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Rapport | Doc. 11460 | 04 décembre 2007

Situation dans les républiques d'Asie centrale

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Murat MERCAN, Turquie

Résumé

L’Asie centrale, en tant que région voisine du Conseil de l’Europe, est d’une importance croissante pour l’Europe et partage avec elle nombre de problèmes communs. L’Europe devrait, par conséquent, se soucier de promouvoir la stabilité et la transition démocratique dans cette région.

Le rapport couvre quatre pays de la région: Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan (autre pays de l’Asie centrale, le Kazakhstan, fait l’objet d’un rapport séparé). Tous ces pays ont proclamé que leur objectif stratégique était leur transformation en sociétés démocratiques libres mais le processus de transition a abouti à des résultats mitigés, allant de progrès limités à des échecs.

Même si la situation est différente d’un pays à l’autre, le rapport souligne les problèmes communs à l’ensemble de la région tels que la mauvaise performance démocratique, la violation à large échelle des droits de l’homme et la mauvaise gouvernance. Ces échecs créent un risque réel d’explosion sociale, d’effondrement politique et d’importantes flambées de violence.

Afin de l’éviter, le rapport appelle les autorités des Etats de l’Asie centrale à s’engager d’urgence dans des réformes visant la bonne gouvernance, la modernisation institutionnelle et la libéralisation politique, et mettant l’accent notamment sur la démocratie, le respect des droits de l’homme et la prééminence du droit.

Le rapport suggère que le Conseil de l’Europe devrait, en coopération avec l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), promouvoir la stabilité, la bonne gouvernance et les réformes démocratiques en Asie centrale, et partager son expérience de transition démocratique avec les pays de la région. Il contient des propositions d’actions qui pourraient être mises en œuvre à cette fin par l’Assemblée, le Comité des Ministres, le Secrétaire Général et les pays membres.

