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Résolution 2217 (2018)

Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 2018 (17e séance) (voir Doc. 14523, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Boriss Cilevičs; et Doc. 14536, avis de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteur: M. Volodymyr Ariev). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 2018 (17e séance).Voir également Recommandation 2130 (2018).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle ses Résolutions 2133 (2016) sur les recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes et 2132 (2016) sur les conséquences politiques de l’agression russe en Ukraine, ainsi que sa Résolution 2198 (2018) et sa Recommandation 2119 (2018) sur les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine, qui concernent les opérations militaires menées dans ce pays. Elle rappelle également sa Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech».
2. L’Assemblée rappelle ses précédents textes relatifs à la cybercriminalité, notamment la Recommandation 2077 (2015) «Accroître la coopération contre le cyberterrorisme et d’autres attaques de grande ampleur sur internet», la Résolution 1986 (2014) «Améliorer la protection et la sécurité des utilisateurs dans le cyberespace» et la Résolution 1565 (2007) «Comment prévenir la cybercriminalité dirigée contre les institutions publiques des États membres et observateurs?». Les orientations politiques qu’elles contiennent sont des instruments importants qui peuvent être utiles pour la prévention des conséquences des guerres hybrides.
3. L’Assemblée constate avec inquiétude que les États sont désormais de plus en plus souvent confrontés au phénomène de «guerre hybride», qui représente un nouveau type de menace fondée sur la combinaison de moyens militaires et non militaires, notamment des cyberattaques; des campagnes de désinformation massive, y compris sous forme de fausses nouvelles, lancées notamment sur les médias sociaux; l’ingérence dans les processus électoraux; la perturbation des communications et d’autres réseaux; et bien d’autres encore. Les cyberattaques sont particulièrement dangereuses, car elles peuvent frapper les infrastructures stratégiques d’un pays comme l’approvisionnement énergétique, le système de contrôle du trafic aérien ou les centrales nucléaires. Une guerre hybride peut donc déstabiliser et saper l’ensemble d’une société, et causer de nombreuses victimes. Face au recours généralisé à ces nouvelles tactiques, surtout lorsqu’elles sont combinées, il y a lieu de se préoccuper de la pertinence des outils législatifs existants.
4. L’Assemblée exprime aussi sa vive inquiétude au vu des nombreux cas de campagnes massives de désinformation visant à nuire à la sécurité, à l’ordre public et aux processus démocratiques pacifiques. Il est vital de développer des outils pour protéger la démocratie contre les «armes de l’information», tout en préservant la liberté d’expression et la liberté des médias dans le pays attaqué.
5. L’Assemblée note qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée de la «guerre hybride» et qu’il n’y a pas de «droit de la guerre hybride». Cependant, il est communément admis que la principale caractéristique de ce phénomène est son «asymétrie juridique», car les adversaires hybrides, en règle générale, nient leur responsabilité dans les opérations hybrides et essaient d’échapper aux conséquences juridiques de leurs actes. Ils exploitent les lacunes du droit et la complexité de la législation, agissent par-delà les frontières législatives et dans les espaces sous-réglementés, exploitent les seuils légaux, sont prêts à commettre de graves violations de la loi, et créent de la confusion et de l’ambiguïté pour masquer leurs actions.
6. Malgré la complexité de la guerre hybride, l’Assemblée souligne que les adversaires hybrides n’opèrent pas dans un vide juridique et que leurs actions sont soumises aux normes pertinentes du droit international et du droit interne, notamment le droit international relatif aux droits de l’homme, même si la question de l’attribution de la paternité de ces actes, et donc de la responsabilité de leurs auteurs, peut soulever des difficultés. Si, dans le cadre d’une guerre hybride, un État recourt à la force contre un autre État, ce dernier est autorisé à invoquer le droit de légitime défense découlant de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et les normes du droit international humanitaire s’appliqueront. Or, dans la pratique, les adversaires hybrides évitent de faire un usage manifeste de la force qui atteindrait le seuil requis pour déclencher l’application des normes précitées, ce qui crée une zone grise du droit.
