1. Introduction
1. Les conséquences humanitaires
du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont été tragiques pour
les deux parties. Il s’agit d’un conflit ancré dans l’histoire,
qui a été déclenché principalement à deux reprises. Les hostilités
ont d’abord été ouvertes à la fin de 1991 et se sont poursuivies
jusqu’en 1994, pour reprendre pendant six semaines en 2020.
2. Le 20 novembre 2020, le Bureau de l’Assemblée parlementaire
a invité la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées à établir un rapport. Le 2 décembre, j’ai été nommé rapporteur
et ai effectué des visites d’information en Arménie, du 18 au 22
mai 2021, et en Azerbaïdjan, du 25 au 28 juillet 2021.
2. Contexte
3. Afin de faciliter la compréhension
de l’histoire du conflit et de la position de l’Assemblée, il est
fait référence aux travaux antérieurs de celle-ci et, en particulier,
à sa
Résolution 1416
(2005) «Le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence
de Minsk de l’OSCE».
4. Comme l’intitulé de cette résolution l’indique, il s’agit
d’un conflit qui concerne la région du Haut-Karabakh. Il concerne
également la restitution à l’Azerbaïdjan de sept districts environnants.
En 1991, lors de l’accession de l’Azerbaïdjan à l’indépendance,
ses frontières ont été internationalement reconnues (y compris par
le Conseil de l’Europe), tandis que, parallèlement, la population
arménienne de la région du Haut-Karabakh revendiquait son droit
à l’autodétermination
,
.
À la suite de la guerre de 1991-1994, l’Organisation des Nations Unies
a adopté les Résolutions 822 (1993), 853 (1993), 874 (1993) et 884
(1993) exhortant les parties à se conformer à ces résolutions et
à renoncer aux hostilités armées ainsi qu’à retirer leurs forces
militaires des territoires occupés.
5. Lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, en janvier 2001,
l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont engagés à n’utiliser que des
moyens pacifiques pour régler le conflit. Dans le même temps, l’Arménie
s’est engagée à user de son influence considérable sur la région
du Haut-Karabakh pour promouvoir une solution au conflit. Ces engagements
sont maintenus.
6. Le présent rapport prendra ce contexte en considération et
se concentrera sur les conséquences humanitaires, non sur les conséquences
politiques ou les solutions politiques. Il examinera pour l’essentiel
la récente guerre de six semaines
et les difficultés
actuelles. Il y a aura également lieu d’examiner certaines conséquences
humanitaires liées à la guerre de 1991-1994 et à ses séquelles.
7. Les principales questions traitées dans le présent rapport
sont les suivantes: les personnes décédées, les personnes disparues
et les blessés; les prisonniers de guerre/captifs présumés; les
allégations de crimes, de crimes de guerre et d’autres actes répréhensibles;
les mines terrestres et les munitions non explosées; les personnes
déplacées; les tensions le long des frontières; le patrimoine culturel,
et les discours de haine.
2.1. La
Déclaration tripartite des 9-10 novembre 2020
8. À l’issue d’une guerre de six
semaines qui a éclaté le 27 septembre 2020, la Déclaration tripartite
des 9-10 novembre 2020 a fourni les principaux éléments d’un cessez-le-feu
et constitué un cadre devant permettre de résoudre un grand nombre
des conséquences humanitaires du conflit. Elle a été signée par
le Président de la République d’Azerbaïdjan, M. Ilham Aliyev, le
Premier ministre de la République d’Arménie, M. Nikol Pashinyan,
et le Président de la Fédération de Russie, M. Vladimir Poutine.
9. La déclaration prévoyait que l’Arménie et l’Azerbaïdjan (les
parties) resteraient sur leurs positions actuelles et que certaines
régions seraient progressivement rendues. Cela a effectivement mené
à la restitution des sept districts environnants et de certaines
parties de la région du Haut-Karabakh.
10. La déclaration a conféré un rôle de maintien de la paix de
premier plan, pour une période de cinq ans renouvelable, à la Fédération
de Russie, les forces russes de maintien de la paix devant se déployer parallèlement
au retrait des forces armées arméniennes.
11. La déclaration prévoit également des garanties de sécurité
le long du couloir de Latchine pour que soit assurée la liaison
entre l’Arménie et la région du Haut-Karabakh.
12. Il est également prévu, chose importante, de rétablir les
liens économiques et les liaisons de transport entre les régions
occidentales de l’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan.
13. Deux dispositions relatives aux personnes déplacées et aux
prisonniers de guerre et aux personnes décédées sont essentielles
dans l’optique du présent rapport sur les conséquences humanitaires
du conflit. Ces deux dispositions sont les suivantes:
- «Les personnes déplacées internes
et les réfugiés rentrent sur le territoire du Haut-Karabakh et dans les
zones adjacentes sous le contrôle du Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés»;
- «Un échange de prisonniers de guerre, d’otages et d’autres
personnes détenues, ainsi que de corps des personnes décédées doit
avoir lieu».
3. Préoccupations
humanitaires
3.1. Personnes
décédées, personnes disparues et blessés
14. La guerre de six semaines aurait
fait, parmi les forces armées, 3 945 victimes arméniennes et 2 907 victimes
azerbaïdjanaises
15. En ce qui concerne les victimes civiles, le Défenseur des
droits de l’homme de la République d’Arménie en a signalé 163 et
la partie azerbaïdjanaise 548 (y compris 95 victimes civiles décédées).
16. L’un des problèmes majeur qui se pose à l’issue de toute guerre
est celui de la localisation et du rapatriement des corps des personnes
disparues. La guerre de six semaines a été menée en partie dans
une région montagneuse, lourdement minée et qui a vu arriver la
neige très peu de temps après les combats. La localisation et le
rapatriement des corps en ont été rendus d’autant plus difficiles.
243 Arméniens, et 7 Azerbaïdjanais sont toujours portés disparus.
Avec l’assistance du Comité international de la Croix-Rouge (CICR),
les corps de 1 651 Arméniens ont été restitués, selon l’Azerbaïdjan,
et les corps de 395 Azerbaïdjanais ont été retournés par l’Arménie.
17. D’une façon générale, les efforts des parties pour retrouver
les corps des personnes disparues pendant la guerre de six semaines
méritent d’être salués. Cela dit, il convient de ne pas politiser
la recherche des personnes encore portées disparues, dont les familles
ont besoin d’une assistance supplémentaire. De nouvelles mesures
sont nécessaires et une pleine coopération s’impose, comme le prévoit
l’article 8 de la Déclaration tripartite, selon lequel un «échange
de … corps des personnes décédées doit avoir lieu».
18. En ce qui concerne la guerre des années 90, 3 890 Azerbaïdjanais
(3 171 militaires et 719 civils) et environ un millier d’Arméniens
n’ont toujours pas été retrouvés, selon les chiffres fournis par
chaque partie. Cela fait près de 30 ans que les familles de ces
personnes attendent le retour de leurs proches. Pendant toutes ces
années, on n’a guère progressé sur ce dossier et il importe à présent
de faire avancer les choses. Une commission intergouvernementale
avait été créée pour s’occuper de la question des personnes disparues,
en collaboration avec le CICR. Il importe de lui donner un nouvel
élan pour que le travail puisse continuer, et les laboratoires d’analyse
ADN doivent être rénovés et modernisés, de manière à pouvoir fournir
des réponses aux familles des disparus.
19. Il est indispensable que les deux parties coopèrent pleinement
à l’identification des sites d’inhumation et à la restitution des
corps. Elles devraient coopérer sans réserve entre elles ainsi qu’avec
le CICR et les forces de maintien de la paix de la Fédération de
Russie, qui ont largement contribué à rendre possible l’accès aux
récents champs de bataille et à faciliter les contacts entre les
deux parties.
20. Les familles des disparus ont le droit de savoir et ont besoin
d’un soutien psychosocial. Les femmes, qui sont généralement les
personnes qui «réparent les dégâts», ont des besoins particuliers
en tant que chefs de famille. Les deux parties devraient envisager
de préparer, en coopération avec le CICR, une loi générique sur les
personnes disparues afin de réglementer les différentes questions
qui se posent et de répondre aux besoins des familles. À cet égard,
il y aurait lieu de tenir compte des recommandations antérieures
de l’Assemblée
.
3.2. Prisonniers
de guerre/captifs présumés
21. L’article 8 de la Déclaration
tripartite dispose qu’«(u)n échange de prisonniers de guerre … doit
avoir lieu».
22. La question de la libération des prisonniers est devenue l’un
des problèmes humanitaires les plus difficiles à régler. Les affaires
individuelles et les affaires interétatiques portées devant la Cour
européenne des droits de l’homme lui ont fait prendre une dimension
supplémentaire.
23. Les deux parties sont tenues d’établir des listes des personnes
détenues et de les communiquer au CICR, ainsi que de faciliter les
visites aux détenus.
24. L’Azerbaïdjan avait, au début d’août 2021, rendu 103 prisonniers,
selon les Arméniens, dont des civils, et l’Arménie 21, selon les
Azerbaïdjanais. Les deux parties affirment avoir rendu ou libéré
tous les prisonniers de guerre, ce que l’Arménie conteste.
