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Addendum au rapport | Doc. 14847 Add. | 09 avril 2019

Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Mart van de VEN, Pays-Bas, ADLE

Origine - Addendum approuvé par la commission le 8 avril 2019. 2019 - Deuxième partie de session

1. Introduction

1. Depuis l’adoption du rapport le 4 mars 2019, deux nouvelles questions ont vu le jour: premièrement, la publication par le Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP) de rapports consacrés à un autre système de blanchiment de capitaux à grande échelle, surnommé la «lessiveuse Troika» 
			(1) 
			«The Troika
Laundromat», OCCRP, 4 mars 2019; la page internet correspondante
comporte des liens vers les articles connexes.; et deuxièmement, les faits nouveaux relatifs aux activités de corruption menées au sein de l’Assemblée, auxquelles le système de lessiveuse azerbaïdjanaise avait contribué. Ces deux éléments imposent d’apporter certains amendements au projet de résolution qui sera présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

2. La «lessiveuse Troika»

2. La lessiveuse Troika tire son nom de la plus importante banque d’investissement privée de Russie, Troika Dialog, dirigée par Ruben Varbanyan. Les informations détaillées sur ce système ont fait surface à la suite d’une importante fuite de documents bancaires et autres, qui portent sur quelque 1,3 millions de transactions, impliquant 238 000 sociétés. Un réseau de 75 entreprises au moins est mêlé à la lessiveuse Troika proprement dite. De 2006 au début de l’année 2013, plus de 4,5 milliards $US ont transité par ce système; des transactions d’une valeur de 8,8 milliards $US, qui portent sur des contrats commerciaux fictifs, ont été effectuées entre les sociétés impliquées afin de mélanger et d’opacifier la provenance de ces fonds. Ce système a été mis en place et géré par la banque, pour le compte de ses clients.
3. La lessiveuse Troika met particulièrement en évidence le fait que les capitaux blanchis proviennent de la criminalité organisée et de la corruption russes, notamment de l'affaire Magnitski, de la surfacturation frauduleuse des prix du kérosène à l'aéroport de Moscou-Cheremetievo et d’une fraude fiscale à grande échelle. Fin 2008, un avocat autrichien, Erich Rebasso, a avoué à la police autrichienne qu’il avait blanchi des capitaux pour le compte des membres de la pègre russe. Deux ans plus tard, la police autrichienne s’est déclarée incompétente, toute infraction éventuelle ayant été commise à l’étranger par des ressortissants étrangers 
			(2) 
			Cette situation illustre
le problème rencontré par les services répressifs, qui ne parviennent
pas à engager des poursuites pour une infraction autonome ou accessoire
de blanchiment de capitaux, puisque doit tout d'abord être apportée
la preuve d'une infraction principale: voir le paragraphe 5.2.4
du projet de résolution.. En 2012, M. Rebasso a été enlevé et assassiné. Deux anciens fonctionnaires de police de Moscou ont été condamnés en Russie en 2014, mais pour demande de rançon et non pour meurtre. Les relations politiques à haut niveau occupent à nouveau une place de choix dans ce système: Sergei Roldugin, ami proche du président russe Vladimir Poutine et violoncelliste, qui était déjà en vue dans les Panama Papers, aurait reçu au moins 69 millions $US par le biais de la lessiveuse Troika 
			(3) 
			Le porte-parole du
président Poutine a rejeté les rapports sur la lessiveuse Troïka,
en affirmant de diverses manières qu'ils étaient faux, inventés,
datés, confus ou se rapportaient à une situation qui existait à
l’époque où la «loi de la jungle» régnait en Russie («Kremlin Dismisses
Troika Allegations», OCCRP, 12 mars 2019). Le fait que les autorités
affirment dans le même article que «80 %» des établissements financiers
russes respectent désormais les dispositions relatives à la lutte
contre le blanchiment de capitaux est suffisamment éloquent..
4. L’OCCRP relève que quatre éléments essentiels sont indispensables à la mise en place d’un système de lessiveuse, notamment «une banque dont les exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux sont peu élevées» et «un labyrinthe de sociétés offshore opaques titulaires de comptes dans cette banque». De ce point de vue, la lessiveuse Troika présente de frappantes similitudes avec les systèmes de lessiveuse internationale et de lessiveuse azerbaïdjanaise: la banque vulnérable se trouvait dans un État balte, en l’espèce la banque Ukio de Lituanie, et trois sociétés écrans établies aux îles Vierges britanniques ont joué un rôle pivot dans la constitution du réseau de sociétés offshore.
5. Le rapport adopté le 4 mars 2019 examine déjà en détail le rôle joué par la Danske Bank Estonie dans la lessiveuse azerbaïdjanaise, ainsi que dans le blanchiment de capitaux plus généralement, et traite de manière moins détaillée de l’action de la banque lettone ABLV dans le système de lessiveuse internationale. Si l’on y ajoute la banque Ukio en Lituanie, il devient plus patent encore que le système bancaire des États baltes était et reste peut-être particulièrement perméable aux systèmes internationaux de blanchiment de capitaux qui l’utilisent. La vulnérabilité de la Lettonie est abordée au paragraphe 15 de mon exposé des motifs, mais ces caractéristiques valent également pour l’Estonie et la Lituanie: ces anciennes républiques soviétiques, qui comptent une importante population russophone, ont rapidement adhéré à l’Union européenne et ont ensuite fait office de têtes de pont pour faciliter l’accès au système bancaire de l’Union européenne, notamment grâce à de solides liens avec les banques nordiques, comme la Danske Bank précitée ou la Swedbank (qui fait à présent elle aussi l’objet d’une enquête pour son implication dans le scandale de la Danske Bank Estonie 
			(4) 
			«Watchdog
launches probe into Swedbank after money laundering allegations», The Local, 21 février 2019.).
6. Comme l’euro n’est devenu la devise de la Lituanie qu’en 2015, Ukio avait besoin de comptes correspondants dans des banques étrangères pour effectuer des transactions en euros. Plusieurs grandes banques ont fourni ce type de services à Ukio, dont la Raffeisenbank en Autriche et la Commerzbank en Allemagne. Bien que l’OCCRP signale que certaines de ces banques «ont sporadiquement demandé des informations sur la nature de certaines transactions», il faut se demander si elles se sont acquittées de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux avec la diligence requise 
			(5) 
			La Recommandation 13
des 40 Recommandations du Groupe d'action financière (GAFI) de l’OCDE
sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme et de la prolifération énonce des obligations particulières
« en plus des mesures de vigilance normales relatives à la clientèle »,
qui figurent quant à elles dans les Recommandations 10 et 11. Les
recommandations du GAFI sont également appliquées par le Comité
d'experts du Conseil de l’Europe sur l'évaluation des mesures de
lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
(MONEYVAL).. En parallèle, les banques internationales devraient respecter leurs obligations de manière consciencieuse et responsable, tout en évitant de réagir en général de manière excessive vis-à-vis des États qui rencontrent des difficultés, en s'en retirant totalement dans un souci de réduction des risques, ce qui peut priver les particuliers et les entreprises légitimes d’un accès à des services financiers réglementés 
			(6) 
			Voir par exemple «The
Decline in Access to Correspondent Banking Services in Emerging
Markets: Trends, Impacts, and Solutions», World Bank Group, 2018.. De fait, en avril 2017, la Deutsche Bank, important prestataire de services de correspondance bancaire aux banques d’Estonie et de Lettonie, a annoncé qu’elle suspendait ces activités 
			(7) 
			«Deutsche Bank suspends
dollar-clearing service in Estonia», ERR News, 11 avril 2017.. D’après certaines informations, ce vide a été largement comblé par les banques russes, notamment la VTB, propriété de l’État, dont on dit qu’elle n’est «pas véritablement une banque, mais plutôt une caisse noire du Kremlin qui est censée fournir un financement quel qu’en soit le but proposé par le Kremlin» 
			(8) 
			«Russia and money-laundering
in Europe», EU Observer, 25 mars 2019..

