Rapport | Doc. 11303 | 11 juin 2007
L’engagement des Etats membres du Conseil de l’Europe à promouvoir au niveau international un moratoire sur la peine de mort
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Résumé
La commission des questions juridiques et des droits de l’homme réaffirme sa forte opposition à la peine de mort en toutes circonstances. Elle est fière de contribuer activement à faire des Etats membres du Conseil de l’Europe une zone de facto sans peine de mort. Elle note avec satisfaction que la peine de mort recule dans le monde: le nombre d’exécutions et de condamnations à mort a en effet baissé de 25 % entre 2005 et 2006. Plus de 90 % des exécutions connues en 2006 se sont produites dans seulement six pays: Chine, Iran, Pakistan, Irak, Soudan et Etats-Unis d’Amérique – un Etat observateur du Conseil de l’Europe.
Le petit groupe de pays qui ont encore largement recours aux exécutions devient de plus en plus isolé dans la communauté internationale. Entre 1977 et 2006, le nombre de pays abolitionnistes est passé de 16 à 89. Ce chiffre s’élève à 129 si l’on inclut les pays qui n’ont procédé à aucune exécution au cours des dix dernières années ou plus.
Un moratoire est une étape importante puisqu’il permet de sauver des vies immédiatement et de montrer au public des pays rétentionnistes que la fin des exécutions commanditées par l’Etat ne conduit pas à une recrudescence de la violence. Au contraire, un moratoire sur les exécutions peut modifier le climat social en favorisant un plus grand respect du caractère sacré de la vie humaine, et contribuer ainsi à inverser la tendance vers toujours plus de haine et de violence.
La commission des questions juridiques et des droits de l’homme est par conséquent très favorable à l’initiative italienne à l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur d’un moratoire immédiat et international sur les exécutions, et apportera son soutien à l’Union européenne pour faire avancer cette initiative de manière à en garantir le meilleur succès possible au sein des Nations Unies.
A. Projet de résolution
(open)B. Exposé des motifs, par M. Pietro Marcenaro
(open)1. Historique de la procédure
«La peine de mort est particulièrement révoltante lorsqu’elle condamne un innocent. Mais elle constitue également une injustice lorsqu’elle frappe une personne coupable d’un crime .»
2. L’initiative italienne en faveur d’un moratoire universel sur les exécutions
3. Informations générales: la peine de mort sur le déclin
«Aujourd’hui, la mise en question de la méthode d’exécution la plus populaire aux Etats-Unis pousse certains militants à se demander, avec espoir, si cette situation pourrait marquer le début de la fin de la peine capitale. (…) Et si les injections sont proscrites, alors une majorité d’Américains pourrait préférer l’incarcération à perpétuité sans libération conditionnelle à un retour à la chaise électrique, au peloton d’exécution ou à la chambre à gaz. Des sondages d’opinion indiquent en effet que la moitié de l’électorat partage déjà ce sentiment .»
«On assiste à un regain de dynamisme, d’attention, ou d’intérêt par rapport à la question de l’abolition de la peine de mort. Cette tendance a probablement été accentuée par les inquiétudes suscitées par les exécutions en Irak, ou par leur visibilité; à mon avis, ces pratiques ont, dans un sens, mobilisé l’attention du public international sur la question de la peine de mort et je m’attends à ce que dans le courant de cette année nous assistions à un redoublement d’efforts dans ce domaine, et à davantage de débats et de discussions sur cette question .»
4. La position de l’Assemblée parlementaire sur l’abolition et le moratoire
«L’expérience du Conseil de l’Europe a montré qu’un moratoire est un excellent moyen d’opérer une transition en douceur. Lorsque le grand public prend conscience que le fait de ne plus exécuter des condamnés n’entraîne aucunement une recrudescence des meurtres et autres crimes graves – et il est largement prouvé qu’au lieu d’une recrudescence, on assisterait plutôt à une diminution –, l’opinion publique devient beaucoup moins réticente à l’abolition définitive de la peine de mort .»
5. Conclusions et recommandations
- tous les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe doivent soutenir activement l’initiative italienne du moratoire à l’Assemblée générale des Nations Unies et utiliser au mieux leur influence pour convaincre les pays qui n’ont pas encore décidé de coopérer;
- tous les Etats membres du Conseil de l’Europe (même ceux qui ont déjà aboli la peine de mort ou instauré un moratoire) qui ne l’ont pas encore fait doivent ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989 pour promouvoir l’abolition universelle de la peine de mort;
- tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait doivent ratifier les propres instruments du Conseil de l’Europe contre la peine de mort, notamment le Protocole no 6 et le Protocole no 13.
Annexe – Texte intégral du discours de Mme Renate Wohlwend (Liechtenstein, PPE/DC) à l’occasion du 3e Congrès mondial contre la peine de mort (Paris, 1er-3 février 2007)
(open)Mesdames, Messieurs, chers amis,
J’aimerais tout d’abord vous remercier de m’avoir invitée à présenter l’expérience du Conseil de l’Europe en matière d’abolition de la peine de mort, par le biais du moratoire.