25. Pour l’essentiel, deux questions sont en jeu. Il y a d’abord
une contestation portant sur la catégorisation des personnes détenues
par l’Azerbaïdjan après la signature de la Déclaration tripartite.
L’Azerbaïdjan détenait encore environ 45 personnes au début d’août
2021. C’est le cas d’un grand nombre des 62 soldats arméniens capturés
dans la région de Hadrout (parfois appelée Caylaqqala/ Khtsaberd)
après la signature de la Déclaration tripartite. Il y a ensuite
la question de savoir où se trouvent les personnes qui auraient
été capturées pendant la guerre et auraient été vues ou filmées
pendant leur captivité, et au sujet desquelles les autorités azerbaïdjanaises
disent n’avoir aucune information.
3.2.1. Les
62 de Hadrout et les autres personnes capturées après la signature
de la Déclaration tripartite
26. Selon l’Azerbaïdjan, ces personnes
ont été capturées le 11/12 décembre 2020, quelques semaines après
l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Il s’agirait d’un groupe de
«saboteurs-terroristes» qui, déployé en Azerbaïdjan, aurait tué
quatre soldats azerbaïdjanais et grièvement blessé un civil. Cinq
de ces 62 personnes ont été rendues à l’Arménie pour des motifs
humanitaires, trois autres ont été libérées en mai 2021 et d’autres l’ont
été en juin et juillet dans le cadre de la libération de 30 personnes
en deux groupes de 15. Cela s’est passé en même temps que la remise
de cartes de mines. Les autorités azerbaïdjanaises affirment toujours
que les personnes détenues ne sont pas des prisonniers de guerre,
mais des terroristes, et que l’article 8 de la Déclaration tripartite
ne leur est pas applicable.
27. Les autorités arméniennes nient que ces personnes aient été
impliquées dans des activités terroristes et affirment qu’elles
exerçaient des fonctions militaires officielles. Elles indiquent
que la ville de Hadrout a été encerclée dans le cadre d’une opération
militaire menée par l’Azerbaïdjan pour prendre le contrôle de la
région.
28. On ignore toujours les circonstances exactes dans lesquelles
ces personnes ont été capturées mais elles semblent avoir été liées
à la guerre de six semaines et à ses conséquences. La communauté internationale
a appelé à maintes reprises à la libération des prisonniers
et le rapporteur
s’associe à ces appels.
29. Il importe de noter que le CICR a accès à ces détenus et leur
rend visite une fois par mois. Il facilite l’échange de lettres
et les appels vidéo avec les membres de leur famille. La Commissaire
aux droits de l’homme (Médiatrice) de la République d’Azerbaïdjan
a fait savoir au rapporteur qu’elle avait rendu quatre fois visite
aux détenus et qu’elle avait constaté qu’ils étaient bien traités.
Les témoignages recueillis auprès des captifs rentrés en Arménie
indiquent une situation différente
.
30. Le rapporteur a demandé à de nombreuses reprises à pouvoir
rencontrer les prisonniers en personne, avant et pendant la visite
d’information qu’il a effectuée en Azerbaïdjan en juillet 2021,
non seulement pour vérifier la situation des personnes concernées,
mais aussi afin d’instaurer la confiance de part et d’autre. Il déplore
vivement qu’il n’ait pas été donné suite à sa demande, même s’il
a été expliqué que les visites étaient limitées aux organes spécialisés.
Étant donné l’opacité de la situation des prisonniers arméniens,
les allégations de mauvais traitements dont il est question plus
loin et le fait que le seul organisme international en mesure de
rendre visite à ces personnes ait été jusqu’à présent le CICR, le
rapporteur juge essentiel que le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT),
qui est l’organe de contrôle du Conseil de l’Europe, effectue une
visite dans les meilleurs délais. De plus, dans la mesure où le
CICR comme le CPT sont tenus au secret professionnel, une plus grande
ouverture en ce qui concerne la situation de ces prisonniers s’impose.
Ceci est important à la lumière des paragraphes qui suivent.
3.2.2. Captifs
présumés dont les autorités azerbaïdjanaises ne reconnaissent pas
la détention
31. Il a été question de centaines
d’hommes qui seraient détenus au secret, mais beaucoup sont tombés pendant
les combats ou sont portés disparus. D’autres ont pu être identifiés
dans des vidéos par plusieurs familles qui pensaient retrouver leur
fils sur la même image floue qui leur était présentée.
32. Cela étant, le rapporteur a pu prendre connaissance de ce
qui constituerait la preuve de la détention de 31 personnes, à savoir
des vidéos, des photographies et des renseignements sur le lieu
et les circonstances de leur capture et sur leur identité. On lui
a également montré des preuves de la captivité d’autres personnes sans
indication de leur identité; on lui a simplement dit qu’il s’agissait
de prisonniers et non pas de personnes relevant d’autres catégories.
Ces informations ont été communiquées à la Cour européenne des droits
de l’homme et sont en la possession des autorités arméniennes et
azerbaïdjanaises. Au cours de sa visite, le rapporteur a pu remettre
la liste des 31 personnes concernées au bureau du Procureur général
et à la Commissaire aux droits de l’homme de la République d’Azerbaïdjan.
33. Les autorités azerbaïdjanaises n’ont pas pu confirmer le lieu
où se trouvaient ces personnes ni ce qu’il était advenu d’elles,
ce qui soulève de sérieuses préoccupations, notamment quant à la
possibilité qu’elles aient été victimes de disparitions forcées.
Cette éventualité est particulièrement troublante vu les allégations de
crimes, de crimes de guerre et d’autres actes répréhensibles dont
il sera question un peu plus loin.
34. Les autorités azerbaïdjanaises auraient mis en place un groupe
de travail chargé d’enquêter sur le sort de ces personnes et d’examiner
d’autres questions relatives aux violations présumées des droits
de l’homme. Elles ont indiqué qu’elles enverraient, en plusieurs
fois, des informations sur leurs conclusions à la Cour européenne
des droits de l’homme. Il est essentiel que ceci soit suivi par
les autorités sans délai et qu’elles coopèrent pleinement avec la
Cour européenne des droits de l’homme.
3.2.3. La
Cour européenne des droits de l’homme et les mesures provisoires
35. La Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) est la pierre
angulaire du Conseil de l’Europe. Elle représente l’engagement le
plus important que les États membres – dont l’Arménie et l’Azerbaïdjan
– aient souscrit. Les conclusions de la Cour ont un caractère judiciaire
et non politique, et elles s’imposent aux États membres.
36. Depuis le déclenchement de la guerre de six semaines, la Cour
européenne des droits de l’homme a reçu un grand nombre de demandes
de mesures provisoires. Dans une décision du 29 septembre 2020,
la Cour a appliqué l’article 39 de son Règlement, «appelant l’Azerbaïdjan
et l’Arménie à s’abstenir de prendre toutes mesures, en particulier
de mener des actions militaires, qui pourraient porter atteinte
aux droits de la population civile garantis par la Convention, notamment
en mettant sa vie et sa santé en danger, et à respecter les engagement
découlant de la Convention, s’agissant notamment de son article
2 (droit à la vie) et de son article 3 (interdiction de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants)»
.
37. Le 6 octobre, la Cour a de nouveau appliqué l’article 39,
appelant tous les États directement ou indirectement concernés,
y compris la Turquie, à respecter les obligations qui leur incombent
en vertu de la Convention.
38. Des requêtes interétatiques
ont
été déposées par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan le 18 octobre et
par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie le 26 octobre, et, le 4 novembre,
la Cour a précisé que l’application de l’article 39 portait également
sur «les droits protégés par la Convention des personnes qui ont
été capturées pendant le conflit et de celles dont les droits pourraient
être violés de toute autre manière»
.
39. Outre les requêtes interétatiques, la Cour a reçu un grand
nombre de requêtes au titre de l’article 39 déposées contre les
deux parties.
40. Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’homme
a, le 16 mars 2021
,
fait une déclaration concernant les captifs présumés, en décidant,
chose inhabituelle, d’informer le Comité des Ministres des mesures
provisoires prises par elle.
41. La Cour a informé le Comité des Ministres que ces mesures
restaient en vigueur à l’égard de 188 Arméniens qui auraient été
capturés par l’Azerbaïdjan et que le Gouvernement azerbaïdjanais
n’avait pas «respecté les délais fixés» et a émis des commentaires
sur les «informations assez générales et limitées». En même temps,
et par souci d’exhaustivité, la Cour a expliqué qu’elle avait suspendu
l’examen des affaires engagées sur le fondement de l’article 39
concernant 16 Azerbaïdjanais capturés.
