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Résolution 2308 (2019)

Le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 3 octobre 2019 (34e séance) (voir Doc. 14963, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), corapporteurs: Mme Maryvonne Blondin et M. Egidijus Vareikis). Texte adopté par l’Assemblée le 3 octobre 2019 (34e séance).

1. Après les élections législatives du 24 février 2019 ayant abouti à un parlement sans majorité, la République de Moldova s’est retrouvée dans une situation sans précédent: le 7 juin 2019, la Cour constitutionnelle de la République de Moldova a jugé que le délai pour former une majorité parlementaire avait expiré, sur la base – comme l'a indiqué la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) – d'un nouveau calcul du délai de trois mois prévu par la Constitution. Le 8 juin 2019, un «accord politique temporaire sur la “désoligarchisation” de la Moldova» était conclu entre le Parti des socialistes et le Bloc ACUM, permettant la formation d'une majorité parlementaire, l'élection d'une présidente du parlement et la désignation d'un gouvernement. Le même jour, la Cour constitutionnelle déclarait ces décisions inconstitutionnelles et décidait, le 9 juin 2019, de suspendre temporairement le Président de la République de Moldova, qui avait refusé de donner suite à la demande de la Cour constitutionnelle de dissoudre le parlement et de convoquer des élections législatives anticipées. Ces décisions de la Cour constitutionnelle ont plongé le pays dans une crise politique et constitutionnelle, et ont abouti à une dualité de pouvoir sans précédent. Une nouvelle coalition majoritaire a pu être formée au parlement, sans pour autant que le gouvernement en exercice cède la place. Cette situation a conduit le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à solliciter l’avis de la Commission de Venise le 8 juin 2019.
2. Dans son avis du 21 juin 2019, la Commission de Venise a estimé que la Cour constitutionnelle n’avait pas rempli les conditions requises pour ordonner la dissolution du parlement. L'Assemblée parlementaire apprécie que cet avis ait joué un rôle déterminant dans la recherche d'une issue à cette crise. À la suite de la démission du gouvernement en place, la Cour constitutionnelle a, en effet, décidé d’annuler ses décisions controversées.
3. L’Assemblée regrette profondément que cette crise ait jeté une ombre sur la Cour constitutionnelle qui, en n’agissant pas conformément à la Constitution et à sa propre jurisprudence, s’est discréditée. L’Assemblée invite les membres nouvellement élus de la Cour constitutionnelle à rétablir la confiance dans leur institution.
4. Compte tenu du climat polarisé régnant en République de Moldova, l’Assemblée se félicite de la transition pacifique du pouvoir, et de la résilience et de la retenue dont a fait preuve le peuple moldave qui, par son vote, a clairement exprimé son souhait d’alternance politique et ses attentes de véritables changements. Les forces politiques – à savoir le Parti des socialistes et le Bloc ACUM – ayant formé une coalition majoritaire représentent un large éventail d’électeurs moldaves et ont réussi à s’entendre sur des objectifs politiques communs malgré leurs visions politiques divergentes.
5. L’Assemblée note que le nouveau gouvernement s’est engagé en priorité, à la suite d’un «accord politique temporaire», à «désoligarchiser» le pays et à lutter contre la corruption. L’Assemblée reconnaît les mesures légitimes et nécessaires envisagées pour éradiquer au sein des institutions de l’État, tous les éléments caractéristiques d’une «captation de l’État». Dans le même temps, l’Assemblée invite les autorités moldaves à veiller à ce que les mesures à prendre leur permettent de réformer le système et, à long terme, de consolider les institutions démocratiques. L’Assemblée souligne également que les processus démocratiques doivent être encouragés et, en particulier, elle invite le parlement à garantir le respect des droits de l’opposition.
6. L’Assemblée salue les mesures prises pour identifier les personnes responsables de l’exploitation d’institutions publiques au profit d’intérêts privés, partisans ou commerciaux, et salue en particulier la création de plusieurs commissions d’enquête par le parlement. Elle invite les autorités judiciaires à prendre au sérieux les allégations d’actes répréhensibles et à enquêter de manière approfondie sur d’éventuelles infractions pénales. Les responsables devraient en rendre compte et être traduits en justice.
