1. Introduction
1. Le 18 avril 2008, au cours
de la partie de session de printemps de l’Assemblée, 21 membres
de l’Assemblée parlementaire
ont
signé une déclaration écrite dans laquelle ils expriment leurs préoccupations quant
à la procédure judiciaire récemment engagée par le procureur général
de la Cour suprême de Turquie en vue de dissoudre le parti au pouvoir,
le Parti pour la justice et le développement (Parti AK), et d’interdire toute
activité politique à 71 de ses membres. Reconnaissant l’indépendance
des juges et des procureurs, les signataires attendaient de ces
derniers qu’ils respectent la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, notamment concernant les articles 10 et 11
de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après «la
Convention»), lorsqu’ils examinent la possibilité de dissoudre un
parti politique et d’interdire toute activité politique à ses membres.
2. Lors de sa réunion de Stockholm le 29 mai 2008, à la suite
de la demande de débat selon la procédure d’urgence déposée au nom
de leurs groupes par les cinq présidents des groupes politiques
de l’Assemblée, le Bureau de l’Assemblée a décidé de recommander
à cette dernière la tenue d’un débat sur le «fonctionnement des
institutions démocratiques en Turquie» et a proposé de soumettre
cette question à la commission de suivi pour rapport. Lors de l’ouverture
de sa partie de session de juin 2008, l’Assemblée a voté en faveur
de la tenue d’un débat selon la procédure d’urgence sur les développements
récents concernant le fonctionnement des institutions démocratiques
en Turquie. La commission de suivi m’a désigné comme rapporteur
lors de sa réunion du 23 juin 2008.
3. La Turquie est engagée dans un dialogue postsuivi avec la
commission de suivi de l’Assemblée parlementaire depuis la clôture
de la procédure de suivi en avril 2004. J’ai rédigé, avec Mme Mady
Delvaux-Stehres (Luxembourg, Groupe socialiste), le dernier rapport
sur le respect des obligations et engagements de la Turquie, qui
a été débattu par l’Assemblée le 22 juin 2004 et qui a mené à l’adoption
de la
Résolution 1380 (2004) . Ce texte énumère 12 points
que la Turquie, dans le cadre des réformes actuelles menées par
les autorités, a été invitée à prendre en compte, à commencer par
la nécessité de «procéder à une refonte de la Constitution de 1982,
avec l’assistance de la Commission de Venise, afin d’achever son
adaptation aux normes européennes en vigueur».
4. Ces 12 points font l’objet du dialogue postsuivi entre la
commission de suivi et les autorités turques, qui relève de la responsabilité
du président de la commission. En décembre 2007, à la demande de
l’ancien président de la commission, M. Eduard Lintner, la délégation
turque auprès de l’Assemblée a informé cette dernière des progrès
enregistrés à propos de ces 12 points. Le président actuel de la
commission, M. Serhiy Holovaty, a planifié une mission d’information
en Turquie à l’automne 2008.
5. Je n’ai bien évidemment pas l’intention d’interférer avec
le mandat du président au titre du dialogue postsuivi et me limiterai
à présenter les développements récents intervenus dans le pays,
en liaison avec la procédure en cours contre le parti au pouvoir,
et ses implications pour le fonctionnement des institutions démocratiques
du pays, ainsi que les défis qui restent à relever. Mon rapport
fournit également des informations générales concernant les normes
du Conseil de l’Europe dans le domaine de la dissolution des partis
politiques et les précédents en la matière en Turquie.
2. Développements en 2007-2008
6. La Turquie est gouvernée depuis
plus de cinq ans maintenant par le Parti pour la justice et le développement
(Parti AK), dirigé par M. Recep Tayyip Erdoğan. Le gouvernement
a prôné une croissance économique forte et des réformes politiques,
et a gagné les faveurs des investisseurs grâce au maintien de la stabilité
macroéconomique et à la poursuite des privatisations dans le pays.
7. Créé en 2001 par M. Erdoğan et M. Gül, le Parti AK a proposé
une alternative beaucoup plus modérée dans l’éventail politique
turc que le Parti de la prospérité (Refah) de Necmettin Erbakan,
dissous en 1998, et des deux partis qui ont suivi, le Parti de la
vertu (Fazilet), dissous en juin 2001, et le Parti du bonheur (Saadet). Rejetant
l’étiquette «islamiste»
,
le Parti AK s’est présenté comme un grand parti pro-occidental,
fort d’un agenda social conservateur et d’un engagement ferme en
faveur de l’économie de marché libérale. Il a initié de nombreuses
réformes en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
8. Dès sa
Résolution
1380 (2004), l’Assemblée avait noté avec satisfaction que, en dépit
des préoccupations de novembre 2002 à propos de l’arrivée au pouvoir
du Parti AK, le nouveau gouvernement avait fait bon usage de la
majorité absolue dont il disposait au parlement, avec le soutien
sans faille du seul parti d’opposition de l’époque, le Parti républicain
du peuple (CHP), pour accélérer et intensifier les réformes.
9. Des modifications majeures ont été apportées dans le cadre
des trois trains d’amendements constitutionnels introduits respectivement
en 2001, 2002 et 2004, dont l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances,
l’abolition des tribunaux de sûreté de l’Etat dans le système judiciaire
turc, l’inscription du principe d’égalité des genres dans la Constitution,
avec un accent particulier sur l’obligation pour l’Etat de garantir
l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que sur l’élimination
du principe du secret quant à l’audit des biens de l’Etat en possession
des forces armées. De même, la suprématie des traités internationaux relatifs
aux droits de l’homme sur la législation nationale en cas de conflit
entre les deux a été établie en tant que principe constitutionnel.
