1. Introduction
1. Depuis des années, l’Assemblée parlementaire déploie
des efforts considérables pour que le débat sur les préoccupations
ayant trait aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays (PDI) continue de figurer parmi ses priorités, notamment grâce
à sa commission sur les migrations, les réfugiés et la population. Elle
a adopté différentes recommandations et résolutions sur des questions
générales telles que les déplacements internes en Europe
ainsi que sur des questions spécifiques
telles que la situation humanitaire des personnes déplacées en Turquie
, dans la Fédération de Russie et
d’autres pays de la CEI
, de l’Europe du Sud-Est
ou du Sud du Caucase
. A la suite de la guerre qui a opposé
la Russie à la Géorgie en août 2008, l’Assemblée a adopté récemment
deux rapports sur «Les conséquences humanitaires de la guerre entre
la Géorgie et la Russie»
, qui évoquent les craintes des «nouvelles»
mais aussi des «anciennes» personnes déplacées. La Commission des
migrations, des réfugiés et de la population prépare actuellement
un rapport sur «La résolution des problèmes de propriété des réfugiés
et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays».
2. Le présent rapport s’appuie sur les conclusions du séminaire
«Les situations de déplacement de longue durée en Europe» organisé
le 25 novembre 2008 à Genève par la Commission des migrations, des
réfugiés et de la population en coopération avec M. Walter Kälin,
Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour
les droits de l’homme des personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays. La plupart des informations qui y figurent s’inspirent
des présentations et des travaux réalisés sur le sujet par diverses organisations
internationales travaillant dans le domaine humanitaire et dans
celui du développement qui ont pris part à ce séminaire, tels que
le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH),
le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM/ESD), le Bureau de la coordination
des affaires humanitaires (OCHA/DPSS), le Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD) et l’Observatoire des situations
de déplacement interne (OSDI). Le rapporteur est reconnaissant pour
toutes ces précieuses contributions.
3. Le rapporteur tient à remercier tout particulièrement le Représentant
du Secrétaire Général des Nations Unies sur les droits de l’homme
des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, l’Observatoire
des situations de déplacement interne et le HCR pour les nombreuses
observations et propositions fort utiles qu’ils ont formulées aux
étapes ultérieures de la rédaction du présent rapport.
4. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, le rapporteur
a effectué, du 4 au 8 mai 2009, une mission d’enquête en Arménie
et Azerbaïdjan en vue de se familiariser avec les politiques suivies
par les gouvernements de ces deux pays en ce qui concerne la protection
des droits des PDI et des réfugiés ainsi qu’en ce qui concerne la
recherche de solutions durables. A Erevan, il a rencontré le Président
Sargsyan, le Président de l’Assemblée nationale, le chef de l’Agence
des migrations du ministère de l’Administration territoriale, le
Président de la Commission permanente de l’Assemblée nationale sur
la protection des droits de l’homme et des affaires publiques, le
conseiller auprès du défenseur des droits de l’homme, les chefs
des missions humanitaires internationales et des représentants de
la société civile. A Bakou, il a rencontré le Vice-Premier ministre/Président
de la commission d’Etat sur le travail avec les réfugiés et les
personnes déplacées, le Président du Milli Meijlis de l’Azerbaïdjan,
le chef du Service national des migrations, le médiateur, les chefs des
missions humanitaires internationales et des représentants de la
société civile. Dans les deux capitales, le rapporteur s’est également
rendu dans des centres et installations municipaux pour les personnes déplacées
et les réfugiés. Il tient à remercier les délégations parlementaires
de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ainsi que les bureaux du Conseil
de l’Europe à Erevan et à Bakou pour l’assistance efficace qu’ils
ont apportée au programme. Pour préserver l’équilibre du présent
rapport, qui couvre la situation des personnes déplacées dans l’Europe
tout entière, le rapporteur a choisi d’inclure les conclusions de
cette visite dans une annexe.
5. Le présent rapport a pour objectif de soulever les principales
préoccupations relatives aux personnes déplacées de longue date
en Europe dans les domaines politique et des droits de l’homme ainsi
que dans celui des développements futurs. Le rapporteur demeure
convaincu que tant que des solutions durables n’auront pas été trouvées
pour les personnes déplacées et pour les conflits qui se trouvent
à l’origine de leur déplacement, la menace de réactivation des conflits
non résolus et de la violence ethnique continuera de planer sur
l’Europe. Il est également du devoir de l’Europe de garantir que
les personnes déplacées et les réfugiés qu’ont fait les nombreux
conflits non résolus en Europe ne deviendront pas «les populations
oubliées de l’Europe».
2. Les grands
enjeux actuels du déplacement de personnes à l’intérieur des frontières
de l’Europe
6. Entre 2,5 et 2,8 millions d’Européens ont été déplacés
dans 11 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, à savoir: l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, Chypre, la Géorgie,
la Moldova, la Fédération de Russie, l’«Ex-République yougoslave
de Macédoine», la Serbie et la Turquie
.
Forcées de quitter leur foyer il y a environ 15 à 35 ans en raison
de conflits armés et de violations des droits de l’homme, la grande
majorité de ces personnes vivent une situation de déplacement prolongé.
7. Malgré les garanties de la Convention européenne des droits
de l’homme, les lignes directrices élaborées par le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe et les efforts que déploie l’Assemblée depuis longtemps
pour que ses Etats membres adoptent une législation nationale conforme
aux Principes directeurs des Nations Unies sur le déplacement de
personnes à l’intérieur de leur propre pays, le nombre de déplacés en
Europe n’a pas baissé de manière significative ces dernières décennies
.
8. On observe, en Europe, deux problèmes particuliers concernant
les situations de déplacement de longue durée à l’intérieur d’un
pays. Le premier est le blocage du processus engagé en vue la recherche
de solutions durables et le deuxième est la marginalisation des
personnes déplacées faute de recevoir un minimum d’attention et
de bénéficier d’une protection de leurs droits fondamentaux, en
particulier économiques, sociaux et culturels.
9. Les gouvernements de l’Azerbaïdjan, de Chypre et de la Géorgie
n’exercent toujours pas de contrôle effectif sur l’intégralité de
leur territoire, faute d’y avoir résolu les conflits internes internationalisés.
Les «systèmes juridiques parallèles» qui ont vu le jour en raison
de cette situation ainsi que le refus de certaines autorités nationales/pouvoirs
locaux ou de certaines parties de la communauté internationale d’engager
de véritables négociations de paix de nature à fournir des solutions
durables, l’insécurité qui perdure, l’absence de mécanismes organisés
pour la réconciliation, tout cela empêche les PDI d’avoir pleinement
accès à leurs droits au cours de leur déplacement et entrave leur
retour.
10. Dans certains cas, les personnes déplacées et/ou les options
envisagées pour des solutions durables deviennent des pions sur
l’échiquier politique. Pour
étayer la revendication de territoires qui échappent actuellement
à leur contrôle, certains gouvernements ont incité au retour des
personnes déplacées au détriment de l’intégration locale. Dans d’autres
cas, la réalité du déplacement à l’intérieur d’un pays est tout simplement
niée, pour donner l’impression que la situation est réglée et pour
détourner l’attention internationale. Parmi les conséquences immédiates
de cette situation, citons les modes d’hébergement temporaire, la
ségrégation scolaire et la marginalisation économique et sociale.
11. Lorsque le retour est possible, les grandes difficultés qui
se posent pour qu’il soit durable sont l’absence d’emplois, le caractère
inadapté des logements et le manque d’aide. Les difficultés auxquelles
se heurtent les personnes concernées pour obtenir des papiers entravent
également l’exercice des droits économiques et sociaux, l’intégration
locale et l’installation des personnes déplacées. Il arrive parfois
que les administrations centrales n’exercent pas de contrôle suffisant
sur les processus de réintégration au niveau local pour garantir leur
bon déroulement. Qui plus est, le suivi, les informations sur la
durabilité du retour et l’éventualité d’autres possibilités viables
sont insuffisants.
12. Il est fréquent que les personnes déplacées soient coupées
de leurs réseaux de soutien habituels ainsi que des mécanismes devant
leur permettre de surmonter les difficultés, ce qui ne fait qu’accroître
davantage leur vulnérabilité. Elles doivent faire face à des changements
et des pertes spectaculaires et sont en proie à une profonde incertitude
et à des craintes pour leur avenir et celui de leurs proches. Elles
vivent sous la menace permanente et souffrent des conséquences des
conflits armés, même si ceux-ci sont terminés depuis des années.
A bien des égards, les PDI sont encore plus vulnérables et moins
protégées que les demandeurs d’asile qui franchissent une frontière
internationale. Et elles ne bénéficient pas de la même protection internationale
que les réfugiés.
13. Autre caractéristique du déplacement interne de longue durée
en Europe: il n’a pas été rendu justice pour les violations subies
par nombre de personnes déplacées. En effet, la plupart des auteurs
de violations des droits de l’homme et de crimes perpétrés lors
des conflits armés sont toujours en liberté, un nombre disproportionné
de décisions de justice ne joue pas en faveur des personnes déplacées
de certaines origines ethniques, ou leur exécution est au point
mort, et quantité de personnes déplacées sont toujours en quête d’informations
sur le sort de leurs proches disparus et sur l’endroit où ils se
trouvent.
