1. Introduction
1.1. Le
rôle des lanceurs d’alerte dans une démocratie ouverte et transparente
1. Les lanceurs d’alerte jouent
un rôle essentiel dans toute démocratie ouverte et transparente.
La reconnaissance qui leur est accordée et l’efficacité de leur
protection en droit et en pratique contre toutes sortes de représailles
constituent un indicateur démocratique important. La protection
des lanceurs d’alerte est un enjeu pour la liberté d’expression
et d’information (article 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme), sans laquelle la démocratie ne peut fonctionner. Dans
une véritable démocratie, chacun doit pouvoir s’exprimer librement,
sans crainte de représailles, dans les limites interdisant notamment
le discours de haine et la calomnie intentionnelle. Mais la protection
des lanceurs d’alerte nécessite une législation spécifique au-delà
de celle qui garantit la liberté d’expression et d’information.
La protection efficace des lanceurs d’alerte permet aussi de réduire
le recours à des fuites de documents sous couvert d’anonymat par
le biais de plateformes telles que Wikileaks. Cela conduit en effet
à saturer l’espace public d’informations souvent invérifiables ou
manipulées nuisant à la qualité du débat démocratique.
2. En outre, le rôle des lanceurs d'alerte dans le cadre de la
lutte contre la corruption, le crime organisé et le blanchiment
d’argent est devenu incontestable, comme l’a démontré de manière
impressionnante le rapport de l’Assemblée sur les «lessiveuses»
et comme l’ont illustré différentes
affaires survenues ces dernières années (par exemple, Panama Papers,
Luxleaks, Football leaks).
3. Finalement, le rôle des lanceurs d’alerte s’est aussi avéré
crucial dans le domaine de la sécurité et de la protection de la
sphère privée pour tout un chacun, ainsi que l’a démontré Edward
Snowden. Ce sont en particulier les nouveaux enjeux démocratiques
liés à la protection des données personnelles, aux risques sur la
santé ou l’environnement, ou encore à l’utilisation abusive de nouvelles
technologies qui rendent urgents les progrès en matière de protection
d’alerte.
4. Révéler des dysfonctionnements graves dans l’intérêt public
ne doit pas rester un domaine réservé aux seuls citoyens prêts à
sacrifier leur vie personnelle et souvent celle de leurs proches,
comme cela a été trop souvent le cas par le passé. Lancer l’alerte
doit devenir le réflexe normal de tout citoyen responsable ayant
connaissance de dangers graves pour l’intérêt général.
5. Le renforcement et l’harmonisation de la protection juridique
des lanceurs d’alerte partout en Europe sont aujourd’hui essentiels
et doivent s’appuyer sur les travaux antérieurs de l’Assemblée et
du Comité des Ministres et prendre en compte les «Principes globaux
sur la sécurité nationale et le droit à l’information» (principes
de Tshwane)
, ainsi que le partage de bonnes
pratiques favorisant une protection accrue des lanceurs d’alerte
en pratique, dans tous les secteurs.
6. Une étape importante est marquée par la proposition de directive
de la Commission européenne portant sur la protection des lanceurs
d’alerte
, inspirée par les travaux et recommandations
du Conseil de l’Europe sur la question. La proposition a été entérinée
par le Parlement européen le 16 avril 2019
,
après des négociations difficiles dans le cadre du «trilogue» entre
le Parlement, le Conseil et la Commission européenne. La directive
a pour but de garantir un niveau élevé de protection des lanceurs
d'alerte qui signalent des violations du droit de l'Union européenne.
Elle met en place un système de trois canaux de signalement – interne,
externe, et public – ainsi qu’une protection effective, contre toute
mesure de représailles, des lanceurs d’alerte ayant dûment utilisé
l’une de ces voies de signalement. Selon la directive, l’alerte
éthique est un moyen d’alimenter «en informations les systèmes en
place dans les pays et au niveau de l’Union pour faire appliquer les
règles, conduisant à une détection efficace des infractions aux
règles de l’Union ainsi qu’à des enquêtes et à des poursuites efficaces
en la matière».
7. Les considérants de la proposition de directive présentent
la protection des lanceurs d’alerte dans les États membres de l’Union
européenne comme «fragmentée». Cette qualification s’applique aussi
aux autres États membres du Conseil de l’Europe. De grandes disparités
persistent entre les différentes législations nationales. Si certaines
législations nationales consacrent une reconnaissance et une protection
avancée aux lanceurs d’alerte, d’autres n’offrent qu’une reconnaissance
et une protection limitées et très hétérogènes selon les secteurs
ou
ne prévoient aucune protection spécifique. La comparaison entre
les résultats des enquêtes que le rapporteur du rapport de 2015
en la matière, M. Omtzigt, et moi-même avons lancées via le réseau
des services de recherche et de documentation parlementaires européens
(CERPD) montre qu’il y a eu du progrès depuis 2014, mais qu’il reste
encore beaucoup de chemin à parcourir (voir paragraphes 89-94, ci-dessous).
8. En France, jusqu’en 2016, la protection accordée aux lanceurs
d’alerte n'était applicable que de façon sectorielle, par exemple
dans le cadre de la lutte contre la corruption
, contre les conflits d'intérêts
ou encore dans le cadre de la protection
de la santé et de l’environnement
. Depuis l’entrée en vigueur de la
loi dite «
Sapin
II »
, le statut
de lanceur d’alerte est reconnu de façon assez large en France,
dans une loi générale
. Il
s’agit d’une des législations les plus avancées, mais elle devra
encore être améliorée pour satisfaire à la nouvelle directive européenne.
9. Partout en Europe, aujourd'hui encore, la protection des lanceurs
d'alerte reste menacée par la protection d’intérêts pouvant être
perçus comme antagonistes. C’est ainsi que les exceptions de la
protection des lanceurs d’alerte dans l’intérêt du secret des affaires
en matière de sécurité nationale
, en matière commerciale
ou encore en matière de protection
des données personnelles
peuvent représenter autant de menaces
pour la protection des lanceurs d’alerte. En outre, certaines activités
de militants, à l’image de Greenpeace pénétrant les centrales nucléaires
françaises pour en dénoncer les failles de sécurité, suscitent des
interrogations par rapport à la définition de lanceur d’alerte.
10. L’entrée en vigueur du règlement européen sur la protection
des données personnelles
pose par exemple
la question, lorsqu’appliquée au domaine de la protection des lanceurs
d’alerte, de l’équilibre entre le droit au respect de la vie privée
et au traitement licite, loyal et transparent des données personnelles
et l’obligation de traiter les
signalements
, notamment par le biais du stockage
et du traitement de données personnelles. Or, le règlement, en introduisant
des dispositions exigeant le consentement de la personne concernée
avant le traitement de ses données personnelles
, ou en permettant à celle-ci d'obtenir
du responsable du traitement l'effacement de ses données personnelles
, réduit la possibilité, pour les
autorités compétentes, de mener une enquête effective sur les faits
rapportés par les lanceurs d’alerte.
11. De plus, des lacunes et zones d’ombres persistent, même dans
les législations d’États membres dont la protection peut être généralement
qualifiée de bien développée. Tel est le cas lorsque les informations divulguées
ne portent pas sur un acte illégal, mais sur un acte moralement
discutable. Par exemple, dans l’affaire Luxleaks
, les accords fiscaux entre les cabinets
d’audit et l’administration fiscale luxembourgeoise, divulgués à
la presse par Antoine Deltour, étaient conformes au droit luxembourgeois
et au droit international. Néanmoins, ces arrangements étaient nuisibles
pour l'intérêt général puisqu’ils privaient d’autres États de recettes
fiscales substantielles de manière déloyale et à leur insu.
12. De même, les mesures de sauvegarde ayant pour vocation de
décourager les signalements malveillants ou abusifs et de prévenir
des atteintes injustifiées à la réputation, peuvent affaiblir sans
le vouloir la protection accordée aux lanceurs d'alerte
. L'absence de protection des lanceurs
d'alerte contre les procédures dilatoires ou abusives dites «poursuites-bâillons»
ou «poursuite stratégique contre la mobilisation publique» (en anglais
«
Strategic Lawsuit Against Public Participation»
ou SLAPP) visant à intimider les lanceurs d’alerte ou à les user
financièrement dans des procédures judiciaires longues et répétitives,
reste également problématique au sein des États membres du Conseil
de l'Europe (à l’exception de la France).
1.2. Plan
et objectifs du rapport, remerciements
13. La partie principale de mon
rapport présentera d’abord les «acquis» du Conseil de l’Europe en
matière de protection des lanceurs d’alerte (Section 2). Ensuite,
je présenterai les nouveaux éléments apportés par la récente proposition
de directive du Parlement européen et du Conseil en la matière,
qui concerne en premier lieu les États membres de l’Union européenne
(Section 3). En présentant les points clés de la proposition de directive,
je développerai plusieurs propositions visant à clarifier et à compléter
la future réglementation au niveau national qui résultera de la
transposition de la directive, partout en Europe, comme je l’espère.