10. C’est à la lumière de ces réformes que l’Assemblée a décidé
de clore sa procédure de suivi pour la Turquie en 2004 et de suivre
les développements à venir dans le contexte du dialogue postsuivi,
plus souple. Dans sa
Résolution
1380 (2004), l’Assemblée a noté «qu’en à peine plus de deux ans,
la Turquie a réalisé plus de réformes que pendant les dix années
précédentes». C’est également en grande partie à la lumière de ces mêmes
réformes que l’Union européenne a ouvert avec la Turquie en octobre
2005 des négociations en vue de l’adhésion du pays. Depuis lors,
la Turquie poursuit ses efforts pour respecter pleinement les critères
de Copenhague, y compris parvenir à une «stabilité des institutions
garantissant la démocratie, la prééminence du droit et les droits
de l’homme».
11. Un nouveau train de réformes législatives et constitutionnelles
était à l’ordre du jour du gouvernement en 2007, mais il a été entravé
par la crise politique résultant de l’incapacité de la Grande Assemblée
nationale de Turquie (GANT) à élire un nouveau Président de la République
pour succéder à Ahmet Necdet Sezer avant l’expiration de son mandat
unique de sept ans, le 16 mai 2007.
12. Le premier tour de l’élection présidentielle par la GANT s’est
déroulé le 27 avril 2007. Le vote a été boycotté par l’opposition,
le Parti républicain du peuple (CHP), principal rival du Parti AK,
pour protester contre l’absence de discussion et de consultation
préalables et la proclamation «surprise» du candidat du Parti AK, le
ministre des Affaires étrangères et Vice-Premier ministre Abdullah
Gül
,
juste avant l’expiration du délai légal.
13. La publication d’une déclaration des militaires avertissant
que les forces armées étaient les défenseurs de la laïcité n’a fait
qu’exacerber le regain de tensions politiques. Des rassemblements
massifs à Istanbul et dans d’autres grandes villes ont été organisés
contre ce qui était perçu comme une menace d’islamisation croissante
de la Turquie laïque
.
14. Le 1er mai 2007, la Cour constitutionnelle a annulé le premier
tour du scrutin, au motif que le quorum requis pour élire un nouveau
président (deux tiers des députés de la GANT
) n’avait pas été atteint
en raison du boycott de l’opposition.
15. L’ensemble de la procédure a été annulé, la candidature de
M. Gül a été retirée, et le Premier ministre, M. Erdoğan, a présenté
un train d’amendements constitutionnels à la GANT, proposant notamment:
- l’élection du Président au suffrage
universel direct pour un mandat renouvelable de cinq ans;
- la réduction de cinq à quatre ans de la durée du mandat
de député;
- l’instauration d’un quorum d’un tiers pour toutes les
sessions et décisions du parlement.
16. L’opposition s’étant plainte du manque de débat sur le train
de réformes proposé, le Président Sezer a fait usage de ses pouvoirs
constitutionnels pour rejeter les amendements constitutionnels.
Le train de réformes a été approuvé à nouveau par la GANT le 31
mai 2007. Le Président ne peut s’opposer une deuxième fois à un
train de réformes, mais il peut saisir la Cour constitutionnelle
de la question. Le 5 juillet 2007, la Cour constitutionnelle a déclaré
recevables les amendements constitutionnels proposés en vue de l’élection
du Président turc au suffrage universel direct.
17. Dans l’intervalle, le Président Sezer a également exercé son
droit de veto à l’encontre des réformes législatives proposées par
la majorité au pouvoir, en particulier la loi sur le médiateur,
la loi sur les fondations et la loi sur les institutions d’enseignement
privé, ce qui a inévitablement ralenti l’élan des réformes politiques dans
le pays.
18. Conformément aux dispositions constitutionnelles exigeant
la tenue d’élections législatives immédiatement après l’échec du
parlement à élire le nouveau Président de la République, la GANT
a décidé, début mai 2007, d’organiser des élections législatives
anticipées le 22 juillet 2007.
19. Les élections législatives anticipées de juillet 2007 ont
été observées par une commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire
sous ma présidence. Nous avons conclu, avec d’autres observateurs internationaux,
que ces élections se sont déroulées de manière généralement conforme
aux engagements contractés par la Turquie à l’égard du Conseil de
l’Europe et aux normes européennes s’appliquant à la tenue d’élections
libres, et que le scrutin était organisé avec professionnalisme
et s’est déroulé sans heurt, ce qui témoigne de la longue tradition
d’élections démocratiques entretenue en Turquie. Le fort taux de
participation a montré que la confiance dans le processus démocratique
existe en Turquie. Tous les administrateurs électoraux, à tous les
niveaux, se sont acquittés de leurs tâches avec efficacité et intégrité
.
20. La Parti AK a remporté les élections pour la deuxième fois
consécutive avec 46,6 % des voix (à comparer aux 34,2 % des voix
lors du scrutin de 2002). Il a ainsi obtenu 341 sièges sur un total
de 550 à la GANT et s’est assuré une large majorité absolue.
21. Deux autres partis, le Parti républicain du peuple (CHP) et
le Parti de l’action nationaliste (MHP), ont dépassé le seuil électoral
des 10 %, qui, en dépit des demandes d’abaissement répétées de l’Assemblée
, reste
excessif et de loin le plus élevé d’Europe. L’actuel parlement est
ainsi plus représentatif de la diversité politique du pays que le
précédent, reflétant près de 90 % des opinions de l’électorat
(même si
cette situation ne résulte pas de mesures prises par les autorités
turques elles-mêmes).
22. Un mois après les élections anticipées de juillet, la nouvelle
GANT a élu M. Gül à la présidence de la République le 28 août 2007,
avec 339 voix. M. Erdoğan a conservé le poste de Premier ministre.