3.2.4. Préoccupations
de l’Assemblée
42. Le 13 avril 2021, après discussion
au sein de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées, son président, M. Pierre-Alain Fridez (Suisse, SOC) a
fait une déclaration dans laquelle il s’est dit profondément préoccupé
par le sort des captifs présumés et des personnes disparues dans
le contexte du communiqué de presse de la Cour du 16 mars. L’Assemblée
a organisé le 20 avril 2021 un débat d’actualité intitulé «Prisonniers
de guerre arméniens, autres captifs et personnes déplacées» et la
Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats
membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a, le 22 avril,
publié une déclaration
, dans laquelle elle
a rappelé que «le point 8 de la déclaration trilatérale visait clairement
l’échange de toutes les personnes détenues, quel que soit le statut
affecté à ces personnes par l’une ou l’autre partie.»
3.2.5. Faits
récents
43. On ne peut que se féliciter
de la récente libération de certaines des personnes capturées après
la Déclaration tripartite (en particulier, la libération de 15 personnes
le 12 juin et de 15 autres personnes le 3 juillet 2021). La plupart
des personnes non encore libérées affrontent ou ont affronté la
justice pénale, et l’Arménie soutient qu’elles sont détenues et
jugées sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces sans
bénéficier des garanties suffisantes telle que prévues par la Convention
européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits
de l’homme a été saisie à ce sujet.
44. À la fin de juillet 2021, il a été signalé que plus de 60
captifs arméniens
, dont la plupart ont été capturés après
l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, passent en jugement ou ont
été reconnus coupables. Trente-neuf Arméniens jugés dans trois procès
ont été condamnés à des peines de six années d’emprisonnement et
deux autres à des peines de quatre années d’emprisonnement. Douze
autres ont été condamnés à des peines de six mois de réclusion et
ont été libérés et rapatriés en Arménie à la faveur d’un échange
effectué sous l’égide de la Fédération de Russie contre la remise
de cartes de mines terrestres. Un Libano-arménien a été condamné
à une peine de 20 années d’emprisonnement et un Russo-arménien placé
en détention à Bakou a été condamné à une peine de 10 années d’emprisonnement
pour «actions terroristes» et «franchissement illégal de la frontière».
45. Pour le rapporteur, les types d’accusations retenues contre
ces personnes et la rapidité avec laquelle les procédures ont été
menées soulèvent des doutes quant à la régularité de celles-ci et
des inquiétudes concernant la politisation de la question des captifs.
Cet état des choses fragilise les tentatives faites pour instaurer
la confiance entre les deux pays, et les captifs et leur famille
en subissent le contrecoup. Ces captifs devraient être libérés sans
délai.
3.3. Allégations
de crimes, de crimes de guerre et d’autres actes répréhensibles
46. Beaucoup d’informations ont
été diffusées dans les médias sociaux, enregistrées par des ONG internationales
dignes de confiance, attestées par le Défenseur des droits de l’homme
et le Médiateur de chacune des parties et portées au dossier des
affaires interétatiques et individuelles dont la Cour européenne des
droits de l’homme est saisie.
47. Le rapporteur a reçu des images, des vidéos et des données post mortem des plus alarmants, concernant
notamment d’horribles exécutions présumées de captifs arméniens
aussi bien qu’azerbaïdjanais, ainsi que des cas de mutilation de
soldats tombés au combat et de torture des prisonniers de guerre.
3.3.1. Exécutions
extrajudiciaires
48. Le 10 décembre 2020, Amnesty
International a signalé des exécutions extrajudiciaires, dont la décapitation
ou l’égorgement présumé de deux Arméniens et d’un Azerbaïdjanais
.
49. International Partnership for Human Rights/Truth Hounds (IPHR/Truth
Hounds)
a
depuis établi un rapport approfondi sur l’exécution présumée de
quatre combattants arméniens et la disparition forcée et le meurtre
présumé de trois civils arméniens
.
Cette organisation a également indiqué que la finalité de deux vidéos
censées montrer l’exécution extrajudiciaire de soldats azerbaïdjanais
faisait foi sauf preuve contraire
.
50. Le rapporteur a été informé d’un bien plus grand nombre de
cas que ceux dont il est question dans les rapports susmentionnés,
à savoir notamment les allégations
de
19 exécutions extrajudiciaires d’Arméniens (civils et combattants)
par les forces azerbaïdjanaises. Il a reçu des éléments de preuve
précis concernant la plupart de ces allégations, qui semblent constituer
une partie d’une série plus importante d’allégations portées aux
dossiers des affaires interétatiques ou individuelles dont la Cour
européenne des droits de l’homme est saisie
.
51. Le rapporteur n’ignore pas l’existence d’allégations de crimes
graves remontant à la guerre de 1991-1994 et le fait que de nouvelles
preuves continuent d’être mises au jour, en particulier par la partie azerbaïdjanaise
.
Si ces allégations n’entrent pas dans le champ du présent rapport,
il n’en faudra pas moins leur consacrer une enquête approfondie.
Le rapporteur a également eu connaissance de cas présumés de prise
d’otages remontant à plusieurs décennies.
3.3.2. Allégations
de torture et de peines ou traitements inhumains ou dégradants
52. Le 10 décembre 2020, Human
Rights Watch a annoncé disposer de preuves des violences physiques et
des humiliations infligées à des prisonniers de guerre arméniens
détenus par les autorités azerbaïdjanaises
et a publié
un nouveau rapport le 19 mars 2021 sur les présomptions d’actes
de torture et de violence visant des captifs arméniens
.
53. De son côté, IPHR/Truth Hounds a recensé
des
cas présumés de mauvais traitements et de violences infligés à des
prisonniers de guerre arméniens, y compris des civils, par les membres
des forces armées, de la police militaire et de l’agence de sécurité
de l’État azerbaïdjanaises. Elle a en particulier examiné les cas
de deux prisonniers de guerre et de quatre civils arméniens.
54. De plus, le rapporteur tient de diverses autres sources des
informations solides faisant état de violences infligées à des captifs
arméniens (civils et militaires), qui lui ont été notamment communiquées
par le Défenseur des droits de l’homme de la République d’Arménie
, en sus des témoignages d’anciens
captifs et des informations fournies par leurs avocats. Le rapporteur
a appris que le Procureur général de l’Azerbaïdjan avait engagé
des procédures pénales pour certaines des affaires en question.
Il ne dispose toutefois d’aucune information sur l’issue de ces
enquêtes.
55. Par ailleurs, IPHR/Truth Hounds a recensé sept cas présumés
de mauvais traitements infligés à des captifs azerbaïdjanais par
les forces arméniennes et trois autres cas de mauvais traitements
qui ont été filmés et qui, d’après l’organisation, nécessitent un
complément d’enquête. Le rapporteur a reçu des informations d’autres
sources encore, notamment de la Commissaire aux droits de l’homme
(Médiatrice) de la République d’Azerbaïdjan
,
à l’appui de ces allégations. Il n’a pas eu connaissance d’enquêtes
menées sur ces cas par les autorités arméniennes.
3.3.3. Dépouillement
des morts
56. Les deux parties ont présenté
au rapporteur des informations et des vidéos concernant des cas présumés
de dépouillement des morts, lequel est interdit par les Conventions
de Genève. IPHR/Truth Hounds a recensé huit cas du côté arménien
et au moins deux cas du côté azerbaïdjanais. Le Bureau du Procureur général
de l’Azerbaïdjan a annoncé que quatre militaires azerbaïdjanais
avaient été arrêtés et inculpés. L’issue de l’enquête n’a pas été
communiquée. Le rapporteur n’a pas connaissance d’enquêtes menées
du côté arménien.
3.3.4. Usage
d’armes sans discernement
57. Les autorités arméniennes et
azerbaïdjanaises s’accusent mutuellement de tuer des civils en utilisant sans
discernement des armes telles que les armes à sous-munitions et
les missiles balistiques et en procédant à des tirs de roquettes
et d’artillerie imprécis. De plus, elles s’accusent mutuellement
d’utiliser des munitions au phosphore qui mettent le feu aux forêts
de la région affectée par le conflit.
58. Au plus fort de la guerre, le Président de la Commission des
migrations, M. Pierre-Alain Fridez, a fait une déclaration
dans
laquelle il a demandé à ce qu’il soit mis fin aux frappes de missiles
sur les zones civiles. Il a mentionné en particulier les frappes
sur la ville de Barda, qui auraient fait 21 morts, et le missile azerbaïdjanais
qui a touché une maternité et d’autres infrastructures dans la ville
de Stepanakert/Khankendi. Ce ne sont là que deux exemples.
59. Dans un rapport de 22 pages intitulé «In the line of fire»
,
Amnesty International a montré, preuves à l’appui, comment l’Arménie
et l’Azerbaïdjan ont mené des attaques disproportionnées et aveugles,
faisant état d’au moins 94 civils azerbaïdjanais et 52 civils arméniens
tués. Selon l’organisation, «les forces arméniennes ont utilisé
des missiles balistiques ainsi que des roquettes d’artillerie non
guidées et des systèmes de lance-roquettes multiples (MLRS). Les
forces azerbaïdjanaises ont également fait usage de roquettes d’artillerie
non guidées et de MLRS, ainsi que de munitions et de missiles rôdeurs
lancés par drone.»
