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Rapport | Doc. 546 | 06 octobre 1956

Situation et avenir des nations subjuguées de l'Europe centrale et orientale

Relations avec les pays européens non membres

Rapporteur : M. Frans J. GOEDHART, Pays-Bas, SOC

1. RAPPORT

1. Depuis la publication par le Département d'Etat des Etats-Unis du discours sensationnel prononcé par M. Khrouchtchev aux x e Congrès du parti communiste de l'Union Soviétique, de larges secteurs de l'opinion occidentale semblent avoir l'impression que l ' a t t i t u d e de l'U. R. S. S. à l'égard des pays satellites subit actuellement une évolution importante et profonde. Ils expriment, en conséquence, toutes sortes d'espoirs en ce qui concerne l'évolution de ces pays. On escompte également, après la réconciliation entre Tito et Moscou, que le Kremlin se prépare à relâcher son étreinte sur les pays d'Europe orientale qui, à la suite de la deuxième guerre mondiale, sont tombés sous la domination soviétique.
2. On peut se demander à cet égard si ceux qui nourrissent ces espoirs ne prennent pas leurs désirs pour des réalités. En effet, l'analyse approfondie du discours de Khrouchtchev révèle, à côté de la critique et de la condamnation des mesures draconiennes prises par Staline contre ses camarades et alliés communistes, l'acceptation et la justification totales du régime de terreur imposé par Staline aux peudeples de l'Union Soviétique. En outre, rien dans ce discours n'indique que Khrouchtchev ait eu des divergences de vues avec Staline au sujet de la conquête, de l'occupation, de l'exploitation et de l'oppression permanente, à peine camouflées, des pays d'Europe orientale.
3. On ignore également quelles incidences aura, sur le sort des nations captives, la réconciliation entre Tito et Moscou. Bien que la reconnaissance par l'Union Soviétique du fait que « des voies différentes peuvent mener au socialisme » constitue une concession à Tito, il reste à voir — et tout pronostic est impossible à l'heure présente — quelles en seront les conséquences pratiques pour des pays tels que la Bulgarie, la Hongrie et la Pologne. Cependant, il faut admettre qu'une liberté un peu plus grande de discussion a récemment été permise entre communistes dans les nations captives. L'évolution ainsi intervenue dans ces pays ressemble dans une large mesure à celle que l'on constate actuellement en Union Soviétique, où la discussion entre communistes suit de même des lignes moins strictes. Néanmoins, la nature profonde du régime n'a pas été modifiée par tout cela, pas plus en Union Soviétique que dans les pays satellites.
4. L'une des caractéristiques du régime soviétique, avant et après Staline, est l'asservissement politique en même temps que le caractère cruellement anti-social de la version soviétique du capitalisme d'État. À cet égard, on assiste toujours à l'accumulation de capitaux la plus rapide que l'histoire ait connue, avec les énormes possibilités d'investissements qui en résultent et qui permettent un développement sans pareil du potentiel de l'industrie lourde et d'armements. Dans le cadre d'une économie planifiée perpétuellement en déficit, la population se voit privée de 40 à 45 % du fruit de son effort productif par des méthodes autoritaires et draconiennes d'épargne forcée, empruntant des formes très variées. En Union Soviétique, comme dans les nations captives possédant des gouvernements communistes fantoches contrôlés par l'U. R. S. S., les salaires et le prix des denrées alimentaires ont cessé de relever d'une politique sociale. Ils ont été transformés en « instruments de redistribution du revenu national » en vue d'une sévère limitation dé la consommation.
5. Cette économie de capitalisme d'État, imaginée par Staline et imposée par la terreur, est totalement maintenue malgré la déstalinisation actuelle des moeurs politiques et policières; on peut même soutenir qu'elle se trouve encore renforcée et rendue plus lourde à supporter à la suite de certaines mesures qui viennent d'être prises : c'est ainsi que le sixième plan quinquennal de l'U. R. S. S. et les deuxièmes plans quinquennaux de la Tchécoslovaquie et de rAllemagnedel'Estmettent l'accent sur l'industrie lourde, que la taxe sur le chiffre d'affaires a été augmentée de 16 % en Union Soviétique et que le plafond de l'emprunt obligatoire national a été relevé.
6. Un événement vient de prouver à nouveau que les peuples des nations captives ne se sont jamais résignés à la perte de leur liberté et de leur indépendance nationale, à la dureté des mesures économiques et politiques, à la collectivisation forcée et à la terreur : c'est la récente révolte de Poznan qui, dirigée par les travailleurs de l'industrie sur lesquels le régime communiste est censé s'appuyer, a démontré de façon spectaculaire combien est profonde et générale l'opposition populaire au régime communiste. Les émeutes de Poznan offrent une ressemblance frappante avec les soulèvements qui se sont produits dans toute l'Allemagne de l'Est en juin 1953 et montrent ainsi de façon concluante que la situation est sensiblement la même dans tous les pays opprimés. Le soulèvement spontané de Poznan coïncidait avec la date de la Foire commerciale internationale, époque à laquelle un grand nombre de visiteurs occidentaux se trouvaient dans la ville. La présence de témoins oculaires étrangers a empêché les dirigeants communistes de procéder immédiatement à des représailles meurtrières, comme de garder le secret sur l'événement. Toutefois, cette révolte a aussi démontré clairement que tout soulèvement local est condamné à un échec sanglant et ne peut affecter le régime communiste. En Allemagne de l'Est, les émeutes de juin 1953 avaient été beaucoup plus généralisées ; elles n'en ont pas moins été réduites au bout de quelques jours. On peut toutefois se demander ce que le Kremlin pourrait faire si une révolte éclatait simultanément dans tous les pays satellites.
7. Il ressort en outre des événements de Pologne que les peuples opprimés ne se contenteront évidemment pas d'un certain degré d'indépendance plus ou moins réel à l'égard de Moscou ou d'un régime analogue à celui de Tito. Ces peuples veulent à la fois être indépendants de Moscou et ne plus subir, dans leur propre pays, la dictature communiste.
8. Le récent voyage de Boulganine en Pologne après la révolte de Poznan et les déclarations qu'il a faites à cette occasion ont clairement révélé une fois de plus que les dirigeants communistes prennent toutes les précautions pour éviter d'être débordés par le courant superficiel de libéralisation apparemment issu du x x e Congrès du parti. Il est indubitable que ces mesures soi-disant libérales prises dans les nations captives ont leur origine dans la confusion qui a suivi le congrès. La plupart d'entre elles, prises en fonction de la situation interne de l'Empire soviétique, ont été de ce fait, soigneusement limitées et contrôlées. Les pouvoirs qui constituent réellement des instruments de contrôle politique sont aux mains des communistes qui les garderont intégralement et fermement, prêts à réprimer tout mouvement de libération venant de la base qui pourrait avoir été provoqué ou encouragé par le « dégel » limité dont les dirigeants ont pris l'initiative.
9. En ce qui concerne les changements superficiels qui sont intervenus dans l'Europe centrale et orientale après le x x e Congrès du parti en février, il convient de noter qu'ils varient d'un pays à l'autre. La Pologne vient en tête à cet égard, suivie de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie et de la Bulgarie. L'Estonie, la Lettonie et la Lithüanie n'entrent guère en ligne de compte, tandis que rien n'a changé en Roumanie et en Albanie.

2. POLOGNE

Le « dégel » polonais, dont a on tant parlé, n'a introduit aucune modification essentielle dans le régime de dictature communiste de ce pays, bien que ce régime ait été manifestement ébranlé et contraint de réintroduire certains éléments de procédure démocratique dans les procès de Poznan.

