonie. Une bonne part des clients de la Sampo Bank ne résidaient pas en Estonie, mais étaient surtout des ressortissants russes et des autres anciennes républiques soviétiques, notamment l’Ukraine et l’Azerbaïdjan. Les premières préoccupations sont apparues dès 2007, au moment où l’autorité estonienne de surveillance financière a publié un rapport d’inspection critique et la Banque centrale russe a averti l’autorité danoise de surveillance financière que les clients de la Sampo Bank «participaient constamment à des transactions financières d’origine douteuse». Pourtant, en 2008, la Danske Bank a décidé de ne pas transférer ses activités bancaires baltes vers la plate-forme informatique du groupe; cela signifie que la filiale estonienne du groupe n’appliquait pas la procédure générale et les contrôles de la lutte contre le blanchiment et que le siège du groupe avait moins connaissance de ses activités, problème d’ailleurs aggravé par le fait que de nombreux documents de la filiale estonienne étaient rédigés en estonien ou en russe. En 2010, Danske Bank a même envisagé d’accroître ses activités auprès de ses clients non-résidents en Estonie, le Conseil de direction n’étant pas «gêné par le montant considérable des dépôts russes». M. Wilkinson a qualifié la filiale estonienne de «banque dont les services proposés aux clients résidents n’étaient pas rentables, mais dissimulaient des activités extrêmement rentables auprès des clients non-résidents». En 2011, la filiale a réalisé 11 % des bénéfices de Danske Bank, alors qu’elle ne détenait que 0,5 % des actifs du groupe; entre 2012 et 2014, plus de 90 % des bénéfices de la filiale provenaient de ses clients non-résidents. De janvier à novembre 2013, le siège social de Danske Bank était même dépourvu d’un agent chargé de la lutte contre le blanchiment, ce qui était contraire à la réglementation en la matière. Cette même année, une banque correspondante de Danske Bank, JPMorgan, a été si préoccupée par les risques de blanchiment de capitaux qu’elle a cessé d’autoriser les transactions en dollars de Danske Bank Estonie. Lorsqu’au même moment le nouvel administrateur de Danske Bank pour l’Estonie a laissé entendre que les activités menées par la filiale avec les clients non-résidents devaient être «réexaminées et éventuellement diminuées», le chef des opérations bancaires internationales du groupe, Thomas Borgen, a répondu qu’il «fallait trouver un juste milieu». Quelques mois plus tard, cette même année, un lanceur d’alerte – qui s'est par la suite révélé être M. Wilkinson, auditionné par notre commission – a remis en interne un rapport intitulé «Déclaration d’un lanceur d’alerte: les rapports sciemment entretenus par la filiale estonienne avec des clients délinquants». Il a diffusé auprès de diverses structures de direction et de contrôle ce rapport, qui a été suivi début 2014 par d’autres rapports consacrés à des «irrégularités similaires». Ce lanceur d’alerte a notamment informé la direction de Danske Bank que la filiale estonienne n’avait découvert que tardivement la présence, parmi ses clients, d’une société à responsabilité limitée sise au Royaume-Uni liée à la famille Poutine et au FSB russe. Au cours de cette période, le groupe a eu de plus en plus conscience de l’insuffisance des procédures appliquées pour lutter contre le blanchiment de capitaux et un audit interne a conclu qu’il était «impossible d’identifier la véritable origine des fonds ou leurs bénéficiaires effectifs». Cette situation a conduit certaines personnes au sein de la Danske Bank à proposer de se retirer des «activités offshore». En 2015, l’autorité estonienne de surveillance financière et les banques correspondantes ont fait état de nouvelles préoccupations, ce qui a conduit la Danske Bank à commencer à fermer les comptes de clients non-résidents ouverts auprès de la filiale estonienne, processus qui s’est achevé début 2016. M. Borgen, qui était à l’époque le directeur exécutif du groupe, était opposé à cette décision, jugeant «déraisonnable d’accélérer une stratégie de sortie qui risquait d’avoir des conséquences considérables sur le prix des transactions».
35. En septembre 2018, un rapport spécialement commandé a révélé qu'entre 2007 et 2015, 200 milliards d’euros avaient transité par le portefeuille non-résidents de la Danske Bank Estonie, qui comptait environ 10 000 clients. La grande majorité des 6 200 clients examinés ont été jugés suspects et on s'attend à ce qu'une grande partie de leurs transactions, voire dans certains cas la totalité d'entre elles, soient suspectes. Quarante-deux employés et agents de la filiale sont considérés comme ayant été mêlés à des activités suspectes; Danske Bank a signalé huit anciens employés à la police estonienne 
			(63) 
			«Report on the Non-Resident
Portfolio at Danske Bank’s Estonian branch», Bruun & Hjejle,
19 septembre 2018.. Lars Mørch, directeur des opérations de la Baltique, a démissionné en avril 2018; M. Borgen, directeur général, a démissionné en septembre 2018; enfin, en novembre, le président de la Danske Bank a été démis de ses fonctions par son actionnaire principal et le président du comité d'audit a démissionné. L’autorité danoise de surveillance financière a ordonné à deux reprises à Danske Bank de rehausser ses exigences de fonds propres en raison d'une augmentation substantielle du risque de non-conformité et de mauvaise réputation de la banque: de 5 milliards DKK à la suite du rapport de l’autorité de surveillance financière en mai 2018 et de 10 milliards DKK supplémentaires en octobre 2018, en raison du non-respect d’une mesure essentielle ordonnée par ce rapport du mois de mai. Dans son rapport annuel publié le 1er février 2019, la Danske Bank a annoncé qu'elle consacrerait 2 milliards DKK à l’amélioration de ses contrôles anti-blanchiment. La Danske Bank et son personnel ont clairement payé les conséquences du scandale survenu dans la succursale estonienne: reste à savoir si le prix payé est suffisamment élevé, mais c’est une autre affaire; certes, il est trop tard pour prévenir le grave préjudice causé par cette situation.
