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Addendum au rapport | Doc. 15132 Add. | 17 mars 2021
Le dialogue postsuivi avec le Monténégro
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
1. Introduction
1. Le rapport sur le dialogue
de post-suivi avec le Monténégro avait initialement été élaboré
par les corapporteurs en vue d'être adopté en mars 2020 par la Commission
de suivi et discuté par l’Assemblée lors de la partie de session
d’avril 2020. En raison de la pandémie, il a finalement été examiné,
et le projet de résolution a été adopté par la commission en juin
2020 (Doc. 15132), tandis que le débat à l’Assemblée était fixé à la
partie de session d’avril 2021. Entre mars 2020 et mars 2021, plusieurs
événements importants ont eu lieu, notamment les élections générales
du 30 août, marquées pour la première fois par une alternance politique
qui s’est effectuée de manière pacifique.
2. La plupart de ces faits nouveaux ont été présentés, avec notre
pleine approbation, par le Président de la Commission de suivi aux
paragraphes 128 à 140 de son rapport sur «L'évolution de la procédure
de suivi de l’Assemblée» (Doc.
15211). Cet addendum révisé complète cette présentation. Prenant
en compte ces faits nouveaux, les corapporteurs proposent quelques
amendements mineurs afin de mettre à jour le projet de résolution.
3. Dans l’ensemble, les faits nouveaux intervenus entre mars
2020 et mars 2021 ont confirmé les observations faites par les corapporteurs
dans leur rapport: dans les domaines où le Monténégro est généralement
considéré comme un partenaire coopératif ou comme un bon exemple
pour la région (droits des minorités, lutte contre la discrimination
entre autres), la situation a continué de s’améliorer, mais des
progrès limités ont été enregistrés dans les quatre domaines clés retenus
par la Résolution 2030
(2015) «Le respect des obligations et engagements du Monténégro»
qui sont d'une importance capitale si le Monténégro veut que le
dialogue post-suivi prenne fin. Il convient de noter que notre constat
général est largement partagé par la Commission européenne dans
son rapport annuel sur le Monténégro publié le 6 octobre 2020, en
ce qui concerne les critères politiques et les chapitres relatifs
à l'État de droit .
4. L’issue des élections générales et la maturité dont ont fait
preuve l’ensemble des acteurs politiques après la proclamation des
résultats ont créé une situation politique nouvelle dont les autorités
monténégrines devraient tirer parti pour s’attaquer aux quatre domaines
clés, qui sont problématiques depuis longtemps. Elles devront le
faire alors que le Monténégro et son économie, à laquelle le tourisme
contribue de manière significative, ont été et sont toujours profondément
affectés par la pandémie de covid-19.
2. Confirmation des tendances antérieures
5. Citons comme exemple significatif
des progrès réalisés par le Monténégro les droits des personnes LGBTI.
En juillet 2020, le parlement a adopté la loi sur le partenariat
de vie des personnes de même sexe, après deux tentatives précédentes
infructueuses. Dans le contexte culturel des Balkans, l’adoption
de ce texte n’est pas un fait mineur. Ainsi que le souligne la Commission
européenne, «le Monténégro est le premier pays de la région à réglementer
le statut des couples de même sexe» .
6. En ce qui concerne le système judiciaire, des tendances négatives
non négligeables ont été observées, bien que des développements
récents puissent être annonciateurs d’évolutions plus positives.
7. Ainsi que l’indique le rapport sur «L’évolution de la procédure
de suivi de l’Assemblée (janvier-décembre 2020)», les renouvellements
des mandats de présidents de tribunaux pour une durée supérieure
à la limite des deux mandats, fixée par la Constitution et la loi,
se sont poursuivis à plusieurs reprises, malgré les avertissements
des corapporteurs, du Groupe d'États contre la corruption (GRECO)
et de l’Union européenne. Comme pour illustrer cette pratique, le
Conseil de la magistrature a décidé en novembre 2020 de reconduire pour
la huitième fois le mandat d’un président de tribunal. Il n'a pas
saisi l’occasion offerte par l’annulation de sa précédente décision
de renouveler le mandat de l’intéressé par le tribunal administratif
pour revenir sur sa décision initiale, mais il l'a confirmée. La
question de la concentration excessive de pouvoir au sein de l’appareil judiciaire
a été soulignée par le GRECO. C’est une question qui importe beaucoup
aux corapporteurs et à l’Assemblée. Par conséquent, étant donné
la résistance affichée du Conseil de la magistrature, nous avons discuté
de la question avec la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe
et nous n’épargnerons pas nos efforts en la matière.
