Rapport | Doc. 11533 | 14 mars 2008
Adhésion de l’Union européenne/Communauté européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Résumé
Le rapport soutient clairement l’adhésion de l’Union européenne (UE) à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Alors que des discussions ont été menées depuis plusieurs années sur cette question, l’Assemblée a régulièrement lancé des appels en faveur de cette adhésion.
Le rapport réitère les arguments en faveur de l’adhésion, entre autres une meilleure protection des droits des individus, la garantie de la cohérence du système de protection des droits de l’homme dans l’ensemble de l’Europe, ou encore le renforcement du principe de sécurité juridique. Le Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l’UE (TUE) et le Traité instituant la Communauté européenne (TCE), signé le 13 décembre 2007 par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’UE, établit une base juridique pour l’adhésion de l’UE à la CEDH.
Constatant que la volonté politique pour l’adhésion existe manifestement au sein des deux organisations et que la situation juridique le permet, le rapport conclut que les déclarations d’intention devraient se traduire dans les faits par l’adhésion sans délais de l’UE à la CEDH.
Le Comité des Ministres et l’UE devraient entamer immédiatement les négociations sur l’instrument d’adhésion. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont pour leur part appelés à approuver et/ou ratifier rapidement les instruments nécessaires à l’adhésion.
A. Projet de résolution
(open)B. Projet de recommandation
(open)L’Assemblée parlementaire, rappelant sa Résolution … (2008) sur l’adhésion de l’Union européenne/ Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, recommande au Comité des Ministres d’entamer immédiatement des négociations avec l’Union européenne sur l’instrument d’adhésion, sur les modalités de l’adhésion et sur ses implications procédurales, en tenant compte de la spécificité de l’Union européenne, afin de garantir l’adoption rapide des instruments d’adhésion.
C. Exposé des motifs, par Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc
(open)1. Introduction
2. Raisons de l’adhésion
3. La voie vers l’adhésion
3.1. Les hypothèses en cas de système institutionnel modifié
3.2. Les hypothèses en cas de système institutionnel inchangé
3.3. Suites à donner
4. Conclusions et recommandations
- une meilleure protection des droits des individus;
- davantage de cohérence tant au niveau des institutions européennes qu’entre l’UE/la CE et chacun des Etats membres ou candidats (à l’adhésion à l’UE);
- la mise en place d’un contrôle externe par un tribunal indépendant et une meilleure crédibilité de l’UE vis-à-vis des pays tiers en matière de normes de droits de l’homme.
Annexe 1 – Contribution de M. Pieter van Dijk, membre de la Commission de Venise et ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme
(open)I. Introduction
II. Du point de vue pratique: la jurisprudence de la CJCE
III. Du point de vue des principes: supervision internationale
IV. L’attitude adoptée jusqu’ici par les organes de Strasbourg
V. Identité spécifique de l’UE
VI. Fondement juridique de l’adhésion
VII. Conclusion
Annexe 2 – Contribution de M. Francis G. Jacobs, professeur de droit, King’s College (Londres) et ancien avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)
(open)I. Introduction
La présente note, établie sur demande, a pour objet de résumer par écrit mon analyse. Elle se fonde sur l’hypothèse que le «traité de réforme» de l’UE (Traité de Lisbonne), dont l’approbation doit intervenir en octobre 2007, entrera effectivement en vigueur. Ce traité aura pour conséquence d’établir une base juridique pour l’adhésion de l’UE à la CEDH – base qui n’existe sans doute pas dans les traités actuels – étant donné qu’il aura pour effet non pas de permettre, mais d’imposer l’adhésion de l’UE à la CEDH. De plus, alors que les débats antérieurs ont porté sur la question de l’adhésion de l’UE/Communauté européenne et sur la capacité de l’UE à conclure des traités, l’UE sera dorénavant la seule organisation en mesure de le faire puisque, aux termes du Traité de Lisbonne, la Communauté européenne sera intégrée à l’UE et cessera d’exister en tant que telle; l’UE aura alors indiscutablement la capacité de conclure des traités. Dans la suite de cette note, je ne ferai référence qu’à l’UE.
Il m’est demandé d’examiner tout particulièrement les implications de l’adhésion de l’UE en ce qui concerne le respect des normes relatives aux droits de l’homme dans toute l’Europe et les relations entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice des Communautés européennes.
II. Les conséquences de l’adhésion de l’UE
A mon avis, même si l’adhésion de l’UE est largement jugée souhaitable pour des raisons d’ordre politique et symbolique, elle aura concrètement des effets assez limités sur le respect des normes en matière de droits de l’homme car la CEDH est déjà reconnue comme la norme fondamentale pour la protection des droits de l’homme en Europe. Ce point est reconnu depuis longtemps dans le Traité sur l’UE lui-même et dans les propres politiques de l’UE, notamment dans sa politique d’élargissement. Plus récemment, il a été accepté dans la jurisprudence de la CJCE, laquelle applique non seulement la CEDH comme si l’UE était déjà liée par celle-ci, mais suit aussi étroitement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’importance de la jurisprudence de la CJCE a été reconnue de manière frappante par la Cour européenne des droits de l’homme elle-même dans son arrêt sur l’affaire Bosphorus Airways.
III. Les effets juridiques de l’adhésion – des failles dans le système actuel
D’un point de vue juridique, par opposition à la perspective politique, la principale question doit être de savoir si le fait que l’UE ne soit pas partie à la CEDH se traduit par des failles dans le système de protection des droits de l’homme. La question est, bien évidemment, complexe: il faut par exemple prendre en compte les cas dans lesquels les Etats membres appliquent le droit communautaire et les cas dans lesquels ce sont les institutions de l’UE elles-mêmes qui contreviendraient à la CEDH; il faut en outre faire une distinction entre les dispositions des traités (et les dispositions de même rang) et les mesures subordonnées relevant de la législation ou des décisions de l’UE. Pour être bref, la réponse est que les failles existantes sont limitées: elles peuvent apparaître dans des domaines restreints pour lesquels la CJCE n’est pas compétente. En tout état de cause, il serait souhaitable que la compétence de la CJCE soit étendue de manière à couvrir tous les cas dans lesquels les droits personnels reconnus par la CEDH pourraient être affectés par des mesures de l’UE, car il se pourrait bien que l’absence de possibilité de recours devant la CJCE constitue en elle-même une violation de la CEDH. Un effet bénéfique potentiel de l’adhésion de l’UE à la CEDH pourrait donc être l’extension de la compétence de la CJCE dans ce cas de figure. Cette extension pourrait se faire par amendement des traités ou, dans certains domaines, par la jurisprudence de la CJCE – en étendant par exemple le droit d’accès des particuliers aux juridictions de l’UE, notamment au Tribunal de première instance.
IV. La Charte des droits fondamentaux de l’UE
Le système de protection des droits de l’homme dans l’UE sera plus complexe avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui deviendra contraignante (dans certaines limites) avec le traité de réforme, même si elle n’est pas incorporée aux traités. L’intention de la Charte est que les droits qui correspondent à des droits consacrés par la CEDH devront être interprétés dans la logique des droits de la CEDH, mais l’existence de deux textes distincts, avec des formulations différentes, sera source de confusion. Cette confusion pourrait être accrue si l’on perd de vue que la Charte lie les Etats membres de l’UE uniquement dans l’application du droit communautaire. Il existe aussi un risque de clivage entre les Etats membres de l’UE et ceux qui n’en font pas partie mais sont liés par la CEDH, alors qu’ils ne le sont pas par la Charte. Des mesures devront être prises, si possible, pour limiter la confusion et garantir une interprétation homogène. La CEDH devrait rester le socle de la protection des droits de l’homme en Europe.
V. Les modalités d’adhésion de l’UE à la CEDH
La négociation des modalités d’adhésion à la CEDH et les décisions relatives aux amendements qu’il est nécessaire d’apporter au système conventionnel et au texte même de la Convention pourraient être un exercice difficile. Des questions de fond pourraient se poser quant à la portée des droits conventionnels et à leurs limitations, de même que des questions procédurales sur les relations entre l’UE et ses Etats membres dans les procédures devant la Cour européenne des droits de l’homme et des questions institutionnelles sur la place de l’UE à la Cour et au Comité des Ministres. Quoi qu’il en soit, il est essentiel que le système conventionnel ne devienne pas inutilement complexe et que rien ne soit entrepris qui viendrait l’affaiblir.
Annexe 3 – Contribution de Mme Florence Benoît-Rohmer, professeur à l’université Robert-Schuman (Strasbourg)
(open)Après avoir longtemps fait l’objet de fortes réserves de plusieurs Etats membres de l’Union, l’adhésion de l’Union à la CEDH est aujourd’hui unanimement soutenue. Le temps du débat sur les principes semble passé, il paraît plus important de se pencher sur les conséquences pratiques de la démarche.
I. Motifs qui militent en faveur de l’adhésion
Le temps a singulièrement atténué la pertinence des arguments de fond en faveur de l’adhésion. Aujourd’hui, en application de l’article 6, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne (TUE), l’Union respecte les droits garantis par la Convention puisqu’ils sont incorporés dans le traité. Dans sa jurisprudence, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) impose à la Communauté et aux Etats membres, lorsqu’ils agissent dans le champ d’application du droit communautaire, le respect de ces droits en tant que principes généraux du droit. Certes, l’action de l’Union dans le champ de la justice et des affaires intérieures (JAI) restait largement soustraite au contrôle de la Cour. Or, il s’agit d’un domaine particulièrement sensible au regard des droits de l’homme. La «communautarisation» de la JAI, prévue par la Constitution et reprise dans les traités en cours de négociation, viendra combler cette lacune.
