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Avis de commission | Doc. 14860 | 08 avril 2019
Création d’un mécanisme de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
A. Conclusions de la commission
(open)1. La commission de suivi a été
saisie pour avis du rapport sur la création d’un mécanisme de l’Union européenne
pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux que
Mme Petra De Sutter (Belgique, SOC) a
préparé au nom de la commission du Règlement, des immunités et des
affaires institutionnelles.
2. Le 25 octobre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution
recommandant à la Commission européenne la création d’un mécanisme
pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, longuement
décrit dans le projet d’accord interinstitutionnel qui lui était
annexé. Devant le refus de la Commission européenne, position partagée
par le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen a rappelé
la nécessité de doter l’Union européenne d’un «mécanisme approfondi
pour la protection de la démocratie, de l’État de droit et des droits
fondamentaux», par une autre résolution adoptée le 14 novembre 2018.
3. La commission de suivi ne croit pas à la mise en œuvre, dans
un avenir proche, du mécanisme tel qu’il est présenté dans la résolution
de 2016. En même temps, elle a bien conscience que, d’une part,
l’Union européenne a largement investi le champ des trois piliers
de l’action du Conseil de l’Europe, et d’autre part, que la coopération
entre celui-ci et l’Union européenne dans le domaine des procédures
de suivi s’est beaucoup intensifiée depuis ces dernières années,
comme l’indique de manière très détaillée le rapport de Mme De
Sutter. En d’autres termes, ainsi que l’a parfaitement compris la
commission du Règlement, le débat sur ce mécanisme est l’occasion
idéale pour s’interroger sur le devenir de la coopération du Conseil
de l’Europe avec l’Union européenne dans ce domaine, et de manière
plus prosaïque, sur le rôle et la place que l’Assemblée parlementaire
souhaiterait, devrait et pourrait y occuper.
4. A cet égard, la commission de suivi partage intégralement
les conclusions de la commission du Règlement, en particulier lorsque
celle-ci rappelle que le Conseil de l’Europe est la source de référence
en matière de droits de l’homme et qu’il doit également maintenir
sa primauté lorsque le respect des valeurs fondamentales communes
par les États membres de l'Union européenne, ainsi que par les États
non membres de l'Union européenne, est évalué.
5. Elle considère que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
s’inscrirait parfaitement dans cette perspective.
6. En outre, la commission de suivi estime que la proposition
visant à ce que l’Assemblée parlementaire tienne un débat annuel
sur l’État de droit avec la participation de représentants des institutions
européennes constitue un moyen pratiquement réaliste, politiquement
pertinent et stratégiquement habile de renforcer la coopération
entre les institutions de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe,
tout en garantissant à l’Assemblée une place au sein de celle-ci.
La commission de suivi considère d’ailleurs que cette place est
tout à fait légitime, compte tenu de la nature de l’Assemblée: un
forum de dialogue interparlementaire rassemblant des élus issus
des parlements nationaux.
7. La commission de suivi souscrit en outre intégralement aux
recommandations adressées par la commission du Règlement au Comité
des Ministres, en particulier celles des paragraphes 4 (intensification
de l’action politique du Comité des Ministres), 7 (risques pesant
sur la cohérence du système normatif en Europe) et 9 (mesures préconisées
permettant le maintien de la primauté du Conseil de l’Europe) du
projet de recommandation.
8. Par conséquent, la commission de suivi n’a qu’un seul amendement
à présenter. Elle saisit en outre cette occasion pour attirer l’attention
des membres de l’Assemblée sur un certain nombre de points développés dans
l’exposé des motifs qui suit.
B. Amendement proposé
(open)Amendement A (au projet de résolution)
Après le paragraphe 7, insérer les paragraphes suivants:
«L’Assemblée rappelle que depuis 1993 elle dispose d’une procédure de suivi des obligations et des engagements pris par les États membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, dont la mise en œuvre incombe à la commission de suivi. L’ensemble des États membres peuvent faire l’objet d’une telle procédure. En outre, lorsque cette procédure est clôturée, un dialogue postsuivi est établi avec l’État concerné. Cette procédure permet l’examen des questions relatives au fonctionnement des institutions démocratiques dans les États membres. Elle permet enfin de garantir le respect des obligations contractées par les États membres qui ne font pas l’objet de procédures de suivi spécifiques par le biais de rapports d’examen périodique, effectués pays par pays.
L’Assemblée invite l’Union européenne à se référer aux travaux de la commission de suivi en tant que de besoin.»
Note explicative:
Le projet de résolution ne mentionnant pas la procédure de suivi de l’Assemblée, qui dispose d’une expérience de plus de 20 ans en la matière, l’ajout de ces deux paragraphes paraît amplement justifié. Dix pays font actuellement l’objet d’une procédure de suivi, trois sont engagés dans un dialogue postsuivi et le fonctionnement des institutions démocratiques est examiné dans un pays.
