Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2352 (2020)
Menaces à l’encontre de la liberté académique et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur en Europe
1. La liberté académique et l’autonomie
institutionnelle des établissements d’enseignement supérieur ne sont
pas seulement essentielles pour la qualité de l’enseignement et
de la recherche; ce sont aussi des composantes essentielles des
sociétés démocratiques. Pourtant, ces valeurs sont aujourd'hui menacées
de multiples façons, depuis la mise en cause pénale de chercheurs,
d’universitaires et d’étudiants jusqu’à la marchandisation de l’enseignement
supérieur et la commercialisation des connaissances, ce qui nuit
de plus en plus à la qualité de l’enseignement et de la recherche,
et éloigne l’enseignement supérieur des objectifs civiques, démocratiques
et sociétaux plus larges.
2. L’Assemblée parlementaire déplore le fait que certains États
membres du Conseil de l’Europe figurent en queue de la liste de
l’Indice de liberté académique (Academic
Freedom Index – AFI) récemment publiée, ce qui confirme
l’urgence de mettre en place un cadre international approprié d’assistance,
de suivi, d’évaluation et de mécanismes de sanction pour protéger
la liberté et l’intégrité académiques dans toute l’Europe. Les valeurs
fondamentales de l’enseignement supérieur s’appliquent à tous les
États membres sans exception.
3. La pandémie de covid-19 a montré à quel point la liberté académique
contribue à la recherche et à la diffusion d’informations fiables
en cas de crise sanitaire mondiale. Cette pandémie ne devrait en
aucun cas servir de prétexte à de nouvelles atteintes à la liberté
académique et à l’autonomie institutionnelle des établissements
d’enseignement supérieur. Le monde de l’après-covid-19 exigera plus
que jamais des universités civiques démocratiques, qui se consacrent
à la production de connaissances et au développement des compétences
requises pour servir la société de manière responsable et réactive.
4. L’Assemblée regrette qu’à ce jour, malgré vingt ans de débats
sérieux sur la liberté et l’intégrité académiques, les déclarations
d’intention n’aient pas encore été traduites en une définition ou
une référence conceptuelle de la liberté académique convenue au
niveau international. Cela explique en partie la faible sensibilisation
du personnel universitaire à ses droits et cela contribue à fermer
les yeux sur les établissements et les pays qui ne parviennent pas
à garantir les valeurs fondamentales et qui ne protègent pas les
étudiants et les universitaires. L’Assemblée se félicite donc de
l’adoption par la Conférence des ministres de l’Espace européen
de l’enseignement supérieur (EEES), qui s’est tenue le 19 novembre
2020, d’une définition commune et elle encourage l’élaboration de
critères de référence appropriés qui permettraient un suivi et une évaluation
systémiques.
5. L’Assemblée rappelle la Recommandation CM/Rec(2012)7 du Comité
des Ministres relative à la responsabilité des pouvoirs publics
concernant la liberté universitaire et l’autonomie des établissements,
qui prévoit clairement que les pouvoirs publics ont l’obligation
de protéger la liberté universitaire et l'autonomie des établissements,
et qu'ils doivent s'abstenir de toute action qui pourrait les mettre
en danger ou leur porter atteinte. Ce n’est pas parce que des lois
existent qu’elles sont automatiquement appliquées. L'Assemblée est préoccupée
par le fait que, en l'absence de données régulièrement contrôlées
et d'un accord international juridiquement contraignant, les différentes
formes d'abus se poursuivent sans entrave et sans la moindre sanction.
Elle considère qu'il est véritablement nécessaire d'élaborer une
convention européenne sur la protection de la liberté universitaire
et de l'autonomie des établissements, avec ses instruments de collecte d'informations,
de suivi et d'assistance.
6. L’Assemblée est préoccupée par le développement des financements
extérieurs et par la marchandisation de l'enseignement supérieur,
qui sapent l'idée que l'enseignement supérieur est un bien public
et une responsabilité publique. Les intérêts commerciaux et politiques
des financeurs externes risquent de détourner l'attention de la
recherche vers l'accroissement des flux de profits et de recettes
des entreprises qui parrainent cette recherche, et de fixer des
limites à la liberté de publier les résultats de la recherche. Les universités
étant des symboles des acquis intellectuels des États, elles ont
un rôle majeur dans la préservation du patrimoine culturel et linguistique.
Les autorités nationales doivent donc assumer leurs responsabilités
en allouant un financement public approprié à l'enseignement supérieur
afin de réduire les risques liés au financement de l’extérieur.
7. La liberté et l'autonomie académiques ne sont pleinement prises
en considération dans aucun des classements des universités aujourd'hui,
ce qui fait que certains établissements d'enseignement supérieur
des pays ayant les scores AFI les plus faibles semblent exceller.
Les futurs classements devraient tenir dûment compte des données
sur la liberté académique et les indices disponibles. L'excellence
ne peut être fondée sur la censure de questions, le conformisme
politique et la fermeture des esprits.