Les relations entre l'Union Soviétique et la « République populaire » de Pologne n'ont subi aucun changement important. Comme auparavant, l'Union Soviétique demeure la puissance dominante et la République populaire son satellite. Le discours prononcé le 21 juillet 1956 à Varsovie par le Premier Ministre soviétique, Boulganine, en présence du Gouvernement communiste polonais, a constitué une longue ingérence flagrante dans les problèmes internes de lâ nation polonaise. Parfaitement conscient du fait que le principe des élections libres est constamment dénié au peuple polonais par la dictature communiste, Boulganine a dit néanmoins : « ...La voie glorieuse de la construction i socialiste a été choisie librement par le peuple j (polonais) ». Il a déclaré d'autre part : « ...La j Pologne populaire est partie intégrante du ! camp socialiste » et relié l'évolution interne i future de la Pologne aux décisions du xxe Congrès du parti communiste de l'Union Soviétique. Sans attendre l'issue du procès des citoyens polonais arrêtés par le Gouvernement communiste de Pologne après la démonstration des travailleurs de Poznan, Boulganine a décrété, dans son discours de Varsovie, que ces manifestations avaient été fomentées par des provocateurs étrangers « occidentaux ». A cet égard, Boulganine allait à l'encontre de l'opinion du Gouvernement communiste lui-même, qui avait dû admettre à regret que les démonstrations de Poznan avaient été organisées par la population ouvrière de la ville polonaise pour protester contre la misère économique et l'oppression politique qui leur sont imposées par la dictature communiste.

D'autre part, le parti ouvrier unifié polonais (communiste) qui, en Pologne, a le monopole du pouvoir, a considéré qu'il était opportun de renouveler ses voeux d'attachement à l'Union Soviétique. Le 28 juillet 1956, le Comité central de ce parti a adopté, à la fin de sa septième Session plénière, un télégramme à l'adresse du Comité central du parti communiste de l'Union Soviétique dans lequel, parlant d'une récente résolution de ce dernier organe « sur le culte de la personnalité et ses conséquences », il déclarait qu'elle « constitue, pour notre parti, un important encouragement dans la lutte pour l'application intégrale et créative des principes léninistes à l'intérieur du parti et dans la vie sociale ».

Dans sa résolution politique, la même septième Session plénière admettait l'existence d'une grave crise économique dans le pays, ainsi que d'une vaste crise de confiance à l'égard du gouvernement. Or, alors que l'on aurait dû convoquer l'organe politique qui est, en principe, le plus élevé de la République populaire de Pologne, le Seym, c'est une réunion du Comité central du parti au pouvoir qui a réaffirmé la résolution des communistes de maintenir la dictature d'une minorité fortement organisée sur la majorité exploitée de la population. Bien que le gouvernement communiste ait admis que soient discutées au Parlement certaines questions secondaires (par exemple les objections catholiques à la loi sur l'avortement), cela n'a nullement influé sur les mesures ofiicielles et les dirigeants communistes en ont retiré d'importants arguments de propagande. Ainsi, sous la dictature communiste établie en Pologne, le principe de la responsabillité politique des dirigeants envers leurs administrés — principe qui constitue le plus haut point d'achèvement de la civilisation européenne dans le domaine du droit public et pour lequel nombre de générations ont lutté et combattu vaillamment ••— n'est pas applicable, à l'heure actuelle au peuple polonais.

Certains passages de la résolution politique précitée ont amené plusieurs journaux occidentaux à déduire que le parti communiste qui gouverne la Pologne avait proclamé le principe de la non-ingérence du parti dans les affaires du gouvernement. C'est là une conclusion totalement erronée. Ce que le Comité central a proclamé dans sa Résolution du 28 juillet 1956, c'est simplement le principe que les communistes de l'appareil du parti ne doivent pas s'immiscer dans les activités courantes de leurs camarades communistes qui ont la charge de l'appareil gouvernemental. Néanmoins, l'appareil gouvernemental doit suivre strictement les instructions et les directives du parti ouvrier unifié polonais. L'application de ce principe du monopole du pouvoir du parti communiste est assurée en Pologne par le fait que les postes gouvernementaux sont occupés uniquement par des membres du parti. Sur les 9 membres du Presidium du gouvernement (le Président du Conseil et 8 Vice-Présidents), 6 sont membres du Bureau politique du parti (organe suprême du parti) et 3 sont membres du Comité central du parti (deuxième organe du parti). Sur les 33 ministres qui dépendent du Presidium, 30 sont membres du parti communiste, 2 du parti paysan unifié et 1 du parti démocratique, ces deux derniers groupes purement fictifs étant étroitement apparentés au parti communiste auquel ils sont subordonnés.

La réhabilitation de Gomulka, le « Tito polonais », et de ses amis, le général Spychalski et le colonel Kliszko, ne touche nullement' à ce monopole. Gomulka, communiste fidèle, n'exerce encore aucune fonction, pas plus que Spychalski. Kliszko a été nommé vice-ministre de la Justice.

Une étude serrée de la résolution économique de cette septième Session plénière révèle que le niveau de vie du peuple polonais est lamentablement bas et même bien souvent proche de la famine. Au sujet du plan sexennal qui s'est achevé le 31 décembre 1955, la résolution avoue d'ailleurs : « La situation d'une partie considérable de la population laborieuse ne s'est pas améliorée et, pour certaines catégories, elle s'est même aggravée. »

Une certaine détente de l'atmosphère de terreur et l'importance accrue qui est donnée à la soi-disant « légalité socialiste » visent à désarmer l'hostilité populaire envers le régime. Plusieurs membres de la police secrète ont été sacrifiés à cette fin et ont fait l'objet de mesures de dégradation. De même, recherchant frénétiquement la popularité et désireux de flatter l'opinion publique, les dirigeants communistes ont décrété que c'est par erreur que les membres de l'ancienne armée nationale de la résistance polonaise ont été pourchassés et persécutés jusqu'à une époque récente. Cependant, l'appareil de terreur n'a pas été détruit et il a encore été employé à Poznan.

De même, le retour en masse des Polonais déportés en Sibérie, dont on a tant parlé, s'est ramené en fait au rapatriement d'une poignée de déportés.

Les sentiments véritables de la population polonaise se sont exprimés lors des démonstrations de Poznan. La résolution politique de la septième Session plénière affirme à cet égard : « Le Comité central, réuni en session plénière, estime que les tragiques événements de Poznan, qui ont été violemment ressentis dans tout le parti et dans toute la classe ouvrière et la nation, éclairent d'une lumière nouvelle la situation politique et sociale du pays. En fait, des démagogues et des éléments hostiles ont réussi à exploiter le mécontentement particulier des travailleurs de Zispo et de plusieurs autres entreprises, causé par le retard apporté à l'examen de leurs sérieux griefs et de leurs justes revendications, provoquant ainsi des grèves et des manifestations de rue. »

Il était illusoire de croire que les travailleurs polonais recevraient maintenant le droit d'exprimer autrement leur « mécontentement particulier ». Klosiewicz, chef des « syndicats » polonais, a affirmé avec force, le 21 août 1956, que les travailleurs polonais n'ont pas le droit de se mettre en grève. Il a souligné à nouveau que les syndicats ont pour fonction de résoudre au départ les conflits entre la direction des entreprises et la main-d'oeuvre. En langage clair, cela signifie que les « syndicats » polonais continueront à être les instruments et les indicateurs des dirigeants communistes.

En Pologne, la situation économique est si grave que les dirigeants communistes ne cherchent même plus à la cacher. Le plus haut fonctionnaire communiste du pays, le premier secrétaire du Comité central du parti, Ochab, a dit dans un discours prononcé le 29 juillet 1956 à Wloclawek, au sujet du plan quinquennal 1956-1960 : « La faim et le besoin seront encore loin d'être éliminés en 1960; le problème crucial du logement, qui hante aujourd'hui comme un cauchemar des centaines de milliers de familles polonaises et qui est l'objet de la préoccupation constante de notre gouvernement, ne sera pas encore résolu. »

Sans entrer dans les détails, on peut affirmer que les ressources dont dispose actuellement la Pologne sont telles que la population pourrait être immédiatement affranchie du besoin et de la misère. Les encouragements récemment prodigués aux petites entreprises privées confirment la faillite de l'organisation communiste, qui espère que le maintien de ces entreprises constituera un « mal » temporaire, semblable à la N. E. P. (nouvelle politique économique) en Russie. De même l'intention du Gouvernement communiste de relâcher sa pression contre les koulaks, dans l'intérêt de la production agricole, n'a abouti qu'à une seule mesure concrète : la suspension des livraisons obligatoires de lait par tous les fermiers. C'est, d'une part, le système économique communiste, avec sa centralisation stérile et son effort const a n t de développement de l'industrie lourde et, d'autre part, la subordination de l'économie polonaise aux exigences de l'Union Soviétique et de sa politique expansionniste qui entravent seuls l'amélioration rapide de la situation économique en Pologne.