14. Mon analyse et mes propositions sont largement inspirées par
les «48 heures chrono pour la protection des lanceurs d’alerte»
que j’ai organisées avec la société civile régionale les 14-15 mars
à Strasbourg. Ces deux journées ont donné lieu à des rencontres
avec de nombreux lanceurs d’alerte, avocats, chercheurs de l’Université
de Strasbourg et de l’Ecole Nationale d’Administration, représentants
d’organisations non gouvernementales, syndicalistes et élus locaux
et régionaux. J’ai naturellement aussi pris en compte les contributions
de nos experts lors des deux auditions que j’ai organisées au sein
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
en janvier 2019 avec Mme Anna Myers and
M. Christophe Speckbacher et en mai 2019 avec Mme Virginie
Rozière, Mme Nicole-Marie Meyer et M. Jean-Philippe
Foegle. Je remercie tous les experts pour leur contribution et coopération
tout au long de la préparation de ce rapport.
15. En tant que député français, je tiens à présenter brièvement
la situation juridique dans mon pays, après l’adoption de la loi
Sapin II et la loi de transposition de la directive européenne sur
la protection du secret des affaires (Section 4.). En conclusion,
je résumerai les résultats de l’enquête que j’ai menée parmi les
États membres du Conseil de l’Europe via le réseau CERPD. Ceci montrera
l’étendue du travail qui reste encore à accomplir, et auquel notre
projet de résolution apporte une modeste contribution.
2. Les acquis du Conseil de l’Europe en
matière de protection des lanceurs d’alerte
16. Les acquis du Conseil de l’Europe
reposent sur les travaux antérieurs de l’Assemblée et du Comité
des Ministres et surtout sur la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme.
2.1. Travaux
antérieurs de l'Assemblée et du Comité des Ministres concernant
les lanceurs d’alerte
17. L’Assemblée a affirmé à plusieurs
reprises l'importance de l'action des lanceurs d'alerte au sein
des sociétés démocratiques. Elle a participé activement au développement
et à la promotion de principes directeurs en matière de protection
des lanceurs d’alerte et a œuvré pour la mise en place dans la législation des
États membres d'une approche globale et cohérente sur la question
.
18. En 2010, sa
Résolution
1729 (2010) invitait les États membres du Conseil de l'Europe à
passer en revue leur législation nationale sur la protection des
lanceurs d'alerte en gardant à l'esprit une série de principes directeurs
. L'Assemblée a également
recommandé au Comité des Ministres, dans sa
Recommandation 1916 (2010), d'élaborer un ensemble de lignes directrices
pour la protection
des lanceurs d'alerte.
19. En 2013, dans sa
Résolution
1954 (2013) et sa
Recommandation
2024 (2013) sur la sécurité nationale et l’accès à l’information,
l’Assemblée a exprimé son soutien aux «Principes globaux sur la
sécurité nationale et le droit à l’information» ou «Principes de
Tshwane»
, afin de garantir une protection contre
les représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte divulguant,
de bonne foi, des méfaits dans le domaine de la sécurité nationale,
contraires aux droits de l’homme et à l’intérêt général.
20. En 2015
, l’Assemblée s’est félicitée de
l’adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation
CM/Rec(2014)7
sur la protection des lanceurs d’alerte «qui appelle les États membres à créer un cadre normatif,
judiciaire et institutionnel adéquat pour la protection des donneurs
d’alerte». La Recommandation du Comité des Ministres conseille aux
États membres d'adopter «une approche globale et cohérente pour
faciliter les signalements et les révélations d'informations d'intérêt
général» (paragraphe 7) et reflète dans une large mesure la position
exprimée par l'Assemblée en 2010.
21. Le rapport de 2015 identifie en effet un certain nombre de
lacunes dans la Recommandation CM/Rec (2014)7. Celle-ci exclut notamment
de son champ d’application les activités de renseignement dans le
secteur de la sécurité nationale en permettant l’application «d’un
régime particulier ou de règles particulières, prévoyant notamment
des droits et obligations modifiés» aux informations «relatives
à la sécurité nationale, à la défense, au renseignement, à l’ordre
public ou aux relations internationales de l’État» (paragraphe 5).
Dans sa
Résolution 2060
(2015), l’Assemblée incite ainsi les États membres «à adopter
une législation relative à la protection des donneurs d’alerte qui
vise également le personnel des services de sécurité nationale ou
de renseignement et des entreprises privées qui exercent leurs activités
dans ce domaine». Dans sa
Recommandation
2073 (2015), elle encourage également les États à s’engager dans
la voie de l’élaboration d'un instrument juridique contraignant
(convention-cadre), négocié sous les auspices du Conseil de l'Europe. Cette
convention devrait être conçue afin d’accorder aux éventuels lanceurs
d’alerte une protection juridique équivalente, quel que soit le
pays dans lequel réside le lanceur d’alerte ou révèle ses informations.
2.2. Une
Convention sur la protection des lanceurs d’alerte?
22. Dans son rapport de 2015, l’Assemblée
a proposé l’élaboration d’une convention du Conseil de l’Europe en
la matière. Le Comité des Ministres a évoqué, dans sa réponse à
la
Recommandation 2073
(2015) de l’Assemblée,
l’existence d’un cadre juridique international «qui protège les
lanceurs d’alerte de toute forme de rétorsion» (paragraphe 3)
.
«Sans exclure la possibilité d’élaborer une convention à plus long
terme», le Comité des Ministres a estimé «plus opportun pour le
Conseil de l’Europe de continuer à œuvrer à la promotion et à la
mise en œuvre des principes établis par la Recommandation CM/Rec(2014)
7» (paragraphe 5),«pour guider les États membres lorsqu’ils passent
en revue la législation pertinente et les mécanismes institutionnels visant
à protéger ceux qui alertent le grand public et/ou les autorités
compétentes de l’existence de menaces potentielles ou d’actes portant
atteinte à l’intérêt public.» (paragraphe 4).
23. Cependant, je reste convaincu de l’utilité de convenir d’un
instrument juridique contraignant visant à protéger l’ensemble des
personnes qui dénoncent des actes répréhensibles susceptibles de
violer les droits d’autres personnes, garantis par la Convention
européenne des droits de l’homme (ci-après «la Convention»). Une
nouvelle convention sur les lanceurs d’alerte permettrait de ne
pas restreindre le champ d’application des dispositions législatives
à des secteurs d’activité spécifiques et de couvrir les situations
de manière large et exhaustive. Par exemple, le Comité des Ministres
définit un lanceur d’alerte par sa relation de travail. Cela met dans
l’ombre la protection de tout autre citoyen, qui ne serait pas dans
une relation de travail, mais qui aurait eu connaissance d’une menace
ou d’un préjudice pour l’intérêt général, et serait tout autant
sujet à des représailles potentielles. La Recommandation CM/Rec(2014)7
pourra servir de point de départ incontestable, menant à terme à
l’élaboration d'une convention. Celle-ci devrait également s’inspirer
de la récente proposition de directive européenne à ce sujet, en
tenant compte de l’adoption du nouveau règlement européen sur la protection
des données personnelles et de la nécessité de réglementer les «poursuites-bâillons»
qui restent problématiques aujourd’hui. Elle serait une base pour
la création d’autorités indépendantes dédiées aux lanceurs d’alerte
dans chaque pays la ratifiant.
24. A la veille des 70 ans du Conseil de l’Europe, une convention
sur la protection des lanceurs d’alerte marquerait la volonté d’une
transposition effective au sein de la législation des États parties
à la Convention d’une protection renforcée des lanceurs d’alerte.
La protection doit être plus soutenue, tout particulièrement dans
les domaines de la sécurité publique, de la corruption et de la
finance. La négociation ne doit pas non plus commencer à zéro, puisque
la nouvelle directive européenne fournit une base solide, commune
à tous les États membres du Conseil de l’Europe qui appartiennent
aussi à l’Union européenne.
25. Une Convention sur la protection des lanceurs d’alerte permettrait
de stabiliser et d’harmoniser le droit en la matière. C’est notre
objectif principal. D’autres techniques juridiques faisant partie
de l’arsenal du Conseil de l’Europe pourraient aussi servir à atteindre
cet objectif. Par exemple, l’adoption d’un protocole additionnel à
la Convention européenne des droits de l’homme aiderait la Cour
européenne des droits de l’homme à développer encore sa jurisprudence
en la matière et par ce biais à imposer des règles communes contraignantes
dans tous les États parties de la Convention. Une autre possibilité
serait l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention civile
sur la corruption (STE n° 174) pour élaborer plus précisément l’article
9 de ladite Convention concernant la protection des lanceurs d’alerte.
Un tel protocole aurait l’avantage que sa mise en œuvre serait suivie
par le Groupe d’États contre la Corruption (GRECO). Personnellement,
je préfère l’instrument d’une convention spéciale sur la protection
des lanceurs d’alerte. Un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme risquerait de mettre en péril la
jurisprudence existante de la Cour, basée notamment sur l’article
10 (voir ci-dessous), tant que tous les États parties à la Convention n’auront
pas ratifié le Protocole. Qui plus est, la solution du protocole
additionnel à la Convention civile sur la corruption risquerait
de trop limiter la protection des lanceurs d’alerte à la lutte contre
la corruption, même si l’existence d’un mécanisme de suivi tout
fait (et efficace!) comme le GRECO est intéressante.
2.3. La
récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
26. La Convention européenne des
droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme («la Cour») reste une source essentielle de protection
pour les lanceurs d’alerte, au travers de l’application de l’article
10 de la Convention qui protège la liberté d’expression et le droit
à l’information. Le rapport de l’Assemblée de 2015 résume la jurisprudence
de la Cour qui ne cesse de défendre le «juste équilibre entre, d’une
part, la liberté d’expression et d’information, surtout lorsqu’elle
sert à dénoncer des faits répréhensibles, notamment des actes illicites
et des violations des droits de l’homme, et d’autre part, l’obligation
de maintenir le secret des informations liées à la sécurité nationale,[…]
à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense
de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé
ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d’autrui [...]»
