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Résolution 2361 (2021)
Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques
1. La pandémie de covid-19, maladie
infectieuse causée par le nouveau coronavirus SRAS-CoV-2, a été source
de beaucoup de souffrances en 2020. En décembre 2020, plus de 65 millions
de cas avaient été enregistrés dans le monde et plus d’1,5 million
de personnes avaient perdu la vie. La charge de morbidité de la
pandémie elle-même et les mesures de santé publique nécessaires
pour la combattre ont ravagé l’économie mondiale, dévoilant au grand
jour des fractures et des inégalités préexistantes (y compris dans
l’accès aux soins) et causant chômage, déclin économique et pauvreté.
2. Le déploiement rapide, dans le monde entier, de vaccins sûrs
et efficaces contre la covid-19 sera déterminant pour contenir la
pandémie, protéger les systèmes de santé, sauver des vies et contribuer
à la relance des économies mondiales. Même si des mesures non pharmaceutiques
comme la distanciation physique, le port du masque, le lavage fréquent
des mains et les fermetures et confinements ont contribué à ralentir
la propagation du virus, les taux d’infection sont de nouveau en
hausse presque partout dans le monde. De nombreux États membres
du Conseil de l’Europe sont confrontés à une seconde vague, pire
que la première, et leurs habitants éprouvent de façon plus prononcée
une certaine lassitude face à la pandémie (appelée en anglais «pandemic fatigue») et se sentent
démotivés à l’idée de suivre les comportements recommandés pour
se protéger et protéger autrui du virus.
3. Cependant, les vaccins, même s’ils sont sûrs, efficaces et
déployés rapidement, ne sont pas une panacée dans l’immédiat. En
effet, après la période des fêtes fin 2020 et début 2021, avec leurs
traditionnels rassemblements en intérieur, les taux d’infection
seront probablement très élevés dans la plupart des États membres.
Par ailleurs, une corrélation vient d’être scientifiquement établie
par des médecins français entre les températures extérieures et
le taux d’incidence de la maladie sur les hospitalisations et les
décès. Les vaccins ne suffiront sans doute pas à faire baisser de
manière significative les taux d’infection cet hiver, d’autant plus si
l’on tient compte du fait que, à ce stade, la demande est largement
supérieure à l’offre. Un semblant de «vie normale» ne pourra donc
reprendre, même dans les meilleures conditions, avant le milieu
ou la fin de l’année 2021 au plus tôt.
4. Pour que les vaccins soient efficaces, il est absolument essentiel
que leur déploiement soit réussi et qu’ils soient suffisamment acceptés
par la population. Cependant, la rapidité avec laquelle les vaccins
sont mis au point peut provoquer un sentiment de défiance difficile
à combattre. Un déploiement équitable des vaccins contre la covid-19
est également nécessaire pour garantir leur efficacité. En effet,
s’ils ne sont pas assez largement distribués dans une région gravement
touchée d’un pays, les vaccins deviennent inefficaces et ne permettent
pas d’endiguer la propagation de la pandémie. En outre, le virus
ne connaît pas de frontières et il est donc dans l’intérêt de chaque
pays de coopérer afin de garantir une équité mondiale dans l’accès
aux vaccins contre la covid-19. La réticence à la vaccination et
le nationalisme en matière de vaccin sont à même de réduire à néant
les efforts couronnés de succès et étonnamment rapides qui ont été
déployés jusqu’ici pour mettre au point un vaccin, car ces comportements
permettraient au virus SRAS-CoV-2 de muter, rendant ainsi partiellement
inopérant l’outil le plus efficace au monde à ce stade pour lutter
contre la pandémie.
5. La coopération internationale est ainsi plus que jamais nécessaire
pour accélérer la mise au point, la fabrication et la distribution
juste et équitable des vaccins contre la covid-19. Le dispositif
COVAX est l’initiative phare en ce qui concerne l’attribution des
vaccins et leur accès à l’échelle mondiale. Codirigé par l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), Gavi l’Alliance du vaccin et la Coalition pour
les innovations en matière de préparation aux épidémies (Coalition
for Epidemic Preparedness Innovations-CEPI), COVAX mobilise des fonds
auprès des pays adhérents afin de soutenir la recherche, le développement
et la fabrication d’un large éventail de vaccins contre la covid-19,
mais aussi en négocie les prix. Une gestion adéquate des vaccins
et une logistique de la chaîne d’approvisionnement, qui requièrent
une coopération internationale et des préparatifs de la part des
États membres, seront également nécessaires afin d’assurer une distribution
sûre et équitable des vaccins. À cet égard, l’Assemblée parlementaire
attire l’attention sur les orientations élaborées par l’OMS à l’intention
des pays concernant la préparation et la mise en œuvre des programmes
ainsi que la prise de décision au niveau national.
