1. Introduction
1. Il est un fait que le nombre
de femmes détenues dans les prisons d’Europe ne cesse d’augmenter, puisqu’il
s’est accru dans au moins 16 pays européens au cours des dix années
écoulées entre 1994 et 2003, passant en Finlande de 122 à 205 (+
68 %), aux Pays-Bas de 385 à 1 025 (+ 166 %) et à Chypre de 20 à
102 (+ 410 %)
. Les infractions sont
désormais plus nombreuses à se solder par une condamnation pénale,
bien que les femmes commettent relativement peu de crimes de violence
. Les enfants sont plus nombreux qu’auparavant
à être séparés de leur mère ou à grandir en prison
.
2. Le fossé entre les sexes est sans doute l’un des aspects les
plus remarquables de la criminalité. En général, le crime est l’apanage
des hommes, si bien qu’en survolant l’histoire des femmes en prison,
l’on retrouve les mêmes inégalités. Les femmes étaient souvent emprisonnées
dans des locaux inadéquats, où l’on insistait surtout sur leur rôle
de ménagères et où on leur accordait un accès restreint à la formation.
Les stéréotypes relatifs au rôle des femmes dans la société conditionnaient,
par conséquent, la manière dont les femmes étaient traitées en prison.
3. Toutefois, malgré cette augmentation, les femmes ne constituent
encore qu’une minorité de la population carcérale, si bien qu’il
n’existe que très peu de prisons pour elles. Les femmes sont donc
souvent détenues dans des endroits éloignés de leur domicile, d’où
la difficulté qu’elles éprouvent à maintenir des liens familiaux.
En outre, comme les régimes carcéraux ont été conçus spécialement
pour les hommes, on constate le plus souvent un manque criant de
programmes et de dispositions convenant à la population carcérale féminine.
4. Selon les règles en vigueur pour le traitement des prisonniers,
les hommes et les femmes doivent autant que possible être détenus
dans des institutions séparées ou, si la prison est prévue pour
recevoir aussi bien des hommes que des femmes, dans des secteurs
entièrement séparés.
5. Des études universitaires approfondies ont été effectuées
sur certains aspects des problèmes que rencontrent les femmes en
prison, notamment le projet MIP
.
Dans le cadre de ce projet, on a analysé l’origine sociale et les
caractéristiques pénales des femmes détenues, et l’on en a conclu
qu’une forte proportion de celles-ci ont connu toutes sortes d’exclusion
sociale dès avant leur emprisonnement. L’étude postule que «pour
pouvoir agir en fonction du sexe des détenus relevant de la justice
pénale, il faut reconnaître les réalités de la vie des femmes emprisonnées,
y compris le cheminement qui les a conduites à commettre des infractions pénales
et les relations qui ont façonné leur existence»
.
6. Ce qui fournit un profil assez exact des femmes détenues dans
la plupart des pays européens, c’est que par rapport à leurs homologues
masculins, elles présentent un niveau d’instruction beaucoup plus
bas, ont été victimes d’abus sexuels et de violences domestiques
et se trouvaient au chômage avant leur emprisonnement. Cela ressort
aussi bien de l’étude du Quaker Council for European Affairs (QCEA)
sur les femmes en prison
que du projet MIP.
7. Les prisons sont conçues dans l’optique de la masculinité,
car la population carcérale est composée en majorité d’hommes. A
cause de cela, comme du désavantage évident des détenues en matière
d’origine sociale et de niveau d’instruction, les prisons, les régimes
pénitentiaires et les programmes de réinsertion et d’éducation sont
souvent inadaptés aux besoins spécifiques des femmes.
8. De même, étant donné la faible proportion de femmes dans l’ensemble
de la population carcérale, les détenues se trouvent dans des types
de prison souvent inappropriés pour elles: ainsi, des femmes peuvent être
détenues dans des locaux mixtes où elles côtoient des détenus de
sexe masculin, dans des prisons au classement et au régime sécuritaires
trop stricts par rapport à l’infraction qu’elles ont commise, ou
bien encore loin du lieu où elles habitent, à cause de la pénurie
d’établissements pénitentiaires à proximité de chez elles, ce qui
a pour effet de distendre leurs liens familiaux.
9. Les femmes vulnérables et économiquement défavorisées courent
de plus en plus le risque d’être placées en détention provisoire,
à cause de l’incapacité où elles se trouvent de verser une caution
ou de rémunérer un avocat. Dans de nombreux pays, la proportion
de femmes placées en détention provisoire est au moins égale à celle
des détenues qui sont passées en jugement
.