La soi-disant liberté de discussion qui existerait dans la Pologne sous régime communiste et qui fait l'objet d'une telle propagande à l'adresse de l'Occident ne s'applique qu'aux communistes et, même en ce qui les concerne, elle est en fait limitée. Il est vrai que la dénonciation de Staline a été plus violente en Pologne que dans aucune autre partie de l'empire soviétique. Dans la confusion qui a suivi immédiatement la condamnation de Staline, les sentiments populaires anti-russes sont parvenus à s'exprimer quelque peu dans la presse du parti. Néanmoins, le parti a réagi immédiatement et la résolution politique de la septième Session plénière déclare expressément :

« Les divergences d'opinions qui se sont fait jour au cours de réunions du parti ne signifient nullement que le parti admettra, dans ses propres rangs, l'expression d'opinions incompatibles avec l'enseignement du marxismeléninisme et avec la ligne générale du parti. Les déclarations et discussions reproduites dans la presse du parti doivent être fondées sur l'idéologie marxiste-léniniste et conformes à la ligne générale du parti. »

A cet égard, la résolution se ralliait aux principes proclamés en Pologne par Roulganine dans le discours qu'il avait prononcé à Varsovie le 21 juillet 1956. Il avait dit alors :

« Les faits démontrent que des éléments hostiles ont utilisé les organes de la presse des pays socialistes pour répandre leurs germes empoisonnés.

Certains rédacteurs responsables de cette presse ont cédé à des influences ennemies et ont oublié que la presse du parti doit être avant tout un instrument loyal et constant de dissémination des idées du marxisme-léninisme et de propagande militante dans la lutte pour l'édification du socialisme. »

Le régime communiste polonais s'est aussitôt attaché à appliquer les directives de Boulganine en exerçant sur la presse toute son influence pour l'amener à se conformer plus strictement encore à la ligne du parti. On a assist é alors à ces actes d'auto-critique traditionnels dans les pays communistes. C'est ainsi, par exemple, que le Trybuna Ludu du 9 août a rapporté que M. Majkowski, rédacteur du Lodzki Express, avait avoué, lors d'une réunion locale du parti communiste, qu'il s'était gravement trompé en critiquant le régime alors que « l'ennemi de classe » n'attendait que le moment d'intervenir. Des sanctions ont déjà été prises contre des journalistes polonais ayant commis des « erreurs » de ce genre.

La Cour de justice communiste a maintenant entamé à Poznan le procès des travailleurs qui, faute de tous moyens légaux pour exprimer leurs desiderata sociaux et politiques, ont eu recours à des manifestations violentes. Ils réclamaient plus de nourriture et de vêtements, des salaires plus élevés et des élections libres. Les communistes polonais ont répondu par des tanks, de l'artillerie et un procès.

Il est vrai que, pour la première fois dans l'histoire du régime communiste, la défense s'est vu accorder des facilités qui lui avaient été jusqu'alors refusées. Bien que l'accusation se soit efforcée de démontrer que les accusés avaient commis des vols et des actes de violence, le juge les a autorisés à expliquer qu'ils avaient été poussés par des mobiles économiques et politiques, et les slogans politiques entendus au cours des émeutes de la rue ont été répétés devant la Còur. Des journalistes étrangers ont été autorisés à assister au procès et leurs dépêches n'ont pas été censurées.

Le Président de l'Assemblée Consultative, agissant au nom du Bureau, avait demandé au Gouvernement polonais d'autoriser une délégation d'observateurs de l'Assemblée à assister au procès. Le gouvernement polonais a rejeté cette demande.

3. HONGRIE

En Hongrie, l'éviction, le 18 juillet 1956, du staliniste invétéré Rakosi, attendue depuis longtemps, n'a apporté aucune modification dans la subordination absolue du régime à Moscou. Cette démission était inévitable car Rakosi était détesté, non seulement par le peuple hongrois, mais aussi par des membres influents du parti communiste. Les manifestations qui eurent lieu au cours de l'assemblée des écrivains hongrois et au cercle Petoefi ont hâté la disparition de Rakosi.

Le successeur de Rakosi au poste de Secrétaire général du parti communiste est Gero, numéro deux du parti. Tout comme Rakosi, il est citoyen soviétique et officier supérieur de l'armée rouge. Toutefois, alors que Rakosi était le satrape politique de Moscou, Gero est plutôt le représentant de la clique militaire soviétique. Il met l'accent sur la priorité absolue de l'industrie lourde et, dans les dix dernières années, il a organisé l'économie hongroise en fonction des intérêts stratégiques de l'Union Soviétique.rganised Hungary's economic life so as to promote the strategic aims of the Soviet Union.

Trois des quatre nouveaux membres du présidium du parti — Kiss, Revai et Kadar — sont des communistes de longue date. Kiss, l'un des disciples les plus fidèles de Rakosi, était auparavant à la t ê t e de la commission de contrôle du parti. Revai, citoyen soviétique et staliniste invétéré, est considéré comme le principal idéologue du parti. Kadar, ancien ministre de l'Intérieur et organisateur du procès du cardinal Mindszenty, a été accusé de titisme en 1948, mais c'est en fait l'un des plus ardents promoteurs du communisme international. Le quatrième membre, Marosan, est depuis un grand nombre d'années un agent secret du parti communiste au sein du parti social-démocrate hongrois.

Le présidium du parti, qui parle maintenant de « direction collective », procède avec une extrême prudence à l'application de la « politique libérale » prescrite par Moscou. Il demeure hanté par la crainte qu'une révolte semblable à celle de Poznan se produise en Hongrie. Jusqu'à ce jour, les mesures les plus importantes qu'il ait prises dans le sens de la libéralisation du régime ont été :

(a) La libération de plusieurs milliers de prisonniers politiques. Une fois mises en liberté, ces personnes sont à la merci complète du régime puisqu'elles ont t o u t perdu et qu'elles ne peuvent ni récupérer leur logement, ni trouver du travail.

(b) La mise en liberté de l'archevêque Jozsef Groesz et de neuf autres dignitaires de l'Eglise catholique qui avaient été emprisonnés. Toutefois, l'archevêque Groesz a été pratiquement contraint d'accepter le rôle et les fonctions de Primat de Hongrie et il est en liberté sous la condition que les intérêts de l'Église seront « harmonisés » avec ceux de l'État. (Le cardinal Mindszenty, ayant refusé d'être réinstallé dans ses fonctions dans de telles conditions, est demeuré en réclusion, au secret.) L'hostilité inchangée du régime envers la religion est apparue dans l'interdiction de diffusion prononcée immédiatement à Pencontre de la lettre apostolique du pape Pie X I I qui, le 29 j u in 1956, s'adressait en particulier aux cardinaux opprimés de Hongrie, de Pologne et de Yougoslavie, ainsi qu'à tous les catholiques des nations captives.

(c) La cessation des « excès policiers ». Dorénavant, aucune perquisition ou arrestation domiciliaire ne peut être effectuée par la police sans une décision judiciaire antérieure. En revanche, aucun changement n'a été apporté à la structure ou au personnel des services de sécurité. De même, les tribunaux communistes demeurent les instruments du régime, les juges étant choisis et désignés par le parti communiste.

(d) L'assouplissement des mesures de collectivisation. Une récente résolution du Comité central du parti communiste hongrois déclare que la force et les sanctions ne pourront être employées en faveur de l'organisation collective et que les paysans jouiront de « plus de liberté » d'initiative. Selon les directives du parti, l'agitation et la persuasion devraient remplacer la coercition. Or, dans la terminologie communiste, le terme « agitation » a trop d'acceptions, y compris celle de contrainte. D'autre part, la superficie des emblavures continue à être fixée autoritairement par le parti.