A. Projet de résolution

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1. En proclamant leur indépendance, en 1991, les nouveaux Etats souverains d’Asie centrale (Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan) se sont donné pour but de devenir des sociétés libres et démocratiques, reposant sur l’économie de marché et intégrées à la communauté internationale.
2. Cependant, confrontés à l’héritage autoritariste du régime précédent, aux défis représentés par une transition à la fois politique, économique et sociale, et à des vagues d’instabilité dues à de violents conflits ethniques, religieux et sociaux, les Etats d’Asie centrale ont eu les plus grandes difficultés à se rapprocher de cet objectif. Leurs progrès ont également été entravés par le manque de réel engagement politique en faveur des réformes, par une mauvaise conception de ces dernières ainsi que par l’absence de traditions démocratiques et de mécanismes de suivi des responsabilités. D’abord pleins d’espoir à l’idée d’une transformation rapide, les habitants de la région ont vite été déçus, ce qui a sérieusement affaibli à la fois la motivation des élites politiques et le soutien populaire en faveur des réformes. Les résultats des transitions sont donc mitigés, les transformations loin d’être achevées, et on constate dans certains cas d’incontestables régressions.
3. En tant qu’anciennes républiques de l’Union soviétique, les Etats d’Asie centrale font partie de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et sont donc politiquement liés par les engagements humains de cette organisation, dont le respect des droits de l’homme, la prééminence du droit et la promotion des principes démocratiques, qui coïncident largement avec les missions essentielles du Conseil de l’Europe.
4. Le bilan des Etats d’Asie centrale dans ces domaines varie cependant, d’un Etat à un autre, d’améliorations limitées à un échec total. Les principes démocratiques n’ont réussi ni à s’enraciner au sein de la société et des élites dirigeantes, ni à remplacer les modes de gouvernement autoritaires hérités du passé. Le pouvoir reste fortement concentré au sein de l’exécutif, sans véritables contrepoids. Les institutions démocratiques sont faibles, voire de pure façade. L’opposition politique est à peine tolérée. Les droits de l’homme ne cessent d’être violés. Les organisations de la société civile demeurent fragiles. La corruption et l’abus de pouvoir sont généralisés. La torture et les mauvais traitements à l’encontre de personnes privées de liberté constituent une pratique courante.
5. En outre, les pouvoirs publics n’offrent pas aux citoyens les services de base en matière sociale, économique, éducative et sanitaire qu’ils sont en droit de recevoir d’un Etat moderne. L’absence de tradition et de moyens effectifs de contrôle démocratique du pouvoir, associée au manque de transparence, crée dans la population une profonde défiance envers les institutions publiques. Les conditions sont donc réunies pour qu’on assiste à des tensions entre l’Etat et la population, et à une rapide montée en puissance de groupes militants extrémistes. Devant la corruption et l’inefficacité des pouvoirs publics, les citoyens ordinaires voient dans l’image d’une société juste fondée sur la loi islamique, telle que propagée par certains de ces groupes, une alternative aux régimes en place qui leur paraît de plus en plus tentante.
6. Pour éviter que la situation continue à se détériorer, engendrant un risque réel d’explosion sociale, d’effondrement politique et d’importantes flambées de violence, il faut que les pays d’Asie centrale procèdent à de profondes réformes en faveur d’une bonne gouvernance, de transformations politiques et de la stabilité sociale. Les problèmes qu’ils rencontrent appellent des solutions politiques adaptées au terrain, qui peuvent être encouragées, mais non fournies telles quelles par la communauté internationale.
7. Les élites et l’ensemble des habitants d’Asie centrale sont intéressés et attirés par l’expérience politique et sociale européenne. L’Europe devrait user de son influence et de son pouvoir de persuasion pour promouvoir la libéralisation et le processus de réforme politique dans la région. Cela dit, l’Asie centrale n’est pas à considérer comme le théâtre d’un nouveau Great Game, de nouvelles rivalités géopolitiques. Tout projet conçu depuis l’extérieur, excluant les forces politiques existantes ou ignorant les réalités locales ou les intérêts de la majorité, ne ferait qu’entraîner une déstabilisation et serait voué à l’échec.
8. L’Asie centrale ne se situant pas en Europe, les pays de la région ne sont pas des candidats potentiels à l’adhésion au Conseil de l’Europe. Cependant, compte tenu du fait que l’Asie centrale est voisine de l’Europe et qu’elle est de plus en plus exposée à l’immigration clandestine, à la production et au trafic de stupéfiants, au trafic d’armes et à la menace de l’extrémisme et du terrorisme, notre Organisation devrait s’efforcer de promouvoir la stabilité et la bonne gouvernance dans les pays de la région, de renforcer leurs capacités et d’établir une coopération fiable avec eux dans la lutte contre les menaces communes.
9. Fort son expérience en matière de transition en Europe centrale et orientale, le Conseil de l’Europe pourrait également contribuer, en coopération avec l’Union européenne et l’OSCE, à redéfinir le champ des réformes en Asie centrale, accroissant ainsi les chances de réussite.
10. L’Assemblée prie instamment les autorités et forces politiques d’Asie centrale:
10.1. de lancer d’importantes réformes en faveur de la bonne gouvernance, de la modernisation des institutions, de la libéralisation politique et de l’obligation de rendre compte;
10.2. de traiter sans retard les questions urgentes auxquelles leurs pays sont confrontés, telles que la corruption, le crime organisé, la pauvreté ou la propagation de maladies, regagnant ainsi la confiance de la population;
10.3. de renforcer les capacités nationales et d’accentuer la coopération internationale en matière de lutte contre l’immigration clandestine, le trafic des êtres humains, la production et le trafic de drogue, le blanchiment d’argent, le trafic d’armes et le terrorisme;
10.4. de faire usage de l’expertise internationale, et notamment de celle du Conseil de l’Europe, en matière de transition démocratique;
10.5. de progresser dans leur respect des engagements politiques pris dans le cadre de l’OSCE en matière de construction de la démocratie, de protection des droits de l’homme et de respect de la prééminence du droit, et notamment:
10.5.1. d’autoriser le pluralisme politique et d’assurer les conditions d’une véritable compétition politique à travers des élections libres et équitables;
10.5.2. de garantir une séparation effective entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ainsi que le bon fonctionnement des institutions démocratiques;
10.5.3. de garantir tous les droits de l’homme et toutes les libertés politiques fondamentales, dont la liberté d’association et d’expression et la liberté des médias;
10.5.4. de cesser toute forme de répression politique et de libérer tous les prisonniers politiques;
10.5.5. de mettre fin aux pratiques de torture et de mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté.
11. L’Assemblée appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe:
11.1. à renforcer le dialogue avec les autorités des pays d’Asie centrale, afin de promouvoir et d’appuyer les réformes en faveur de la bonne gouvernance, de la libéralisation politique, de la modernisation des institutions et de la transparence de ces institutions, et afin de partager avec eux leurs expériences et connaissances en matière de transition démocratique;
11.2. à maintenir les questions de démocratie, de droits de l’homme et de prééminence du droit au cœur de ce dialogue, tout en évitant que ces thèmes soient perçus comme des outils de pression visant à obtenir des avantages politiques ou économiques;
11.3. à soutenir le renforcement des institutions démocratiques et des organisations de la société civile dans les pays d’Asie centrale et à développer leur coopération avec elles.
12. L’Assemblée appelle l’Union européenne et l’OSCE à faire usage de l’expérience et des connaissances du Conseil de l’Europe en matière de transition démocratique dans leurs programmes et activités en Asie centrale.
13. L’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe:
13.1. à informer les autorités des Etats d’Asie centrale des activités et réalisations essentielles du Conseil de l’Europe pour la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit;
13.2. à étudier les moyens de partager avec les Etats d’Asie centrale l’expérience et les connaissances du Conseil de l’Europe en matière de transition démocratique;
13.3. à contribuer au renforcement des organisations de la société civile en Asie centrale et à les intégrer dans des réseaux de coopération avec leurs homologues européens.
14. L’Assemblée se félicite du fait que le Kirghizistan coopère avec la Commission de Venise et encourage les autres Etats d’Asie centrale à s’engager dans une telle coopération.
15. L’Assemblée se déclare prête à contribuer à nouer un dialogue politique avec l’Asie centrale au niveau parlementaire, visant au renforcement des principes et normes démocratiques. A cette fin, elle décide:
15.1. de tenir les parlements des Etats d’Asie centrale informés de ses activités et de ses résolutions et recommandations;
15.2. d’envisager d’inviter des représentants de ces parlements à participer aux sessions plénières, aux réunions de commissions et aux autres activités traitant de questions d’intérêt commun;
15.3. d’envisager d’inviter les parlements d’Asie centrale à s’associer aux conférences européennes des présidents de parlements;
15.4. d’encourager ses représentants officiels auprès des organisations parlementaires internationales dans lesquelles des parlementaires d’Asie centrale siègent également à établir des contacts et à développer le dialogue avec ces représentants.

B. Projet de recommandation

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1. L’Assemblée rappelle sa Résolution … (2008) sur la situation dans les républiques d’Asie centrale.
2. L’Assemblée rappelle que les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, réunis lors du Sommet de Varsovie en mai 2005, se sont engagés en faveur d’un nouveau dialogue interculturel et interreligieux avec les régions voisines, dont l’Asie centrale, sur la base des droits humains universels.
3. L’Assemblée appelle le Comité des Ministres à prendre des mesures pour traduire cet engagement en actions concrètes.
4. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres d’étudier les points suivants:
4.1. la possibilité d’inviter des représentants des Etats d’Asie centrale à participer aux conférences ministérielles spécialisées organisées par le Conseil de l’Europe;
4.2. l’opportunité et la possibilité d’une adhésion des Etats d’Asie centrale à certaines des conventions du Conseil de l’Europe;
4.3. la possibilité, dans le cadre de la coopération du Conseil de l’Europe avec l’Union européenne et l’OSCE, d’une participation des experts du Conseil de l’Europe à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes d’assistance de ces organisations en Asie centrale dans les domaines relevant des activités fondamentales de notre Organisation;
4.4. la possibilité d’établir des contacts interinstitutionnels avec les organisations régionales auxquelles les Etats d’Asie centrale prennent part;
4.5. toute autre mesure appropriée contribuant au dialogue avec les Etats d’Asie centrale.

