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Avis de commission | Doc. 14860 | 08 avril 2019

Création d’un mécanisme de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Rapporteur : M. Andrej ŠIRCELJ, Slovénie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14317, Renvoi 4308 du 8 octobre 2018. Commission chargée du rapport: Commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles. Voir Doc. 14850. Avis approuvé par la commission le 8 avril 2019. 2019 - Deuxième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission de suivi a été saisie pour avis du rapport sur la création d’un mécanisme de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux que Mme Petra De Sutter (Belgique, SOC) a préparé au nom de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles.
2. Le 25 octobre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution recommandant à la Commission européenne la création d’un mécanisme pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, longuement décrit dans le projet d’accord interinstitutionnel qui lui était annexé. Devant le refus de la Commission européenne, position partagée par le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen a rappelé la nécessité de doter l’Union européenne d’un «mécanisme approfondi pour la protection de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux», par une autre résolution adoptée le 14 novembre 2018.
3. La commission de suivi ne croit pas à la mise en œuvre, dans un avenir proche, du mécanisme tel qu’il est présenté dans la résolution de 2016. En même temps, elle a bien conscience que, d’une part, l’Union européenne a largement investi le champ des trois piliers de l’action du Conseil de l’Europe, et d’autre part, que la coopération entre celui-ci et l’Union européenne dans le domaine des procédures de suivi s’est beaucoup intensifiée depuis ces dernières années, comme l’indique de manière très détaillée le rapport de Mme De Sutter. En d’autres termes, ainsi que l’a parfaitement compris la commission du Règlement, le débat sur ce mécanisme est l’occasion idéale pour s’interroger sur le devenir de la coopération du Conseil de l’Europe avec l’Union européenne dans ce domaine, et de manière plus prosaïque, sur le rôle et la place que l’Assemblée parlementaire souhaiterait, devrait et pourrait y occuper.
4. A cet égard, la commission de suivi partage intégralement les conclusions de la commission du Règlement, en particulier lorsque celle-ci rappelle que le Conseil de l’Europe est la source de référence en matière de droits de l’homme et qu’il doit également maintenir sa primauté lorsque le respect des valeurs fondamentales communes par les États membres de l'Union européenne, ainsi que par les États non membres de l'Union européenne, est évalué.
5. Elle considère que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) s’inscrirait parfaitement dans cette perspective.
6. En outre, la commission de suivi estime que la proposition visant à ce que l’Assemblée parlementaire tienne un débat annuel sur l’État de droit avec la participation de représentants des institutions européennes constitue un moyen pratiquement réaliste, politiquement pertinent et stratégiquement habile de renforcer la coopération entre les institutions de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, tout en garantissant à l’Assemblée une place au sein de celle-ci. La commission de suivi considère d’ailleurs que cette place est tout à fait légitime, compte tenu de la nature de l’Assemblée: un forum de dialogue interparlementaire rassemblant des élus issus des parlements nationaux.
7. La commission de suivi souscrit en outre intégralement aux recommandations adressées par la commission du Règlement au Comité des Ministres, en particulier celles des paragraphes 4 (intensification de l’action politique du Comité des Ministres), 7 (risques pesant sur la cohérence du système normatif en Europe) et 9 (mesures préconisées permettant le maintien de la primauté du Conseil de l’Europe) du projet de recommandation.
8. Par conséquent, la commission de suivi n’a qu’un seul amendement à présenter. Elle saisit en outre cette occasion pour attirer l’attention des membres de l’Assemblée sur un certain nombre de points développés dans l’exposé des motifs qui suit.