(e) L'introduction d'un certain équilibre entre le développement de l'industrie lourde et l'accroissement de la production de biens de consommation dans le nouveau plan quinquennal dont l'application doit.commencer en janvier prochain, en vue d'améliorer le niveau de vie. Cependant, des membres des cadres supérieurs du parti communiste sont eux-mêmes très sceptiques à l'égard de cette tentative. A l'heure actuelle, pour prendre un exemple, une paire de souliers de qualité médiocre coûte encore l'équivalent de deux semaines de salaire d'un manoeuvre et un complet, deux mois de salaire, alors que les chiffres correspondants étaient, avant la guerre, de deux jours et deux semaines environ.

(f) Une certaine liberté de discussion et de critique parlementaires, mais dans les strictes limites du dogme communiste. Des interpellations ont été récemment adressées au gouvernement au sujet de la hausse des prix des biens de consommation, du travail de nuit des adolescents et même du refus de l'enseignement religieux par une autorité locale. Certes, de telles démarches étaient inimaginables du temps de Rakosi, mais il faut toujours se rappeler que ces interpellations ne sont nullement spontanées. Elles émanent de « législateurs » et de « parlementaires » désignés par le régime auquel ils sont totalement soumis. Il apparaît clairement que ces interpellations ont été élaborées par le régime lors de la réunion du Conseil oecuménique qui s'est tenue en Hongrie. On peut également prédire que toute manifestation future de liberté parlementaire dépendra de l'usage que la propagande pourra en faire.

(g) La soi-disant liberté de critique dans la presse. De même que pour les débats parlementaires, cette liberté ne s'applique qu'à des problèmes internes d'ordre secondaire. Par ailleurs, ce genre de critique doit être expressément autorisé ou ordonné parles organes gouvernementaux du parti.

En résumé, le caractère moscovite et totalitaire du régime n'a pas subi de modification profonde, bien que la population se sente quelque peu plus libre sur le plan psychologique. D'ailleurs, les forces militaires soviétiques stationnées en Hongrie et l'appareil de sécurité placé sous contrôle soviétique veillent à ce que le processus de « libéralisation » ne dépasse pas les bornes qui lui sont assignées par Moscou..

4. TCHÉCOSLOVAQUIE

Les décisions du x x e Congrès du parti communiste de l'Union Soviétique ont constitué, pour les dirigeants communistes de Tchécoslovaquie, une surprise peu agréable. Ils n'ont suivi que très prudemment les directives de « libéralisation » émanant de leurs maîtres soviétiques.

Un seul limogeage important est intervenu : celui du premier vice-président du Conseil et ministre de la Défense nationale, le D r Cepicka, membre du Politbureau, intervenu le 19 avril 1956.

En revanche, la clique dirigeante n'a pas imité les mesures de réhabilitation prises en Hongrie et en Bulgarie, notamment en ce qui concerne Slansky, Secrétaire général du parti communiste, pendu sous l'inculpation de titisme et d'espionnage. Les trois co-inculpés de Slansky, London, Hajdu et Loebl, et certaines personnes impliquées dans la même affaire ont été graciés, mais ces mesures n'ont guère été commentées officiellement.

Le prestige du parti est actuellement au plus bas. Le premier secrétaire du parti communiste, Antonin Novotny, a admis, lors de la conférence du parti qui s'est tenue du 11 au 15 juin 1956, qu'un certain nombre de membres doutent du bien-fondé de la ligne générale et que 35 organisations de base ont réclamé la convocation d'un congrès extraordinaire. La presse a aussi mentionné des demandes d'autorisation de partis d'opposition qui, bien entendu, ont été repoussées avec indignation. Le régime s'en tient à ses principes habituels : pas de critique de la ligne générale du parti, de ses dirigeants, du marxisme-léninisme et de « l'ordre démocratique populaire » et aucune coopération avec les socialistes considérés comme réformistes.

Cependant, plusieurs mesures ont été décidées lors de la conférence de juin en vue de créer une impression de « démocratisation ». Il s'agit notamment de la décentralisation de l'administration centrale et économique; de mesures tendant à accroître les pouvoirs des organes nationaux slovaques; de l'accroissement des attributions des comités nationaux (organes d'administration gouvernementale sur les plans régionaux et locaux) ; de la réorganisation des ministères et d'autres services gouvernementaux; du renforcement de la légalité socialiste, etc. Ces initiatives peuvent être considérées comme étant de pure façade puisqu'elles laissent pratiquement intact le pouvoir discrétionnaire des organes centraux de Prague. D'autre part, bien que l'on parle de laisser aux organes législatifs une initiative plus grande, les récentes sessions de l'Assemblée nationale et du Conseil national slovaques n'ont été, comme à l'ordinaire, que de pure forme.

Les promesses de réforme du droit pénal et de la procédure pénale ne se sont pas non plus concrétisées. Même les amendements envisagés sont encore bien loin de correspondre au rétablissement de l'ancien droit démocratique. Il n'est question que d'éliminer certaines des clauses les plus scandaleuses introduites en 1950, mais le droit et le système judiciaire demeureront en fait les serviteurs du régime communiste.

Dans le domaine de la politique étrangère, la Tchécoslovaquie opprimée est devenue l'un des principaux instruments de Moscou dans son effort de « coexistence compétitive », notamment en direction du Proche-Orient, du Moyen- Orient et de l'Extrême-Orient ainsi que dè l'Amérique du Sud. Les relations avec l'Union Soviétique n'ont subi aucun changement; l'U. R. S. S. reste la puissance dominante et le parti communiste soviétique le parti modèle sur lequel on s'aligne.

Le déclin du prestige du régime a rendu les citoyens ordinaires moins craintifs à l'égard des fonctionnaires du parti et des organes de sécurité et ces derniers sont actuellement quelque peu déroutés. On rapporte également que la négation du génie militaire de Staline a créé une certaine confusion parmi les officiers qui, notamment les plus jeunes, ont été formés dans l'esprit du stalinisme.

Des protestations contre les entraves que constituent les directives du parti ont été formulées lors du Congrès des écrivains tchécoslovaques qui s'est tenu du 22 au 29 avril 1956. Le régime y a répondu par une violente critique des membres des professions libérales et a mobilisé contre eux de fidèles écrivains communistes, en s'abstenant toutefois de prendre des sanctions graves.

Les étudiants universitaires ont été beaucoup plus nets. En avril et mai derniers, on a enregistré une série de réunions de protestation houleuses, de résolutions et de manifestations. La réaction du régime a été plus violente et un certain nombre d'arrestations ont été opérées. Certaines concessions secondaires ont toutefois été faites aux étudiants.

Le mécontentement des travailleurs de l'industrie s'exprime par l'abstentionnisme et la grève perlée. Bien que les syndicats communistes aient été .violemment attaqués en avril et mai derniers par leur propre journal, Prace, qui leur reprochait de ne pas avoir su représenter les intérêts des ouvriers et d'être uniquement les instruments de la direction, leurs fonctions n'ont pas été modifiées. Depuis lors, toute critique a disparu et l'accent est mis à nouveau sur l'accroissement delà productivité.

Aucun changement n'est intervenu dans la campagne de collectivisation. On rapporte que 1.600 nouvelles exploitations collectives ont été fondées entre juin 1955 et juin 1956. En mars et en avril, on a annoncé un grand nombre de procès contre des koulaks. Ce mouvement s'est quelque peu relâché depuis lors, mais, lors de la conférence du parti, Novotny, premier Secrétaire, a encore souligné qu'il importait de s'opposer à la « pénétration massive » des koulaks.

Le niveau de vie continue à être l'un des principaux sujets de préoccupation du régime. Bien que la cinquième diminution de prix, intervenue le 1 e r avril 1956, ait porté sur un certain nombre de biens de consommation essentiels, le résultat pratique a été peu appréciable. Le Rude Pravo du 6 avril 1956 a annoncé que ces diminutions correspondaient à une économie annuelle de 150 kcs par personne, soit environ 1 % du revenu moyen d'un travailleur de l'industrie.

