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Résolution 2217 (2018)
Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
ses Résolutions 2133
(2016) sur les recours juridiques contre les violations
des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se
trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes et 2132 (2016)
sur les conséquences politiques de l’agression russe en Ukraine,
ainsi que sa Résolution 2198
(2018) et sa Recommandation 2119
(2018) sur les conséquences humanitaires de la guerre
en Ukraine, qui concernent les opérations militaires menées dans
ce pays. Elle rappelle également sa Résolution 2190 (2017) «Poursuivre
et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide
commis par Daech».
2. L’Assemblée rappelle ses précédents textes relatifs à la cybercriminalité,
notamment la Recommandation 2077
(2015) «Accroître la coopération contre le cyberterrorisme
et d’autres attaques de grande ampleur sur internet», la Résolution 1986 (2014) «Améliorer
la protection et la sécurité des utilisateurs dans le cyberespace»
et la Résolution 1565
(2007) «Comment prévenir la cybercriminalité dirigée
contre les institutions publiques des États membres et observateurs?».
Les orientations politiques qu’elles contiennent sont des instruments
importants qui peuvent être utiles pour la prévention des conséquences
des guerres hybrides.
3. L’Assemblée constate avec inquiétude que les États sont désormais
de plus en plus souvent confrontés au phénomène de «guerre hybride»,
qui représente un nouveau type de menace fondée sur la combinaison de
moyens militaires et non militaires, notamment des cyberattaques;
des campagnes de désinformation massive, y compris sous forme de
fausses nouvelles, lancées notamment sur les médias sociaux; l’ingérence dans
les processus électoraux; la perturbation des communications et
d’autres réseaux; et bien d’autres encore. Les cyberattaques sont
particulièrement dangereuses, car elles peuvent frapper les infrastructures stratégiques
d’un pays comme l’approvisionnement énergétique, le système de contrôle
du trafic aérien ou les centrales nucléaires. Une guerre hybride
peut donc déstabiliser et saper l’ensemble d’une société, et causer de
nombreuses victimes. Face au recours généralisé à ces nouvelles
tactiques, surtout lorsqu’elles sont combinées, il y a lieu de se
préoccuper de la pertinence des outils législatifs existants.
4. L’Assemblée exprime aussi sa vive inquiétude au vu des nombreux
cas de campagnes massives de désinformation visant à nuire à la
sécurité, à l’ordre public et aux processus démocratiques pacifiques.
Il est vital de développer des outils pour protéger la démocratie
contre les «armes de l’information», tout en préservant la liberté
d’expression et la liberté des médias dans le pays attaqué.
5. L’Assemblée note qu’il n’existe pas de définition universellement
acceptée de la «guerre hybride» et qu’il n’y a pas de «droit de
la guerre hybride». Cependant, il est communément admis que la principale caractéristique
de ce phénomène est son «asymétrie juridique», car les adversaires
hybrides, en règle générale, nient leur responsabilité dans les
opérations hybrides et essaient d’échapper aux conséquences juridiques
de leurs actes. Ils exploitent les lacunes du droit et la complexité
de la législation, agissent par-delà les frontières législatives
et dans les espaces sous-réglementés, exploitent les seuils légaux,
sont prêts à commettre de graves violations de la loi, et créent
de la confusion et de l’ambiguïté pour masquer leurs actions.
6. Malgré la complexité de la guerre hybride, l’Assemblée souligne
que les adversaires hybrides n’opèrent pas dans un vide juridique
et que leurs actions sont soumises aux normes pertinentes du droit
international et du droit interne, notamment le droit international
relatif aux droits de l’homme, même si la question de l’attribution
de la paternité de ces actes, et donc de la responsabilité de leurs
auteurs, peut soulever des difficultés. Si, dans le cadre d’une
guerre hybride, un État recourt à la force contre un autre État,
ce dernier est autorisé à invoquer le droit de légitime défense
découlant de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et les normes
du droit international humanitaire s’appliqueront. Or, dans la pratique,
les adversaires hybrides évitent de faire un usage manifeste de
la force qui atteindrait le seuil requis pour déclencher l’application
des normes précitées, ce qui crée une zone grise du droit.