36. Le fait que le blanchiment de capitaux réalisé par l'intermédiaire de Danske Bank Estonie se soit poursuivi en dépit des préoccupations exprimées par plusieurs autorités nationales de surveillance illustre la faiblesse du système général de lutte contre le blanchiment. Comme nous l’avons indiqué plus haut, en 2007, l’autorité estonienne de surveillance financière a publié un rapport critique et la Banque centrale russe a fait part de ses préoccupations à l’autorité danoise de surveillance financière. Un deuxième rapport publié par l’autorité estonienne de surveillance financière en 2009 a été moins sévère, mais une inspection effectuée sur place à la mi-2014 a révélé l’existence de violations systémiques à grande échelle et depuis longtemps du système de lutte contre le blanchiment de capitaux et a conduit l’autorité de surveillance financière à ordonner à la banque de remédier aux violations constatées et de mettre ses activités en conformité avec les dispositions essentielles de la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment. Entre 2015 et 2018, l’autorité danoise de surveillance financière a effectué trois autres inspections de lutte contre le blanchiment de capitaux, mais à cette époque le mal était déjà fait.
37. Un rapport d'évaluation mutuelle d’août 2017 du GAFI a révélé que le Danemark n'avait qu'un «niveau de compréhension modéré de ses risques de blanchiment de capitaux». Il a tout particulièrement constaté l’existence de problèmes posés par l'évaluation nationale des risques, l'absence de stratégie ou de politique nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux, l'absence de coordination des objectifs et des activités des différentes autorités compétentes, le fonctionnement inefficace de la cellule de renseignement financier, faute d’effectifs suffisants et d'autonomie opérationnelle, la compréhension insuffisante des risques et la faible application des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux dans la quasi-totalité du secteur financier, ainsi que l'application de peines pénales légères dans la pratique, ce qui limite le caractère dissuasif des peines plus lourdes théoriquement prévues. Le Danemark ne s’était conformé que partiellement à 19 des 40 recommandations du GAFI. Il ne s’agit là que de quelques-unes des principales conclusions, mais la lecture plus détaillée du rapport est encore plus alarmante.
38. Le 28 novembre 2018, le ministère public danois chargé de la grande criminalité économique et internationale a provisoirement inculpé la banque de quatre infractions à la législation danoise contre le blanchiment de capitaux. Plusieurs autres pays ont également engagé des poursuites pénales à l'encontre de la Danske Bank. En octobre 2018, la banque a annoncé qu'elle «dialoguait avec les autorités américaines» et qu'elle avait reçu des demandes d'information du Département américain de la Justice dans le cadre d'une enquête judiciaire sur sa succursale estonienne. En janvier 2019, Danske Bank a reçu une convocation du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour discuter de l'enquête en cours, qui indiquait que le juge envisageait d’ouvrir une enquête officielle à son sujet. Toujours en janvier dernier, un fonds de pension a intenté une action au civil contre Danske Bank devant un tribunal de New York; il l’accusait de gonfler artificiellement le cours de ses actions en dissimulant des activités de blanchiment de capitaux dans sa filiale estonienne sans y mettre un terme.

5. Les points faibles communs aux régimes nationaux de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux

39. Dans son examen plus général des régimes nationaux de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux, Transparency International souligne l'inadéquation des cadres juridiques nationaux et la mauvaise application de la législation. À l’occasion de l’enquête qu’il a menée au sujet de 23 pays du G20 et pays invités, Transparency International a constaté que 11 d'entre eux disposaient d'un cadre juridique insuffisant ou de qualité moyenne pour identifier la propriété effective des entreprises et des sociétés fiduciaires. Quinze pays se sont appuyés sur les informations relatives à la propriété effective recueillies par les institutions financières et d'autres professionnels soumis à obligation (avocats, comptables, etc.), malgré les faits constatés de négligence et de complicité dans des affaires comme celles de Mossack Fonseca et Danske Bank. C'est la raison pour laquelle Transparency International demande depuis longtemps la création de registres publics centraux de la propriété effective et se félicite de la récente 5e Directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (Directive (EU) 2018/843, «Directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux»), ainsi que de l'obligation faite aux territoires britanniques d'outre-mer d'établir des registres publics de la propriété effective, ce qui établit une nouvelle norme, tout en soulignant que les autres pays doivent faire de même pour éviter que les blanchisseurs de capitaux ne se contentent de se tourner vers d'autres pays. TI a mis en lumière un autre problème: l’application de la lutte contre le blanchiment de capitaux à partir d’une évaluation des risques. Bien qu’elle soit essentielle à une allocation efficace des ressources, l’évaluation des risques doit être entreprise de manière satisfaisante.
40. Les recommandations formulées par TI pour remédier à cette situation et à d’autres problèmes comportent une approche stratégique de l’action des organes de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ceux-ci devraient faire un meilleur usage de la technologie pour recouper les informations, rechercher des modèles et orienter les inspections sur le terrain, ce qui permettrait une utilisation plus efficace des informations détaillées sur les transactions, notamment sur la concentration de la propriété des banques, la part des non-résidents parmi la clientèle, la part des dépôts en devises étrangères – les entités surveillées devant partager tous ces éléments avec les organes de surveillance. Il importe que les entités surveillées améliorent la qualité et la quantité de leurs déclarations d'opérations douteuses et maintiennent une piste d’audit claire de l’évaluation des risques que représentent leurs clients. Elles devraient également communiquer rapidement toute preuve d'acte répréhensible aux services répressifs. Les entités surveillées et leurs cadres dirigeants et cadres supérieurs devraient faire l'objet de sanctions proportionnées et dissuasives en cas de non-respect des exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.