On notera qu’en détention préventive, les conditions d’existence
sont bien souvent pires que celles de la détention après jugement
,
car on peut s’y voir refuser l’accès à l’éducation et au travail,
rester enfermé dans une cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre,
ne disposer que d’un accès limité aux soins de santé et ne recevoir
de visites qu’au compte-gouttes.
2. Problèmes rencontrés par les femmes
en prison
2.1. Situation
des femmes seules
10. Une peine de prison, même si
elle est courte, a des effets désastreux sur les femmes, car elle
perturbe considérablement la vie familiale. La plupart des femmes
détenues sont mères de famille et, le plus souvent, seules à assumer
la charge de leurs enfants. Quand une mère est en prison, la peine
qu’elle purge affecte ses enfants et les autres membres de sa famille
d’une manière disproportionnée, surtout si elle est seule à s’occuper
de sa famille.
Les décideurs doivent se poser les questions suivantes:
- Est-il approprié pour des enfants,
quel que soit leur âge, de vivre en prison avec leur mère? A quel âge cela
devient-il inapproprié? Quelles dispositions faut-il prendre pour
les enfants qui vivent en prison, et de quel soutien social et éducationnel
ont-ils besoin dans la prison, puis une fois dehors?
- Quelles dispositions faut-il prendre pour que les enfants
vivant hors de la prison gardent le contact avec leur mère et soient
pris en charge de manière appropriée, mais sans que la mère coure
le risque de perdre son autorité parentale?
- Quelles dispositions faut-il prendre pour permettre aux
enfants de visiter leur mère en prison afin de maintenir des liens
familiaux?
11. Il faut que les mères puissent
conserver leur rôle de parent, ce qui doit comporter la pleine autorité parentale
et l’accès à des informations sur le bien-être des enfants. Afin
de préserver des liens familiaux normaux (avec tous les membres
de la famille, mais particulièrement les enfants), toute information
relative au décès ou à une maladie grave d’un proche, quel qu’il
soit, doit être rapidement communiquée à la détenue. Les détenues
doivent être pleinement informées des décisions concernant l’éducation,
la santé, le traitement médical éventuel et le bienêtre général
de leur enfant et prendre part à ces décisions. Or, à l’heure actuelle, les
difficultés de communication entre la prison et le monde extérieur
font que les détenues ne sont pas forcément informées du bien-être
de leurs enfants
.
12. L’emprisonnement du père ou de la mère a sur l’enfant un impact
qui peut se prolonger très au-delà de la durée de la peine et de
la période suivant immédiatement celle-ci. Des recherches ont démontré
à plusieurs reprises que beaucoup de détenus ont des parents délinquants:
une étude conduite au Royaume-Uni et portant sur des hommes suivis
pendant quarante ans a révélé que ceux qui ont été affectés, étant
enfants, par l’emprisonnement de leur père ou de leur mère courent
plus de risques que les autres d’adopter ultérieurement un comportement
antisocial. Du fait de sa longue durée, cette même étude a révélé
que «non seulement l’emprisonnement du père ou de la mère est un
indicateur de criminalité parentale, mais il fait courir un risque spécifique
à l’enfant»
(autrement
dit, le fait que le père ou la mère a purgé une peine de prison
expose l’intéressé à un risque supérieur d’adopter ultérieurement
un comportement antisocial).
13. Les enfants séparés de leurs parents pour d’autres raisons
ne présentent pas autant de tendances antisociales. L’emprisonnement
du père ou de la mère s’est avéré particulièrement annonciateur
d’un futur comportement délinquant de l’enfant, quelle que soit
la durée de la peine purgée
. D’autres études ont permis de constater
une
«relation proportionnelle entre le
nombre de fois où des parents ont été incarcérés et le nombre d’infractions
commises ensuite par leurs enfants devenus adultes» ,
ce qui ne fait qu’accroître la nécessité de prévenir la récidive
des parents.
14. Les enfants qui ont des parents en prison courent aussi plus
de risques d’abandonner leurs études et de devenir délinquants que
l’ensemble de la population. Les enfants placés en institution (souvent
à cause de l’emprisonnement de leurs parents) risquent davantage
de faire eux-mêmes connaissance avec la justice pénale: un quart
des détenus d’Angleterre et du pays de Galles ont dû être pris en
charge par les pouvoirs publics à un moment ou à un autre de leur
enfance
. Toutefois, une intervention
précoce et ciblée auprès des enfants de parents emprisonnés peut
permettre de réduire ou d’atténuer certaines de ces difficultés ultérieures
.