Mais le contrôle communautaire n’est pas exclusif d’un contrôle par la Cour européenne des droits de l’homme depuis les arrêts Matthews et «Bosphorus Airways» . Selon ce dernier, les actes communautaires bénéficient d’une présomption de conformité avec la Convention pour autant que le droit communautaire accorde une protection équivalant à celle de la Convention. Mais cette présomption n’est pas absolue et peut être renversée au cas par cas. Dans les faits, à tout point de vue, la situation est fort proche de l’adhésion.
Dans ces conditions, l’adhésion a-t-elle encore un intérêt? Sur le plan politique, il est évident que l’adhésion témoignerait de l’existence d’une solidarité européenne dans le champ des droits fondamentaux. Sur un plan pratique, elle simplifierait les voies de droit. En effet, le parcours actuel d’une éventuelle victime n’est pas aisé puisque après épuisement des recours nationaux et communautaires, il doit saisir la Cour de Strasbourg d’une requête, non contre l’auteur de l’acte contesté (l’Union ou la Communauté), mais contre un Etat membre. Une condamnation éventuelle de ce dernier ne garantit pas que la situation soit redressée puisqu’un tel redressement dépend d’un tiers à l’affaire, l’UE. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer la saga du droit de vote des habitants de Gibraltar aux élections européennes. Il a fallu une intervention indulgente de la CJCE pour apporter une réponse que les institutions européennes n’avaient pu trouver .
De plus, le futur requérant est contraint de se livrer à de subtiles analyses afin de déterminer si la protection offerte par le droit communautaire est équivalente ou non à celle que garantit la Convention. De tels aléas peuvent le contraindre à renoncer à sa requête, ce qui n’est guère favorable à la protection juridictionnelle. D’autre part, il est assez illogique de voir un Etat mis en cause pour un acte dont il n’est pas responsable alors que le responsable, l’Union, ne peut être partie au litige. L’adhésion simplifierait à cet égard la situation. Enfin, elle donnerait toute sa portée à l’article 1 de la Convention en rendant celle-ci applicable sans doute à tous les actes qui entrent dans son champ d’application.
En résumé si des solutions pragmatiques rendent sans doute l’adhésion moins urgente aujourd’hui qu’hier, les exigences de clarté, de sécurité juridique et de protection juridictionnelle des particuliers, à côté de raisons d’ordre politique, militent en faveur de l’adhésion.
II. Faut-il réviser les traités?
Sur ce point, le réalisme s’impose. Les Etats membres ont accepté l’Avis 2/94 rendu en 1996 par la CJCE sur la nécessité d’une révision des traités pour permettre l’adhésion. Il est fort douteux qu’ils changent d’opinion. Mieux, ils ont introduit une clause relative à l’adhésion dans la Constitution . Cette clause est reprise dans les traités modificatifs actuellement en cours de négociation au sein de l’Union. Tout est donc subordonné à l’entrée en vigueur de ces traités. D’ici là, toutes les controverses sur la possibilité juridique d’adhérer sans révision ou d’obtenir de la Cour un avis en ce sens ne sont que perte d’un temps qui devrait être mis à profit pour soutenir la ratification.
III. Les modalités de l’adhésion
Selon les textes en cours d’examen, l’adhésion doit faire l’objet d’un accord négocié selon la procédure classique par la Commission sur la base d’un mandat du Conseil. Par rapport à la Constitution, l’accord devra être approuvé à l’unanimité des membres de l’Union et non plus à la majorité qualifiée. Il ne faut pas attacher trop d’importance à ce changement qui trouve son origine dans la volonté de ne pas opérer un transfert de compétence qui exigerait dans certains Etats membres un référendum pour son approbation et non dans une quelconque méfiance à l’égard de la Convention. De toute façon, tous les Etats membres étant parties à la Convention, leur accord sera nécessaire pour faire ratifier l’accord d’adhésion par leurs parlements nationaux. L’exigence de l’unanimité ne change rien au fond.
Les traités modificatifs maintiennent l’exigence de l’adhésion, puisque le texte français indique que «l’Union adhère» à la CEDH.
IV. L’exigence de préservation de la spécificité de l’Union
Les projets de traités modificatifs reprennent le protocole annexé à la Constitution sur l’adhésion de l’Union à la CEDH . L’article premier de ce protocole subordonne l’adhésion au respect de la spécificité de l’Union et du droit de l’Union. Cette exigence a des incidences importantes sur les modalités de fonctionnement du contrôle de la Cour ainsi que sur les aspects institutionnels de l’adhésion.
Compte tenu du partage de compétences entre l’Union et les Etats membres, il faut s’assurer que les recours seront dirigés contre le véritable responsable de la violation. La décision n’est pas simple en ce qui concerne les Etats lorsque le droit de l’Union laisse une certaine marge d’appréciation aux Etats. Dans ce cas, il faut déterminer si la violation est intervenue ou non dans le cadre de cette marge. Or laisser cette détermination à la Cour reviendrait à la laisser juge de la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres, ce qui n’est pas acceptable. Il conviendra donc d’imaginer un système qui permette à l’individu d’attaquer simultanément l’Union et un Etat membre en laissant à l’Union elle-même le soin de désigner, au besoin avec le concours de la CJCE, qui sera défendeur. Une solution de ce type figure déjà à l’annexe IX, article 6, de la Convention sur le droit de la mer.
L’autre question concerne la participation de l’Union au mécanisme de contrôle. S’agissant de la Cour, la spécificité paraît imposer la présence d’un «juge de l’Union». Il conviendra de savoir si ce juge doit participer avec voix délibérative à toutes les affaires ou seulement à celles qui impliquent une mise en cause de l’Union. Quant au Comité des Ministres, la participation de l’Union aux travaux relatifs à la CEDH devra être assurée sous une forme adéquate.
Quel devra être le mode de contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme? On a parfois suggéré qu’elle soit saisie par la CJCE de demandes préjudicielles. Une telle formule ne paraît pas respecter la spécificité de l’Union qui, dans le domaine de ses compétences, doit être considérée comme une partie comme une autre. D’ailleurs, peut-on imaginer la durée d’un litige dans lequel la CJCE elle-même saisie par voie préjudicielle saisirait à son tour d’une question préjudicielle la Cour européenne des droits de l’homme. Quatre ou cinq ans pourraient s’écouler avant que le tribunal national ne rende sa décision au fond. Une telle solution pourrait dissuader les requérants, ce qui poserait de sérieux problèmes en matière d’application uniforme du droit communautaire. La seule voie raisonnable est celle de la requête individuelle après épuisement des recours internes parce qu’elle laisse le particulier libre de ses choix.
A cet égard, l’adhésion ne pourra produire pleinement ses effets que si la Cour européenne des droits de l’homme parvient à accélérer son processus de décision. L’entrée en vigueur du Protocole no 14 est donc, à tous points de vue, un préalable indispensable, et la réforme du système doit être poursuivie de manière diligente.
V. Le respect des attributions des institutions de l’Union
Cette exigence du Protocole sur l’adhésion de l’Union à la CEDH vise à préserver notamment le rôle de la CJCE qui devra conserver l’exclusivité du contrôle de légalité des actes de l’Union. Les arrêts de Strasbourg devront rester déclaratoires et il appartiendra aux institutions de l’Union de tirer les conséquences d’une éventuelle condamnation.
De la même manière, la Cour de l’Union a compétence exclusive, et elle l’a rappelé récemment avec vigueur, pour régler les différends entre Etats membres relatifs à l’application du traité. Dès lors, il conviendra d’exclure ces hypothèses lors de l’adhésion pour les réserver à la CJCE. Ce principe est rappelé par le paragraphe 3 du protocole .
VI. Les engagements des Etats membres et ceux de l’Union
L’article 2 du Protocole sur l’adhésion de l’Union à la CEDH s’efforce de régler les rapports entre les engagements de l’Union et ceux des Etats membres à l’égard de la Convention . Chacun doit rester maître de ses propres engagements et libre d’en choisir la portée. Les engagements de l’Union ne doivent pas avoir d’effets sur les Etats membres dans les limites des compétences de ces derniers. Cela implique que la participation de l’Union à un protocole ne doit pas emporter d’obligations dans le domaine des compétences propres à un Etat membre qui aurait choisi de ne pas ratifier ce protocole et vice versa.
VII. Conclusion
Aujourd’hui l’adhésion n’est pas contestée et les efforts de réflexion devraient porter plutôt que sur cette dernière sur les modalités de mise en œuvre d’une adhésion. En d’autres termes, si l’on veut être efficace, le temps de la rhétorique politique semble passé et l’heure venue d’effectuer un travail concret sur les aspects pratiques de la participation de l’Union, compte tenu de la spécificité et des contraintes de celle-ci.