23. Les amendements constitutionnels approuvés par la GANT en
mai 2007, y compris l’élection du Président au suffrage universel
direct, ont été avalisés par un référendum organisé le 21 octobre
2007.
3. Procédure judiciaire contre
le Parti pour la justice et le développement (Parti AK)
24. Après les élections législatives
de juillet 2007, suivies un mois plus tard de l’élection d’un nouveau Président
de la République, la crise institutionnelle qui avait éclaté au
printemps de la même année a semblé toucher à sa fin. On espérait
que, avec un gouvernement stable jouissant d’une forte majorité
parlementaire et un parlement plus diversifié et représentatif,
le pays pourrait à nouveau aller de l’avant et poursuivre les réformes
politiques et économiques plus que nécessaires. Le Premier ministre
Erdoğan s’est lui-même engagé à ce que 2008 soit l’année des réformes
.
25. Le pays a néanmoins connu un regain de tension lorsque le
Premier ministre Erdoğan a proposé d’amender la Constitution afin
de lever l’interdiction du voile à l’université au motif que la
question relevait de la liberté individuelle et que cette interdiction
empêchait un nombre important de jeunes femmes de suivre un enseignement
supérieur. Les opposants considéraient le voile comme un symbole
de l’islam politique et une menace pour la laïcité, l’un des principes
fondamentaux de la Turquie moderne.
26. Le 17 janvier 2008, le procureur général de la Cour suprême,
Abdurrahman Yalcinkaya, a averti le Parti AK que sa tentative visant
à lever l’interdiction du voile aurait des conséquences graves:
la réforme générerait notamment la discorde sociale et les universités
deviendraient alors un foyer d’activités antilaïques
.
27. Le 9 février 2008, la GANT a adopté par 411 voix contre 103
l’amendement constitutionnel proposé autorisant le port, par les
étudiantes, du foulard islamique à l’université. La modification
consistait notamment à ajouter une phrase à l’article 10 de la Constitution
sur l’égalité devant la loi, spécifiant que ce principe s’appliquait
également à la «prestation de tout service public». Un amendement
à la loi sur l’enseignement supérieur a également été voté afin
de garantir que personne ne puisse être privé de son droit à l’éducation supérieure
«pour une raison autre que celles spécifiées explicitement dans
la loi. Les limites à l’exercice de ce droit seront posées par la
loi».
28. Le 5 juin 2008, la Cour constitutionnelle a jugé que le vote
de la GANT visant à lever l’interdiction du voile à l’université
était contraire aux principes laïcs de la Constitution turque.
29. Dans l’intervalle, le 14 mars 2008, le procureur général de
la Cour suprême a demandé à la Cour constitutionnelle de dissoudre
le Parti AK au motif qu’il était devenu «le foyer d’activités antilaïques»,
et d’interdire pendant cinq ans toute activité politique à 71 de
ses membres, y compris au Président Abdullah Gül, au Premier ministre
Erdoğan, à quatre ministres et à 39 membres du parlement. Le 31
mars 2008, la Cour constitutionnelle s’est prononcée à l’unanimité
en faveur de la recevabilité de la requête concernant la dissolution
du parti AK et le bannissement de 70 de ses membres. S’agissant
du Président Gül, la Cour a décidé d’examiner l’affaire par un vote
majoritaire.
30. Ce n’est pas la première fois que le Parti AK est menacé de
dissolution et M. Erdoğan d’interdiction de toute activité politique:
deux mois avant les élections législatives anticipées de novembre
2002, M. Erdoğan a été déclaré inéligible par le Conseil électoral
suprême en raison de sa condamnation pénale en 1998 pour incitation
à la haine raciale en vertu de l’article 312 (désormais article
301) du Code pénal. Condamné à dix mois de détention, il n’en a
purgé que quatre, ayant bénéficié de l’amnistie de 1999. En octobre
2002, seulement un mois avant les élections, le procureur général
a demandé à la Cour constitutionnelle de dissoudre le Parti AK,
au motif que M. Erdoğan en avait conservé la présidence en dépit
d’une injonction antérieure de la Cour constitutionnelle. Pour finir,
le procureur général a décidé de ne réclamer que la privation totale
ou partielle du financement public du Parti AK.
31. L’inculpation actuelle repose sur l’article 69 de la Constitution
et sur la loi sur les partis politiques. L’article 69 de la Constitution
établit ce qui suit: «Dans le cas où les statuts et le programme
d’un parti politique ne sont pas conformes à l’alinéa 4 de l’article
68, sa dissolution à titre définitif est prononcée.» Selon la Constitution,
les statuts, les programmes et
les activités des partis politiques ne peuvent aller à l’encontre
de l’indépendance de l’Etat, de son intégrité indivisible du point
de vue du territoire et de la nation, des droits de l’homme, des
principes de l’égalité et de l’Etat de droit, de la souveraineté
de la nation, ni des principes de la République démocratique et laïque; ils ne peuvent avoir pour
but de préconiser ou d’instaurer la dictature d’une classe ou d’un
groupe ni une forme quelconque de dictature; ils ne peuvent inciter
à commettre une infraction. Le mot souligné est le fait de l’auteur
du présent document.)