L'ombre de Poznan pèse lourdement sur le régime communiste tchécoslovaque. Celui-ci hésite certes à appliquer encore les mesures rigoureuses de la période stalinienne, mais le ministre communiste de la Justice, le Dr Skoda, a cru bon néanmoins de lancer un avertissement solennel. Dans son rapport sur l'élaboration des amendements au code pénal, il a déclaré : « D'autre part, certaines dispositions (du code) sont formulées de façon plus précise et de nouvelles clauses sont introduites contre les ennemis qui, par haine de l'ordre démocratique populaire, se livrent à des actes criminels. » Rapportant les événements de Pologne au cours des dernières semaines, la presse du régime tchécoslovaque a éliminé les passages où il était reconnu que les revendications ouvrières étaient justifiées. Cette censure montre combien les dirigeants communistes sont conscients de leur faiblesse et du mécontentement général de la population oppi'imée..

5. BULGARIE

En Bulgarie, la condamnation de Staline a profondément affecté les membres du parti communiste. La population a reçu la nouvelle en partie avec son apathie habituelle, en partie avec joie.

La terreur s'est atténuée — tout au moins en surface. Un certain nombre d'anciens chefs de l'opposition ont été remis en liberté, mais ils ont été brisés physiquement et moralement. Ils ont été contraints de faire des déclarations favorables au régime communiste et dénonçant leurs activités passées ainsi que les « ennemis » Petkov et G. M. Dimitrov qui auraient été responsables de tout le sabotage et de l'insuffisance de la production agricole. Parmi ceux qui ont fait une telle déclaration pour obtenir leur liberté se trouvent les anciens ministres Pavlov, Athanassov, Derjanski et Bumbarov.

Dans le domaine économique, les changements n'ont guère été sensibles. Suivant l'exemple soviétique, la durée du travail a été ramenée de 8 à 6 heures le samedi et les veilles de fêtes. Les travailleurs peuvent maintenant changer de travail et de domicile sans être frappés de peines d'emprisonnement, bien que cette disposition figure encore dans la loi en vigueur.

Dans le domaine culturel, la soi-disant « révolte des écrivains » avait commencé avant le x x e Congrès du parti communiste, mais ses incidences se font encore vivement sentir. Lors du congrès de l'Union des écrivains, en décembre de l'année dernière, les principaux écrivains communistes, Belev, Rudnikov, Kiulavkov, Stoyanov, Penev et Vejinov ont affirmé qu'il ne saurait y avoir de création littéraire digne de ce nom sans liberté d'expression. Ils ont, d'autre part, dénoncé l'ingérence du parti communiste. Dans le discours de clôture du congrès, le Président du Conseil, Tchervenkov, a vivement attaqué les déclarations de ces écrivains. Il a affirmé que le Comité central du parti communiste est en droit de diriger l'activité littéraire et que les écrivains ont le devoir de lui obéir.

Si la « libéralisation » n'a guère amélioré le sort du peuple, des changements de caractère plus sérieux sont intervenus au sein du parti communiste et du gouvernement. Au cours de la session plénière du parti communiste bulgare (2-6 avril 1956), Jivkov, premier secrétaire du parti, a présenté un rapport dans lequel il condamnait sévèrement « le culte de la personnalité » de Staline et de Tchervenkov, chef du Gouvernement bulgare. Le rapport affirmait en outre que le culte de la personnalité entraînait des « violations de la légalité » et des « condamnations injustes » d'innocents. C'est ainsi que Kostov, ancien Secrétaire général du parti communiste bulgare, aurait été condamné sous de fausses accusations.

D'autres mesures ont suivi logiquement. Un certain nombre d'amis de Kostov ont été remis en liberté, notamment les anciens intellectuels et économistes les plus marquants du parti communiste, le professeur Ivan Stefanov, ancien ministre des Finances, et le professeur Petko Kunin, ancien ministre de l'Industrie. Tsoniu Tsontchev, ancien directeur de la banque nationale de Bulgarie et Ivan Maslarov et Dimitar Kochemidov, anciens membres du Comité central du parti communiste, ont été également remis en liberté. Le 14 avril, la réhabilitation de Kostov était officiellement annoncée. Tchervenkov démissionnait le 16 avril et Yogov, nommé Président du Conseil à l'unanimité, semble être aujourd'hui la personnalité principale de la nouvelle direction collective.

L'une des raisons de ce changement de personnel semble avoir été le désir, clairement exprimé par Moscou, de voir s'améliorer les relations entre la Yougoslavie et l'empire soviétique. En outre, ce changement tend prin- I cipalement à donner un caractère plus national à la nouvelle direction communiste. Tchervenkov était connu pour appliquer aveuglément les ordres de Moscou et avait vécu 20 ans en U. R. S. S., alors que Yugov a passé la majeure partie de sa vie en Bulgarie même, où il menait une activité de conspirateur.

Il ne faut pas s'exagérer l'importance de ces changements, qui répondent principalement à un souci de propagande. Les personnes qui sont à la tête du gouvernement se sont contentées de déplacer quelques postes. Leur politique est exactement la même. En dépit d'une certaine atténuation de la terreur, l'industrialisation et la collectivisation forcées sont poursuivies contre la volonté de la population et au détriment du niveau de vie.

6. ESTONIE, LETTONIE, LITHUANIE

Bien que les principes fondamentaux de l'assujettissement de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lithuanie à l'U. R. S. S. demeurent les mêmes, certains changements secondaires sont intervenus.

Dans le cadre des mesures de décentralisation applicables à toute l'Union Soviétique, certaines fonctions administratives autrefois exercées par Moscou ont été restituées aux trois nations captives. C'est ainsi que le Ministère soviétique de la Justice a été liquidé et que ses fonctions ont été transférées aux organes judiciaires des républiques, que l'administration des voies ferrées et navigables a été confiée aux organes locaux, que la direction de certains secteurs — viande, produits laitiers, papier, pêche, forêts, etc. — a été attribuée aux ministères des différentes républiques.

Cependant, lâ suppression du Ministère de la Justice n'entraîne aucune « démocratisation » du droit, puisque le ministère public et l'application des lois relèvent encore du Ministère de l'Intérieur où aucun changement n'a été introduit. De même, le développement des fonctions des organes locaux se trouve contrebalancé par le fait que, sauf quelques exceptions, toutes les positions-clés de l'administration, du parti, de l'industrie et de l'agriculture sont occupées par des Russes. L'exportation des produits indutsriels et autres à destination de la Russie soviétique et d'autres «républiquessoeurs » se poursuit selon les mêmes principes du colonialisme russe.

Les mesures de décentralisation sont fréquemment interprétées comme entrant dans le cadre de la campagne de « libéralisation ». Toutefois, des déclarations faites simultanément à Moscou révèlent leur but essentiel : obtenir de meilleurs résultats dans l'administration d'un territoire très étendu. Il est de notoriété publique que, dans la période stalinienne, l'excès de centralisation a occasionné de grandes pertes économiques. La fixation des principes généraux demeure invariablement, tout comme auparavant, une prérogative du pouvoir central.

Un autre changement réside dans l'atmosphère de crainte. Certains des excès de l'ère stalinienne ont été abolis bien que le régime actuel n'hésite pas à user de tous les moyens de terreur nécessaires pour maintenir la population sous sa coupe. Le système de terreur subsiste, intact et prêt à servir. En s'abstenant d'avoir recours aux pires mesures de terreur de Staline, le régime espère acquérir une réputation de respectabilité sur la scène internationale ét créer, à l'intérieur, des conditions psychologiques favorables à l'accroissement de la productivité.

En conséquence, le nombre des arrestations et déportations a diminué. Elles ont été remplacées par des méthodes plus subtiles, tendant à recruter la jeunesse en vue d'une migration « volontaire » vers la Sibérie ou les régions industrielles de la Russie soviétique. Un certain nombre de prisonniers politiques et de déportés ont été relâchés en vertu d'«amnisties», pour cause de maladie, ou parce qu'ils avaient purgé leur peine d'emprisonnement. Certaines personnes triées sur le volet ont été autorisées à visiter les pays étrangers en qualité de touristes. Là encore, le régime espère tirer profit | du fait que les « touristes » vanteront à leurs j hôtes occidentaux le mode de vie des nations baltes captives.