14. La réintégration effective des personnes déplacées est souvent
une priorité moindre pour les pouvoirs locaux et nationaux. La lassitude
des donateurs et des médias à l’égard du déplacement de longue durée
à l’intérieur de pays d’Europe ajoute au manque d’intérêt pour les
personnes qui sont aujourd’hui encore déplacées. Cela vaut également
pour les institutions de la communauté internationale s’occupant
des questions relatives aux PDI, qui manquent souvent de financements
adéquats et pâtissent des divergences entre les structures opérationnelles
des partenaires du développement et de l’humanitaire ou entre les mandats
et priorités des différents organismes.
15. D’une manière générale on peut dire que l’état actuel de la
situation du déplacement interne en Europe laisse peu de place à
l’optimisme ou à la satisfaction. Il exige, de la part des acteurs
aux niveaux local, régional et international, une vigilance constante
et une action orientée vers les résultats.
3. Grandes préoccupations
des PDI en matière de droits de l’homme
16. Le
logement est
généralement la préoccupation majeure à la fois au cours du déplacement
de longue durée et après le retour. Des difficultés particulières
proviennent du fait que le déplacement marque souvent, pour les
PDI, le passage d’un environnement rural à un environnement urbain,
ce qui contribue à accroître la pression sur le marché du logement
et tend à affaiblir l’intérêt des PDI pour un retour vers des zones
rurales. Les conditions de logement des PDI en Europe restent précaires.
Environ 390 000 d’entre elles vivent actuellement dans des centres
collectifs, dans des abris de fortune ou dans des logements clandestins
sans sécurité d’occupation et souvent sans accès aux services essentiels
tels que l’eau, l’électricité ou la collecte des eaux usées. Dans
le nord du Caucase, environ 13 000 personnes déplacées vivent dans
des centres collectifs surpeuplés et insalubres. En Azerbaïdjan,
environ 39% des personnes déplacées au début des années 1990 sont
toujours logées dans des centres collectifs. Le fait d’avoir vécu
tant d’années dans l’insalubrité et dans des conditions sordides
renforce d’autant la marginalisation sociale des déplacés internes. La
fermeture des centres collectifs (en Croatie, en Serbie, Kosovo
et en Russie)
n’a pas nécessairement entraîné l’amélioration des solutions de
remplacement en matière de logements pour les personnes déplacées.
En Azerbaïdjan, le dernier camp de toile a été démonté fin 2007
et les PDI ont été relogées dans de nouvelles installations dotées
des infrastructures nécessaires. Toutefois, certaines nouvelles
installations en Azerbaïdjan ont été édifiées à quelques kilomètres
à peine de la ligne de confrontation militaire, ce qui soulève un
certain nombre de problèmes de sécurité. En raison de l’éloignement
de certains centres d’hébergement, un certain nombre de PDI ont
du mal à accéder au marché de l’emploi ainsi qu’à certains services
essentiels.
17. Si, d’une manière générale, les ressources se font souvent
rares durant la phase de transition qui suit le conflit, les personnes
déplacées en souffrent de façon disproportionnée puisque, étant
marginalisées, elles doivent se battre pour assurer leur subsistance.
Sur le plan professionnel, elles sont parfois désavantagées au cours
du déplacement ou durant l’intégration locale lorsqu’elles perdent
contact avec des réseaux sociaux qui auraient pu faciliter leurs
chances de trouver un emploi et
souffrent d’une stigmatisation sociale associée à leur statut de
déplacés et à leur origine ethnique. Dans le cadre du retour, leurs
moyens de subsistance peuvent être affectés par la limitation de
la liberté de circulation pour des raisons de sécurité qui empêche
les personnes de retour d’accéder à leurs terres et de les cultiver
ou de chercher un emploi. Des questions de propriété non résolues
ayant trait aux locaux professionnel et aux terres (y compris les
terres agricoles) limitent également les possibilités pour les PDI
d’améliorer leur niveau de vie à la fois sur leur lieu de résidence
actuel et sur les lieux de retour et compromet la durabilité de
l’intégration locale et celle du retour. En cas de retour dans des
régions où elles appartiennent à une minorité nationale, les PDI
risquent d’être victimes d’une discrimination directe.
18. L’accès à une éducation de
qualité et non discriminatoire est une préoccupation essentielle
au cours du déplacement mais aussi dans le contexte du retour. En
Azerbaïdjan et en Géorgie, par exemple, malgré les progrès accomplis
en vue d’intégrer les enfants des PDI dans le système scolaire normal,
un grand nombre d’entre eux fréquentent des écoles dites «pour PDI»,
dans lesquelles la majorité des élèves sont issus de familles de
personnes déplacées; de par leur localisation géographique au sein
ou à proximité des zones d’installation des PDI, ces écoles ne leur
offrent que des possibilités limitées de côtoyer des enfants non déplacés.
L’éducation non discriminatoire et impartiale est également une
composante essentielle de la réconciliation. En Bosnie-Herzégovine,
l’enseignement de programmes scolaires partisans entrave sérieusement
le retour et a été cause de retours partiels: les enfants sont toujours
en déplacement ou font le trajet chaque jour pour suivre des cours
dispensés dans une langue qui leur est familière. D’autre part,
la coexistence permanente «de deux écoles sous le même toit» a cimenté
la séparation des communautés dans les zones de retour. Même si
elle est encourageante, l’élaboration d’un programme scolaire commun
n’a pas mis un terme à la scolarisation séparée des enfants en raison
de leur origine ethnique, qui persiste dans certaines parties du
pays. Des questions de sécurité peuvent aussi limiter l’accès à
l’éducation, comme c’est le cas au Kosovo.
19. La
protection des biens laissés
derrière soi et, finalement
leur
restitution ou leur indemnisation,
sont souvent ignorées ou limitées
aux biens résidentiels, à l’exclusion des terrains et des locaux
à usage commercial; les personnes déplacées qui souhaitent reprendre
le cours de leur vie et leurs activités économiques voient donc
leurs efforts entravés, ce qui provoque chez elles un sentiment
d’injustice et risque d’être un facteur déclencheur de conflits
futurs. Des programmes de restitution ont été mis en place dans
plusieurs pays européens touchés par le déplacement interne (Bosnie-Herzégovine,
Serbie, Kosovo, Croatie, Géorgie) ainsi que des programmes d’indemnisation
des biens détruits (Turquie, Russie), dont les méthodes et résultats
sont inégaux. Par exemple, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie et au
Kosovo, la législation proposée concerne la restitution de biens
appartenant à une coopérative alors que, de son côté, la Croatie
a refusé ce type de restitution sans proposer d’indemnisation adéquate.
Les questions de la restitution du droit de location et autres droits
d’occupation ainsi que de l’octroi de compensations pour les pertes respectives
sont également, d’une manière générale, négligées, tout comme le
principe selon lequel les personnes déplacées doivent être autorisées
à reprendre possession des terres qu’elles occupaient en vertu d’une
utilisation incontestée, en gardant à l’esprit que les PDI ne doivent
pas faire l’objet de discriminations en raison de leur déplacement
.
20. L’application stricte des
conditions
pour ladélivrance de documents
juridiques et la non-reconnaissance de documents, associée
à l’incapacité de remplacer ou d’émettre de nouveaux documents, empêche
les personnes déplacées, dans certains pays, d’exercer un certain
nombre de droits en matière de santé, d’éducation, de propriété,
de travail – et ce bien souvent des années après leur déplacement
initial. Lorsque les pays n’exercent pas de contrôle effectif sur
l’ensemble de leur territoire, cette situation peut entraîner la
mise en place de systèmes juridiques parallèles où les autorités
d’une partie au conflit ne reconnaissent pas les documents officiels
délivrés par l’autre partie. Cette situation peut avoir de lourdes conséquences
sur l’application de la législation, des décisions judiciaires et,
en fin de compte, sur la vie des personnes déplacées (reconnaissance
d’années de travail pour les régimes de retraite, héritage de biens, diplômes,
permis de conduire, etc.). C’est le cas par exemple en Serbie et
au Kosovo, pour ce qui est de la non-reconnaissance de documents,
mais aussi en Géorgie où les lois sur la protection des biens dans
les lieux d’origine des personnes déplacées ont été adoptées par
le gouvernement géorgien mais n’ont pas été mises en œuvre en raison
de l’absence de coopération de la part des autorités d’Ossétie du
Sud et d’Abkhazie. De même, le gouvernement de Chypre ne reconnaît
pas la «Commission des biens immeubles» instituée par la République
turque du Nord de Chypre non reconnue internationalement
.
21. Ladiscrimination, le harcèlement et le refus
de la participation politique des personnes déplacées issues
de communautés minoritaires se produisent fréquemment au niveau
des pouvoirs locaux et des communautés locales; lorsqu’elle envoie
des signaux contrastés, l’administration centrale renforce ce malaise. Les
pouvoirs européens, nationaux, régionaux et locaux ne sont pas toujours
bien préparés à tenir compte et à venir à bout des tensions qui
accompagnent inévitablement le pluralisme social, c’est-à-dire la
coexistence de groupes dominants et non dominants.