. Pour ce qui est de la jurisprudence
avant 2015, je me réfère donc volontiers au dernier rapport.
27. Dans l’affaire récente de
Catalan
c. Roumanie , le requérant,
un fonctionnaire travaillant pour le Conseil national pour la recherche
des archives de la Securitate (CNSAS) avait mis à disposition du
quotidien national
Libertatea des
documents provenant des archives de la
Securitate,
l’ancienne police secrète active sous le régime communiste. Ces
documents concernaient T., le patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine
en fonction, et portaient sur des allégations d’homosexualité et
d’appartenance à la
Legion,
un mouvement fasciste antisémite actif entre les deux guerres mondiales.
Le requérant fut révoqué pour faute par le collège du CNSAS réuni
en commission de discipline. La Cour a conclu, à l’unanimité, que
la révocation du requérant ne constituait pas une violation de l’article
10 de la Convention.
28. Si la Cour a estimé que la révocation de M. Catalan de la
fonction publique constitue une ingérence dans l’exercice de son
droit au respect de sa liberté d’expression, elle a également considéré
que cette ingérence était, conformément au paragraphe 2 de l’article
10 de la Convention, «prévue par la loi» (paragraphe 49), et qu’elle
poursuivait deux buts légitimes: empêcher la divulgation d’informations
confidentielles et protéger les droits d’autrui (paragraphe 55),
en l’occurrence ceux des personnes figurant dans les archives gérées
par le CNSAS. Elle a considéré cette ingérence comme «nécessaire
dans une société démocratique», puisque la fonction publique exige
de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et que «certaines manifestations
du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes
dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation
de travail» (paragraphe 58).
29. De plus, le fait que M. Catalan ait pu réintégrer la fonction
publique en tant qu’enseignant postérieurement à sa révocation a
poussé la Cour à considérer que sa révocation n’avait pas été une
sanction disproportionnée. La sévérité de la sanction est l’un des
six critères prévus par la Cour, dans les affaires
Guja c. Moldova et
plus tard
Heinisch c. Allemagne , Bucur et Toma c. Roumanie ,
et
Matùz c. Hongrie , afin de conclure si l’atteinte
portée au droit à la liberté d’expression du requérant, en particulier
à son droit de communiquer des informations, est ou non «nécessaire
dans une société démocratique».
30. La Cour s’était prononcée en février 2008 dans l’affaire
Guja susmentionnée sur un premier licenciement
du requérant à la suite de ses activités de lanceur d’alerte. La
Cour avait alors reconnu le statut de lanceur d’alerte à M. Guja.
A la suite de l’arrêt de 2008, les juridictions nationales avaient
ordonné la réintégration de M. Guja à son ancien poste. Toutefois,
dix jours plus tard, celui-ci avait reçu un ordre de révocation
se fondant sur une disposition du droit interne et justifié par
la désignation d’un nouveau procureur général. Dans
Guja c. République de Moldova n°2 , la Cour a à nouveau conclu à une
violation de l'article 10 paragraphe 2 de la Convention car elle
a considéré que l'interférence dans le droit à la liberté d'expression
du requérant n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
31. Le test de «Guja» et la jurisprudence afférente sont reflétés
par les principes de Tshwane. L’intérêt d’assurer la transposition
du test de «Guja» dans la législation des États membres est d’autant
plus important que tous les tribunaux nationaux devraient prendre
en compte la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, même lorsqu’elle
provient de jugements concernant d’autres États membres afin d’éviter
des jugements contre eux-mêmes (
res interpretata ).
32. Le jugement de la Grande Chambre
Medžlis
Islamske Zajednice Brčko et autres c. Bosnie-Herzégovine concernait
la condamnation civile pour diffamation de quatre organisations
non gouvernementales (ONG) en raison d’une lettre qu’elles avaient
adressée aux plus hautes autorités de leur district pour se plaindre
de la candidature d’une personne au poste de directeur de la radiotélévision multiethnique
du district de Brčko. La lettre faisait suite à des informations
reçues par les ONG de la part d’employés de cette radio. La Grande
Chambre a conclu, par onze voix contre six, à la non-violation de
l’article 10 de la Convention relative à la liberté d’expression
en se fondant sur l’article 10 paragraphe 2 faisant référence à
la protection de la réputation d’autrui. Les déclarations étaient
effectivement de nature à mettre sérieusement en question l’aptitude
de l’intéressée à occuper le poste visé. La Grande Chambre a affirmé
que les requérantes ne pouvaient pas être regardées comme des lanceuses
d’alerte et qu’il n’était pas nécessaire en l’espèce de définir
leur qualité. Pour autant, selon les six juges qui ont voté pour
la violation de l’article 10, les ONG ont fait quasiment office
de lanceuses d’alerte en l’espèce. Selon ces juges, signaler le
comportement
a priori répréhensible
aux autorités en question dans une lettre privée appelait l’application
d’une approche plus subjective et plus indulgente que dans des situations
factuelles totalement différentes (paragraphe 82).
33. Dans l’affaire
Berlusconi c. Italie , la Cour a souligné
l’importance de la protection des lanceurs d’alerte en citant les
conclusions du GRECO au sujet de la lutte contre la corruption publiées
le 1er juillet 2013 (paragraphe 52).
34. Une affaire pendante à suivre est celle de
Robert Norman c. Royaume-Uni .
Elle implique la vente d’information par un employé de prison à
un journaliste. L’employé a été arrêté et accusé d’avoir commis
une faute dans l’exercice de ses fonctions. La justice britannique
a jugé que le requérant n'était pas un véritable lanceur d’alerte.
Toutes les informations vendues par le requérant n’étaient pas dans
l'intérêt public et certaines visaient uniquement à attaquer le
directeur de la prison. Le requérant était motivé par des intérêts financiers
tandis qu'en tant que représentant syndical, il aurait pu utiliser
les canaux officiels pour diffuser ces informations.
3. La
proposition de directive de l’Union européenne
35. Le 16 avril 2019, le Parlement
européen a adopté une proposition de directive sur la protection
des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union. Ce
texte intervient en réponse à deux résolutions du Parlement européen
déplorant l'absence à l'échelle
de l'Union européenne d'un niveau minimal de protection accordée
aux lanceurs d'alerte.
36. La proposition de directive s'appuie en particulier sur la
jurisprudence de la Cour relative à l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme et sur la Recommandation CM/Rec(2014)7
du Comité des Ministres sur la protection des lanceurs d'alerte
(paragraphe 32). Cette dernière reflète à son tour assez largement
les positions exprimées par l'Assemblée dans sa
Résolution 1729 (2010) et sa
Recommandation 1916 (2010)
.
37. La proposition de directive représente un vrai progrès pour
tous les États membres de l’Union européenne, qui sont légalement
tenus de la transposer dans leur droit national. Formellement, elle
ne vise que les personnes qui lancent l’alerte par rapport à des
violations du droit de l’Union européenne. Néanmoins il n’y a pas
de raison pour les États membres d’exclure les violations du droit
national du champ d’application de leurs lois de transposition.
Une fois les structures nécessaires créées, il serait aberrant de
ne pas faire bénéficier le droit national des mêmes protections
que le droit européen. En outre, les États qui ne sont pas, ou pas
encore, membres de l’Union européenne ont tout intérêt à porter
la protection des lanceurs d’alerte dans leurs pays au même niveau
que celui en vigueur au sein de l’Union européenne. Ce sont deux
points cardinaux que j’ai aussi inclus dans le projet de résolution.
Avant d’entrer dans l’appréciation critique de la proposition de
directive, je tiens à souligner l’importance de l’implication de
la rapporteure du Parlement européen sur cette question, Mme Virginie
Rozière, pour le rôle qu’elle a joué dans le processus de négociation de
ce texte important, et la remercier d’avoir présenté les principaux
acquis de ce document à notre commission lors de la réunion du 29
mai 2019.
3.1. Champ
d’application matériel et personnel
38. La proposition de directive
oblige les États membres de l’Union européenne à adopter des normes minimales
communes pour la protection des personnes signalant les activités
illicites ou les abus de droit de l’Union européenne qui peuvent
causer un préjudice grave à l’intérêt public dans les domaines énumérés
à l’article 2 de la proposition de directive. L’article 2 paragraphe1.a.
de la proposition mentionne, entre autres, les marchés publics,
les services financiers, la sécurité des produits et des transports,
la protection de l’environnement, la santé publique et la sécurité
publique. Les violations des droits de l’homme et d’autres domaines
prévus au principe 37 de Tshwane n’y figurent pas expressément.
Mais selon les considérants de la proposition de directive, l’énumération
de l’article 2 peut être étendue à l’avenir (voir considérant 108),
et les États membres sont libres d’inclure d’autres domaines dans
leur législation de transposition. En outre, en protégeant les divulgations
concernant des abus de droit, la proposition de directive ne se
limite pas à protéger des divulgations concernant des activités
illégales stricto sensu (article 1).