32. A la suite des amendements constitutionnels de 1995 et 2001,
les critères de dissolution des partis politiques énoncés à l’article
69 sont devenus plus stricts:
La
décision de dissoudre à titre définitif un parti politique en raison
de la non-conformité de ses activités aux dispositions de l’alinéa
quatre de l’article 68 ne peut être prononcée que dans le cas où
la Cour constitutionnelle détermine que le parti en question est
devenu le centre de gravité des actes
qui présentent ce caractère. Un parti politique est réputé
être devenu le centre de gravité de tels actes si des membres du
parti se livrent intensivement à
des activités présentant le caractère en question et que cette situation
est explicitement ou implicitement approuvée soit par le grand congrès
du parti, soit par son président, soit par ses organes centraux
de décision ou de direction, soit encore par l’assemblée générale
ou le conseil de direction du groupe du parti à la Grande Assemblée
nationale de Turquie, ou si les actes en question sont accomplis
directement et avec détermination par les organes du parti eux-mêmes.
(Les mots en gras sont le fait de l’auteur du présent document.)
33. L’article 69, tel qu’amendé, stipule également que, au lieu
de prononcer la dissolution à titre définitif, la Cour constitutionnelle
peut prononcer à charge du parti politique considéré la privation
totale ou partielle de l’aide de l’Etat, en fonction de la gravité
des faits litigieux.
34. L’acte d’accusation de 162 pages reconnaît que le programme
du Parti AK et ses statuts ne sont pas inconstitutionnels. Cependant,
il déclare que le Parti AK a «agi contre la législation et la Constitution
de par ses actions et ses déclarations verbales».
35. L’acte d’accusation cite un grand nombre d’incidents et d’actes
perpétrés par des responsables du Parti AK comme preuves de ses
activités antilaïques. Le procureur général relève que le Parti
AK a pris la succession des anciens partis islamiques, qui fondaient
leurs politiques sur la lutte contre les valeurs républicaines et
notamment la laïcité
.
Le caractère laïque de l’Etat turc est inscrit à l’article 2 de
la Constitution et protégé par l’article 4 qui énonce l’inaltérabilité
des principes fondateurs de la République définis dans les trois
premiers articles et en interdit toute proposition de modification
.
36. L’acte d’accusation conclut que le Parti AK a révélé ses intentions
de créer un environnement dans lequel les principes fondamentaux
de la République de Turquie seront modifiés par les actions susmentionnées
et notamment par les propositions d’un amendement constitutionnel
et de modifications de la loi sur l’enseignement supérieur [levant
l’interdiction du port du voile à l’université]; a ignoré le fait
que les symboles religieux ne pouvaient être utilisés dans les systèmes
laïques; est déterminé à transformer la République laïque en un
nouveau système de vie et un nouvel ordre étatique et a commencé
à diviser la société en deux catégories, les religieux et les autres;
a tenté de modifier progressivement et de remodeler la structure
judiciaire laïque; a ouvert la discussion quant à l’avenir du régime
et de la République.
37. L’acte d’accusation poursuit en énonçant «qu’il est évident
que le Parti AK utilisera ses pouvoirs matériels pour modifier l’ordre
laïque. Compte tenu de sa position actuelle à la tête du pays, ce
danger est imminent. Force est de le reconnaître si l’on part du
principe qu’il adoptera la charia en permettant à la société d’évoluer
vers une structure islamique au travers de ce qu’il appelle des
processus de consensus»; «le Parti AK recourra au Jihad, comme l’exige
la charia, s’il n’arrive pas à instaurer le régime souhaité. En
d’autres termes, le recours au Jihad, c’est-à-dire à la violence,
est probable»; «la menace posée par les politiques du Parti AK est
claire et tout à fait actuelle. Des mesures concrètes d’ores et
déjà prises sont susceptibles de menacer la paix civile et le régime
démocratique dans le pays»; «dans ce contexte, la seule sanction
applicable est la dissolution du parti, comme le demande la société,
pour se protéger de ce danger et empêcher le Parti AK d’atteindre
son objectif».
38. Le 16 juin 2008, le Parti AK, parti au pouvoir, a présenté
sa défense écrite devant la Cour constitutionnelle.
39. Dans son introduction, la déclaration de 98 pages nie en bloc
toutes les accusations laissant à penser que le Parti AK serait
devenu un «foyer d’activités antilaïques», énonçant que l’acte d’accusation
du procureur général est davantage motivé par des considérations
idéologiques et politiques que par des préoccupations juridiques
légitimes. Selon elle, la formulation de l’accusation est trop simpliste.
Elle avance également que la vision du procureur général des concepts
de démocratie et de laïcité ne répond pas à l’entendement universellement
accepté de ces concepts: le procureur général défend la laïcité
en tant que mode de vie plutôt que comme une séparation saine entre
religion et affaires de l’Etat.
40. La défense a avancé que le réquisitoire n’avait rien de juridique,
qu’il s’agissait d’un document truffé d’accusations fictives reposant
sur des affirmations spéculatives concernant l’avenir, ignorant
les réalisations du parti au pouvoir au cours des six dernières
années et les réalités du pays. Elle a également démontré que certaines
preuves n’ont été produites qu’après la décision du procureur général
d’engager une action judiciaire en vue de la dissolution du Parti
AK. Dans sa déposition, la défense a également relevé que l’interdiction
du Parti AK serait une violation de la liberté d’association garantie
par la Convention européenne des droits de l’homme, telle qu’interprétée
par la Cour européenne des droits de l’homme.
41. La Cour constitutionnelle pourrait rendre sa décision au cours
de l’été ou en septembre 2008. La Cour peut rejeter ou accepter
la requête du procureur général quant à la dissolution du Parti
AK, mais elle peut également se prononcer sur la privation totale
ou partielle de l’aide de l’Etat pour le Parti AK, en fonction de
la gravité des faits litigieux. La Cour est par ailleurs habilitée
à décider ou non de l’interdiction faite aux dirigeants du parti
d’exercer une activité politique, dans le cas où elle opte pour
la dissolution du parti ou la privation de l’aide de l’Etat.