8. Sur cette question de la limite des deux mandats, il est possible
que la démission en décembre 2020 de Mme Vesna Medenica, Présidente
de la Cour suprême, dont le mandat avait été renouvelé une troisième
fois, ce qui avait été critiqué par les corapporteurs et l’Union
européenne, puisse provoquer un changement de comportement soit
des présidents de tribunaux soit du Conseil de la magistrature.
Il n'est pas non plus impossible que les dispositions régissant
les retraites du personnel judiciaire puissent offrir une solution partielle.
Un tiers des juges monténégrins semblent remplir les conditions
pour bénéficier d’une pension de retraite. La question de savoir
s’ils doivent cesser leurs fonctions judiciaires, conformément à
la Constitution et à la loi sur les pensions et l’assurance invalidité,
est actuellement examinée par la Cour constitutionnelle à la demande
du Conseil de la magistrature. Comme parmi ces juges plusieurs exercent
leur fonction de président de cour depuis plus de deux mandats,
la décision à prendre par la Cour constitutionnelle peut avoir un
effet indirect sur eux, si elle devait ordonner leur mise à la retraite
immédiate. En tant que corapporteurs, nous continuerons à suivre
de près cette question.
9. Sur une note plus positive, il convient également de constater
la tendance relevée par les corapporteurs au paragraphe 83 de leur
rapport, à savoir que les tribunaux monténégrins ont osé annuler
des décisions sensibles adoptées par le parlement pour démettre
des membres du Conseil de la radiodiffusion nationale (RTCG) de
leur mandat à la fin de 2020. A la suite de ces décisions, la Cour
suprême a estimé en juin 2019, dans un avis juridique non contraignant,
que les décisions du parlement concernant l’élection, la nomination ou
la révocation d’agents publics ne pouvaient pas être contestées
par des procédures administratives ou civiles. Ce faisant, elle
a rendu impossible toute contestation des nominations décidées par
le parlement dans des institutions sensibles, tels que le Conseil
de la RTCG, mais aussi l’Agence de prévention de la corruption (APC).
La Commission européenne a fait observer que cet avis «suscite des
inquiétudes quant à l’absence de garanties juridiques concernant
les décisions du parlement, ce qui compromet le droit à un recours juridictionnel
effectif» . En octobre et en novembre 2020, deux
juges, l’un au tribunal de première instance de Nikšić, l'autre
à celui de Podgorica, ont annulé les décisions antérieures du Parlement
de révoquer un membre du Conseil de la RTCG et un membre de l’APC.
En tant que corapporteurs, nous considérons que ces arrêts préservent
le droit à un recours juridique effectif, bien qu’ils ne soient
pas conformes à l’avis non contraignant de la Cour suprême.
10. En ce qui concerne la confiance dans le processus électoral,
la tentative de révision du cadre électoral a échoué, en raison
du boycott par l'opposition de l’époque de la commission parlementaire
ad hoc chargée de la réforme. Par conséquent, le cadre électoral
est resté largement inchangé lors des élections générales du 30
août, avec les mêmes défauts et limites que le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) a continué à conseiller de
corriger. Toutefois, malgré cette regrettable impasse et les pratiques
observées par le BIDDH/OSCE au cours du processus électoral (voir
partie 3), la participation aux élections du 30 août a été très
élevée: plus de 76% des électeurs ont exprimé leur choix politique.
En tant que corapporteurs, nous nous félicitons de la légitimité
que ce taux de participation élevé a conférée au processus électoral,
mais, dans le même temps, nous invitons les acteurs politiques à
engager rapidement des négociations transpartisanes pour revoir
la législation électorale, conformément aux recommandations du BIDDH/OSCE
et de l'Assemblée.
11. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, aucun progrès
significatif n’a été observé. Il convient de noter que dans l’affaire
des «enregistrements audio» , une
affaire dont les corapporteurs ont fait état depuis 2012, la Commission
européenne a estimé en 2020 «qu’il n'y a pas eu de faits nouveaux
dans le suivi politique et judiciaire du détournement allégué de
fonds publics à des fins de financement de parti politique intervenu en
2012 (affaire des «enregistrements audio»)» .
12. Enfin, la situation des médias ne s’est pas améliorée et est
restée pratiquement inchangée.
13. Parce que nous craignons, en tant que corapporteurs, que les
journalistes au Monténégro ne soient soumis à des pressions par
le biais de procédures judiciaires et de détentions, nous avons
décidé de prendre position publiquement après que M. Jovo Martinović,
journaliste d'investigation, a été condamné pour la deuxième fois
le 8 octobre 2020 pour constitution d’organisation criminelle et
trafic de drogue, alors qu'il enquêtait sur un trafic d'armes. La
procédure judiciaire est toujours en cours et nous veillerons attentivement à
ce que le droit de M. Martinović à un procès équitable soit respecté,
en particulier lorsque son affaire sera examinée par la cour d’appel
à partir du 4 mars.
14. En décembre 2020, notre attention a été attirée une fois de
plus sur la situation de Mme Olivera Lakić, journaliste d'investigation
blessée par balle en mai 2018 et mentionnée au paragraphe 151 de
notre rapport. Selon une ONG fiable, Human Rights Action (HRA),
Mme Lakić n’a pas bénéficié d’une protection policière, comme l’avait
recommandé la commission monténégrine de suivi des violences envers
les journalistes, malgré une menace d'assassinat manifeste . En tant
que corapporteurs, nous appelons les autorités compétentes à agir
et nous suivrons de près cette question.
15. Les préoccupations concernant l’indépendance de la RTCG n’ont
pas été traitées et le renouvellement des membres de son conseil
en juin 2019 ne les a pas dissipées. La RTCG a été critiquée lors
du débat concernant la loi sur la liberté de religion ou de conviction
et le statut juridique des communautés religieuses (loi sur la liberté
de religion) pour sa couverture biaisée en faveur du gouvernement
de l’époque et des accusations croisées
de parti pris politique ont été échangées au sein de la RTCG, depuis
le changement de majorité politique .
16. Bien que le cadre juridique semble s’être amélioré en raison
de l’adoption en juillet 2020 de deux lois sur les médias et sur
la RTCG, il subsiste des préoccupations liées à la situation des
médias.
3. Évolution de la situation politique: une nouvelle majorité parlementaire après un débat polarisé concernant la loi sur la liberté de religion
17. Ainsi que l’indiquent les paragraphes
137 à 140 du rapport sur «L’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(janvier-décembre 2020)», les deux principaux faits nouveaux, étroitement
liés, qui ont marqué l'année 2020 sont les protestations continues
et massives contre la loi sur la liberté de religion, en particulier la
partie consacrée aux droits de propriété, adoptée par le parlement
en décembre 2019, et les élections générales qui ont eu lieu en
août 2020. Des élections locales ont également été convoquées en
même temps dans cinq municipalités.
18. Aucun compromis politique n'a été trouvé sur les dispositions
controversées de la loi, mais les manifestations menées par l'Église
orthodoxe serbe ont été interrompues en raison de l’épidémie de
covid‑19. Elles avaient été pour la plupart pacifiques, malgré des
poussées de tension limitées. Le 20 juin 2020, dans ce contexte
profondément polarisé, le président Đukanović a convoqué des élections
législatives anticipées pour le 30 août. Si les élections locales
n’ont pas été observées par les organisations internationales ‑
bien qu'elles le fussent par des ONG nationales - le BIDDH/OSCE
a déployé une mission d’observation électorale limitée (MOEL) internationale
pour les élections générales.