C. Exposé des motifs, par M. Murat Mercan

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1. Introduction

1.1. Origine du rapport

1. Devenus indépendants avec la dissolution de l’Union soviétique, les Etats de l’Asie centrale sont restés peu connus de l’opinion publique internationale au sens large – à l’exception de quelques ONG de défense des droits de l’homme et groupes de pression – jusqu’à mai 2005.
2. La «révolution des tulipes» au Kirghizistan, en février-avril 2005, et surtout les événements tragiques à Andijan (Ouzbékistan) de mai 2005, quand les autorités ont violemment réprimé une révolte populaire, ont provoqué une vague de critiques en Europe et un sursaut d’attention pour ces pays. Il est devenu clair que la stabilité dans cette région n’était qu’une apparence trompeuse, et que la situation réelle pouvait rapidement se dégrader.
3. Réagissant aux événements d’Andijan, l’Assemblée a tenu, en juin 2005, un débat d’actualité sur la situation dans les républiques d’Asie centrale. A la suite de ce débat, la commission des questions politiques a été chargée de préparer un rapport à ce sujet.
4. Par ailleurs, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe, réunis au Sommet de Varsovie en mai 2005, se sont engagés en faveur d’un nouveau dialogue interculturel et interreligieux avec les régions voisines, y compris l’Asie centrale, fondé sur les droits de l’homme universels.

1.2. L’objectif du présent rapport est donc double

5. D’une part, comprendre la situation dans les Etats d’Asie centrale, déterminer les causes d’instabilité dans la région, préciser les menaces et les opportunités qu’elle présente pour l’Europe et envisager les réactions possibles visant à limiter les premières et mettre en valeur les secondes;
6. D’autre part, envisager la possibilité que le Conseil de l’Europe joue un rôle de promoteur des réformes en Asie centrale, identifier les domaines où il pourrait apporter des résultats concrets, et formuler des propositions sur les modalités pratiques d’une éventuelle coopération.

2. Pourquoi l’Europe devrait s’intéresser à l’Asie centrale

2.1. Brève présentation des pays concernés

7. L’expression «Asie centrale» désigne en général les cinq anciennes républiques asiatiques de l’ex-Union soviétique devenues indépendantes après la dissolution de celle-ci en 1991: le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan.
8. Cependant, le Kazakhstan restera en dehors de ce rapport puisque ce pays a récemment fait l’objet d’un rapport séparé, préparé par M. Iwiński.
9. Le Kirghizistan a une superficie de 198 500 km2 et sa population est estimée à 5,2 millions d’habitants dont 66 % de Kirghizes, 14 % d’Ouzbeks et 12 % de Russes. Quelque 75 % de la population sont de religion musulmane (sunnite), et 20 % sont des chrétiens orthodoxes.
10. D’après la Constitution, datant de 1993 et révisée en 2003, le Kirghizistan est une république attachée aux valeurs démocratiques. Le pouvoir législatif appartient au parlement unicaméral; l’exécutif est dirigé par le Président, qui désigne le gouvernement.
11. Le Kirghizistan est le seul parmi les quatre pays d’Asie centrale qui a des relations avec le Conseil de l’Europe. Le pays a adhéré à la Commission de Venise et a coopéré avec celle-ci dans le cadre de sa réforme constitutionnelle.
12. Jusqu’en 2005, le pays a été présidé par Askar Akaev, élu à la tête du Kirghizistan en 1990, avant la proclamation de l’indépendance. En avril 2005, le Président Akaev a été forcé à la démission à la suite de la «révolution des tulipes», déclenchée par la fraude intervenue lors des élections parlementaires de février-mars 2005. Depuis, le pays présidé par Kourmanbek Bakiev a traversé une série de crises et d’affrontements politiques et la situation reste très instable. La nouvelle Constitution, élaborée au terme d’une longue crise politique, sera soumise à référendum le 21 octobre 2007.
13. L’Ouzbékistan occupe une superficie de 446 400 km2 et sa population est de 26,8 millions d’habitants (80 % d’Ouzbeks, 6 % de Russes, 4 % de Tadjiks, 4 % de Kazakhs, 4 % de Tatars, 1,9 % de Karakalpaks). C’est donc le pays le plus peuplé parmi les quatre. La population est à 90 % musulmane (sunnite) et à 9 % chrétienne orthodoxe.
14. La Constitution de 1992 a instauré un régime présidentiel fort, le parlement bicaméral n’ayant qu’un rôle subordonné. Le Président Islam Karimov, en place depuis 1990, dirige le pays d’une manière autoritaire. Toutes les institutions d’Etat sont placées sous le contrôle présidentiel et l’opposition politique n’est pas tolérée.
15. En 1999 et 2004, l’Ouzbékistan a connu des vagues d’attentats terroristes attribués aux islamistes radicaux. En mai 2005, une révolte populaire dans la ville d’Andijan – que les autorités ont qualifiée de rébellion islamiste – a été brutalement réprimée par les forces de l’ordre. L’Union européenne a exigé que ces événements fassent l’objet d’une enquête internationale. Face au refus des autorités ouzbekes, l’Union européenne a prononcé des sanctions à l’égard du pays, a interdit de visa les principaux chefs du régime et a considérablement réduit ses programmes de coopération. Cependant, à la suite d’une certaine ouverture des autorités ouzbekes, l’Union européenne a laissé entendre que ces sanctions pourraient être revues.
16. Le Tadjikistan a un territoire de 143 000 km2 et la population est de plus de 7,3 millions d’habitants. Les Tadjiks, peuple proche des Iraniens, représentent 80 % de la population, les Ouzbeks 15 %, les autres minorités (Russes, Kirghizes) étant insignifiantes. L’islam est la religion dominante, partagée entre les rites sunnite (85 %) et chiite (5 %).
17. Le système politique en place est une république présidentielle avec un parlement bicaméral. Le Président actuel, Emomali Rakhmon 
			(1) 
			Le Président, connu
jusqu’à il y a peu sous le nom de Rakhmonov, a récemment ordonné
la conversion de tous les noms «russisés» se terminant en -ov et
-ev à la forme traditionnelle tadjique., occupe son poste depuis 1992.
18. L’histoire postsoviétique du Tadjikistan a été marquée par la guerre civile (1992-1997) qui a opposé l’élite au pouvoir et des ressortissants de différents clans régionaux dont certains soutenus par des islamistes pro-iraniens. Après le retour à la paix, les élections ont eu lieu en 1999, et des représentants de l’opposition siègent au parlement.
19. Le Turkménistan couvre un territoire de 488 000 km2 et sa population est de 4,8 millions d’habitants (85 % de Turkmènes, 5 % d’Ouzbeks, 4 % de Russes). La population est à 90 % musulmane (sunnite) et à 9 % chrétienne orthodoxe.
20. Officiellement république présidentielle dotée d’institutions représentatives, le Turkménistan a vécu de 1992 à 2006 sous le régime autoritaire du Président Saparmurat Niyazov, ancien chef du parti communiste de la république entre 1985 et 1992. Ne tolérant aucune opposition, Niyazov a instauré dans son pays le culte de sa personnalité et s’est rendu tristement célèbre par ses abus de pouvoir, les persécutions politiques et la dégradation des conditions de vie de la population. Après sa mort en décembre 2006, et l’élection d’un nouveau Président, Gurbanguly Berdimuhammedov, quelques signes prometteurs de changement sont apparus.

