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Avis de commission | Doc. 14854 | 02 avril 2019

Don anonyme de sperme et d’ovocytes: trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Pierre-Alain FRIDEZ, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.14419, Renvoi 4349 du 22 janvier 2018. Commission chargée du rapport: Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Voir Doc. 14835. Avis approuvé par la commission le 4 mars 2019. 2019 - Deuxième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions juridiques et des droits de l'homme félicite la rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Mme Petra De Sutter (Belgique, SOC), pour son rapport exhaustif et soutient dans l'ensemble le projet de recommandation qui a été proposé.
2. Le don des spermatozoïdes et des ovocytes est un sujet d’actualité qui soulève plusieurs controverses. En l’absence de normes européennes communes, les législations nationales encadrent cette question de manières très différentes ou parfois ne l’encadrent pas du tout. Il s’agit également d’un domaine dans lequel les avancées technologiques et scientifiques s’effectuent de manière de plus en plus accélérée. Sans entrer dans les détails des différences entre les législations nationales, la commission souhaite néanmoins soutenir la proposition de la rapporteure d’abolir, dans la mesure du possible, l’anonymat des donneurs de gamètes, au vu du droit des personnes conçues par la procréation médicalement assistée (PMA) à connaître leurs origines, un droit qui est reconnu comme faisant partie du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). En outre, la commission partage l’avis de la rapporteure que le maintien de l’anonymat est devenu presque impossible en raison du développement des technologies génétiques.
3. Toutefois, la commission souhaite proposer quelques amendements afin de renforcer davantage le projet de recommandation concernant la terminologie utilisée ainsi que certains aspects juridiques.

B. Amendements proposés

(open)

Amendement A (au projet de recommandation)

Au paragraphe 2, première phrase, après «y compris» ajouter «l’interprétation donnée à».

Amendement B (au projet de recommandation)

Au paragraphe 2, deuxième phrase, après «Ce droit» ajouter: «, qui fait partie du droit au respect de la vie privée,».

Amendement C (au projet de recommandation)

Au début du paragraphe 5, insérer le texte suivant: «L’Assemblée parlementaire note la grande diversité des législations et des pratiques des États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée. Néanmoins,».

Amendement D (au projet de recommandation)

Au début du paragraphe 7.1, insérer les mots «dans la mesure du possible,».