19. Dans ses conclusions préliminaires, confirmées dans son rapport
final du 11 décembre 2020 , la MOEL a estimé
que «les élections ont été concurrentielles et se sont déroulées
dans un environnement fortement polarisé sur les questions d’identité
religieuse et nationale. Les candidats ont pu faire passer leurs
messages, mais le parti au pouvoir a été indûment avantagé par un
abus de pouvoir et de ressources de l'État et par une couverture
médiatique dominante. L’absence de couverture médiatique indépendante
de la campagne a encore affaibli la qualité des informations mises
à la disposition des électeurs. La loi prévoit des règles de base pour
la conduite d’élections démocratiques, mais des lacunes et des ambiguïtés
permettent de les contourner, notamment en ce qui concerne le financement
de la campagne électorale. Les élections se sont globalement déroulées
de manière transparente et efficace, bien que la Commission électorale
nationale (CEN) n'ait pas rempli correctement son rôle de régulation.
Les restrictions liées à la covid‑19 ont limité les possibilités
de campagne physique et ont augmenté les contacts en ligne, mais
elles n'ont pas empêché les électeurs de se rendre aux urnes en
grand nombre. Le jour du scrutin s'est déroulé dans l’ordre et le
processus a été généralement transparent et bien administré, bien
que les protocoles sanitaires n’aient pas été mis en œuvre de manière
cohérente». Le BIDDH/OSCE a également noté que «seules 18 femmes
(22%) ont été élues députées, ce qui représente une diminution par
rapport aux 19 (portées à 24 en 2018) députées du Parlement sortant.
Ceci est loin de respecter le quota de 30% imposé pour les listes
de candidats».
20. Ces conclusions ont été pleinement partagées par les quatre
ONG que les corapporteurs ont rencontrées le 3 septembre 2020 en
visioconférence pour discuter du processus électoral et de ses résultats.
21. Bien qu’elles se soient déroulées dans une atmosphère très
polarisée, les élections sont restées pacifiques à l’exception notable
d'agressions inquiétantes visant les minorités, en particulier les
Bosniaques, le jour de l’annonce des résultats. Cette explosion
de violence a été immédiatement condamnée par tous les partis et
par l’Église orthodoxe serbe, qui s’est fortement engagée dans la
campagne contre la majorité au pouvoir, selon les ONG que les corapporteurs
ont rencontrées. Cette condamnation générale est à saluer. Le Monténégro
est un modèle régional de relations pacifiques entre ses différentes
communautés et minorités; pour préserver ce modèle, les autorités
monténégrines doivent montrer qu'elles ne toléreront aucune agression
contre celui-ci et que la question de l’identité ne sera pas utilisée
contre une minorité quelle qu’elle soit. Par conséquent, l’Assemblée
devrait suivre de près les enquêtes pénales déjà ouvertes par la
police sur les allégations de crimes de haine et d’agressions à
motivation ethnique et religieuse qui ont eu lieu après l’annonce
des résultats des élections d’août, notamment dans la ville de Pljevlja
où des membres de la communauté bosniaque auraient été pris pour
cible.
22. Ainsi que cela a été noté précédemment, le taux de participation
(plus de 76%) a été très élevé et ces élections ont vu, pour la
première fois depuis l'indépendance du Monténégro en 2006, et pour
la première fois depuis 1991, une alternance politique. Parmi les
onze listes bloquées de candidats inscrits, le Parti démocratique
des socialistes du Monténégro (PDS) a remporté 35% des voix (soit
30 sièges au Parlement), le Front démocratique (FD) et ses alliés
32% (27 sièges), les Démocrates (DCG) et leurs partenaires 12% (10 sièges),
l’Action unie pour la réforme (URA) et ses alliés 5% (4 sièges).
Le Parlement monténégrin comprenant 81 sièges, le FD, le DCG et
l’URA pouvaient prétendre à une majorité serrée de 41 sièges.