B. Amendement proposé

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Après le paragraphe 7, insérer les paragraphes suivants:

«L’Assemblée rappelle que depuis 1993 elle dispose d’une procédure de suivi des obligations et des engagements pris par les États membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, dont la mise en œuvre incombe à la commission de suivi. L’ensemble des États membres peuvent faire l’objet d’une telle procédure. En outre, lorsque cette procédure est clôturée, un dialogue postsuivi est établi avec l’État concerné. Cette procédure permet l’examen des questions relatives au fonctionnement des institutions démocratiques dans les États membres. Elle permet enfin de garantir le respect des obligations contractées par les États membres qui ne font pas l’objet de procédures de suivi spécifiques par le biais de rapports d’examen périodique, effectués pays par pays.
L’Assemblée invite l’Union européenne à se référer aux travaux de la commission de suivi en tant que de besoin.»

Note explicative:

Le projet de résolution ne mentionnant pas la procédure de suivi de l’Assemblée, qui dispose d’une expérience de plus de 20 ans en la matière, l’ajout de ces deux paragraphes paraît amplement justifié. Dix pays font actuellement l’objet d’une procédure de suivi, trois sont engagés dans un dialogue postsuivi et le fonctionnement des institutions démocratiques est examiné dans un pays.

C. Exposé des motifs, par M. Andrej Šircelj, rapporteur pour avis

(open)
1. Les travaux sur le mécanisme européen menés par la commission du Règlement et la commission de suivi, auxquels j’ai pris part 
			(1) 
			En
particulier les auditions organisées respectivement par la Commission
du Règlement le 8 janvier 2019 à Bruxelles et par la Commission
de suivi le 6 mars 2019 à Paris, où étaient présents des représentants
de toutes les institutions européennes, en particulier Mme Judith
Sargentini, la Vice-Présidente de la Commission des Libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen., ainsi que les différents échanges que j’ai pu avoir m’ont aidé à parvenir aux conclusions suivantes.
2. En 2000, alors même que l’Union européenne disposait déjà à l’époque de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE) relatif à ce que certains qualifient de «procédure en manquement politique», elle a choisi de demander au Président de la Cour européenne des droits de l’homme de désigner trois «sages» pour résoudre une crise liée à une éventuelle violation des «valeurs européennes communes» 
			(2) 
			Les 14 États membres
de l’Union européenne d’alors avaient pris des mesures à l’encontre
du gouvernement autrichien, à la suite de la formation de l’exécutif
avec une participation du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) et
les avaient ensuite levées suivant en cela les conclusions des trois
«sages». en Autriche. Il est clair que cette époque est complètement révolue. La liste des instruments mis en place par l’Union européenne pour assurer le suivi de l’État de droit, telle qu’elle est indiquée dans le rapport de Mme De Sutter, est éloquente. Elle permet de mesurer le chemin parcouru depuis la déclaration de Copenhague de 1993 qui fixait les critères politiques que devait remplir tout État désirant adhérer à l’Union: la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et le respect des minorités et leur protection.
3. Parallèlement, l’utilisation des travaux du Conseil de l’Europe par le Parlement européen et la Commission européenne est allée croissant. Elle revêt aujourd’hui principalement deux formes. Soit les travaux du Conseil de l’Europe sont directement intégrés dans les activités de suivi de l’Union européenne 
			(3) 
			Comme c’est par exemple
le cas du Tableau de bord de la Justice (Justice Scoreboard) élaboré
par la Commission européenne sur la base de données fournies par
la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ)
du Conseil de l’Europe., soit les normes produites par les différentes entités du Conseil de l’Europe servent de base de référence explicite aux décisions prises par les institutions européennes en matière de suivi 
			(4) 
			Y compris lorsqu’il
s’agit de déclencher l’article 7 (TUE) à l’encontre d’un État membre
de l’Union européenne.. Comme le note justement le rapport de Mme De Sutter, cela concerne notamment le Comité des Ministres, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), la CEPEJ, le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL).