Annexe 4 – Contribution de M. Olivier De Schutter, professeur à la faculté de droit de l’Université catholique de Louvain et au Collège d’Europe (Bruges)
(open)I. Introduction
En vue du débat qu’il est prévu d’organiser à Paris le 11 septembre 2007, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a sollicité un avis sur la note introductive (AS/Jur (2007) 22 rév., du 9 juillet 2007) préparée par le rapporteur, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, concernant la question de l’adhésion de l’Union européenne/Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (le document en question est désigné ci-après la «note»). Les présents commentaires portent d’abord sur le nouveau contexte établi, depuis la rédaction de la note, par l’accord politique provisoire auquel sont parvenus les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE sur le projet de traité modifiant le Traité sur l’UE et le Traité instituant la Communauté européenne (projet de traité modificatif). Ils examinent ensuite plusieurs questions que soulève la note introductive.
II. Le projet de traité modifiant le Traité sur l’UE et le Traité instituant la Communauté européenne (projet de traité modificatif)
En vue de la préparation du rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), il convient de modifier la note de sorte à prendre en considération l’accord politique arrêté sur le texte de projet de traité modifiant le Traité sur l’UE (TUE) et le Traité instituant la Communauté européenne (TCE) (projet de traité modificatif) (CIG 1/07, 23 juillet 2007), qui selon toute vraisemblance sera confirmé les 18 et 19 octobre 2007 et signé lors du Conseil européen de décembre 2007. A cet égard, il est utile de formuler trois observations.
i. La compétence de l’UE à adhérer à la CEDH
Premièrement– et cela constitue l’aspect le plus important, le projet de traité modificatif table sur l’hypothèse que l’UE se verra attribuer la compétence d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le texte ayant fait l’objet d’un accord provisoire inclurait un amendement à l’article 6 du TUE, qui mentionnerait ainsi au paragraphe 2:
«L’Union adhère à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les traités.»
Mis à part l’abandon du terme de «Constitution», cette phrase est identique à celle figurant à l’article I, paragraphe 9, alinéa 2, du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, qui a été signé le 29 octobre 2004 au terme de la précédente conférence intergouvernementale mais n’a pas pu être ratifié par l’ensemble des Etats membres de l’UE et, ainsi, prendre effet. Toutefois, le projet de traité modificatif prévoit aussi l’insertion de l’article 188n dans le Traité instituant la Communauté européenne (TCE) rebaptisé Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), à la place de l’ancien article 300 du TCE. L’article 188n du TFUE disposerait, premièrement, que le Parlement européen approuve l’accord relatif à l’adhésion de l’Union à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avant que ledit accord ne soit adopté par le Conseil (article 188n, paragraphe 6, alinéa 2.a.ii). Ensuite, il ajouterait (article 188n, paragraphe 8, alinéa 2) que:
«Le Conseil statue (…) à l’unanimité pour l’accord portant adhésion de l’Union à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; la décision portant conclusion de cet accord entre en vigueur après son approbation par les Etats membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.»
Autrement dit, la conclusion d’un accord sur l’adhésion de l’UE à la CEDH est abordée comme une question constitutionnelle, ce qui veut dire que chaque Etat membre ratifie obligatoirement l’accord avant que celui-ci ne prenne effet. Cela va au-delà non seulement de l’obligation que le Conseil statue à la majorité qualifiée pour autoriser l’ouverture de négociations, adopter des directives de négociation, autoriser la signature d’accords et conclure de tels accords – ce qui est la règle générale en matière de négociation et conclusion d’accords internationaux par l’Union – mais aussi de l’obligation que le Conseil statue à l’unanimité. Etant donné que cela peut compromettre l’objectif de la conclusion d’un accord sur l’adhésion de l’UE à la CEDH, auquel les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe ont affirmé leur soutien à l’occasion du Sommet de Varsovie de mai 2005, il ne serait peut-être pas une mauvaise idée que l’APCE envoie un signal fort tendant à souligner que l’ajout d’un obstacle supplémentaire, de la manière susmentionnée, n’est pas conforme à l’intention proclamée et ne peut que contribuer à retarder davantage le processus d’adhésion.
ii. La personnalité juridique de l’UE
Deuxièmement, le projet de traité modificatif prévoit d’insérer l’article 32 dans le Traité sur l’UE afin de disposer que l’Union jouit d’une personnalité juridique, après l’entrée en vigueur du traité modificatif. La note précise, à ce propos, que «l’UE/CE doit également être dotée d’une personnalité juridique, dont seule peut se prévaloir à ce jour la Communauté européenne, bien que d’aucuns avancent que la personnalité juridique de l’UE a été reconnue de façon implicite – au plus tard par le Traité de Nice» (paragraphe 16, note de bas de page omise). Toutefois, il convient de noter l’existence d’un consensus dans le milieu des juristes sur le fait que l’UE jouit d’une personnalité juridique internationale . Celle-ci découle des articles 24 et 38 du Traité sur l’UE, qui disposent que le «Conseil», représentant l’Union (c’est-à-dire, pas les Etats membres de l’UE) et agissant en tant qu’une des institutions de l’Union, conclut des accords internationaux . Le Traité de Nice, dans la mesure où il modifie l’article 24 du Traité sur l’UE, ne fait que confirmer ce qui était déjà le cas avant son entrée en vigueur. L’UE s’étant vu attribuer une compétence pour conclure des accords internationaux – et ayant exercé cette compétence dans les faits , il en résulte qu’elle est dotée d’une personnalité juridique internationale, sans que cela soit nécessairement stipulé en termes explicites . C’est aussi le point de vue adopté par le service juridique du Conseil de l’UE, du moins depuis l’an 2000 . Il ne peut être conseillé d’adopter, sur ce point, une position qui soit moins «progressiste» que celle du Conseil de l’UE lui-même .
iii. Protection juridictionnelle dans le droit de l’Union
Un troisième point de la contribution du projet de traité modificatif au débat sur l’adhésion de l’Union à la CEDH porte sur la question des recours. Durant le débat sur l’adhésion de l’UE à la CEDH, un des arguments en faveur de ladite adhésion qui est revenu le plus souvent – mais qui n’est pas mentionné dans la note – est que les voies de recours ouvertes aux parties privées (qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales) dans l’ordre juridique CE/UE sont à certains égards insuffisantes et qu’en revanche, l’article 34 CEDH est relativement généreux dans la définition des conditions dans lesquelles une personne allégeant être victime d’une violation d’un droit ou d’une liberté reconnu par la CEDH peut introduire une requête individuelle devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, d’après cet argument, l’adhésion de l’UE à la CEDH garantirait l’accès de tout justiciable lésé par un acte adopté par la CE ou l’UE à un tribunal qui sera compétent pour déterminer si la disposition en cause porte atteinte à des droits fondamentaux ou pas.
Désormais, il convient de traiter avec prudence cet argument qui était encore un argument de poids il y a quelques années de cela. La question de savoir si le justiciable dont la situation juridique est affectée par un acte adopté par la CE/UE a accès aux recours juridictionnels prescrits par l’article 13 CEDH (droit à un recours effectif), sur lequel se fonde l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE en même temps qu’il en renforce les exigences (droit à un recours effectif et à un procès équitable), présente au moins trois volets distincts .
Premièrement, se pose la question de savoir si le système général de recours organisé par le TCE (y compris tant les actions directes devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) que la saisine de la CJCE par les tribunaux nationaux qui, le cas échéant, statuent à titre préjudiciel dans les conditions spécifiées à l’article 234 du TCE) est en conformité avec ces exigences. Les règles du TCE présentent toujours des lacunes de taille à cet égard: bien que les actions directes demandant l’annulation d’actes communautaires de portée générale ne puissent être engagées que par des justiciables qui ont non seulement un intérêt direct à demander l’annulation en question, mais aussi un intérêt individuel (selon l’interprétation traditionnelle de l’article 230, alinéa 4, du TCE), certains actes réglementaires peuvent avoir une incidence directe sur des individus sans pour autant les singulariser suffisamment pour que le critère susmentionné soit rempli; et l’alternative consistant à demander un renvoi des tribunaux nationaux peut s’avérer insatisfaisante lorsqu’elle oblige un justiciable à encourir une amende pour avoir violé une règle qui lui est applicable. Cependant, sans modifier son interprétation des conditions dans lesquelles une personne privée peut introduire une action directe devant la Cour en annulation d’un acte communautaire, la CJCE a montré dans sa jurisprudence récente une volonté d’imposer aux Etats l’obligation d’adapter leur système juridique national respectif (en particulier les procédures devant les tribunaux nationaux) de sorte que le système de recours dans son ensemble ne présente pas de lacunes. Ainsi, dans un arrêt rendu le 13 mars 2007, la CJCE a relevé ce qui suit :
«En effet, si le traité CE a institué un certain nombre d’actions directes qui peuvent être exercées, le cas échéant, par des personnes privées devant le juge communautaire, il n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national (...)
Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (...)
Ainsi, s’il appartient, en principe, au droit national de déterminer la qualité et l’intérêt d’un justiciable pour agir en justice, le droit communautaire exige néanmoins que la législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective (...). Il incombe en effet aux Etats membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect de ce droit (...).»
Cet arrêt confirme la volonté de la CJCE d’obliger les Etats membres de l’UE à contribuer à la mise en place d’un système de recours complet à même de garantir le respect des exigences de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dans l’ordre juridique communautaire.