Il n'y a encore aucune amélioration dans les conditions de vie, qui n'offrent à l'ensemble de la population qu'une existence ! précaire. Toutefois, plusieurs changements ont été décidés et il reste à savoir si, dans l'ensemble, ils amélioreront le sort des individus ou permettront une exploitation encore plus intense de l'économie des Etats baltes en faveur de la Russie soviétique. Ces changements sont les suivants :

1. Les travailleurs des fermes collectives sont maintenant autorisés à adopter dans leurs kolkhozes de nouveaux statuts concernant la réduction de la superficie des terres cultivées à t i t re privé. On leur a également promis des prêts et des primes ainsi que le droit d'exprimer leur avis sur les projets relatifs aux semailles et à la moisson. Ces mesures sont destinées à stimuler la production agricole.
2. Une augmentation des pensions a été promise aux personnes âgées et aux infirmes. Les pensions antérieures étaient bien inférieures au minimum vital, même en se basant sur les normes communistes.
3. La durée du travail a été ramenée de 8 heures à 6 heures pour les samedis et veilles de fêtes. Mais, en même temps, on recommande aux travailleurs d'accomplir les normes de 8 heures en 6 heures.

Bien que ni le dogme anti-religieux, ni la propagande n'aient changé quant au fond, l'individu éprouve moins de crainte à assister aux services religieux. Bien entendu, en le faisant, il prend toujours le risque calculé de compromettre sa carrière.

L'étendue des crimes soviétiques dans les Etats baltes se trouve confirmée indirectement par certaines publications communistes, éditées conformément à la nouvelle politique « plus éclairée » suivie par Moscou. Par exemple, un article de la revue Komounist (n° 7) admet ouvertement que la Lithuanie compte actuellement 2.700.000 habitants, soit « 200.000 de moins qu'en 1940 ». É t a n t donné que des dizaines de milliers de Russes ont été transférés en Lithuanie, ces chiffres montrent jusqu'à quel point les nations lithuanienne, lettonienne et estonienne ont souffert, du point de vue démographique, de la terreur, des déportations et autres méthodes de géno- I cide soviétique.

Les Estons, les Lettons et les Lithuaniens savent trop bien que, malgré les soidisant mesures de détente, l'objectif ultime de Moscou demeure la suppression graduelle de leur caractère national et leur dispersion dans la grisaille des masses soviétiques.

7. ALBANIE

La soi-disant tendance libérale qui a suivi la déchéance de Staline n'a apporté aucun changement particulier dans la vie de l'Albanie soumise à la domination soviétique. Enver Hoxha continue à être le premier secrétaire du parti (communiste) des travailleurs, tandis que Shehu, qui personnifie la terreur en Albanie, est toujours premier ministre du gouvernement fantoche.

Chose curieuse, tous deux ont répugné, du moins en apparence, à se joindre à la déstalinisation. Lors du dernier Congrès du parti (communiste) des travailleurs, qui s'est tenu du 25 au 29 mai, les délégués ont observé une minute de silence à la mémoire de Staline et, dans son rapport, Enver Hoxha a employé des termes relativement modérés pour condamner son ancien maître et le culte de la personnalité. Ils se sont également trouvés en retard sur leurs collègues des autres gouvernements fantoches en ce qui concerne les réhabilitations posthumes. Tout en admettant qu'un certain nombre d'erreurs avaient été commises par les dirigeants du parti, Enver Hoxha s'est abstenu de réhabiliter Koci Xoxe, ancien ministre de l'Intérieur et homme puissant, pendu en 1949 en tant que partisan de Tito, et a même déclaré : « Les accusations formulées contre Koci Xoxe et ses collaborateurs sont fondées et sa condamnation par le parti et le gouvernement est entièrement justifiée. » E t a n t donné que la principale accusation formulée contre Xoxe était d'avoir uniquement servi les ambitions de Tito en Albanie, cette attitude a provoqué un vif mécontentement en Yougoslavie.

En ce qui concerne la terreur policière, malgré une loi d'amnistie autour de laquelle on a fait grand bruit et qui visait principalement les exilés, il n'existe pas le moindre signe qu'elle ait cessé ou même qu'elle se soit relâchée. Bien au contraire, dans les discours qu'ils ont prononcés lors du dernier Congrès, Shehu et Hoxha ont répété avec force que toute démarche dans ce sens se heurterait à des mesures de rétorsion impitoyables de la part du « gouvernement populaire ».

On ne constate aucune amélioration de la situation économique. Le niveau de vie de la population albanaise demeure excessivement bas et, cependant, aucun changement n'est intervenu dans la campagne de collectivisation qui est la cause essentielle de cette situation.

Chacun se demande pourquoi le processus de « destalinisation » et de « libéralisation » qui bat son plein dans les nations captives de même qu'en Russie soviétique ne s'est pas étendu à l'Albanie. Les uns pensent que le Kremlin a peur de relâcher la terreur policière en Albanie en raison du caractère belliqueux de la population et du fait que l'Albanie est située en bordure de l'empire soviétique, sans posséder aucune frontière commune avec l'Union soviétique ou avec les autres nations captives. D'autres estiment que la libéralisation entraîner a i t nécessairement la chute de Shehu et de Hoxha, tous deux anciens favoris de Staline, et que les maîtres soviétiques craignent que cela puisse créer des difficultés étant donné qu'il n'existe pas d'autres chefs communistes assez fidèles et d'assez grande envergure pour leur succéder. Enfin, d'aucuns pensent que Shehu et Hoxha résistent à la pression soviétique parce qu'un changement entraînerait une normalisation des relations avec Tito, qu'ils ont gravement offensé dans le passé et qui pourrait ainsi être tenté de se venger.

8. ROUMANIE

Les dirigeants communistes de Roumanie sont ceux qui répugnent le plus à prendre des mesures de libéralisation. Il n'y a eu aucun changement de personnel au sein du gouvernement ou du parti. Par exemple, alors qu'en Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie ou môme en Bulgaiùe, certains prisonniers politiques, y compris des chefs des partis démocratiques, ont été libérés, la situation en Roumanie est entièrement différente. Parmi les chefs des partis démocratiques, rares sont ceux qui sont en liberté. Les gens qui ont été arrêtés du jour au lendemain et sont depuis lors détenus sans jugement, ou même ceux qui ont purgé leur peine depuis longtemps, n'ont pas reparu et leur famille ignore complètement où ils se trouvent. Au contraire, même dans un cas aussi connu que celui de M. C. Titel-Petrescu, chef du parti socialiste indépendant (dont la libération a été largement diffusée par le Gouvernement communiste et qui est censé avoir signé une lettre « reconnaissant ses erreurs passées », lettre qui a été publiée et diffusée par les communistes), ni ses amis, ni apparemment sa femme ne l'ont encore revu.

Le marché est encore démuni des principaux biens de consommation. Les produits alimentaires et autres peuvent être obtenus au marché noir à des prix prohibitifs par rapport au salaire des travailleurs. L' Intelligentsia, « l'appareil du parti » et la « bureaucratie », qui perçoivent des salaires élevés et divers autres revenus, forment la clientèle exclusive pour les produits les plus chers que l'on trouve dans les coopératives. Le régime s'efforce de calmer les paysans en mettant une sourdine au slogan de la collectivisation. D'une part, il l'appelle maintenant « coopératisation », d'autre part, il permet aux paysans d'adhérer aux « formes inférieures » d'associations agricoles du type T. 0. Z. soviétique. L'objectif double et contradictoire de cette nouvelle tactique est d'inciter les paysans à entrer, sous n'importe quel prétexte, dans le « secteur socialisé » de l'agriculture et d'aider à accroître la production agricole d'Etat. Le parti roumain des travailleurs a publié le 28 juillet 1956 une nouvelle « Résolution sur la socialisation de l'agriculture ». Il poursuit ses efforts de compromis en développant la propriété privée du kolkhozniki (qui peut désormais posséder sa propre maison et d'autres bâtiments) et en admettant des koulaks dans le secteur socialisé. Mais la résolution souligne qu'il est important d'envoyer dans les villages toute la force de « l'appareil du parti » et de la « bureaucratie ».