2.2. Importance de la région

21. Comme son nom l’indique, l’Asie centrale occupe une position stratégique au carrefour du vaste continent asiatique. Cette situation offre aux pays de la région un accès aux grands axes traditionnels d’échanges internationaux (par exemple, la route de la soie). Si, au cours de son histoire, l’Asie centrale a toujours été un lieu de passage et de contact avec différentes civilisations, elle a aussi fait l’objet des rivalités et des luttes d’influence entre puissances étrangères. Diverses cultures s’y sont également épanouies au cours des siècles, dont le rayonnement et les valeurs ont dépassé les limites géographiques de la région. Ces cultures, essentiellement turco-musulmanes, demeurent, d’une certaine manière, une source d’inspiration et d’action concrète pour les populations actuelles d’Asie centrale.
22. L’importance stratégique de la région est d’autant plus grande que celle-ci se trouve dans la proximité immédiate des Etats ou des zones d’instabilité et de tensions internationales ou internes: l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, les régions de nord-ouest de la Chine. Dans un voisinage un peu plus éloigné se trouvent l’Irak et le Proche-Orient. Cette proximité n’est pas uniquement géographique, elle a aussi des aspects historiques, culturels, ethniques et religieux. Les tensions ou conflits dans ces régions influencent la situation en Asie centrale, et réciproquement.
23. La stabilité politique en Asie centrale contribuerait à réduire les tensions dans ces régions limitrophes, alors qu’une Asie centrale en conflit constituerait une menace supplémentaire pour celles-ci. Dans un monde de plus en plus globalisé, et surtout compte tenu de l’influence du Moyen-Orient sur la situation internationale en général, la stabilité en Asie centrale, à forte majorité musulmane, revêt une importance particulière.
24. La guerre menée par les Etats-Unis et leurs alliés contre le régime des talibans en Afghanistan a clairement montré l’importance de l’Asie centrale dans la lutte contre le terrorisme international – importance qui ne pourra que croître, compte tenu de la situation toujours fragile en Afghanistan.
25. En tant que carrefour des échanges internationaux, l’Asie centrale sert de zone de transit pour divers trafics illicites, en particulier celui de stupéfiants en provenance d’Afghanistan, ainsi que celui d’êtres humains et d’armes. D’autre part, il y a également une production locale des stupéfiants. Les pays de la région sont aussi une source de migration et de trafic d’êtres humains. L’Europe est l’une des destinations principales de ces trafics. Elle est donc intéressée à ce que les Etats de la région deviennent des partenaires fiables et efficaces dans la lutte contre les trafics.
26. Il faut en outre mentionner les abondantes ressources naturelles et énergétiques dont disposent les Etats d’Asie centrale. La mise en valeur de ces ressources, qui sont d’une grande importance pour l’économie mondiale, nécessite des investissements de taille, et par conséquent la stabilité politique et la bonne gouvernance.

