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Résolution 2076 (2015)
Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique
1. L’Assemblée parlementaire constate
que le fait religieux connaît un regain d’importance dans les sociétés
européennes. Une pluralité de croyances et d’Eglises se développe
en Europe à côté des religions qui ont marqué par leur influence
l’histoire de notre continent. L’Assemblée constate avec grand regret
et inquiétude que cela continue de susciter des tensions, de l’incompréhension
et de la méfiance, voire des attitudes xénophobes, des extrémismes,
des discours de haine et la violence la plus abjecte. Il faut briser
ce cercle vicieux.
2. La liberté de pensée, de conscience et de religion est un
droit de l’homme bien établi, universel et inviolable, consacré
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans des
traités internationaux aux niveaux mondial et régional, et dans
des constitutions nationales.
3. Les Eglises et les organisations religieuses font partie intégrante
de la société civile et doivent prendre part, avec les organisations
de conviction laïque, à la vie de la société. Les autorités nationales
devraient mieux tenir compte du potentiel des communautés religieuses
à œuvrer en faveur du dialogue, de la reconnaissance mutuelle et
de la solidarité. De leur côté, ces communautés ont une responsabilité
essentielle, qu’elles se doivent d’assumer pleinement, dans la promotion
des valeurs et des principes communs qui fondent le «vivre ensemble»
dans nos sociétés démocratiques.
4. Ces valeurs et ces principes, qui ne sont pas négociables,
consistent essentiellement dans le respect profond de la dignité
humaine et des droits fondamentaux protégés par nos constitutions
démocratiques et par la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) et ses protocoles additionnels,
ainsi que dans le respect des principes démocratiques et de l’Etat
de droit, y compris le respect du principe de non-discrimination entre
les différents groupes qui composent nos sociétés plurielles.
5. L’appartenance religieuse est, pour beaucoup de citoyens européens,
un élément essentiel de leur identité. Cette appartenance s’exprime
aussi par le culte et le respect des pratiques religieuses. La liberté
de vivre en conformité avec ces pratiques est une composante du
droit à la liberté de religion garanti par l’article 9 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Ce droit cohabite avec les droits
fondamentaux d’autrui et avec le droit pour tous d’évoluer dans
un espace de socialisation facilitant la vie ensemble. Cela peut
justifier l’introduction de restrictions à certaines pratiques religieuses;
néanmoins, conformément à l’article 9.2 de la Convention européenne
des droits de l’homme, le droit à la liberté de religion ne peut
faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par
la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé
ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui. Il importe également que les Etats parties à la Convention
s’appliquent à trouver un juste équilibre entre les intérêts contradictoires
qui découlent de l’exercice de la liberté de pensée, de conscience
et de religion, et les autres droits de l’homme et libertés fondamentales,
comme le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit
à la liberté d’expression et l’interdiction de la discrimination.
6. Par ailleurs, l’Assemblée considère que le principe de laïcité
ne demande pas l’effacement du phénomène religieux de l’espace social;
bien au contraire, ce principe, correctement entendu et mis en œuvre, protège
la possibilité pour les différentes convictions, religieuses et
non religieuses, de coexister pacifiquement dans le respect de la
part de tous des valeurs et des principes communs.
7. Les législateurs et les gouvernements doivent tenir compte
du fait que des choix politiques au titre de la «neutralité de l’Etat»
peuvent provoquer, en réalité, des discriminations déguisées à l’encontre
des religions minoritaires, ce qui est incompatible avec le droit
à la liberté de religion ainsi qu’avec le principe de laïcité. Pire, ces
choix peuvent engendrer chez les membres des communautés concernées
le sentiment qu’ils ne sont pas considérés comme étant membres à
part entière de la communauté nationale. Toutefois, les groupes
religieux doivent être conscients du fait qu’aucune conviction ou
pratique religieuse qui porte atteinte aux droits de l’homme n’est
acceptable.
8. Certaines pratiques religieuses prêtent à controverse au sein
des communautés nationales. Quoique de manière différente, les cas
du voile intégral, de la circoncision des jeunes garçons et de l’abattage
rituel constituent des points de fracture; l’Assemblée est consciente
du fait qu’il n’existe aucun consensus entre les Etats membres du
Conseil de l’Europe sur ces questions. D’autres pratiques religieuses
peuvent aussi provoquer des tensions, par exemple sur les lieux
de travail. A cet égard, tout en sachant que les Etats parties à
la Convention européenne des droits de l’homme jouissent d’une marge
d’appréciation étendue dans ce domaine, l’Assemblée invite ces derniers
à rechercher des «aménagements raisonnables» visant à garantir une
égalité effective, et non seulement formelle, en matière de droit
à la liberté de religion. Les Etats doivent veiller à ce que leur
neutralité reste inclusive et ouverte à la diversité.
9. Concernant la circoncision des jeunes garçons, l’Assemblée
rappelle sa Résolution
1952 (2013) sur le droit des enfants à l’intégrité physique et,
dans un souci de protection des droits des enfants que sans doute les
communautés juives et musulmanes partagent, recommande aux Etats
membres de prévoir que la circoncision rituelle des enfants ne soit
pas autorisée à moins d’être pratiquée par une personne ayant la formation
et le savoir-faire requis, dans des conditions médicales et sanitaires
adéquates. Par ailleurs, les parents doivent être dûment informés
de tout risque médical potentiel ou de possibles contre-indications
et les prendre en compte lorsqu’ils décident de ce qui est préférable
pour leur enfant, en gardant à l’esprit que l’intérêt de l’enfant
doit être considéré comme étant la priorité première.
