1. Introduction
1. Chypre est l’un des derniers
pays d’Europe, et le seul de l’Union européenne, à rester divisé.
Depuis le début du conflit entre les Chypriotes grecs et turcs au
début des années 1960, l’Assemblée, tout comme d’autres acteurs
internationaux, s’est activement employée à créer les conditions
favorables à la recherche d’une solution et a adopté plusieurs rapports
sur différents aspects du problème.
2. Par conséquent, plutôt que de m’efforcer à réécrire l’histoire
du conflit de Chypre, je m’attacherai aux dernières évolutions et
aux perspectives pour une solution future. Pour ce qui est du passé,
je renvoie aux résolutions et aux recommandations précédemment adoptées
par l’Assemblée, ainsi qu’à mes précédents mémorandums sur la question
(juin 2007 et avril 2008).
3. Le présent rapport fait suite à ma visite d’information à
Chypre, qui a eu lieu du 15 au 19 juin 2008. Je remercie sincèrement
la délégation de Chypre auprès de l’Assemblée et les représentants
de la communauté chypriote turque pour leur aide et leur coopération
avant et pendant la visite.
4. Il convient de souligner d’emblée que la situation actuelle,
et en particulier l’atmosphère qui règne à Chypre aujourd’hui, est
radicalement différente de celle qui prévalait après l’échec, en
avril 2004, de la précédente grande tentative internationale en
vue de régler le problème, connue sous le nom de «plan Annan». Le
dialogue entre les deux communautés, qui était au point mort depuis
2004, a maintenant repris et s’est intensifié. En dépit de différences
substantielles et profondément ancrées entre les deux parties sur
un certain nombre de paramètres clés du règlement du différend,
il semble y avoir une volonté politique de part et d’autre pour
aboutir à la réunification de l’île divisée. Le processus apporte
de l’espoir aux Chypriotes, mais reste fragile et doit être encouragé
et soutenu par la communauté internationale.
5. Le présent rapport a pour objectifs:
- de réaffirmer des principes fondamentaux que doit respecter
l’Assemblée dans le cadre de son rôle dans le règlement de la question
de Chypre;
- de faire le point des derniers développements survenus
à Chypre et autour de la question chypriote;
- d’examiner ce que l’Assemblée et le Conseil de l’Europe
dans son ensemble peuvent offrir pour faciliter une solution juste
et viable pour Chypre.
2. Principes fondamentaux relatifs au
rôle de l’Assemblée
6. Je pense que nos efforts devraient
se fonder sur certains principes essentiels:
- responsabilité du processus: si la communauté internationale
peut faciliter le règlement de la situation, la responsabilité première
pour trouver des solutions mutuellement acceptables sur les questions essentielles
(comme le territoire, les questions de propriété, les garanties
de sécurité, etc.) incombe aux Chypriotes eux-mêmes. L’Assemblée
devrait s’efforcer de ne pas s’impliquer dans ces questions;
- approche positive: l’Assemblée doit rester équitable et
chercher à jouer un rôle positif pour rapprocher les parties;
- regarder vers l’avenir, et non vers le passé: au lieu
de fouiller dans l’histoire en quête de justice, l’Assemblée devrait
se tourner vers l’avenir et concentrer ses efforts sur la recherche
d’un terrain d’entente qui permette de trouver une solution durable,
et sur des mesures concrètes qui soient acceptables par tous et
créent les conditions propices à cela;
- cohérence de la participation internationale: les Nations
Unies sont et doivent rester le principal cadre de tous les efforts
internationaux pour rechercher une solution; l’Assemblée, ainsi
que les autres acteurs internationaux (comme l’Union européenne),
devrait contribuer à l’action de l’ONU et la soutenir, sans toutefois
chercher à la remplacer.
3. Dernières
évolutions à Chypre (mars-août 2008)
7. Depuis l’échec du plan Annan
(avril 2004), le processus de négociations est resté dans l’impasse jusqu’en
février 2008.
8. Le nouveau Président de la République de Chypre, M. Christofias,
élu en février 2008, a déclaré que le règlement du problème chypriote
était sa priorité et a demandé à reprendre immédiatement les contacts
avec la communauté chypriote turque. M. Talat, dirigeant chypriote
turc, a félicité M. Christofias pour son élection et fait part de
sa volonté de prendre un nouveau départ dans le dialogue entre les
communautés.