60. Un rapport d’IPHR/Truth Hounds a ensuite vérifié de façon
indépendante 46 bombardements signalés de civils ou d’infrastructures
civiles, constatant que 32 d’entre eux constituaient «des attaques disproportionnés
menées contre des civils en violation du droit international humanitaire
et du droit à la vie, 23 de ces attaques ayant été perpétrées par
les forces armées azerbaïdjanaises et ayant tué 20 civils, et les
neuf autres ayant été perpétrées par les forces armées de l’Arménie/Haut-Karabakh
et ayant tué 80 civils»
.
Le rapport décrit ensuit les attaques menées par les forces armées
azerbaïdjanaises contre Stepanakert/Khankendi, Martakert/Agdere,
Martuni/Khojavend, Mets Masrik/Boyuk Mezre, Hadrout, Nngi/Jamiyyat
et Chartar/Guneykhirman. Il renseigne sur les attaques menées par
les forces armées arméniennes contre Ganja, Qarayusifli, Barda,
Terter, Gashalti et Mingachevir. Selon d’autres allégations, Bakou
a été visée, sans succès
.
61. On peut se faire une image complète des allégations et des
armes utilisées et des destructions causées des deux côtés grâce
aux informations disponibles auprès des parties arménienne et azerbaïdjanaise, notamment
du Défenseur des droits de l’homme de la République d’Arménie et
de la Commissaire aux droits de l’homme (Médiatrice) de la République
d’Azerbaïdjan. Les deux protagonistes étaient tenus de respecter
le droit international humanitaire et de protéger les civils contre
les armes explosives, qui ne pouvaient manquer d’avoir de vastes
répercussions sur les zones civiles. Vu le nombre de frappes sur
ces zones, les deux parties ne pouvaient ignorer l’effet que leurs
attaques auraient sur les civils.
3.3.5. Utilisation
de mercenaires et de combattants étrangers pendant la récente guerre
de six semaines
62. Le Groupe de travail de l’ONU
sur l’utilisation de mercenaires a évoqué
les très nombreuses informations
indiquant qu’avec l’aide de la Turquie, l’Azerbaïdjan avait utilisé
des combattants syriens pendant la guerre de six semaines, notamment
sur la ligne de front. Ces combattants semblaient motivés essentiellement
par la possibilité d’obtenir un avantage personnel et par le fait
que, s’ils venaient à décéder, leurs proches se seraient vu promettre
une indemnisation financière ainsi que la nationalité turque. Le Président
du Groupe de travail a indiqué que la manière dont ces personnes
étaient recrutées, acheminées et utilisées à l’intérieur et autour
de la zone de conflit semblait conforme à la définition d’un mercenaire.
Le rapporteur a vu des photographies, des vidéos et des rapports
qui corroborent ces allégations.
63. Le Groupe de travail de l’ONU a également appris que l’Arménie
avait utilisé des ressortissants étrangers au cours de la guerre
de six semaines. Le rapporteur a reçu une liste détaillée d’Arméniens
de différents pays et de ressortissants de plusieurs autres pays
qui auraient pris part au conflit
.
3.3.6. Observations
finales sur les allégations de crimes, de crimes de guerre et d’autres
actes répréhensibles
64. Les deux parties nient l’authenticité
de certaines informations, mais il est impossible de faire abstraction de
certains éléments de fait très préoccupants et les deux pays doivent
mener des enquêtes approfondies sur les allégations formulées et
déférer devant la justice toute personne, y compris à l’échelon
du commandement, responsable de crimes, de crimes de guerre ou d’autres
actes répréhensibles. Ils devraient coopérer pleinement avec la
Cour européenne des droits de l’homme au sujet des plaintes déposées
contre eux. La Turquie doit également coopérer sans réserve avec
la Cour au sujet des accusations portées par l’Arménie, notamment
sur la question du recrutement de mercenaires. Si les responsabilités
ne sont pas établies ni les victimes indemnisées, et si l’on n’œuvre
pas sous une forme ou sous une autre en faveur de la vérité et de
la réconciliation, ces allégations de crimes, de crimes de guerre
ou d’autres actes répréhensibles empoisonneront les relations entre
les deux pays pendant des générations et les conséquences du conflit persisteront.
3.4. Mines
terrestres et munitions non explosées
65. Le conflit de la région du
Haut-Karabakh aurait fait de cette région l’une des plus polluées
par les armes du monde. Les deux parties y ont posé des mines au
début des années 90 et par la suite. Les forces arméniennes en retraite
pendant la guerre de six semaines auraient posé de nouvelles mines.
66. Les mines ne sont pas interdites en règle générale par le
droit international, mais leur emploi est strictement limité par
les principes généraux codifiés du droit de la guerre.
67. Le fait que l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne soient pas parties
à un grand nombre d’instruments internationaux complique le déminage
de la région affectée par le conflit. Néanmoins, en vertu du droit international
humanitaire coutumier, la responsabilité du déminage incombe en
principe à la partie qui a procédé au minage
. De plus, dans les accords de paix,
les plans de déminage doivent être échangés entre les parties et
transmis au Secrétaire général de l’ONU, et les responsabilités
en matière de déminage doivent être définies.
3.4.1. Quantité
de mines et de munitions non explosées
68. Il est impossible de donner
un nombre exact, même si l’on peut dire que toutes les régions touchées
par le conflit ont été affectées par les mines et les munitions
non explosées
.
69. Dès avant la guerre de six semaines, les deux parties ont
mené sans répit des actions de déminage.
70. Du côté azerbaïdjanais, les opérations de déminage ont été
renforcées à la suite de la signature, en mars 2021, d’un accord
entre l’ANAMA (Agence nationale azerbaïdjanaise pour la lutte antimines)
et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
Cette coopération n’est pas nouvelle, l’ANAMA et le PNUD ayant conjointement
éliminé plus de 800 000 mines et autres engins explosifs au cours des
20 dernières années
.
71. Du côté arménien, l’association caritative britannique The
HALO Trust apporte son concours aux opérations de déminage. Depuis
2000, elle a mis en œuvre les seules capacités de déminage à grande
échelle fournies à la région du Haut-Karabakh, qui ont permis de
nettoyer près de 500 champs de mines.
3.4.2. Victimes
72. La zone affectée par le conflit
reste truffée de mines, et le nombre de victimes est élevé.
73. Entre 1999 et 2017, 147 Arméniens et 373 Azerbaïdjanais auraient
été victimes de mines
, et des accidents continuent de
se produire. Selon les autorités azerbaïdjanaises, depuis la fin
de la guerre de six semaines, il y a eu 140 victimes dont 27 tuées.
74. L’Azerbaïdjan accuse l’Arménie de ne pas fournir les cartes
des champs de mines. Pendant des mois après la fin de la guerre,
aucun progrès n’a été fait à ce sujet, mais le 12 juin 2021, l’Arménie
a transmis des cartes localisant 97 000 mines dans la région d’Aghdam,
tandis que l’Azerbaïdjan libérait 15 captifs arméniens. Cela a constitué
un pas important dans l’instauration d’un climat de confiance et
a débouché, le 3 juillet 2021, sur la remise de cartes localisant
92 000 mines dans les districts de Fuzuli et de Zangilan parallèlement
à la libération de 15 autres captifs arméniens. Aux dires des autorités
azerbaïdjanaises, les cartes concernant les mines posées dans d’autres
districts pourraient, lorsqu’elles auront été remises, révéler la
présence de mines dont le nombre pourrait avoisiner le million
.
75. Sur le front humanitaire et sur le plan du droit international
humanitaire, les choses sont claires. Les deux parties doivent coopérer
sans réserve et l’Arménie est tenue de communiquer sans délai les
cartes qui se trouvent en sa possession. C’est indispensable si
l’on veut limiter les pertes en vies humaines qui se poursuivent
et permettre aux personnes déplacées de regagner progressivement
ces régions minées.
76. Les deux pays ont besoin d’une assistance en matière de déminage.
Il faut leur fournir des ressources humaines, matérielles et financières
ainsi que des moyens de formation. Sur le plan financier, il est
important de noter qu’en moyenne, l’enlèvement d’une seule mine
coûte entre 300 et 1 000 dollars. Il faut également garder à l’esprit
que les programmes de sensibilisation au danger des mines et munitions
non explosées sont indispensables pour la population civile et qu’un
soutien doit être apporté aux victimes.
3.5. Personnes
déplacées
3.5.1. Arménie
77. Jamais depuis l’arrivée de
quelque 300 000 réfugiés et personnes déplacées pendant la guerre
des années 90 et les événements qui l’avaient précédée, l’Arménie
n’avait été confrontée à un déplacement d’une telle ampleur. Au
plus fort de la guerre de six semaines, on a compté environ 91 000
personnes déplacées (essentiellement des femmes, des enfants et
des hommes âgés). La plupart ont trouvé un abri à Erevan ou ailleurs
dans le pays, un grand nombre d’entre eux étant hébergés par des
familles d’accueil. Un hébergement de courte durée a également été
assuré dans des hôtels ou d’autres lieux, souvent dans des régions
proches du front. La propagation de la Covid-19 au cours de cette
période a compliqué les efforts à faire pour répondre aux besoins
des personnes déplacées.