22. Il arrive fréquemment queles groupes ethniques minoritaires qui
ne sont pas liés à une partie impliquée dans le conflit – à l’instar
des Roms – soient particulièrement touchés. Si les personnes déplacées ont
tendance à fuir vers des régions où elles ne sont pas en position
minoritaire et où se trouvent des personnes qui appartiennent à
leur communauté ethnique, religieuse ou nationale, pour les Roms,
la question ne se pose pas. Le déplacement aggrave la marginalisation
sociale de ces derniers. Compte tenu du fait que nombre d’entre
eux n’ont ni papiers d’identité ni lieu de résidence officiel, ils
ne peuvent bénéficier de l’assistance proposée aux personnes déplacées
et se voient parfois contraints d’occuper des logements clandestins
dépourvus des prestations essentielles.
23. En dehors des Roms, on compte parmi les personnes déplacées
en Europe d’autres groupes particulièrement
vulnérables, notamment les personnes traumatisées, handicapées
et malades chroniques, les femmes chefs de famille, les enfants,
en particulier les mineurs non accompagnés, ainsi que les personnes âgées
sans soutien familial. Ces groupes sont davantage exposés aux risques
de pauvreté extrême, d’exploitation et d’abus. Il arrive souvent
que les donateurs et les gouvernements ne reconnaissent pas la vulnérabilité
des groupes marginalisés durant la phase de transition, par exemple,
en interrompant le financement de complexes
immobiliers collectifs; précisons que ce sont les personnes les
plus vulnérables, comme les personnes âgées ou handicapées mentales,
qui sont généralement le plus touchées. Il est fréquent que les
problèmes de santé mentale, qui trouvent souvent leur origine dans
les atrocités des conflits et sont exacerbés par les déplacements
de longue durée, ne soient pas pris en compte et que les traitements proposés
ne fassent pas l’objet de financements suffisants.
24. Le problème est souvent aggravé par l’absence
ou l’adoption tardive de politiques et de lois relatives aux personnes
déplacées. De plus, étant donné que les personnes déplacées
ne sont pas associées aux processus de paix ou qu’elles subissent
des manipulations politiques, elles ne peuvent pas exercer une influence
sur l’agenda politique en fonction de leurs intérêts, de leurs besoins
et de leurs droits réels. Plusieurs pays d’Europe, au nombre desquels
l’Azerbaïdjan, Chypre, la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine, la Russie
et la Serbie, ont mis en place une législation, des politiques et
des programmes pour les PDI, lesquels toutefois ne sont pas toujours
conformes aux principes directeurs sur le déplacement interne ni
à la définition de PDI et ne tiennent pas toujours compte des solutions
durables préconisées. Dans la Fédération de Russie, seules 35,4%
des PDI (enregistrées par le HCR) bénéficient, en vertu de la législation,
du statut de personne déplacée, ce qui est peut-être dû à la politique
gouvernementale visant à faire diminuer le nombre de PDI en vue
de réduire la charge liée à l’assistance et de déclarer la fin du
conflit et le retour à la stabilité. Ce statut, toutefois, n’est
assorti que d’une maigre assistance pratique à l’intégration ou
au retour.
4. Mécanismes de protection
existants
25. Les personnes déplacées ont droit à la protection
prévue par le droit humanitaire international et par la législation
en matière de droits de l’homme. Les
Principes
directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de
leur pays, adoptés par l’ONU en 1998, sont, aujourd’hui
encore, le principal instrument normatif visant à aider les gouvernements
à assumer leurs responsabilités en matière de protection et d’assistance
pour les personnes déplacées de force sur leur territoire. Bien
que les principes directeurs ne constituent pas un instrument contraignant,
ils se situent dans le droit fil du droit humanitaire international
et des droits de l’homme et ont été adoptés par d’importants forums
internationaux qui les considèrent comme constituant «un important
cadre pour la protection des personnes déplacées à l’intérieur de
leur pays»
. Malheureusement,
les gouvernements ne font pas encore preuve de la volonté suffisante
pour incorporer les principes directeurs dans leur législation nationale
ou pour les mettre pleinement en œuvre.
26. Bien que la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe
concernés aient établi des cadres normatifs nationaux pour le déplacement
à l’intérieur du territoire, seuls trois des Etats membres concernés – l’Azerbaïdjan,
la Géorgie et la Turquie – ont réalisé du progrès en vue d’harmoniser
la législation relative aux personnes déplacées avec les dispositions
des Principes directeurs. Paradoxalement, il s’agit des pays où
les perspectives de retour des populations déplacées sont les plus
faibles dans un avenir proche en raison de l’absence de solutions
politiques. Dans le même temps, la situation des PDI s’est améliorée
à Chypre, dont le gouvernement a consacré d’importantes ressources
en vue de garantir l’accès de ces personnes à leurs droits dans
les zones qu’il contrôle. Des progrès ont également été accomplis
dans les Balkans, où on a observé des avancées vers l’intégration
à l’Union européenne.
27. Les Européens déplacés à l’intérieur de leur pays bénéficient
de la protection supplémentaire de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui demeure l’outil
le plus efficace de protection des personnes déplacées en Europe.
Si ces dernières restent sous la protection de leur propre pays,
elles bénéficient des mêmes droits que tout autre citoyen. Elles
peuvent notamment exercer, en vertu de l’article 1 de la CEDH, les
droits et libertés définis dans ladite Convention.
28. Conformément à la jurisprudence des Etats membres du Conseil
de l’Europe, toute personne déplacée est donc protégée par la Convention
européenne des droits de l’homme et a le droit de déposer une requête devant
la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis que la Russie et
les Etats des Balkans et du Sud du Caucase ont rejoint le Conseil
de l’Europe au milieu des années 1990, la Cour des droits de l’homme
a rendu plusieurs arrêts relatifs au déplacement interne dans cette
région. Plusieurs affaires ont aussi été introduites contre la Turquie.
En 2007, la Cour a ordonné à la Russie de verser aux propriétaires
d’un bâtiment dans un village tchétchène une indemnité pour l’occupation
et la dégradation des lieux par des unités de la police russe. La
Cour a également ordonné à la Turquie de verser à des requérants
chypriotes grecs une indemnisation pour la violation de leurs droits
de propriété. Plusieurs affaires sont également pendantes concernant
le refus de restitution de propriétés dans la partie nord de Chypre
ou en Russie. La récente guerre en Géorgie a provoqué le dépôt,
devant la Cour, de plus de 3000 requêtes individuelles contre la
Géorgie, de quelque 400 requêtes contre la Russie ainsi que d’une
requête interétatique présentée par les autorités géorgiennes contre
la Russie. Cependant, dans l’ensemble, le nombre d’affaires portées
devant la Cour européenne des droits de l’homme demeure relativement
faible, notamment compte tenu du fait que les personnes déplacées
connaissent mal leurs droits et ne bénéficient que d’une assistance
juridique limitée.
29. Il existe d’autres instruments du Conseil de l’Europe qui
sont contraignants pour les Etats signataires, au nombre desquels
on compte la Convention-cadre européenne
pour la protection des minorités nationales, la Charte sociale révisée, la Convention européenne relative à l’exercice
des droits de l’enfant ou la Convention
européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.
30. Le mécanisme de protection de la Charte
sociale européenne et de la Charte
sociale révisée, qui revêt une importance particulière –
et qui est, malheureusement insuffisamment exploité –, permet aux
ONG internationales d’être dotées du statut participatif auprès
du Conseil de l’Europe et inscrites sur la liste des organisations
ayant qualité pour soumettre des réclamations collectives au Comité
européen des droits sociaux, que lesdites organisations relèvent
ou non de la compétence d’un Etat partie à la Charte sociale.
31. Certains groupes vulnérables sont aussi protégés par des instruments
internationaux spécifiques. Ainsi, les minorités ethniques, les
enfants et les femmes sont particulièrement menacés dans ces situations
de crise. L’article 27 de l’Accord des
Nations Unies sur les droits civils et politiques, la Convention
des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’encontre des femmes et la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant continuent
de s’appliquer même dans la situation anormale que constitue le
déplacement forcé à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays.
32. Parmi les règles de droit non contraignantes (instruments
de «soft law»), il convient de citer également un ensemble de
13 recommandations élaborées par le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe dans sa Recommandation Rec(2006) 6 à
la demande de l’Assemblée parlementaire. Cette Recommandation
«souligne l’importance, dans le contexte des
PDI, de certaines obligations prises par les Etats membres du Conseil
de l’Europe qui vont au-delà du niveau d’engagement reflété dans
les principes directeurs des Nations Unies» . Elle fait également référence
aux lacunes existantes dans le droit international et à la nécessité
subséquente de se doter d’un instrument régional contraignant sur
les PDI en Europe. Le rapporteur est d’avis qu’un instrument spécial
du Conseil de l’Europe, à caractère contraignant, permettrait en
fait de donner des indications plus précises sur les mesures que
doivent prendre les Etats membres à l’égard des personnes déplacées,
et renforcerait également la valeur juridique des Principes directeurs
des Nations Unies. Selon lui, il est donc souhaitable de reconstituer
le Comité ad hoc d’experts sur les aspects juridiques de l’asile
territorial, des réfugiés et des apatrides (CAHAR) afin d’évaluer
dans quelle mesure le cadre juridique actuel du Conseil de l’Europe
protège les PDI et leur garantit l’accès à une assistance humanitaire
et à des solutions durables, puis de déterminer comment compléter
les instruments existants s’ils ne répondent pas aux normes définies
par les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes
à l’intérieur de leur propre pays ou d’autres instruments contraignants
adoptés dans d’autres régions.