6. Les États membres doivent dès à présent mettre au point leurs
stratégies de vaccination pour attribuer les doses de manière éthique
et équitable, et déterminer notamment les groupes de population
prioritaires durant les premières phases de déploiement, lorsque
les stocks sont limités, ainsi que la manière d’étendre la couverture
vaccinale à mesure que la disponibilité d’un ou plusieurs vaccins
contre la covid-19 s’améliore. Les spécialistes de la bioéthique
et les économistes s’accordent largement à dire que les personnes
de plus de 65 ans et celles de moins de 65 ans qui présentent le
plus grand risque de contracter une forme grave de la maladie et
d’en mourir en raison d’affections sous-jacentes, le personnel de
santé (tout particulièrement ceux qui travaillent en contact étroit
avec des personnes appartenant à des groupes à haut risque) et les
personnes exerçant dans des infrastructures essentielles devraient
être vaccinées en priorité. Les enfants, les femmes enceintes et
les mères allaitantes, pour lesquels aucun vaccin n’a à ce jour
été autorisé, ne doivent pas être oubliés.
7. Les scientifiques ont accompli un travail remarquable en un
temps record. C'est maintenant aux gouvernements d'agir. L'Assemblée
soutient la vision du Secrétaire général des Nations Unies selon
laquelle un vaccin contre la covid-19 doit être un bien public mondial.
La vaccination doit être accessible à toutes et tous, partout. L’Assemblée
demande donc instamment aux États membres et à l’Union européenne:
7.1. en ce qui concerne la mise au
point des vaccins contre la covid-19:
7.1.1. de garantir
des essais de haute qualité qui soient solides et menés dans le
respect des règles éthiques, conformément aux dispositions pertinentes
de la Convention pour la protection des droits de l'homme et de
la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie
et de la médecine: Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine
(STE no 164, Convention d’Oviedo) et
son Protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale (STCE no 195),
et qui incluent progressivement les enfants, les femmes enceintes
et les mères allaitantes;
7.1.2. de veiller à ce que les organismes réglementaires chargés
d’évaluer et d’autoriser les vaccins contre la covid-19 soient indépendants
et à l’abri de toute pression politique;
7.1.3. de veiller à ce que les normes minimales pertinentes de
sécurité, d’efficacité et de qualité des vaccins soient respectées;
7.1.4. de mettre en place des systèmes efficaces de contrôle
des vaccins et de leur sécurité après leur déploiement dans la population
générale, y compris en vue de surveiller leurs effets à long terme;
7.1.5. de mettre en place des programmes indépendants de réparation
en cas de dommages ou de préjudices injustifiés consécutifs à la
vaccination;
7.1.6. d’être particulièrement attentifs au risque de délit d’initié
par des responsables de l’industrie pharmaceutique ou des entreprises
pharmaceutiques qui s’enrichiraient anormalement aux dépens de la
collectivité, en mettant en œuvre les recommandations figurant dans
la Résolution 2071 (2015) intitulée
«La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique:
comment garantir la primauté des intérêts de santé publique?»;
7.1.7. de surmonter les obstacles et les restrictions découlant
des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer
la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans
tous les pays et pour tous les citoyens;
7.2. en ce qui concerne l’attribution des vaccins contre la
covid-19:
7.2.1. de veiller au respect du principe de l’accès
équitable aux soins de santé, tel qu’énoncé à l’article 3 de la
Convention d’Oviedo, dans les plans nationaux d’attribution des
vaccins, en garantissant que les vaccins contre la covid-19 sont
mis à la disposition de la population indépendamment du genre, de
la race, de la religion, de la situation juridique ou socio-économique,
de la capacité de payer, du lieu et d’autres facteurs qui contribuent
souvent à des inégalités au sein de la population;
7.2.2. d’élaborer des stratégies de distribution équitable des
vaccins contre la covid-19 au sein des États membres, en tenant
compte du fait que l’offre initiale sera limitée, et de prévoir comment
les programmes de vaccination seront déployés lorsque l’offre s’étoffera;
de suivre les conseils des institutions et comités de bioéthique
indépendants aux niveaux national, européen et international, ainsi
que ceux de l’OMS, lors de l’élaboration de ces stratégies;
7.2.3. de veiller à ce que les personnes d’un même groupe prioritaire
soient traitées équitablement, en accordant une attention spéciale
aux plus vulnérables comme les personnes âgées, les personnes présentant
des maladies sous-jacentes et les professionnels de la santé, tout
particulièrement ceux qui travaillent en contact étroit avec des
personnes appartenant à des groupes à haut risque, ainsi que les
personnes exerçant dans des infrastructures essentielles et dans
les services publics, notamment les services sociaux, les transports
publics, les forces de l’ordre, les écoles, ainsi que dans les commerces;
7.2.4. de promouvoir un accès équitable aux vaccins contre la
covid-19 entre les pays en soutenant des initiatives internationales,
notamment le Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte
contre la covid-19 (Accélérateur ACT) et son initiative COVAX;
7.2.5. de s’abstenir de stocker des vaccins contre la covid-19,
car cette pratique affaiblit la capacité d’autres pays à se procurer