78. Un grand nombre des personnes initialement déplacées sont
retournées à Stepanekert/Khankendi et dans d’autres parties de la
région du Haut-Karabakh demeurées sous le contrôle de l’Arménie.
79. À la fin de mai 2021, 36 882
Arméniens affectés
par le conflit, dont 85 % de femmes et d’enfants, étaient encore
dans une situation similaire à celle des réfugiés
. Certains
d’entre eux rentreront chez eux lorsque leur sécurité sera mieux
assurée (c’est le cas en particulier des femmes et des enfants)
et d’autres envisagent de s’expatrier. Une proportion importante
de personnes dont la situation est similaire à celle des réfugiés
(24 615) viennent des régions retombées sous le contrôle de l’Azerbaïdjan:
le rapporteur a appris que personne n’était retourné dans ces régions
et que les personnes concernées n'y reviendraient probablement pas
.
Les retours se font de plus en plus rares et même s’ils restent
considérés comme préférables, ils devraient être volontaires et
les personnes en question devraient pouvoir rentrer chez elles en
toute sécurité et dans le respect de leur dignité, et aucune pression
indue ne devrait être exercée sur elles en ce sens.
80. Lorsque la guerre de six semaines a éclaté, les autorités
arméniennes ont dû s’occuper en priorité de répondre aux besoins
humanitaires essentiels, à savoir, notamment, le logement, l’alimentation,
les questions médicales et l’éducation des enfants. Dans la région
du Haut-Karabakh, où l’ONU et le HCR et d’autres organisations internationales
n’ont pas accès, le CICR a été pratiquement la seule présence internationale avec
The HALO Trust (déminage), Médecins Sans Frontières et quelques
autres ONGs.
81. Tout en ayant les mêmes droits que les citoyens arméniens,
les personnes déplacées restent, à l’instar des réfugiés, socialement
et psychologiquement vulnérables.
82. Le Gouvernement arménien a accordé un soutien financier aux
personnes affectées par le conflit, notamment les personnes déplacées,
les familles des victimes civiles et des personnes handicapées,
les personnes qui avaient perdu leur logement, les familles des
militaires portés disparus et des militaires blessés. Il a fourni
des soins médicaux et une prestation de chômage aux personnes déplacées
et une aide aux personnes qui les accueillaient.
83. Selon le Défenseur des droits de l’homme de la République
d’Arménie, la guerre a eu un impact sur l’éducation de quelque 30 000
enfants des écoles et des jardins d’enfants, et 12 jardins d’enfants
et 71 écoles ont été endommagés ou détruits.
84. Dans les premiers jours de la guerre, une fois satisfaits
les besoins essentiels en matière d’alimentation, d’hygiène et d’abri,
les autorités ont commencé à fournir une aide en espèces ou des
allocations mensuelles. Le rapporteur a appris qu’il sera difficile
de maintenir ces programmes d’aide en espèces, y compris en ce qui concerne
les organisations internationales qui les financent, car il importe
de garantir que l’acheminement des fonds se fait bien dans des conditions
conformes aux exigences de donateurs
.
85. Outre l’aide en espèces, l’une des grandes priorités est de
fournir un logement durable aux personnes déplacées dont le retour
est improbable. Il s’agit donc de construire de nouvelles maisons
et de nouveaux appartements et de régler, à plus long terme, les
questions liées aux droits de propriété.
86. Fournir des moyens de subsistance aux personnes se trouvant
dans l’impossibilité de rentrer chez elles est un autre défi. Plus
de 50 % d’entre elles sont des femmes et il s’impose d’apporter
à celles-ci un soutien adapté, notamment sous la forme de programmes
de création d’emplois temporaires. Les travaux publics sont actuellement
la principale source d’emploi, ce qui pose un problème d’égalité
entre les sexes dans la mesure où la plupart des emplois sont considérés
comme étant «destinés aux hommes». De plus, nombreuses sont les
personnes qui accumulent des dettes et qui ont besoin d’un revenu
pour payer leur loyer, d’où l’importance de l’accès à un emploi.
Il y a également lieu de considérer la dimension de l’autosatisfaction
tirée de l’exercice d’un emploi.
87. On compte entre 32 et 42 % d’enfants parmi les personnes déplacées.
S’il est satisfait à leurs besoins essentiels, il importe de leur
faciliter davantage l’accès à l’éducation (par exemple, en mettant
à leur disposition des ordinateurs et des tablettes et en rapprochant
leurs logements des écoles) et de leur fournir un soutien psychosocial.
88. Comme il a été indiqué au rapporteur lors de sa visite d’information
en Arménie, lors de ses rencontres à Erevan ou lors de réunions
en ligne, les personnes demeurées dans la région du Haut-Karabakh
ou qui y sont revenues, sont confrontées à une série de problèmes.
Elles se sentent isolées et ressentent de l’amertume à l’égard de
la communauté internationale, et, comme l’une d’entre elles le lui
a dit, «personne n’est venu pendant la guerre et personne n’est
venu après». Elle faisait allusion à l’absence d’accès au territoire,
et à l’absence de présence des organisations internationales (à
l’exception du CICR).
89. Les personnes originaires de la région lui ont également fait
part de ce qu’elles considéraient comme une menace existentielle
pesant sur leur avenir, en se référant aux discours de haine et
aux atrocités qui auraient été commises au cours de la guerre de
six semaines. Elles ont également évoqué l’insécurité due à la proximité
des troupes azerbaïdjanaises, les coups de feu tirés de jour comme
de nuit et les problèmes de sécurité rencontrés sur la route (en
particulier, en passant du territoire d’une des parties dans celui
de l’autre), dans les champs ou lors de la visite de tombes
.
La menace due à la présence de mines et de munitions non explosées
demeure également un problème.
90. Il est apparemment satisfait aux besoins essentiels de ces
personnes, même si des problèmes subsistent. Un certain nombre de
maisons ont été détruites au cours de la guerre récente et le parc
de logements ne suffit pas à loger les personnes déplacées, notamment
celles qui viennent d’autres parties de la région affectée par le
conflit et souhaitent se réinstaller. Il est prévu de construire
1 600 maisons, dont 1 000 doivent être fournies par la Fédération
de Russie. L’électricité a posé problème car la guerre aurait ramené
le nombre de centrales électriques de 36 à 6 et l’approvisionnement
en eau serait également un problème. Quant aux personnes qui ont
été blessées pendant la guerre, elles doivent souvent se rendre
à Erevan pour se rétablir et recevoir des soins.
91. Dans la région du Haut-Karabakh, il n’y a pas un grand nombre
d’emplois disponibles, mis à part les emplois publics et les contrats
de travail temporaire, d’où la nécessité d’une aide financière directe.
Les difficultés financières sont malgré tout atténuées par la gratuité
des services publics. On relève une pénurie d’emplois pour les femmes,
et il est nécessaire de renforcer les capacités pour améliorer les
moyens d’existence. C’est une chose que la communauté internationale
pourrait appuyer et favoriser.
3.5.1.1. Assistance
internationale
92. En ce qui concerne l’assistance,
le CICR, qui est presque la seule organisation internationale à
pouvoir accéder à l’ensemble de la région affectée par le conflit,
joue un rôle essentiel. Pendant et après le conflit, il a distribué
des fournitures médicales, des colis alimentaires, des produits
d’hygiène, des radiateurs, une aide financière, de l’eau et une
aide à l’habitat ainsi que des matériels pédagogiques pour les enfants;
il a tenu des réunions d’information sur la pollution due aux armes.
Il a également rendu visite aux prisonniers de guerre, organisé
des échanges de prisonniers, aidé à localiser des personnes disparues
et facilité la restitution des corps des soldats tombés au combat.
Il a été soutenu financièrement, en particulier par l’Union européenne, et,
à la fin de juin 2021, il a annoncé que le budget de sa mission
dans la région du Haut-Karabakh avait été porté à 50 millions d’euros.
93. Aux termes du paragraphe 7 de la Déclaration tripartite, «les
personnes déplacées et les réfugiés rentrent sur le territoire du
Haut-Karabakh et dans les zones adjacentes sous le contrôle du Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés»; or, le HCR n’a toujours pas été
en mesure de négocier l’accès à ce territoire, et il en va de même
pour les autres entités des Nations Unies et les autres organisations internationales,
dont le Conseil de l’Europe. C’est hautement regrettable, et l’Arménie
et l’Azerbaïdjan sont tous deux responsables d’un état de fait qui
nuit à l’acheminement de l’aide humanitaire, porte atteinte aux droits
des personnes vivant dans cette région et affaiblit la capacité
de suivre l’évolution de la situation sur le terrain. Le rapporteur
a conscience que son rapport se ressent du fait qu’il ne lui est
pas possible de se rendre dans la région affectée par le conflit
pour se rendre compte par lui-même.
