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Résolution 2352 (2020)

Menaces à l’encontre de la liberté académique et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 20 novembre 2020 (voir Doc. 15167, rapport de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteur: M. Koloman Brenner).Voir également la Recommandation 2189 (2020).

1. La liberté académique et l’autonomie institutionnelle des établissements d’enseignement supérieur ne sont pas seulement essentielles pour la qualité de l’enseignement et de la recherche; ce sont aussi des composantes essentielles des sociétés démocratiques. Pourtant, ces valeurs sont aujourd'hui menacées de multiples façons, depuis la mise en cause pénale de chercheurs, d’universitaires et d’étudiants jusqu’à la marchandisation de l’enseignement supérieur et la commercialisation des connaissances, ce qui nuit de plus en plus à la qualité de l’enseignement et de la recherche, et éloigne l’enseignement supérieur des objectifs civiques, démocratiques et sociétaux plus larges.
2. L’Assemblée parlementaire déplore le fait que certains États membres du Conseil de l’Europe figurent en queue de la liste de l’Indice de liberté académique (Academic Freedom Index – AFI) récemment publiée, ce qui confirme l’urgence de mettre en place un cadre international approprié d’assistance, de suivi, d’évaluation et de mécanismes de sanction pour protéger la liberté et l’intégrité académiques dans toute l’Europe. Les valeurs fondamentales de l’enseignement supérieur s’appliquent à tous les États membres sans exception.
3. La pandémie de covid-19 a montré à quel point la liberté académique contribue à la recherche et à la diffusion d’informations fiables en cas de crise sanitaire mondiale. Cette pandémie ne devrait en aucun cas servir de prétexte à de nouvelles atteintes à la liberté académique et à l’autonomie institutionnelle des établissements d’enseignement supérieur. Le monde de l’après-covid-19 exigera plus que jamais des universités civiques démocratiques, qui se consacrent à la production de connaissances et au développement des compétences requises pour servir la société de manière responsable et réactive.
4. L’Assemblée regrette qu’à ce jour, malgré vingt ans de débats sérieux sur la liberté et l’intégrité académiques, les déclarations d’intention n’aient pas encore été traduites en une définition ou une référence conceptuelle de la liberté académique convenue au niveau international. Cela explique en partie la faible sensibilisation du personnel universitaire à ses droits et cela contribue à fermer les yeux sur les établissements et les pays qui ne parviennent pas à garantir les valeurs fondamentales et qui ne protègent pas les étudiants et les universitaires. L’Assemblée se félicite donc de l’adoption par la Conférence des ministres de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES), qui s’est tenue le 19 novembre 2020, d’une définition commune et elle encourage l’élaboration de critères de référence appropriés qui permettraient un suivi et une évaluation systémiques.
5. L’Assemblée rappelle la Recommandation CM/Rec(2012)7 du Comité des Ministres relative à la responsabilité des pouvoirs publics concernant la liberté universitaire et l’autonomie des établissements, qui prévoit clairement que les pouvoirs publics ont l’obligation de protéger la liberté universitaire et l'autonomie des établissements, et qu'ils doivent s'abstenir de toute action qui pourrait les mettre en danger ou leur porter atteinte. Ce n’est pas parce que des lois existent qu’elles sont automatiquement appliquées. L'Assemblée est préoccupée par le fait que, en l'absence de données régulièrement contrôlées et d'un accord international juridiquement contraignant, les différentes formes d'abus se poursuivent sans entrave et sans la moindre sanction. Elle considère qu'il est véritablement nécessaire d'élaborer une convention européenne sur la protection de la liberté universitaire et de l'autonomie des établissements, avec ses instruments de collecte d'informations, de suivi et d'assistance.
6. L’Assemblée est préoccupée par le développement des financements extérieurs et par la marchandisation de l'enseignement supérieur, qui sapent l'idée que l'enseignement supérieur est un bien public et une responsabilité publique. Les intérêts commerciaux et politiques des financeurs externes risquent de détourner l'attention de la recherche vers l'accroissement des flux de profits et de recettes des entreprises qui parrainent cette recherche, et de fixer des limites à la liberté de publier les résultats de la recherche. Les universités étant des symboles des acquis intellectuels des États, elles ont un rôle majeur dans la préservation du patrimoine culturel et linguistique. Les autorités nationales doivent donc assumer leurs responsabilités en allouant un financement public approprié à l'enseignement supérieur afin de réduire les risques liés au financement de l’extérieur.
7. La liberté et l'autonomie académiques ne sont pleinement prises en considération dans aucun des classements des universités aujourd'hui, ce qui fait que certains établissements d'enseignement supérieur des pays ayant les scores AFI les plus faibles semblent exceller. Les futurs classements devraient tenir dûment compte des données sur la liberté académique et les indices disponibles. L'excellence ne peut être fondée sur la censure de questions, le conformisme politique et la fermeture des esprits.