3. L’action des parlements nationaux face aux activités de corruption menées au sein de l’Assemblée parlementaire en lien avec le système de lessiveuse azerbaïdjanaise

7. Le paragraphe 4 du projet de résolution observe que «le système de lessiveuse azerbaïdjanaise a également fourni des sommes d’argent qui ont contribué aux activités de corruption menées au sein de l’Assemblée parlementaire». L’une des personnes désignées qui semble très clairement avoir bénéficié d’une partie de cet argent est Karin Strenz. Le projet de résolution indique que le Bundestag allemand a conclu qu’elle avait enfreint les dispositions de son code de déontologie. Depuis cette date, le Bundestag a infligé une amende d’environ 20 000 euros à Mme Strenz, soit le montant le plus élevé jamais appliqué. Je me félicite du fait que le Bundestag ait pris cette décision résolue, en infligeant une sanction qui indique clairement la gravité que revêt à ses yeux la conduite de Mme Strenz.
8. Le 14 mars 2019, Transparency International Allemagne a annoncé avoir porté plainte au pénal à la fois contre Mme Strenz et Eduard Lintner auprès du ministère public allemand sur le fondement de l’article 108e du Code pénal, qui porte sur la corruption d’élu. Transparency International Allemagne estime que l’article 108e, qui a été mis en place après la ratification par l’Allemagne de la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2004, est invoqué pour la première fois à cette occasion et attend de cette affaire qu’elle ait valeur de test sur l’adéquation de cette disposition de lutte contre la corruption. Comme M. Lintner n’est plus parlementaire, il ne peut plus être sanctionné par le Bundestag; je me félicite donc de l’enquête ouverte par le procureur au sujet des allégations portées contre lui et Mme Strenz et j’espère que toutes les mesures adéquates seront prises en conséquence.
9. Le procès de Luca Volontè pour corruption et pots-de-vin à propos des sommes qu’il a perçues par l’intermédiaire du système de lessiveuse azerbaïdjanaise se poursuit devant le tribunal de Milan. La dernière audience a eu lieu le 11 mars 2019 
			(9) 
			«Processo all’ex parlamentare
dell’UDC Luca Volontè» (enregistrement audio de l'audience du tribunal),
Radio Radicale, 11 mars 2019..