9. Les deux dirigeants ont tenu leur première réunion le 21 mars
2008 sous les auspices des Nations Unies et sont convenus en principe
de démarrer de véritables négociations dans un délai de trois mois,
sous réserve que les conditions de l’engagement de nouveaux pourparlers
soient réunies
. Ils sont aussi convenus d’appliquer
une décision antérieure en vue de mettre en place des groupes de
travail pour traiter les questions essentielles du futur règlement,
et des comités techniques pour résoudre les problèmes pratiques
résultant de la division de l’île. En outre, M. Christofias et M. Talat
ont décidé de se réunir quand ils l’estimeraient nécessaire avant
le début de leurs négociations formelles.
10. Six groupes de travail et sept comités techniques ont été
créés le 26 mars et ont commencé à travailler le 22 avril, avec
l’aide de l’ONU. Ces organes sont les suivants:
- groupes de travail:
- gouvernance et partage du pouvoir;
- questions relatives à l’Union européenne;
- sécurité et garanties;
- territoire;
- propriété;
- questions économiques;
- comités techniques:
- criminalité/problèmes criminels;
- questions économiques et commerciales;
- patrimoine culturel;
- gestion des crises;
- questions humanitaires;
- santé;
- environnement.
11. Un autre résultat symbolique de la première réunion de MM. Christofias
et Talat a été l’accord pour ouvrir un point de passage pour les
piétons rue Ledra, dans le principal quartier commercial de Nicosie.
Le passage rue Ledra a effectivement été ouvert le 3 avril 2008.
12. Le 23 mai, MM. Christofias et Talat ont tenu leur deuxième
réunion officielle et fait une déclaration conjointe
présentant
une vision commune pour l’avenir de Chypre réunifiée: une fédération
bicommunautaire et bizonale fondée sur l’égalité politique, dotée
d’un gouvernement fédéral et d’une personnalité internationale unique,
composée d’un Etat constitutif chypriote turc et d’un Etat constitutif
chypriote grec de même statut.
13. Les deux parties ont fait part de leur conception différente
du calendrier du processus: tandis que les Chypriotes turcs insistent
sur l’ouverture de pourparlers officiels dès que possible, les Chypriotes
grecs soulignent la nécessité de préparer le terrain dans des groupes
de travail. Les deux parties souhaitent minimiser le risque d’échec.
14. Les deux dirigeants se sont à nouveau rencontrés le 1er juillet
2008 et ont examiné les progrès accomplis au sein des groupes de
travail et des comités techniques. Ils ont également abordé les
questions de la souveraineté unique de Chypre et de la nationalité
unique des Chypriotes, pour lesquelles ils ont donné leur accord
de principe. Les modalités d’applications précises seront examinées
lors des négociations proprement dites
.
15. Les résultats obtenus jusqu’à présent dans les groupes de
travail et les comités techniques sont inégaux. Dans les groupes
de travail, les principaux points d’achoppement sont les questions
liées à la sécurité (notamment le rôle des puissances garantes),
au territoire et à la propriété, mais quelques progrès ont été enregistrés
sur d’autres sujets. Les différences profondément ancrées entre
les deux parties sur ces éléments clés du futur règlement nécessiteront
inévitablement des solutions de compromis au niveau politique.
16. Les travaux des comités techniques ont rencontré plus de succès.
Le 20 juin, des représentants des deux dirigeants ont annoncé une
série de mesures visant à faciliter la vie quotidienne des Chypriotes
sur l’île, incluant des programmes éducatifs en relation avec le
patrimoine culturel; des initiatives sur la sécurité routière; des
mesures pour faciliter la circulation des ambulances entre les deux
côtés de l’île; la création d’une Commission mixte chypriote de
la santé; la coopération pour une évaluation à l’échelle de l’île
des principaux flux de déchets, et un accord sur l’éducation à l’environnement.