8. Enfin, l'Assemblée salue les diverses initiatives lancées actuellement par différents organismes internationaux tels que le Conseil de l'Europe, l'EEES/Processus de Bologne ou l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) afin de mettre au point de nouveaux mécanismes de suivi de la mise en œuvre des valeurs académiques dans les établissements d'enseignement supérieur. Elle les encourage à rassembler l’ensemble des différents cadres existants et à joindre leurs forces et leurs ressources respectives afin d'éviter les doubles emplois, de maximiser la valeur ajoutée de la recherche et d'accroître les chances d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques générales. À cet égard, l'Assemblée se félicite de la Déclaration de 2019 du Forum mondial sur la liberté académique, l'autonomie des établissements et l'avenir de la démocratie, et invite instamment les communautés universitaires, les responsables de l'enseignement supérieur, les pouvoirs publics, les ministères de l'EEES et les autres groupes de parties prenantes à adhérer à ses recommandations.
9. À la lumière de ce qui précède, l'Assemblée appelle les gouvernements des États membres et observateurs:
9.1. à veiller à ce que la protection de la liberté académique et de l'autonomie des établissements soit inscrite dans la législation nationale, et que les dispositions juridiques pertinentes soient mises en pratique; à s'abstenir de toute action indue qui pourrait mettre en danger ou empiéter sur la liberté académique et l'autonomie des établissements, et à mettre en place les cadres qui rendent possible leur pratique;
9.2. à concevoir de nouvelles politiques et de nouveaux cadres réglementaires nationaux post-covid-19 en matière d'enseignement supérieur, qui tiennent dûment compte des principes de liberté académique et d'autonomie des établissements, conformément à la Recommandation CM/Rec(2012)7 du Comité des Ministres relative à la responsabilité des pouvoirs publics concernant la liberté universitaire et l’autonomie des établissements;
9.3. à assurer un financement public adéquat de l'enseignement supérieur et de la recherche, conformément aux priorités nationales établies, pour permettre ainsi aux établissements de préserver dans la mesure du possible leur indépendance; à renforcer la transparence au sein des mécanismes de régulation du financement de l'enseignement supérieur et à prévoir des dispositions claires pour faire obstacle à toute menace éventuelle à la liberté et à l'autonomie académiques par le biais de régimes de financement, que les sources soient publiques ou privées;
10. En particulier, l'Assemblée appelle les Gouvernements de l’Azerbaïdjan, de la Hongrie, de la Fédération de Russie et de la Turquie, qui sont les moins bien classés dans l’index AFI, à revoir sans délai les législations récemment adoptées et/ou les pratiques qui limitent le respect des principes de liberté académique et d'autonomie des établissements.
11. L’Assemblée invite les parties prenantes concernées, y compris les organisations internationales, les autorités nationales, les associations professionnelles académiques, les universités et les bailleurs de fonds, à intégrer l'évaluation de la liberté académique dans leurs processus de contrôle, leurs partenariats institutionnels ainsi que dans leurs mécanismes de classement et de soutien financier.
12. L’Assemblée se félicite de l'intention des ministres chargés de l'enseignement supérieur de l'EEES de réaffirmer leur engagement à promouvoir et à protéger les valeurs fondamentales dans l'ensemble de l'EEES par un dialogue et une coopération politiques intensifiés et, à cette fin, elle les exhorte:
12.1. à placer en tête de leur programme pour 2021-2024 l'élaboration d'un cadre approprié pour le renforcement des valeurs fondamentales de l'EEES, y compris des critères de référence clairs permettant d’évaluer le degré de liberté académique (et son évolution) et une stratégie de plaidoyer et de suivi de la mise en œuvre des politiques en faveur de la liberté académique et de l’autonomie des établissements;
12.2. à s'attaquer sérieusement aux menaces qui pèsent sur la liberté académique et l'autonomie des établissements, et à envisager des mesures à l'égard des gouvernements qui font preuve d'un manque de respect persistant de ces principes ou d'une réticence à prendre des mesures raisonnables pour améliorer la situation.
13. Enfin, les parlements nationaux et les instances parlementaires internationales ont également un rôle à jouer pour repérer les améliorations ou les aggravations relatives en matière de respect de la liberté académique chez les partenaires étatiques, et constituer un cadre pour un processus régulier d’évaluation, de dialogue et de réforme. L'Assemblée invite les parlementaires nationaux et les commissions parlementaires compétentes de ses États membres à rester vigilants quant aux insuffisances ou aux régressions significatives en matière de valeurs universitaires, à en rechercher les causes et à élaborer des mesures politiques correctrices appropriées si nécessaire.