33. On peut conclure que, bien que le cadre juridique et normatif
puisse être amélioré, les principaux problèmes sont davantage liés
à la volonté politique dont font preuve les Etats parties en vue
de rendre ces instruments opérationnels sur le terrain. Les garanties
prévues par la Convention européenne des droits de l’homme en matière
de protection ne sont suffisantes que lorsque les personnes déplacées
ont connaissance des mécanismes d’application et qu’elles ont accès
à l’assistance juridique.
34. Il est regrettable de constater que le vaste fossé qui sépare
la législation de la pratique, en particulier au niveau local, persiste
encore aujourd’hui. Dans certains cas, les autorités sont confrontées
à de lourdes contraintes financières et ne peuvent répondre aux
besoins des personnes déplacées en matière de protection et d’assistance,
même si la volonté est bien présente. Dans d’autres cas, il apparaît
que les gouvernements n’ont pas la volonté politique nécessaire
pour protéger et aider les personnes déplacées.
5. Réponses nationales
35. Il ne fait aucun doute que ce sont les gouvernements
et les pouvoirs locaux qui portent au premier chef la responsabilité
de la protection des personnes déplacées. C’est à cet échelon qu’il
faudra, en fin de compte, opérer des différenciations.
36. Dans la plupart des pays, les gouvernements ont principalement
concentré leurs efforts sur le retour des personnes déplacées, limitant
ou excluant leur soutien à d’autres solutions durables telles que
l’intégration locale ou l’intégration ailleurs dans le pays. Cette
situation limite sérieusement les possibilités, pour les personnes
déplacées, de choisir librement entre les diverses solutions durables.
Pour qu’une solution soit considérée comme telle, les personnes
déplacées doivent pouvoir exercer leurs droits de façon non discriminatoire
et ne plus avoir besoin de protection ou d’assistance en relation
avec leur déplacement. Parmi les conditions nécessaires à la pérennité
des solutions, citons un environnement sain, un accès non discriminatoire
aux informations sur les droits de l’homme, la restitution ou l’indemnisation
des biens, l’accès aux services de base et à des moyens de subsistance.
37. Pour remplir ces conditions, des années de progrès peuvent
être nécessaires, ce qui explique pourquoi il est parfois difficile
de savoir à quel moment une solution durable a été trouvée. Il est
essentiel que les programmes en faveur de ce type de solutions adoptent
une approche globale qui tienne compte de tous ces éléments. Par
exemple, il n’est pas rare que les politiques insistent fortement
sur la reconstruction et sur la restitution pour faciliter le retour.
En Bosnie-Herzégovine, en Croatie et au Kosovo par exemple, d’importants efforts
ont été déployés en vue de financer la reconstruction de maisons.
Or, en l’absence de projets générateurs de revenus, d’activités
de réconciliation et de possibilité de faire valoir les droits,
ces maisons resteront vides et le retour ne pourra durer.
38. Le retour en lui-même ne constitue pas une solution durable
si les conditions mentionnées ci-dessus ne sont pas remplies. Par
conséquent, les chiffres relatifs à ces personnes n’indiquent pas
nécessairement qu’une solution durable a été trouvée; il est nécessaire
de suivre leurs conditions de vie bien après leur retour. Même si
elles ne sont plus déplacées, il est possible que ces personnes
aient toujours besoin d’une protection et d’une assistance spéciales,
qu’il convient de contrôler pour savoir si le retour peut être jugé
durable. Par exemple, du point de vue de la sécurité, les risques
peuvent être plus élevés au moment du retour qu’au cours du déplacement.
39. Le déplacement prolongé créé des situations où la frontière
entre l’amélioration des conditions de vie des PDI et leur intégration
à l’échelon local est souvent floue. Cela vaut plus particulièrement
lorsque des centres d’hébergement temporaires deviennent permanents
ou lorsque les PDI veulent s’intégrer progressivement dans la population
locale sur les plans social et économique. C’est probablement l’intention des
personnes déplacées de rester ou de rentrer chez elles qui fait
toute la différence entre les deux situations. L’intégration locale
peut être une solution durable en soi, ou une façon de vivre décemment
en attendant que d’autres solutions durables se concrétisent. C’est
probablement ce flou qui a conduit plusieurs pays à limiter l’autonomie
et les conditions de vie des PDI en vue de les inciter à retourner
chez elles. Certains pays ont opté pour cette démarche en vue d’éviter
la consolidation des résultats du nettoyage ethnique ou de regagner
des territoires qui ne se trouvent pas sous leur contrôle. Il convient
pourtant de souligner que les PDI qui se voient offrir la possibilité
de s’intégrer à l’échelon local, même si ce n’est que de manière
temporaire et sans préjudice de leur droit de retourner chez elles,
se trouveront dans une position plus forte et auront davantage de
chance d’exercer avec succès ce droit une fois que cela deviendra
faisable sur le plan politique.
40. Plusieurs tendances et initiatives positives se sont dégagées
ces dernières années au niveau politique. Par exemple, la Géorgie,
l’Azerbaïdjan et la Turquie ont récemment modifié leur approche
de l’intégration locale. En 2005, la Turquie a élaboré un cadre
national centré sur l’intégration des PDI par l’amélioration des infrastructures
et des activités rémunératrices ainsi que l’assistance psychologique
et les activités de renforcement des capacités. En juillet 2008,
le gouvernement géorgien a approuvé un plan d’action pour la mise
en œuvre de la stratégie d’Etat adoptée par le pays en 2005, visant
à faciliter l’intégration des PDI tout en respectant leur droit
au retour. Ce plan d’action a été mis à jour récemment, mais n’avait
pas encore été adopté par le gouvernement au moment de la rédaction
du présent rapport. L’Azerbaïdjan a beaucoup investi dans la construction
de locaux pour les personnes déplacées et continue de proposer d’autres
formes d’assistance aux personnes déplacées. De même, la Turquie
et l’Arménie ont notamment conçu des programmes pour faciliter l’intégration
des personnes qui rentrent chez elles.
41. Les questions non résolues et particulièrement préoccupantes sont
les suivantes, région par région:
5.1. Les PDI dans le
Sud du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie)
42. Les conflits non résolus dans les régions du Haut-Karabakh,
de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud continuent d’entraver les progrès
vers la recherche de solutions durables pour les 838 500 à 865 500
personnes qui ont
été déplacées dans le Sud du Caucase depuis le début des années 1990.
La guerre qui a éclaté entre la Russie et la Géorgie en août 2008,
suivie de l’occupation par les forces russes des deux régions séparatistes
ainsi que de certaines zones du territoire géorgien qui, avant la
guerre, se trouvaient sous la juridiction du gouvernement géorgien,
ont fait de 26 000
à 37 605
personnes
déplacées de plus, lesquelles ne peuvent rentrer chez elles et ont
réduit les perspectives de retour de toutes les PDI dans un proche
avenir. De même, les chances de voir se résoudre le conflit du Haut-Karabakh
demeurent minimes.
43. Dans ce contexte, le rapporteur se félicite de ce que l’Azerbaïdjan
et la Géorgie aient récemment modifié leur politique à l’égard des
PDI. En effet, celles-ci visent aujourd’hui à améliorer les conditions
de vie des personnes déplacées et à mettre au point, à l’échelon
local, des stratégies d’intégration à leur intention, tout en veillant
à ne pas exclure la possibilité d’un retour. Le gouvernement de
l’Azerbaïdjan a construit 47 nouveaux centres d’hébergement pour
90 000 PDI et envisage de fournir un nouveau logement à 70 000 personnes
déplacées supplémentaires. Le gouvernement a augmenté considérablement
la part du budget de l’Etat consacrée aux PDI: le programme d’Etat
2007-2011 pour les PDI s’élève aujourd’hui à un milliard de dollars
US.
44. En juillet 2008, le gouvernement géorgien a adopté un plan
d’action pour la mise en œuvre de la stratégie d’Etat pour les PDI.
Le ministère géorgien des Réfugiés et du Logement l’a récemment
actualisé pour tenir compte de la situation post-conflit, et devrait
le présenter au gouvernement pour adoption en juin 2009. Dans les
mois qui ont suivi la guerre, le gouvernement géorgien a construit
38 centres d’hébergement pour 18 000 PDI et prévu d’autres mesures
pour leur assurer une source de revenus et un accès aux services sociaux.