2.3. Coopération avec les institutions internationales européennes

27. Ces quatre pays d’Asie centrale font tous partie de l’OSCE. En leur qualité d’Etats participants, ils sont politiquement liés par les engagements pris, y compris, notamment, celui de garantir pleinement le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de se conformer à l’Etat de droit et de promouvoir les principes démocratiques en mettant en place, en renforçant et en protégeant les institutions démocratiques. Les autorités des pays d’Asie centrale privilégient cependant les activités exercées par l’OSCE en matière de sécurité. L’OSCE dispose d’un réseau de bureaux sur le terrain, répartis sur l’ensemble de la région. Ses programmes de coopération avec les Etats d’Asie centrale portent sur divers domaines, allant des questions de sécurité jusqu’à la protection de l’environnement, en passant par la dimension humaine.
28. L’Union européenne s’est lancée, depuis le début des années 1990, dans plusieurs programmes d’assistance technique aux Etats d’Asie centrale, grâce à des accords de partenariat et de coopération individuels et par le biais du programme TACIS. Les résultats obtenus jusqu’ici sont toutefois assez limités. En juin 2007, l’Union a adopté une nouvelle stratégie régionale d’assistance à l’Asie centrale pour la période 2007-2013, qui vise à assurer la stabilité et la sécurité des pays de la région, à contribuer à l’éradication de la pauvreté, ainsi qu’à promouvoir une coopération régionale plus étroite, à la fois au sein de la région et entre l’Asie centrale et l’Union européenne. La promotion de la démocratisation, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance constitue l’une des priorités de cette stratégie.
29. Le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan sont membres de la Communauté d’Etats indépendants (CEI), instituée en 1991 après la dissolution de l’Union soviétique. Le Turkménistan, membre à part entière de cette organisation dès sa création, a changé de statut, en devenant membre associé en 2005. La CEI a pour but de coordonner les politiques de ses Etats membres dans les domaines du commerce, des finances, de l’élaboration de la législation et de la sécurité. Son action porte principalement sur la constitution d’une zone de libre-échange entre ses Etats membres. La CEI promeut également la coopération en matière de démocratisation et de prévention transfrontalière de la criminalité. Elle présente une dimension parlementaire sous la forme de son Assemblée interparlementaire, qui a passé un accord de coopération avec notre Assemblée.

3. Situation actuelle

3.1. Problèmes communs

30. Quinze ans après leur indépendance, les quatre pays d’Asie centrale font face à un certain nombre de problèmes, existants ou potentiels, qui mettent en cause leur stabilité. Même si la situation varie considérablement d’un pays à l’autre, il est néanmoins possible d’identifier quelques éléments communs. Ils ont ainsi hérité, après soixante-dix ans de régime répressif, d’une conception autoritaire du pouvoir. De plus, l’effondrement rapide de l’Union soviétique les a confrontés à une série de vagues d’instabilité, à des heurts violents et à des conflits ethnico-religieux et sociaux.

3.2. Démocratie, droits de l’homme et Etat de droit

31. Malgré l’attachement déclaré des pays d’Asie centrale aux principes de démocratie, y compris dans le cadre des engagements de l’OSCE, leur état de développement démocratique est très embryonnaire, voire imitatif. Les traditions démocratiques font défaut aussi bien aux élites qu’à la population. Les élites au pouvoir se méfient de la démocratie, qu’ils considèrent comme une menace pour leur avenir politique. Les institutions démocratiques sont faibles ou n’existent que pour la forme. Le pouvoir demeure extrêmement centralisé au sein de l’exécutif, tandis que les parlements ne jouent pas leur rôle de contrepoids. Les mécanismes de responsabilité démocratique sont pratiquement inexistants. A différents degrés, les régimes politiques sont marqués par l’autoritarisme.
32. Les autorités se déclarent certes attachées aux droits de l’homme, mais ne les intègrent nullement dans la pratique politique, quand elles ne les ignorent pas ouvertement. En conséquence, la performance de l’Asie centrale en matière des droits de l’homme est désastreuse, et les ONG actives dans ce domaine rapportent systématiquement de graves violations. La société civile est généralement très faible et les rares militants des droits de l’homme qui subsistent sont soumis à des pressions croissantes, voire ouvertement persécutés par les autorités. A la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001, les dirigeants d’Asie centrale ont très largement utilisé le prétexte de la lutte contre l’extrémisme islamique pour accentuer leur pression sur toute forme d’opposition, renforcer le contrôle de la société civile et des médias, ainsi que pour restreindre encore les droits civils et politiques.
33. Enfin, le principe de primauté du droit n’existe qu’au niveau des déclarations. Le système judiciaire, trop faible, est totalement subordonné au pouvoir politique et souvent utilisé de manière abusive, à des fins politiques ou de répression des opposants. Bien que certains pays de la région aient engagé des réformes judiciaires et législatives pour renforcer l’indépendance de l’appareil judiciaire et sa capacité à rendre la justice, celles-ci n’ont pas encore produit de résultats. La corruption et l’abus de pouvoir sont largement répandus, surtout au sein des organes de maintien de l’ordre, tandis que torture et mauvais traitements sont couramment infligés aux détenus. Un point positif cependant: le Tadjikistan et le Turkménistan ont aboli la peine de mort, l’Ouzbékistan a annoncé son intention de le faire en 2008 et le Kirghizistan a instauré un moratoire en la matière.