23. Après l'annonce des résultats, le président Đukanović, qui
est au pouvoir depuis 30 ans, soit comme président soit comme premier
ministre, a reconnu la défaite de l’ancienne majorité au pouvoir
dirigée par le PDS. Les trois principaux programmes de l’opposition,
menés par le FD, le DCG et l’URA, ont annoncé le 31 août un accord
sur la formation d’un gouvernement d'experts dirigé par M. Zdravko
Krivokapić, futur Premier ministre qui a mené la liste soutenue
par le FD, n’est affilié à aucune formation politique, mais est proche
de l’Église orthodoxe serbe.
24. Au cours de leur mission d'enquête en septembre 2019 à Podgorica,
il avait été dit aux corapporteurs qu’il était peu probable que
dans un avenir proche, l’opposition de l’époque puisse s’unir et
former une coalition, car leurs objectifs et leurs priorités politiques
différaient. Le FD était généralement considéré comme pro-serbe
et peu favorable à l’adhésion à l’Organisation du traité de l'Atlantique
nord (OTAN), tandis que le DCG était perçu comme pro-européen et
conservateur et l'URA comme pro-européenne et libérale, surtout
en ce qui concerne la promotion des droits de l’homme. Cependant,
les trois têtes des listes FD, DCG et URA ont signé un accord de
coalition le 9 septembre 2020 qui indiquait leurs objectifs politiques
communs. Ils ont notamment déclaré que le nouveau gouvernement n’engagerait
pas de procédure de retrait de la reconnaissance du Kosovo* et
qu’il ne changerait pas le drapeau de l’État, les armoiries ou l'hymne
national; que l’intégration européenne restait leur objectif et
qu’elle devait être réalisée le plus rapidement possible; que la
coopération avec l’OTAN serait améliorée; qu’ils dépolitiseraient
les principales institutions gouvernementales afin de garantir une
lutte impitoyable contre la corruption et la criminalité, conformément aux
normes européennes. La révision de la loi sur la liberté de religion
a également été mentionnée .
25. Avant que le parlement ne vote la confiance au gouvernement,
trois faits nouveaux importants se sont produits. Premièrement,
la nouvelle majorité n’a pas pu obtenir davantage de soutien, car
les trois partis des minorités nationales représentées au parlement,
deux albanais et un bosniaque, ont refusé de la rejoindre. Deuxièmement,
ce n’est pas sans contestations ni acrimonie au sein du FD, qui
est une alliance de plusieurs organisations politiques distinctes,
que M. Krivokapić a réussi à imposer un gouvernement d’experts,
sans la participation de dirigeants du FD . Enfin, une certaine tension
s’est fait sentir en septembre 2020, lorsque M. Krivokapić a indiqué
que le président serbe Vučić avait des liens commerciaux avec le
président monténégrin Đukanović, allégation que le président Vučić
a rejetée avec fermeté .
26. Le 4 décembre 2020, le Parlement monténégrin a élu un nouveau
gouvernement dirigé par M. Krivokapić. Il est composé de 12 ministres
(plus le Premier ministre et le Vice-Premier ministre) et comprend 4
femmes. Le programme de travail du nouveau gouvernement présenté
par le Premier ministre au parlement à cette occasion a confirmé
les orientations contenues dans l’accord du 9 septembre. Il comprenait
entre autres celles qui étaient liées aux quatre priorités du rapport
des corapporteurs.
27. Le 29 décembre 2020, le parlement a adopté un ensemble de
modifications de plusieurs lois, tandis que des manifestants de
la nouvelle opposition défilaient devant le parlement. Ce paquet
législatif consistait principalement en des modifications visant
à prolonger les délais de plusieurs mécanismes dans les domaines social,
fiscal et du crédit. Il comprenait également des modifications de
la loi sur les fonctionnaires et les employés de l’État et de la
loi sur la liberté de religion. En ce qui concerne la loi sur les
fonctionnaires, les corapporteurs n’ont pas pu en examiner le contenu,
mais au moment de la rédaction, aucune critique particulière n’avait
été portée à notre attention.
28. Concernant la révision de la loi sur la liberté de religion,
les informations recueillies par les corapporteurs sont plutôt rassurantes.