Récemment, — c'est-à-dire après les événements de Poznan — le régime a également pris quelques mesures pour améliorer la condition des travailleurs. Ces mesures tendent à permettre aux travailleurs de changer d'emploi ou de lieu de travail, ou de refuser d'être déplacés d'un endroit à l'autre sans préavis. Mais, même dans le cadre de ces nouvelles mesures, le travailleur demeure entièrement soumis aux plans et aux ordres des organisations de la « main-d'oeuvre ». Les syndicats n'ont pas le droit de défendre les travailleurs, individuellement ou collectivement. Il y a lieu de noter également que le régime accroît sans cesse les normes de production et réduit les « salaires nominaux» afin d'augmenter les « salaires réels ». Cela ne fait que frustrer davantage la grande masse des travailleurs.

En ce qui concerne les intellectuels, la Roumanie occupée est également très en retard par rapport aux autres nations captives. Un congrès général des écrivains s'est tenu à la fin du mois de juin. Mais, auparavant, le régime avait décidé d'organiser une sorte de « répétition générale en costumes », en convoquant une réunion régionale des intellectuels et écrivains. Assistaient à cette réunion Gheorghiu-Dej, Miron Constantinescu, Raut, et d'autres hauts dignitaires du parti communiste. Un écrivain, Jar, a essayé de parler en faveur d'une libéralisation de la vie intellectuelle. Il a été expulsé du parti. A la suite de cette tentative, aucun des membres du grand congrès des écrivains n'a parlé en faveur de la libéralisation; au contraire, ce terme a été critiqué par les principaux orateurs, qui l'ont qualifié de « décadent » et de « réactionnaire ».

Dans le cadre général des contacts et des échanges entre l'Est et l'Ouest, il y a lieu de noter que la Roumanie occupée est actuellement le seul pays « satellite » qui n'ait pas de correspondant permanent de journaux occident a u x et qui n'autorise pas ses nationaux à recevoir des colis de médicaments de l'étranger.

8. Ce qui frappe dans tous ces changements, c'est leur caractère artificiel. La discussion de problèmes secondaires est autorisée dans certains « parlements » lorsqu'il y a des visiteurs étrangers dans le pays; des prisonniers sont relâchés, lorsque leur esprit et leur santé sont ébranlés ; d'autres sont réhabilités une fois morts ; dans les ministères, les fonctionnaires jouent au jeu des chaises musicales avec un cérémonial pompeux. Ces mesures ne résultent pas d'une évolution organique du communisme en tant que tel, ou d'un sens bienveillant de la justice des maîtres soviétiques; elles sont simplement imposées et coordonnées par Moscou toutes les fois et dans la mesure où Moscou le juge opportun. Le fait que la soi-disant libéralisation n'est qu'un artifice est amplement démontré par l'absence de cette libéralisation en Albanie et en Roumanie et par les changements purement fictifs intervenus en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie et en Lithuanie.

Une autre caractéristique de ces changements, c'est qu'ils se produisent principalement au sein du parti communiste. La réhabilitation ne vise que les communistes et la plupart des mesures de libéralisation sont prises en leur faveur. Il s'agit d'une affaire de famille — tapageuse, pleine d'excès et de règlements de compte — mais qui n'affecte guère les conditions de vie de la population. L'importance de ces changements mêmes diminue rapidement si on les considère dans le contexte des objectifs ultimes des Soviets, qui sont la communisation et la russification, et ils ne sauraient être import a n t s tant que l'ensemble du régime est aux mains du parti communiste, tant qu'aucune déviation du dogme communiste sacré n'est tolérée, et tant que ce gigantesque artifice de la « démocratie populaire » est sauvé de l'effondrement par la présence des armées russes et des forces de police.

9. Les causes du « dégel » remontent aux changements dynastiques, aux incertitudes et à la lutte pour le pouvoir à Moscou. Il en est forcément résulté une confusion au sein des régimes communistes fantoches des pays de l'Europe centrale et orientale, précisément parce que ces régimes dépendent entièrement de Moscou.

Un semblant de démocratisation en Europe centrale et orientale était nécessaire pour la mise en oeuvre du nouveau plan de Moscou, grâce auquel un empire soviétique régénéré et purifié se frayerait un chemin dans les pays non engagés du monde et s'infiltrerait dans les nations occidentales en renouant les liens avec la gauche. Se sentant vulnérables et peu sûrs dans leurs territoires occupés, les Soviets ont compris qu'une libéralisation de façade rehausserait le prestige des régimes fantoches aux yeux du monde et les stabiliserait. Ils se sont également rendu compte que la rigidité antérieure du régime pourrait conduire l'économie de ces pays au bord de la ruine et les sentiments des populations au point d'éruption. (Les événements de Poznan en fournissent un exemple.)pse and the feelings of the populations to the point of eruption. (Poznan is a case in point).

Dans les mesures adoptées par les dirigeants soviétiques dans les nations captives et qui consistent à remplacer la violence par la douceur, il n 'y a qu'un dessein à long terme qui témoigne d'une certaine imagination. Ils savent que la solution la plus sûre pour eux est de se concilier peu à peu les populations des pays d'Europe centrale et orientale et de créer ainsi une obéissance passive dans ce qui est actuellement une zone de troubles et d'hostilité. Ils n'ont pas perdu l'espoir d'y parvenir. Au contraire, étant des marxistes, ils croient dans le pouvoir transformateur du milieu et, malgré une série d'échecs, dans leur victoire finale sur l'esprit de la jeunesse. Étant des psychologues, rusés quoique bornés, ils comptent sur l'incapacité de l'homme à supporter indéfiniment une résistance et des sacrifices, ainsi que sur l'aspiration de l'homme à la sécurité. Ils escomptent qu'une grande désillusion des populations captives à l'égard de l'Occident créera un vide qui pourra être comblé par la résignation et la réconciliation.

10. Les événements qui se sont déroulés en Europe centrale et orientale depuis le x x e Congrès du parti montrent clairement que Moscou n'est pas disposé à tolérer la naissance d'un communisme véritablement national.

Le cas de Tito est, en fait, unique en son genre en raison du rôle qu'il a joué pendant la guerre, de la position géographique de la Yougoslavie et de l'absence de troupes soviétiques d'occupation dans ce pays. Ce cas ne peut être comparé à celui des autres pays placés sous la domination communiste.

La position particulière de Tito ne pourrait-elle devenir très utile à la stratégie soviétique? Etant donné le nouveau slogan « A chacun sa voie vers le socialisme », le rôle de Tito n'est-il pas de servir de trait d'union entre l'empire soviétique et les partis socialistes occidentaux auxquels on fait une cour ardente, d'une part, et les pays non engagés, d'autre part?

Les membres des gouvernements des nations captives ne sont ni en mesure ni désireux de participer à des expériences communistes nationales. Il est entièrement faux de les dépeindre, ainsi que l'ont fait certains observateurs occidentaux, comme un groupe de personnages importants s'efforçant sincèrement d'améliorer le sort de leur peuple dans le cadre du socialisme et d'acquérir une certaine indépendance à l'égard de Moscou. Il est même inexact de qualifier de « satellites » les nations qu'ils gouvernent, étant donné que seules les quelques personnes au pouvoir sont des « satellites »; le terme de «colonies» serait mieux approprié. Le rammassis de bureaucrates, d'administrateurs et de théoriciens, formés et élevés par Moscou, n'ont ni appui ni racine dans le peuple; ils sont non seulement étrangers aux traditions de leur pays, mais ennemis de la tradition même de l'humanisme — qui rend universelle la cause des nations captives.

11. Leur autocritique exacerbée ne les grandit pas. Une corruption qui est largement décrite dans les journaux officiels est toujours une corruption. Un régime qui avoue publiquement être un échec complet — ce qui, dans le cas de la Pologne, se traduit par une auto-flagellation masochiste — n'en est pas moins un échec complet. Dans les pays occidentaux, un tel aveu serait suivi de la démission du gouvernement. En Europe centrale et orientale, la volonté populaire, si elle pouvait s'exprimer, aboutirait au même résultat.