42. Dans l’attente de la décision de la Cour et quel qu’en soit
le résultat, l’action en justice contre le parti au pouvoir affecte
sérieusement la stabilité politique du pays et le fonctionnement
démocratique de ses institutions. Le rapporteur a conscience que
le regain de tensions politiques risque malheureusement de détourner
le gouvernement des réformes économiques et politiques urgentes
.
43. Par ailleurs, le rapporteur souligne que l’indépendance du
système judiciaire devrait être pleinement garantie et respectée
et qu’aucune influence ne devrait être exercée sur la Cour constitutionnelle.
Le rapporteur exprime sa confiance à la Cour pour qu’elle s’inspire
des normes européennes en matière de dissolution des partis politiques,
et notamment de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne
des droits de l’homme et des Lignes directrices sur l’interdiction
et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues,
adoptées par la Commission de Venise en 1999.
4. Normes européennes en matière
de dissolution des partis politiques
4.1. Principes généraux dans
la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme
44. La Cour a déclaré à plusieurs
reprises que «la démocratie apparaît comme l’unique modèle politique envisagé
par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec
elle».
45. La Cour a également confirmé, à plusieurs occasions, le rôle
essentiel joué dans un régime démocratique par les partis politiques
jouissant des droits et libertés inscrits à l’article 11 (liberté
de réunion et d’association) et l’article 10 (liberté d’expression)
de la Convention. Elle a même jugé encore plus convaincant que la
formulation de l’article 11 le fait que «les partis politiques représentent
une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la
démocratie». A la lumière du rôle joué par les partis politiques,
toute mesure contre eux affecte à la fois la liberté d’association
et, partant, l’état de la démocratie dans le pays dont il s’agit
. De par leur rôle, les partis
politiques, seules formations à même d’accéder au pouvoir, ont en
outre la faculté d’exercer une influence sur l’ensemble du régime
de leur pays. Par leurs projets de modèle global de société qu’ils
proposent aux électeurs et par leur capacité de réaliser ces projets
une fois arrivés au pouvoir, les partis politiques se distinguent
des autres organisations intervenant dans le domaine politique
.
46. Mieux encore, la Cour a noté que la protection des opinions
et la liberté de les exprimer au sens de l’article 10 de la Convention
est l’un des objectifs de la liberté d’association et de la liberté
de réunion inscrites à l’article 11. Cela s’applique d’autant plus
aux partis politiques que leur rôle fondamental est d’assurer le pluralisme
et le bon fonctionnement de la démocratie.
47. Pour la Cour, il ne peut y avoir de démocratie sans pluralisme.
C’est pourquoi la liberté d’expression telle qu’inscrite à l’article
10, sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), vaut
non seulement pour les «informations» ou «idées» accueillies avec
faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi
pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent
. Dans la mesure où leurs
activités s’intègrent dans l’exercice collectif de la liberté d’expression,
les partis politiques sont également habilités à se prévaloir de
la protection de l’article 10 de la Convention.
48. C’est pourquoi la Cour a considéré qu’un parti politique pouvait
mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des
structures légales ou constitutionnelles de l’Etat à deux conditions: d’abord,
les moyens utilisés à cette fin doivent être légaux et démocratiques;
deuxièmement, le changement proposé doit luimême être compatible
avec les principes démocratiques fondamentaux. Il en découle nécessairement
qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir
à la violence, ou proposent un projet politique qui ne respecte
pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui visent la destruction
de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle
reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention
contre les sanctions infligées pour ces motifs
.
49. On ne saurait exclure qu’un parti politique, en invoquant
les droits consacrés par l’article 11 de la Convention ainsi que
par les articles 9 et 10, essaie d’en tirer le droit de se livrer
effectivement à des activités visant à la destruction des droits
ou libertés reconnus dans la Convention et ainsi, la fin de la démocratie
.
Or, compte tenu du lien très clair entre la Convention et la démocratie,
nul ne doit être autorisé à se prévaloir des dispositions de la
Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs d’une
société démocratique. Le pluralisme et la démocratie se fondent
sur un compromis exigeant des concessions diverses de la part des individus
ou groupes d’individus, qui doivent parfois accepter de limiter
certaines des libertés dont ils jouissent afin de garantir une plus
grande stabilité du pays dans son ensemble. Dans ce contexte, la
Cour a considéré qu’il n’est pas du tout improbable que des mouvements
totalitaires, organisés sous la forme de partis politiques, mettent
fin à la démocratie, après avoir prospéré sous le régime démocratique.
L’histoire européenne contemporaine en connaît des exemples.
50. La Cour a, cependant, réitéré que les exceptions à la liberté
d’association visées à l’article 11, paragraphe 2, appellent, à
l’égard de partis politiques, une interprétation stricte, seules
des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions
à leur liberté d’association. Pour juger en pareil cas de l’existence
d’une «nécessité dans une société démocratique» au sens de l’article
11, paragraphe 2, les Etats contractants ne disposent que d’une
marge d’appréciation réduite. Bien que la Cour n’ait pas à se substituer
aux autorités nationales qui sont mieux placées qu’une juridiction
internationale pour décider, par exemple, du moment opportun d’une
ingérence, elle doit exercer un contrôle rigoureux portant à la
fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris
celles d’une juridiction indépendante. Des mesures sévères, telles
que la dissolution de tout un parti politique et l’interdiction
frappant ses responsables d’exercer pour une durée déterminée toute
autre activité similaire, ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les
plus graves
.
51. C’est pourquoi la Cour a estimé que, si les moyens utilisés
à cette fin étaient légaux et démocratiques et si le changement
proposé était lui-même compatible avec les principes fondamentaux
de la démocratie, un parti politique qui s’inspire des valeurs morales
imposées par une religion ne saurait être considéré d’emblée comme
une formation enfreignant les principes fondamentaux de la démocratie,
tels qu’ils ressortent de la Convention.