4. Autres questions

10. Depuis l’adoption du rapport, je me suis rendu compte que la remarque faite au paragraphe 5.3.3. du projet de résolution, selon laquelle le Groupe d'action financière (GAFI) de l’OCDE et MONEYVAL avaient fait preuve d’une «relative inattention» à l’égard de l’efficacité et de la mise en œuvre des régimes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux, était inexacte et injuste. Je propose par conséquent de libeller différemment ce paragraphe.
11. Enfin, j’ai été contacté par M. Alexander Hristov, directeur général de Doverie-United Holding AD, une société bulgare qui a récemment acheté une participation de 64% dans Moldindconbank, la banque moldave au cœur de la lessiveuse internationale. M. Hristov conteste deux points qui figurent au paragraphe 12 de ma note introductive. Premièrement, il nie que la Moldindconbank ait été rachetée par deux hommes d’affaires bulgares, Ognian Donev et Radosvet Radev. Je note toutefois que M. Donev contrôle une société appelée Sopharma, qui est le principal actionnaire unique (33 %) de Doverie-United Holdings et est vice-président du conseil de surveillance de cette dernière, et que M. Radev a fondé Doverie-United Holding et est président de son conseil de surveillance. Dans ces circonstances, je suis disposé à m’en tenir à ma déclaration initiale, sous réserve de ces précisions. Quant à l’autre affirmation de M. Hristov – selon laquelle M. Donev a été acquitté pour fraude fiscale – je suis prêt à reconnaître qu’en février 2019, le tribunal municipal de Sofia a effectivement pris une telle décision, tout en prenant note des rapports qui indique que le procureur a l’intention de faire appel de cette décision que M. Hristov reconnaît lui-même comme n’étant pas définitive. 
			(10) 
			«Court
Acquits Businessman Ognyan Donev of Tax Evasion», Agence de presse
bulgare, 8 février 2019.

5. Amendements proposés

Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 1, après les mots «qui a transféré 2,9 milliards $US hors d'Azerbaïdjan,», ajouter les mots «ainsi que le système de «lessiveuse Troika», qui a procédé au transfert supplémentaire de 4,6 milliards $US hors de Russie,».

Amendement B (au projet de résolution)

Au paragraphe 4, après les mots «avait enfreint les dispositions de son code de déontologie», ajouter les mots «et lui a infligé une amende record de 20 000 euros. Transparency International Allemagne a porté plainte au pénal à la fois contre Mme Strenz et Eduard Lintner pour infraction de corruption d’un agent public».

Amendement C (au projet de résolution)

Au paragraphe 4, remplacer les mots «des deux autres, Eduard Lintner (Allemagne) et» par les mots «du dernier de ces cinq membres,».

Amendement D (au projet de résolution)

Après le paragraphe 4, insérer le paragraphe suivant:

«La lessiveuse Troika, une fois encore, fait intervenir de nombreuses sociétés-écrans, dont trois d’entre elles, établies aux îles Vierges britanniques, ont joué un rôle pivot, et la participation cruciale d’une banque balte, en l’espèce la banque Ukio de Lituanie. Des personnes proches du cœur du pouvoir central étaient à nouveau impliquées, y compris cette fois un ami proche du président Poutine. La lessiveuse Troika révèle tout particulièrement le fait que les fonds blanchis proviennent de la criminalité organisée et de la corruption. Elle illustre également l’importance de la garantie supplémentaire contre le blanchiment international de capitaux que représentent les procédures effectives de lutte contre le blanchiment de capitaux au sein des banques qui fournissent des services de correspondance bancaire à des partenaires étrangers.».

Amendement E (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5.2.9, ajouter le paragraphe suivant:

«la vulnérabilité particulière des systèmes bancaires et des systèmes de lutte contre le blanchiment de capitaux dans les États baltes;».

Amendement F (au projet de résolution)

Remplacer le paragraphe 5.3.3 par le texte suivant:

«le fait que le Groupe d'action financière (GAFI) et le Comité d'experts du Conseil de l’Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) n’aient que récemment renforcé l’attention portée à l’efficacité et à la mise en œuvre des régimes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux, à la suite d’un changement de méthodologie du GAFI en 2013.».

Amendement G (au projet de résolution)

Après le paragraphe 6.6, insérer le paragraphe suivant:

«les États baltes à remédier aux caractéristiques propres à leurs systèmes bancaires, notamment la prédominance des comptes de clients non-résidents, qui peuvent les rendre particulièrement vulnérables au blanchiment international de capitaux;».

Amendement H (au projet de résolution)

Après le paragraphe 6.7.5, insérer le paragraphe suivant:

«à veiller à ce que les banques qui fournissent des services de correspondance bancaire mettent pleinement et correctement en œuvre les obligations pertinentes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux;».