39. La proposition de directive ne couvre pas la divulgation d’informations
relatives à la sécurité nationale, à l’instar de la Recommandation
CM/Rec(2014)7 (paragraphe 5). L’Assemblée, en 2015
, avait qualifié
cette exception de trop large, notamment en l'absence d’une définition
de la «sécurité nationale». L’Assemblée a mis l’accent sur la nécessité
d’éviter que les services de renseignement ne dissimulent de graves
violations des droits de l’homme en classant abusivement toutes
les informations en la matière dans la catégorie des questions de
«sécurité nationale». Comme l’Union européenne manque de compétence
en la matière, il appartient donc aux États membres eux-mêmes de
s’atteler à cette tâche pour développer une législation spécifique
sur cette question qui ne peut être traitée dans le cadre global
des autres lanceurs d’alerte. Pour guider ces efforts, je propose
dans le projet de résolution que les personnes travaillant dans
le domaine de la sécurité nationale puissent s'appuyer sur une législation
encadrant mieux les poursuites pénales en cas de violation du secret
d’État, en articulation avec une exception de défense d’intérêt
public. Pour les juges, qui doivent trancher la question de savoir
si l’intérêt public justifie l’alerte, il est nécessaire qu’ils
aient eux-mêmes accès à toutes les informations pertinentes pour
se positionner; tout ceci en accord avec les «Principes de Tshwane»
sur la sécurité nationale et l’accès à l’information que l’Assemblée
a déjà soutenus dans sa
Résolution
1954 (2013) susmentionnée.
40. Concernant le champ d’application personnel, la proposition
de directive va au-delà de la recommandation du Comité des Ministres
en s'appliquant non seulement aux employés,
indépendamment de la nature de la relation professionnelle et du
fait que l'individu soit payé ou non, et y compris les relations professionnelles
ayant pris fin ou n'ayant pas encore commencé; elle protège également
les personnes morales (par exemple, les syndicats et les organisations
non gouvernementales) pour lesquelles travaillent les lanceurs d’alerte,
ainsi que les actionnaires, les fournisseurs, les consultants et
les travailleurs indépendants. La future directive offrira donc
une protection à tous les informateurs travaillant dans le secteur privé
ou public qui ont obtenu des informations sur des infractions dans
un contexte professionnel au sens large (article 4).
41. Dans le cadre d’une future Convention sur la protection des
lanceurs d’alerte il conviendra donc d’élargir, par rapport à la
Recommandation du Comité des Ministres, la définition du lanceur
d’alerte à des situations en dehors d’une relation de travail au
sens strict pour couvrir tout le contexte professionnel. En outre,
comme nous l’avons entendu lors des «48 heures chrono pour la protection
des lanceurs d’alerte» à Strasbourg, il convient de protéger les
personnes, physiques ou morales, qui transmettent en bonne foi des
informations reçues d’informateurs qui souhaitent rester anonymes.
Dans ce cas de figure, aussi, le lanceur d’alerte, par exemple un
chercheur, un journaliste ou un responsable d’ONG, pourrait être
personnellement affecté par des représailles
. Il convient toutefois de distinguer
les lanceurs d’alerte au sens propre, qui signalent des informations
qu’ils ont eux-mêmes obtenues dans leur contexte professionnel,
des témoins et des «auxiliaires de signalement» comme des journalistes
ou des responsables d’ONG qui examinent et le cas échéant transmettent
des informations reçues de la part de lanceurs d’alerte. Les témoins
et les «auxiliaires de signalement» méritent également des protections
renforcées, aussi dans l’intérêt du lanceur d’alerte à l’origine de
leur activité, à condition qu’ils agissent de manière responsable.
La protection de ces personnes est très importante notamment lorsqu’elles
subissent des pressions pour révéler l’identité des lanceurs d’alerte.
Mais ils ne sont pas des lanceurs d’alerte
stricto
sensu.
3.2. Choix
entre procédures de signalement internes et externes
42. L’article 6 de la proposition
de directive prévoit trois voies de signalement: interne (articles
7 à 9), externe (aux autorités compétentes - articles 10 à 14) et
public (via les médias - article 15). La solution de compromis adoptée
au sein du «trilogue» ne prévoit plus d’obligation de signalement
interne préalablement au signalement externe ou public. Le lanceur
d’alerte peut choisir dès le début entre le signalement interne
et celui aux autorités compétentes (par exemple, le parquet, ou
les autorités de contrôle ou régulatrices). Trois mois après une
alerte externe, il peut lancer l’alerte en public si l’alerte externe
n’a pas donné de résultat (article 15 paragraphe 1). Dans des cas
justifiés (danger imminent pour l’intérêt public avec risque de
préjudice irréversible, ou si le risque de rétorsion ou de collusion
avec l’auteur de la violation est manifeste en cas de signalement
externe), un signalement public immédiat est également protégé.
43. Cette solution, obtenue de haute lutte par le Parlement européen
contre la résistance de plusieurs «grands pays» au sein du Conseil,
correspond bien à la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme. L’arrêt
Guja rappelle
utilement que «dans un système démocratique, les actions ou omissions
du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif
non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi
des médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique
pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut
l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par
la loi»
.
3.3. Le
canal de signalement interne: qualités requises
44. Les lanceurs d’alerte sont
généralement encouragés à privilégier la voie interne, si une telle
voie est disponible et si le lanceur d’alerte peut raisonnablement
s’attendre à ce qu’elle fonctionne de manière adéquate. Selon la
résolution du Parlement européen sur la proposition de directive,
ce principe devrait contribuer à favoriser au sein des organisations
une culture de la bonne communication et de la responsabilité sociale,
les informateurs étant alors considérés comme des personnes contribuant
notablement à l’autocorrection et à l’excellence (considérant 47).
Dans ce contexte, il convient de souligner que les législations
nationales devraient aussi «institutionnaliser», dans la mesure
du possible, la protection de ce qui est dans la vie de tous les
jours le canal de communication le plus naturel et le plus souvent
utilisé par des personnes qui découvrent des problèmes dans le cadre
de leur travail: la communication par la voie hiérarchique.
45. L’article 8 de la proposition de directive oblige les États
membres à mettre en place, au sein «des entités juridiques du secteur
privé et du secteur public [...] des canaux et procédures internes
pour le signalement et le suivi des signalements», conformément
aux recommandations de l'Assemblée et du Comité des Ministres. Ces
critères prennent en compte la taille de l'entité, mais aussi, dans
les cas d’entités privées, les risques que les activités exercées
posent à l'intérêt public. Les micro- et petites entreprises (moins
de 50 employés) sont exemptées de mettre en place de tels canaux
de signalement interne, sauf si elles opèrent dans le domaine des
services financiers
. L’article
11 ajoute une obligation pour les États membres d’établir des canaux
de signalement externes appropriés, qui doivent être indépendants
et réactifs.
46. A la lumière des résultats de nos «48 heures chrono», j’aimerais
ajouter que les personnes à qui l’employeur délègue la fonction
de recevoir des signalements devraient bénéficier du privilège légal
(secret professionnel, à l’instar des avocats) pour que les lanceurs
d’alerte puissent avoir pleinement confiance et que la personne
déléguée ne puisse pas être obligée par son employeur de divulguer
son identité. Un deuxième ajout concerne la qualité de la voie interne:
ceux qui reçoivent et/ou enquêtent sur les signalements doivent être
suffisamment qualifiés, indépendants et rendre compte directement
au sommet de la hiérarchie. Cela augmentera la légitimité de cette
voie et enlèvera à la haute direction la possibilité de nier de
manière plausible le fait d’avoir eu connaissance des informations
signalées.
3.4. Assurer
le suivi efficace des signalements
47. Les vrais lanceurs d’alerte
sont motivés par la volonté de changer quelque chose. Il y a donc
lieu de se féliciter des articles 9, 11 et 13 de la proposition
de directive qui visent à assurer le suivi du signalement interne et
externe. En ce qui concerne les procédures de signalement externes,
la proposition de directive est conforme à la position de l’Assemblée
et au principe 39 de Tshwane, lorsqu’elle impose l’obligation aux
États de veiller à ce que «les canaux de signalement externes [soient]
indépendants et autonomes (article 12 paragraphe1) et sécurisés
et confidentiels» (considérant 74). La critique exprimée par l'Assemblée
par rapport
à la Recommandation du Comité des Ministres est donc bien prise
en compte par la proposition de directive.
48. La proposition de directive adopte également la position de
l’Assemblée
quant
aux pouvoirs d’enquête de l’autorité indépendante sur l’objet du
signalement externe. A son article 11, la proposition de directive
exige en effet de telles prérogatives pour les autorités compétentes.
Elle donne même le droit au lanceur d’alerte d’exiger une rencontre
personnelle avec les responsables dans le cadre du suivi de leurs
signalements. Dans les lois de transposition, il serait utile de
préciser que les enquêtes en question doivent être «approfondies, promptes,
impartiales et attentives», à l’instar de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme sur les «violations procédurales»
des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
49. La proposition de directive impose aussi un délai «raisonnable,
n’excédant pas trois mois après le signalement, pour fournir à l’informateur
un retour d’information sur le suivi apporté au signalement interne (article
9 paragraphe 1.f) et un délai raisonnable n’excédant pas trois mois
ou six mois dans des cas dûment justifiés (article 11 paragraphe
2.d) pour les signalements par voie externe. L’imposition de ces
délais est généralement positive, mais lorsqu'un signalement a lieu
au sein d'une organisation corrompue, cette période d’attente, du
point de vue du lanceur d’alerte, peut être utilisée pour intimider
l'informateur ou effacer les preuves
.
D’où l’importance de la possibilité pour le lanceur d’alerte de
saisir directement une autorité externe, et dans des cas justifiés,
de s’adresser aux médias.