94. Pour traiter les questions liées au déplacement et les autres
questions humanitaires, l’ONU a mis en place une structure de coordination
que dirigent le Bureau d’un coordonnateur résident et le HCR. Pour
faire face aux priorités actuelles
,
l’ONU a besoin de 62,1 millions de dollars. Le travail est confié
à divers groupes et sous-groupes de travail, parmi lesquels le groupe
de travail chargé de la «protection», qui s’occupe des personnes
dont la situation est similaire à celle des réfugiés, et le groupe
de travail «logement et produits non alimentaires» et son sous-groupe
«aide en espèces». D’autres groupes de travail traitent des questions concernant
la «sécurité alimentaire et nutrition», la «santé» et le «relèvement
rapide», qui fournit des moyens de subsistance aux personnes qui
ne peuvent pas rentrer chez elles.
95. L’Union européenne a été un donateur important et, depuis
le début des hostilités en septembre 2020, a fourni une aide aux
personnes les plus touchées à hauteur de 17 millions d’euros. Elle
accorde un soutien important à l’Arménie en général et, le 9 juillet
2021, elle a déclaré qu’elle mobiliserait un milliard d’euros en sus
du montant de 1,6 milliard annoncé antérieurement.
96. De son côté, la Fédération de Russie a fourni une aide substantielle
aux victimes du conflit et, en avril 2021, il a été signalé
qu’elle avait
acheminé une aide de 15 millions de dollars aux victimes par l’intermédiaire de
son Centre interinstitutions de réponse humanitaire. En outre, elle
a joué un rôle important dans la mise au point de la Déclaration
tripartite et son contingent de maintien de la paix a aidé à garantir
la sécurité et la stabilité et à localiser des personnes disparues.
3.5.1.2. Vers
un relèvement à moyen et long termes
97. D’une manière générale, il
s’impose de passer à une stratégie de relèvement à moyen et long
termes en s’appuyant sur les évaluations des besoins à entreprendre
en collaboration avec les donateurs internationaux, ces évaluations
portant en particulier sur les besoins des personnes se trouvant
dans l’impossibilité de rentrer chez elles et des personnes les
plus vulnérables. Le rapporteur a appris que l’Arménie s’apprêtait
à lancer un appel humanitaire à grande échelle. Il importe que cet
appel soit axé non seulement sur le relèvement, mais aussi sur la
consolidation de la paix. Dans le cadre de son Plan d’action pour
l’Arménie et de la préparation d’un nouveau Plan d’action (2023-2026),
le Conseil de l’Europe pourrait fournir des indications quant à
l’élaboration et la mise en œuvre de politiques en faveur des personnes
déplacées, pour s’assurer que ces politiques sont bien compatibles
avec les droits de l’homme. Il conviendrait en particulier de prendre
en considération les mesures d’instauration de la confiance et de
consolidation de la paix, l’égalité des genres, la tolérance et
les questions de propriété.
3.5.2. Azerbaïdjan
98. En ce qui concerne l’Azerbaïdjan,
la guerre de six semaines a entraîné des conséquences majeures pour
les personnes déplacées. Quelque 40 000 personnes ont été temporairement
déplacées au cours de cette guerre et elles sont presque toutes
rentrées chez elles. À présent, le grand défi consiste à organiser
le retour et l’installation des personnes déplacées et des réfugiés
des années 90. Selon les estimations, ce sont environ 650 000 déplacés
à l’intérieur de leur propre pays, environ 200 000 réfugiés et 45 000
réfugiés meskhets turcophones qui seraient concernés.
99. La quasi-totalité des 40 000 personnes déplacées pendant la
guerre récente ont pu rentrer chez elles, et leurs maisons, lorsqu’elles
avaient été endommagées, ont été réparées ou en voie de l’être.
Les enfants qui avaient dû interrompre leurs études ont pu retourner
à l’école.
100. S’agissant des déplacés et des réfugiés des années 90, il
a fallu des décennies pour trouver une solution à leur déplacement
transitoire mais durable. Plus de 7,7 milliards de manats azerbaïdjanais
(3,82 milliards d’euros), dont 1,4 milliard fourni par les agences
humanitaires, ont été mobilisés à cette fin. Une loi a été adoptée
pour répondre aux besoins de ces personnes. Elles ont bénéficié
d’un logement gratuit et d’une allocation mensuelle et les personnes
déplacées ont été nombreuses à trouver un emploi dans le secteur public
ou à exercer un emploi saisonnier. Plus de 315 000 personnes ont
eu accès à un logement amélioré. L’Assemblée a pu examiner leur
situation à diverses reprises, notamment à l’occasion de la
Résolution 2214 (2018) «Besoins et droits humanitaires des personnes déplacées
à l’intérieur de leur propre pays en Europe», la
Résolution 1497 (2006) «Réfugiés et personnes déplacées en Arménie, Azerbaïdjan
et Géorgie» et la
Recommandation
1570 (2002) «Situation des réfugiés et des personnes déplacées en
Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie».
101. Maintenant qu’il est possible de planifier les retours, une
nouvelle loi sur les rapatriés a été mise en chantier et les vues
du HCR sont prises en considération. Avant le retour de ces personnes
et avant que la reconstruction ne puisse avoir lieu, les territoires
doivent être déminés. Selon une enquête récente, 65 % des déplacés
veulent rentrer chez eux et les autorités pensent qu’il y aura davantage
de candidats au retour une fois que l’infrastructure sera en place.
L’ampleur de la tâche à accomplir est immense et elle posera bien
des problèmes connexes, comme la mise en place de l’infrastructure
de base, les emplois, les soins médicaux et l’éducation. Pour mener
à bien cette tâche, 17 groupes de travail ont été créés dans toutes
les entités publiques. Ils sont chargés de la gestion logistique
de cette opération d’envergure. Celle-ci s’étalera sur des années,
voire des décennies, encore que le premier projet pilote de réinstallation
puisse être déployé en 2023. Le ministère de l’Économie a élaboré
un projet de «
Programme
national de relèvement et de développement durable des territoires de l’Azerbaïdjan
libérés pour 2021-2025». Ce programme vise à relever et à reconstruire les
territoires libérés, à les intégrer dans l’économie nationale, à
assurer un développement durable et équilibré et à instaurer des
normes élevées de protection sociale.
102. Le rapporteur a pu se rendre dans l’un des districts concernés,
celui d’Aghdam, constater sa destruction totale et prendre connaissance
du projet de reconstruction. Il s’inscrira dans le cadre d’un plan
de construction de 9 ou 10 villes nouvelles, qui garantira des conditions
de vie pérennes dans des villes intelligentes. Le projet devra tenir
compte du fait que nombre des personnes qui avaient dû quitter ce
district y avaient travaillé dans l’agriculture, mais étaient désormais
urbanisées. Les autorités n'envisagent pas d’exécuter hâtivement
ces projets, préférant à juste titre en mener l’exécution à un rythme
permettant d’en assurer le succès.
103. À l’heure actuelle, l’aide fournie par la communauté internationale
à l’Azerbaïdjan est limitée. Si, pendant la guerre de six semaines,
les autorités ont choisi de gérer elles-mêmes le problème des personnes
déplacées, le retour des déplacés du début des années 90 soulève
un défi beaucoup plus complexe et onéreux. Le HCR et les entités
des Nations Unies ont offert leur aide
,
s’agissant en particulier des aspects juridiques et des questions
de propriété liés au retour. L’Union européenne a récemment octroyé
une enveloppe de 140 millions d’euros en faveur de l’Azerbaïdjan.
Ce montant est nettement inférieur à celui qui a été octroyé à l’Arménie. La
communauté internationale est invitée à fournir à l’Azerbaïdjan
une assistance au titre à la fois du relèvement et de la consolidation
de la paix.
3.6. Tensions
le long des frontières
104. L’article 1 de la Déclaration
tripartite prévoit «un cessez-le-feu complet et la cessation de
toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh»
et l’obligation pour «la République d’Azerbaïdjan et la République
d’Arménie … (de) … s’en tenir aux positions qu’elles occupent actuellement».
105. Les tensions survenues récemment le long des frontières ont
commencé le 12 mai 2021 par des incursions qui auraient été menées
par l’Azerbaïdjan dans la région arménienne de Siounik et, plus particulièrement,
le secteur du lac Noir. Le même jour, les médias azerbaïdjanais
ont rapporté que les forces armées azerbaïdjanaises tiendraient
bientôt des exercices militaires impliquant jusqu’à 15 000 militaires, 300 chars
et d’autres matériels. Cela a encore exacerbé les tensions dans
la région.
106. À propos de cet incident, l’Azerbaïdjan a indiqué que ses
troupes prenaient position après l’hiver et n’étaient pas déployées
en territoire arménien. Il a contesté les cartes utilisées par l’Arménie
et a présenté d’autres cartes.
107. L’Arménie a déclenché la mise en œuvre de l’article 2 du Traité
de sécurité collective, qui dispose qu’«en cas de menace à la sécurité,
à la stabilité, à l’intégrité territoriale et à la souveraineté
d’un ou de plusieurs États membres …», un mécanisme de consultations
conjointes destinées à coordonner les positions et à prendre les
mesures appropriées peut être mis en route.