Deuxièmement, les conditions spécifiques dans lesquelles les compétences de la CJCE en vertu de l’article 234 du TCE (renvoi préjudiciel) seront exercées dans les domaines visés par le titre IV du TCE (visas, asile, immigration et autres politiques ayant trait à la libre circulation des personnes) constituent un problème.
Troisièmement, les attributions limitées de la CJCE en vertu du titre VI du Traité sur l’UE constituent aussi un problème. Une grande latitude est laissée à chaque Etat membre de l’UE pour définir les conditions dans lesquelles ses juridictions nationales seront autorisées (ou, dans certains cas, obligées) à coopérer avec la CJCE à travers un mécanisme de renvoi (voir article 35 du Traité sur l’UE). Et il n’existe aucune disposition relative à l’introduction, par un justiciable privé, d’une action directe en annulation d’actes adoptés par l’UE, aux termes de ce titre du Traité sur l’UE.
Ces problèmes sont analysés ailleurs et il n’est pas nécessaire de les examiner dans le détail ici . En effet, comme c’est le cas dans le Traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2004, dans le projet de traité modificatif la compétence normale de la Cour s’appliquera à toutes les questions relevant de la justice et des affaires intérieures, la seule exception étant la restriction spécifique définie à l’article 240b du TCE (TFUE):
«Dans l’exercice de ses attributions concernant les dispositions des chapitres 4 et 5, titre IV, partie III, relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la CJCE n’est pas compétente pour vérifier la validité ou la proportionnalité d’opérations menées par la police ou d’autres services répressifs dans un Etat membre, ni pour statuer sur l’exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.»
Cette restriction (qui correspondait à l’article III-377 du traité constitutionnel) s’applique uniquement au droit pénal et au maintien de l’ordre, et conserve l’article 35, paragraphe 5, du Traité sur l’UE actuel. Les diverses autres limitations concernant les compétences de la Cour pour des questions ayant à voir avec l’entraide judiciaire en matière pénale et la coopération policière, d’une part (article 35 du Traité sur l’UE), et les visas, l’asile, l’immigration et autres politiques relatives à la libre circulation des personnes, d’autre part (article 68 du TCE), doivent être abrogées .
Non seulement les pouvoirs de la CJCE seront étendus – la compétence qui lui est actuellement reconnue au sens du TCE étant ainsi élargie à l’ensemble des domaines au sens des TCE et TUE – mais, en plus, le projet de traité modificatif envisage d’améliorer l’accès des personnes à la justice, en partie en assouplissant les règles sur la qualité requise pour introduire une action directe en annulation d’actes réglementaires et en partie en constitutionnalisant la jurisprudence de la CJCE susmentionnée. Cela oblige les Etats membres de l’UE à veiller à ce que le droit à un recours judiciaire effectif soit garanti dans l’ordre juridique de l’UE. Le projet de traité modificatif portant amendement du TCE (Traité sur le fonctionnement de l’UE − TFUE) modifiera l’article 230, alinéa 4, du TCE. Cette disposition sera désormais remplacée par ce qui suit:
«Toute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.»
En outre le projet de traité prévoit l’insertion d’un article 9.f dans le Traité sur l’UE, concernant la CJCE. Ledit article inclut une obligation faite aux Etats membres de l’UE de veiller à ce que le droit à un recours juridictionnel effectif soit reconnu à toutes les personnes affectées par le droit de l’Union (article 9.f, paragraphe 1, alinéa 2) :
«Les Etats membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.»
En somme: a. la note pourrait souligner le fait que dans le contexte des traités CE/UE, la protection juridictionnelle du justiciable peut s’avérer insuffisante et que son droit à un recours effectif peut ne pas être observé à certaines occasions; b. elle pourrait ajouter que cette situation sera sensiblement améliorée par le traité modifiant le traité de l’UE et le Traité instituant la Communauté européenne, dont le projet a été approuvé à titre provisoire; et c. elle pourrait conclure en observant que, si l’amélioration des voies de recours disponibles dans l’ordre juridique de l’UE garantit que, dans la grande majorité des situations, toute violation alléguée de droits reconnus par la CEDH sera examinée dans le cadre de l’ordre juridique de l’UE et conformément aux procédures judiciaires établies par les traités UE eux-mêmes, il subsiste un avantage indéniable à organiser une supervision judiciaire externe du respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. Ainsi, tout en ne devant craindre aucune conséquence fondamentale de l’adhésion à la CEDH pour le système de recours juridictionnel organisé par les traités UE (étant donné que les réformes sont déjà en cours), l’UE devrait en même temps reconnaître qu’aussi complet et développé qu’il soit, un système de protection juridictionnelle des droits du justiciable interne à l’ordre duquel émane les mesures menaçant les droits en question est par nature moins capable d’une appréciation tout à fait objective et impartiale des exigences de protection juridictionnelle. En outre, alors que la CJCE peut identifier les cas de violation de droits fondamentaux qui ont leur origine dans le droit dérivé de l’Union (notamment, l’adoption de règlements, directives, décisions ou jugements du Tribunal de première instance), elle ne peut pas redresser les violations qui ont leur source dans le droit primaire de l’Union (c’est-à-dire, dans les traités UE eux-mêmes), que la CJCE est tenue de respecter.
III. Arguments en faveur de l’adhésion de l’UE à la CEDH
La note présente une série d’arguments en faveur de l’adhésion. Elle mentionne, à juste titre, le fait que l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme garantira la représentation de l’Union en tant que telle au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui supervise l’exécution des arrêts de la Cour. Cette situation sera plus satisfaisante que celle qui prévaut aujourd’hui, où la compatibilité des actes de l’Union avec la Convention européenne des droits de l’homme est en fait examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, quoique de manière indirecte – étant donné que cet examen intervient à travers la responsabilité internationale des Etats membres de l’Union, qui sont tous Parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme – et sans que l’Union ne soit représentée d’une quelconque manière dans les organes de contrôle.
Toutefois, deux autres arguments pourraient être mis en avant.
i. Accès aux voies de recours
En premier lieu, comme cela a été souligné plus haut, on pourrait évoquer la question du système de voies de recours accessible au justiciable victime d’une violation de droits de la personne. Alors qu’à mon avis, l’état actuel du droit de l’UE n’est pas satisfaisant au sens de l’article 13 de la CEDH – et que les possibilités pour le justiciable d’introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 34 de la Convention sont plus étendues que sous le régime de voies de recours accessible dans l’ordre juridique de l’UE, le traité modificatif améliorera probablement cette situation et les changements proposés à la compétence de la CJCE, s’ils sont associés à l’obligation faite aux Etats membres de l’UE d’organiser un système de voies de recours devant les tribunaux nationaux conformément aux exigences de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, mettront probablement l’UE en conformité avec les normes de la CEDH.
ii. Problèmes constatés dans la situation actuelle
En deuxième lieu, on renforcerait l’argumentation en expliquant pourquoi la situation actuelle est insatisfaisante. Aujourd’hui, la CJCE, comme toute Cour suprême ou constitutionnelle des Etats parties à la Convention, applique la Convention en prenant en considération l’interprétation de celle-ci par la Cour européenne des droits de l’homme . Et la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’elle peut constater que la responsabilité internationale de n’importe quel Etat membre de l’UE est engagée en vertu de la Convention, lorsque, dans une situation dans laquelle l’Etat en question est compétent, un droit reconnu par la Convention a été violé, même lorsque la source directe de la violation se trouve dans le droit de l’UE. Une telle situation est problématique pour deux raisons.
a. L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires mettant en jeu le droit de l’Union
Le premier problème à signaler est que, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme arrive à la conclusion que la Convention a été violée, l’Etat partie contre lequel la requête a été introduite peut être réticent à se conformer à cet arrêt, même s’il a une obligation légale de le faire en vertu de l’article 46 de la CEDH. Dans l’affaire Matthews c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le Royaume-Uni avait violé l’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention, parce que la requérante n’avait pas pu participer aux élections au Parlement européen étant donné qu’elle était résidente de Gibraltar (arrêt du 18 février 1999). Cependant, cette situation – alors qu’elle relevait de la compétence territoriale du Royaume-Uni – découlait d’une annexe à l’Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976, annexé à la Décision du Conseil 76/787, signé par le président du Conseil des Communautés européennes et les ministres des Affaires étrangères des Etats membres d’alors, ainsi que de l’extension des attributions du Parlement européen à la suite de Traité sur l’UE (Traité de Maastricht) le 1er novembre 1993. Puisque la violation avait son origine dans le droit de l’UE – en particulier, dans le droit primaire de l’UE (les traités UE), le Royaume-Uni à lui seul ne pouvait en principe pas décider de se conformer à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Si l’European Parliament (Representation) Act de 2003 (EPRA, 2003) a finalement octroyé le droit de vote au corps électoral de Gibraltar aux fins des élections au Parlement européen de 2004 , cette mesure a été adoptée unilatéralement après l’échec du Conseil à parvenir à un accord unanime sur un amendement à l’Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct de 1976, visant à étendre l’application dudit acte à Gibraltar . L’Irlande aurait été confrontée à une difficulté similaire si, dans l’affaire Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu que la saisie de l’aéronef pris à bail par la société requérante avait violé la Convention.
b. Le degré de contrôle judiciaire à appliquer aux mesures adoptées par l’UE
Le deuxième problème à mentionner est que les mesures adoptées par la CE/UE sont examinées par la Cour européenne des droits de l’homme avec un niveau de contrôle moins exigeant. Dans l’affaire Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande, la Cour a confirmé sa position déjà adoptée à plusieurs reprises, selon laquelle même si la Convention n’interdit pas aux Parties contractantes de transférer un pouvoir souverain à une organisation internationale (y compris supranationale) dans le cadre d’une coopération dans certains domaines d’activité, toute Partie contractante reste néanmoins responsable au sens de l’article 1 de la Convention pour l’ensemble des actes et omissions de ses organes, indépendamment du fait que l’acte ou l’omission en question découle d’une loi nationale ou de la nécessité de se conformer à des obligations juridiques internationales. De l’avis de la Cour, «il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats contractants soient exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné». Cependant, a dit la Cour (au paragraphe 155 de son arrêt):
«Une mesure de l’Etat prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention (…) Par “équivalente”, la Cour entend “comparable”: toute exigence de protection “identique” de la part de l’organisation concernée pourrait aller à l’encontre de l’intérêt de la coopération internationale poursuivi (…) Toutefois, un constat de “protection équivalente” de ce type ne saurait être définitif: il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux.»
