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Résolution 2326 (2020)

La démocratie piratée? Comment réagir?

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 31 janvier 2020 (9e séance) (voir Doc. 15028, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Frithjof Schmidt; et Doc. 15056, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : M. Emanuelis Zingeris). Texte adopté par l’Assemblée le 31 janvier 2020 (9e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par l’ampleur de la pollution de l’information dans un monde de plus en plus polarisé et numériquement connecté, par la multiplication des campagnes de désinformation visant à façonner l’opinion publique, par les tendances à la manipulation et aux ingérences étrangères dans le processus électoral, ainsi que par les comportements abusifs et l’intensification des propos haineux sur internet et les médias sociaux, autant de défis posés à la démocratie, notamment aux processus électoraux, dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe, qui portent atteinte au droit à la liberté d’expression, y compris au droit d’obtenir des informations, ainsi qu’au droit à des élections libres.
2. En ce qui concerne les cyberattaques, l’Assemblée renvoie aux problématiques soulevées dans la Résolution 2217 (2018) et la Recommandation 2130 (2018) «Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme», en particulier en ce qui concerne les nombreux cas de campagnes de désinformation de masse visant à porter atteinte à la sécurité, à l'ordre public et aux processus démocratiques pacifiques, ainsi qu'à la nécessité de développer des outils pour protéger la démocratie des «armes de l'information».
3. Internet et les médias sociaux imprégnant de plus en plus le paysage politique, l’Assemblée met en avant la nécessité d’améliorer le contenu et l’architecture d’internet, de renforcer la résilience des sociétés et des systèmes démocratiques européens, de lutter contre la désinformation, d’investir dans un journalisme de qualité et de préserver la liberté d’expression ainsi que le pluralisme politique et médiatique, en particulier dans le contexte des élections.
4. L’Assemblée est d’avis que les campagnes électorales axées sur les données tirées des médias sociaux, fondées sur la segmentation et le profilage des utilisateurs, en particulier les publicités occultes diffusées sur les plateformes et ciblant des électeurs potentiels, sont un phénomène croissant qui devrait être mieux régulé afin d’assurer la transparence et la protection des données, et de gagner la confiance du public. En particulier, l’Assemblée:
4.1. salue le travail accompli par le Conseil de l’Europe dans le domaine de la protection des données à caractère personnel et des droits électoraux, particulièrement la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108, Convention 108) et sa pertinence concernant les droits électoraux, et se félicite des autres instruments juridiques non contraignants abordant différents aspects de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel dans le contexte de la société de l’information, dont les réseaux sociaux;
4.2. se félicite de l'adoption du Protocole d'amendement à la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STCE no 223), qui modernise la convention et s'attaque aux nouveaux défis résultant de l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication; elle soutient l'appel du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la vie privée, M. Joseph Cannataci, à tous les États membres des Nations Unies à adhérer à la Convention 108 lorsque leurs législation et pratiques sont conformes aux dispositions de la convention;
4.3. soutient les travaux futurs du Comité de la Convention 108 sur l'utilisation de données à caractère personnel lors d'élections et leur éventuelle utilisation abusive dans un contexte politique;
4.4. invite les États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à signer et/ou à ratifier, et à mettre pleinement en œuvre la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE no 185) et son Protocole additionnel relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189).
5. Afin de relever les défis de la désinformation dans le contexte d’élections démocratiques, les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe doivent:
5.1. reconnaître la nature transnationale du problème et renforcer la coopération avec les intermédiaires d’internet et les opérateurs de réseaux sociaux dont les intérêts commerciaux tendent à entrer en conflit avec les droits de l’homme et les droits politiques, par exemple avec le principe de l’équité électorale, conformément à la Recommandation CM/Rec(2018)2 du Comité des Ministres sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires d’internet;
5.2. permettre aux électeurs de recevoir des informations dignes de confiance et d’être mieux informés et plus engagés, en vue de préserver l’exercice de leur droit à des élections véritablement libres et équitables;
5.3. briser le monopole des entreprises technologiques qui contrôlent, dans une large mesure, l’accès des citoyens à l’information et aux données;
5.4. envisager de mettre à jour leur législation nationale, afin de lutter plus efficacement contre les campagnes de désinformation.