Dans le cadre de la stratégie d’Etat, le ministère des Réfugiés
et du Logement apporte des solutions de logement durables aux «anciennes»
personnes déplacées résidant dans des centres collectifs, par la réhabilitation
et le transfert de propriété aux familles de PDI. Une conférence
de donateurs réunie en octobre 2008 a permis de recueillir 4,5 milliards
de dollars US, dont une partie est destinée à améliorer les conditions
d’hébergement des anciennes et nouvelles personnes déplacées. Un
certain nombre de préoccupations ont été exprimées à propos de l’accent
qui a été presque exclusivement mis sur les infrastructures par
opposition à l’élaboration d’une politique d’intégration complète
qui engloberait l’ensemble des droits civils, culturels, économiques,
politiques et sociaux des PDI. De plus, il conviendrait de mieux garantir
l’entière participation de tous les segments des PDI à la planification
et la gestion du plan de relogement
.
45. Cela dit, un grand nombre de personnes déplacées en Azerbaïdjan
et en Géorgie continuent de vivre dans des conditions difficiles,
que ce soit dans ces centres collectifs – dont la majorité ne répondent
pas aux normes minimales et risquent d’avoir des retombées négatives
sur la santé et le bien-être des PDI et plus particulièrement sur
ceux des enfants et des personnes âgées – ou en ville dans des logements
privés, des appartements abandonnés et avec des membres de leur
famille. On ne dispose que d’informations limitées sur cette dernière
catégorie de PDI, si bien qu’on ne connaît pas les difficultés auxquelles
elles sont confrontées en raison de leur déplacement.
46. Les PDI âgées et les femmes chefs de famille sont confrontées
à des difficultés particulières; en effet, ces personnes ont moins
de chances d’avoir un revenu ou d’obtenir un soutien en vue de garder
leur logement dans des centres collectifs. En Azerbaïdjan, la pratique
qui veut que le statut de PDI ne puisse être accordé qu’aux seuls
enfants nés de personnes de sexe masculin qui ont été déplacées
physiquement durant le conflit et non aux enfants nés de PDI de
sexe féminin est discriminatoire et ne fait que priver les familles monoparentales
dirigées par des femmes des avantages sociaux. En Azerbaïdjan comme
en Géorgie, il conviendrait de porter une plus grande attention
à l’intégration psychosociale des enfants déplacés dans les écoles
locales, un grand nombre d’entre eux continuant de fréquenter des
écoles publiques qui, en raison de leur localisation dans des zones
d’installation de PDI, n’assurent pas une mixité suffisante avec
des enfants non déplacés. Dans bien des cas, l’état de PDI conduit
à un renversement des rôles entre les hommes et les femmes, ces
dernières étant appelées à assumer de plus en plus de responsabilités
dans la famille. Les hommes ont souvent des difficultés à trouver
un emploi et ne jouent qu’un rôle mineur pour élever les enfants ou
pour soutenir la famille. Cette situation peut engendrer un accroissement
des tensions au sein de la famille et, dans certains cas, des violences
domestiques et d’autres problèmes.
47. Contrairement à ce qui se passe en Azerbaïdjan et en Géorgie,
le gouvernement de l’Arménie n’a pas fait dépendre les solutions
durables du processus de paix, mais a donné la priorité à l’intégration.
Il n’existe pas de législation spécifique pour la protection des
PDI en Arménie. Le gouvernement soutient que toutes les PDI sont
des citoyens arméniens, que les réfugiés d’Azerbaïdjan ont été encouragés
à demander la naturalisation et que tous les citoyens jouissent
des mêmes droits et n’ont donc pas besoin d’une législation spécifique.
La priorité numéro un du gouvernement est l’organisation du retour
des familles de PDI qui le souhaitent vers leur résidence permanente.
Le rapporteur a constaté qu’il manquait certaines données sur le nombre,
la localisation et les conditions de vie des PDI originaires de
la zone frontalière. Etant donné que la législation nationale ne
contient pas de définition exacte de l’état de PDI, cela donne lieu
à une mauvaise interprétation de leur statut. La majorité des réfugiés
d’Azerbaïdjan durant le conflit du Haut-Karabakh ont été naturalisés;
quelques PDI et réfugiés ont été réinstallés dans la zone frontalière
dans le cadre du «programme de réhabilitation des territoires frontaliers
de la République d’Arménie après le conflit»; près de 900 familles
de réfugiés ont résolu leur problème de logement par le biais des
certificats d’acquisition de logement que le gouvernement arménien
distribue depuis 2005. Toutefois, l’Etat a besoin, de la part de
donateurs, d’une aide s’élevant à 45 millions de dollars US pour
être en mesure de reloger les réfugiés et les PDI hébergés dans
des centres collectifs délabrés, auxquels il faut ajouter 38,5 millions
de dollars US supplémentaires pour organiser le retour de 1005 familles
dans leur résidence permanente au sein des zones frontalières.
5.2. Les PDI dans le
nord du Caucase (Russie)
48. Plus de quinze ans après les conflits interethniques
et séparatistes en Ossétie du Nord (1992) et en Tchétchénie (1994
et 1999), il existe encore en Russie entre 85 000 et 136 500 personnes
déplacées
. Alors qu’en Tchétchénie,
la situation s’est, d’une manière générale, stabilisée, l’insécurité
continue de régner dans le nord du Caucase, qui demeure le théâtre
d’hostilités entre les forces gouvernementales et les rebelles.
En l’absence de solutions politiques au conflit, les violations
de droits de l’homme, y compris les enlèvements et les disparitions
forcées persistent et la prééminence du droit reste faible
.
49. La recherche de solutions durables pour les PDI continue d’être
entravée sur l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie
en raison du manque de logements appropriés et de possibilités d’emploi
ainsi que par l’accès limité et discriminatoire aux services, aux
prestations sociales, aux retraites, aux documents et à l’assistance.
La plupart de ces entraves sont dues à l’exigence d’un permis de
résidence («propiska»)
,
de passeports internes ou de justificatifs d’emploi que les personnes
déplacées ne sont souvent pas en mesure de présenter. Quelque 40 000 retraités
déplacés ne recevraient ainsi qu’une retraite minimum parce qu’aucun mécanisme
n’a été mis en place en vue de traiter la question des livrets de
travail disparus au cours des combats ou des incendies d’archives.
50. De nombreuses PDI ont été indemnisées pour la perte de propriété,
mais cela n’a pas conduit à une vaste reconstruction de logements
étant donné que les sommes allouées sont devenues de plus en plus insuffisantes
pour acquérir ou faire construire un logement. En conséquence, la
plupart des PDI louent des logements ou vivent chez des membres
de leur famille ou chez des amis. Le gouvernement de la Russie devrait
déterminer le nombre de PDI qui ne disposent pas encore d’un logement
permanent et veiller à les inclure dans le programme fédéral de
logement. Il devrait également doter ce programme des fonds nécessaires
pour couvrir les besoins en logements.
51. En 2007, le gouvernement de la Tchétchénie a rayé des registres
les PDI restantes dans la République. Les centres collectifs, qui
hébergeaient encore près de 4 400 familles déplacées en 2006
,
ont été fermés en 2008. Un grand nombre des familles expulsées n’ont
pas encore trouvé de logement approprié depuis.
52. Les tribunaux russes ont refusé toutes les demandes d’indemnisation
ou de restitution des propriétés perdues ou saisies en Tchétchénie,
au lieu de promouvoir des programmes de compensation grâce auxquels les
PDI pourraient être indemnisées pour les logements détruits. Toutefois,
les compensations au titre des propriétés sont différenciées selon
les préférences que les PDI ont exprimées à propos de leur lieu
de résidence. Celles qui retournent en Tchétchénie reçoivent jusqu’à
350 000 roubles à titre d’indemnisation pour les biens et les logements
perdus alors que celles qui ne souhaitent pas retourner en Tchétchénie
n’ont droit qu’à 125 000 au plus. Les personnes qui ne retournent
pas en Tchétchénie doivent abandonner leurs titres de propriété
alors que celles qui y retournent sont autorisées à les garder.
53. Les PDI de souche tchétchène qui ne vivent pas dans le nord
du Caucase sont souvent victimes d’agressions à caractère racial
et rencontrent des difficultés particulières pour obtenir un logement,
des documents personnels et un emploi ainsi que pour circuler librement
sans être contrôlées par la police. Le gouvernement russe devrait
être encouragé à mettre en œuvre des mesures de lutte contre le
racisme et la xénophobie, telles qu’énoncées dans la
Recommandation 1667 (2004) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
5.3. Les PDI dans les
Balkans (Serbie, Kosovo, Croatie, «l’Ex-République yougoslave de Macédoine»,
Bosnie-Herzégovine)
54. Treize ans après la guerre en Bosnie-Herzégovine
et dix ans après le conflit armé au Kosovo, il existe toujours dans
la région plus de 354 070 PDI ainsi que quelque 20 000 PDI roms
non enregistrées
,
dont certaines personnes déplacées depuis sept à dix-sept ans.
55. D’une manière générale, dans la région des Balkans, les logements
inappropriés constituent un problème majeur et la restitution de
la propriété est entravée par l’absence de documents. Pour les Roms, l’absence
de documents pose des problèmes encore plus grands en matière d’accès
aux droits élémentaires. Il y a la pauvreté, le chômage, l’absence
d’accès à des moyens de subsistance, ce à quoi il faut ajouter que l’intégration
à l’échelon local n’est pas soutenue par les autorités. Dans les
zones de retour, les personnes déplacées font l’objet de discriminations
en matière d’assistance et de droits (y compris le droit à l’éducation et
le droit à une retraite) ce qui contribue à accroître la vulnérabilité
de la population concernée et met des obstacles supplémentaires
à leur retour.