Cette approche dite «Solange» s’inspire étroitement de l’attitude qu’a eue la Cour constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne (Bundesverfassungsgericht) lorsqu’il lui a été demandé de reconnaître la primauté du droit de l’UE quand bien même cela pourrait aboutir à des situations où le catalogue des droits fondamentaux de la Grundgesetz serait mis de côté . En 1990, elle a été importée par la Commission européenne des droits de l’homme, inspirée à cet égard par Henry Schermers et H.-C. Krüger . La doctrine en question est bénéfique pour le droit de l’Union; plus précisément, elle est bénéfique pour les Etats membres de l’UE, en tant qu’Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme, lorsqu’ils appliquent le droit de l’Union en l’absence de toute marge d’appréciation. En revanche, elle n’est pas bénéfique pour les Etats parties à la Convention, même lorsqu’ils ont mis en place dans leur ordre juridique interne un système de protection des droits fondamentaux qui peut être considéré comme «équivalent», tant substantiellement qu’en termes de procédures, à celui garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (par exemple, lorsque leurs tribunaux nationaux appliquent directement la Convention et prennent en considération l’interprétation donnée à la Convention par la Cour européenne des droits de l’homme ou lorsqu’il existe une Cour constitutionnelle qui peut annuler ou mettre de côté les lois nationales en conflit avec les normes de la Convention).
Cette doctrine de «protection équivalente» a été conçue au départ pour faciliter la participation des Etats parties à la Convention à l’Union/Communautés européennes, organisation supranationale à laquelle ils ont accepté de céder certains pouvoirs dans plusieurs domaines susceptibles d’avoir une incidence sur les droits fondamentaux. En cas d’adhésion de l’Union à la Convention, trois scénarios sont plausibles. Le premier scénario est que cette doctrine de «protection équivalente» s’étendra à toute situation où, au niveau national, une telle protection «équivalente» est assurée. Cette «propagation» de la doctrine traduirait clairement le principe de subsidiarité dans le système de la Convention européenne des droits de l’homme – c’est-à-dire le principe selon lequel la protection des droits et libertés définis par la Convention doit avant tout être mis en œuvre au niveau national, l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme se justifiant seulement lorsque ces mécanismes internes n’ont pas pu prévenir la survenance de violations ou, en cas de survenance de telles violations, leur réparation. D’aucuns pourraient voir en cela une évolution positive, dans un contexte où la Cour européenne des droits de l’homme ne peut manifestement pas gérer le volume croissant d’affaires à traiter et où même les solutions offertes par le Protocole no 14 à la Convention auront un impact limité. Le deuxième scénario est qu’au contraire, la doctrine de «protection équivalente» sera abandonnée. Dans une situation telle que celle décrite dans l’affaire Matthews ou «Bosphorus Airways», ce sera en fait l’Union, et non l’Etat membre mettant en œuvre l’Union et sous la compétence territoriale duquel la violation alléguée a eu lieu, qui devra répondre, en vertu de la Convention, des mesures adoptées. L’UE sera abordée par la Cour européenne des droits de l’homme comme toute autre partie à la Convention, l’unique différence résidant dans la nécessité de prendre en compte la répartition de compétences entre l’Union et les Etats membres: il n’y a aucune raison d’appliquer aux actes adoptés par l’Union un niveau de contrôle inférieur à celui appliqué aux actes adoptés par une quelconque autre Partie à la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que l’unique objet de la doctrine de «protection équivalente» – qui requiert l’application d’un niveau de contrôle réduit – est de faciliter le respect par les Etats des engagements qu’ils ont souscrits dans le cadre d’une organisation supranationale telle que la CE/UE, sans mettre de côté leurs responsabilités au sens de la Convention . Le troisième scénario, enfin, est que rien ne changera: la doctrine de «protection équivalente» continuera de servir de fondement à la Cour européenne des droits de l’homme lors de l’examen de la compatibilité des mesures adoptées par l’UE avec la Convention européenne des droits de l’homme – que celles-ci aient leur origine dans le droit primaire ou dans le droit dérivé de l’Union, mais la doctrine ne servira pas de fondement dans les autres situations.
A mon avis, même si ce troisième scénario n’est pas peu plausible, il serait juridiquement injustifié et politiquement inopportun. En effet, il serait juridiquement injustifié car, une fois que l’Union aura adhéré à la Convention, la nécessité de concilier des obligations internationales potentiellement contradictoires des Etats membres de l’UE (devant se conformer à la fois au droit de l’Union et à leurs obligations au titre de la Convention) aura disparu; en outre, même si la doctrine a peut-être été utile pour évaluer les obligations des Etats membres de l’UE en vertu de la Convention, il ne convient pas d’étendre sa logique à l’évaluation des obligations de l’Union elle-même. Par ailleurs, le troisième scénario serait inopportun d’un point de vue politique. Etant donné qu’il n’alignerait pas le statut de l’Union et celui des autres parties à la Convention, il enverrait un mauvais signal à l’opinion publique; et il ne résoudrait qu’en partie les problèmes qui justifiaient l’adhésion de l’Union à la Convention au départ. Par conséquent, si la référence aux «caractéristiques» de l’Union dans le projet de traité modificatif vise à préserver la doctrine de «protection équivalente» , il faudrait alors la remettre en question. Cette expression ne devrait faire référence qu’à la nécessité d’organiser le traitement des requêtes introduites contre les Etats membres de l’UE et/ou l’UE, afin de prendre en compte les caractéristiques de la répartition de compétences entre eux, qui, conformément au principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, devrait relever du droit de l’Union seul, sous la supervision de la CJCE (voir la section V ci-après). L’expression ne devrait pas servir autrement à préserver une sorte d’«extraconventionnalité» de l’Union.
En dernier ressort, il reviendra à la Cour européenne des droits de l’homme de choisir parmi les trois scénarios qui ont été mentionnés. Il ne serait pas sage de chercher à influencer le choix de la Cour sur ce point. Toutefois, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pourrait s’opposer à toute tentative, dans le cadre de la négociation du traité d’adhésion (ou d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme prévoyant l’adhésion de l’UE), qui viserait à restreindre le niveau de contrôle que la Cour européenne des droits de l’homme sera autorisée à exercer sur l’UE.
c. Le risque d’interprétations contradictoires des normes de la Convention européenne des droits de l’homme
J’ai constaté qu’il existe deux risques dans la situation actuelle, qui constituent de solides arguments en faveur de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme. En revanche, je ne pense pas qu’il existe un réel risque d’interprétations divergentes des normes de la Convention européenne des droits de l’homme dans la situation actuelle. La CJCE applique la Convention sur la base de l’interprétation faite de cet instrument par la Cour européenne des droits de l’homme: ses antécédents à cet égard ont été généralement excellents et comparables à ceux des meilleures cours constitutionnelles ou suprêmes nationales des Parties contractantes à la Convention. Bien entendu, dans les situations où la CJCE a tranché une affaire soulevant une question au sens de la Convention en l’absence d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il peut s’avérer difficile pour la CJCE – comme pour toute Cour constitutionnelle nationale se trouvant dans une situation similaire – de prévoir à l’avance la position que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait adopter. Cependant, si l’on suspecte que la CJCE s’est trompée dans l’application de la Convention à la situation qui lui est soumise, il reste possible pour la victime de la violation alléguée de chercher à engager la responsabilité de l’Etat membre de l’UE de la compétence duquel elle relève, en introduisant une requête contre cet Etat (ou, en fait, contre les 27 Etats membres de l’UE collectivement) devant la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que Mme Matthews a choisi de le faire à la suite des élections au Parlement européen de 1994.