7. L’Assemblée note que, lorsqu’un adversaire hybride s’abstient d’utiliser des moyens militaires, ses actes devraient être examinés à la lumière du droit pénal interne et, si nécessaire et selon la situation, des instruments juridiques internationaux pertinents couvrant des domaines d’action particuliers (tels que le droit de la mer ou les normes relatives à la lutte contre la cybercriminalité, le terrorisme, le discours de haine ou le blanchiment d’argent).
8. L’Assemblée rappelle que, en contrant la guerre hybride, les États sont tenus de respecter le droit relatif aux droits de l’homme. Elle s’inquiète du fait que certains États membres du Conseil de l’Europe ont déjà pris des mesures (telles que des condamnations pénales pour des déclarations en ligne, des mesures de surveillance, le blocage de sites ou des expulsions d’étrangers) qui soulèvent des questions relatives au respect des droits de l’homme, notamment la liberté d’expression, qui comporte le droit à l’information, le droit au respect de la vie privée ou le droit à la liberté de circulation.
9. L’Assemblée rappelle également que l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») autorise les États parties à déroger à certaines obligations «en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation», mais que toute dérogation aux droits qui y sont consacrés doit être effectuée dans le respect de certaines exigences de fond et de procédure. Pour contrer les menaces de guerre hybride, les États parties à la Convention peuvent également invoquer le but légitime de la sécurité nationale, qui permet de restreindre certains droits: le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association (article 11), la liberté de circulation (article 2.3 du Protocole no 4 à la Convention (STE no 46)), ainsi que les garanties procédurales prévues en cas d’expulsion de ressortissants étrangers (article 1.2 du Protocole no 7 à la Convention (STE no 117)). Toute restriction à ces droits doit être «prévue par la loi», «nécessaire dans une société démocratique» et proportionnée. L’expérience acquise par les États dans le domaine de la lutte contre le terrorisme peut être une source d’information utile pour déterminer les limites imposées par le droit international aux mesures visant à contrer les menaces de guerre hybride.
10. Par conséquent, l’Assemblée invite les États membres:
10.1. à s’abstenir de recourir à la guerre hybride dans les relations internationales et à respecter pleinement les dispositions du droit international, en particulier les principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’inviolabilité des frontières, conformément à leur objet et à leur but, en n’exploitant pas abusivement les lacunes ou les ambiguïtés perçues;
10.2. à intensifier la coopération internationale afin d’identifier les adversaires hybrides et tous les types de menaces de guerre hybride, et d’établir un cadre juridique applicable;
10.3. à maintenir les échanges d’informations relatifs aux agressions hybrides en Europe et à mettre en commun les expériences et bonnes pratiques en matière de lutte contre les menaces hybrides;
10.4. à prendre des mesures pour mieux sensibiliser l’opinion publique aux menaces de guerre hybride et à renforcer sa capacité à réagir rapidement à de telles menaces;
10.5. à mettre en œuvre la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE no 185), à la signer et à la ratifier, si ce n’est pas déjà fait, et à promouvoir sa ratification par les États non membres.
11. L’Assemblée se félicite des mesures prises par l’Union européenne et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour contrer les menaces de guerre hybride et établir une coopération dans ce domaine. Elle appelle également tous les États membres du Conseil de l’Europe qui sont membres de l’Union européenne et de l’OTAN à partager leurs meilleures pratiques en matière de lutte contre la guerre hybride avec les autres États membres susceptibles d’être touchés par ce phénomène.
12. En ce qui concerne les mesures visant à lutter contre la guerre hybride, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme. Elle demande aux États membres de veiller à ce que ces mesures respectent les obligations nées de la Convention européenne des droits de l’homme, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. S’agissant, en particulier, des droits soumis à des restrictions au titre de la Convention, toute limitation doit être prévue par la loi, proportionnée au but légitime poursuivi (par exemple la sécurité nationale) et «nécessaire dans une société démocratique».