15. Etant donné le petit nombre de prisons pour femmes, certaines
détenues peuvent se retrouver très éloignées de chez elles, ce qui
rend particulièrement difficile le maintien des liens familiaux
.
Les prisons pour femmes ne disposent pas toutes d’unités pour les
mères détenues et leurs bébés; une mère peut donc se retrouver encore
plus loin de chez elle alors même que le soutien et les conseils
de sa famille lui seraient les plus nécessaires. Des détenues peuvent
même être amenées à purger leur peine dans une prison de plus haute
sécurité à seule fin d’être plus proches de leur famille.
16. Une condamnation peut aboutir à restreindre certains droits,
mais ne doit pas affecter les droits de l’enfant d’un détenu. Or,
on ignore souvent ces droits dans la manière dont on traite les
détenus. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a reconnu
en 2004 que les fils et filles de mères emprisonnées faisaient partie
des enfants les plus vulnérables, et il s’enquiert périodiquement
auprès des gouvernements du traitement des enfants de parents emprisonnés
.
17. Partout dans le monde, des bébés et des enfants en bas âge
vivent en prison avec leur mère. Si c’est permis pour de très jeunes
enfants, mais non pour des enfants plus âgés, c’est parce que le
fait de séparer une mère de son bébé cause à celui-ci des problèmes
affectifs, mais que le maintien d’un enfant dans l’espace confiné
d’une prison nuit à son développement éducatif, d’où la nécessité
de l’en retirer à un certain âge. Toutefois, on ne s’entend pas
sur l’âge auquel il faut retirer l’enfant de prison.
2.2. Situation
des femmes enceintes
18. Le milieu carcéral n’est pas
l’environnement le plus adapté pour une femme enceinte, qui a besoin
de soins et d’une attention spéciale. De mauvaises conditions pénitentiaires
peuvent entraîner des complications aussi bien pour la santé de
la future mère que pour le fœtus. Le manque de nourriture ou d’équilibre nutritionnel,
les carences en vitamines, ainsi que l’absence de soins réguliers,
d’un médicament approprié et d’une assistance médicale adéquate
ne font qu’accroître ces risques de complication.
19. Les détenues enceintes ont besoin d’exercices et de vêtements
appropriés. Beaucoup ont besoin aussi d’un soutien et d’une éducation
au sujet de la grossesse. Or, les dispositions en la matière sont
souvent inexistantes ou très insuffisantes.
20. Entre autres facteurs, la pénurie de personnel peut compromettre
gravement la qualité des soins prénataux. Au Royaume-Uni, par exemple,
on manque chroniquement d’agents pour accompagner les détenues jusqu’à
un service d’échographie ou un autre service extérieur à la prison.
Les rendez-vous pris avec ces services doivent donc souvent être
annulés ou reportés, ce qui occasionne des pertes de temps. Or,
non seulement cette situation est une cause de stress pour les femmes
concernées, mais elle risque de compromettre leur capacité de prendre
des décisions quant à l’avenir de leur grossesse
.
2.3. Naissance,
allaitement et santé postnatale
21. Selon les normes internationales,
les détenues doivent accoucher dans un hôpital ordinaire, en dehors du
milieu carcéral
, car c’est nécessaire
pour que la mère et l’enfant aient accès aux meilleurs soins et équipements
médicaux possibles.
22. En outre, «il ne faut pas soumettre à une contention physique
des femmes dont le travail a commencé, pendant leur transport à
l’hôpital ou durant leur accouchement, sauf dans les cas où il existe
des raisons impérieuses de penser que l’intéressée est dangereuse
ou risque de prendre la fuite. Lorsqu’une femme représente un danger
réel et important pour la sécurité des tiers, il faut épuiser toutes
les autres méthodes de sécurité avant d’user de contention physique»
. «Néanmoins, de temps en temps, le
Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants (CPT) a été confronté à des cas
de femmes enceintes menottées ou autrement attachées à un lit ou
une pièce quelconque de mobilier au cours d’un examen gynécologique
et (ou) d’un accouchement. Une telle approche est tout à fait inacceptable et
peut à l’évidence être assimilée à un traitement inhumain et dégradant.
D’autres moyens de satisfaire aux exigences de sécurité peuvent
et doivent être mis en œuvre.»
23. Les femmes qui allaitent ont, elles aussi, des besoins sanitaires
et nutritionnels particuliers. Les femmes venant d’avoir un enfant
ont besoin d’examens de santé pour vérifier que leur organisme récupère
bien et, par exemple, qu’elles n’ont aucune infection pouvant se
transmettre à leur enfant par l’allaitement. Bien souvent, les femmes
détenues sont dissuadées d’allaiter parce que cela serait perçu
comme une perturbation du train-train pénitentiaire. Une fois né,
l’enfant a besoin de soins immunologiques et d’examens de santé
réguliers
.