10. Concernant l’abattage rituel, l’Assemblée n’est pas convaincue
qu’une législation interdisant cette pratique soit réellement nécessaire,
ni qu’elle soit le moyen le plus efficace pour assurer la protection
des animaux; des législations qui imposent des exigences strictes,
comme en France ou en Allemagne, réconcilient de manière équilibrée
le souci légitime d’éviter aux animaux des souffrances injustifiées
et le respect du droit à la liberté de religion. L’Assemblée note
que la Convention européenne sur la protection des animaux d'abattage
(STE no 102) et le Règlement (CE) no 1099/2009
du Conseil de l’Union européenne sur la protection des animaux au
moment de leur mise à mort n’interdisent pas l’abattage rituel.
11. L’Assemblée est convaincue que l’éducation est la clé pour
combattre l’ignorance, briser les stéréotypes, bâtir la confiance
et le respect mutuel, et promouvoir l’adhésion sincère aux valeurs
communes du vivre ensemble. A cet égard, l’Assemblée est consciente
du fait que de nombreux facteurs influencent la formation de la
personnalité des individus. Les familles et les médias, ainsi que
les communautés culturelles et religieuses elles-mêmes, devraient
soutenir le développement d’individus dotés d’une ouverture d’esprit
et d’un d’esprit critique, et capables d’avoir un dialogue constructif
avec les autres. Il est essentiel de lutter contre l’intolérance
sur le web. L’école devrait être aussi un forum de rencontre et
de dialogue constructif entre individus de convictions religieuses
ou laïques différentes.
12. En rappelant sa Recommandation
1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, l’Assemblée
rappelle aux Etats leur obligation de veiller à ce que toutes les
communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales
communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés garantissant
l’exercice de la liberté de religion. Selon l’Assemblée, les Etats
membres et les communautés religieuses devraient œuvrer ensemble,
afin de favoriser la rencontre, le dialogue et le respect mutuel:
il n’y a pas de voies plus efficaces pour lutter efficacement contre
tout fanatisme et tout extrémisme, religieux ou antireligieux.
13. Dans ce contexte, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
13.1. de veiller à ce que les communautés
religieuses et leurs membres puissent exercer le droit à la liberté
de religion sans entraves et sans discrimination, conformément à
l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, et
d’assurer, entre autres, que les communautés religieuses et leurs membres
puissent, dans le respect de la loi:
13.1.1. pratiquer leur
foi publiquement et librement dans des lieux de culte qu’ils auront
eux-mêmes désignés à cette fin ou dans d’autres lieux accessibles
au grand public, selon leurs propres rites et coutumes;
13.1.2. gérer des institutions sociales (hôpitaux, ateliers de
travail pour personnes handicapées, foyers de personnes âgées, jardins
d’enfants, etc.) et des écoles et lieux d’instruction;
13.1.3. faire connaître leur opinion au grand public sans être
soumis à la censure et exercer le droit à la liberté d'expression,
à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’utiliser les
médias;
13.2. de favoriser l’intégration sociale des minorités religieuses
et de traiter en amont les inégalités sociales, économiques et politiques
dont ces minorités sont frappées, et de résister à leur marginalisation
et aux incitations à la haine dont elles sont la cible;
13.3. de mettre en œuvre une «laïcité de reconnaissance» et
de valoriser les organisations religieuses en tant que partenaires
pour le développement de sociétés inclusives et solidaires, dans
le respect du principe d’indépendance du politique par rapport au
fait religieux et de la prééminence du droit; dans ce contexte:
13.3.1. de développer des projets collaboratifs avec les communautés
religieuses pour promouvoir les valeurs communes et le «vivre ensemble»,
et les associer dans la lutte contre tous les extrémismes et fanatismes;
13.3.2. d’encourager les projets développés en commun par plusieurs
communautés, y compris avec les associations non religieuses, dans
le but de consolider les liens sociaux à travers, par exemple, la
promotion d’une solidarité intercommunautaire, l’attention à l’égard
des personnes les plus vulnérables et la lutte contre les discriminations;
13.3.3. de veiller à ce que les médias de service public s’opposent
fermement à toute forme d’intolérance et de discrimination fondée
sur la religion ou les croyances, et à ce qu’ils contribuent non
seulement à lutter contre les préjugés, mais aussi à défendre la
vision d’une société démocratique plurielle, interculturelle et
inclusive;
13.4. de promouvoir dans le cadre scolaire et/ou périscolaire
des occasions de rencontre et de dialogue entre personnes de convictions
différentes, afin qu’elles puissent apprendre à exprimer leur identité
religieuse sans crainte, mais aussi sans provocation ni prévarication
des autres, et qu’elles puissent à la fois s’ouvrir à d’autres visions
du monde et apprendre à les respecter même si elles-mêmes ne les
partagent pas; dans ce contexte, de collaborer avec les communautés
religieuses afin que l’enseignement du fait religieux devienne une
opportunité d’écoute réciproque et de développement de l’esprit
critique, y compris au sein des communautés religieuses elles-mêmes.