C. Exposé des motifs, par M. Andrej Šircelj, rapporteur pour avis
(open)1. Les travaux sur le mécanisme
européen menés par la commission du Règlement et la commission de suivi,
auxquels j’ai pris part ,
ainsi que les différents échanges que j’ai pu avoir m’ont aidé à
parvenir aux conclusions suivantes.
2. En 2000, alors même que l’Union européenne disposait déjà
à l’époque de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE)
relatif à ce que certains qualifient de «procédure en manquement
politique», elle a choisi de demander au Président de la Cour européenne
des droits de l’homme de désigner trois «sages» pour résoudre une
crise liée à une éventuelle violation des «valeurs européennes communes» en Autriche. Il est clair que cette
époque est complètement révolue. La liste des instruments mis en
place par l’Union européenne pour assurer le suivi de l’État de
droit, telle qu’elle est indiquée dans le rapport de Mme De Sutter,
est éloquente. Elle permet de mesurer le chemin parcouru depuis
la déclaration de Copenhague de 1993 qui fixait les critères politiques
que devait remplir tout État désirant adhérer à l’Union: la présence
d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit,
les droits de l’homme et le respect des minorités et leur protection.
3. Parallèlement, l’utilisation des travaux du Conseil de l’Europe
par le Parlement européen et la Commission européenne est allée
croissant. Elle revêt aujourd’hui principalement deux formes. Soit
les travaux du Conseil de l’Europe sont directement intégrés dans
les activités de suivi de l’Union européenne , soit les normes produites
par les différentes entités du Conseil de l’Europe servent de base
de référence explicite aux décisions prises par les institutions
européennes en matière de suivi . Comme le note justement le
rapport de Mme De Sutter, cela concerne
notamment le Comité des Ministres, la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise), la CEPEJ, le
Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et le Comité d'experts
sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL).
4. Ma conviction est que ce mouvement d’extension de l’Union
européenne dans le champ du Conseil de l’Europe n’est pas prêt de
s’arrêter, que cela nous plaise ou non. De manière paradoxale, les
lourdeurs de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne et son
caractère éminemment politique ont conduit la Commission européenne
et le Parlement européen à développer d’autres outils de suivi et
je ne vois pas ce qui pourrait les dissuader de le faire à l’avenir.
L’objectif fondateur de la construction européenne reste, selon
son Préambule, «une union sans cesse plus étroite». D’ailleurs,
ce mouvement se poursuit puisque la Commission des Libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen
a mis en place un Groupe de suivi-État de droit sur la corruption
et la liberté de la presse (Rule of Law Monitoring Group) centré
sur Malte et la Slovaquie en décembre 2017 et que la Commission
européenne a annoncé en octobre 2018 qu’elle entendait renforcer
son cadre pour l’État de droit.
5. Le mécanisme proposé par le Parlement européen dans sa résolution
de 2016 n’a, à mon sens, aucune chance d’être adopté en l’état.
La Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne ont
expliqué leur opposition: le mécanisme proposé serait vu par les
États membres de l’Union comme empiétant sur leur souveraineté.
Ce motif est selon moi plus dirimant que la question de savoir si
les traités européens offrent ou non une base juridique pour le
mettre en œuvre. Cette position signifie a
contrario que le jour où un mécanisme semblable sera
vu comme nécessaire et non comme intrusif, il sera adopté. C’est
à cela que l’Assemblée parlementaire doit se préparer.
6. Face à cette situation, je vois trois attitudes possibles
pour l’Assemblée et sa commission de suivi.
7. La première serait celle de la «plainte» au motif que le Conseil
de l’Europe et l’Assemblée disposeraient de l’antériorité dans la
mise en œuvre des procédures de suivi, de l’expertise qui l’accompagne,
de la primauté dans ce domaine reconnue par le mémorandum d’accord
de 2007 signé avec l’Union européenne et qu’in
fine l’Union européenne se mêle de ce qui ne la regarde
finalement pas. Cette attitude, quelque soit la légitimité de ses
arguments, me paraît irréaliste, dépassée et en tout cas pas de
nature à endiguer la dynamique de l’Union européenne.