Je suis fière de vous dire que notre Organisation a réussi à faire de l’ensemble de notre continent – à l’exception malheureusement du Bélarus – un espace sans peine de mort.
Plus précisément, la peine de mort est complètement abolie dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe (autrement dit tous les pays européens, hormis le Bélarus), la Fédération de Russie ne l’ayant pas encore abolie mais ayant mis en place un moratoire depuis son adhésion au Conseil de l’Europe en 1996. L’abolition totale figure cependant au nombre des engagements pris par la Fédération de Russie avant son adhésion et, en tant que rapporteuse pour l’Assemblée parlementaire, j’ai présenté l’an dernier un rapport «rappelant» à la Fédération de Russie son engagement. Les signaux reçus de Moscou après l’adoption de ce rapport à la quasi-unanimité laissent à penser que l’abolition complète n’est plus qu’une question de temps.
La réintroduction de la peine de mort, où que ce soit en Europe, constituerait une violation directe du Protocole no 6 et déclencherait une crise politique majeure. Une petite poignée de politiciens «populistes» polonais avaient évoqué cette idée l’été dernier, idée qui a été rapidement écartée au vu des conséquences qu’un tel revirement aurait sur la position de la Pologne en Europe.
L’expérience du Conseil de l’Europe a montré qu’un moratoire est un excellent moyen d’opérer une transition en douceur. Lorsque le grand public prend conscience que le fait de ne plus exécuter des condamnés n’entraîne aucunement une recrudescence des meurtres et autres crimes graves – et il est largement prouvé qu’au lieu d’une recrudescence, on assisterait plutôt à une diminution –, l’opinion publique devient beaucoup moins réticente à l’abolition définitive de la peine de mort.
Cela est particulièrement vrai lorsqu’un moratoire est introduit à la suite d’une erreur judiciaire extrêmement médiatisée ayant abouti à la condamnation d’un innocent. Bon nombre d’entre nous, moi comprise, sommes juristes, et nous savons tous que le processus judiciaire est loin d’être parfait, ici ou dans le reste du monde. Des erreurs se produisent, et lorsque la sanction est la mort, elles ne peuvent plus être réparées, elles sont absolument irrémédiables.
Aujourd’hui, la manière scandaleuse dont Saddam Hussein et ses séides ont été malmenés en Irak avant d’être exécutés nous fournit un excellent motif pour exiger la fin des exécutions, une fois pour toutes. La violation de la dignité humaine était flagrante, sans même avoir besoin de regarder les vidéos horribles qui ont circulé sur l’internet peu de temps après ces pendaisons exécutées avec une maladresse insigne et que, je l’avoue, je n’ai pas eu le courage de regarder. Ces exécutions prouvent que la peine de mort ne rend en aucune manière la paix aux victimes des crimes ainsi sanctionnés. Nul ne conteste que Saddam Hussein ait été à l’origine de la mort violente de dizaines de milliers d’innocents. Mais son exécution, au lieu d’être ressentie comme une sorte de satisfaction équitable rendue à ses victimes, a été perçue comme une revanche du vainqueur sur le vaincu dans un conflit entre chefs de guerre. On a donné là à Saddam l’occasion de se poser en martyr de la cause de «son camp», non d’apparaître comme l’auteur de massacres de masse ayant reçu sa juste punition et qui aurait dû passer en toute justice le reste de sa vie en prison. C’est cette sanction que ses nombreuses victimes auraient mérité de lui voir appliquer.
Je suis consciente que les meilleures intentions du monde pour appeler à la fin des exécutions doivent néanmoins être relayées par une véritable volonté des politiques, qui doivent guider l’opinion publique et non pas se laisser guider par ce qu’ils perçoivent comme un sentiment populaire.
Je peux vous assurer que cela n’a pas toujours été chose facile pour le Conseil de l’Europe d’adopter le Protocole no 6 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui impose l’abolition de la peine de mort en temps de paix.
Après tout, ce sont les gouvernements des Etats membres qui régissent le Comité des Ministres, organe exécutif du Conseil de l’Europe qui doit approuver toutes les conventions et protocoles ouverts à la signature; et les Ministres, en général, s’efforcent de travailler consensuellement, leurs décisions étant fréquemment limitées au plus petit commun dénominateur. Mais l’Assemblée parlementaire a, une fois encore, joué pleinement son rôle en tant que conscience du Conseil de l’Europe.
Lorsque la Convention européenne des Droits de l’Homme a été adoptée, en 1950, la peine capitale était encore en vigueur dans les codes pénaux de la majorité des Etats fondateurs du Conseil de l’Europe. Des exécutions capitales étaient encore appliquées en France, en Grèce, en Irlande, en Turquie et au Royaume-Uni. L’article 2 de la Convention qui protège le droit à la vie prévoyait en conséquence une exception spécifique pour l’exécution d’une peine capitale.