6. Pour faire face à ces défis, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre un certain nombre de stratégies dans une perspective européenne et mondiale, et à créer un modèle qui inclut la coresponsabilité et de multiples approches réglementaires et de résolution des conflits, en prenant en particulier les mesures suivantes:
6.1. promouvoir l’éducation aux médias et les compétences en matière de culture numérique afin de renforcer la culture juridique et démocratique des citoyens, conformément à la Résolution 2314 (2019) «L'éducation aux médias dans le nouvel environnement médiatique», sensibiliser davantage le public à la façon dont les données sont produites et traitées, donner aux électeurs les moyens d’évaluer de façon critique la communication électorale et accroître le degré de résilience de la société à l’égard de la désinformation;
6.2. encourager et soutenir les initiatives collaboratives sur la vérification des faits et d’autres améliorations dans les systèmes de modération et de conservation de contenus, qui visent à lutter contre la diffusion d’informations trompeuses et mensongères, y compris dans les médias sociaux, conformément à la Résolution 2281 (2019) «Médias sociaux: créateurs de liens sociaux ou menaces pour les droits humains?»;
6.3. garantir un financement approprié des médias indépendants de service public afin que ces derniers puissent allouer des ressources suffisantes à l’innovation en termes de contenus, de formes et de technologie en vue de promouvoir leur rôle en tant qu’acteurs principaux de la lutte contre la désinformation et la propagande, et en tant qu’intervenants cruciaux de la protection des écosystèmes de la communication et des médias en Europe, conformément à la Résolution 2255 (2019) «Les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande»;
6.4. renforcer la transparence des publicités à caractère politique en ligne, de la diffusion de l’information, des algorithmes et des modèles économiques des opérateurs de plateforme, notamment:
6.4.1. en garantissant, là où les partis politiques et les candidats ont le droit d’acheter de l’espace publicitaire à des fins électorales, l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions et les tarifs appliqués;
6.4.2. en élaborant des cadres de régulation spécifiques concernant les contenus internet en période électorale et en incluant des dispositions sur la transparence en matière de contenus sponsorisés sur les médias sociaux, afin que le public puisse avoir connaissance de la source qui finance la publicité électorale ou toute autre information ou opinion, conformément à la Résolution 2254 (2019) «La liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques», et en empêchant les ingérences illicites étrangères;
6.5. prendre en compte les implications du microciblage des publicités politiques en vue de promouvoir un paysage politique plus responsable, qui se prête moins aux manipulations;
6.6. soutenir l’accès des chercheurs aux données, y compris aux ensembles de données relatifs à des comptes et contenus supprimés, afin d’examiner l’influence de la désinformation stratégique sur la prise de décision démocratique et sur les processus électoraux, et de proposer éventuellement la mise en place d’un réseau européen de chercheurs dans ce domaine;
6.7. envisager l’élaboration d’une réglementation nationale et internationale pour partager les bonnes pratiques et renforcer la coopération entre les agences de sécurité, par exemple en créant un mécanisme spécifique de surveillance, de gestion des crises et d’analyse postcrise, et en mutualisant les ressources existantes dans les divers pays, conformément à la Recommandation 2144 (2019) «Gouvernance de l’internet et droits de l’homme»;
6.8. inviter les professionnels et les organisations du secteur des médias à développer des cadres d’autorégulation contenant des normes professionnelles et éthiques concernant leur couverture des campagnes électorales, incluant notamment une plus grande exactitude et fiabilité des informations, le respect de la dignité humaine et du principe de non-discrimination, conformément à la Résolution 2254 (2019);
6.9. engager des réformes judiciaires et créer des sections spécialisées pour les juges et les procureurs, centrées sur la désinformation et le discours de haine.
7. Par ailleurs, l’Assemblée salue l’action menée par l’Union européenne pour lutter contre la désinformation, faire face aux menaces d’ingérence extérieure dans les élections européennes et garantir une plus grande transparence de la publicité politique payante et des règles plus claires concernant le financement des partis politiques européens, dans le cadre du Plan d’action en faveur des droits de l’homme et de la démocratie pour la période 2020-2024. Elle appelle l’Union européenne à assurer une synergie avec l’action du Conseil de l’Europe dans ces domaines et à promouvoir une coopération accrue avec les 47 États membres du Conseil de l’Europe. Elle invite également la Commission européenne et les task forces sur la communication stratégique du Service européen pour l’action extérieure à garantir une plus grande participation des organisations non gouvernementales compétentes, agissant dans l’Union européenne, à la direction et à la consultation de leurs organes compétents en matière de lutte contre la désinformation afin de mieux détecter, analyser et dénoncer la désinformation. Ces organes devraient travailler en étroite coopération, de manière plus transparente, et échanger régulièrement des informations, dans l’intérêt du bien commun.
8. L’Assemblée appelle aussi les États membres de l’Union européenne à accroître considérablement le soutien dispensé par l’Union européenne aux task forces sur la communication stratégique du Service européen pour l’action extérieure afin de renforcer la capacité de l’Union européenne à lutter contre la désinformation.
9. Enfin, l’Assemblée soutient les efforts déployés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) en vue d’élaborer une liste de principes pour l’utilisation des technologies numériques dans le contexte des élections et décide de suivre de près cette question.