41. L'affaire Danske Bank a également révélé les incertitudes qui accompagnent la répartition des compétences entre les autorités nationales de surveillance lorsqu’il est question de banques multinationales. Le 29 janvier 2019, l’autorité danoise de surveillance financière a publié une déclaration dans laquelle elle indiquait que, «en sa qualité d’autorité de surveillance du pays d'accueil, l'autorité de surveillance estonienne (EFSA) a été et reste compétente en matière de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux de la filiale estonienne. Cette situation découle de la législation de l'UE, et cette répartition des compétences a également été appliquée dans la pratique (...). L’autorité danoise de surveillance financière a coordonné la surveillance générale de la Danske Bank, y compris dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux» 
			(64) 
			«Statement on supervision
of Danske Bank as regards the Estonian case», 29 janvier 2019.. Le lendemain, l’autorité estonienne de surveillance financière a fait la déclaration suivante: «Nous nous félicitons de ce que nos collègues danois aient à présent clairement indiqué que [l’autorité estonienne de surveillance financière] devait prendre résolument la tête de la surveillance de la Danske Bank en Estonie, car nous attendions cette précision de l’autorité danoise de surveillance financière depuis plusieurs années (…). L'autorité danoise de surveillance financière était et reste compétente en matière de surveillance de la gouvernance de Danske Bank, y compris de ses filiales. [L’autorité estonienne de surveillance financière] se tient prête à assurer la surveillance de la Danske Bank dans son ensemble 
			(65) 
			«Response to the Report
on the Danish FSA’s supervision of Danske Bank», 30 janvier 2019..» Plus tard dans la journée, l’autorité danoise a répondu que «cette répartition des compétences figurait également dans la déclaration conjointe publiée par l’autorité danoise et [l’autorité estonienne] le 28 mai 2018 (...). La répartition des compétences qui y est décrite a également été suivie dans la pratique (...). [L’autorité estonienne de surveillance financière] avait le pouvoir de mettre un terme aux infractions lorsqu’elle en a eu connaissance à l’occasion des inspections réalisées en 2014». J’ignore ce qui se cache derrière ces échanges et je suis incapable de dire quelle déclaration est la plus conforme à la réalité, mais l’existence même de cette incertitude est extrêmement préoccupante. Si des éclaircissements s’avèrent indispensables, il importe d’y procéder de toute urgence.
42. Mme Ismayilova a rappelé à la commission l'importance de l’existence de solides mécanismes indépendants hors du cadre immédiat de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Soulignant la corruption importante qui règne tout au long de la chaîne du blanchiment de capitaux – ce que M. Thelesklaf a également mentionné – Mme Ismayilova a appelé au renforcement des mécanismes anti-corruption, notamment en Russie et en Azerbaïdjan, au moyen non seulement des autorités nationales, mais aussi des médias indépendants et des organes de la société civile. La corruption pourrait également être évitée en obligeant certaines personnes, comme les agents publics, les candidats à la présidence et les parlementaires, à rendre publiques leurs déclarations de patrimoine et de revenus.
43. La possibilité de lancer l’alerte et la protection des lanceurs d’alerte représentent d’autres points faibles. M. Wilkinson a déclaré qu'il n'avait pu identifier aucune procédure prévue pour lancer l’alerte au sein de la Danske Bank et que ni lui ni d'autres membres de son équipe n’avaient été informés de l'existence de procédures internes pour signaler des soupçons de blanchiment de capitaux. L'avocat de M. Wilkinson, M. Kohn, fait valoir que la protection européenne des lanceurs d’alerte devrait imiter celle des États-Unis, où l'on considère qu'un employeur fait obstruction à la justice lorsqu'il menace de poursuivre en justice un employé qui révèle un acte pénalement répréhensible. À cet égard, je voudrais rappeler les travaux antérieurs de l'Assemblée sur les lanceurs d’alerte, notamment sa Résolution 1729 (2010) sur la protection des «donneurs d’alerte»», et les activités actuelles du rapporteur de notre commission, M. Sylvain Waserman. J’encourage M. Waserman à tenir compte de l’expérience de M. Wilkinson et de la recommandation de M. Kohn lors de l’élaboration de son rapport.
44. Il convient de noter que nombre des recommandations mentionnées ci-dessus transparaissent dans la position exprimée par l’autorité danoise de surveillance financière en janvier 2019, qui demandait aux banques d’améliorer leur ligne de défense et d’en renforcer l’efficacité, et proposait de prévoir une obligation d'information et de responsabilité pénale, ainsi qu'une meilleure protection des lanceurs d’alerte, d’assortir le refus des cadres dirigeants et cadres supérieurs de reconnaître leur responsabilité de conséquences plus graves et de mettre en place une surveillance européenne d’excellente qualité du blanchiment de capitaux (voir plus loin la partie 7) 
			(66) 
			«Statement on supervision
of Danske Bank as regards the Estonian case», 29 janvier 2019..

6. La situation au Royaume-Uni et dans ses territoires d’outre-mer

45. Le Royaume-Uni a joué un rôle de premier plan dans les deux systèmes de lessiveuse, en grande partie grâce au recours à des sociétés fictives implantées dans ses territoires d'outre-mer ou sous la forme de divers types de sociétés en commandite simple, établies au Royaume-Uni même. L’Agence nationale de lutte contre la criminalité (NCA) estime que «plusieurs centaines de milliards de livres sterling» sont blanchis par les banques britanniques chaque année 
			(67) 
			«London’s
financial flows are polluted by laundered money», The Economist, 11 octobre 2018.. Transparency International a constaté que 766 sociétés enregistrées au Royaume-Uni, créées par des prestataires de services fiduciaires et de services aux entreprises, avaient été directement impliquées dans 52 affaires de corruption et de blanchiment d'argent d'une valeur de £ 80 milliards 
			(68) 
			«Hiding
in Plain Sight: How UK Companies are Used to Launder Corrupt Wealth»,
novembre 2017.. Global Witness a calculé qu'entre 2008 et 2018, les sommes qui ont afflué de la Russie vers les territoires d'outre-mer du Royaume-Uni ont été plus de sept fois plus importantes que celles qui sont passées de la Russie vers le Royaume-Uni proprement dit: 68 milliards de livres au total, dont 34 milliards investis en 2018; les îles Vierges britanniques sont à elles seules la deuxième destination la plus prisée des fonds russes, après Chypre. En plus d'être impliquées dans les systèmes de lessiveuse internationale et azerbaïdjanaise, les sociétés établies dans les territoires d’outre-mer ont pris part au blanchiment de capitaux auquel ont participé les membres du crime organisé russe, notamment des trafiquants d'armes, de drogues et d'êtres humains, ainsi qu’un homme d'affaires lié au programme d'armes chimiques et biologiques de la Syrie 
			(69) 
			«Missing the Bigger
Picture? Russian Money and the UK’s Tax Havens», avril 2018. Il
convient de noter que tous ces transferts ne représentent pas nécessairement
un blanchiment illégal de capitaux. Global Witness recommande que
les territoires d'outre-mer soient tenus de mettre en place des
registres publics de propriété effective – voir plus loin..