108. Les jours suivants, toutefois, des mesures ont été prises
pour apaiser les tensions avec la participation des soldats russes
de maintien de la paix, ainsi qu’avec la mise en place d’une médiation
politique menée par les ministres des affaires étrangères de la
Fédération de Russie, de la France et du Tadjikistan (qui préside l’Organisation
du Traité de sécurité collective). Toutes les parties ont souligné
qu’il importait de surmonter les tensions par des moyens politiques
et diplomatiques.
109. Depuis, des incidents se sont encore produits de façon plus
ou moins régulière en différents points de passage frontaliers.
Ils ont fait des morts et des blessés, et des militaires arméniens
ont été faits prisonniers
, ce qui a provoqué
le dépôt auprès de la Cour européenne des droits de l’homme d’une
demande de mesures provisoires pour défendre les droits de ces prisonniers.
110. Il y a eu de nouveaux incidents tout au long des mois de juin
et juillet 2021: des coups de feu auraient été tirés des deux côtés,
et d’autres accrochages auraient fait des morts et des blessés.
Le 30 juillet 2021, le rapporteur a jugé nécessaire de faire une
déclaration, dans laquelle il déplorait la mort de trois militaires arméniens
et d’un militaire azerbaïdjanais et appelait les parties à amorcer
une désescalade, en faisant observer que les problèmes humanitaires
touchant depuis longtemps les communautés vivant de part et d’autre
de la frontière ne pourraient être résolus que si la violence cessait.
Les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE ont également fait
une déclaration dans laquelle ils appelaient à une désescalade immédiate et
au respect total de la trêve du 9 novembre. Le ministre des Affaires
étrangères de la Fédération de Russie s’est associé aux appels à
la retenue adressés aux parties
.
111. Le rapporteur n’est pas en mesure de déterminer qui porte
la responsabilité de chaque incident.
112. Les cas présumés de fusillade à proximité de villages frontaliers
relevés à plusieurs reprises par le Défenseur des droits de l’homme
de la République d’Arménie ne laissent pas d’être préoccupants.
Ils ont un effet déstabilisant sur les communautés frontalières
du point de vue de leur sécurité, de leur bien-être, de l’accès
à leurs pâturages et de leurs liens de communication.
113. Il est essentiel d’amorcer une désescalade et les deux parties
doivent impérativement s’adapter à une nouvelle proximité et au
défi à relever à ce sujet. Il est indispensable de poursuivre les
pourparlers sur la démarcation et la délimitation de la frontière
et de réfléchir à nouveau à la possibilité de mettre en place une mission
de surveillance de la frontière, que son organisation soit confiée
au Groupe de Minsk de l’OSCE, à l’Organisation du Traité de sécurité
collective, à l’ONU ou à une autre entité. Les deux parties devraient
s’en tenir aux positions prévues par la Déclaration tripartite,
et les personnes capturées pendant les accrochages ayant eu lieu
le long de la frontière devraient être libérées.
114. Il faudra du temps pour régler les problèmes frontaliers,
mais la Déclaration tripartite permet d’espérer une réouverture
des liaisons de transport entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et, par
la même occasion, peut-être, entre l’Arménie et la Turquie. Toutes
les parties intéressées ne pourront qu’en profiter et cela pourra
permettre d’engager un processus efficace de réconciliation et de
consolidation de la paix. Les deux parties devront en passer par
la négociation, et l’Azerbaïdjan devrait s’abstenir de menacer de
s’attribuer un droit de passage par la force.
3.7. Patrimoine
culturel
115. Ce long conflit a eu des conséquences
dévastatrices pour le patrimoine culturel de la région et a affecté les
deux protagonistes.
116. L’Azerbaïdjan fait état de destructions massives qui se sont
produites pendant la guerre de 1991-1994 et après dans les districts
de Fuzuli et d’Agham, mais aussi à Choucha/Chouchi et ailleurs.
Il mentionne également les pillages et destructions qui ont eu lieu
à la fin de la guerre de six semaines.
117. Le ministère de la Culture de l’Azerbaïdjan mène actuellement
une enquête visant à déterminer l’ampleur des dommages culturels.
L’enquête préliminaire fait état de l’endommagement ou de la destruction de
706 monuments historiques et culturels officiellement enregistrés
(dont six de haute qualité architecturale, cinq de haute qualité
archéologique, 119 d’importance nationale et 121 d’importance archéologique
nationale), ainsi que d’autres éléments d’architecture, parcs, monuments
et éléments d’arts appliqués et décoratifs d’importance locale.
118. L’Azerbaïdjan allègue également
que, plus récemment, des biens culturels
et des manuscrits anciens du monastère de Khudavang/Dadivank (XIIIe
siècle) ainsi que des objets précieux découverts lors de fouilles archéologiques
ont été illégalement transférés en Arménie.
119. L’Azerbaïdjan négocie actuellement avec l’UNESCO au sujet
de l’accès à la région dans le but de conduire une mission technique
indépendante devant permettre d’évaluer l’état de ce patrimoine.
120. Le rapporteur a pu constater l’étendue d’une partie de ces
dommages et de ces destructions pendant la visite qu’il a effectuée
à Aghdam. La ville, qui comptait naguère quelque 28 000 habitants
(la région en comptait nettement plus de 100 000) est à présent
déserte et inhabitable: à la présence des mines s’ajoute le fait
que presque tous les bâtiments ont été détruits et les matériaux
de construction ou les objets de valeur, même ceux des tombes, ont
été pillés. Avec ses deux minarets, la mosquée d’Aghdam est à peu
près le seul bâtiment encore debout. Jusqu’à ce qu’elle soit clôturée,
la mosquée aurait été utilisée comme étable pendant un certain temps.
Les dommages aux maisons et au patrimoine culturel, en particulier
dans les sept districts rendus à l’Azerbaïdjan pendant et après
le conflit, sont massifs et révoltants, et le relèvement de cette
région prendra des années et nécessitera des ressources importantes.
La première priorité sera de la déminer, avant de pouvoir mettre
en place les infrastructures, construire des maisons, assurer la
fourniture des services, créer des emplois et repeupler les districts
concernés. La situation est dramatique et, comme l’a fait remarquer
un membre de haut rang de la communauté internationale, «nous aurions
tous dû faire plus depuis 30 ans pour empêcher un pareil niveau
de destruction».
121. Le patrimoine culturel arménien a également subi des dommages
et des destructions. Il existe des preuves
de la destruction, dans les années
90, du patrimoine culturel arménien de la République autonome du
Nakhitchevan, où 89 églises médiévales, 5 840 pierres à croix sculptées
(khachkars) et 22 000 pierres tombales historiques auraient été
vandalisées, puis détruites.
122. Au cours de la guerre de six semaines, l’Arménie a également
allégué le bombardement délibéré de la cathédrale Ghazanchetsots
(Saint-Sauveur) à Choucha/Chouchi. Human Rights Watch a apporté
la preuve de l’attaque en faisant observer que, de par sa nature
et le choix de l’arme guidée, «l’église, bien culturel civil ayant
une importance culturelle, était une cible intentionnelle en dépit
de l’absence de preuve de son utilisation à des fins militaires»
. Parmi les
autres destructions délibérées alléguées par l’Arménie figurent
le dôme et les clochers de la Kanach Zham (Église verte). Après
la fin du conflit, l’Arménie a fait état de la poursuite des actes
de destruction, notamment la destruction d’une église de construction
récente (église Sainte-Marie) près de Jebrail/Jabrayil
, la démolition du cimetière arménien
du XVIIIe siècle du village de Sghnakh/Signaq
et celle du cimetière
arménien du XIXe siècle du village de Mets Tagher/Boyuk Taghlar
.
123. Sa rencontre avec l’archevêque Nathan Hovhannisian du Saint-Siège
a permis au rapporteur de se faire une idée de l’importance que
les Arméniens attachent aux monuments religieux, aux églises, aux
khachkars (pierres à croix) et aux autres éléments du patrimoine
religieux et de mesurer à quel point ils sont inquiets pour le patrimoine
culturel qui se trouve sous le contrôle de l’Azerbaïdjan depuis
la fin de la guerre de six semaines. Ce patrimoine comprend 161
églises et monastères, 591 pierres à croix, 345 pierres tombales
de grande valeur, 108 cimetières et sites sacrés, 43 forteresses
et palais, et 208 autres types de monuments. Un autre sujet d’inquiétude
est la sécurité du monastère de Dadivank/Khudavang et le clergé,
resté sous la protection des soldats russes de maintien de la paix.