La nouvelle majorité au pouvoir a décidé de supprimer les dispositions
relatives au transfert de propriété et de modifier la partie consacrée
à l’obligation d’enregistrement des communautés religieuses, deux
dispositions auxquelles l’Église orthodoxe serbe s’était vivement
opposée. Le contenu des autres dispositions qui, ainsi que les corapporteurs
l’ont déjà souligné dans leur rapport, constituent, selon la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise),
un véritable progrès par rapport à la législation précédente, ne
semble pas avoir été remis en question. C’est la solution à la crise politique
que les corapporteurs ont toujours préconisée: une solution qui
respecte le processus législatif et la légitimité des parlementaires,
en d’autres termes, qui respecte la démocratie et l’État de droit,
et qui porte sur les dispositions controversées tout en conservant
celles qui constituent un véritable progrès.
29. Cependant, même si nous comprenons, en tant que corapporteurs,
que l’adoption de ces amendements était une promesse politique majeure,
nous regrettons qu’ils aient été adoptés avec précipitation au point d’altérer
le caractère inclusif du processus législatif. Selon des informations
relayées par la presse , la communauté islamique, l’Église
catholique et la communauté juive ont regretté, dans une déclaration commune,
que le délai de consultation ait été si court (trois jours) qu'elles
n’ont pu y prendre part. En outre, l’Église orthodoxe monténégrine,
qui n’est canoniquement pas reconnue et qui représente 30% de la population
orthodoxe selon les chiffres fournis à la Commission de Venise , n’a pas été consultée.
30. Le 2 janvier 2021, le président Đukanović a refusé de promulguer
les lois adoptées et les a renvoyées pour réexamen au parlement.
Il a estimé que la procédure d'adoption était inconstitutionnelle,
faisant valoir que le quorum n’avait pas été atteint lors de leur
adoption et remettant également en cause le mandat de parlementaires.
Pour l'une d'entre eux, qui était la suppléante d’un député de l'URA
nommé au cabinet du vice-premier ministre, la CEN a refusé de certifier
son mandat. En l'absence de cette certification, le parlement s'est substitué
à la CEN et l’a certifié. Le parlement a également confirmé sa première
adoption des textes législatifs, lors d'une session extraordinaire
le 20 janvier 2021. Le Président Đukanović les a ensuite signés.
Des membres de l'opposition ont intenté un recours d’inconstitutionnalité,
dans lequel ils contestent le pouvoir du parlement de se substituer
à la CEN pour procéder à la certification des mandats parlementaires
et soulèvent la question de l'absence de quorum. L'affaire est actuellement
pendante devant la Cour constitutionnelle. Comme le montre cet évènement,
le transfert pacifique du pouvoir au Monténégro n'a pas rendu moins
«vive» la compétition politique. Mais comme cet exemple le démontre,
la compétition politique s'est déroulée dans le cadre de l'État
de droit, ce qui vaut la peine d'être remarqué et mérite d'être
salué, tant que cette compétition n'empêche pas les acteurs politiques
de faire des compromis sur des questions qui nécessitent une majorité qualifiée,
comme celle des nominations dans le système judiciaire ou de la
réforme électorale.
31. Le 3 février 2021, un groupe de parlementaires de la majorité
a présenté deux projets de loi modifiant la loi sur le ministère
public et la loi sur le ministère public pour la criminalité organisée
et la corruption (le Bureau spécial du ministère public). Ces projets
ont déclenché une réaction du Procureur général suprême, du Conseil
des procureurs et de l’Association des procureurs d’État qui ont
adressé des lettres à plusieurs organisations internationales, dont
le Conseil de l’Europe. Ils y ont critiqué la procédure suivie et
le manque de consultations avec le pouvoir judiciaire ou les partenaires
internationaux. Ils ont également souligné que certaines dispositions
des amendements à la loi sur le ministère public visaient à placer
celui-ci dans une position subordonnée, notamment du fait de la
modification de la composition du Conseil des procureurs. Alors que
les membres du Conseil qui sont des procureurs détiennent à ce jour
la majorité des sièges, ils deviendraient minoritaires dans cette
nouvelle composition .