46. Lors de ma visite à Londres, le Centre commun d’analyse financière (Joint Financial Analysis Centre – JFAC) a présenté son analyse des «caractéristiques générales des systèmes de lessiveuse»: le blanchiment d'argent par le commerce est fréquent; les sociétés-écrans britanniques y sont très présentes, généralement sous forme de sociétés à responsabilité limitée (voir ci-dessus); les sociétés-écrans sont presque toujours mises sur pied par des prestataires de services aux sociétés et fiducies; de gros volumes de fonds sont transférés par plusieurs sociétés-écrans; les infractions principales sont souvent mal définies; des réseaux sont utilisés par divers criminels et les liens qui existent entre eux sont inconnus; enfin, les systèmes de blanchiment sont répartis entre plusieurs pays.
47. Ces caractéristiques permettent de comprendre les points de vulnerabilité du Royaume-Uni. Le JFAC a fait preuve d’une franchise admirable à ce sujet, en les décrivant comme suit, les trois premiers éléments se rapportant davantage aux compétences des autorités réglementaires, tandis que les trois autres concernent les activités des entités réglementées:
  • le droit britannique permet à des personnes morales établies n’importe où dans le monde de détenir des sociétés à responsabilité limitée;
  • le registre britannique des «personnes exerçant un contrôle significatif» (PCS), destiné à identifier les bénéficiaires effectifs finaux, «est inefficace»: plus précisément, les sociétés peuvent légalement déclarer ne pas avoir de PCS si aucune entité ne détient à elle seule plus de 25% des parts de la société, ce qui est facile à organiser en amont;
  • le Registre des sociétés (qui procède à la constitution et à la dissolution des sociétés et tient un registre public d'informations sur les sociétés) dispose de ressources très limitées pour enquêter sur les sociétés enregistrées frauduleusement ou engager des poursuites à leur encontre: de fait, il se considère uniquement comme un registre et non comme un organisme de contrôle de conformité ou destiné à faire respecter la loi;
  • la plupart des processus de lutte contre le blanchiment de capitaux mis en place par les banques pour «connaître leurs clients» ne posent pas suffisamment de questions sur les raisons pour lesquelles une société britannique utilise un compte bancaire étranger et ne vérifient pas davantage la réponse obtenue;
  • les prestataires de services aux sociétés et fiducies fournissent des structures d'entreprise à l'échelle industrielle, en vendant des entreprises prêtes à l'emploi;
  • les prestataires de services aux sociétés et fiducies se contentent bien souvent des vérifications effectuées dans le cadre de la lutte contre le blanchiment dans les autres pays européens et procèdent eux-mêmes à des vérifications supplémentaires limitées, voire ne procèdent à aucune autre vérification.
48. D'autres commentateurs ont identifié des problèmes supplémentaires. L’un d’eux est le manque de ressources: le budget de l’Agence de lutte contre la criminalité diminuera de £ 10 millions en 2018-2019 et elle dispose d’un nombre bien inférieur d’enquêteurs qualifiés que, par exemple, les États-Unis ou l'Italie; ceux qu'elle emploie sont moins bien payés et souvent débauchés par le secteur privé. Les activités de lutte contre le blanchiment de capitaux sont fragmentées entre plusieurs instances et bien souvent exercées non seulement par l’Agence de lutte contre la criminalité, mais aussi par le Service de répression des activités frauduleuses graves, la police municipale de Londres, le Service des impôts et des douanes et d'autres encore. Le nouveau Centre national de lutte contre la criminalité économique créé au sein de l’Agence de lutte contre la criminalité est censé traiter les affaires importantes et coordonner le travail d'autres services, mais il ne disposera que d'un budget de £ 4 à 5 millions en 2018-2019 et dépendra du personnel et des ressources des organismes existants 
			(70) 
			«Britain’s
war on dirty money lacks oomph», The
Economist, 11 octobre 2018..
49. En 2016, à la suite du sommet du G8 de 2013 en Écosse et du sommet anti-corruption de 2016 à Londres, le Royaume-Uni a mis en place un registre des «personnes exerçant un contrôle significatif» (PCS), l'un des premiers registres publics des bénéficiaires effectifs des entreprises 
			(71) 
			«Learning
the lessons from the UK’s public beneficial ownership register»,
Open Ownership/Global Witness, octobre 2017. La 4e Directive
de l’Union européenne sur la lutte contre le blanchiment de capitaux,
qui est entrée en vigueur le 26 juin 2017, fixe également des exigences
de transparence au sujet de la propriété effective des sociétés;
une 5e directive a été mise en place
depuis.. L'efficacité de ce registre a toutefois été critiquée, notamment comme moyen de régulation des sociétés écossaises en commandite simple: une étude a en effet démontré que seules 30 % d’entre elles avaient déclaré une PCS 
			(72) 
			«How the British Government’s
Attempts to Fight Corruption and Money Laundering are Already Failing»,
Bellingcat, 14 novembre 2017..
50. En décembre 2018, le Gouvernement du Royaume-Uni a annoncé une série de propositions sur la réglementation des sociétés en commandite simple, y compris les sociétés écossaises en commandite simple. À l’avenir, seuls les professionnels inscrits auprès d'un organisme de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux pourront créer des sociétés en commandite simple. Les demandes de création de sociétés en commandite simple provenant de l'étranger pourraient être limitées aux pays de l'Espace économique européen. Les sociétés en commandite simple devront confirmer annuellement certains renseignements clés, notamment sur les personnes qui exercent un contrôle significatif. En outre, le Registre des sociétés aura le pouvoir de radier les sociétés en commandite simple qui ont cessé leurs activités, ce qui simplifiera le travail de réglementation et d'enquête 
			(73) 
			«Limited
Partnerships: Reform of Limited Partnership Law», Department for
Business, Energy, and Industrial Strategy, décembre 2018.. Le gouvernement s'est également engagé à revoir le rôle joué par le Registre des sociétés dans la protection contre les abus des entreprises enregistrées au Royaume-Uni.