2.4. Situation
particulière des ressortissantes étrangères en prison et des mineures
24. L’on constate que les ressortissantes
étrangères (immigrantes, réfugiées, demandeuses d’asile ou apatrides)
sont particulièrement exposées et risquent de subir de multiples
désavantages par rapport à d’autres détenues.
25. Les ressortissants étrangers ne résidant pas dans le pays
où ils sont détenus rencontrent des difficultés particulières. En
effet, si leur première langue n’est pas celle du pays en question,
cela peut nuire à leur compréhension de la situation juridique où
ils se trouvent et à la communication entre eux et un avocat. Les procédures
juridiques risquent d’être ralenties par la nécessité d’une traduction
et d’une interprétation, surtout si la première langue du détenu
n’est pas largement parlée. Même lorsqu’ils parlent la langue du
pays où ils sont détenus, ils ne connaissent pas forcément le fonctionnement
de la justice pénale de ce dernier. Leur compréhension des règles
pénitentiaires et du comportement que l’on attend d’eux peut différer
de celui de leurs pairs, et ils risquent d’éprouver des difficultés
à saisir les avantages et les sanctions du système pénitentiaire
et de l’ordre juridique nationaux. L’isolement, l’incompréhension
et la méconnaissance peuvent gêner l’accès des intéressés au travail,
à la formation et à l’instruction, d’où un isolement aggravé.
26. Bien que les problèmes de contacts familiaux soient peut-être
moins graves pour les ressortissants étrangers qui résident dans
le pays où ils sont détenus, l’expulsion de ces personnes une fois
leur peine purgée est génératrice de difficultés. S’il y a expulsion,
celle-ci peut avoir plus d’incidences sur la famille lorsque la peine
d’emprisonnement a pris fin. Les problèmes qu’une mère rencontre
en prison sont plus aigus pour les ressortissantes étrangères que
pour les ressortissantes du pays d’incarcération. Organiser une
garde de substitution des enfants est en effet plus difficile sur
de longues distances, avec des moyens de communication limités.
27. Il faut que le système carcéral et le système de justice pénale
tiennent compte l’un et l’autre des retards pouvant se produire
dans tous les domaines où la communication est importante et qu’ils
prolongent les délais en conséquence. Les détenus étrangers doivent
également recevoir un soutien supplémentaire pour se tenir en contact
avec leur avocat, leur consulat et leur famille. La possibilité
et les conséquences de l’accomplissement de la peine dans leur pays
d’origine doivent leur être bien expliquées. Certaines prisons essayent
de regrouper les détenus de même nationalité pour qu’ils puissent
s’entraider, notamment dans le domaine de l’interprétation. Les
prisons peuvent faire œuvre utile en s’efforçant d’assurer l’interprétation
et la traduction et en mettant les ressortissants étrangers en contact
avec des gens qui peuvent les aider, par exemple les ONG, les groupes
de soutien et des individus de même nationalité qu’eux. Elles peuvent
aussi informer les détenus étrangers des règles pénitentiaires dans
les langues de ceux-ci et parler avec eux de règles, de culture
et d’aspirations lorsqu’ils ont des difficultés à les comprendre.
28. En ce qui concerne les mineures détenues, il faut éviter qu’elles
puissent être en contact avec des prisonnières d’âge adulte en essayant,
dans la mesure du possible, de remplacer les peines d’emprisonnement
par des peines de substitution ou de les loger dans des bâtiments
à part.
29. En vertu des normes internationales, adultes et adolescents
doivent être détenus séparément. «Les jeunes prévenus sont séparés
des adultes et il est décidé de leur cas aussi rapidement que possible.
Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont
le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social.
Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime
approprié à leur âge et à leur statut légal.»
30. Pourtant, la proportion d’adolescentes parmi les femmes détenues
est faible. Cela signifie qu’en réalité, les détenues sont parfois
toutes logées dans le même secteur, adolescentes et adultes confondues.
Cela peut mettre des adolescentes en contact régulier avec des femmes
ayant un long passé de délinquance. Cependant, bien qu’une telle
situation n’ait rien d’idéal, elle constitue parfois le seul moyen
pour les adolescentes d’échapper à l’isolement et d’accéder à des
possibilités de s’instruire.
3. Conditions
de détention
3.1. Accès
aux soins
31. Selon les règles européennes
en vigueur, les détenus doivent tous avoir le droit d’accéder au
même niveau de santé publique, y compris en matière de soins psychiatriques.