56. En 2008, il y avait encore en Bosnie-Herzégovine 124 600 PDI
enregistrées, et près de 600 000 personnes étaient retournées dans
leurs régions d’origine
. Ces dernières sont davantage exposées à
la discrimination et au déni d’accès aux possibilités d’emploi et
aux services que les PDI lorsqu’elles appartiennent à une minorité
ethnique locale. La fragmentation du système de protection sociale
fait qu’il existe des différences entre les retraites versées, ce
qui accroît la vulnérabilité des personnes âgées. Un accès à une éducation
impartiale et non discriminatoire est nécessaire. De plus, alors
qu’on a enregistré 1 500 retours en 2008, la situation des 8 000 personnes
qui se trouvent dans des centres collectifs ne semble guère s’améliorer. Certes,
il importe de reconstruire les logements, mais il faut également
accorder davantage de soutien au retour et à l’intégration à l’échelon
local. Fin janvier 2009, le Conseil des ministres de la Bosnie-Herzégovine a
adopté une stratégie révisée pour la mise en œuvre de l’Annexe VII
des Accords de paix de Dayton, question qui était pendante devant
l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine à l’époque de la
rédaction du présent rapport. Si elle est ratifiée et mise en œuvre,
cette stratégie révisée permettra de créer un nouvel élan en faveur
de l’exercice, par les PDI restantes et les personnes retournées
dans leur région d’origine, de leur droit à une solution durable.
57. En mars 2008, il restait en Croatie 2 600 PDI, dont la moitié
sont des Serbes
.
Des progrès significatifs ont été accomplis par les gouvernements
successifs depuis 2000 en matière de réforme législative, de restitution
de propriété et de reconstruction, y compris l’adoption de mesures
en faveur du retour des Serbes. Pour autant, le nombre effectif
de retours reste faible: près d’un tiers des PDI et des réfugiés
serbes de Croatie sont retournés chez eux, mais la moitié seulement
de ces retours ont été durables. Les obstacles au retour incluent
le non-établissement de droits à une retraite complète, l’impunité
pour les crimes de guerre, l’absence de recours pour la restitution
des terres agricoles occupées, les revendications de propriété privée
par le biais de procédures judiciaires et l’absence de recours pour
la perte des droits d’occupation.
58. En 2008, il y avait en Serbie (Kosovo exclu) 226 000 PDI y
compris des Roms dont le nombre est estimé à 20 000. Vingt-mille
personnes ont également été déplacées au Kosovo, principalement
dans les zones où les Serbes sont majoritaires
.
La déclaration d’indépendance du Kosovo de mai 2008 a créé des incertitudes pour
les Serbes déplacés à l’intérieur de la Serbie proprement dite et
à l’intérieur du Kosovo lui-même. Les Roms sont les PDI les plus
vulnérables et l’absence de papiers empêche leur enregistrement
et l’accès au logement et à l’assistance sociale. Les perspectives
pour des solutions durables et pour l’intégration des PDI sont minces.
59. S’agissant de «l’Ex-république yougoslave de Macédoine», 770 personnes
sont toujours déplacées aujourd’hui, la majorité étant des Macédoniens
de souche ou des Serbes qui estimaient ne pas pouvoir retourner
dans les régions à prédominance albanaise. Quatre-cents PDI sont
hébergées dans des logements privés, mais 300 d’entre elles vivent
dans de mauvaises conditions dans des centres collectifs. Des préoccupations
se sont fait jour face au nombre croissant de PDI qui hésitent à
rentrer chez elles à la suite des élections parlementaires de 2008
qui se sont accompagnées de violences dans les régions à prédominance albanaise
.
5.4. Les PDI en Turquie
60. Selon une étude nationale sur les PDI publiée en
2006, de 953 680 à 1 201 200 personnes auraient été déplacées de
l’est et du sud-est du pays entre 1986 et 2005
.
Ces dernières années, le gouvernement turc a accompli d’importants
progrès en vue de traiter (et même d’ériger en priorité) la question
du déplacement interne. Outre l’étude nationale sur le nombre et
la situation des PDI évoquée ci-dessus, il a mis au point une stratégie
nationale pour les PDI, adopté une loi sur la compensation pour
les dommages aux propriétés, adopté en 2006 le Plan d’action de
Van pour répondre aux besoins des PDI à l’échelon provincial et
complété le projet de retour dans les villages et de réhabilitation
(RVRP) de 2004. En outre, des commissions d’évaluation des dommages
ont été mises en place en vue d’indemniser les PDI pour les pertes
d’ordre patrimonial subies. Un cadre national axé sur l’intégration
des PDI dans les zones urbaines par un renforcement des infrastructures et
des activités génératrices de revenus a été développé, mais sa mise
en œuvre n’est pas suffisamment rapide pour l’instant.
61. Le RVRP, qui englobe 14 provinces, repose sur une coordination
et une coopération entre différents services pour assurer aux personnes
qui le souhaitent un retour dans de bonnes conditions et favoriser l’adaptation
à la vie urbaine par des conditions économiques et sociales adéquates
pour ceux qui préfèrent rester dans leur résidence actuelle. Près
de 83,3 millions d’YTL (40 millions d’euros) ont été consacrés à
ce projet, pour des investissements dans les infrastructures, la
reconstruction d’écoles et de centres de santé de proximité, la
mise à disposition de matériaux de construction pour les citoyens
regagnant leur village, ainsi que pour des projets sociaux. L’enquête
nationale sur les PDI menée en 2006 a fait apparaître que 55% des populations
déplacées souhaitaient retourner dans leur région d’origine, tandis
que près de 12% des PDI étaient déjà rentrées chez elles
.
Quatre-vingt-huit pour cent des personnes déplacées sur lesquelles
portait l’étude et qui étaient rentrées dans leurs villages ont
néanmoins déclaré qu’elles étaient revenues sans l’assistance du
gouvernement. Il a également été reproché aux programmes en matière
de retours de manquer de transparence, de cohérence et de financement
et de ne pas faire l’objet de consultations
.
L’absence de développement des zones de retour persiste, et des
efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer les infrastructures
de base.
62. Il n’a guère été fait de progrès pour ce qui concerne la suppression
des «gardes de village», une force paramilitaire créée par le gouvernement
pour contrer le Parti des travailleurs kurdes (PKK), qui avait été responsable
de certaines des pires violations des droits de l’homme dans les
années 1980-90 et qui avait été identifié comme constituant le principal
obstacle au retour des PDI et à la stabilité de la région. Une loi
adoptée en mai 2007 renforce même le système des «gardes de village».
Les mines terrestres (dont il existerait près d’un million dans
le pays) demeurent une préoccupation en matière de sécurité. D’autres
sujets de préoccupation incluent l’absence de perspectives économiques,
l’absence de services sociaux et le manque d’infrastructures élémentaires
dans le sud-est de la Turquie, qui constituent autant d’obstacles
au retour
. Le gouvernement turc
devrait être encouragé à continuer de rechercher des solutions au
déplacement interne qui entrent dans le cadre de l’effort plus large
déployé à l’échelon national en vue de la reconnaissance et de la réconciliation
à propos de la question kurde, afin que ces solutions soient durables
et efficaces. Les liens entre solutions durables au déplacement
et initiatives de réconciliation en vue de traiter les violations
des droits de l’homme passées à l’encontre des PDI devraient être
étudiés.
63. Etant donné que beaucoup de PDI ne retourneront pas chez elles,
il convient de proposer des solutions concrètes pour celles qui
choisissent l’intégration à l’échelon local. La plupart des personnes
déplacées vivent sur le pourtour des villes, tant dans les provinces
affectées que dans le reste de la Turquie. Elles font partie des
citadins pauvres et partagent avec d’autres migrants les problèmes
de l’extrême marginalisation sociale et économique et de l’accès
limité au logement ainsi qu’aux systèmes d’éducation et de santé.
On ne sait pas très bien si les PDI sont plus particulièrement les
cibles de discrimination, encore qu’il y aurait lieu de penser que
le fait que les personnes déplacées soient d’origine kurde et issues
de zones rurales contribue à aggraver leur marginalisation sociale
et économique et qu’elles rencontrent davantage de problèmes pour
s’intégrer dans un environnement urbain puisque la plupart d’entre
elles n’ont pas d’éducation élémentaire, qu’elles ont des difficultés
linguistiques et qu’elles ont du mal à trouver un emploi.
64. Au nombre des problèmes concernant plus particulièrement les
PDI, on compte l’absence de soutien psychologique malgré le grand
nombre de personnes présentant un traumatisme psychologique et émotionnel, le
faible niveau d’éducation et le taux élevé de chômage parmi les
adultes et plus particulièrement les femmes. Les enfants n’ont qu’un
accès limité à la scolarisation et le travail des enfants serait
un problème croissant dans les centres urbains comportant une importante
population de PDI.
65. Un certain nombre de programmes du gouvernement ne tiennent
pas compte de la situation particulière des personnes déplacées.