51. Ces mesures, dont l'entrée en vigueur passera par l'adoption d'une loi, pourraient permettre de remédier à certains des points faibles décrits par le JFAC (voir ci-dessus). Leur impact sera toutefois limité, dans la mesure où elles ne concernent pas les sociétés à responsabilité limitée ou les sociétés en commandite par actions. Une analyse du Royal United Services Institute indique que les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés en commandite par actions «ne présentent pas moins de risques de blanchiment de capitaux (...). Il semble toutefois que les réformes proposées privilégient de manière trop étroite la lutte contre l'utilisation apparemment abusive des sociétés écossaises en commandite simple». L'analyse du l’Institut admet que «la modification des exigences d'inscription des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés en commandite par actions présente plus de difficultés que leur modification pour les sociétés en commandite simple, mais en renonçant à la possibilité d'examiner la question, le gouvernement risque d’être accusé de rechercher une solution de facilité, plutôt que la solution la plus indispensable. En somme, au lieu de se réjouir des réformes récemment dévoilées, ceux qui souhaitent que le Royaume-Uni réussisse dans sa lutte contre le blanchiment de capitaux feraient bien d'en demander davantage au gouvernement dans les années à venir». Compte tenu du rôle joué par les sociétés en commandite par actions britanniques dans les systèmes de lessiveuse, je partage l’idée qu’il importe de rendre leur propriété effective totalement transparente.
52. La mise en place, par la loi relative aux activités financières pénalement répréhensibles de 2017, des «ordonnances sur l’enrichissement illicite» représente un autre fait nouveau récent; cette mesure impose à une personne soupçonnée d'avoir participé à la commission d’une grave infraction d’expliquer comment elle se trouve propriétaire d’un bien précis lorsqu’on estime que ses revenus licites connus ne devraient pas suffire à lui permettre d’acquérir ce bien; les informations ainsi obtenues pourront être utilisées dans des procédures ultérieures, notamment pour le gel et la saisie des avoirs 
			(74) 
			Voir «Circular 003/2018:
unexplained wealth orders», Home Office du Royaume-Uni, 1er février
2018.. Les premières ordonnances pour enrichissement sans cause ont été rendues en octobre 2018 au sujet de biens d’une valeur de £ 22 millions détenus par Zamira Hajiyeva, épouse de l’ancien président de la Banque internationale d’Azerbaïdjan, qui a été placé en détention en 2016 pour détournement de fonds et d’autres infractions; elles ont ensuite servi à procéder à la saisie de bijoux d’une valeur de £ 400 000 
			(75) 
			«Jewels
linked to Azeri banker’s wife’s unexplained wealth seized», Financial Times, 2 novembre 2018..
53. L'article 51 de la loi britannique de 2018 relative aux sanctions et à la lutte contre le blanchiment de capitaux impose aux autorités des territoires britanniques d'outre-mer d'instaurer un registre accessible au public de la propriété effective des sociétés dans leur juridiction 
			(76) 
			Les
territoires britanniques d'outre-mer comprennent Anguilla, les Bermudes,
les Territoires antarctiques britanniques, le Territoire britannique
de l'océan Indien, les îles Caïmans, les îles Falkland, Gibraltar,
Montserrat, Pitcairn, Henderson, les îles Ducie et Oeno, Sainte-Hélène,
Ascension et Tristan da Cunha, Géorgie du Sud-et-les îles Sandwich du
Sud, les zones de souveraineté d’Akrotiri et Dhekelia, les îles
Turks et Caicos, les îles Vierges. 
			(76) 
			La loi n'est pas
applicable aux dépendances de la Couronne que sont Guernesey, Jersey
et l’île de Man, qui ont également été impliquées dans les activités
de blanchiment de capitaux, bien que l'ONG Tax Justice Network ait
laissé entendre que, «conscientes qu'il importe que leur modèle
d'activité conserve un accès total au marché de l'UE, [les dépendances
de la Couronne] sont susceptibles de se conformer aux normes de
la [loi de 2018]».. Les autorités des îles Caïmans, des Bermudes, des îles Vierges britanniques et de Gibraltar auraient réagi avec colère, affirmant que cette disposition porte atteinte à une autonomie établie de longue date et menace leurs importants secteurs financiers. Elles sont essentiellement préoccupées par le fait que l’existence d’un registre public pousserait les entreprises et les investisseurs à quitter leur secteur financier au profit de territoires dotés d’une «législation plus rigoureuse en matière de protection de la vie privée»; elles estiment en outre que leurs registres de bénéficiaires effectifs existants, accessibles aux services répressifs britanniques (mais non publics), étaient déjà suffisants 
			(77) 
			Voir
«UK beneficial ownership vote alarms Overseas Territories; financial
services vital for several islands», MercoPress,
4 juillet 2018.. En revanche, Global Witness a qualifié cette évolution «d’énorme victoire remportée dans la lutte contre la corruption, l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux. Les paradis fiscaux du Royaume-Uni ont fait l'objet d'innombrables affaires de corruption et de blanchiment de capitaux; le fait de mettre fin au secret qui entoure les entreprises portera un rude coup aux manœuvres des dictateurs corrompus, des fraudeurs du fisc et des membres du crime organisé» 
			(78) 
			«Global Witness Response
to the Government’s Acceptance of Public Ownership Registers for
UK Overseas Territories», 1er mai 2018.. J’ai tendance à partager le point de vue de Global Witness et à me féliciter de la loi de 2018.