Les Règles pénitentiaires européennes 2006 soulignent que «les détenus
doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays
sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique»
et que «la politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée
à la politique nationale de santé publique et compatible avec cette
dernière»
.
32. Ce qui pose un problème majeur, c’est le surpeuplement des
prisons. Un grand nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe
ont un niveau d’occupation des prisons supérieur à 100 %. Selon
Amnesty International, un grand nombre de plaintes ont été déposées
pour refus de soins médicaux, mauvais traitements et harcèlement
sexuel.
33. Le surpeuplement carcéral est particulièrement propice à la
propagation de l’hépatite et du virus du sida, ainsi que de la tuberculose.
De nombreux pays ont signalé une forte incidence du sida au sein
de leur population pénitentiaire. Dans les prisons des pays d’Europe
centrale et orientale comme dans celles de l’ex-Union soviétique,
les taux élevés d’infection par le VIH et de toxicomanie par injection
sont de plus en plus préoccupants. En Lettonie, par exemple, on
estime que les détenus représentent le tiers de la population séropositive
du pays. En Europe occidentale, des taux de séropositivité particulièrement
élevés ont été signalés au Portugal et en Espagne
.
34. Comme la plupart des statistiques pénitentiaires ne sont pas
différenciées selon le sexe, on manque d’informations sur le nombre
de femmes séropositives dans les prisons européennes. On sait, toutefois,
que beaucoup de détenues ont été victimes d’abus sexuels, ce qui
peut les avoir exposées à un risque accru d’infection VIH. En outre,
les femmes arrêtées pour prostitution ou délits en rapport avec
la drogue courent un risque élevé d’être déjà infectées par le VIH
au moment où elles entrent dans le système pénitentiaire
.
35. La population carcérale peut être considérée comme un groupe
à haut risque pour ce qui est de la toxicomanie: les toxicomanes
sont en effet surreprésentés en prison, et un large pourcentage
de détenues ont été condamnées pour des infractions liées à la drogue
(la possession de drogue, le plus souvent), ce qui montre que les
drogues posent un problème important et croissant dans la vie des
femmes délinquantes
.
36. Beaucoup de ces femmes ont une longue accoutumance à la drogue,
qui ne sera pas traitée pendant leur séjour en prison. A cause de
l’usage d’alcool et de drogue et de leur style de vie, les détenues
sont plus vulnérables que les hommes à un grand nombre de problèmes
de santé physique et particulièrement exposées à des problèmes d’ordre
psychologique. C’est pourquoi il importe qu’elles aient accès à
des services de santé conçus pour répondre à leurs besoins. Il ressort
toutefois d’une étude récente que seuls quelques pays européens
ont élaboré des programmes de traitement de la toxicomanie à l’intention
des détenus
.
37. Dans de nombreux pays, les femmes emprisonnées présentent
des troubles mentaux (dépression, phobies, anxiété, névroses, automutilation
et suicide), et ce, dans des proportions inquiétantes. Les recherches
indiquent que ces femmes souffrent des troubles en question bien
davantage que la population carcérale masculine et l’ensemble de
la population. Là encore, l’incidence très élevée des maladies mentales parmi
les détenues peut être imputée à la forte proportion de femmes emprisonnées
pour des infractions liées à la drogue, de même qu’au taux élevé
d’abus sexuels, physiques et mentaux subis par les intéressées.
La santé mentale des femmes détenues peut pâtir aussi d’une anxiété
quant à la sécurité des enfants restés dehors
.
Les détenues formant un groupe minoritaire, leurs besoins en matière
de santé sont souvent négligés. Cela demande à être corrigé d’urgence,
tant du point de vue des droits de l’homme que s’agissant des maladies
transmissibles – de celui de la santé et de la sécurité publiques.
38. Les femmes emprisonnées courent donc beaucoup plus que leurs
homologues masculins le risque de s’automutiler (y compris en commettant
des tentatives de suicide). Aussi les services de santé mentale
des prisons doivent-ils répondre aux besoins spécifiques de l’un
et l’autre sexes. La santé mentale des femmes risque de se détériorer
dans les prisons surpeuplées, où l’on ne différencie pas les détenus
sur la base d’une évaluation appropriée et où les programmes élaborés
en leur faveur sont inexistants ou ne suffisent pas à répondre aux
besoins spécifiques des femmes.
3.2. Personnel
pénitentiaire
39. Selon le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT), la présence d’un personnel formé d’hommes et
de femmes est bénéfique car elle favorise parfois une certaine normalité
dans les lieux de détention.