IV. La complémentarité entre l’intégration de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dans les traités UE et l’adhésion de l’Union à la CEDH
Il est opportun que la note souligne également la complémentarité entre l’intégration de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dans les traités UE et l’adhésion de l’Union à la CEDH. Comme l’a mentionné le Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE en 2004 présenté au Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux , on peut faire une analogie avec l’inclusion d’un éventail plus ou moins complet de droits fondamentaux dans la Constitution respective des Etats membres, ce qui n’empêche pas ces Etats d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme ou à d’autres instruments internationaux de protection des droits de la personne: pareillement, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne n’invalide pas l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme, ni ne la vide de son utilité. Et tout comme il est d’autant plus facile pour les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme de se conformer aux obligations énoncées par ladite Convention, que leur droit constitutionnel interne garantit une protection effective des droits fondamentaux, il sera d’autant plus aisé pour l’Union de satisfaire à ses obligations en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme qu’elle aura renforcé la protection de ces droits d’un point de vue interne, à travers l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans les traités UE, que cette intégration se fasse directement ou par référence. Pour les Etats ainsi que pour l’Union, l’engagement de respecter un instrument international de protection des droits de la personne ne rend pas superflue l’amélioration de cette protection dans l’ordre interne. Au contraire, un tel engagement incite à approfondir une telle amélioration.
V. La compatibilité de l’adhésion avec les normes du droit de l’UE
i. La question de l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE
L’article 1 du Protocole (no 5) au projet de traité modificatif dispose ce qui suit:
«L’accord relatif à l’adhésion de l’Union à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…), prévue à l’article [I-9, paragraphe 2] du Traité sur l’UE, doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union, notamment en ce qui concerne:
a. les modalités particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la Convention européenne;
b. les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des Etats non membres et les recours individuels soient dirigés contre les Etats membres et/ou l’Union, selon le cas.»
En mentionnant la nécessité de «préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union», cette disposition fait référence au respect dû au principe d’autonomie de droit de l’Union. En conséquence, lorsqu’un justiciable introduit une requête conformément à l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme contre l’Union ou un Etat membre, la Partie concernée doit être identifiée conformément aux dispositions définies dans le droit de l’Union, sous le contrôle de la CJCE en dernier ressort .
Sur ce point, le paragraphe 12 de la note peut créer plus de confusion qu’il n’apporte de clarté. Ce paragraphe aborde ensemble, comme si elles étaient liées d’une quelconque manière, la question de l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE et celle de savoir si l’adhésion de l’UE à la CEDH se traduira par la «supériorité» d’une cour par rapport à l’autre. Cependant, ces questions sont distinctes et ne devraient donc pas être liées. L’«autonomie» à laquelle il est fait référence ne signifie pas qu’il existe des limites quant à la forme de supervision externe à laquelle l’UE peut se soumettre. Plutôt que cela, ce principe découle de la règle selon laquelle la CJCE garantit le respect du droit dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union , ainsi que de la règle selon laquelle les Etats membres s’engagent à ne pas soumettre un désaccord sur l’interprétation ou l’application des traités UE à un quelconque autre mécanisme de règlement que ceux prévus par les traités UE . Pour la CJCE, ces dispositions sont l’expression du principe général selon lequel la cour doit rester elle-même l’interprète en dernier ressort du droit de l’Union, et plus particulièrement des règles incluses dans les traités UE qui établissent la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres. En conséquence, le principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union exclut que la CJCE puisse être liée par l’interprétation qu’une autre instance juridictionnelle aura pu faire du droit de l’Union. Situé selon l’avis 1/91 du 14 décembre 1991 aux «fondements de la Communauté», ce principe veut obligatoirement que les questions d’interprétation et d’application du droit de l’Union ne puissent pas être réglées selon des procédures externes à l’UE, mais plutôt et seulement suivant les normes de règlement que l’Union elle-même a instituées . Néanmoins, ce principe n’exclut pas toutes les formes d’engagement international de l’UE qui sont placées sous le contrôle d’un tribunal international situé hors de l’ordre juridique de la Communauté .
Au paragraphe 13, la note propose ce qui suit: «une façon d’éviter d’éventuelles contradictions de jurisprudence entre les deux cours serait d’ajouter une disposition aux règles de procédure de la [CJCE] et du Tribunal de première instance similaire à l’article 6 de [l’Accord sur] l’Espace économique européen, disposant expressément que le droit de l’UE/la CE devrait “sans préjudice de futurs développements (…) être interprété conformément à la jurisprudence” de la Cour européenne des droits de l’homme.» Il convient de ne pas retenir cette proposition. Son incidence immédiate serait d’accréditer l’idée selon laquelle l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE serait menacée par l’adhésion, embrouillant ainsi davantage la question des obligations associées au principe d’autonomie. L’article 6 de l’Accord sur l’Espace économique européen, il convient de le souligner, n’a pas mentionné que la CJCE serait liée par l’interprétation du droit de l’UE faite par une autre instance juridictionnelle . Si tel avait été le cas, il n’aurait probablement pas été compatible avec le principe d’autonomie tel qu’explicité par la CJCE dans les deux avis qu’elle a rendues à propos de l’Accord EEE. Après l’adhésion, la Convention européenne des droits de l’homme fera partie du droit de l’UE et, en conséquence de cela et parce que cela est prescrit par l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la CJCE appliquera la Convention en prenant en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme . C’est déjà ce qu’elle fait aujourd’hui. Aucune disposition supplémentaire, dans les règles de procédure des juridictions de l’Union ou ailleurs, n’est nécessaire pour que cela continue. Bien entendu, il revient au droit de l’Union de décider comment – selon quelle répartition horizontale des tâches entre les institutions et répartition verticale des compétences entre les Etats membres de l’UE et l’Union – les obligations découlant de l’adhésion de l’Union à la CEDH devraient être mises en œuvre dans l’ordre juridique de l’UE. Il n’est peut-être pas opportun que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préjuge des mesures qui seront prises dans le cadre de l’ordre juridique de l’UE à cet égard. Par ailleurs, la clause proposée aurait pour effet regrettable de suggérer que la CJCE serait d’une certaine manière subordonnée à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle et ne sera pas le cas même après l’adhésion.
D’un autre côté, il serait peut-être souhaitable que la note aborde la question de savoir si l’imposition, par la Convention européenne des droits de l’homme, d’obligations positives aux Parties est susceptible d’avoir une incidence sur la neutralité de l’adhésion de l’UE à la CEDH en termes de répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres . A ce propos, le Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE en 2004 présenté au Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux souligne ce qui suit:
«l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme n’entraînera aucune modification dans la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres . Cette répartition continuera de relever du seul droit de l’UE. Il ne revient pas à la Cour européenne des droits de l’homme, gardienne de la Convention européenne des droits de l’homme, de se prononcer à cet égard. Lorsque, saisie d’une requête alléguant une violation de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme constatera l’existence de pareille violation, il appartiendra à l’Union et aux Etats membres, sous le contrôle de la CJCE, de déterminer quelles mesures doivent être adoptées afin de mettre un terme à la violation qui a été constatée, et qui – de l’Union ou des Etats membres – doit agir à cette fin. Des doutes se sont exprimés quant à la neutralité de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme sur la répartition existante des compétences, compte tenu en particulier de ce que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas hésité à imposer aux Parties contractantes le respect non seulement d’obligations d’abstention, mais également d’obligations dites “positives”, consistant en des obligations d’agir par l’adoption de certaines mesures, notamment de nature législative. En fait, l’Union ne sera tenue de s’acquitter de telles obligations “positives” que dans la mesure où elle dispose des compétences requises: c’est uniquement là où les Etats membres lui auront attribué des compétences qu’elle pourra, dans certains cas, être tenue de les exercer afin d’assurer une protection effective des droits et libertés que consacre la Convention européenne des droits de l’homme. Exactement comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union “ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les autres parties de la Constitution” (article 51, paragraphe 2, de la Charte), l’engagement de l’Union à respecter la Convention européenne des droits de l’homme ne créera pour elle aucune compétence ni aucune tâche nouvelles, et n’affectera pas la répartition existante des compétences entre l’Union et les Etats membres.»
Cette position est aussi celle du Groupe de travail II «Intégration de la Charte/adhésion à la CEDH» de la Convention européenne (2002-2003) . Bien entendu, afin de dissiper toute crainte que la doctrine des obligations positives ne se traduise par une extension des compétences de l’Union au-delà du principe d’attribution (c’est-à-dire au-delà des compétences déjà attribuées à l’Union par les Etats membres), certaines protections peuvent être imaginées. La plus importante de celles-ci est de disposer que, dans tous les cas où la requête est introduite contre un Etat membre de l’UE ou/et contre l’Union, l’Union ou (lorsque la requête est introduite contre l’Union) tout Etat membre de l’UE doit comparaître en tant que codéfendeur devant la Cour européenne des droits de l’homme et que ces codéfendeurs sont collectivement responsables de l’exécution de tout arrêt concluant à une violation. Par ailleurs, ce mécanisme garantirait que le principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’UE soit préservé, étant donné que la détermination de l’entité qui est responsable de l’exécution de l’arrêt serait décidée conformément aux procédures internes de l’ordre juridique de l’UE lui-même, sous la supervision de la CJCE en dernier ressort.