3.3. Problèmes structurels

34. Bien qu’il y ait d’importantes différences entre les pays de la région en ce qui concerne les richesses naturelles et le niveau de développement industriel, on constate que les systèmes économiques sont pareillement inefficaces. Les richesses produites sont distribuées en faveur des cercles proches du pouvoir, ce qui a pour conséquence, d’une part, la misère générale, et, d’autre part, l’accroissement du fossé entre le niveau de vie moyen et l’opulence des élites au pouvoir. Le mécontentement des populations est un facteur d’instabilité potentielle facilement mobilisable, comme l’ont démontré les événements à Andijan et la «révolution des tulipes».
35. Les systèmes d’enseignement et de santé publique se sont fortement dégradés depuis la fin de l’époque soviétique. Les jeunes générations n’ont pas accès à un enseignement moderne et équilibré, ce qui les rend vulnérables face aux thèses des mouvements extrémistes. Les capacités des systèmes de santé publique restent insuffisantes pour enrayer la propagation des maladies.
36. Les services de l’ordre, largement corrompus et inefficaces, ne maîtrisent ni la croissance de la criminalité, ni le commerce, la consommation et le trafic de drogue. Dans certains cas, on peut parler de l’existence d’un pouvoir parallèle aux mains de clans criminels.
37. Les conditions économiques et sociales peu enviables, la difficulté de trouver un emploi stable, et plus généralement l’absence de perspectives d’une vie digne poussent une part importante de la population, en particulier les jeunes, à partir à l’étranger à la recherche d’opportunités plus prometteuses. Les salaires transférés de l’étranger constituent par ailleurs une source importante de revenus pour la population.
38. En résumé, il s’agit de mauvaise gouvernance. Les Etats en question n’assurent pas à leurs citoyens les services auxquels ceux-ci sont en droit de s’attendre. Les clans au pouvoir utilisent l’appareil de l’Etat à leurs fins sans vraiment se préoccuper de leurs «sujets». L’absence de traditions et, en fait, de moyens efficaces de contrôle démocratique du pouvoir, ainsi que le manque d’obligation de rendre compte ont pour résultat une profonde méfiance de la population envers les institutions étatiques.
39. Les conditions sont ainsi réunies pour que naissent des tensions potentielles entre l’Etat et ses citoyens et pour que progressent des groupes militants extrémistes sur le modèle des talibans. Ce n’est donc pas par hasard que l’on observe, depuis plusieurs années, le renforcement des positions en Asie centrale du groupe clandestin radical Hizb ut-Tahrir, dont l’objectif proclamé est de créer un grand khalifat regroupant tous les Etats et les peuples musulmans. Face aux pouvoirs publics corrompus et inefficaces, la vision d’une société juste basée sur les lois islamiques séduit de plus en plus de gens.
40. En conclusion, pour éviter que l’Asie centrale ne rejoigne le cercle des Etats défaillants (failed states) et ne devienne un terreau pour le terrorisme international, il serait urgent d’encourager des réformes en profondeur qui entraîneraient une démocratisation de la société, dans l’ensemble des Etats centrasiatiques.

4. Stratégie de réforme: promouvoir le changement, tout en évitant la déstabilisation

41. L’Europe bénéficie aux yeux des autorités et des populations d’Asie centrale de l’image d’une société stable et prospère. De ce fait, l’expérience européenne suscite l’intérêt et peut influencer ces pays, malgré l’attrait croissant de la Chine et de son modèle de modernisation économique autoritaire.
42. A long terme, il serait dans l’intérêt européen de voir les Etats d’Asie centrale partager – dans les faits et pas seulement dans les déclarations – les principes de démocratie, de respect des droits de l’homme et de primauté du droit. Cependant, il est irréaliste d’espérer qu’un objectif si ambitieux puisse être atteint rapidement.
43. Il faut également être conscient que le modèle démocratique européen, si tant est qu’il existe, ne peut être directement transplanté sur le sol centrasiatique sans prendre en compte les conditions locales. Pour prendre racine dans les sociétés des pays d’Asie centrale, la démocratie devrait s’adapter aux réalités de ces sociétés, à leurs cultures et traditions – quitte à transformer ces sociétés. N’oublions pas, toutefois, que ces pays et leurs populations ne constituent pas des tribus primitives, ni des nations tout juste apparues sur un planisphère, mais qu’ils sont les héritiers directs de civilisations et de cultures d’une très grande richesse.
44. Vu l’état vulnérable dans lequel se trouvent les pays d’Asie centrale, des réformes politiques trop rapides et le remaniement profond des élites créeraient le risque de déstabiliser un équilibre fragile et pourraient plonger ces pays dans le chaos. Les conséquences seraient donc contraires au but recherché. L’exemple du Kirghizistan, qui n’est toujours pas sorti de la crise politique deux ans après la «révolution de tulipes», est très révélateur. Heureusement, dans ce cas précis, la crise n’a pas dégénéré en affrontements violents. Or, un scénario beaucoup plus violent est tout à fait probable dans certains autres pays de la région.
45. Afin de prévenir ce risque, il paraît indiqué de favoriser une transformation graduelle en évitant la déstabilisation. L’objectif général devrait donc consister à encourager les réformes visant à mettre en place la bonne gouvernance et à promouvoir les éléments d’une société démocratique.
46. Malheureusement, une grande partie des élites politiques de la région, en particulier celles proches du pouvoir, sont très méfiantes à l’égard des discours sur la nécessité de réformes, surtout quand ces recommandations viennent de l’étranger. Il est essentiel de réhabiliter les notions de «réforme» et de «démocratie» aux yeux des élites gouvernantes, notions associées à des techniques de renversement du pouvoir.
47. A cette fin, il faudrait nouer le dialogue avec les autorités et chercher à instaurer des relations de confiance avec elles. Je suis sûr qu’il est possible et nécessaire d’être critique et de rester fidèle aux valeurs démocratiques tout en se montrant constructif et en évitant de donner l’impression de tenir des discours moralisateurs. L’image de «donneur de leçon» est à éviter si l’on veut gagner la confiance. Il convient davantage de considérer notre mode d’interaction et de dialogue comme un échange de vues, qui permet à chaque partie de défendre sa propre expérience et de tirer des enseignements de celle de l’autre.
48. Il faut faire comprendre que les critiques émises par rapport aux différents abus et manquements ont pour finalité de prévenir la déstabilisation dans la région, qui serait désastreuse non seulement pour les régimes en place mais aussi pour les Européens. La bonne gouvernance et la démocratisation seraient dans l’intérêt des pouvoirs car elles permettraient d’offrir aux sociétés plus de souplesse et d’ouverture.
49. L’objectif du dialogue serait d’encourager des réformes qui favorisent l’obligation de rendre compte, la transparence et l’accès à l’information, et qui jetteraient les bases d’une bonne gouvernance. L’adoption de ces réformes renforcerait la confiance de la population envers les autorités et permettrait de bâtir un système politique stable et durable.
50. Cependant, il faudrait éviter d’opposer les réformes à l’héritage des civilisations d’Asie centrale. Les traditions locales et la structure clanique de la société jouent toujours un rôle important dans la vie des populations et dans le fonctionnement des mécanismes du pouvoir. La stratégie de réformes devrait en tenir compte, s’appuyer sur les traditions là où c’est possible, et veiller à ne pas les heurter inutilement pour ne pas perdre le soutien de la société, voire provoquer sa résistance.
51. Les idées réformatrices et démocratiques sont largement dévaluées dans bon nombre des ex-républiques soviétiques, dont les pays d’Asie centrale, car leurs populations sont fatiguées par les années de transition qui n’ont pas amélioré leur vie. Le pessimisme et l’apathie sociale ont remplacé l’attente optimiste des années 1990. Il serait donc difficile d’obtenir le soutien populaire à un projet réformateur qui mettrait en avant des slogans abstraits tout en ignorant les intérêts quotidiens et vitaux du peuple.
52. Je suis persuadé que le concept de «crise gérable» qu’on utiliserait pour faire basculer tel ou tel pays vers la démocratie est incompatible avec une politique responsable. Non seulement une telle stratégie n’apporterait pas de résultats durables, mais elle pourrait gravement compromettre l’idée même de la démocratie. Il faut donc éviter toute action qui puisse déstabiliser l’équilibre fragile existant, voire mettre la paix civile en danger.
53. Le risque du renforcement de l’influence fondamentaliste dans ces Etats actuellement sécularisés n’est pas à sous-estimer. Certes, le «facteur fondamentaliste» constitue souvent une excuse facile que les autorités évoquent pour justifier les restrictions de libertés et les violations des droits de l’homme. Il n’en est pas moins réel. Le nier équivaudrait à faire preuve d’angélisme politique. Au contraire, il faudrait assurer les autorités des pays d’Asie centrale de notre soutien face à cette menace, tout en rappelant la nécessité de respecter les droits de l’homme universels.
54. Finalement, il faudrait considérer l’objectif de modernisation et de transformation démocratique des Etats d’Asie centrale comme un objectif partagé de ces pays et de la communauté internationale. Le présenter comme une compétition entre les différentes puissances extérieures pour avoir une influence dominante conduirait à répéter les erreurs du passé.
55. Du point de vue historique, culturel, linguistique, économique, entre autres, les Etats d’Asie centrale ont des liens privilégiés avec la Russie et la Turquie. Ces deux pays restent des partenaires de premier plan, aussi bien pour les autorités que pour les sociétés de l’Asie centrale. Ils pourraient jouer un rôle particulier dans la promotion des réformes.