40. Cependant, les risques de violence sont manifestes lorsque
le personnel masculin occupe des postes en contact avec des femmes
détenues, compte tenu notamment de l’organisation hiérarchique des
prisons et de l’inégalité du rapport de force entre surveillants
et détenues.
41. En effet, il a été noté dans plusieurs prisons que les abus
sexuels sont plus courants lorsque les détenues sont surveillées
par des hommes dans les ailes résidentielles.
42. Le déséquilibre entre la situation des gardiens et celle des
prisonnières ainsi que l’environnement clos des prisons sont des
terrains propices aux abus, au harcèlement, à l’exploitation, à
la prostitution et au viol de ces dernières. Bon nombre de femmes
ont subi des abus sexuels et/ou des traumatismes par le passé, et gardent
des séquelles mentales et psychologiques. Par conséquent, il est
essentiel que le personnel adopte une attitude rigoureuse et que
les instances pénitentiaires mettent en place des procédures disciplinaires strictes.
43. Les Règles pénitentiaires européennes 2006 recommandent que
les prisonniers ne soient fouillés que par un agent du même sexe
;
et l’Ensemble de règles minimales pour le traitement des détenus
stipule que les prisonnières doivent être encadrées et surveillées
par un personnel féminin
. Il est intéressant de noter que
plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe tels que Chypre,
la Géorgie, la Grèce, la Lettonie, le Luxembourg et le Portugal
n’emploient pas de personnel masculin dans les prisons pour femmes.
4. Conséquences
de l’emprisonnement des mères pour les enfants et leur vie familiale,
aide à la réinsertion
4.1. Conséquence
de l’emprisonnement pour la vie familiale
44. La plupart des femmes incarcérées
sont mères. Par exemple, au Royaume-Uni, 66 % des détenues ont des
enfants, dont 55 % au moins un de moins de 16 ans; plus d’un tiers,
un ou plusieurs de moins de 5 ans; et 35 % sont mères célibataires.
45. Dans la majorité des cas, l’emprisonnement d’une femme peut
aller non seulement à l’encontre de ses droits, mais aussi de ceux
de ses enfants. Lorsqu’une mère est incarcérée, son bébé et/ou ses
jeunes enfants ont la possibilité soit de l’accompagner en prison,
soit d’en être séparés. Dans un cas comme dans l’autre, les enfants
sont affectés.
46. Il est indispensable que les femmes puissent maintenir des
liens et contacts avec leurs enfants. A cet égard, très peu de prisons
disposent d’équipements adaptés aux visites des familles ou propices
à la relation mère/enfant. La séparation familiale peut avoir de
graves conséquences à long terme. Il convient donc de créer des
centres destinés à recevoir convenablement les visiteurs, notamment
équipés d’aires de jeux pour les enfants sous surveillance d’assistantes
maternelles qualifiées. Le maintien des liens familiaux doit être encouragé
par le biais des visites.
47. Pourtant, les installations prévues pour les visites ne sont
généralement pas conçues pour recevoir des enfants et ne disposent
pas d’aires de jeux. Les visites sont donc éprouvantes à la fois
pour les familles, les détenues et les surveillants. Les fouilles
corporelles conçues pour les adultes peuvent effrayer les enfants. L’amélioration
des conditions de visite favorise le bon ordre et la sécurité dans
les prisons.
48. Par conséquent, des efforts particuliers devront être fournis
pour permettre aux enfants de détenus de se rendre dans les établissements
pénitentiaires. Il importe que les enfants ne se sentent pas menacés
par les fouilles et procédures de sécurité les concernant. Toute
nouvelle mesure ou politique proposée sera analysée sous l’angle
des conséquences pour les enfants qui fréquentent les prisons et
du respect des droits de l’enfant. Le personnel pénitentiaire recevra
une formation pour la prise en charge de ces enfants.
49. Dans la mesure du possible, les proches doivent pouvoir passer
une nuit en prison dans le cadre de leur visite aux détenu(e)s.
Ce type de visite prolongée est propice au resserrement des liens
familiaux, notamment lorsque les enfants ont la possibilité de rester
la nuit avec leur mère. L’utilisation d’une pièce séparée permet de
se conformer aux consignes de sécurité. Il importe que les détenues
aient droit aux «visites conjugales» et que les couples du même
sexe ne fassent pas l’objet de discriminations. La mise à disposition
de préservatifs protège la santé et la sécurité des prisonniers.
50. Tout détenu doit pouvoir décider qui il accepte de recevoir,
quel que soit son âge. Les prisonniers ayant fait l’objet de violences
familiales ont besoin d’un soutien spécial pour surmonter les difficultés
rencontrées lors de contacts avec le monde extérieur.