ii. Le statut de la CEDH dans le droit de l’UE après l’adhésion
La note, peut-être avec sagesse, est silencieuse sur le statut qui sera reconnu à la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit de l’Union après l’adhésion. Cela est peut-être opportun, sachant que c’est le droit de l’Union qui doit trancher cette question. Cependant, d’un autre côté, afin d’éviter certaines projections erronées sur ce qui s’ensuivrait, tant pour l’UE que pour ses Etats membres, après l’adhésion de l’Union à la CEDH, certaines clarifications pourraient être apportées . D’après la jurisprudence de la CJCE, les dispositions des accords internationaux conclus par l’Union et les actes adoptés par les organes institués en vertu de tels accords «font, à partir de leur entrée en vigueur, partie intégrante de l’ordre juridique communautaire» . Il en découle que la législation de l’Union, à l’instar des lois nationales des Etats membres, doit prendre en compte les dispositions de tels accords, la CJCE disposant de la compétence pour veiller à ce qu’elles soient respectées . La manière dont l’ordre juridique national de chaque Etat membre définit ses relations avec le droit public international importe peu à cet égard: l’application uniforme de l’accord dans l’ensemble de l’Union exclut la capacité de chaque Etat membre de percevoir l’impact d’un accord international à travers le prisme particulier de son droit national. La CJCE a indiqué dans l’arrêt Kupferberg du 26 octobre 1982 que cela découlait de la nature communautaire des dispositions contenues dans un accord international conclu par la Communauté, qui, dès son entrée en vigueur, fait partie du droit communautaire. L’application uniforme, dans l’ensemble de la Communauté, des dispositions d’un tel accord international exclut qu’on puisse faire varier leurs effets en fonction du fait que leur application soit, dans la pratique, du ressort des institutions communautaires ou des Etats membres, et, dans ce dernier cas, en fonction de l’attitude de chaque Etat vis-à-vis des effets reconnus aux accords internationaux . Afin qu’un accord international conclu par l’Union produise des effets directs – c’est-à-dire donne aux justiciables des droits subjectifs qu’ils peuvent invoquer devant leurs autorités nationales ou devant une cour communautaire, «l’esprit, l’économie et les termes» de l’accord doivent être examinés . Cet effet sera reconnu à la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit de l’UE.
iii. La question des compétences externes de l’Union
Au paragraphe 17, la note mentionne ce qui suit:
«L’avis 2/94 de la [CJCE] du 28 mars 1996, indiquant que la CE n’avait pas à l’époque la compétence nécessaire pour adhérer à la CEDH, ne constitue peut-être pas un obstacle insurmontable. Plus de dix ans après, le climat politique et les interprétations juridiques ont considérablement évolué, ce qui laisse à penser que si la [CJCE] devait réexaminer la question aujourd’hui, elle parviendrait vraisemblablement à une conclusion différente.»
Dire qu’il est opportun ou pas que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe prenne position sur ce qui constitue, en fin de compte, une question d’interprétation du droit de l’Union relève de l’appréciation politique. Cependant, si cet argument est quand même mis en avant, peut-être pourrait-on le rendre plus concret en faisant référence à la signature du Protocole no 14 modifiant la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que l’Union peut adhérer à cet instrument . Même si le Protocole no 14 n’est toujours pas en vigueur et même si son importance par rapport à l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme est d’ordre politique plutôt que juridique, étant donné qu’une modification subséquente de la Convention européenne des droits de l’homme définissant les détails pratiques de l’adhésion de l’Union à cet instrument sera en tout cas nécessaire , l’accord sur le texte de ce protocole démontre un fort consensus politique, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe y compris tous les Etats membres de l’UE, à l’adhésion de l’Union à la Convention. Ce contexte peut vraiment influencer l’interprétation des compétences externes de l’Union par la CJCE, s’il lui est demandé de rendre un avis sur cette question . Il est peut-être plus indiqué de souligner l’importance, au niveau politique, de l’adoption du Protocole no 14 à la CEDH, que de proposer une interprétation du droit de l’Union.
Sur un plan plus fondamental, j’ai noté ailleurs le point de vue selon lequel l’adéquation de la jurisprudence classique de la CJCE sur la portée des pouvoirs externes de la Communauté mériterait d’être remise en question, lorsque la question de l’adhésion à un instrument international de protection des droits de la personne est posée . En adhérant à de tels instruments de protection des droits de la personne, les Etats parties s’engagent à respecter certaines normes minimales pour le bénéfice des citoyens relevant de leur compétence, ce qui implique en premier lieu qu’ils n’adopteront pas de mesures violant ces normes. Dans la mesure où l’engagement est purement négatif (formulé comme une obligation de s’abstenir de), la question de savoir si oui ou non les parties ont la compétence de prendre les mesures mettant en œuvre la norme considérée est sans objet. C’est seulement lorsque l’engagement consiste aussi à adopter certaines mesures – remplir des obligations positives (autrement dit, agir) – que la question des compétences peut jouer un rôle. Par conséquent, l’adhésion de l’Union aux instruments internationaux adoptés dans le domaine des droits de la personne ne doit pas nécessairement avoir un impact sur l’étendue de ses compétences. Bien au contraire, une telle adhésion doit en principe être considérée comme neutre du point de vue de la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres . Il est prévu, en fait, qu’une clause spécifique rappellera cette neutralité, tant dans le protocole à la CEDH prévoyant l’adhésion de l’UE ou dans le Traité d’adhésion, que dans le Traité sur l’UE tel que révisé par le traité modificatif . Cela étant, cela découle du principe même des compétences attribuées, selon lequel l’Union ne peut pas exercer des compétences qui ne lui ont pas été attribuées par les Etats membres, même dans le but de mieux se conformer aux obligations que l’Union a contractées sur le plan international.
VI. Autres instruments du Conseil de l’Europe
La commission des questions juridiques et des droits de l’homme devrait déterminer s’il convient de faire référence, parallèlement à l’adhésion de l’Union à la CEDH, à son adhésion à d’autres instruments internationaux ou européens relatifs aux droits de la personne. Commentant l’article 9, paragraphe 2, du Traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2004, qui a attribué à l’Union la compétence d’adhérer à la CEDH, le Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE en 2004 présenté au Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux a insisté sur le fait que cette disposition ne devrait et ne saurait faire l’objet d’une lecture a contrario:
«cela n’exclut pas que (…) l’Union puisse adhérer à d’autres instruments internationaux de protection des droits de l’homme . Pareille adhésion pourra être envisagée soit lorsque la conclusion d’un accord est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l’Union, l’un des objectifs fixés par la Constitution, soit lorsqu’elle est prévue dans un acte juridique obligatoire de l’Union, soit encore lorsqu’elle affecte un acte interne de l’Union . Ainsi, par exemple, l’Union pourrait adhérer à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) ,à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ,à la future convention portant sur la protection des droits des personnes ayant un handicap, ou à la Convention relative au statut des réfugiés , dans la mesure où elle a déjà adopté des mesures importantes, au plan interne de l’Union, dans ces domaines. De même, l’importance du droit dérivé européen dans les domaines que couvre la Charte sociale européenne conclue à Turin en 1961 et la Charte sociale européenne révisée de 1996 pourrait justifier une adhésion de l’Union à ce dernier instrument, ce qui est dans la logique d’un développement qui, non seulement admet que l’Union constitue un sujet de droit international, mais encore fait découler la capacité internationale de l’Union de l’étendue des compétences qui lui sont attribuées par les Etats membres et qu’elle a exercées».
Après avoir fait référence à l’adhésion de l’UE à la CEDH, les Lignes directrices sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’UE (annexe 1 au Plan d’action adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe, réunis à Varsovie les 16 et 17 mai 2005, CM(2005)80 final 17 mai 2005), indiquent que: «Compte tenu des compétences de la Communauté européenne, l’adhésion à d’autres conventions du Conseil de l’Europe et la participation à des mécanismes du Conseil de l’Europe devraient être envisagées sur la base d’un examen détaillé.» Ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée que l’APCE réaffirme cet objectif en le situant dans le moyen terme.