54. La loi de 2018 transpose les normes de la 5e directive de l’Union européenne sur la lutte contre le blanchiment de capitaux (voir plus loin) en droit interne et continuera à faire partie de la législation nationale du Royaume-Uni après le Brexit. Le fait de quitter l’Union européenne entraîne néanmoins une inévitable incertitude au sujet de la future réglementation de la lutte contre le blanchiment de capitaux au Royaume-Uni, qui demeurera un important centre international de services financiers, de services juridiques et de services aux entreprises. L’ONG Tax Justice Network estime que «dans ce domaine au moins, le Royaume-Uni ne poursuivra pas après le Brexit une course aux exigences les moins contraignantes en matière de secret des activités financières. Cette décision [de transposer la 5e directive de l’Union européenne sur la lutte contre le blanchiment de capitaux] contribuera à faire de la cinquième directive et de la position qu’elle adopte sur les registres publics la norme internationale». D'autres commentateurs se montrent moins optimistes. L’un d’eux a fait remarquer que «la réponse la plus efficace à la [criminalité mondialisée] a été l'action de coopération communément organisée au niveau européen. Le Brexit pousse le Royaume-Uni dans la direction opposée, en l'isolant de ses États voisins et affaiblit par là-même ses moyens de défense contre les transactions illicites. Cette faiblesse attirera les criminels, et le Royaume-Uni risque de devenir le lieu privilégié de ces activités criminelles (...). Face à l'organisation internationale du blanchiment d'argent, le SIE [système d'information Europol] s'est révélé être un outil efficace pour les enquêteurs. Toutefois, le Royaume-Uni pourrait ne pas continuer à bénéficier de ses avantages après le Brexit. Il est très fort probable que le processus de retrait conduira le Royaume-Uni à quitter Europol et, même si le gouvernement signait un nouvel accord de sécurité bilatéral avec l'Union européenne, les indications données par Bruxelles laissent penser que le Royaume-Uni ne sera plus en mesure d'accéder au SIE sans restriction. Cette perte de renseignements partagés entravera considérablement sa capacité à lutter contre les flux illicites, car les responsables britanniques seront incapables de suivre le cheminement des opérations financières une fois que ces sommes auront quitté leur territoire 
			(79) 
			«Brexit could make
the UK the money laundering capital of the world», The Independent, 10 janvier 2019.». Ces perspectives sont alarmantes.

7. La situation au sein de l’Union européenne

55. La 5e Directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux – qui a été adoptée en avril 2018, est entrée en vigueur le 9 juillet 2018 et doit être transposée en droit interne d’ici au 10 janvier 2020 – s’inscrit dans le cadre de la ligne de conduite adoptée par l’Union européenne face à l’évolution de la situation, notamment les récents attentats terroristes et les révélations des Panama Papers. La nouvelle directive poursuit cinq objectifs principaux:
  • renforcer la transparence en établissant des registres publiquement accessibles de la propriété effective des entreprises et des fiducies, qui comportent des informations qui devront être vérifiées par les autorités nationales, afin de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au moyen de structures opaques. Les registres nationaux de propriété effective seront interconnectés pour faciliter l’échange d’informations;
  • élargir les critères d’appréciation des pays tiers à haut risque et assurer l’existence d’un niveau commun élevé de garanties pour les flux financiers provenant de ces pays;
  • améliorer l’action des cellules de renseignement financier en améliorant l’accès aux informations grâce à des registres centralisés de comptes bancaires et à une coopération mutuelle intensifiée;
  • améliorer la coopération et l’échange d’informations entre les services de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux et les services de surveillance des activités financières d’une part et la Banque centrale européenne d’autre part;
  • lutter contre le risque de financement du terrorisme associé à l’utilisation anonyme de monnaies virtuelles et de cartes prépayées 
			(80) 
			Voir également «Strengthened
EU rules to prevent money laundering and terrorist financing: Fact
sheet», Commission européenne, 9 juillet 2018..
56. On a cependant reproché à la 5e Directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux un certain nombre de défauts. Son recours fondamental aux autorités nationales décentralisées pour traiter un problème international se serait déjà révélé inefficace, notamment en ce qui concerne les scandales de blanchiment de capitaux en Lettonie et en Estonie, et il n'existe aucun organe de l'Union européenne pour coordonner les initiatives prises en vue de combler les lacunes d’une réglementation pour la rendre efficace 
			(81) 
			«New EU Anti-Money
Laundering Rules Come Under Fire», OCCRP, 10 juillet 2018.. Son efficacité dépendra également de sa mise en œuvre au niveau national. À cet égard, il convient de noter que de nombreux États membres de l'Union européenne n'ont toujours pas transposé intégralement en droit interne la 4e Directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux de 2015, ce qui aurait dû être fait avant le 26 juin 2017. Depuis juillet 2017, la Commission européenne a engagé des procédures en manquement au sujet de la 4e Directive contre un grand nombre d'États membres de l'Union européenne, dont l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, l'Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie et la République slovaque. La Grèce, l'Irlande et la Roumanie ont été déférées devant la Cour de justice de l'Union européennele 19 juillet 2018 et le Luxembourg le 8 novembre 2018. Les mesures les plus récentes ont été prises le 24 janvier 2019 à propos de l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Finlande, la France, la Lituanie, la Pologne, du Portugal et de la République slovaque.
57. Certaines préoccupations suscitées par l'absence d'une surveillance centrale rigoureuse au niveau de l'Union européenne pourraient être apaisées par la proposition de nouveau règlement sur la surveillance bancaire, qui renforcerait le rôle de l'Autorité bancaire européenne (ABE). Cette proposition permettrait à l'ABE:
  • de recueillir des informations auprès des autorités nationales compétentes sur les points faibles recensés de leurs initiatives de lutte contre le blanchiment de capitaux;
  • d’intensifier la surveillance en élaborant des normes communes et en coordonnant les autorités nationales de surveillance;
  • de procéder à des évaluations des risques auprès des autorités nationales compétentes afin d'évaluer leurs stratégies et les ressources dont elles disposent pour faire face aux nouveaux risques de la lutte contre le blanchiment;
  • de faciliter la coopération internationale avec les pays non membres de l’Union européenne;
  • d’adresser ses décisions directement aux banques concernées si les autorités s’abstenaient d’agir 
			(82) 
			«Anti-money laundering:
Council agrees position on reinforced supervision for banks», Conseil
de l'Union européenne, 19 décembre 2018..