50. La proposition de directive laisse aux États membres le soin
de déterminer les autorités compétentes pour réceptionner et suivre
des signalements externes. Cela peut engendrer des problèmes si
les «autorités compétentes» créées ne disposent pas de l’expertise
requise et si ces autorités sont trop peu nombreuses et vulnérables
à des influences politiques. A Malte, à titre d’exemple, «l’autorité
compétente» pour recevoir des signalements externes est le bureau
du Premier ministre
. Il est donc important
que les lois nationales de transposition clarifient que tout lanceur
d’alerte est protégé s’il adresse son signalement à toute autorité
dont il ou elle a des motifs raisonnables de croire que cette autorité
est compétente pour traiter les informations signalées.
3.5. Confidentialité,
anonymat: quel traitement pour les données personnelles?
51. L'article 12 de la proposition
de directive considère qu’afin que les canaux de signalement externes soient
indépendants et autonomes, ils doivent répondre à un certain nombre
de critères, dont celui de pouvoir stocker des informations de manière
durable afin de permettre des enquêtes sur le fond. L'article 18
prévoit donc la tenue de registres des signalements reçus. La conservation
de telles données peut cependant se retrouver en conflit avec l'entrée
en vigueur récente du Règlement (UE) 2016/679 sur la protection
des données personnelles. Celui-ci exige le consentement des personnes
concernées quant au traitement de leurs données personnelles, et
leur permet également d'en obtenir leur effacement. L’article 17
de la proposition de directive réaffirme que tout traitement de
données effectué en vertu de la directive doit être réalisé conformément
avec le règlement (UE) 2016/679.
52. La difficulté se posera lorsqu’il sera nécessaire de concilier
les impératifs relatifs à la protection des données personnelles
et ceux relevant des mécanismes de signalement et d’enquête. Si,
par exemple, une enquête sur un signalement d’actes répréhensibles
se révèle infructueuse, pour manque de preuves, l’entreprise se
verrait dans l’obligation d’effacer les données relatives à la personne
sujette aux allégations. Pourtant une suite de signalements, même
sans preuves, peut être révélatrice d’actes répréhensibles. Le Règlement
(UE) 2016/679 reste vague quant à l’adaptation des procédures de
signalement à ses dispositions. Il est donc souhaitable que les
États membres s’accordent sur les meilleurs moyens d’assurer que
les mécanismes de signalement et de protection des lanceurs d’alerte
soient conformes au Règlement sur la protection des données personnelles,
et qu’inversement le Règlement ne soit pas instrumentalisé pour dissuader
les lanceurs d’alerte.
53. Concernant la protection des données, les principes de Tshwane,
avalisés par l’Assemblée, précisent que le nom et les données personnelles
des victimes, de leurs proches et des témoins peuvent être retenus afin
de les protéger de tout danger supplémentaire, si les personnes
concernées ou, dans le cas de personnes décédées, les membres de
leur famille demandent que ces informations soient maintenues secrètes, expressément
et de leur plein gré, ou bien si le secret de ces informations est
manifestement conforme aux souhaits de la personne ou aux besoins
particuliers de groupes vulnérables. Concernant les victimes de violences
sexuelles, un consentement explicite à la divulgation de leur nom
et autres données personnelles doit être exigé. Les victimes mineures
(moins de 18 ans) ne doivent pas être identifiées publiquement. Ces règles
de bon sens peuvent utilement guider les États membres dans la transposition
de la future directive.
54. Dans la lignée du paragraphe 18 de la Recommandation CM/Rec(2014)7
du Comité des Ministres, la proposition de directive vise à protéger
le caractère confidentiel de l’identité du lanceur d’alerte (article
16) et prévoit des sanctions en cas de manquement à cette obligation
(article 23 (d)). Elle va plus loin que la seule protection de la
confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte (qui doit en principe
être connue de l’organisme interne ou externe chargé de recevoir
des alertes). Dans son article 5 paragraphe 3, elle prévoit aussi
la protection d’un lanceur d’alerte anonyme (important au cas où
son identité est découverte), tout en laissant à la discrétion des
États membres le choix d’imposer ou non une obligation de suivi
aussi aux alertes anonymes (article 5 paragraphe 2 et article 9(e)).
3.6. Protection
des informateurs et des personnes concernées par les signalements:
bonne foi, sanctions, formes de représailles interdites, charge
de la preuve, recours efficace
55. Les conditions de protection
des informateurs prévues dans la proposition de directive (article
5) sont conformes aux principes directeurs de l'Assemblée qui recommandent
que «tous les avertissements de bonne foi à l'encontre de divers
types d'actes illicites» soient pris en compte
. L'article 5 paragraphe
1(a) exige que le lanceur d'alerte ait des «motifs raisonnables
de croire» que les informations reportées étaient véridiques et couvertes
par le champ d’application de la directive au moment où elles ont
été révélées.
3.6.1. Sanctions
en cas de faux signalements
56. En revanche, l’article 23 paragraphe
2 de la proposition de directive permet aux États membres de prévoir
«des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives» applicables
aux personnes physiques ou morales qui font des faux signalements.
Ces sanctions incluent l’indemnisation des personnes ayant subi
un préjudice en raison de signalements ou de divulgations malveillantes
ou abusives. Cette disposition, conforme à la Recommandation CM/Rec(2014)7
, est la «contrepartie»
en faveur des victimes de signalements abusifs de la forte protection
accordée par la proposition de directive aux lanceurs d’alerte de
bonne foi. Une telle disposition peut toutefois paraître redondante
puisque la protection du lanceur d'alerte est déjà limitée aux signalements
faits de bonne foi et que les États membres disposent déjà dans
leur législation nationale de mesures punissant, par exemple, les
actes de diffamation
.
57. Le plus important est que la bonne foi du lanceur d’alerte
est de facto présumée tant qu’il a des motifs raisonnables de croire
que les informations en question sont véridiques et que leur signalement
ou révélation est nécessaire dans l’intérêt général. A mon avis,
les articles 5 paragraphe 1, 15 paragraphe 1 et 21 paragraphe 2
remplissent cette fonction, à condition que les lois nationales
de transposition clarifient la définition de la «croyance raisonnable»
(
reasonable belief) en accord
avec la définition juridique habituelle, selon laquelle il suffit
que d’autres personnes ayant une formation et des connaissances
et expériences équivalentes,
pourraient être
du même avis
ou
que le lanceur d’alerte ait eu des motifs raisonnables de croire en
la véracité de ce qui est dénoncé. La juxtaposition d’autres critères
subjectifs relatifs à la motivation du lanceur d’alerte (par exemple,
ne pas être motivé par un grief ou par la perspective d’un avantage
personnel, ou d’avoir agi de manière «responsable»)» est dangereuse
car imprévisible dans son application par les tribunaux
.
3.6.2. Immunité
pénale et civile aussi pour l’obtention de l’information
58. La proposition de directive,
dans son article 21, élargit en principe l’immunité par rapport
à la responsabilité pénale ou civile du lanceur d’alerte à l’obtention
de l’information signalée, à condition que celle-ci ne constitue
pas en elle-même un délit autonome. Les considérants (considérant
94) clarifient que cette immunité doit couvrir les cas où le lanceur
d’alerte a accès de façon licite aux documents dont il signale le contenu
ou transmet une copie, ou qu’il les emporte des locaux de son employeur;
mais l’immunité doit aussi jouer quand le lanceur d’alerte agit
en violation d’une clause de confidentialité ou lorsqu’il accède
à des informations ou documents en dehors de ses attributions professionnelles
normales. C’est uniquement dans les cas où le lanceur d’alerte commet
une effraction physique ou une «attaque pirate» informatique (hacking) que le lanceur d’alerte
perd son immunité.
59. La mise en œuvre de ce principe risque être compliquée par
la numérisation généralisée et la criminalisation croissante de
tous ceux qui accèdent à des informations numériques sans permission.
Il faudrait donc œuvrer à limiter cette criminalisation aux «effractions»
informatiques commises à des fins de gains personnels, sans aucun
lien avec le signalement d’informations dans l’intérêt public. J’ai
inclus ce point dans le projet de résolution.
3.6.3. Protection
contre toute forme de représailles, charge de la preuve, sanctions
60. A son article 19, la proposition
de directive énumère, de façon large et non exclusive, différentes
formes de représailles interdites, directes ou indirectes. Elle
est entièrement conforme sur ce point aux recommandations du Comité
des Ministres (Recommandation CM/Rec(2014)7 paragraphe 21), de l’Assemblée
(
Résolution 1729 (2010) paragraphe 6.2.2) et aux principes de Tshwane (Principe
41).
61. Pour ce qui est de la charge de la preuve, la proposition
de directive prévoit que le lanceur d’alerte doit seulement prouver
qu’il a fait un signalement protégé et qu’il a ensuite souffert
d’un préjudice. Ensuite il revient à l’employeur de prouver que
son action préjudiciable pour le lanceur d’alerte est fondée sur
des motifs dûment justifiés (article 21 paragraphe 5). La proposition
de directive va plus loin que la Recommandation du Comité des Ministres
(paragraphe 25), et s’aligne sur la position de l’Assemblée
à cet égard.
62. Pour éviter le malentendu possible qu’un «motif dûment justifié»
puisse excuser l’intention de représailles, il est néanmoins important
que les lois de transposition clarifient encore cette formulation.