7. L’Assemblée rappelle que «le scandale de la fraude bancaire» qui s’est soldé par des transferts illégaux massifs de fonds issus du système bancaire en 2014, a créé une charge financière énorme pour les citoyens de la République de Moldova, dans la mesure où l’État a offert des garanties financières. L’Assemblée déplore que, cinq ans plus tard, les enquêtes menées se soient révélées peu concluantes. Elle se félicite donc des mesures prises récemment par le parlement pour créer une commission d’enquête parlementaire chargée de relancer les investigations. Elle salue la publication du rapport d’audit Kroll 2, tout en demandant instamment que toutes les informations contenues dans celui-ci soient portées à l’attention des autorités compétentes. L’Assemblée attend maintenant que l’ensemble des personnes mises en cause soient traduites en justice. Elle appelle également tous les États membres du Conseil de l’Europe concernés à coopérer pleinement avec la justice moldave pour localiser et récupérer l’argent volé.
8. L’Assemblée note que les autorités sont déterminées à réviser et à assainir le système. Bien que la tentation soit grande d’expulser rapidement les représentants de l’État ayant prétendument cédé aux influences et aux pressions extérieures, l’Assemblée souligne que les mesures juridiques prises aujourd’hui pour «désoligarchiser» le pays auront des effets à long terme et qu’elles devraient donc contribuer à consolider les institutions de l’État, à renforcer l’indépendance de celles-ci et à garantir de nouvelles lois conformes aux normes du Conseil de l’Europe tant au niveau de leur contenu que de leur application. Elle invite également les autorités moldaves, si cela s’avère approprié, à abroger les textes législatifs jugés nécessaires pour sortir de la crise.
9. L’Assemblée note que les mesures prises après juin 2019 ont restauré la confiance des donateurs internationaux. Elle se félicite de la reprise du soutien financier international de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, qui pourrait contribuer de manière significative au renforcement de l’État de droit, à l’augmentation des investissements et des possibilités d’emploi, à l’amélioration des conditions de vie sociales et économiques de la population moldave, et à l’adoption d’incitations fortes pour que la population ne quitte pas son pays.
10. L'Assemblée prend note de la réforme du système judiciaire annoncée par les autorités en août 2019. Cette réforme est susceptible de modifier substantiellement l'élection du procureur général, la composition de la Cour suprême de justice, le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil supérieur des procureurs. La réforme apportera également des modifications à l'évaluation des juges et des procureurs. L'Assemblée se félicite de la détermination des autorités à résoudre les problèmes urgents et à rétablir la confiance dans le système judiciaire. Dans le même temps, elle rappelle qu'il est d'une importance fondamentale de veiller à ce que les modifications proposées renforcent l'indépendance et l'impartialité des instances de régulation du système judiciaire et du ministère public, et à ce qu’elles établissent des systèmes de recrutement ouverts, transparents et fondés sur le mérite. L’Assemblée craint que la récente nomination de juges à la Cour constitutionnelle n’ait pas été totalement transparente. L’Assemblée s’inquiète aussi du fait que les amendements récemment proposés par le Gouvernement moldave ne soient pas entièrement conformes aux recommandations du Conseil de l'Europe. L'Assemblée attend donc des autorités moldaves qu'elles sollicitent l’expertise du Conseil de l'Europe, en particulier de la Commission de Venise, pour veiller à ce que les changements proposés soient durables et conformes aux normes du Conseil de l'Europe.
11. L’Assemblée appelle également les autorités moldaves:
11.1. à veiller à ce que les procédures de révocation et de recrutement dans les administrations et les institutions publiques soient fondées sur des critères clairs et ouverts, afin d’accroître la transparence et la responsabilisation des institutions de l’État;
11.2. à revoir le fonctionnement de l’Institut national pour la justice et à veiller à ce que la formation initiale et continue vise à renforcer les capacités des futurs juges et procureurs, afin que les intéressés soient en mesure d’agir de manière indépendante;
11.3. à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre un terme à toutes les procédures pénales à motivation politique en cours menées à l’encontre des militants politiques et de leurs avocats, qui ont été lancées par le régime précédent à la suite d’ingérences politiques dans le système judiciaire et l’application des lois, comme l’indique le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme (Doc. 14405).