4. Ma conviction est que ce mouvement d’extension de l’Union européenne dans le champ du Conseil de l’Europe n’est pas prêt de s’arrêter, que cela nous plaise ou non. De manière paradoxale, les lourdeurs de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne et son caractère éminemment politique ont conduit la Commission européenne et le Parlement européen à développer d’autres outils de suivi et je ne vois pas ce qui pourrait les dissuader de le faire à l’avenir. L’objectif fondateur de la construction européenne reste, selon son Préambule, «une union sans cesse plus étroite». D’ailleurs, ce mouvement se poursuit puisque la Commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen a mis en place un Groupe de suivi-État de droit sur la corruption et la liberté de la presse (Rule of Law Monitoring Group) centré sur Malte et la Slovaquie en décembre 2017 et que la Commission européenne a annoncé en octobre 2018 qu’elle entendait renforcer son cadre pour l’État de droit.
5. Le mécanisme proposé par le Parlement européen dans sa résolution de 2016 n’a, à mon sens, aucune chance d’être adopté en l’état. La Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne ont expliqué leur opposition: le mécanisme proposé serait vu par les États membres de l’Union comme empiétant sur leur souveraineté. Ce motif est selon moi plus dirimant que la question de savoir si les traités européens offrent ou non une base juridique pour le mettre en œuvre. Cette position signifie a contrario que le jour où un mécanisme semblable sera vu comme nécessaire et non comme intrusif, il sera adopté. C’est à cela que l’Assemblée parlementaire doit se préparer.
6. Face à cette situation, je vois trois attitudes possibles pour l’Assemblée et sa commission de suivi.
7. La première serait celle de la «plainte» au motif que le Conseil de l’Europe et l’Assemblée disposeraient de l’antériorité dans la mise en œuvre des procédures de suivi, de l’expertise qui l’accompagne, de la primauté dans ce domaine reconnue par le mémorandum d’accord de 2007 signé avec l’Union européenne et qu’in fine l’Union européenne se mêle de ce qui ne la regarde finalement pas. Cette attitude, quelque soit la légitimité de ses arguments, me paraît irréaliste, dépassée et en tout cas pas de nature à endiguer la dynamique de l’Union européenne.
8. La deuxième attitude consisterait en une forme de «splendide isolement», l’Union européenne vaquant à ses procédures, pendant que l’Assemblée s’occuperait des siennes, en arguant par exemple qu’elles diffèrent dans leurs objectifs et dans leurs moyens. Je ne pense pas que cette position soit tenable sur le long terme pour ce qui relève de la procédure de suivi de l’Assemblée. La Commission européenne se livre déjà à travers son cadre pour l’État de droit à un suivi pays par pays et elle utilise pour ce faire les recommandations et les avis d’entités de suivi du Conseil de l’Europe au même titre que la commission de suivi de l’Assemblée. Géographiquement, le nombre de pays pour lesquels il n’existe pas de risque qu’un quelconque mécanisme de suivi de l’Union s’applique concurremment avec celui de la commission de suivi, est assez limité. Juridiquement, la commission de suivi peut ouvrir une procédure de suivi à l’égard de l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire éventuellement à l’égard de tous les États membres de l’Union européenne. La Bulgarie est d’ailleurs actuellement engagée dans un dialogue post-suivi. En outre, parmi les États non membres de l’Union européenne, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, la Turquie et la Bosnie-Herzégovine sont soit candidats à l’adhésion à l’Union européenne, soit candidats potentiels et donc sujets à un contrôle strict du respect du critère politique défini par la Déclaration de Copenhague. Les risques, tels qu’ils sont listés par le rapport de Mme De Sutter (duplication des normes, contradiction entre celles-ci ou interprétation divergente des mêmes normes, «forum shopping»…) concernent donc à terme les trois quarts des États membres du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			En outre, la Commission
européenne effectue même un suivi - dans le cadre d'accords de coopération
– à l’égard de pays que l'Assemblée parlementaire, par l'intermédiaire
de sa commission des questions politiques et de la démocratie, «suit»
elle-même dans le cadre du partenariat pour la démocratie..