124. L’Arménie a également soutenu que l’Azerbaïdjan s’était lancé
dans une entreprise de révisionnisme historique et d’appropriation
culturelle en affirmant que les églises arméniennes de la région
n’étaient pas arméniennes, mais «albaniennes du Caucase» (du nom
d’un ancien peuple chrétien du début du Moyen Age). L’Arménie affirme
que
ce révisionnisme débouche également sur la dégradation et la destruction
d’églises et de monuments, et, d’une façon plus générale, sur la
volonté de nier l’histoire et la religion de l’Arménie. Au cours
de sa visite d’information à Bakou, le rapporteur a rencontré des
représentants du Service national de protection, de développement
et de restauration du patrimoine culturel de l’Azerbaïdjan. Ils
ont souligné l’importance du patrimoine «albanien du Caucase» pour
l’Azerbaïdjan et ont donné des assurances qu’il n’était pas question
que ce pays détruise ce qu’il considérait comme étant son propre
patrimoine culturel.
125. On ne peut qu’observer les destructions à grande échelle du
patrimoine de la région que les deux parties mènent délibérément
depuis des décennies. L’escalade s’est poursuivie pendant la guerre
de six semaines, entraînant la destruction de nouveaux éléments
du patrimoine culturel importants pour les Arméniens. On constate
que les destructions continuent. La possibilité de sortir de cet
engrenage existe. Pour cela, il est essentiel que l’UNESCO ait accès,
dès que possible, à tous les sites concernés des deux pays.
126. Le rapporteur juge préoccupant le discours que l’Azerbaïdjan
s’emploie actuellement à développer, qui consiste à promouvoir un
discours culturel «albanien du Caucase» et, parallèlement, à vouloir
nier un discours culturel «arménien». S’il est incontestable que
l’ensemble de la région a subi au cours de son histoire l’influence
de religions et de peuples différents, il faudrait éviter toute
mesure tendant à produire pareil discours, en niant le patrimoine
culturel arménien, en particulier au vu et à la suite d’un long
conflit de 30 ans. C’est une question sur laquelle l’UNESCO devrait
se pencher, afin d’éviter qu’elle ne donne lieu à une manipulation
de la part de l’une ou de l’autre des parties.
127. En conclusion, les deux parties ont des raisons de nourrir
un profond ressentiment, mais, comme la Directrice générale de l’UNESCO,
Audrey Azoulay, l’a dit le 18 novembre 2020 après avoir parlé aux
deux parties, «les atteintes portées aux biens culturels, à quelque
peuple qu’ils appartiennent, constituent des atteintes au patrimoine
culturel de l’humanité entière». Elle a également rappelé la Résolution
2347 (2017) du Conseil de sécurité de l’ONU, qui souligne que «la
destruction illégale du patrimoine culturel, le pillage et la contrebande
de biens culturels en cas de conflits armés, notamment par des groupes
terroristes, et les tentatives de nier les racines historiques et
la diversité culturelle dans ce contexte, peuvent alimenter et exacerber
les conflits et font obstacle à la réconciliation nationale après
les conflits …».
3.8. Discours
de haine
128. Le rapporteur est profondément
préoccupé par les discours de haine qui ont fleuri au cours de la
guerre de six semaines et leurs conséquences. Comme l’a relevé la
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
dans ses rapports
, il s’agit d’un problème
persistant. Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales
a
également mis l’accent sur cette question en ce qui concerne l’Azerbaïdjan.
129. Des générations d’Arméniens et d’Azerbaïdjanais ont grandi
au son du discours de l’hostilité et de la haine, qui a nourri la
violence et contribué aux exactions, atrocités et destructions qui
auraient été commises pendant la guerre de six semaines.
130. Au cours de cette dernière guerre, les discours de haine et
les crimes de haine ont atteint des deux côtés un niveau révoltant.
Des cas ont été attestés tant par le Défenseur des droits de l’homme
de la République d’Arménie
que par la Commissaire aux droits de l’homme
(Médiatrice) de la République d’Azerbaïdjan
.
131. Un grand nombre d’exemples ont été cités, comme les références
dépréciatives aux Arméniens, identifiés à des «chiens», et aux Azerbaïdjanais,
présentés comme des «Turcs», les graffiti nouveaux et anciens sur
les églises et les mosquées, ainsi que des cas graves de discours
d’incitation à la haine et au meurtre visant des Arméniens et des
Azerbaïdjanais, y compris des enfants. Des actes effroyables de
violence et d’exécutions ont été filmés et diffusés sur les médias
sociaux: ils devraient être considérés comme des crimes de haine
et réprimés par la loi, si cela n’est pas déjà le cas. Les personnes
qui diffusent ce type de messages devraient avoir à répondre de
leurs actes.
132. Pendant la visite d’information qu’il a effectuée en Azerbaïdjan,
le rapporteur a entendu diverses déclarations selon lesquelles l’Azerbaïdjan
est fier de son multiculturalisme. Toutefois, des déclarations faites à
l’échelon le plus élevé continuent de donner des Arméniens une image
défavorable et ne peuvent pas être qualifiées de tolérantes. La
guerre de six semaines étant terminée, il semble que le temps soit
venu de construire la paix et la réconciliation, et non de proférer
des discours de haine. Quel qu’ait pu être le degré de cruauté de
la guerre ou du passé, la manière dont la victoire de l’Azerbaïdjan
a été présentée dans ce que l’on appelle le «Parc des trophées»
militaires à Bakou, en particulier l’utilisation de mannequins caricaturaux
et stéréotypés représentant des Arméniens d’une façon propre à les
rabaisser, est inconvenante. Comme l’a déclaré la Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe le 27 avril 2021, «(j)e
considère ces images comme très préoccupantes et humiliantes … Un
pareil étalage ne peut qu’intensifier et renforcer encore des sentiments
d’hostilité et des discours de haine persistants, et multiplier
et favoriser les manifestations d’intolérance.» Le rapporteur est
du même avis. Les autorités azerbaïdjanaises mentionnent à juste
titre l’existence de musées de la guerre dans d’autres pays, mais
l’utilisation de mannequins caricaturaux et stéréotypés, qui attise
l’intolérance, n’a pas sa place dans un musée ou dans la société.
133. Chacune des deux parties soutient que l’autre continue de
tenir un discours irrédentiste qui menace sa propre intégrité territoriale,
ce qui ne va pas dans le sens de mesures propres à instaurer la
confiance. Les deux parties devraient s’abstenir de tenir de tels
propos hostiles.
134. Le rapporteur est bien conscient que la guerre récente est
encore dans tous les esprits et qu’il faudra des années, voire des
générations, pour faire naître une véritable dynamique de tolérance,
mais il incombe aux autorités arméniennes et azerbaïdjanaises de
faire cesser les discours de haine, notamment ceux qui peuvent leur
procurer des gains politiques à court terme, et de prendre conscience
de leur responsabilité vis-à-vis des générations actuelles et futures.
135. Le Conseil de l’Europe peut aider les deux pays à surveiller
et à combattre les discours de haine. Cela devrait être l’une des
priorités du Conseil de l’Europe, qui s’appuierait sur les travaux
entrepris dans le passé. Il faudrait procéder à une évaluation des
besoins pour déterminer la meilleure façon de tirer parti de l’expertise du
Conseil, notamment de ses normes, de ses conclusions de suivi et
de ses activités de coopération, et les conclusions devraient être
consignées dans les nouveaux plans d’action en cours d’élaboration
pour l’Azerbaïdjan (2022-2025) et l’Arménie (2023-2026). Pour encourager
la tolérance et combattre les discours de haine, il faudra adopter
une approche à long terme qui ne mise pas sur le seul droit pénal
compte tenu du caractère sensible des enjeux, et il faudra également
pouvoir compter sur l’engagement authentique des parties et sur
des ressources durables. Cela devrait contribuer de façon importante
à l’instauration de la confiance entre les deux pays.
4. Conclusions
136. À mesure que l’Arménie et l’Azerbaïdjan
s’achemineront vers une situation d’après-conflit, le Conseil de l’Europe
aura un rôle important à jouer. Les conséquences humanitaires recensées
dans le présent rapport sont sérieuses et il faudra beaucoup de
temps pour les traiter. Il faudra aussi œuvrer sous une forme ou
sous une autre en faveur de la vérité et de la réconciliation de
façon que les deux parties puissent surmonter le traumatisme, la
peur et l’intolérance, voire la haine qui est toujours là, et les
organes de suivi du Conseil, la Cour européenne des droits de l’homme
et les organes intergouvernementaux et d’experts, les programmes de
coopération et les bureaux du Conseil de l’Europe devront tous jouer
leur rôle. Les plans d’action du Conseil de l’Europe spécifiques
à chaque pays seront essentiels et les nouveaux plans d’action en
cours d’élaboration pour l’Arménie (2023-2026) et l’Azerbaïdjan
(2022-2025) devront tenir compte des différents problèmes à régler
pour traiter les conséquences d’un conflit de longue durée et de
la récente guerre de six semaines.
137. L’application des mesures d’instauration de la confiance,
dont le Conseil de l’Europe a de nombreuses années d’expérience,
seront au cœur des travaux en cours, afin de renforcer progressivement
la coopération entre les différents groupes de la population. Ce
sera un processus à long terme, qui s’étalera non seulement sur
des années, mais sur des décennies, et il sera important pour s’assurer
que les conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et
l’Azerbaïdjan ne pèsent pas lourdement sur les futures générations d’Arméniens
et d’Azerbaïdjanais.