58. Il convient également d’envisager ces évolutions dans le cadre de l’approche plus générale retenue par l’Union européenne en matière de blanchiment de capitaux. En décembre 2018, le Conseil de l’Union européenne a adopté un Plan d’action en faveur de la lutte contre le blanchiment de capitaux, dont les huit objectifs portent sur une série de mesures à court terme et concernent de nombreux acteurs européens et nationaux. L’échéancier prévu pour la réalisation de ces objectifs s’étale entre une exécution immédiate et le mois de janvier 2020.

8. Le régime de suivi international

59. Le Groupe d'action financière (GAFI) assure le suivi international par les États eux-mêmes des systèmes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux. Les 40 recommandations de 2012 du GAFI établissent les normes internationales. Il existe neuf organismes régionaux de type GAFI qui supervisent la mise en œuvre des normes du GAFI pour les États qui ne sont pas membres de l'OCDE. Le MONEYVAL du Conseil de l’Europe en est un exemple. MONEYVAL ne mène pas d'enquêtes et ne traite pas de cas individuels, mais se penche plutôt sur les problèmes systémiques.
60. MONEYVAL travaille actuellement à son cinquième cycle d'évaluation, dont la principale composante sera d'évaluer l'efficacité: la meilleure loi du monde est inutile si elle n’est pas appliquée concrètement. Pour le GAFI, qui adopte la même approche, aucun des 50 pays évalués depuis 2014 n'a été jugé très efficace en matière d'application de la législation; 85 % d'entre eux présentaient une efficacité moyenne ou faible. MONEYVAL a achevé à ce jour environ un tiers des évaluations du cinquième cycle, qui ont révélé certains problèmes récurrents:
  • les condamnations prononcées pour infraction autonome ou accessoire de blanchiment de capitaux restent rares, le blanchiment de capitaux étant considéré comme le complément d’une infraction principale. L’éventail des condamnations pour blanchiment de capitaux reflète par conséquent imparfaitement la réalité des risques;
  • les prestataires de services aux sociétés et fiducies des centres financiers internationaux sont rarement poursuivis, alors qu’il est prouvé qu’ils incitent sciemment les criminels à mettre en place des structures complexes et opaques qui servent ensuite à dissimuler les produits du crime;
  • l’identification et la recherche des produits du crime au premier stade de l’enquête ont peu progressé, souvent en raison d’un manque d’expertise dans les enquêtes financières qui sont menées en parallèle;
  • la confiscation des sommes en espèces qui passent les frontières est souvent mise en œuvre de manière inefficace.
61. L’analyse faite par MONEYVAL des systèmes de lessiveuse confirme que ceux-ci exploitent les divers points faibles et les fragilités de la lutte contre le blanchiment de capitaux: ils profitent dans certains pays de la faiblesse du système judiciaire et dans d’autres des défaillances des autorités de surveillance. Cette situation reflète les obstacles habituels constatés dans les pays évalués par MONEYVAL: la corruption, à commencer par celle des autorités judiciaires ou de surveillance; les dispositions légales qui facilitent la création de structures souvent utilisées pour le blanchiment de capitaux, comme les sociétés-écrans; et, enfin, l’absence de volonté de fournir une coopération internationale.

9. Recouvrement, transfert et disposition des avoirs blanchis

62. Une deuxième proposition de résolution relative à la lessiveuse azerbaïdjanaise a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme 
			(83) 
			«Suites données à l’enquête
sur la lessiveuse azerbaïdjanaise», Doc. 14653, 16 octobre 2018.. Bien que l’Assemblée n’ait pas proposé de tenir compte de cette proposition dans l’élaboration du présent rapport, ne pas le faire n’aurait aucun sens. L’idée que «les profits réalisés par la Danske Bank en se faisant l’instrument de la «lessiveuse» soient transférés à la société civile azerbaïdjanaise aux fins de la lutte contre la corruption et de la promotion des droits de l’homme et de la démocratie en Azerbaïdjan» 
			(84) 
			Les autres questions
soulevées dans cette proposition de résolution concernent les prisonniers
politiques en Azerbaïdjan, qui sont actuellement examinés dans le
rapport élaboré par Mme Thorhildur Sunna
Ævarsdóttir pour la commission des questions juridiques et des droits
de l'homme, et les suites données aux pratiques de corruption au
sein de l'Assemblée, sur lesquelles la commission du Règlement,
des immunités et des affaires institutionnelles se penche en ce
moment. est particulièrement pertinente dans le contexte actuel.
63. L’idée avancée dans cette nouvelle proposition de résolution soulève cependant de nombreuses questions techniques et pratiques. Par exemple, peut-on isoler et quantifier «les profits réalisés par la Danske Bank en se faisant l’instrument de la «lessiveuse»»? Quel serait le fondement juridique de la saisie de ces profits? Qu’en est-il des avoirs blanchis eux-mêmes? Devraient-ils être épargnés? Pourquoi ne songer qu’à la Danske Bank, alors que de nombreux autres acteurs étaient impliqués dans la lessiveuse azerbaïdjanaise? Comment identifier les organisations appropriées de la société civile en Azerbaïdjan, un pays notoirement connu pour le nombre de ses organisations non gouvernementales organisées par le gouvernement (ONGOG) et veiller à ce que seules les premières bénéficient des avoirs recouvrés? Pourquoi ces profits devraient-ils être utilisés uniquement pour lutter contre la corruption et promouvoir les droits de l’homme et la démocratie? Peut-on concilier cette proposition avec le désir du Gouvernement danois de quantifier et de confisquer les profits réalisés par la Danske Bank grâce aux transactions illicites effectuées en Estonie 
			(85) 
			«Danske
Bank’s Laundering Profits Targeted by Danish Government», Bloomberg, 5 juillet 2018. et avec l’engagement pris par la Danske Bank elle-même de «mettre le produit brut de ces opérations à la disposition de la société, par exemple en soutenant la lutte contre la criminalité financière» 
			(86) 
			«Danske Bank intends
to waive income from suspicious transactions in Estonia», 18 juillet
2018.?