Les considérants de la proposition de directive montrent le chemin
(considérant 95: la personne qui a pris l’action préjudiciable doit
prouver que son action n’était pas liée de quelque manière que ce
soit au signalement fait par le lanceur d’alerte).
63. La proposition de directive impose l’instauration de sanctions
pénales, civiles ou administratives contre ceux qui exercent des
représailles contre les lanceurs d’alerte, en plus des dommages
et intérêts éventuels. Cela fait écho au «risque de perte» (downside risk) que l’Assemblée préconise
depuis longtemps.
64. La proposition de directive assurera que le lanceur d’alerte
ne pourra pas «perdre en gagnant», comme il est assuré d’être réintégré
dans son poste de travail et de recevoir des dommages et intérêts
compensatoires pour le préjudice subi.
65. Un élément important de la protection contre toute forme de
représailles est la protection contre les «procédures-bâillons»
visant à intimider et à user les lanceurs d’alerte. Le considérant
93 de la proposition de directive précise que le droit de signaler
selon la directive annule toute restriction et menaces, y compris
celles basées sur des clauses contractuelles de non-divulgation,
de secrets d’affaires, de lois de protection des données, de droit
d’auteur ou des procédures pour rupture de contrat – à condition
que le lanceur d’alerte avait des «motifs raisonnables de croire» que
le signalement était nécessaire pour mettre fin aux abus en question.
3.6.4. Notamment:
mesures provisoires pour éviter des dommages irréparables
66. La proposition de directive
prévoit aussi des mesures de redressement provisoires, pour éviter
un fait accompli au détriment du lanceur d’alerte après une longue
procédure sur le fond, même victorieuse pour lui ou elle (article
21 paragraphe 6). C’est un point particulièrement important, mentionné
aussi dans le projet de résolution, parce que la possibilité de
mesures provisoires annule l’intérêt qu’aurait un employeur de mauvaise foi
à lancer une longue procédure conflictuelle potentiellement très
coûteuse pour le lanceur d’alerte, de nature à décourager nombre
de lanceurs d’alerte potentiels (voir le considérant 98 de la proposition
de directive). Il faudra donc clarifier dans les lois de transposition
que les représailles alléguées soient bloquées jusqu’à la fin de
la procédure sur le fond de l’affaire chaque fois que le lanceur
d’alerte présumé réussit à faire la preuve prima
facie de son statut.
3.7. Mesures
de soutien juridique et psychologique
67. Dans son article 20 paragraphe
1, la proposition de directive oblige les États membres à donner
aux lanceurs d’alerte (potentiels) accès à des mesures de soutien,
y compris des conseils indépendants et gratuits. Les autorités compétentes
(pour les signalements externes) sont obligées de fournir une assistance
effective et de certifier que les lanceurs d’alerte qui entrent
en contact avec elles sont légalement protégés. Les gouvernements
sont aussi obligés de fournir une aide juridictionnelle dans les
affaires pénales et les affaires civiles transfrontalières. Finalement,
la proposition de directive encourage les États à fournir un soutien financier
et psychologique aux lanceurs d’alerte.
68. De telles mesures de soutien sont extrêmement importantes.
Elles ont aussi été évoquées par de nombreux participants lors des
«48 heures chrono pour la protection des lanceurs d’alerte» que
j’ai organisées avec la société civile régionale les 14-15 mars
2019 à Strasbourg. Les participants, lanceurs d’alerte, avocats, chercheurs
de l’Université de Strasbourg et de l’ENA, représentants d’organisations
non gouvernementales, syndicalistes et élus locaux et régionaux,
ont souligné la solitude des lanceurs d’alerte et les pressions énormes
auxquelles ils sont soumis – professionnelles, financières, psychologiques
et familiales. Nous avons discuté des modalités pratiques d’un tel
soutien, et la proposition de directive en mentionne certaines.
69. C’est d’autant plus regrettable que la proposition finale
de directive ne mentionne plus le droit du lanceur d’alerte d’être
représenté par un syndicat ou la protection des organisations non
gouvernementales qui travaillent avec les lanceurs d’alerte. Je
pense qu’il y a lieu d’accorder une protection adéquate aussi aux «auxiliaires
de signalement» (voir plus haut, paragraphe 41). Ces «auxiliaires»,
notamment des journalistes d’investigation et des activistes d’ONG,
s’ils font leur travail de manière responsable, jouent un rôle important de
«filtre» des informations signalées par les lanceurs d’alerte et
aussi un rôle de protection des lanceurs d’alerte, dont ils peuvent
protéger l’anonymat. J’ai donc inclus ce point dans le projet de
résolution.
70. Le rôle de la société civile est crucial pour accompagner
et soutenir les lanceurs d’alerte mais également pour participer
à l’élaboration de la législation. En effet, les États ayant le
plus associé les acteurs de la société civile à cette question sont
ceux qui ont les meilleures législations en la matière. Les lanceurs
d’alerte peuvent également être plus en confiance avec des acteurs
du type ONG pour lancer leurs alertes. Ces acteurs sont indispensables
pour aider le lanceur d’alerte dans son action notamment pour trier
les données pertinentes en rapport avec l’objectif d’intérêt général
poursuivi et ainsi éviter la divulgation d’informations non pertinentes telles
que l’orientation sexuelle d’une personne ou l’identité d’agents
sous couverture. Les autorités indépendantes qui seraient créées
auraient vocation à inciter la participation de ces acteurs non
institutionnels et à s’appuyer sur leurs actions et expertises.
3.8. Mise
en place d’une autorité administrative chargée d’assister les lanceurs
d’alerte
71. La proposition de directive
prévoit bien la mise en place de canaux de signalement externes indépendants
chargés de recevoir des signalements externes et de procéder aux
enquêtes qui s’imposent (articles 11 et 12).
72. Dans chaque État membre serait créée, potentiellement sur
la base de la future convention susmentionnée, une autorité indépendante
dédiée aux lanceurs d’alerte. Cette autorité constituerait l’une
des clefs d’une protection efficace des lanceurs d’alerte et permettrait:
- d’assister les lanceurs d’alerte,
notamment en enquêtant sur les allégations de représailles et de manque
de suivi donné aux signalements et le cas échéant en rétablissant
le lanceur d’alerte dans tous ses droits, y compris la réparation
intégrale de tous les préjudices subis;
- de s’assurer qu’une alerte lancée ait toutes ses chances
d’aboutir, quels que soient les intérêts en jeu, en dénonçant les
éventuelles manœuvres visant à les étouffer; ce rôle est particulièrement
déterminant lorsque de puissants acteurs économiques ou politiques
interviennent et déploient des efforts disproportionnés pour étouffer
l’alerte et / ou faire pression sur le lanceur d’alerte;
- d’assurer un lien avec les autorités judiciaires en tant
qu’interlocuteur fiable pour fournir, notamment, des éléments matériels
et tangibles dans le cadre d’une procédure judiciaire éventuelle.
L’autorité indépendante pourra donc également, à l’instar d’autorités
du type «défenseurs des droits», intervenir dans le cadre d’une
procédure de justice, pour présenter son analyse du dossier et produire des éléments
d’appréciation sur l’alerte et l’action du lanceur d’alerte.
73. Ces autorités indépendantes auraient vocation à constituer
un véritable réseau européen qui permettrait le partage des bonnes
pratiques et des expériences relatives aux enjeux et aux difficultés
rencontrées dans leur mission. Elles constitueraient ainsi un observatoire
indépendant à l’échelle européenne, qui agirait au quotidien pour
que les alertes et les lanceurs d’alerte prennent la juste place
qu’ils doivent avoir dans nos démocraties. Ce réseau d’autorités
indépendantes serait, dans son domaine, un interlocuteur privilégié
pour le Conseil de l’Europe.
74. Ces autorités indépendantes pourront également, dans chaque
État, favoriser l’émergence dans la société civile d’un écosystème
favorable à l’accompagnement des lanceurs d’alerte, en s’appuyant
notamment sur les réseaux associatifs et l’engagement de citoyens
bénévoles. Cet écosystème est essentiel pour rompre l’isolement
auquel chaque lanceur d’alerte est confronté et l’accompagner dans
son action, mais aussi pour inspirer des évolutions dans les législations
nationales. Dans le domaine de l’alerte et de la protection des lanceurs
d’alerte, l’élaboration des législations conjointement avec la société
civile est une approche particulièrement pertinente.
3.9. Transparence
et suivi
75. La proposition de directive
(article 27) impose aux États membres de faire rapport quant à l’impact
des signalements faits par des lanceurs d’alerte. A mon avis, il
convient de préciser dans les lois nationales que des informations
devront être également collectées et publiées notamment quant au
nombre de procédures lancées, les délais de décisions, les résultats
(affaires gagnées ou perdues par les lanceurs d’alerte), et les mesures
prises pour sanctionner des représailles. Ces informations sont
nécessaires pour évaluer le bon fonctionnement des lois en question,
facilitant la comparaison entre les États membres, dans l’objectif
de mieux partager les bonnes pratiques et de corriger les mauvaises.
3.10. Droit
d’asile des lanceurs d’alerte
76. Un point qui n’est pas mentionné
dans la proposition de directive (par manque de compétence de l’Union européenne
en la matière) mérite néanmoins d’être pris en compte dans les futures
lois nationales: reconnaître aux lanceurs d’alerte le droit d’asile,
s’ils risquent d’être persécutés dans leur pays pour avoir utilisé
leur liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme). En substance, cela ne devrait pas poser
de problème,
de lege lata.