Au début des années 1970, l’Assemblée parlementaire a toutefois commencé à se pencher sur l’éventualité de l’abolition de la peine de mort. La première proposition en faveur de cette abolition, en 1973, soutenue essentiellement par des parlementaires scandinaves, a été rejetée en 1975. Cinq ans après, cependant, en avril 1980, l’Assemblée a adopté la Résolution 727 invitant les parlements des Etats membres où la peine de mort était encore appliquée à l’abolir, et demandant au Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme en vue d’abolir la peine de mort en temps de paix.
Entre-temps, après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS à la fin de 1991, les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale se sont tournées vers le Conseil de l’Europe et ont posé leur candidature à l’adhésion à notre Organisation. Dans la plupart de ces pays, la peine de mort était encore largement appliquée, et le fonctionnement de l’appareil judiciaire, hérité de l’ère communiste, restait très problématique.
L’Assemblée parlementaire, qui s’était depuis orientée avec détermination en faveur de l’abolition après l’adhésion d’un certain nombre d’Etats sud-européens abolitionnistes et la décision de la France, en 1981, de ne plus appliquer la peine capitale, a alors utilisé ses pouvoirs dans le processus d’admission de nouveaux Etats membres pour faire en sorte que les pays candidats d’Europe centrale et orientale abolissent la peine de mort.
A la suite d’un rapport d’un autre parlementaire suédois, Hans Göran Franck, la Résolution 1044 (1994) a fait de l’abolition de la peine de mort une condition préalable à l’adhésion de tout nouvel Etat membre, requis de mettre en place un moratoire immédiat aux exécutions puis de prendre l’engagement de signer le Protocole no 6 dans les trois années qui suivent.
La méthode s’est révélée efficace, même si elle a été parfois un peu difficile pour des pays pris dans un processus délicat de transition démocratique, avec des opinions publiques parfois désorientées par la rapidité du changement politique, juridique et économique. Mais, en fait, les résultats sont là: aucun pays candidat n’a reculé devant les efforts à déployer et, dans les faits ou en droit, tous ont abandonné la peine capitale. J’ai mentionné au début la Fédération de Russie qui, malheureusement, a pris du retard sur ses échéances en ce qui concerne l’abolition définitive, mais je peux vous assurer que l’Assemblée n’aura de cesse que cet engagement soit lui aussi tenu.
Je m’arrêterai là en guise d’introduction et j’attends avec grand intérêt le débat qui va maintenant s’ouvrir autour de cette table. Merci de votre attention.
* * *
Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
Renvoi en commission: à la suite du débat d’actualité et Renvoi no 3323 du 16 mars 2007.
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 8 juin 2007.
Membres de la commission: M. Dick Marty (Président), M. Erik Jurgens, M. György Frunda, Mme Herta Däubler-Gmelin (Vice-Présidents), M. Athanasios Alevras, M. Miguel Arias, M. Birgir Ármannsson, Mme Aneliya Atanasova, M. Abdülkadir Ates¸, M. Jaume Bartumeu Cassany, Mme Meritxell Batet, Mme Soledad Becerril, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, M. Erol Aslan Cebeci, Mme Pia Christmas-Møller, Mme Ingr-ıda Circene (remplaçant: M. Boriss Cilevicˇs), Mme Lydie Err, M. Valeriy Fedorov, M. Aniello Formisano, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Stef Goris, M. Valery Grebennikov, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, Mme Karin Hakl, M. Nick Harvey, M. Andres Herkel, M. Serhiy Holovaty, M. Michel Hunault, M. Rafael Huseynov, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami, M. Zˇ eljko Ivanji, Mme Katerˇina Jacques, M. Karol Karski, M. Hans Kaufmann (remplaçant: M. Andreas Gross), M. András Kelemen, Mme Katerˇina Konecˇná, M. Nikolay Kovalev (remplaçant: M. Yuri Sharandin), M. Jean-Pierre Kucheida, M. Eduard Kukan, Mme Darja Lavtizˇar-Bebler, M. Andrzej Lepper, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Tony Lloyd, M. Humfrey Malins, M. Pietro Marcenaro, M. Alberto Martins, M. Andrew McIntosh, M. Murat Mercan, Mme Ilinka Mitreva, M. Philippe Monfils, M. João Bosco Mota Amaral, M. Philippe Nachbar, Mme Nino Nakashidzé, M. Tomislav Nikoli´c, Mme Carina Ohlsson, Mme Ann Ormonde (remplaçant: M. Patrick Breen), M. Claudio Podeschi, M. Ivan Popescu, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Christos Pourgourides, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Valeriy Pysarenko, M. François Rochebloine, M. Francesco Saverio Romano, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Christoph Strässer, M. Mihai Tudose, M. Vasile Ioan Da˘nut, Ungureanu, M. Øyvind Vaksdal, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis (remplaçante: Mme Elsa Papadimitriou), Mme Renate Wohlwend, M. Marco Zacchera, M. Krzysztof Zaremba, M. Vladimir Zhirinovsky, M. Miomir Zˇ uzˇul.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.
Voir 22e séance, 26 juin 2007 (adoption du projet de résolution amendé); et Résolution 1560.