Par exemple, un des critères servant à déterminer la pauvreté et
l’éligibilité pour l’assistance sociale est la non-possession d’une
propriété agricole. Or, bon nombre de personnes déplacées possèdent
une telle propriété et sont donc disqualifiées, même si elles n’ont
pas pu y accéder depuis plus de dix ans. Cela montre qu’il est besoin
de programmes et de plans d’action gouvernementaux qui s’adresseraient plus
particulièrement aux PDI dans les zones urbaines.
5.5. Les PDI à Chypre
66. Plus de trente ans après leur déplacement initial,
201 000 personnes
continuent d’être
déplacées à l’intérieur de leur pays dans la zone qui se trouve
sous la juridiction du gouvernement de la République de Chypre.
Les dirigeants Chypriotes turcs considèrent que les déplacements
ont pris fin avec l’accord Vienne III de 1975. Alors que les PDI
chypriotes n’ont plus de besoins humanitaires fondamentaux et se
sont largement intégrées dans les régions où elles se sont installées,
les déplacés ne peuvent toujours pas reprendre possession des biens
qu’ils avaient abandonnés par la force ou bien rentrer chez eux.
67. A l’échelon politique, le nouveau processus politique entre
les dirigeants de ce deux communautés, qui a débuté en mars 2008,
inspire un optimisme raisonnable. Pour la première fois durant ces
dernières années, et malgré les désaccords fondamentaux entre les
deux parties à propos d’un certain nombre de questions-clés, les
conditions semblent être plus propices que jamais pour réaliser
des progrès substantiels en vue du règlement de la question chypriote.
Le processus est porteur d’espoir pour les Chypriotes, mais il reste
fragile et doit être encouragé et soutenu par la communauté internationale
.
68. La commission pour les personnes disparues, qui a repris ses
activités en 2004, est parvenue à quelques résultats. Le gouvernement
de la République de Chypre, les dirigeants chypriotes turcs et la Turquie
devraient
être encouragés à enquêter sur le sort des disparus et sur les endroits
où ils se trouvent et informer leur famille de la progression des
enquêtes. Les fouilles, les exhumations et les identifications se poursuivent,
mais les enquêtes sur les conditions dans lesquelles les personnes
ont disparu et/ou péri n’ont pas débuté.
69. La propriété reste la principale source de préoccupation pour
les personnes déplacées. Il n’existe pas encore de mécanisme mutuellement
accepté pour statuer sur les revendications relatives aux propriétés
et le choix de la résidence pour les personnes déplacées est limité.
L’aménagement des propriétés à des fins de logement, de tourisme
ou de commerce dans la zone qui n’est pas sous le contrôle réel
du gouvernement de la République de Chypre est venu compliquer encore
davantage les choses. En 2006, la République de Chypre a adopté
une loi qui pénalise l’acquisition, la location et la vente d’une
propriété dans la zone occupée appartenant à des Chypriotes grecs
sans le consentement du propriétaire enregistré
. Les
Chypriotes déplacés des deux côtés ont saisi les tribunaux internes
et les cours internationales en vue de faire valoir leurs droits.
Dans un arrêt rendu en 2005
,
la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné à la Turquie d’introduire
un recours en vue de la protection des propriétés et des biens dans
la zone se trouvant sous la juridiction de l’administration chypriote
turque. En réponse à cet arrêt, les autorités chypriotes turques
ont mis en place, en mars 2006, la «commission des biens immeubles».
Une décision sur l’efficacité et la pertinence de cette commission,
qui n’est pas reconnue par le gouvernement chypriote, doit encore
être prise par la Cour européenne des droits de l’homme. Un autre
arrêt qui fera jurisprudence, concernant le litige sur les droits
de propriété des Chypriotes turcs relatif à des biens qu’ils possédaient
dans la partie occupée de Chypre et qui ont été illégalement vendus
à des ressortissants étrangers, a été rendu le 28 avril 2009 par
la Cour européenne de justice des Communautés européennes
.
Celle-ci a déclaré, entre autres, qu’un arrêt d’un tribunal de la
République de Chypre doit être reconnu et exécuté par les autres
Etats membres, même s’il concerne un bien foncier situé dans la
partie nord de l’île. Le fait que l’application de l’acquis communautaire soit
suspendue dans les secteurs de la République de Chypre où le gouvernement
n’exerce pas de contrôle réel et qu’un arrêt rendu par les tribunaux
d’un Etat membre ne peut, pour des raisons pratiques, être exécuté dans
la zone où se trouve le terrain ne fait pas obstacle à la reconnaissance
et à l’exécution de ce dernier dans un autre Etat membre.
70. Une autre source de préoccupation est la discrimination dont
font l’objet les enfants de PDI: alors que les enfants accompagnés
d’hommes bénéficiant du statut de «personne déplacée» ont droit
à une carte d’identité de réfugié et aux avantages liés au statut
de personne déplacée, ceux qui sont accompagnés de femmes bénéficiant
du même statut ne se voient pas dotés des même avantages. Ils ont
uniquement droit à un certificat de filiation, lequel ne leur donne
toutefois pas droit à quelque avantage que ce soit. Le gouvernement
de la République de Chypre devrait amender sa législation nationale
afin de garantir que tous les enfants de personnes bénéficiant du
«statut de déplacé» soient traités de la même manière, conformément à
la Constitution de la République de Chypre et des obligations internationales
du pays.
6. Réponse internationale:
le rôle du Conseil de l’Europe pour faire progresser la protection
des droits fondamentaux des personnes déplacées
71. L’une des priorités du Conseil de l’Europe est d’encourager
les Etats membres à faire avancer la mise en œuvre de la législation
en place et à respecter, à la lettre, les droits de l’homme. Les
différentes institutions et organes de contrôle du Conseil de l’Europe
suivent la situation relative à l’exercice de leurs droits par les PDI.
Il importe d’intégrer systématiquement leurs conclusions dans les
plans d’action des pays européens pour la protection et la promotion
des droits fondamentaux des personnes déplacées. Il convient également d’étudier
plus avant les solutions prévues par les mécanismes de réclamation
collective au titre de la Charte sociale européenne (révisée).
72. Ce qui importe le plus, toutefois, c’est que le Conseil de
l’Europe – et plus particulièrement son Assemblée – s’attaque aux
causes profondes du déplacement initial et continu des populations.
Tant que des solutions politiques durables feront défaut et tant
que dureront les tensions interethniques, les minorités nationales
ne pourront vivre en totale sécurité, dans le plein respect de leurs
droits; et tant que les pays qui ont souffert de ces terribles conflits
ne seront pas des démocraties stables, pacifiques et prospères,
toute solution pérenne aux problèmes des personnes déplacées sera
difficilement envisageable. C’est pourquoi il est de la plus haute
importance que les Etats membres adhèrent à des instruments tels
que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
et la Convention européenne des langues régionales et minoritaires
et les mettent en œuvre, et qu’ils promeuvent, dans leurs sociétés,
les valeurs de la démocratie pluraliste, des droits de l’homme,
de la tolérance, de la prééminence du droit et de la non-discrimination.
73. Il est du devoir du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée
d’empêcher les guerres et les déplacements. De véritables efforts
internationaux de maintien et de consolidation de la paix sont nécessaires
dans les régions où la violence et les préjugés à l’égard des communautés
locales et des PDI ne peuvent être contenus par les moyens politiques
disponibles au niveau local. Les Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient mettre à disposition leur expertise et leurs ressources,
par le biais de l’Organisation ou d’autres organes internationaux
compétents, en faveur de la protection, du retour dans la sécurité
et la dignité et de l’intégration des PDI. Le rapporteur se félicite
à cet égard de la décision prise par la Commission des questions
politiques de l’Assemblée en novembre 2008 de créer une sous-commission
ad hoc sur les systèmes d’alerte précoce et la prévention des crises
en Europe. Les questions de droit international, de droit humanitaire
international et de sécurité relatives aux personnes déplacées devraient
figurer parmi les priorités de la conférence qui devrait se tenir
vers la fin de l’année.
74. De plus, il serait judicieux d’encourager le Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe à mobiliser les institutions
nationales de défense des droits de l’homme et les médiateurs des
régions qui hébergent des personnes déplacées de longue date en
vue d’évaluer les suites données aux diverses recommandations du
Conseil de l’Europe sur la protection des droits des personnes déplacées
et d’identifier les obstacles qui subsistent à la garantie de solutions
durables, et lui demander de publier un document d’orientation sur
la question.
75. La Banque de Développement du Conseil de l’Europe devrait
être encouragée à renforcer sa coopération avec les Etats membres
concernés en vue de financer davantage de projets concernant les réfugiés
et les PDI.
76. L’Assemblée devrait continuer de suivre de plus près les questions
liées aux PDI, tant par le biais de son mécanisme de suivi pays
par pays conduit par la Commission de suivi que par le biais des
rapports «régionaux» ou spécifiques établis par sa Commission des
migrations, des réfugiés et de la population. Plus particulièrement,
le rapporteur estime qu’il convient de continuer de faire porter
l’attention sur la situation des personnes déplacées dans la région
du Caucase et en Turquie.