51. Une forte proportion de prisonniers a été victime de violences
et d’abus par le passé. Les liens familiaux ne devraient pas garantir
automatiquement le droit de visite. Cette règle est censée assurer
la sécurité des jeunes filles particulièrement vulnérables aux abus
sexuels
.
4.2. Education,
formation et emploi
52. Bien que leur situation soit
différente, les prisonnières ont tout autant besoin d’activités
motivantes que leurs homologues masculins. Etant donné que leurs
peines sont généralement plus courtes, il leur est plus difficile
d’aller au bout des sessions d’enseignement (en particulier, des
cours à distance de haut niveau) et d’obtenir un emploi. Les femmes
étant moins nombreuses que les hommes dans les prisons, elles intéressent moins
les entreprises cherchant à externaliser leurs services, ainsi que
les prestataires de formations.
53. Si les politiques peuvent encourager l’enseignement et la
formation au plus haut niveau dans les prisons, les établissements
pénitentiaires peinent parfois à appliquer ce type de mesures. De
plus, il arrive que les mères s’occupant de nourrissons en prison
n’aient pas accès à des crèches: elles ne peuvent donc prendre part
aux activités proposées.
54. Bon nombre de programmes destinés aux femmes portent sur des
domaines traditionnellement féminins, tels que la couture et la
coiffure, ce qui ne fait que renforcer les stéréotypes liés à l’appartenance sexuelle
et la situation désavantageuse des femmes sur le marché du travail.
Toutefois, il ressort d’observations faites en France et au Danemark
que les détenues répondent mieux aux offres d’emploi/de formation
de secteurs traditionnellement féminins.
4.3. Aide
à la réinsertion
55. La situation des femmes à leur
sortie de prison pose de grands problèmes. Même les courtes peines (ou
périodes de détention provisoire) peuvent briser l’unité familiale:
si à cause de l’emprisonnement les détenus sont privés de leur foyer
(car ils ne peuvent payer leur loyer ni rembourser leurs emprunts),
de leur emploi ou place dans le cadre de programmes de santé mentale
ou de toxicomanie, les enfants sont pris en charge en raison de
l’incapacité ressentie des parents à s’occuper d’eux. Lorsque la
garde des enfants est retirée, il semble difficile de bénéficier
de prestations ou d’un soutien sociaux. En effet, dans de nombreux pays,
les parents figurent en priorité sur les listes de demandeurs de
logements sociaux: les parents privés de leurs enfants se retrouvent
donc dans un cercle vicieux car ils n’ont pas de toit pour les accueillir,
et ne peuvent obtenir de logement car ils n’ont pas la charge d’un
enfant à ce moment-là.
56. Même les parents qui ont travaillé ou suivi une formation
en prison peuvent être en proie à des difficultés à leur sortie.
Les employeurs ne sont pas forcément disposés à embaucher des personnes
ayant un casier judiciaire ou ayant passé du temps en détention,
même si elles ont été acquittées
. En
outre, le manque d’indépendance financière peut empêcher les anciens
détenus de monter leur propre société.
57. Compte tenu des multiples difficultés au moment de la sortie
de prison, il importe que cette étape soit préparée par l’ensemble
des personnes concernées: détenus, enfants et autorités. Après la
mise en liberté, le soutien des différents organismes aide les anciens
détenus à se réhabituer à la vie extérieure.
58. Les femmes qui purgent une peine, qu’elle soit de courte ou
de longue durée, devraient pouvoir suivre des programmes pour les
aider à surmonter les problèmes auxquels elles seront confrontées.
Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent prendre des mesures
en vue de créer des centres d’accueil pour les ex-détenues et leurs
enfants, d’autant plus que l’emprisonnement réduit fréquemment les
chances de trouver un logement. Il n’est pas rare que les femmes
fassent l’objet de discriminations au cours de leurs recherches
d’un logement décent.
59. Manifestement, le fait d’avoir une famille dans laquelle retourner
joue un rôle important dans la prévention des récidives: «Les familles
ont une forte influence sur de nombreux aspects de la vie des détenus…
Le contact familial est à l’origine de taux plus faibles d’automutilation
au sein des prisons. La famille est l’un des facteurs principaux
qui influent sur la réinsertion des exdétenus.»
Selon une étude menée sur d’anciens détenus,
seule la moitié de ceux qui n’ont pas eu de contacts avec les membres
de leur famille au cours de la détention sont allés au bout d’une
année de libération surveillée sans être à nouveau arrêtés, contre
70 % de ceux qui recevaient au moins trois visiteurs en prison
.