5. La contribution éventuelle du Conseil de l’Europe

5.1. Deux observations préliminaires doivent être formulées à ce stade

56. Tout d’abord, mes premiers contacts avec les représentants des pays d’Asie centrale ont révélé, d’une part, que toutes les catégories sociales montraient un véritable intérêt pour l’établissement de relations et la multiplication des canaux de dialogue avec l’Europe et, d’autre part, que ces pays espéraient s’acheminer progressivement vers un modèle européen de démocratie. La volonté d’engager un nouveau dialogue fondé sur une conception universelle des droits de l’homme avec les régions voisines, dont l’Asie centrale, qui s’était manifestée lors du Sommet de Varsovie, correspond par conséquent à un réel besoin. Le Conseil de l’Europe peut et devrait prendre part au processus de transformation démocratique de l’Asie centrale.
57. En second lieu, comme cette région est située hors d’Europe et, de ce fait, en dehors de l’espace géographique du Conseil de l’Europe, et comme, d’autre part, notre Organisation dispose de moyens limités et doit se concentrer sur ses activités essentielles, il est difficile de trouver des arguments en faveur d’une politique distincte adoptée par le Conseil de l’Europe à l’égard des pays d’Asie centrale. Le Conseil pourrait toutefois prendre part, grâce à sa compétence et à son expérience dans le domaine de la transition démocratique, à diverses activités menées par nos principaux partenaires institutionnels, à savoir l’Union européenne et l’OSCE, qui ont engagé des programmes d’assistance au profit de cette région. Les modalités de cette collaboration devraient être définies d’un commun accord par le Conseil de l’Europe et les organisations partenaires. Je suis cependant convaincu qu’un tel effort mérite d’être fourni et que la participation du Conseil de l’Europe, avec l’Union européenne et l’OSCE, à des programmes conjoints consacrés à l’Asie centrale en augmenterait l’efficacité.

5.2. Instaurer un dialogue politique

58. Il semblerait que, dans la situation actuelle, les réformes politiques dans les pays d’Asie centrale n’ont quelque chance de succès que si elles sont soutenues par les autorités. Il est donc primordial de convaincre ces autorités que la bonne gouvernance et la démocratisation serviront à consolider, et non pas affaiblir, la stabilité de leurs pays.
59. Afin de gagner la confiance des élites politiques, un dialogue régulier devrait être instauré. Le niveau parlementaire présente l’avantage de réunir des responsables aptes à discuter un large éventail de problèmes politiques sans se sentir liés par un mandat de négociation préétabli. Ce niveau apparaît donc particulièrement adapté pour établir le contact et créer la confiance. De plus, amener les parlements à établir des contacts internationaux leur conférerait une plus grande autorité institutionnelle.
60. Certes, l’on peut se poser des questions au sujet du caractère démocratique, de la représentativité ou encore du pouvoir réel de ces parlements. Cependant, cela ne devrait pas conduire à renoncer à ce canal de communication politique. En outre, les représentants parlementaires des pays d’Asie centrale ont l’expérience de leur participation à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.
61. Le dialogue politique pourrait porter, d’une part, sur les menaces communes à l’Europe et à l’Asie centrale, telles que le trafic de drogue, l’immigration clandestine, le terrorisme et l’extrémisme, et, d’autre part, sur les opportunités (par exemple, les avantages mutuels d’une coopération économique et du dialogue interculturel, ou encore du partage des expériences de bonne gouvernance).
62. Il présenterait également l’occasion de soulever les questions ayant un caractère de principe, comme la défense des valeurs démocratiques et le respect des normes universelles et européennes en matière de droits de l’homme, et de partager les expériences et les bonnes pratiques dans ces matières. A l’évidence, les élites politiques de ces pays considèrent très largement les questions relatives aux droits de l’homme comme un instrument utilisé dans les négociations pour faire pression sur leur pays. Aussi convient-il de veiller attentivement à leur expliquer que ces valeurs représentent un facteur essentiel de stabilité dans les sociétés modernes; les négliger reviendrait à mettre en danger la stabilité de leurs propres régimes.