7. Perspectives d’avenir:
propositions
77. Quatre éléments doivent être mis en place pour garantir
que les PDI pourront exercer pleinement leurs droits de l’homme
en Europe:
a. des efforts renouvelés
de la communauté internationale pour trouver des solutions politiques;
b. un cadre juridique et normatif solide;
c. une volonté politique forte de la part de tous les acteurs
concernés d’établir ce cadre;
d. la capacité de ces acteurs de le mettre en œuvre.
78. Si, sur le plan juridique, c’est aux gouvernements et aux
pouvoirs locaux qu’il incombe sans conteste au premier chef de protéger
les personnes déplacées, il est du devoir commun de l’Europe de
trouver des solutions politiques aux conflits internes qui perdurent.
La guerre qui a opposé récemment la Géorgie à la Russie a rappelé
de sinistre manière que la menace de la guerre est bien réelle en
Europe, même au XXIe siècle, et que la «politique de l’autruche»
au niveau international et la réticence à s’attaquer au cœur du problème
peuvent avoir de lourdes conséquences. Le rapporteur souligne que
la résolution de la question des déplacements internes et la prévention
des déplacements futurs sont des éléments essentiels de la consolidation
de la paix, et sont donc inextricablement liées au maintien d’une
paix durable. Une pression bien plus forte de la communauté internationale
est indispensable pour trouver des solutions politiques et mettre
au point des mécanismes de réconciliation.
79. L’absence de solutions politiques ne devrait cependant pas
servir d’excuse aux gouvernements pour justifier leur incapacité
à faire face aux situations de déplacement de longue durée. En effet,
c’est aux gouvernements qu’il incombe, au premier chef, de protéger
les droits de leurs citoyens, y compris des personnes déplacées,
même en cas de conflit enlisé et d’absence de contrôle territorial.
80. Le droit des PDI de retourner chez elles en vertu du droit
humanitaire international ainsi que celui d’exercer leur droit à
la liberté de circulation découlant du droit international et régional
des droits de l’homme doivent être respectés et garantis sans condition
par toutes les autorités compétentes. A cette fin, il faut assurer
la sécurité des personnes qui souhaitent potentiellement rentrer
chez elles, ce qui vient souligner la nécessité de traduire en justice
ceux qui se trouvent à l’origine de leur déplacement. Il est également
essentiel de garantir des conditions de vie décentes aux personnes
déplacées; ainsi, ces dernières doivent avoir accès aux services
élémentaires tels que l’éducation ou les soins de santé et pouvoir
trouver un emploi ou un autre moyen de subsistance. Les maisons
endommagées doivent être réparées ou reconstruites, les propriétés occupées
doivent être restituées à leurs propriétaires et les autres droits
de location ou d’occupation doivent également être restitués.
81. En réalité, le retour peut s’avérer très compliqué, même une
fois que les obstacles politiques et matériels ont été levés. Bien
souvent, les discours et les arrangements financiers sont vains
face à un climat hostile, comme en atteste l’exemple de la Bosnie-Herzégovine,
où nombre de personnes déplacées ont préféré vendre leur maison
plutôt que de revenir chez elles. Bien que cette tendance puisse
laisser croire à l’échec des retours, il importe de rappeler que
ces derniers doivent toujours être volontaires,
qu’ils ne sont pas obligatoires.
82. Il est du devoir des autorités de mettre en place les conditions
qui permettront aux PDI d’opter pour trois options viables: le retour,
l’intégration à l’échelon local ou l’intégration ailleurs dans le
pays. Elles doivent veiller à ne pas favoriser une approche en excluant
les autres et à fonder leur politique et leurs programmes sur des enquêtes
participatives à propos des solutions durables que préfèrent les
PDI, menées auprès des populations déplacées, y compris auprès des
groupes marginalisés. Le fait de permettre aux PDI de mener une
vie normale dans leurs lieux actuels de résidence et celui de protéger
leur droit au retour ne s’excluent pas mutuellement.
83. Il est indispensable de perfectionner les cadres juridiques
et normatifs aux niveaux national et international. Les personnes
déplacées doivent bénéficier du même niveau de protection de leurs
droits et des mêmes possibilités de les exercer que le reste de
la population, même s’il peut être nécessaire de prendre certaines
mesures supplémentaires spécifiques pour faire respecter ces droits.
Les personnes déplacées ont une vulnérabilité particulière et des
besoins spéciaux en matière d’aide que ne partage pas le reste de
la population. Elles ont donc droit à un traitement différencié
et préférentiel sans que celui-ci soit pour autant jugé «discriminatoire».
84. Il ne faut toutefois pas que les autres personnes à risque
soient reléguées au deuxième plan du fait de l’attention particulière
portée aux personnes déplacées. Les débats au cours desquels ont
met en exergue les problèmes des PDI sont souvent entendus comme
impliquant que la situation des personnes qui n’ont pas été déplacées
est comparativement plus sûre et que les PDI encourent systématiquement
davantage de risques. Cela n’est pas toujours le cas. ll n’est pas
rare que des personnes ne soient pas en mesure de quitter leur foyer lors
d’un conflit armé, même s’il peut être dangereux de rester. Ces
dernières ont aussi besoin d’une attention prioritaire.
85. A l’heure actuelle, les pays européens concernés sont, dans
l’ensemble, au stade de la reconstruction et de la réhabilitation
qui font suite aux conflits. Les gouvernements ont modifié progressivement
leur façon d’aborder la question des personnes déplacées: ils se
sont éloignés de l’aide humanitaire pour intégrer l’assistance et
le développement dans les stratégies de développement et dans les
programmes de lutte contre la pauvreté. Dans plusieurs pays, l’aide
directe aux personnes déplacées a été progressivement supprimée. Cela
s’explique par le fait que l’on s’attend à ce que les personnes
déplacées bénéficient des aides proposées par le système normal
de protection sociale, tout comme d’autres citoyens, selon des critères socioéconomiques.
86. Cette évolution est positive dans la mesure où elle renforce
assurément l’intégration des personnes déplacées dans les structures
sociales existantes et normalise leur situation en tant que citoyens.
Toutefois, elle comporte aussi le risque de voir ignorés leurs besoins
spécifiques. Une grande partie de la population continue de vivre
dans des centres collectifs, n’a pas de terre à cultiver, doit se
battre pour avoir des revenus et est victime de discrimination au
niveau de l’accès aux services publics. Il est donc fort nécessaire
que les pouvoirs nationaux consacrent des ressources et mettent
à profit leur expérience et leur volonté politique pour surmonter
la vulnérabilité particulière des personnes déplacées sur leur lieu
de résidence. Une assistance internationale est également requise
en permanence, notamment pour ce qui est de l’aide technique et
de l’échange de données d’expérience et de connaissances.
87. Il convient d’accorder, dans les plans d’action relatifs aux
personnes déplacées, une attention particulière aux groupes minoritaires
afin d’éviter un nouveau cycle de violations de leurs droits. Les
membres de groupes minoritaires ont souvent besoin de mesures spéciales
de protection parce qu’ils ne possédaient pas de pièce d’identité
ni de document attestant de leur lieu de résidence avant leur déplacement.
Les gouvernements doivent encore prendre conscience de la nécessité
d’instaurer un climat de tolérance et de dialogue pour que la diversité
culturelle et ethnique ne soit plus source de division, mais facteur d’enrichissement
et de cohésion pour les sociétés européennes.
88. Les autorités compétentes devraient accorder une attention
et une assistance particulières aux enfants, en particulier à ceux
qui se retrouvent non accompagnés au cours d’un conflit armé, afin
de répondre à leurs besoins élémentaires et de garantir leurs droits
fondamentaux, dont le logement et l’accès à l’éducation. Les femmes
et les jeunes filles sont aussi particulièrement exposées à des
risques de sévices et de violence sexuelle. Enfin, il convient d’apporter
un soutien spécifique aux victimes d’actes de violence et de torture.
89. Il importe également de combler des lacunes considérables
en matière de mise en œuvre. Par exemple, les avantages fiscaux
et les dispositions sociales favorables prévues par la loi dans
certains pays ne sont pas toujours reconnus et appliqués dans la
pratique. De plus, l’efficacité des organismes et des agences chargées de
l’application des lois dans les pays concernés doit être améliorée.
Bien souvent, les complexités administratives et les lourdeurs de
la bureaucratie auxquelles se heurtent les personnes déplacées sont davantage
liées à un manque de capacités administratives qu’à un manque de
volonté.
90. Il importe d’encourager et de développer les initiatives qui
partent de la base. La société civile et les ONG ont un rôle essentiel
à jouer pour faire entendre la voix des personnes déplacées et défendre
leurs intérêts. De leur côté, les personnes déplacées doivent être
mieux informées sur les instruments dont elles disposent pour se
protéger. Enfin, elles doivent être mises au fait de toutes les
démarches pertinentes et consultées à cet égard en vue de la recherche
de solutions durables; elles doivent également, dans la mesure du
possible, avoir la possibilité de prendre part aux décisions qui
les concernent.
91. Il n’existe pas de solution unique au problème du déplacement
à l’intérieur de son propre pays. Les personnes concernées ont,
en matière de protection et d’assistance, des besoins très différents.
Il faut donc promouvoir des réponses innovantes pour traiter efficacement
la multitude de besoins des populations confrontées à ce problème.