4.4. Peines
de substitution
60. L’emprisonnement ne s’impose
en aucun cas pour beaucoup de femmes. Elles sont pour la plupart inculpées
pour des infractions mineures et non violentes et ne présentent
pas de danger pour autrui. Il y a celles emprisonnées en raison
de leur pauvreté et de leur incapacité à payer les amendes; celles
qui ont besoin de traiter des troubles mentaux ou une accoutumance
à l’alcool ou à la drogue plutôt que d’être isolées de la société;
enfin, celles tout aussi nombreuses qui sont elles-mêmes victimes
mais pâtissent d’une législation ou de pratiques discriminatoires.
En prenant des sanctions et des mesures, la collectivité répondrait
presque certainement mieux que l’emprisonnement aux exigences de
réinsertion sociale.
61. Pourtant, il ne fait pas de doute que le recours aux peines
de substitution n’est que trop limité. Les changements à apporter
aux voies d’approche des responsables politiques et aux systèmes
judiciaires sont potentiellement considérables.
62. Il est essentiel de proposer aux femmes, dans la mesure du
possible, des formules de substitution à l’emprisonnement, leur
permettant dans un premier temps de garder leurs enfants auprès
d’elles au lieu d’en être séparées, de conserver leur logement et
de pouvoir continuer à travailler.
Commission chargée du rapport: commission des questions sociales,
de la santé et de la famille.
Renvoi en commission: Doc. 10900 et Renvoi no 3248 du 30 juin
2006.
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission
le 16 mai 2008.
Membres de la commission: Mme Christine McCafferty (Présidente), M. Denis
Jacquat (1er Vice-Président), Mme Minodora Cliveti (2e Vice-Présidente),
Mme Darinka Stantcheva (3e Vice-Présidente),
M. Konstantinos Aivaliotis,
M. Farkhad Akhmedov, M. Vicenç Alay Ferrer, Mme Sirpa
AskoSeljavaara, M. Jorodd Asphjell, M. Lokman Ayva, M. Zigmantas Balčytis, M. Miguel
Barceló Pérez, M. Andris Bērzinš, M. Jaime Blanco García, M. Roland Blum,
Mme Olena Bondarenko, Mme Monika
Brüning, Mme Bożenna Bukiewicz, Mme Karmela
Caparin, M. Igor Chernyshenko, M. Imre Czinege, Mme Helen
D’Amato, M. Karl Donabauer, Mme Daniela
Filipiová, M. Ilija Filipović, M. André Flahaut, M. Paul Flynn,
M. Pernille Frahm, Mme Doris Frommelt,
M. Renato Galeazzi, M. Henk van Gerven, Mme Sophia
Giannaka, M. Stepan Glăvan, M. Marcel Glesener,
Mme Svetlana Goryacheva,
M. Luc Goutry, M. Claude Greff, M. Michael Hancock, Mme Olha Herasym’yuk, M. Vahe Hovhannisyan,
M. Ali Huseynov, M. Fazail İbrahimli, Mme Evguenia
Jivkova, Mme Marietta Karamanli, M. András
Kelemen, M. Peter Kelly, Baroness Knight of Collingtree, M. Haluk
Koç, M. Andrija Mandić, M. Michał Marcinkiewicz, M. Bernard Marquet,
M. Ruzhdi Matoshi, Mme Liliane Maury Pasquier, M. Donato Mosella,
M. Felix Müri, Mme Maia Nadiradzé, Mme Carina
Ohlsson, M. Peter Omtzigt, Mme Lajla
Pernaska, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin,
M. Cezar Florin Preda (suppléant: M. Laurenţiu Mironescu), Mme Adoración
Quesada Bravo, Mme Vjerica Radeta, M. Walter
Riester, M. Andrea Rigoni, M. Ricardo Rodrigues,
Mme Maria de
Belém Roseira, M. Alessandro Rossi, Mme Marlene
Rupprecht, M. Indrek Saar, M. Fidias Sarikas, M. Andreas Schieder,
M. Ellert B. Schram, M. Gianpaolo Silvestri, Mme Anna
Sobecka, Mme Michaela Šojdrová, M. Oleg
Ţulea, M. Alexander Ulrich, M. Mustafa Ünal, M. Milan Urbáni, Mme Nataša Vučković,
M. Dmitry Vyatkin, M. Victor Yanukovych, Mme Barbara
Žgajner-Tavš, M. Vladimir Zhidkikh.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués
en gras.
Ce texte sera débattu ultérieurement.