C. Exposé des motifs, par M. Pierre-Alain Fridez, rapporteur pour avis

(open)
1. Je ne peux que féliciter Mme De Sutter pour son rapport, qui aborde la question très controversée de l’anonymat des donneurs de spermatozoïdes et d’ovocytes. Comme le souligne la rapporteure 
			(1) 
			Voir
notamment paragraphe 17 de son rapport., l’anonymat des donneurs n’est plus garanti en pratique, vu le développement des technologies génétiques, et les personnes qui souhaitent retrouver leurs géniteurs peuvent avoir facilement accès aux données génétiques de ces derniers. Ainsi, il convient d’encadrer ces questions afin d’éviter d’éventuelles dérives dans l’évolution de ces technologies et c’est pour cela que je soutiens pleinement les conclusions contenues dans le rapport de Mme De Sutter.
2. Je souhaiterais néanmoins proposer quelques modifications au projet de recommandation, afin d’ajouter quelques précisions terminologiques et de souligner la diversité des législations nationales en matière de procréation médicalement assistée (PMA). Notamment, je tiens à souligner que, comme le démontrent les réponses apportées par la plupart des États membres du Conseil de l’Europe au questionnaire lancé par le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) sur l’accès à la PMA, sur le droit à la connaissance de ses origines pour les enfants nés après PMA et sur la maternité de substitution, publiées en janvier 2017 
			(2) 
			<a href='https://rm.coe.int/090000168077cac8'>DH-BIO/INF(2016)4</a>., il existe des divergences quant à la réglementation ou la pratique et l’accès à la PMA dans les États membres du Conseil de l’Europe 
			(3) 
			Concernant les États
membres de l’Union européenne, voir également: <a href='https://www.touteleurope.eu/actualite/pma-quels-droits-en-europe.html'>www.touteleurope.eu/actualite/pma-quels-droits-en-europe.html</a>. Certains pays ne possèdent même pas de loi spécifique en la matière (par exemple, l’Azerbaïdjan, la République Tchèque, Malte, la Pologne, la Serbie ou la République slovaque). Parmi les États qui ont répondu au questionnaire, une vingtaine d’entre eux avait indiqué que la PMA était réservée seulement aux couples hétérosexuels. Les autres critères spécifiques retenus pour l’accès à la PMA variaient également en fonction de l’État. Alors que le don de sperme est admis dans la plupart des États membres, certains pays interdisent le don d’ovocytes. En outre, le double don de gamètes est parfois interdit (notamment en France). En ce qui concerne l’anonymat des dons de gamètes, 19 États ont répondu qu’il était possible de connaître l’identité du donneur, alors que 14 ont répondu que ce n’était pas toujours possible. Ainsi, il n’existe pas de consensus européen en la matière.
3. La Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a eu quelques occasions de se prononcer sur les questions relatives à la PMA, mais sa jurisprudence dans ce domaine reste encore assez limitée 
			(4) 
			Dans ce
contexte, voir notamment l’arrêt Dickson
c. Royaume-Uni, Requête no 44362/04,
arrêt du 4 décembre 2007 (Grande Chambre). Dans cette affaire, la
Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention, car
le requérant, purgeant une longue peine de prison, s’est vu refuser
l’accès à une insémination artificielle qui lui aurait permis d’avoir
un enfant avec son épouse. . La Cour a conclu à l’absence de consensus européen sur l’apport des gamètes extérieurs dans l’arrêt S.H. et autres c. Autriche 
			(5) 
			S.H.et
autres c. Autriche, Requête no 57813/00,
arrêt du 3 novembre 2011 (Grande Chambre),.. Dans cette affaire, les requérants, deux couples autrichiens, désiraient recourir à la fécondation in vitro (FIV) avec don de sperme pour le premier et don d’ovocytes pour le second, alors que la loi autrichienne interdisait le don de sperme dans le cadre d’une FIV et prohibait le don d’ovules en général. La Grande Chambre, qui avait annulé l’arrêt de la chambre, a constaté que les États membres du Conseil de l’Europe avaient «clairement tendance à autoriser dans leur législation le don de gamètes à des fins de fécondation in vitro, tendance qui traduit l’émergence d’un consensus européen». Toutefois, ce consensus correspondait davantage «à un stade de l’évolution d’une branche du droit particulièrement dynamique qu’à des principes établis de longue date dans les ordres juridiques des États membres»; ainsi, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison pour restreindre la marge d’appréciation de l’État 
			(6) 
			Ibid.,
paragraphe 96. et a conclu à une non-violation de l’article 8 de la Convention. En ce qui concerne l’accès à la PMA pour les couples de femmes, la Cour a été saisie de cette question récemment dans une affaire contre la France, mais elle ne s’est pas prononcée sur le fond, car la requête a été jugée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes 
			(7) 
			Charron
et Merle-Montet c. France, Requête no 22612/15,
décision du 8 février 2018..
4. Il convient de noter qu’à l’heure actuelle la Cour est en train d’examiner deux affaires contre la France concernant le refus des autorités de communiquer des informations sur les origines de la conception des requérants nés à la suite d’une insémination artificielle à partir d’un don de sperme. Les requérants se plaignent sous l’angle de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et de l’article 14 (interdiction de discrimination) de la Convention d’avoir été privés d’informations sur l’identité du donneur 
			(8) 
			Gauvin-Fournis
c. France, Requête no 21424/16,
et Silliau c. France, Requête
no 45728/17, requêtes communiquées au
Gouvernement français le 5 juin 2018. . L’issue de ces requêtes sera certes déterminante pour l’appréciation de la question en cause ou pour une éventuelle élaboration des règles européennes dans ce domaine.
5. Rappelons que depuis plus d’une quinzaine années, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, la Cour s’est prononcée en faveur d’un droit à la connaissance de ses origines, dont l’identité de son géniteur, notamment dans des affaires concernant la contestation ou la reconnaissance de paternité 