Mais procéduralement, une demande d’asile doit normalement être déposée
sur le territoire du pays d’accueil visé. A mon avis, dans des cas
exceptionnels, comme celui de Edward Snowden, qui ne pouvait plus
voyager après l’annulation de son passeport par les autorités américaines,
des exceptions devraient être possibles. J’avoue que j’ai été fortement
touché par l’échange de vues avec Edward Snowden, par vidéoconférence,
lors des «48 heures chrono pour la protection des lanceurs d’alerte».
M. Snowden a lancé l’alerte sur une pratique illégale et secrète
qui nous concerne tous – la surveillance massive par la NSA et d’autres
de toutes nos communications. Il s’est lancé dans sa démarche au
péril de sa carrière et même de sa liberté personnelle et a néanmoins
gardé son optimisme, l’amour de sa patrie et un engagement fort
pour la protection des futurs lanceurs d’alerte. Je souscris dès
lors pleinement à «l’étude de cas» par Pieter Omtzigt dans son rapport
de 2015 et à l’appel de l’Assemblée dans sa
Résolution 2060 (2015) aux autorités américaines de permettre à Edward Snowden
de rentrer au pays sans crainte de poursuites pénales qui ne lui
permettraient pas de soulever la défense de l’exception d’intérêt
public.
4. Etude
de cas: la France
4.1. La
loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre
la corruption et à la modernisation de la vie économique
77. La loi du 9 décembre 2016 relative
à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de
la vie économique, dite loi «Sapin II»
, a permis la consécration en France
d'une définition du «lanceur d'alerte». Il s’agit d’une des lois
les plus avancées en Europe, au même niveau que la législation britannique. La
loi Sapin II organise une procédure de signalement à trois étapes
que doivent suivre les lanceurs d'alerte et leur consacre un régime
commun de protection, mettant ainsi fin à une protection sectorielle
des lanceurs d'alerte en France.
78. L'article 6 de la loi définit un lanceur d’alerte comme «une
personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée
et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste
d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé
par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale
pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement,
ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont
elle a eu personnellement connaissance».
79. Le champ d'application personnel et matériel de cette loi
est très large. Il couvre «toute personne physique», et couvre le
signalement, non seulement d'actes illégaux, mais aussi de toute
«menace ou préjudice graves pour l'intérêt général». Cet apport
du texte français est intéressant à la lumière de cas tels que l'affaire
Luxleaks.
80. Cependant, l'article 6, en excluant du régime de l’alerte
protégée «les faits, informations ou documents, quel que soit leur
forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale,
le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et
son client» offre un champ de protection en deçà des recommandations prévues
par l'Assemblée
qui
recommande une protection étendue aux membres des services de renseignements.
Ceux-ci, au même titre que les autres agents publics ou employés
du secteur privé, peuvent avoir connaissance d’actes répréhensibles
graves dans le cadre de leurs relations de travail. Or le caractère confidentiel
des informations ne saurait interdire d’emblée une divulgation protégée,
sinon les administrations pourraient se soustraire à toute forme
de contrôle des citoyens, en classant abusivement ces informations. C’est
pourquoi il est nécessaire d’avoir une législation spécifique pour
les personnes travaillant dans le domaine de la sécurité nationale.
Cette législation permettrait de mieux encadrer les poursuites pénales
pour violation du secret d’État en articulation avec une exception
de défense d’intérêt public.
81. L'article 7 précise les conditions dans lesquelles une personne
portant atteinte à un secret protégé par la loi n'est pas pénalement
responsable. Tel est le cas si la divulgation est «nécessaire et
proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient
dans le respect des procédures de signalement définies par la loi
et que la personne répond aux critères de définition du lanceur
d’alerte» de l’article 6 de la loi. La loi manque malheureusement
de préciser la protection des lanceurs d’alerte contre des sanctions
civiles, telle que préconisée par le principe 41 de Tshwane.
82. L'article 8 met en place une hiérarchie entre les autorités
auxquelles doit s'adresser un lanceur d'alerte lors d'un signalement.
La loi Sapin II prévoit que tout signalement doit être fait en priorité
par le biais de canaux internes à «un supérieur hiérarchique direct
ou indirect de l'employeur, ou un référent désigné par celui-ci», conformément
aux principes promus par l’Assemblée. Si ces canaux internes se
révèlent inefficaces, c'est-à-dire «en l'absence de diligences de
la personne destinataire de l'alerte», le lanceur d'alerte peut
s'adresser à l'autorité judiciaire, administrative ou aux ordres
professionnels (signalement externe). Une révélation publique ne
peut avoir lieu qu’après un délai de trois mois si les canaux internes
et externes sont inexistants ou inadéquats, ou s’il existe un danger
grave et imminent ou un risque de dommages irréversibles. Cette hiérarchisation
des voies de signalement peut être problématique pour un lanceur
d'alerte qui, face à des critères flous tels que «l'absence de diligences
de la personne destinataire de l'alerte», ne pourra être certain d'être
protégé lors d'un signalement effectué directement par le biais
des canaux externes ou au public, qu'une fois devant les tribunaux.
Sur le point de la hiérarchisation des canaux de signalement, la
loi Sapin II devra être modifiée dans le cadre de la transposition
de la future directive.
83. En conformité avec les recommandations de l’Assemblée et du
Comité des Ministres, l'article 9 de la loi Sapin II assure aux
lanceurs d'alerte la confidentialité de leur identité à toutes les
étapes du signalement et punit de deux ans d’emprisonnement et de
30 000 euros d'amende toute divulgation d’information relative à l’identité
des lanceurs d’alerte ou des personnes mises en cause et des informations
recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement. Concernant
l’anonymat, ce n’est que sous certaines conditions prévues à l’article
2 de la délibération de la Commission nationale de l'informatique
et des libertés (CNIL)
que le lanceur d’alerte
peut l’invoquer. Cet article dispose également que «l'organisme
ne doit pas inciter les personnes ayant vocation à utiliser le dispositif
(de gestion des signalements) à le faire de manière anonyme». Ainsi,
la clause de confidentialité est d’autant plus importante dans le
cadre de la mise en œuvre du règlement européen relatif à la protection
des données personnelles. Les articles 10, 11, 12, 13, 15 et 16
précisent, conformément aux principes directeurs de l’Assemblée,
les mesures de représailles interdites à l'encontre d’un lanceur
d’alerte, y compris s’il est salarié, fonctionnaire, stagiaire,
ou militaire. Il est intéressant de noter que la loi Sapin II inclue les
militaires sous le régime de protection des lanceurs d’alerte telle
que préconisé par les principes de Tshwane, mais il exclut les autres
professions du secteur de la sécurité. L'interdiction de mesures
de représailles contre les informateurs dont la relation de travail
a pris fin, mais qui pourraient toujours être victimes de représailles
par leur ancien employeur, par exemple en matière de retraite, n'est
pas évoquée, contrairement à la proposition de directive.
4.2. Récente
loi de transposition de la Directive européenne sur la protection
du «secret des affaires»
84. La récente loi relative à la
protection du secret des affaires
transpose la Directive du
Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire
et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention,
l’utilisation et la divulgation illicites. Le texte inclut une définition
large des informations qui doivent être protégées des concurrents
et prévoit l’indemnisation du préjudice civil de l’entreprise victime
en cas de détention illégale ou de divulgation d’un tel secret.
De telles dispositions, utilisées de façon abusive, pourraient mettre
en danger le statut de lanceur d'alerte défini dans la loi Sapin
II.
85. Mais ce texte prévoit fort heureusement des exceptions à la
protection du secret des affaires. Le secret des affaires n’est
en effet pas opposable lorsque «l’obtention, l’utilisation ou la
divulgation du secret est intervenue pour exercer le droit à la
liberté d’expression et de communication, y compris le respect de
la liberté de la presse, et à la liberté d’information ou pour révéler,
dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité
illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris
lors de l’exercice du droit d’alerte tel que défini par l’article
6 de la loi [Sapin II], ou pour la protection d’un intérêt légitime
reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national,
notamment pour empêcher ou faire cesser toute menace ou atteinte
à l’ordre public, à la sécurité publique, à la santé publique et
à l’environnement» (article L-151-7 du Code de commerce créé par
la loi de transposition mentionnée ci-dessus).
4.3. Loi anti-procédures bâillons
86. En France, l’article L. 152-8
du Code de commerce
instaure une amende
civile destinée à sanctionner les procédures dilatoires ou abusives
qui seraient intentées contre des journalistes ou des lanceurs d’alerte afin
de les intimider ou de les user financièrement dans des procédures
judiciaires longues et répétitives
. Or de telles mesures, qualifiées
de «procédures-bâillons» ou de «
Strategic
Lawsuit Against Public Participation» (SLAPP), sont à
même de décourager des éventuels lanceurs d'alerte. A titre d’exemple,
depuis 2009, plus d'une vingtaine de procédures en diffamation ont
été lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger contre
des articles, reportages audiovisuels, des rapports d'organisations
non gouvernementales, et même un livre sur les activités du groupe,
notamment en Afrique
.L’adoption,
non sans débats, de cette règle «anti-SLAPP» dans la législation
française est une excellente nouvelle.