32. Les auteurs des amendements ont indiqué que leur objectif
était de renforcer la lutte contre la corruption, domaine dans lequel
le Monténégro obtient de mauvais résultats selon eux. Les membres
du FD ont clairement indiqué qu'ils voulaient également mettre fin
au mandat de l'actuel chef du Bureau spécial du ministère public,
M. Milivoje Katnić, qu'ils accusent d'avoir protégé d'anciens fonctionnaires
et qui, selon eux, aurait mené une enquête motivée par des considérations
politiques sur le soi-disant «coup d'État» de 2016 ayant abouti
à la condamnation de deux des dirigeants du FD.
33. À la suite de réactions tant nationales qu’internationales,
notamment celle de l'Union européenne ,
les autorités monténégrines ont décidé le 16 février de demander
l'avis de la Commission de Venise sur les deux projets de loi et
d’en suspendre la discussion parlementaire jusqu'à ce que l'avis
soit rendu. La Commission de Venise devrait l'adopter lors de sa
session plénière du 19 au 20 mars.
34. En tant que corapporteurs, nous nous félicitons de la saisine
de la Commission de Venise et exhortons les autorités monténégrines
à suivre les recommandations de celle-ci sur ces questions importantes
et sensibles qui touchent à l'indépendance du pouvoir judiciaire
et à la lutte contre la corruption. Nous avons bien noté que la
majorité actuelle est impatiente de mettre en œuvre son programme,
ce qui est le signe d'une majorité active. Cependant, la volonté
politique de réforme ne doit pas s’affranchir de la tenue de consultations préalables
étendues, en particulier lorsque sont en jeu des questions majeures.
Nous avons déjà souligné l'importance des consultations à la suite
de l'adoption trop rapide du paquet législatif en décembre 2020.
35. Nous avons également noté que le FD, le plus grand groupe
politique au sein de la majorité, a affirmé qu'il conditionnerait
sa participation au processus législatif et budgétaire au sein du
parlement à l'adoption des projets de loi susmentionnés et à la
révocation de M. Katnić. Comme nous l’avons précédemment indiqué,
le gouvernement ne s'est pas plié à cette demande. Nous suivrons
de près cette question lors de la reprise de la session ordinaire
du parlement monténégrin. La manière dont le FD réagira devra être
évaluée à la fois au regard de la maturité politique attendue des
acteurs politiques après le transfert pacifique du pouvoir et à
l’aune de la capacité du parlement à jouer «pleinement son rôle
de contrôle et [à] incite[r] le gouvernement à progresser dans les
quatre domaines prioritaires», comme nous l’avons indiqué au paragraphe
188 de notre rapport.
36. Il est à noter également que, le 5 février 2021, le verdict
de première instance par lequel 14 accusés ont été reconnus coupables
d'avoir comploté contre l'État dans l'affaire du prétendu «coup
d'État» de 2016 a été annulé par une cour d'appel pour des erreurs
de procédure et qu’un nouveau procès a été ordonné. Nous suivrons
l'impact politique de ce nouveau procès, car, comme nous l'avons
indiqué au paragraphe 20 de notre rapport, deux dirigeants du FD,
le plus grand parti de la coalition au pouvoir, ont été condamnés
à cinq ans d'emprisonnement en première instance.
37. Le 14 mars 2021, une élection locale aura lieu à Nikšić. Cette
ville est actuellement dirigée par le DPS, mais située dans une
zone considérée comme un bastion du FD. L'enjeu politique est plutôt
élevé pour les partis monténégrins et le vote qui aura lieu est
souvent présenté comme un second tour des élections générales d'août
2020, la question étant de savoir si la tendance nationale sera
confirmée ou ne le sera pas. En tant que corapporteurs, nous suivons
de près la campagne, également parce que nous déplorons un incident
malheureux qui rappelle ce qui s’est passé le jour des résultats
de l’élection d’août 2020: des graffitis haineux sont apparus sur
les murs de la mosquée de Nikšić, déclenchant une condamnation nationale.