52. L’examen global par la Cour de la question de savoir si la
dissolution d’un parti politique pour risque d’atteinte aux principes
démocratiques répond à un «besoin social impérieux» doit se concentrer
sur les points suivants:
i. s’il
existe des indices montrant que le risque d’atteinte à la démocratie,
sous réserve d’être établi, est suffisamment et raisonnablement
proche;
ii. si les actes et discours des dirigeants et des membres
du parti politique pris en considération dans le cadre de l’affaire
sont imputables à l’ensemble du parti;
iii. si les actes et les discours imputables au parti politique
constituent un tout qui donne une image nette d’un modèle de société
conçu et prôné par le parti, et qui serait en contradiction avec
la conception d’une «société démocratique».
53. La Cour apprécie ensuite si la dissolution est une sanction
«proportionnée aux buts légitimes poursuivis». A cet égard, la Cour
a déclaré, à plusieurs reprises, que la dissolution d’un parti politique,
assortie d’une interdiction temporaire pour ses dirigeants d’exercer
des responsabilités politiques, était une mesure radicale et que
des mesures d’une telle sévérité ne pouvaient s’appliquer qu’aux
cas les plus graves
.
4.2. Lignes directrices sur l’interdiction
et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues,
adoptées par la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) en 1999
54. A la suite du rapport sur l’interdiction
des partis politiques et autres mesures analogues préparé en 1998 à
la demande du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, la Commission
de Venise a adopté un an plus tard, en décembre 1999, des lignes
directrices à ce propos
. L’objet
de ces lignes directrices (sept au total) est d’établir un ensemble
de principes communs à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
et d’autres pays partageant les mêmes valeurs, qui sont reflétés
dans la Convention européenne des droits de l’homme. Les lignes
directrices 3 à 6 se lisent comme suit:
3. L’interdiction ou la dissolution
forcée de partis politiques ne peuvent se justifier que dans le
cas où les partis prônent l’utilisation de la violence ou l’utilisent
comme un moyen politique pour faire renverser l’ordre constitutionnel
démocratique, abolissant de ce fait les droits et libertés garantis
par la Constitution. Le seul fait qu’un parti plaide en faveur d’une
réforme pacifique de la Constitution ne doit pas suffire à justifier
son interdiction ou sa dissolution.
4. Un parti politique, en tant
que tel, ne peut pas être tenu responsable de la conduite de ses
membres qui n’aurait pas été autorisée par le parti à l’intérieur
du cadre politique/public et des activités du parti.
5. L’interdiction ou la dissolution
de partis politiques, comme mesure particulière à portée considérable, doivent
être utilisées avec la plus grande retenue. Avant de demander à
la juridiction compétente d’interdire ou de dissoudre un parti,
les gouvernements ou autres organes de l’Etat doivent établir –
au regard de la situation dans le pays concerné si le parti représente
réellement un danger pour l’ordre politique libre et démocratique
ou pour les droits des individus, et si d’autres mesures moins radicales peuvent
prévenir ledit danger .
6. Les mesures juridiques prises
pour interdire ou faire respecter la dissolution de partis politiques doivent
être la conséquence d’une décision judiciaire d’inconstitutionnalité
et doivent être considérées comme exceptionnelles et réglementées
par le principe de proportionnalité. Toutes ces mesures doivent s’appuyer
sur des preuves suffisantes que le parti en lui-même – et pas seulement
ses membres individuels – poursuit des objectifs politiques en utilisant
(ou en étant prêt à utiliser) des moyens inconstitutionnels.
55. Résolution 1308
(2002) de l’Assemblée parlementaire
sur les restrictions concernant les partis politiques dans les Etats
membres du Conseil de l’Europe
56. Dans sa
Résolution
1308 (2002), l’Assemblée, conformément aux lignes directrices de
la Commission de Venise, a souligné que si toute démocratie a le
droit de se défendre contre les partis extrémistes, la dissolution
devrait être une mesure à ne prendre qu’en dernier ressort car elle
ne se justifie que dans les cas où le parti concerné fait usage
de violence ou menace gravement la paix civile et l’ordre constitutionnel démocratique
du pays.
5. Affaires concernant la dissolution
de partis politiques en Turquie
57. Ce n’est pas la première fois
que la dissolution d’un parti est envisagée en Turquie. Dans notre
dernier rapport de suivi sur la Turquie en 2004, nous avons déjà
estimé que la fréquence des dissolutions de partis politiques en
Turquie relevait non seulement d’une atteinte au droit à la liberté
d’association et de réunion garantie par l’article 11 de la CEDH,
mais qu’elle était révélatrice d’un problème plus général de fonctionnement
des institutions. De toute l’Europe, la Turquie est le pays qui
connaît le plus de dissolutions de partis politiques. La plupart
des partis dissous ont contourné l’interdiction en se regroupant
sous un autre nom.
58. Dans presque toutes les affaires concernant la dissolution
de partis politiques par la Cour constitutionnelle entre 1991 et
1997, la Cour européenne des droits de l’homme, appliquant les principes généraux
résumés précédemment, a conclu que la sanction était disproportionnée
et qu’elle représentait de ce fait une violation du droit à la liberté
d’association inscrit à l’article 11
.
59. La plupart des partis ont été dissous
soit
sur la seule base de leur nom et/ou de leur statut, soit très peu
de temps après leur création
, avant même
qu’ils puissent démarrer leurs activités. Les statuts de ces partis
ou les déclarations de leurs dirigeants
ont été considérés
comme sapant l’intégrité territoriale et l’unité de la nation, principalement
du fait des références au peuple kurde ou à l’autodétermination
des Kurdes, en violation de la Constitution et des diverses dispositions
de la loi sur les partis politiques (LPP).