			(9) 
			Voir notamment Phinikaridou c. Grèce, Requête no 23890/02,
arrêt du 20 décembre 2007, paragraphes 45-46 ; Mikulić c. Croatie, Requête no 53176/99,
arrêt du 7 février 2002, paragraphes 53-54 ou Krušković
c. Croatie, Requête no 46185/08,
arrêt du 21 juin 2011, paragraphe 41. Voir aussi le rapport de recherche
du Greffe de la Cour, <a href='https://www.echr.coe.int/Documents/Research_report_bioethics_FRA.pdf'>Bioéthique
et jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme</a>, 2016, p. 107-123., même si elle a toujours cherché à savoir si «un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents» 
			(10) 
			Jäggi
c. Suisse, Requête no 58757/00,
arrêt du 3 juillet 2003, paragraphe 38. Cette affaire concerne le
refus des autorités d’analyser l’ADN d’un père biologique allégué
(décédé). La Cour a conclu à une violation de l’article 8 et de l’article
14, combiné à l’article 8, de la Convention. . Dans l’arrêt Odièvre c. France concernant l’accouchement sous X, elle a souligné que la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relèvent de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte 
			(11) 
			Odièvre c. France, Requête no 42326/98,
arrêt du 13 février 2003 (Grande Chambre), paragraphe 29. . Toutefois, elle n’a pas donné gain de cause à la requérante, estimant que cette dernière a pu avoir des éléments non identifiants sur sa mère et sa famille biologique (non-violation de l’article 8 de la Convention). Dans l’affaire Godelli c. Italie, concernant le secret de la naissance et l’impossibilité pour la requérante abandonnée par sa mère d’obtenir des éléments non identifiants sur sa famille naturelle, la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention. Cependant, elle ne l’a pas fait dans l’affaire Mandet c. France, dans laquelle les requérants (la mère, son époux et l’enfant) dénonçaient l’annulation par les juridictions françaises d’une reconnaissance d’une paternité à la demande d’un père biologique. Selon la Cour, l’intérêt de l’enfant, qui continuait à vivre au sein de la famille Mandet, était avant tout de connaître ses origines 
			(12) 
			Mandet
c. France, Requête no 30955/12,
arrêt du 14 janvier 2016, paragraphes 56-57. .
6. Dans des arrêts rendus ultérieurement concernant la gestation pour autrui (GPA), la Cour s’est aussi penchée sur la question de l’identité des enfants nés d’une telle pratique. Notamment, dans les arrêts Mennesson c. France et Labassée c. France, qui concernaient le refus des autorités françaises de transcrire au registre d’État civil des enfants nés de mères porteuses américaines et de pères biologiques français (requérants), la Cour a condamné cette pratique comme portant atteinte au droit à l’identité de ces enfants. Selon la Cour, en faisant obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, la France a méconnu le droit au respect de la vie privée de ces enfants (violations de l’article 8 de la Convention) 
			(13) 
			Mennesson
c. France et Labbassée c.
France, Requêtes nos 65192/11
et 65941/11, arrêts du 26 juin 2014, voir respectivement paragraphes
100-101 et 79-80.. Il est aussi intéressant de noter que dans une affaire plus récente Paradiso et Campanelli c. Italie, concernant la prise en charge par les services sociaux italiens d’un enfant de neuf mois né en Russie à la suite d’une GPA commandée par le couple requérant, la Grande Chambre de la Cour a annulé l’arrêt de la chambre et a donné raison aux autorités italiennes. Selon elle, vu l’absence de lien biologique entre l’enfant et les requérants (contrairement aux requérants dans les affaires Mennesson c. France et Labassée c. France) et la courte durée de leur relation, la décision des autorités italiennes n’était pas disproportionnée et n’a pas entraîné une violation de l’article 8 de la Convention 
			(14) 
			Paradiso et Campanelli, Requête
no 25358/12, arrêt du 27 janvier 2017
(Grande Chambre)..
7. Ainsi, il en résulte que la Cour accorde une importance primordiale au lien biologique entre les parents et les enfants. Le droit de connaître ses origines biologiques et de les voir reconnues est considéré par la Cour comme une partie du droit au respect de la vie privée. Il semble a priori que la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes n’irait pas à l’encontre des exigences découlant de la jurisprudence de la Cour sur l’article 8 de la Convention.
8. Rappelons aussi que l’article 7.1 de la Convention relative aux droits des enfants des Nations Unies (CDE) stipule que l’enfant a le droit de connaître ses parents «dans la mesure du possible». En outre, «les États parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, (…), son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale» (article 8.1 de la CDE).
9. De plus, dans une étude publiée par le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe en novembre 2017, des chercheurs de l’université de Leiden (Pays-Bas) ont rappelé que le don de gamètes n’était régulé ni par la Convention sur les Droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo») ni par le Protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE no 186). Selon eux, ce sujet nécessite plus d’attention, le droit à une identité étant protégé par la CDE et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Vu le développement des technologies de reproduction, la PMA devrait être davantage encadrée par les États. Il serait utile de fournir aux États des recommandations et des bonnes pratiques sur les mesures juridiques et autres à prendre afin d’assurer que les enfants puissent recevoir des informations viables sur leurs origines et les circonstances de leur naissance 
			(15) 
			<a href='https://rm.coe.int/leiden-university-report-biomedicine-final-f/1680736464'>From
Law to Practice: Towards a roadmap to strengthen children’s rights
in the era of biomedicine</a>, p. 35.. Ainsi, le rapport de Mme De Sutter va dans ce sens.