5.3. Partager les expériences européennes

63. Au cours de son élargissement, le Conseil de l’Europe a accumulé une expérience précieuse en matière d’assistance à la transition démocratique et aux réformes institutionnelles. Même s’il est certain que les pays d’Asie centrale présentent des particularités, on se souviendra que ces pays ont fait partie de l’ex-URSS. Les problèmes auxquels ils font face aujourd’hui sont, du moins en partie, liés à cet héritage.
64. Dans ce contexte, l’expérience des autres ex-républiques soviétiques devrait présenter un intérêt particulier dans le cadre des réformes à mettre en œuvre en Asie centrale. Le Conseil de l’Europe, qui a accompagné la transformation dans les pays de l’Europe de l’Est et continue son assistance aux ex-républiques de l’URSS, pourrait offrir de partager son expérience avec l’Asie centrale.
65. On pourrait donc envisager que le Conseil de l’Europe propose aux Etats d’Asie centrale des conseils et une aide en matière de bonne gouvernance et de renforcement des structures administratives. Cette assistance pourrait être axée sur les institutions clés pour le fonctionnement d’un gouvernement démocratique que sont les parlements, les tribunaux, les services de l’ordre et les pouvoirs locaux.
66. Les domaines moins «politisés» de l’activité du Conseil de l’Europe, comme la culture, le sport, la jeunesse ou la protection de l’environnement et le développement durable, pourraient également offrir des opportunités de coopération avec l’Asie centrale.

5.4. Renforcer la société civile

67. Parallèlement aux contacts avec les institutions officielles, le Conseil de l’Europe et en particulier l’Assemblée devraient réserver une attention spéciale aux contacts avec la société civile dans les Etats concernés.
68. Le maintien d’un dialogue régulier avec des éléments actifs de la société au sens large aurait un effet positif sur leurs activités dans leurs pays respectifs et contribuerait à leur consolidation en tant que société civile. Ce dialogue pourrait également conforter leurs positions par rapport aux institutions de l’Etat.
69. Enfin, l’importance que le Conseil de l’Europe attache à la société civile ferait comprendre aux autorités des pays concernés qu’elles ont tout intérêt à la considérer comme un partenaire nécessaire dans le processus politique conduisant à une meilleure gouvernance et plus de démocratie.

Commission chargée du rapport: commission des questions politiques.

Renvoi en commission: Renvoi no 3113 du 24 juin 2005.

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission le 13 novembre 2007

Membres de la commission: M. Abdülkadir Ateş (Président), M. Konstantin Kosachev (Vice-Président) (remplaçant: M. Victor Kolesnikov), M. Zsolt Németh (Vice-Président), M. Giorgi Bokeria (Vice-Président), M. Miloš Aligrudić, M. Claudio Azzolini, M. Denis Badré, M. Radu Mircea Berceanu, M. Andris Bērzinš, M. Aleksandër Biberaj, Mme Guđfinna Bjarnadóttir, Mme Raisa Bohatyryova, M. Predrag Bošković, M. Luc Van den Brande, M. Lorenzo Cesa, M. Mauro Chiaruzzi, Mme Elvira Cortajarena, Mme Anna Čurdová, M. Noel Davern, M. Dumitru Diacov, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, M. Joan Albert Farré Santuré, M. Piero Fassino (remplaçant: M. Pietro Marcenaro), M. Per-Kristian Foss, Mme Doris Frommelt, M. Jean-Charles Gardetto, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Davit Harutiunyan, M. Jean-Pol Henry, M. Serhiy Holovaty, M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović, Mme Corien W.A. Jonker, Mme Darja Lavtižar-Bebler, M. Göran Lindblad, M. Younal Loutfi, M. Mikhail Margelov, M. Tomasz Markowski, M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Murat Mercan, M. Mircea Mereutǎ, M. Dragoljub Mićunović (remplaçant: M. Željko Ivanji), M. Jean-Claude Mignon (remplaçant: M. Laurent Béteille), Mme Nadezhda Mikhailova, M. Aydin Mirzazada, M. João Bosco Mota Amaral, Mme Natalia Narochnitskaya, Mme Miroslava Němcová, M. Hryhoriy Nemyrya, M. Fritz Neugebauer, Mme Kristina Ojuland (remplaçant: M. Andres Herkel), M. Theodoros Pangalos (remplaçant: M. Konstantinos Vrettos), Mme Elsa Papadimitriou, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, M. Gabino Puche (M. Pedro Agramunt), M. Lluís Maria de Puig, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Andrea Rigoni, Lord Russell Russell-Johnston, M. Oliver Sambevski, M. Ingo Schmitt, Mme Hanne Severinsen, M. Samad Seyidov, M. Leonid Slutsky, M. Rainder Steenblock, M. Zoltán Szabó, Baroness Taylor of Bolton (remplaçant: M. John Austin), M. Mehmet Tekelioğlu, M. Mihai Tudose, M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaité, M. Björn Von Sydow, M. Harm Evert Waalkens, M. David Wilshire, M. Wolfgang Wodarg, Mme Gisela Wurm, M. Boris Zala, M. Krzysztof Zaremba.

Ex officio: MM. Mátyás Eörsi, Tiny Kox.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 6e séance, 23 janvier 2008 (adoption du projet de résolution amendé et du projet de recommandation); et Résolution 1599 et Recommandation 1826.