Dans les conditions actuelles, les chances que la volonté populaire des nations captives puisse faire réentendre sa voix ou même avoir une influence minime sur les décisions du gouvernement grâce à un parlement plus représentatif ou à l'élection au scrutin secret des responsables subalternes, tout au moins, sont illusoires. L'attitude de la clique dirigeante à cet égard trouve sa meilleure expression dans une déclaration du secrétaire du parti communiste tchécoslovaque Koehler. Celui-ci a récemment déclaré à propos des amendements proposés aux statuts du parti : « En raison de la composition et de la situation du parti, il est impossible d'accepter la proposition selon laquelle les organes du parti devraient être élus au scrutin secret. Dans de nombreuses organisations, on pourrait abuser du scrutin secret pour imposer l'élection aux comités du parti de candidats qui n'offriraient aucune garantie d'agir conformément à la ligne du parti. »

9. CONCLUSIONS

12. La conception fataliste, chère à certains occidentaux, selon laquelle le statu quo en Europe centrale et orientale serait définitif, est illogique si l'on considère les antécédents et la composition de ces régimes. Il n'y a rien de définitif dans la corruption et l'exploitation imposées de l'extérieur et maintenues par la présence de troupes étrangères. Cette conception, qui se veut représentative du réalisme historique, ne tient aucun compte de l'histoire des nations captives, qui révèle une poussée inexorable vers la liberté. Elle n'est pas seulement amorale, mais, si elle était acceptée comme un principe de la politique occidentale, se révélerait désastreuse sur le plan pratique. La pression constante d'un bloc oriental consolidé entraînerait de grandes difficultés pour celles des nations européennes qui sont encore libres.

La situation actuelle de l'Europe centrale et orientale offre des possibilités de politique concrète pour l'Occident. Le monde communiste est en proie à des confusions et des dissensions. Les puissances occidentales ont affirmé à plusieurs reprises dans le passé que la paix ne pourrait être définitivement assurée sans le retour des pays de l'Est à une complète indépendance, établie par des élections libres sous contrôle international. L'heure paraît venue pour les Occidentaux d'insister, dans leurs conversations avec les Russes, sur cette revendication essentielle. Cette politique aurait le presdouble avantage de soutenir les peuples opprimés dans leur lutte pour la liberté et de réduire les Soviets à la défensive.

13. Le problème des échanges entre l'Est et l'Ouest mérite de retenir particulièrement l'attention.

Il est conforme à la tradition occidentale d'encourager et de favoriser toutes les formes de contacts et d'échanges entre les peuples. Le rideau de fer n'est pas une création de l'Occident, qui n'a jamais rien eu à craindre de la diffusion de ses idées. Nous avons, au contraire, tout à gagner à ce que les peuples de l ' E s t puissent être renseignés sur notre mode de vie, notre forme de gouvernement, notre culture et nos véritables intentions concernant les problèmes mondiaux.

Un autre aspect positif des échanges Est-Ouest est qu'ils permettent, de temps à autre, aux peuples opprimés de manifester leur fidélité à l'Occident, ainsi qu'en témoigne l'accueil — qui équivaut à une manifestation politique — réservé aux troupes théâtrales françaises et américaines.

En revanche, nous devons admettre que ces échanges peuvent donner aux peuples captifs l'impression qu'un accommodement est en passe d'intervenir. Sachant combien il importe pour eux d'avoir l'assurance qu'on ne les oublie pas et que la lutte pour leur liberté se poursuit, nous ne pouvons permettre aux Russes d'organiser tous ces échanges à leurs propres conditions. A l'heure actuelle, ces échanges s'effectuent en fait aux conditions soviétiques, contrairement aux propositions formulées par les puissances occidentales lors de la Conférence des ministres des Affaires Etrangères à Genève. Il ne faut donc pas s'étonner que, lors d'un discours prononcé à Stalino, en Ukraine, Khrouchtchev ait pu se vanter de ce que « le flot des délégations qui viennent dans ce pays témoigne de son autorité grandissante à l'étranger ». A la lumière de cette déclaration, il est manifeste que les échanges Est-Ouest tels qu'ils s'effectuent actuellement sont beaucoup plus avantageux pour les communistes que pour les Occidentaux. Pour redresser cette situation, les puissances occidentales devraient insister sur l'exécution des propositions de Genève tendant à la libre circulation des personnes, des idées et des informations.

14. La seule solution pour l'Occident et pour les nations captives réside toujours dans une libération pacifique. L'Occident devrait maintenir sa pression jusqu'à ce qu'il soit mis fin à la division artificielle et dangereuse de l'Europe, et tirer parti de tous les moyens pacifiques pour rétablir l'unité essentielle de l'Europe. Il suivrait ainsi une politique de sagesse conforme à ses intérêts bien compris.

La division actuelle de l'Europe défie toute tentative de stabilisation. L'Europe occidentale doit, ou bien réussir à rétablir l'unité du continent, ou bien courir le risque d'être finalement engloutie par l'empire soviétique.

En ajoutant foi à la soi-disant libéralisation des régimes de l'Europe orientale et en espérant les voir échapper peu à peu à la dépendance des Soviets sans intervention de sa part, l'Occident ne réduirait pas, mais ne ferait qu'accentuer la division de l'Europe. Il se résignerait à l'inaction et donnerait ainsi aux Soviets le temps de consolider leur emprise sur les nations captives et d'en faire des tremplins sûrs pour de futures entreprises d'expansion.

Une libéralisation véritable ne peut provenir que d'une pression exercée à la fois par les peuples captifs et les nations occidentales.

Pour que la pression populaire devienne effective, il faut entretenir l'esprit de résistance des peuples captifs. Cet esprit ne saurait être entretenu, mais seulement affaibli, par le resserrement des relations entre les gouvernements occidentaux et les gouvernements satellites — fondé sur l'hypothèse trompeuse qu'une telle politique favoriserait la libéralisation et l'indépendance envers Moscou.

15. Du fait d'une série de déceptions récentes, allant des conférences de Genève à l'absence d'intervention de l'Occident aux Nations Unies ou ailleurs, après les événements de Poznan, les manifestations d'espoir ou de sympathie, ou même les déclarations relatives à une libération pacifique, ne parviennent plus à soutenir le moral des peuples d'au-delà du rideau de fer. Les mots seuls ont de moins en moins de poids, d'autant que la propagande communiste destinée à la consommation intérieure exploite habilement le développement des échanges de visites entre l'Est et l'Ouest pour démontrer que l'Occident a cessé de considérer ses relations avec le monde communiste sous l'aspect d'une lutte pour la liberté et s'est résigné à la coexistence.

Les assurances selon lesquelles la liberté et l'indépendance des nations captives demeurent les objectifs de la politique occidentale auraient plus de poids si elles s'accompagnaient d'une action politique. Il se pourrait que le moment d'entreprendre une telle action fût proche. Ainsi qu'en témoignent les événements qui se sont produits en Pologne et dans d'autres nations captives, les Soviets et leurs fantoches rencontrent actuellement de graves difficultés politiques et économiques. Ils pourraient être contraints, en définitive, de consentir d'importantes concessions politiques.

16. Les deux termes de l'alternative ne sont pas, d'une part, la coexistence, qui signifie résignation et passivité — négation môme de l'action politique — et, d'autre part, la guerre — qui marque l'échec de l'action politique. C'est précisément entre ces deux extrêmes que s'étend le vaste domaine de l'initiative politique. L'opinion publique du monde libre devrait être mobilisée à l'appui d'une offensive politique résolue pour la paix par la liberté. Les puissances occidentales devraient profiter de toutes les conférences internationales pour insister sur la liberté et l'indépendance de toutes les nations européennes et faire de la solution de ce problème une condition d'un règlement avec l'Union Soviétique. Nous devrions évoquer en toutes occasions devant les Nations Unies la question des agressions soviétiques, du colonialisme soviétique et des violations soviétiques des accords internationaux garantissant solennellement la liberté et l'indépendance aux nations captives. De telles forces de liberté pourraient alors se déclencher, à l'intérieur et au dehors de l'empire soviétique, que les dirigeants soviétiques pourraient finir par céder, dans leur propre intérêt.