64. De fait, la communauté internationale élabore depuis des années des mécanismes destinés à atteindre les mêmes objectifs. La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) de 2003, en particulier, comporte un chapitre V consacré au recouvrement d’avoirs, dont l’article 51 précise que «la restitution d’avoirs est un principe fondamental de la présente Convention» et l’article 57 prévoit des dispositions particulières pour la restitution et la disposition des avoirs. En 2007, l’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR), un partenariat établi entre la Banque mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui tient lieu de secrétariat de la Conférence des États parties à la CNUCC, a été lancée pour soutenir l’action internationale menée pour mettre fin aux paradis fiscaux qui servent de refuge aux fonds issus de la corruption. L’initiative StAR agit avec les pays en voie de développement et les centres financiers pour prévenir le blanchiment des produits de la corruption et faciliter la restitution plus systématique en temps utile des avoirs volés. Tout nouveau mécanisme devrait être compatible avec le droit international en vigueur et la pratique en la matière ou avoir une raison impérieuse de ne pas l’être.
65. En décembre 2017, le Royaume-Uni et les États-Unis, avec l'appui du StAR, ont organisé conjointement un Forum mondial sur le recouvrement d'avoirs (GFAR). Le GFAR a adopté les «Principes pour la disposition et le transfert des avoirs volés confisqués en cas de corruption», dont les suivants sont particulièrement pertinents:
«la réussite de la restitution des avoirs volés repose essentiellement sur l'existence d'un partenariat solide entre les pays de transfert et les pays de destination»;
«les pays devraient travailler ensemble à l'établissement d'accords de transfert convenus d'un commun accord»;
«dans la mesure du possible, et sans préjudice des victimes recensées, les avoirs volés recouvrés auprès de fonctionnaires corrompus devraient profiter aux populations des pays touchés par les actes de corruption dont ils sont le produit»;
«dans la mesure du possible, lors de l'utilisation finale des produits confisqués, il conviendrait également d'envisager d'encourager les mesures qui respectent les principes de la CNUCC en matière de lutte contre la corruption, de réparation des dommages causés par la corruption et de réalisation des objectifs de développement»;
«la disposition des produits du crime confisqués devrait être examinée au cas par cas»;
«des accords ou arrangements devraient (…) être conclus au cas par cas [en vertu de l'article 57(5) de la CNUCC] pour permettre de garantir l'utilisation, l'administration et le contrôle transparents et efficaces des produits restitués. Le ou les mécanismes de transfert devraient, dans la mesure du possible, utiliser les cadres politiques et institutionnels existants et être conformes à la stratégie de développement du pays, afin d'assurer leur cohérence, d'éviter les doubles emplois et d'optimiser leur efficacité»;
«toutes les mesures devraient être prises pour faire en sorte que la disposition des produits du crime confisqués ne profite pas aux personnes impliquées dans la commission de l'infraction ou des infractions»;
«dans la mesure où la loi l'autorise et le permet, les individus et les groupes extérieurs au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les organisations communautaires, devraient être encouragés à participer au processus de restitution des avoirs, notamment en aidant à déterminer comment réparer les préjudices subis, en contribuant aux décisions relatives à la restitution et à la disposition et en favorisant la transparence et la responsabilisation dans le transfert, la disposition et la gestion des avoirs recouvrés».
66. La Fondation BOTA, fondée en 2008 par les gouvernements du Kazakhstan, des États-Unis et de la Suisse et cinq ressortissants kazakhs, offre un exemple de programme de recouvrement et de disposition d'avoirs comparable à la proposition figurant dans la nouvelle proposition de résolution. La Fondation a travaillé avec des partenaires internationaux sélectionnés par la Banque mondiale, IREX (ONG internationale de développement et d'éducation) et Save the Children, pendant cinq ans jusqu'à fin 2014. La Fondation BOTA, qui était à l'époque la plus grande fondation de protection de l'enfance et de la jeunesse au Kazakhstan, a utilisé 115 millions $US d'actifs recouvrés pour améliorer la vie de plus de 208 000 enfants et jeunes défavorisés. Oxford Policy Management (OPM) indique que «dans l'ensemble, l'évaluation qualitative a confirmé que les programmes BOTA ont été mis en œuvre dans les trois activités avec une grande efficacité pour ceux qui en bénéficient et que BOTA a eu un impact positif sur ses bénéficiaires dans les trois activités». L'expérience et les enseignements de la Fondation ont été présentés comme «un modèle pour les futurs cas de restitution d'actifs dans le monde entier».
67. Il est selon moi trop tôt pour formuler la proposition qui figure dans la nouvelle proposition de résolution destinée à réagir au système de lessiveuse azerbaïdjanaise, car il convient tout d'abord de répondre à plusieurs questions essentielles et d’établir des principes généraux. Mais d’un autre côté, l'idée qui sous-tend cette proposition est sans aucun doute intéressante, y compris d'un point de vue général. Les bases en ont déjà été jetées dans la Résolution 2218 (2018) «Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites», qui fait remarquer que la confiscation «génère des ressources qui permettent d’indemniser les victimes et de reconstruire les communautés auxquelles la criminalité cause un préjudice» et appelle les États à définir «clairement les dispositions applicables au partage des avoirs confisqués avec succès entre les pays concernés». J’encourage par conséquent la commission des questions juridiques et des droits de l’homme à se saisir de la question dans un rapport distinct.

10. Conclusions et recommandations

68. Les systèmes de lessiveuse internationale et de lessiveuse azerbaïdjanaise ne constituent bien entendu pas les seuls exemples de blanchiment de capitaux de ces dernières années. Ils présentent néanmoins une importance et un intérêt particuliers. L’une de leurs caractéristiques évidentes est leur échelle, en particulier celle du système de lessiveuse internationale. Leur similitude et la double présence frappante de certains des acteurs qui y sont impliqués ou associés, coïncidence ou non, sont également dignes d’intérêt. Mais l’élément le plus important est peut-être le fait que leurs rouages internes ont été rendus publics, grâce aux fuites d'informations par ailleurs confidentielles et au travail d'enquête scrupuleux des journalistes.
69. Je vous renvoie aux projets de résolution et de recommandation ci-joints pour la présentation de mes conclusions sur les problèmes qui ont permis, à différents niveaux, aux systèmes de lessiveuse de fonctionner et de mes recommandations sur les mesures à prendre par certains États membres, par tous les États membres, par l'Union européenne et par le Comité des Ministres.