60. Dans l’affaire du Parti communiste unifié, des motifs complémentaires
ont été constitués par l’usage du terme «communiste», interdit en
vertu de l’article 96(3) de la LPP, et, dans l’affaire du Parti
de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP), par le fait que l’objectif
apparent du parti était d’abolir l’Etat laïque en violation de l’article
89 de la LPP.
61. Dans l’affaire du Parti socialiste et autres, l’un des requérants,
M. Perincek, le président du parti, a été inculpé pour les mêmes
faits que ceux à l’origine de la dissolution de son parti, après
l’arrêt de la Cour
.
Dans cette affaire, la Cour a conclu à une violation de la liberté
d’expression (violation de l’article 10). Les raisons avancées par
les tribunaux turcs ne peuvent être considérées comme suffisantes
en elles-mêmes pour justifier les ingérences dans le droit du requérant
à la liberté d’expression. Le requérant a prononcé des discours
en sa qualité d’homme politique, acteur de la scène politique turque.
Ses discours n’encourageaient pas l’usage de la violence ni la résistance
armée ou l’insurrection et ne constituaient pas des discours de
haine, ce qui, de l’avis de la Cour, était un facteur déterminant.
De plus, la Cour a estimé que l’inculpation du requérant et la peine
prononcée à son encontre étaient disproportionnées par rapport à
l’objectif poursuivi, et de ce fait, non «nécessaires dans une société
démocratique».
62. Grâce aux réformes constitutionnelles de 1995 et 2001, ainsi
qu’aux amendements de 2003 à la LPP, les autorités turques ont introduit
des dispositions renforçant l’exigence de proportionnalité pour
toute ingérence de l’Etat dans la liberté d’association dont jouissent
les partis politiques. De même, en 2004, un amendement de l’article
90 de la Constitution a permis aux traités internationaux en matière
de droits de l’homme de primer sur toute législation nationale incompatible
.
63. Dans sa
Résolution
1380 (2004) clôturant la procédure de suivi de la Turquie, l’Assemblée,
soulignant que la fréquence des cas de dissolution de partis politiques
était une réelle source de préoccupation, exprimait l’espoir que
les modifications constitutionnelles d’octobre 2001 ainsi que celles
apportées à la loi sur les partis politiques limiteraient à l’avenir
le recours à une mesure aussi extrême que la dissolution.
64. Par ailleurs, à la lumière de ces mêmes réformes et des autres
mesures individuelles mises en place, le Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe a mis un terme en 2007 à la surveillance de
l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
dans toutes les affaires concernant la dissolution de partis politiques
en Turquie entre 1991 et 1997, s’estimant satisfaite de l’exécution
des arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme
. Ce faisant, le Comité des
Ministres a vivement encouragé les autorités turques à poursuivre
leurs efforts visant à assurer l’effet direct de la jurisprudence
de la Cour dans la mise en œuvre du droit turc.
65. Les poursuites actuellement engagées contre le Parti AK, indépendamment
de leur aboutissement, montrent qu’en dépit des réformes susmentionnées
la question de la dissolution des partis politiques en Turquie n’est
pas close. Il apparaît clairement que d’autres réformes constitutionnelles
et législatives à cet égard sont nécessaires.
66. Une révision complète de la Constitution de 1982 qui, en dépit
des diverses modifications, continue de porter l’empreinte du coup
d’Etat militaire de 1980 ainsi qu’un examen détaillé de la loi sur
les partis politiques sont indispensables pour mettre ces textes
en pleine conformité avec les normes européennes. En poursuivant ces
réformes, les autorités turques devraient en particulier envisager
l’introduction de critères plus stricts pour la dissolution de partis
politiques, tels que l’apologie ou l’incitation à la violence ou
des menaces claires contre les valeurs essentielles de la démocratie,
conformément aux lignes directrices susmentionnées de la Commission
de Venise.
67. Les corapporteurs chargés du suivi de la Turquie ont soutenu
l’idée d’une révision complète de la Constitution turque dès 2004,
lorsqu’ils ont proposé la clôture de la procédure de suivi. L’assistance
de la Commission de Venise dans la conduite d’une refonte complète
de la Constitution, comme le demandait l’Assemblée lors de l’adoption
de la
Résolution 1380 et de la clôture de la procédure de suivi pour la Turquie, devrait
être envisagée.
6. Conclusions
68. Le rapporteur est préoccupé
par le fait que, indépendamment de son aboutissement, l’action judiciaire engagée
contre le parti au pouvoir, le Premier ministre et le Président
de la République nuit sérieusement à la stabilité politique dans
le pays, ainsi qu’au fonctionnement démocratique de ses institutions,
et retarde également l’adoption de réformes économiques et politiques
pourtant urgentes.
69. En même temps, le rapporteur souligne que la séparation effective
des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire sont des principes
fondamentaux d’une démocratie fondée sur l’Etat de droit qui devraient être
garantis par toutes les institutions étatiques. Il convient de n’exercer
aucune influence sur la Cour constitutionnelle du pays. A cet égard,
l’Assemblée exprime sa confiance à cette dernière pour qu’elle applique les
normes européennes relatives à la dissolution des partis politiques
résultant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme sur les articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté
de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits
de l’homme, ainsi que des Lignes directrices sur l’interdiction
et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues,
adoptées par la Commission européenne pour la démocratie par le
droit du Conseil de l’Europe (Commission de Venise) en décembre
1999.