VII. Conclusion
En somme, mes propositions sont les suivantes:
1. il convient de modifier la note de sorte à prendre en considération l’accord politique arrêté sur le texte de projet de traité modifiant le Traité sur l’UE et le Traité instituant la Communauté européenne (projet de traité modificatif). En particulier:
- la note pourrait faire part de la préoccupation à propos du fait que, selon l’article 188n, paragraphe 8, alinéa 2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) proposé, la conclusion d’un accord sur l’adhésion de l’UE à la CEDH est abordée comme une question constitutionnelle, ce qui veut dire que chaque Etat membre ratifie obligatoirement l’accord avant que celui-ci prenne effet;
- la note pourrait confirmer le point de vue, partagé par l’écrasante majorité des juristes, selon lequel dans le contexte présent l’UE jouit déjà d’une personnalité juridique internationale et de la capacité de conclure des accords internationaux;
- la note pourrait souligner le fait que dans le contexte des traités CE/UE en cours, la protection juridictionnelle du justiciable peut s’avérer insuffisante et que son droit à un recours effectif peut ne pas être observé à certaines occasions, mais se féliciter du fait que cette situation sera sensiblement améliorée par le traité modifiant le traité de l’UE et le Traité instituant la Communauté européenne. Elle pourrait observer à cet égard que, si l’amélioration des voies de recours disponibles dans l’ordre juridique de l’UE garantit que, dans la grande majorité des situations, toute violation alléguée de droits reconnus par la CEDH sera examinée dans le cadre de l’ordre juridique de l’UE et conformément aux procédures judiciaires établies par les traités UE eux-mêmes, il subsiste un avantage indéniable à organiser une supervision judiciaire externe du respect des droits de la personne et des libertés fondamentales;
2. la note pourrait renforcer son argumentaire en faveur de l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme en soulignant les difficultés que pose l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires impliquant le droit de l’Union;
3. la note pourrait aborder avec davantage de précision les implications du principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’UE. En particulier:
- la note pourrait exprimer le point de vue selon lequel la référence aux «caractéristiques» de l’Union dans le projet de traité modificatif ne devrait pas être lue comme visant à préserver la doctrine de «protection équivalente», sur laquelle se fonde actuellement la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle examine la compatibilité des mesures adoptées par les Etats membres de l’UE au titre de l’application du droit de l’Union avec les exigences de la Convention. Cette expression ne devrait faire référence qu’à la nécessité d’organiser le traitement des requêtes introduites contre les Etats membres de l’UE et/ou l’UE, afin de prendre en compte les caractéristiques de la répartition de compétences entre eux, qui, conformément au principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, devrait relever du droit de l’Union seul, sous la supervision de la CJCE. L’expression ne devrait pas servir autrement à préserver une sorte d’«extraconventionnalité» de l’Union. Toute tentative, dans le cadre de la négociation du traité d’adhésion (ou d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme prévoyant l’adhésion de l’UE), qui viserait à restreindre le niveau de contrôle que la Cour européenne des droits de l’homme sera autorisée à exercer sur l’UE, devrait être rejetée avec détermination;
- il conviendrait de s’abstenir de toute proposition visant à insérer, dans les règles de procédure de la CJCE et du Tribunal de première instance, une disposition explicite similaire à l’article 6 de l’Accord sur l’Espace économique européen, stipulant que les dispositions du droit de la CE/UE devraient «sans préjudice de l’évolution future (…) [être] interprété[e]s conformément à la jurisprudence pertinente» de la Cour européenne des droits de l’homme. Une telle proposition susciterait des craintes quant à l’impact de l’adhésion sur le principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. Il revient au droit de l’Union de décider comment – selon quelle répartition horizontale des tâches entre les institutions et répartition verticale des compétences entre les Etats membres de l’UE et l’Union – les obligations découlant de l’adhésion de l’Union à la CEDH devraient être mises en œuvre dans l’ordre juridique de l’UE. Il n’est peut-être pas opportun que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préjuge des mesures qui seront prises dans le cadre de l’ordre juridique de l’UE à cet égard;
- la note devrait dire clairement pourquoi l’imposition d’obligations positives aux Parties à la Convention européenne des droits de l’homme n’aboutira pas à une remise en cause de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union du fait de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme: étant donné que la réponse à la question de savoir si oui ou non l’Union ou ses Etats membres devraient adopter des mesures pour remplir ces obligations continuera de relever du seul droit de l’Union, sous la supervision de la CJCE;
4. la note devrait réaffirmer que, compte tenu des compétences de l’UE, il convient d’envisager son adhésion aux conventions du Conseil de l’Europe autres que la Convention européenne des droits de l’homme et son implication dans les mécanismes du Conseil de l’Europe.
Annexe à la contribution de M. De Schutter – L’application controversée de l’arrêt Matthews
Lorsque a été adoptée la Décision du Conseil 2002 modifiant l’Acte de 1976 (Décision du Conseil 2002/772/CE, Euratom des 25 juin 2002 et 23 septembre 2002 modifiant l’Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la Décision 76/787/CECA, CEE, Euratom, JO L 283 du 21 octobre 2002, p. 1), la déclaration ciaprès du Royaume-Uni, consécutive à un accord bilatéral conclu entre cet Etat membre et le royaume d’Espagne, a été officiellement enregistrée dans le procès-verbal de la session du Conseil du 18 février 2002:
«Rappelant l’article 6, paragraphe 2, du Traité sur l’UE, qui dispose: “L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire”, le Royaume-Uni veillera à ce que les modifications nécessaires soient apportées en vue de permettre aux électeurs de Gibraltar de participer aux élections du Parlement européen dans le cadre d’une circonscription existante du Royaume-Uni et dans les mêmes conditions que les autres électeurs de cette circonscription, afin d’honorer l’obligation qui lui incombe d’appliquer le jugement rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Matthews c. Royaume-Uni, conformément au droit de l’UE.»
Toutefois, l’European Parliament (Representation) Act de 2003 (EPRA de 2003) adopté par le Royaume-Uni disposait (à la section 15) que tout résident de Gibraltar, âgé de plus 18 ans et ayant la qualité de citoyen du Commonwealth qualifié ou celle de citoyen de l’UE, serait autorisé à voter lors des élections au Parlement européen. L’Espagne a estimé qu’en élargissant le droit de vote aux élections au Parlement européen, conformément à l’EPRA de 2003, à des personnes qui ne sont pas des ressortissants du Royaume-Uni au sens du droit communautaire, le Royaume-Uni avait violé ses obligations en vertu du droit communautaire. Par conséquent, en vertu de l’article 227 TCE, l’Espagne a introduit auprès de la Commission une plainte contre le Royaume-Uni en juillet 2003, afin que la Commission engage une procédure en manquement contre le Royaume-Uni devant la CJCE, au motif de l’incompatibilité alléguée de l’EPRA de 2003 avec le droit communautaire. La Commission a rejeté cette requête, arguant que l’annexe I à l’Acte de 1976 doit être interprété à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle est suffisamment ouverte pour permettre au Royaume-Uni d’inclure l’électorat de Gibraltar dans l’électorat du Royaume-Uni à l’occasion des élections au Parlement européen, conformément à son système électoral national.
Par la suite, l’Espagne a choisi d’introduire une action directe contre le Royaume-Uni, alléguant que ce dernier avait violé ses obligations en vertu de la législation CE en étendant le droit de vote aux élections européennes aux résidents de Gibraltar, qui ne sont pas des citoyens du Royaume-Uni. La CJCE a rejeté cette plainte dans un arrêt en date du 12 septembre 2006 (affaire C-145/04, royaume d’Espagne c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord). Elle a estimé que: «en l’état actuel du droit communautaire, la détermination des titulaires du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ressortit à la compétence de chaque Etat membre dans le respect du droit communautaire. Les articles 189 CE, 190 CE, 17 CE et 19 CE ne s’opposent pas à ce que les Etats membres octroient ce droit de vote et d’éligibilité à des personnes déterminées ayant des liens étroits avec eux, autres que leurs propres ressortissants ou que les citoyens de l’Union résidant sur leur territoire». Quant à l’argument selon lequel le Royaume-Uni aurait violé l’annexe I à l’Acte de 1976 et sa Déclaration du 18 février 2002, la CJCE a jugé qu’à la lumière de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Matthews c. Royaume-Uni, «il ne saurait être reproché au Royaume-Uni d’avoir adopté la législation nécessaire à l’organisation de telles élections dans des conditions équivalentes, mutatis mutandis, à celles prévues par la législation applicable au Royaume-Uni» (paragraphe 95).
Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
Renvoi en commission: Doc. 11001 et Renvoi no 3272 du 2 octobre 2006.
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés par la commission le 6 mars 2008 avec une voix contre.
Membres de la commission: Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente), M. Christos Pourgourides, M. Pietro Marcenaro, Mme Nino Nakashidzé (Vice-Présidents), M. Miguel Arias, M. José Luis Arnaut, M. Jaume Bartumeu Cassany, Mme Meritxell Batet, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, Mme Anna Benaki, M. Luc Van den Brande, M. Erol Aslan Cebeci, Mme Ingrīda Circene (remplaçant: M. Boriss Cilevičs), Mme Alma Čolo, M. Joe Costello (remplaçant: M. Terry Leyden), Mme Lydie Err, M. Valeriy Fedorov, M. Aniello Formisano, M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Valery Grebennikov, Mme Carina Hägg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, Mme Karin Hakl, M. Andres Herkel, M. Serhiy Holovaty, M. Michel Hunault, M. Rafael Huseynov, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami, M. Željko Ivanji, Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina Jacques, M. Karol Karski, M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Nikolay Kovalev (remplaçant: M. Yuri Sharandin), M. Eduard Kukan, M. Oleksandr Lavrynovych, Mme Darja Lavtižar-Bebler, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Humfrey Malins (remplaçant: M. Christopher Chope), M. Andrija Mandić, M. Alberto Martins, M. Dick Marty, M. David Marshall, Mme Assunta Meloni, M. Morten Messerschmidt, Mme Ilinka Mitreva, M. Philippe Monfils, M. Felix Müri, M. Philippe Nachbar, M. Fritz Neugebauer, M. Tomislav Nikolić, M. Anastassios Papaligouras, M. Ángel Pérez Martínez, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. John Prescott, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Valeriy Pysarenko, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Francesco Saverio Romano, M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Ellert Schram, M. Christoph Strässer, M. Mihai Tudose (remplaçante: Mme Florentina Toma), M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Vasile Ioan Dănu Ungureanu, M. Øyvind Vaksdal, M. Egidijus Vareikis, M. Klaas de Vries, Mme Renate Wohlwend, M. Marco Zacchera, M. Krzysztof Zaremba, M. Łukasz Zbonikowski, M. Vladimir Zhirinovsky, M. Miomir Žužul.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.
Voir 17e séance, 17 avril 2008 (adoption des projets de résolution et de recommandation); et Résolution 1610 et Recommandation 1834.