des vaccins pour leur population, et de veiller à ce que le stockage
ne se traduise pas par une augmentation des prix des vaccins à l’avantage
de celles et ceux qui les stockent contre celles et ceux qui ne
le peuvent pas; d’effectuer des audits et un contrôle a priori pour
assurer un déploiement rapide des vaccins à un coût minimal fondé
sur la nécessité et non sur la puissance commerciale;
7.2.6. de veiller à ce que chaque pays soit en mesure de vacciner
ses professionnels de santé et ses groupes vulnérables avant que
la vaccination ne soit déployée aux groupes non à risque, et donc
d’envisager de faire don de doses de vaccin ou d’accepter que la
priorité soit donnée aux pays qui n’ont pas encore été en mesure
de le faire, en gardant à l’esprit qu’une allocation mondiale juste
et équitable des doses de vaccin est le moyen le plus efficace de
vaincre la pandémie et de réduire les fardeaux socio-économiques
qui y sont associés;
7.2.7. de veiller à ce que les vaccins contre la covid-19 dont
la sécurité et l’efficacité ont été établies soient accessibles
à toutes celles et tous ceux qui en auront besoin à l’avenir, en
ayant recours, là où cela sera nécessaire, à des licences obligatoires
en contrepartie du versement de droits;
7.3. pour ce qui est de garantir un niveau élevé d’acceptation
des vaccins:
7.3.1. de s'assurer que les citoyens et citoyennes
sont informés que la vaccination n'est pas obligatoire et que personne
ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner,
s'il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement;
7.3.2. de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination
pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour
la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner;
7.3.3. de prendre des mesures efficaces le plus tôt possible
pour lutter contre les fausses informations, la désinformation et
la méfiance concernant les vaccins contre la covid-19;
7.3.4. de diffuser en toute transparence des informations sur
la sécurité et les éventuels effets indésirables des vaccins, de
travailler avec et réglementer les plateformes de médias sociaux pour
empêcher la propagation des fausses informations;
7.3.5. de communiquer, de manière transparente, le contenu des
contrats avec les producteurs de vaccins et de les rendre publics
pour examen par les parlementaires et le public;
7.3.6. de coopérer avec des organisations non gouvernementales
et/ou d’autres initiatives locales afin d’atteindre les groupes
marginalisés;
7.3.7. de se rapprocher des communautés locales pour élaborer
et mettre en œuvre des stratégies sur mesure visant à faciliter
l’acceptation des vaccins;
7.4. en ce qui concerne la vaccination des enfants contre la
covid-19:
7.4.1. de veiller à un juste équilibre entre le
déploiement rapide de la vaccination chez les enfants et l’examen
justifié des préoccupations concernant la sécurité et l’efficacité
des vaccins, et d’assurer la sécurité et l'efficacité complètes
de tous les vaccins pour les enfants en mettant l’accent sur l’intérêt
supérieur de l’enfant, conformément à la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant;
7.4.2. de mener des essais de haute qualité, en tenant dûment
compte des garanties applicables, conformément aux recommandations
et aux normes légales internationales, notamment de la répartition
équitable des bénéfices et des risques pour les enfants inclus dans les
essais;
7.4.3. de veiller à ce que les souhaits des enfants soient dûment
pris en compte, en conformité avec leur âge et leur degré de maturité;
lorsque le consentement de l’enfant ne peut pas être donné, de veiller
à ce qu’un accord reposant sur des informations fiables et adaptées
à son âge soit donné sous d’autres formes;
7.4.4. de soutenir le Fonds des Nations Unies pour l’enfance
(UNICEF) dans les efforts qu’il déploie pour procurer à ceux qui
en ont le plus besoin des vaccins de fabricants ayant passé des accords
avec l’initiative COVAX;
7.5. en ce qui concerne la surveillance des effets à long terme
des vaccins contre la covid-19 et de leur innocuité:
7.5.1. d’assurer
la coopération internationale pour la détection et l'élucidation
en temps opportun de tout signal de sécurité au moyen d'un échange
mondial, en temps réel, de données sur les manifestations postvaccinales
indésirables (MAPI);
7.5.2. d’utiliser les certificats de vaccination uniquement dans
le but désigné de surveiller l’efficacité du vaccin, les effets
secondaires potentiels et les effets indésirables;
7.5.3. d’éliminer les ruptures dans la communication entre les
autorités de santé publiques locales, régionales et internationales
traitant des données MAPI, et de surmonter les faiblesses des réseaux
de données de santé existants;
7.5.4. de rapprocher la pharmacovigilance des systèmes de santé;
7.5.5. de soutenir le domaine émergent de la recherche «adversomique»,
qui étudie les variations interindividuelles des réponses vaccinales
fondées sur les différences d'immunité innée, de microbiomes et
d'immunogénétique.
8. En référence à la Résolution 2337
(2020) sur les démocraties face à la pandémie de covid-19, l’Assemblée
réaffirme que les parlements, en tant que clés de voûte de la démocratie,
doivent continuer de jouer leur triple rôle de représentation, d’élaboration
de la loi et de contrôle en ces temps de pandémie. L’Assemblée demande
donc aux parlements d’exercer ces pouvoirs, selon le cas, également
en ce qui concerne la mise au point, l’attribution et la distribution
des vaccins contre la covid-19.