Nous espérons que cette provocation n'indique pas une augmentation
du niveau des discours de haine et des attaques à motivation ethnique,
pour lesquelles le Monténégro a été plutôt épargné jusqu'à présent.
38. Nous avons noté des signes encourageants de maturité politique
au Monténégro, manifestés immédiatement tant par la nouvelle majorité
que par la nouvelle opposition à la suite des résultats des élections d’août
2020. Il sera nécessaire de parvenir à un compromis étant donné
que l’ordre juridique du Monténégro exige une majorité qualifiée
pour que le parlement adopte des réformes importantes ou nomme de
hauts fonctionnaires, notamment dans le domaine judiciaire. Ce compromis
ne sera possible que si la maturité politique perdure. De même,
le parlement ne pourra exercer clairement son rôle de contrôle que
si la majorité et l’opposition font preuve du sens de leurs responsabilités.
39. En tant que corapporteurs, nous pensons que l’évolution politique
déterminante qu’a connue le Monténégro est l’occasion pour tous
les acteurs politiques de montrer que le Monténégro est non seulement capable
de gérer un changement démocratique de majorité, mais qu’il arrive
à confirmer son orientation européenne et à se conformer à ses obligations,
notamment dans les quatre domaines clés déterminés par la Résolution 2030 (2015).
4. Propositions d’amendements
40. Compte tenu des récents développements
qu’a connus le Monténégro, nous souhaiterions proposer les amendements
suivants au projet de résolution sur le dialogue postsuivi avec
le Monténégro, qui figure dans le Doc. 15132:
Amendement A
Après le paragraphe 5.5. insérer le paragraphe suivant:
«salue la décision des autorités monténégrines de demander l'avis de la Commission de Venise sur les projets de loi modifiant la loi sur le ministère public et la loi sur ministère public pour la criminalité organisée et la corruption, et de suspendre leur adoption jusqu'à ce que l'avis soit rendu; et les invite à mettre pleinement en œuvre les recommandations formulées par la Commission de Venise.»
Amendement B
Après le paragraphe 6.3., insérer le paragraphe suivant:
«salue la maturité politique dont ont fait preuve tant la nouvelle majorité que la nouvelle opposition immédiatement après les élections d’août 2020, ce qui a permis un transfert pacifique du pouvoir, et les invite instamment à poursuivre sur cette tendance positive; dans le même temps, regrette que le cadre juridique électoral soit resté largement inchangé lors des dernières élections générales, malgré les recommandations répétées du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) visant à remédier à ses défauts et à ses limites, et que des pratiques contraires aux principes du BIDDH/OSCE aient une nouvelle fois été observées lors de ces élections, notamment en matière d’abus des ressources de l’État, de couverture indépendante des médias et de financement de la campagne électorale».
Amendement C
Au paragraphe 9.4, après les mots « personnes LGBTI », remplacer la fin de la phrase par les mots suivants:
«et salue l’adoption en juillet 2020 par le parlement de la loi sur le partenariat de personnes de même sexe».
Amendement D
Remplacer le paragraphe 11.4 par le paragraphe suivant:
«se félicite de l’adoption de modifications de la loi le 28 décembre 2020, solution qui respecte à la fois la démocratie et l’État de droit, et qui porte sur les dispositions controversées, tout en conservant celles qui constituent un véritable progrès; en même temps, regrette que la consultation de toutes les communautés religieuses sur ces modifications n’ait pas été pleinement inclusive».
Amendement E
Supprimer le paragraphe 14.1.
Amendement F
Remplacer le paragraphe 17 par le paragraphe suivant:
«Concernant la loi sur la liberté de religion, l’Assemblée veillera à ce que sa mise en œuvre respecte les normes européennes, ainsi que les recommandations de la Commission de Venise.»
Amendement G
Après le paragraphe 17, insérer le paragraphe suivant:
«En ce qui concerne la situation des minorités, l’Assemblée suivra de près les enquêtes ouvertes sur les allégations de crimes de haine et d’agressions à motivation ethnique et religieuse qui ont eu lieu depuis l’annonce des résultats des élections du mois d’août».