1. Amendement A

Note explicative

Cet amendement tend à souligner que c’est l’interprétation donnée à la Convention relative aux droits des enfants des Nations Unies, qui a évolué et non pas la convention elle-même (voir à cet égard les explications contenues dans le rapport de Mme De Sutter au paragraphe 7, voir note de bas de page no 7). Cette précision est d’autant plus souhaitable que le paragraphe 2 du projet de recommandation mentionne la jurisprudence de la Cour (qui a effectivement évolué afin de répondre aux nouveaux défis dans le domaine de la bioéthique), sans se référer à la Convention européenne des droits de l’homme.

2. Amendement B

Note explicative

L’amendement a pour objet de mettre en exergue le fait que le droit à la reconnaissance de ses origines fait partie du droit au respect de la vie privée (voir notamment la jurisprudence de la Cour relative à l’article 8 de la Convention, paragraphes 5-6 ci-dessus).

3. Amendement C

Note explicative

Cet amendement tend à mettre l’accent sur le fait qu’en ce qui concerne les dons de gamètes, les législations et les pratiques varient en fonction de l’État (voir paragraphe 2 ci-dessus). Ainsi, il faudrait que l’Assemblée tienne compte de cette divergence avant d’émettre des recommandations spécifiques.

4. Amendement D

Note explicative

Cet amendement vise à atténuer légèrement la formulation catégorique de la première phrase de ce sous-paragraphe, notamment au vu de la portée de l’article 7.1 de la CDE, qui stipule que l’enfant à le droit de connaître ses parents «dans la mesure du possible». De plus, le droit au respect de la vie privée, auquel le droit de connaître ses origines est lié, n’est pas un droit absolu et peut être restreint sous certaines conditions (voir l’article 8.2 de la Convention). Enfin, il faut également prendre en compte les disparités existantes entre les législations nationales et les spécificités de ces dernières.