5. Conclusions
87. La proposition de directive
pour la protection des lanceurs d’alerte, une fois formellement
adoptée, aura force contraignante pour les pays membres de l’Union
européenne. La recommandation faite en 2015 par l’Assemblée de proposer
un niveau minimum de protection pour l’ensemble des États membres
du Conseil de l’Europe est d’autant plus importante pour éviter
de nouveaux clivages juridiques et dans l’intérêt du développement
d’une culture démocratique basée sur la transparence entre les pays
qui sont membres de l’Union européenne et ceux que ne le sont pas,
ou pas encore. Le lancement de tels travaux portant sur la protection
des lanceurs d’alerte marquerait, pour les 70 ans du Conseil de
l'Europe, la volonté d'une mise en œuvre effective, dans les législations
de tous les États parties à la Convention européenne des droits
de l’homme, d'une protection renforcée pour les lanceurs d'alerte.
A mon avis, une protection effective des lanceurs d’alerte est un
marqueur fort de l’amélioration du fonctionnement de nos démocraties
et le Conseil de l’Europe a donc une légitimité réelle et un rôle
important à jouer en la matière.
88. Enfin, suivant l’expérience des «48 heures chrono pour la
protection des lanceurs d’alerte», je propose de réfléchir sur la
façon dont le législateur peut véritablement élaborer conjointement
avec la société civile une législation en matière de protection
des lanceurs d’alerte. A première vue, contrairement à des domaines comme
la bioéthique où les interlocuteurs et les parties prenantes sont
structurés et clairement identifiés, ce n’est pas le cas dans le
domaine des lanceurs d’alerte. Mais il y a des ONG spécialisées,
les syndicats et les organisations d’employeurs, et il y a surtout
les lanceurs d’alerte eux-mêmes qui sont prêts à partager leurs expériences
et à collaborer afin de développer un cadre juridique et sociétaire
vraiment utile.
89. Pour évaluer la situation actuelle et prendre la mesure du
chemin qui reste encore à parcourir, j’ai eu recours aux ressources
du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires
(CERPD). M. Omtzigt, le précédent rapporteur, avait fait de même
en 2010 ce qui permet d’analyser les évolutions en la matière.
90. Mon «sondage» a récolté 27 réponses – un excellent résultat
pour cet exercice (voir le tableau synthétique, en annexe 1). Ceci
témoigne du grand intérêt que la protection des lanceurs d’alerte
suscite dans beaucoup de pays européens. Il convient de profiter
de cette dynamique pour faire adopter de bonnes lois dans le plus
grand nombre de pays. La comparaison entre les deux «sondages»,
aussi limités et incomplets qu’ils soient, nous permet de discerner
certaines tendances. D’abord, en 2010, six pays (Belgique, France,
Norvège, Pays-Bas, Roumanie et Royaume-Uni) avaient indiqué avoir
adopté une législation spécifique applicable aux lanceurs d’alerte.
Dans le questionnaire récent, le nombre de réponses positives a
doublé. En 2010, la France et la Norvège avaient répondu que des
lois protégeant les lanceurs d’alerte existaient dans leurs pays respectifs.
En réalité, la France n’a adopté une vraie loi unique qu’en 2016:
la «Loi Sapin II» (voir ci-dessus, paragraphes 77 et suivants).
La Norvège indique maintenant qu’elle dispose uniquement de certaines dispositions
dans le domaine du droit du travail; elle n’est donc pas comptée
dans les 13 réponses positives. J’ajoute que les Pays-Bas, qui n’ont
pas répondu au nouveau questionnaire, ont néanmoins amélioré leur législation
depuis 2010, grâce notamment à l’engagement de M. Omtzigt.
91. En somme, la première leçon à tirer de cette enquête est la
tendance à codifier la protection des lanceurs d’alerte, par le
biais de lois spécifiques. Cette tendance a vocation à s’accélérer
après l’entrée en vigueur de la Directive européenne en la matière.
Cinq pays ayant répondu «non» à mon questionnaire ont indiqué expressément
que leurs gouvernements attendent la Directive pour être sûrs que
leur législation remplisse les nouvelles normes européennes.
92. Parmi les États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont
pas, ou pas encore, dans l’Union européenne, j’ai noté avec intérêt
que certains pays ont une législation unique, moderne et protectrice
des lanceurs d’alerte. En République de Moldova et en Roumanie,
ce sont des affaires célèbres de la Cour européenne des droits de
l’homme qui ont donné lieu à des améliorations dans le cadre de
la mise en œuvre de ses arrêts par les pays concernés (voir Guja c. Moldova (2008) et Bucur et Toma c. Roumanie (2013), susmentionnés).
En revanche, malgré l’arrêt Heinisch
c. Allemagne (2011), la situation des lanceurs d’alerte en
Allemagne est toujours très précaire. Néanmoins, mener un «contentieux
stratégique» si nécessaire jusqu’au niveau de la Cour européenne
des droits de l’homme peut valoir la peine. Pour le lanceur d’alerte victime
de protections inexistantes ou inefficaces, le jugement de la Cour
de Strasbourg intervient souvent trop tard. Mais pour faire avancer
la protection des lanceurs d’alerte en général, le «contentieux
stratégique» est une piste pour la société civile qui doit soutenir
les lanceurs d’alerte prêts à se lancer dans un tel contentieux –
y compris par la mise à disposition d’avocats compétents en la matière.
93. Une troisième leçon tirée de ce sondage concerne le contenu
des législations pertinentes, y compris celui de certaines lois
récentes, qui laisse encore beaucoup à désirer. Certains pays (Danemark,
Espagne, Grèce, Luxembourg, Portugal, Suisse, Turquie) ne prévoient
pratiquement pas de protection pour les lanceurs d’alerte, ou permettent
seulement la notification interne, par la voie hiérarchique. La
République slovaque offre plusieurs canaux de signalement: soit
une entité spécialement désignée par l’entreprise, soit l’employeur,
soit la nouvelle autorité de protection des lanceurs d’alerte –
mais la possibilité d’une alerte publique n’est jamais reconnue.
Certaines réponses au questionnaire font apparaître que la notion
même de lanceurs d’alerte est inconnue des systèmes juridiques de
ces pays. Ces réponses (par exemple, celles de l’Autriche, de l’Espagne, de
la Grèce, du Portugal, de la Turquie) mentionnent la protection
des témoins, notamment ceux collaborant avec la justice et bénéficiant
d’un statut de témoin protégé, ou encore la protection des sources
des journalistes. Tout cela est bien utile, mais ne concerne pas
la notion de lanceur d’alerte au sens moderne. D’autres pays protègent
très bien les lanceurs d’alerte dans certains secteurs très limités,
comme la Norvège en matière de conditions de travail, la Pologne
dans le secteur financier, notamment dans le contexte du blanchiment
d’argent ou du financement du terrorisme; le Danemark pour la navigation
maritime; et un nombre surprenant de pays protègent les lanceurs
d’alerte dans le domaine du droit de la concurrence. Mais dans d’autres
secteurs, il n’y a aucune protection. Enfin, un grand nombre de
pays posent des conditions subjectives (concernant le forum internum), dont la motivation
altruiste ou la «bonne foi» du lanceur d’alerte (par exemple, l’Albanie,
la France, la Géorgie, la République de Moldova, le Royaume-Uni,
la Roumanie, la République slovaque); d’autres prévoient la condition
pour les lanceurs d’alerte d’agir de manière «responsable» (Norvège)
ou en tenant compte du «devoir de loyauté» envers l’employeur (Suisse).
Ce sont des conditions dangereuses pour les lanceurs d’alerte car
imprévisibles. Il faut alors contrer ces dangers en adoptant une présomption
de fait en faveur du lanceur d’alerte.
94. Les réponses reçues de nombreux pays fourmillent de bonnes
pratiques et d’idées novatrices qui méritent d’être prises en compte
aussi ailleurs. Certains pays ne posent aucune condition particulière
pour que le lanceur d’alerte puisse s’adresser aux médias (Estonie,
Finlande, Lettonie). La législation finlandaise notamment se réfère
même expressément aux dispositions constitutionnelles protégeant
les libertés d’expression et d’information. Et le résultat n’est
pas un climat de scandale permanent, mais simplement plus de transparence
et moins de corruption. La réponse de la Hongrie stipule expressément
que la motivation du lanceur d’alerte n’a pas d’importance; et dans
plusieurs autres pays (République de Moldova, Roumanie) la bonne
foi est présumée – ainsi que la mauvaise foi de l’employeur s’il
prend des mesures négatives à l’encontre d’un lanceur d’alerte.
Certains pays prévoient aussi une présomption de causalité (l’alerte
étant présumée avoir donné lieu à une mesure négative à l’encontre
du lanceur d’alerte) – des points repris aussi dans la proposition
de directive européenne.
95. L’ensemble de ces éléments ainsi que les travaux de la Commission
de Venise sur l’État de droit m’ont permis de dégager des critères
permettant d’analyser les législations et les pratiques favorisant
la protection des lanceurs d’alerte ou au contraire desservant les
lanceurs d’alerte. Ces critères pourront être utilisés pour les
États membres pour évaluer leur législation mais également par les
acteurs de la société civile et les autorités indépendantes qui
seraient créées (voir annexe 2).
96. Entre-temps, nous pouvons constater que le travail ne manque
pas si nous voulons «améliorer la protection des lanceurs d’alerte
partout en Europe», comme le dit le titre – fort ambitieux – de
mon rapport. «Partout en Europe», cela veut aussi dire que chaque
pays européen peut profiter des expériences des autres, qu’il soit
membre de l’Union européenne ou non. La «fertilisation croisée»
des idées fonctionne dans les deux sens, comme le montre la genèse
de la proposition de directive.