8. La deuxième attitude consisterait en une forme de «splendide
isolement», l’Union européenne vaquant à ses procédures, pendant
que l’Assemblée s’occuperait des siennes, en arguant par exemple
qu’elles diffèrent dans leurs objectifs et dans leurs moyens. Je
ne pense pas que cette position soit tenable sur le long terme pour
ce qui relève de la procédure de suivi de l’Assemblée. La Commission
européenne se livre déjà à travers son cadre pour l’État de droit
à un suivi pays par pays et elle utilise pour ce faire les recommandations et
les avis d’entités de suivi du Conseil de l’Europe au même titre
que la commission de suivi de l’Assemblée. Géographiquement, le
nombre de pays pour lesquels il n’existe pas de risque qu’un quelconque
mécanisme de suivi de l’Union s’applique concurremment avec celui
de la commission de suivi, est assez limité. Juridiquement, la commission
de suivi peut ouvrir une procédure de suivi à l’égard de l’ensemble
des États membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire éventuellement
à l’égard de tous les États membres de l’Union européenne. La Bulgarie
est d’ailleurs actuellement engagée dans un dialogue post-suivi.
En outre, parmi les États non membres de l’Union européenne, l’Albanie,
la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, la Turquie et la
Bosnie-Herzégovine sont soit candidats à l’adhésion à l’Union européenne,
soit candidats potentiels et donc sujets à un contrôle strict du
respect du critère politique défini par la Déclaration de Copenhague.
Les risques, tels qu’ils sont listés par le rapport de Mme De
Sutter (duplication des normes, contradiction entre celles-ci ou
interprétation divergente des mêmes normes, «forum shopping»…) concernent donc
à terme les trois quarts des États membres du Conseil de l’Europe .
9. La troisième attitude, qui me semble être la bonne, vise à
promouvoir la procédure de suivi de l’Assemblée en accentuant la
coopération de cette dernière avec l’Union européenne.
10. Deux mesures me paraissent essentielles au succès d’une telle
coopération. Tout d’abord, un moyen efficace pour garantir la primauté
du Conseil de l’Europe dans la fixation des normes relatives à nos
trois piliers, démocratie, État de droit et droits de l’homme, me
semble être l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme. Cette adhésion soumettrait le corpus juridique
de l’Union européenne au respect des dispositions de la Convention
telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme
et devrait normalement conduire à limiter, sinon éliminer, les quelques
divergences de jurisprudence existant entre cette dernière et la
Cour de justice de l’Union européenne. La Commission européenne
a affirmé que cette adhésion restait une priorité et je ne peux
que souhaiter qu’elle se concrétise.
11. La seconde mesure qui me paraît importante est la proposition
énoncée dans le rapport de Mme De Sutter.
L’Assemblée pourrait organiser annuellement un débat sur l’État
de droit avec la participation de représentants des institutions
européennes. La préoccupation tant de la Commission que du Parlement européen
est d’impliquer les parlements nationaux dans les débats sur l’État
de droit et leur mécanisme de suivi. Quelle meilleure enceinte que
l’Assemblée parlementaire, composée de membres de parlements nationaux,
pour le faire?
12. Je soutiens pleinement cette proposition car elle met également
l’accent sur l’absence complète de visibilité de l’Assemblée en
général, et de la procédure de la commission de suivi en particulier,
dans les mécanismes de suivi des institutions européennes. Lorsque
le Parlement européen envisage un mécanisme, l’Assemblée n’y figure
malheureusement nulle part. Lorsque la Commission européenne fait
référence aux avis de la Commission de Venise sur les réformes judiciaires
de la Pologne dans son cadre de l’État de droit, elle n’a à aucun
moment conscience que certains de ces avis ont été demandés par
la commission de suivi. Lorsque l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne liste, dans son outil EFRIS, l’ensemble des entités
disposant de procédures de suivi relatives à l’État de droit, celles
du Conseil de l’Europe y figurent toutes, à l’exception de l’Assemblée . Enfin, lorsque les commissions
des Affaires étrangères et des Libertés civiles du Parlement européen
organisent une audition conjointe sur l’État de droit et le processus
d’adhésion, qui concerne des pays soit sous procédure de suivi,
soit engagés dans un dialogue post-suivi, alors que le Président
de la commission de Venise y participe, ce dont je me félicite,
aucun membre de l’Assemblée n’y est présent, ce que je déplore.
Je plaide donc pour mettre un terme à cette invisibilité, au moment
où la commission de suivi a réformé sa procédure pour donner plus
d’impact aux rapports concernant les pays ne faisant pas l’objet
d’une procédure de suivi ni engagés dans un dialogue post-suivi et où
elle se penche sur le fonctionnement des institutions démocratiques
dans les États membres. Si la commission de suivi, et plus largement
l’Assemblée, souhaite que leurs travaux deviennent une source de
référence pour les mécanismes de suivi de l’Union européenne, au
même titre que ceux de la Commission de Venise, du GRECO ou de la CEPEJ,
il leur appartient de multiplier les occasions de les présenter
aux institutions européennes en mettant en place un dialogue informel
mais régulier avec elles. Les rapporteurs et présidents de commission
pourraient en être le fer de lance, en particulier à l’égard de
leurs homologues du Parlement européen, dont le siège n’est pas
trop éloigné de celui de l’Assemblée.