17. A l’occasion d’une nouvelle rencontre le 25 juillet dernier,
MM. Christofias et Talat ont annoncé l’engagement de négociations
à part entière sous les auspices des Nations Unies le 3 septembre
2008, en vue de parvenir à un règlement mutuellement acceptable
de la question chypriote, dans le respect des droits et des intérêts
fondamentaux et légitimes des Chypriotes grecs et des Chypriotes
turcs
. L’accord né de ces pourparlers sera soumis
simultanément à deux référendums distincts. Les deux dirigeants
ont également mesuré l’avancée des travaux menés par les groupes
de travail et les comités techniques et ont approuvé un ensemble
de 16 mesures supplémentaires dans les domaines de l’environnement,
du patrimoine culturel, de la gestion de crise, ainsi que de la
criminalité et des questions pénales.
18. Il convient de souligner que l’on peut ressentir des deux
côtés de la ligne de partage une véritable volonté d’aboutir à la
réunification de Chypre de la part des représentants d’ONG et de
la société civile. En outre, de nombreuses ONG travaillent à un
niveau bicommunautaire; des contacts sont aussi maintenus entre les
partis politiques des deux communautés.
19. En conclusion, les dernières évolutions à Chypre inspirent
un optimisme raisonnable. Pour la première fois ces dernières années,
et malgré des désaccords fondamentaux entre les deux parties sur
un certain nombre de questions clés, les conditions semblent être
meilleures que jamais pour accomplir des progrès substantiels dans
le processus de règlement du problème chypriote.
20. L’élan actuel pour le processus de paix se fonde sur une forte
volonté politique et un engagement personnel de la part des deux
dirigeants, le Président Christofias et M. Talat. Il n’en reste
pas moins fragile et les dirigeants doivent faire face au difficile
héritage de la méfiance et à l’opposition interne dans leur propre camp.
Parfois, des déclarations faites et des mesures prises par les parties,
ainsi que diverses interprétations des accords passés entre les
deux dirigeants, peuvent raviver les soupçons mutuels quant aux
véritables intentions de la partie adverse et compromettre ainsi
la confiance.
21. De plus, alors que le Président Christofias semble jouir d’un
soutien incomparable au sein de la communauté chypriote grecque,
M. Talat pourrait bientôt devoir affronter une chute considérable
de sa popularité si des résultats significatifs ne sont pas obtenus
pour regagner la confiance de la communauté chypriote turque dans
un processus qui n’a jusqu’à ce jour pas réussi à beaucoup améliorer
sa situation.
22. Néanmoins, les deux dirigeants comprennent bien l’importance
de ne pas interrompre le processus en cours et restent engagés en
faveur de la réunification de l’île. Il convient de saluer et de
soutenir pleinement leur volonté et leur courage politiques.
23. Les Nations Unies ont rapidement réagi au nouveau climat qui
règne à Chypre en renforçant leur engagement pour accompagner le
processus entre les deux parties. M. Lynn Pascoe, sous-secrétaire
général aux affaires politiques de l’ONU, s’est rendu à Chypre à
deux reprises (fin mars et en juin) afin de fixer les modalités
pratiques du soutien de l’ONU.
24. Pascoe s’est également rendu en Grèce et en Turquie en avril.
Les deux parties ont confirmé leur engagement en vue de trouver
un règlement global à la question chypriote sous les auspices du
Secrétaire général de l’ONU et leur volonté d’apporter leur soutien
et de s’engager pleinement et en toute bonne foi pour atteindre
ce but.
25. Le 17 avril 2008, le président du Conseil de sécurité de l’ONU
a fait une déclaration saluant l’accord du 21 mars et exprimant
l’espoir que les préparatifs «susciteront la confiance, une nouvelle
dynamique et un intérêt commun dans la recherche d’une solution
juste et durable».
26. Le 13 juin 2008, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté
la
Résolution 1818 (2008) sur la situation à Chypre, dans laquelle il se félicitait
des progrès accomplis entre les deux parties et les exhortait «à
donner suite à l’élan acquis et à poursuivre leurs efforts pour
définir dans la plus grande mesure possible les domaines de convergence
et de désaccord, tout en préparant, le cas échéant, des options
au sujet des éléments les plus sensibles, et à veiller à ce que
des négociations véritables puissent commencer rapidement et sans
heurt, conformément à l’accord du 21 mars et à la Déclaration conjointe
du 23 mai».
27. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a annoncé, dans
son rapport au Conseil de sécurité en date du 2 juin 2008, son intention
de nommer un conseiller spécial afin d’accompagner les parties dans
leurs négociations formelles.