7. L’Assemblée note que, lorsqu’un adversaire hybride s’abstient
d’utiliser des moyens militaires, ses actes devraient être examinés
à la lumière du droit pénal interne et, si nécessaire et selon la
situation, des instruments juridiques internationaux pertinents
couvrant des domaines d’action particuliers (tels que le droit de
la mer ou les normes relatives à la lutte contre la cybercriminalité,
le terrorisme, le discours de haine ou le blanchiment d’argent).
8. L’Assemblée rappelle que, en contrant la guerre hybride, les
États sont tenus de respecter le droit relatif aux droits de l’homme.
Elle s’inquiète du fait que certains États membres du Conseil de
l’Europe ont déjà pris des mesures (telles que des condamnations
pénales pour des déclarations en ligne, des mesures de surveillance,
le blocage de sites ou des expulsions d’étrangers) qui soulèvent
des questions relatives au respect des droits de l’homme, notamment
la liberté d’expression, qui comporte le droit à l’information,
le droit au respect de la vie privée ou le droit à la liberté de
circulation.
9. L’Assemblée rappelle également que l’article 15 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») autorise les États parties à déroger à certaines
obligations «en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant
la vie de la nation», mais que toute dérogation aux droits qui y
sont consacrés doit être effectuée dans le respect de certaines
exigences de fond et de procédure. Pour contrer les menaces de guerre
hybride, les États parties à la Convention peuvent également invoquer
le but légitime de la sécurité nationale, qui permet de restreindre
certains droits: le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8),
la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association
(article 11), la liberté de circulation (article 2.3 du Protocole
no 4 à la Convention (STE no 46)),
ainsi que les garanties procédurales prévues en cas d’expulsion
de ressortissants étrangers (article 1.2 du Protocole no 7
à la Convention (STE no 117)). Toute
restriction à ces droits doit être «prévue par la loi», «nécessaire
dans une société démocratique» et proportionnée. L’expérience acquise
par les États dans le domaine de la lutte contre le terrorisme peut
être une source d’information utile pour déterminer les limites
imposées par le droit international aux mesures visant à contrer
les menaces de guerre hybride.
10. Par conséquent, l’Assemblée invite les États membres:
10.1. à s’abstenir de recourir à la
guerre hybride dans les relations internationales et à respecter pleinement
les dispositions du droit international, en particulier les principes
de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’inviolabilité des
frontières, conformément à leur objet et à leur but, en n’exploitant
pas abusivement les lacunes ou les ambiguïtés perçues;
10.2. à intensifier la coopération internationale afin d’identifier
les adversaires hybrides et tous les types de menaces de guerre
hybride, et d’établir un cadre juridique applicable;
10.3. à maintenir les échanges d’informations relatifs aux agressions
hybrides en Europe et à mettre en commun les expériences et bonnes
pratiques en matière de lutte contre les menaces hybrides;
10.4. à prendre des mesures pour mieux sensibiliser l’opinion
publique aux menaces de guerre hybride et à renforcer sa capacité
à réagir rapidement à de telles menaces;
10.5. à mettre en œuvre la Convention du Conseil de l’Europe
sur la cybercriminalité (STE no 185),
à la signer et à la ratifier, si ce n’est pas déjà fait, et à promouvoir
sa ratification par les États non membres.
11. L’Assemblée se félicite des mesures prises par l’Union européenne
et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour contrer
les menaces de guerre hybride et établir une coopération dans ce domaine.
Elle appelle également tous les États membres du Conseil de l’Europe
qui sont membres de l’Union européenne et de l’OTAN à partager leurs
meilleures pratiques en matière de lutte contre la guerre hybride avec
les autres États membres susceptibles d’être touchés par ce phénomène.
12. En ce qui concerne les mesures visant à lutter contre la guerre
hybride, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits
de l’homme et la lutte contre le terrorisme. Elle demande aux États membres
de veiller à ce que ces mesures respectent les obligations nées
de la Convention européenne des droits de l’homme, conformément
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
S’agissant, en particulier, des droits soumis à des restrictions
au titre de la Convention, toute limitation doit être prévue par la
loi, proportionnée au but légitime poursuivi (par exemple la sécurité
nationale) et «nécessaire dans une société démocratique».