8. Enfin, l'Assemblée salue les diverses initiatives lancées
actuellement par différents organismes internationaux tels que le
Conseil de l'Europe, l'EEES/Processus de Bologne ou l'Organisation
des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO)
afin de mettre au point de nouveaux mécanismes de suivi de la mise
en œuvre des valeurs académiques dans les établissements d'enseignement
supérieur. Elle les encourage à rassembler l’ensemble des différents
cadres existants et à joindre leurs forces et leurs ressources respectives
afin d'éviter les doubles emplois, de maximiser la valeur ajoutée
de la recherche et d'accroître les chances d'élaborer et de mettre
en œuvre des politiques générales. À cet égard, l'Assemblée se félicite
de la Déclaration de 2019 du Forum mondial sur la liberté académique,
l'autonomie des établissements et l'avenir de la démocratie, et
invite instamment les communautés universitaires, les responsables
de l'enseignement supérieur, les pouvoirs publics, les ministères
de l'EEES et les autres groupes de parties prenantes à adhérer à
ses recommandations.
9. À la lumière de ce qui précède, l'Assemblée appelle les gouvernements
des États membres et observateurs:
9.1. à veiller à ce que la protection de la liberté académique
et de l'autonomie des établissements soit inscrite dans la législation
nationale, et que les dispositions juridiques pertinentes soient
mises en pratique; à s'abstenir de toute action indue qui pourrait
mettre en danger ou empiéter sur la liberté académique et l'autonomie
des établissements, et à mettre en place les cadres qui rendent
possible leur pratique;
9.2. à concevoir de nouvelles politiques et de nouveaux cadres
réglementaires nationaux post-covid-19 en matière d'enseignement
supérieur, qui tiennent dûment compte des principes de liberté académique
et d'autonomie des établissements, conformément à la Recommandation
CM/Rec(2012)7 du Comité des Ministres relative à la responsabilité
des pouvoirs publics concernant la liberté universitaire et l’autonomie
des établissements;
9.3. à assurer un financement public adéquat de l'enseignement
supérieur et de la recherche, conformément aux priorités nationales
établies, pour permettre ainsi aux établissements de préserver dans
la mesure du possible leur indépendance; à renforcer la transparence
au sein des mécanismes de régulation du financement de l'enseignement
supérieur et à prévoir des dispositions claires pour faire obstacle
à toute menace éventuelle à la liberté et à l'autonomie académiques
par le biais de régimes de financement, que les sources soient publiques
ou privées;
10. En particulier, l'Assemblée appelle les Gouvernements de l’Azerbaïdjan,
de la Hongrie, de la Fédération de Russie et de la Turquie, qui
sont les moins bien classés dans l’index AFI, à revoir sans délai
les législations récemment adoptées et/ou les pratiques qui limitent
le respect des principes de liberté académique et d'autonomie des
établissements.
11. L’Assemblée invite les parties prenantes concernées, y compris
les organisations internationales, les autorités nationales, les
associations professionnelles académiques, les universités et les
bailleurs de fonds, à intégrer l'évaluation de la liberté académique
dans leurs processus de contrôle, leurs partenariats institutionnels
ainsi que dans leurs mécanismes de classement et de soutien financier.
12. L’Assemblée se félicite de l'intention des ministres chargés
de l'enseignement supérieur de l'EEES de réaffirmer leur engagement
à promouvoir et à protéger les valeurs fondamentales dans l'ensemble
de l'EEES par un dialogue et une coopération politiques intensifiés
et, à cette fin, elle les exhorte:
12.1. à placer en tête de leur programme pour 2021-2024 l'élaboration
d'un cadre approprié pour le renforcement des valeurs fondamentales
de l'EEES, y compris des critères de référence clairs permettant
d’évaluer le degré de liberté académique (et son évolution) et une
stratégie de plaidoyer et de suivi de la mise en œuvre des politiques
en faveur de la liberté académique et de l’autonomie des établissements;
12.2. à s'attaquer sérieusement aux menaces qui pèsent sur la
liberté académique et l'autonomie des établissements, et à envisager
des mesures à l'égard des gouvernements qui font preuve d'un manque de
respect persistant de ces principes ou d'une réticence à prendre
des mesures raisonnables pour améliorer la situation.
13. Enfin, les parlements nationaux et les instances parlementaires
internationales ont également un rôle à jouer pour repérer les améliorations
ou les aggravations relatives en matière de respect de la liberté académique
chez les partenaires étatiques, et constituer un cadre pour un processus
régulier d’évaluation, de dialogue et de réforme. L'Assemblée invite
les parlementaires nationaux et les commissions parlementaires compétentes
de ses États membres à rester vigilants quant aux insuffisances
ou aux régressions significatives en matière de valeurs universitaires,
à en rechercher les causes et à élaborer des mesures politiques correctrices
appropriées si nécessaire.