70. Le rapporteur note que le respect du principe de proportionnalité
est de la plus haute importance en matière de dissolution de partis
politiques, compte tenu de leur rôle essentiel pour garantir le
pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie. La Cour européenne
des droits de l’homme a déclaré à maintes reprises que la dissolution
d’un parti politique, assortie d’une interdiction temporaire pour
ses dirigeants d’exercer des responsabilités politiques, était la
mesure la plus radicale; une mesure d’une telle sévérité ne devrait s’appliquer
qu’aux cas les plus graves.
71. Les poursuites actuellement engagées contre le Parti AK, indépendamment
de leur aboutissement, donnent lieu à un nouveau débat sur le fondement
juridique de la dissolution de partis politiques dans le pays, et
montrent qu’en dépit des réformes susmentionnées la question de
la dissolution des partis politiques en Turquie n’est pas close.
Il est clair que la nécessité d’engager à cet égard des réformes
constitutionnelles et législatives est désormais manifeste.
72. Une révision complète de la Constitution de 1982 qui, en dépit
des diverses modifications, continue de porter l’empreinte du coup
d’Etat militaire de 1980 ainsi qu’un examen détaillé de la loi sur
les partis politiques sont indispensables pour mettre ces textes
en pleine conformité avec les normes européennes. En poursuivant ces
réformes, les autorités turques devraient en particulier envisager
l’introduction de critères plus stricts pour la dissolution de partis
politiques, tels que l’apologie de ou l’incitation à la violence,
ou des menaces claires contre les valeurs essentielles de la démocratie,
conformément aux lignes directrices précitées de la Commission de
Venise.
73. Au moment de l’adoption de sa
Résolution 1380 et de la clôture de la procédure de suivi, l’Assemblée avait
invité la Turquie, dans le cadre de son processus de réformes, «à
procéder à une refonte de la Constitution de 1982, avec l’assistance
de la Commission de Venise, afin d’achever son adaptation aux normes
européennes en vigueur».
74. Il est plus évident que jamais qu’une nouvelle Constitution
civile garantissant un système adéquat de freins et de contrepoids,
et accordant une place de choix à la protection des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, conformément aux normes européennes,
est une nécessité urgente en Turquie, afin d’assurer pleinement
le fonctionnement démocratique de ses institutions et de consolider
son processus de modernisation et de réformes.
75. A cet égard, le rapporteur prend note de l’initiative du gouvernement
d’élaborer une nouvelle Constitution et considère qu’elle ouvre
de nouvelles perspectives d’un vaste dialogue national impliquant
les différents acteurs de la société; il encourage le gouvernement
à finaliser ce processus en étroite coopération avec la Commission
de Venise.
76. Toutes les institutions de l’Etat devraient respecter leurs
compétences spécifiques et travailler de concert, en faisant preuve
d’un regain de vigueur, afin de poursuivre les réformes économiques
et politiques tant nécessaires qui permettront de faire de la Turquie
une démocratie moderne.
77. Le rapporteur est convaincu que la commission de suivi devrait
intensifier son dialogue postsuivi avec la Turquie, suivre de près
le développement du fonctionnement démocratique des institutions
de l’Etat, en particulier le processus de rédaction de la Constitution,
et, le cas échéant, envisager la possibilité de rouvrir la procédure
de suivi pour la Turquie.
***
Commission chargée du rapport: commission pour le respect
des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe
(commission de suivi).
Renvoi en commission: no 3464 du
23 juin 2008 et Résolution
1115 (1997).
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission
le 24 juin 2008.
Membres de la commission: M. Serhiy Holovaty (Président),
M. György Frunda (1er Vice-Président), M. Konstantin
Kosachev (2e Vice-Président), M. Leonid Slutsky (3e
VicePrésident), M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts,
M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić, Mme Meritxell
Batet Lamaña, M. Ryszard Bender, M. József
Berényi, M. Aleksandër Biberaj,
M. Luc Van den Brande, M. Jean-Guy
Branger, M. Mevlüt Çavuşoğlu,
M. Sergej Chelemendik, Mme Lise Christoffersen, M. Boriss Cilevičs,
M. Georges Colombier, M. Telmo
Correia, M. Valeriu Cosarciuc,
Mme Herta Däubler-Gmelin, M. Joseph Debono
Grech, M. Juris Dobelis,
Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi,
Mme Mirjana Ferić-Vac, M. Jean-Charles
Gardetto, M. József Gedei,
M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Andres Herkel, M. Raffi Hovannisian, M. Kastriot Islami, M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Hakki Keskin, M. Ali
Rashid Khalil, M. Andros Kyprianou,
M. Jaakko Laakso, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Göran Lindblad,
M. René van der Linden, M. Eduard Lintner, M. Younal Loutfi, M. Pietro Marcenaro, M. Mikhail Margelov,
M. Bernard Marquet, M. Dick
Marty, M. Miloš Melčák, Mme Assunta
Meloni, Mme Nursuna Memecan, M. João Bosco Mota Amaral,
M. Theodoros Pangalos, Mme Maria Postoico,
M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, M. Andrea Rigoni, M. Dario Rivolta, M. Armen Rustamyan, M. Indrek Saar, M. Oliver
Sambevski, M. Kimmo Sasi, M. Andreas Schieder, M. Samad Seyidov, Mme Aldona
Staponkienė, M. Christoph Strässer, Mme Elene
Tevdoradze, M. Mihai Tudose, M. Egidijus Vareikis,
M. Miltiadis Varvitsiotis, M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Piotr Wach, M. Robert Walter, M. David Wilshire, Mme Renate
Wohlwend, Mme Karin S. Woldseth, M. Boris Zala, M. Andrej
Zernovski.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués
en gras.
Voir 26e séance, 26 juin 2008 (adoption
du projet de résolution amendé); et Résolution 1622.