28. Le 14 juillet 2008, le Secrétaire général des Nations Unies,
M. Ban Ki-moon, a nommé M. Alexander Downer, ancien ministre australien
des Affaires étrangères, en tant que son conseiller spécial pour
Chypre. Lors de leur réunion du 25 juillet, MM. Christofias et Talat
se sont félicités de la nomination de M. Downer et ont indiqué qu’ils
se réjouissaient de travailler avec lui et avec l’équipe des Nations
Unies au cours de la période à venir. Le 27 juillet, M. Downer s’est
rendu à Nicosie et a rencontré séparément MM. Christofias et Talat.
4. Quel
rôle pour l’Assemblée et le Conseil de l’Europe?
29. Comme je l’ai indiqué précédemment,
il ne me paraît pas judicieux que l’Assemblée participe à l’examen de
questions qui sont au cœur même du règlement et dont s’occupent
actuellement les groupes de travail. Ces questions exigent des décisions
politiques fortes et doivent, par conséquent, être négociées entre
les deux parties concernées.
30. En revanche, à un stade ultérieur du processus, lorsque les
Nations Unies déploieront leur mission de bons offices, il serait
souhaitable, et même nécessaire, que le Conseil de l’Europe offre
ses services d’expert pour soutenir le processus dans ses domaines
d’excellence (sur les dispositions constitutionnelles, par exemple).
En outre, tout futur règlement doit satisfaire aux normes du Conseil
de l’Europe en matière de droits de l’homme (y inclus la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme), de démocratie et de primauté
du droit.
31. Comme dans presque tous les conflits, la défiance mutuelle
entre les parties concernées est l’un des principaux obstacles à
un accord, pour lequel rétablir la confiance est un élément essentiel.
Cela est vrai aussi dans le cas de Chypre.
32. Une enquête menée par les Nations Unies en 2007 a montré que
87 % des Chypriotes grecs et 90 % des Chypriotes turcs n’ont aucun
contact avec les membres de l’autre communauté, que ce soit à titre professionnel
ou privé. Selon la même enquête, 83 % des Chypriotes grecs et 65
% des Chypriotes turcs reconnaissent que les contacts intercommunautaires
sont essentiels pour ouvrir demain la voie à la réunification de
Chypre.
33. L’absence de contacts interconfessionnels représente une autre
source de préoccupation. Comme le montre une étude récente réalisée
par l’Université européenne de Chypre, deux Chypriotes grecs sur
trois n’ont jamais noué de relations amicales étroites avec une
personne d’une autre religion.
34. C’est, à mon sens, dans ce domaine particulier que l’Assemblée
et le Conseil de l’Europe, dans son ensemble, devraient axer leurs
efforts: aider à rétablir les contacts, multiplier les possibilités
de dialogue et établir la confiance entre les deux communautés.
35. La participation de représentants des forces politiques chypriotes
turques aux travaux de l’Assemblée, fondée sur la
Résolution 1376 (2004), contribue déjà à cet objectif. Elle offre un cadre
permettant de développer le dialogue entre les responsables politiques
des deux communautés de Chypre. Un tel dialogue donne aux deux parties
la possibilité d’exprimer leurs préoccupations mutuelles et de dissiper
les malentendus, créant ainsi de meilleures conditions pour engager
un débat de fond sur les aspects concrets du règlement.
36. Il faudrait encourager les deux parties à exploiter pleinement
les possibilités offertes par leur participation aux travaux de
l’Assemblée, en ne les limitant pas à l’examen des aspects politiques
du problème chypriote mais en prenant en compte l’ensemble des questions
liées à la vie quotidienne de leurs communautés respectives.
37. La récente visite à Chypre du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a été l’occasion de traiter la question des
droits de l’homme sur l’ensemble de l’île, par-delà la ligne de
démarcation. Les ONG de la communauté chypriote turque se plaignent
du peu d’attention que les institutions européennes prêtent à leurs
travaux, se référant notamment à la récente visite à Chypre du CPT
(«les droits de l’homme à Chypre s’arrêtent à la ligne verte»).
Il faut souligner, dans ce contexte, que les Chypriotes turcs, qui
sont pourtant ressortissants de Chypre, un Etat membre du Conseil
de l’Europe, continuent de supporter les conséquences de nombreuses
années d’isolement international. Il est de plus en plus à craindre
que cette situation affecte leur choix concernant l’Europe.