12. L’Assemblée souligne la nécessité de renforcer le système judiciaire, car ses faiblesses ont permis le développement de mécanismes de blanchiment de capitaux (appelés «lessiveuses»). L’Assemblée rappelle sa Résolution 2279 (2019) «Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux» et réitère son appel aux autorités moldaves pour qu’elles abrogent les textes législatifs comme ceux prévoyant des «amnisties fiscales» ou des «visas en or», propices au blanchiment, et qu’elles introduisent des dispositions empêchant les personnes accusées ou reconnues coupables d’infractions graves, notamment la corruption et le blanchiment de capitaux, d’accepter des fonctions publiques ou de les exercer.
13. L’Assemblée rappelle que la corruption reste un phénomène très répandu en République de Moldova. L’Assemblée salue la publication, le 24 juillet 2019, du rapport de conformité de 2018 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), qui a fait le bilan des mesures visant à prévenir la corruption parmi les juges, les procureurs et les membres du parlement. Elle invite instamment les autorités moldaves à agir résolument pour éradiquer la corruption et à mettre en œuvre les recommandations formulées par le GRECO en 2016 et 2018. L’Assemblée appelle en particulier le Parlement moldave à adopter un code d’éthique, un code de conduite et un code sur les règles et les procédures conformes aux recommandations du GRECO de 2016.
14. À la suite des changements de la législation électorale et de l’abolition du mode de scrutin mixte, en août 2019, conformément aux recommandations de la Commission de Venise, l’Assemblée se félicite des mesures prises pour accroître la transparence du financement des campagnes électorales, abaisser le seuil électoral et élargir les possibilités de vote des membres de la diaspora. Elle invite les autorités moldaves à mettre en œuvre les recommandations formulées par la commission ad hoc d’observation des élections de l’Assemblée parlementaire en 2018 et les avis de la Commission de Venise concernant respectivement le financement des partis politiques et des campagnes électorales (2017) et le système électoral (2017).
15. L’Assemblée appelle les autorités moldaves à veiller à ce que les réformes du système judiciaire et du ministère public soient mises en œuvre de manière pleinement conforme aux normes du Conseil de l’Europe afin d’assurer la restauration de l’État de droit et de mettre un terme au système de justice sélective ayant prévalu jusqu’à présent. Ces réformes permettront également de garantir la protection juridique des droits humains fondamentaux, y compris des droits des femmes. Dans ce contexte, l’Assemblée encourage les autorités moldaves à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»), qui a été signée par le pays en 2017. L’Assemblée salue à cet égard le soutien exprimé par le Président de la République de Moldova en faveur de cette ratification.
16. L'Assemblée se félicite de la volonté des autorités moldaves de poursuivre les discussions 5+2, qui impliquent la République de Moldova, les autorités de facto de Transnistrie, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, la Fédération de Russie et l'Ukraine, pour parvenir à un règlement pacifique du conflit en Transnistrie. L'Assemblée réitère également son plein soutien à l'intégrité territoriale de la République de Moldova et son appel à la Fédération de Russie pour qu'elle retire ses troupes et son matériel du territoire moldave, conformément à la Résolution 1896 (2012) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de toute initiative qui pourrait aboutir, dans un premier temps, à la liquidation du stock de munitions dans la région transnistrienne de la République de Moldova.
17. L’Assemblée encourage les autorités moldaves à poursuivre leur coopération avec le Conseil de l’Europe, notamment avec la Commission de Venise, et à tirer parti de l’expertise de celui-ci concernant plus spécialement la réforme du système judiciaire, du parquet et de la législation anticorruption. Elle décide de continuer d’observer de près les progrès en cours dans le cadre de sa procédure de suivi.
18. À l’approche des élections locales et législatives qui doivent se tenir le 20 octobre 2019, l’Assemblée appelle les autorités moldaves à veiller à ce que les scrutins soient organisés dans le respect des bonnes pratiques et des normes du Conseil de l'Europe.