9. La troisième attitude, qui me semble être la bonne, vise à promouvoir la procédure de suivi de l’Assemblée en accentuant la coopération de cette dernière avec l’Union européenne.
10. Deux mesures me paraissent essentielles au succès d’une telle coopération. Tout d’abord, un moyen efficace pour garantir la primauté du Conseil de l’Europe dans la fixation des normes relatives à nos trois piliers, démocratie, État de droit et droits de l’homme, me semble être l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette adhésion soumettrait le corpus juridique de l’Union européenne au respect des dispositions de la Convention telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme et devrait normalement conduire à limiter, sinon éliminer, les quelques divergences de jurisprudence existant entre cette dernière et la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission européenne a affirmé que cette adhésion restait une priorité et je ne peux que souhaiter qu’elle se concrétise.
11. La seconde mesure qui me paraît importante est la proposition énoncée dans le rapport de Mme De Sutter. L’Assemblée pourrait organiser annuellement un débat sur l’État de droit avec la participation de représentants des institutions européennes. La préoccupation tant de la Commission que du Parlement européen est d’impliquer les parlements nationaux dans les débats sur l’État de droit et leur mécanisme de suivi. Quelle meilleure enceinte que l’Assemblée parlementaire, composée de membres de parlements nationaux, pour le faire?
12. Je soutiens pleinement cette proposition car elle met également l’accent sur l’absence complète de visibilité de l’Assemblée en général, et de la procédure de la commission de suivi en particulier, dans les mécanismes de suivi des institutions européennes. Lorsque le Parlement européen envisage un mécanisme, l’Assemblée n’y figure malheureusement nulle part. Lorsque la Commission européenne fait référence aux avis de la Commission de Venise sur les réformes judiciaires de la Pologne dans son cadre de l’État de droit, elle n’a à aucun moment conscience que certains de ces avis ont été demandés par la commission de suivi. Lorsque l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne liste, dans son outil EFRIS, l’ensemble des entités disposant de procédures de suivi relatives à l’État de droit, celles du Conseil de l’Europe y figurent toutes, à l’exception de l’Assemblée 
			(6) 
			<a href='https://fra.europa.eu/en/project/2018/eu-fundamental-rights-information-system-efris/monitoring-mechanisms'>https://fra.europa.eu/en/project/2018/eu-fundamental-rights-information-system-efris/monitoring-mechanisms</a>. . Enfin, lorsque les commissions des Affaires étrangères et des Libertés civiles du Parlement européen organisent une audition conjointe 
			(7) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/events-hearings.html?id=20190312CHE06121'>www.europarl.europa.eu/committees/fr/events-hearings.html?id=20190312CHE06121</a>. sur l’État de droit et le processus d’adhésion, qui concerne des pays soit sous procédure de suivi, soit engagés dans un dialogue post-suivi, alors que le Président de la commission de Venise y participe, ce dont je me félicite, aucun membre de l’Assemblée n’y est présent, ce que je déplore. Je plaide donc pour mettre un terme à cette invisibilité, au moment où la commission de suivi a réformé sa procédure pour donner plus d’impact aux rapports concernant les pays ne faisant pas l’objet d’une procédure de suivi ni engagés dans un dialogue post-suivi 
			(8) 
			Lors de sa réunion
du 6 mars 2019, la commission de suivi a décidé de demander au Bureau
de l’Assemblée d’être saisie pour rapport sur le respect des obligations
découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe de la France, de
la Hongrie, de Malte et de la Roumanie. et où elle se penche sur le fonctionnement des institutions démocratiques dans les États membres. Si la commission de suivi, et plus largement l’Assemblée, souhaite que leurs travaux deviennent une source de référence pour les mécanismes de suivi de l’Union européenne, au même titre que ceux de la Commission de Venise, du GRECO ou de la CEPEJ, il leur appartient de multiplier les occasions de les présenter aux institutions européennes en mettant en place un dialogue informel mais régulier avec elles. Les rapporteurs et présidents de commission pourraient en être le fer de lance, en particulier à l’égard de leurs homologues du Parlement européen, dont le siège n’est pas trop éloigné de celui de l’Assemblée.