38. Il faut apporter un soutien politique sans réserve aux projets
en cours du Conseil de l’Europe visant à établir la confiance à
Chypre. Deux de ces projets méritent tout particulièrement d’être
signalés.
39. Le Forum européen «Chypre» est un nouveau projet financé à
la fois par la Commission européenne (dans le cadre de l’instrument
de soutien financier pour la communauté chypriote turque) et le
Conseil de l’Europe. Son objectif est de faciliter un dialogue constant
entre une vingtaine de jeunes dirigeants (responsables politiques,
dirigeants d’ONG, journalistes, etc.) âgés de 28 à 40 ans et issus
des communautés chypriotes grecque et turque; ce dialogue portera
essentiellement sur les problèmes majeurs concernant l’ensemble
de l’île et non pas seulement sur la question chypriote. Dans les
années à venir, l’objectif principal sera de renforcer, parmi les
jeunes générations de dirigeants, le sentiment d’appartenir à une
communauté panchypriote.
40. La coopération bilatérale entre le Conseil de l’Europe et
Chypre dans le domaine de l’enseignement de l’histoire a commencé
en 2003. Au cours de la période 2004-2006, elle a rassemblé des
professeurs d’histoire de toutes les communautés chypriotes et fourni
une base pour un travail commun sur l’application de nouvelles méthodes
d’enseignement de l’histoire telles que l’adoption d’une vision
plurielle, conformément à la Recommandaion Rec(2001)15 relative
à l’enseignement de l’histoire de l’Europe au XXIe siècle. Elle
vise essentiellement à renforcer les tendances à la réconciliation
et, par conséquent, la stabilité à Chypre. Se fondant sur cette
expérience, le Conseil de l’Europe a commencé, en 2007, à élaborer
un programme commun avec la Commission européenne en vue d’apporter
un «appui à l’émergence de nouvelles tendances dans l’enseignement
de l’histoire en vue de la réconciliation et de la stabilité à Chypre»,
qui devrait être financé, pour l’essentiel, par l’ensemble de mesures
de réconciliation de l’Union européenne.
41. En outre, un projet commun du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne sur la protection du patrimoine culturel à Chypre est
à l’étude. La question est d’une importance majeure pour promouvoir
le dialogue interculturel et interconfessionnel entre les deux communautés.
42. De surcroît, dans un certain nombre de domaines comme les
droits de l’homme, la lutte contre l’intolérance, l’éducation, la
protection des minorités, le maintien de l’ordre, la lutte contre
la traite des êtres humains ainsi que la promotion des contacts
entre les jeunes et de l’égalité entre les sexes, le Conseil de l’Europe
pourrait apporter son expérience et contribuer à régler les problèmes
concrets des deux communautés chypriotes. Parmi les domaines où
la contribution du Conseil de l’Europe s’avérerait sans doute utile
à la coopération entre les deux parties, on pourrait prendre en
considération les suivants.
43. Les questions humanitaires restent un sujet très sensible
de part et d’autre. Le Comité des personnes disparues a récemment
obtenu des avancées concernant l’exhumation, l’identification et
la restitution aux familles des dépouilles des personnes disparues.
Ces travaux doivent être poursuivis et soutenus. En même temps,
les ONG qui représentent les familles des personnes disparues estiment
que le mandat de cette commission devrait être étendu à l’enquête
sur les circonstances du décès de ces personnes. Selon ces ONG, un
nombre important de personnes disparues aurait été transféré en
Turquie. Quelle que soit la véracité de ces suppositions, la pleine
coopération des autorités turques, et notamment de l’armée, est
essentielle pour faire la lumière sur le sort des personnes disparues.
44. L’éducation est un droit essentiel. Les enfants et les jeunes
de la partie nord de Chypre ne devraient pas être victimes de la
partition du pays. Alors que l’intégration des universités chypriotes
turques dans le processus de Bologne semble impossible dans le cadre
actuel (coopération intergouvernementale), on pourrait mettre en
place d’autres formes de coopération et d’échange d’étudiants et
d’enseignants, tout en évitant les questions politiques litigieuses.
45. Les contacts entre les jeunes. Les nouvelles générations de
Chypriotes des deux communautés n’ont jamais vécu dans une île unifiée;
habituées à vivre dans une île divisée, elles ne s’intéressent pas
beaucoup au règlement de la question chypriote. Il faut développer
des formes attrayantes de manifestations bicommunautaires (sports,
culture, fêtes) favorisant les rencontres et l’établissement de
relations durables entre les jeunes.
46. Soutien à des projets de la société civile bicommunautaires.
Plusieurs ONG mettent en œuvre des activités associant des représentants
des deux communautés. Il faut encourager et soutenir de telles initiatives grâce
à l’établissement de contacts avec d’autres organisations de la
société civile au niveau européen.
47. Développement des contacts et coopération au niveau local.
Une telle coopération a toujours existé entre les deux parties de
Nicosie, la capitale divisée, même lorsque les contacts politiques
entre les deux communautés se réduisaient à leur plus simple expression.
A présent, les deux parties coopèrent et mettent en œuvre des projets
communs dans le cadre du plan d’ensemble «Nicosie» qui garantit
un développement coordonné des deux parties de la ville (dont un
nouveau système d’évacuation des eaux usées et la rénovation de
bâtiments dans la zone tampon à l’usage des deux communautés). La
mise en place d’une forme de partenariat entre des villes et villages
chypriotes grecs et turcs (s’accompagnant d’un parrainage possible
par d’autres villes européennes) pourrait être un moyen d’établir
des relations de travail entre les communautés au niveau local.
48. Maintien de l’ordre. Le manque de contact, sans parler de
coopération, entre les forces de maintien de l’ordre des deux parties
crée des situations où les auteurs d’infraction dans l’une des parties
trouvent refuge dans l’autre partie. Pour leur part, les criminels
organisés des deux parties de l’île profitent de cette situation pour
organiser toutes sortes de trafic (comme le trafic de drogue et
la traite des êtres humains). Il faut mettre en place un dispositif
spécial (éventuellement sous l’égide d’un organisme international)
pour rendre cette coopération possible, indépendamment de la question
relative à la reconnaissance du statut des parties coopérantes.
49. Migrations clandestines. La coopération entre les deux parties
est nécessaire pour contrôler les migrations et empêcher les migrants
clandestins d’entrer sur le territoire de l’Union européenne en
passant par la ligne verte.
50. Gestion de l’eau. Les deux parties de l’île sont confrontées
au problème commun que pose la pénurie croissante des ressources
en eau. Toutefois, pour le moment, elles cherchent des solutions
séparément. Une approche commune de ce problème serait plus efficace
et ouvrirait la voie à une coopération plus étroite dans d’autres
domaines d’intérêt commun.
5. Conclusions
51. La situation politique a changé
à Chypre: les dirigeants des deux communautés chypriotes, le président Christofias
et M. Talat, ont fait preuve d’une volonté résolue de parvenir à
un règlement. Il s’agit là de la situation la plus favorable qui
se soit présentée depuis des années pour mettre un terme à la division
de l’île. Il importe de ne pas laisser passer cette opportunité.
52. Le processus politique en cours à Chypre a déjà produit quelques
effets concrets encourageants, dont l’ensemble des Chypriotes tirent
profit. Avec l’ouverture de négociations à part entière entre les
deux communautés sous les auspices du Secrétaire général des Nations
Unies, le processus entre désormais dans une nouvelle phase, au
cours de laquelle il conviendra de parvenir à de difficiles compromis
sur les aspects essentiels de ce règlement.
53. Afin d’optimiser les chances de succès, les deux parties doivent
réaffirmer leur volonté de trouver un compromis, en adoptant des
mesures supplémentaires, propres à instaurer un climat de confiance.
Il convient d’encourager les forces politiques et la société civile
des deux parties à soutenir pleinement ce processus et à s’abstenir
de tout acte susceptible de le compromettre.
54. Tous les acteurs extérieurs concernés, y compris les trois
Etats garants (Grèce, Turquie et Royaume-Uni), ont le devoir de
redoubler d’efforts pour appuyer les négociations et établir un
climat de confiance entre les deux communautés chypriotes.
55. Il importe que l’expertise et l’expérience que le Conseil
de l’Europe possède dans ses domaines d’activités essentiels soient
pleinement mises à profit, d’une part, au cours du processus de
négociation et, d’autre part, afin de favoriser une coopération
concrète entre les deux communautés, ce qui contribuera à créer une
atmosphère de confiance mutuelle.