1. La rapporteuse accueille favorablement le rapport
de MM. Van den Brande et Eörsi, corapporteurs de la commission de
suivi pour «La guerre entre la Géorgie et la Russie: un an après».
2. Le rapport porte essentiellement sur les conséquences politiques
de la guerre, mais tient compte à juste titre de certaines des plus
urgentes préoccupations humanitaires et de droits de l’homme qui
persistent un an après le déclenchement du conflit.
3. Dans son avis, la rapporteuse tient à saluer les personnes
qui ont contribué à rendre la vie des habitants de la région touchée
par la guerre un peu plus facile et un peu plus sûre, et qui ont
suscité un certain optimisme pour l’avenir, à savoir les membres
de la société civile tout autant que ceux des gouvernements ou d’autres instances.
4. Dans ce contexte, la rapporteuse a pourtant été confrontée
à la dure réalité: trop peu de progrès ont été réalisés pour répondre
aux préoccupations humanitaires et de droits de l’homme, laissant
les individus les plus touchés par la guerre dans un grand vide
ou face à une impasse, étant donné que la politique prend le dessus sur
les questions humanitaires et de droits de l’homme. Cette situation
est inacceptable.
5. Dans son avis, la rapporteuse commence par souligner quelques-uns
des progrès beaucoup trop rares réalisés durant l’année, avant d’évoquer
les échecs et les points qui exigent une attention urgente. Pour
finir, elle énonce plusieurs amendements proposés au projet de résolution
de la commission de suivi, qui entendent mettre davantage en lumière
certains problèmes humanitaires.
1. Un an après: trop peu de progrès ont été réalisés
6. Quand la rapporteuse s’est rendue dans la zone de
conflit en septembre 2008, la zone dite «tampon» avec l’Ossétie
du Sud était occupée et il était presque impossible pour les habitants
de cette zone de retourner chez eux. Un an plus tard, les soldats
russes s’étant retirés, une grande partie des habitants a pu rentrer,
même durant les rigoureux mois d’hiver. Une nouvelle Mission de
surveillance de l’Union européenne (MSUE) a apporté un certain niveau
de sécurité, permettant aux habitants de la région de reprendre
le cours de leur vie.
7. Les autorités géorgiennes ont reçu le soutien général de la
communauté internationale, qui les a aidées à faire face à une multitude
de problèmes auxquels sont confrontées les personnes nouvellement
déplacées et à revoir la situation des personnes déjà déplacées
en raison de précédents conflits. Le versement d’une aide de 4,5
milliards $US a été annoncé, 38 installations pour personnes nouvellement
déplacées ont été mises à disposition, ce qui a permis de loger
plus de 18 000 d’entre elles; en outre, des progrès ont été réalisés
pour le plan d’action sur la stratégie en faveur des personnes déplacées,
adopté initialement le 30 juillet 2008 puis mis à jour par une annexe
en décembre 2008.
8. Le ministère russe de la Justice a autorisé une aide aux autorités de facto d’Ossétie du Sud d’un montant de
10 milliards de roubles russes; la reconstruction a été entamée;
une ligne d’approvisionnement en gaz a été construite depuis la
Russie jusqu’à Tskhinvali et la plupart des réfugiés qui ont fui
vers la Russie au moment de la guerre sont retournés chez eux.
9. Durant l’hiver, les besoins humanitaires de base de tous les
habitants, des deux côtés de la frontière administrative, ont été
satisfaits, même si l’hiver a été rigoureux et difficile pour la
plupart de ceux qui vivent aujourd’hui dans les ruines de leurs
maisons et pour ceux confrontés à de graves pénuries d’approvisionnement
en énergie, telle que le gaz, l’électricité ou le bois chauffage.
La rapporteuse tient à mettre l’accent sur les importants travaux
menés à bien par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), par
le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
par d’autres organisations internationales gouvernementales et non
gouvernementales ainsi que par les autorités concernées qui ont toutes
apporté des contributions majeures à cet égard.
2. Un an après: une situation bloquée et toute une
série de questions humanitaires et de droits de l’homme qui nécessitent
de l’attention
10. La rapporteuse est très déçue par l’absence de progrès
concernant une multitude de questions primordiales d’ordre humanitaire
et de droits de l’homme. Elle a souligné à maintes reprises la nécessité
de séparer les questions humanitaires et de droits de l’homme des
questions politiques, mais les parties au conflit continuent encore
bien trop souvent de faire passer la politique avant la vie des
personnes qui subissent ce conflit.
11. Le problème se résume en grande partie à la seule question
d’«accès» et aux conséquences de cet accès, selon les parties, sur
le statut des régions séparatistes. A moins d’étudier et de régler
la question dès maintenant, peu ou pas de progrès seront réalisés
dans un futur proche sur le front humanitaire et des droits de l’homme.
12. Dans son rapport, la commission de suivi a mis l’accent à
juste titre sur cette question d’accès. La rapporteuse considère
cependant qu’il faut insister encore davantage sur cette question,
en particulier sur la façon dont elle affecte les personnes qui
vivent dans la région et pas seulement les organisations internationales,
qui voient leur rôle humanitaire et de droits de l’homme entravé.
13. La rapporteuse a identifié les exemples suivants de situations
où l’«accès» sert d’excuse pour bloquer les progrès humanitaires
et des droits de l’homme.
2.1. Protection et surveillance des droits de l’homme
14. L’année dernière, il a été mis fin à la mission de
l’OSCE en Géorgie ainsi qu’à la mission d’observation militaire
de cette organisation. La Mission d’observation des Nations Unies
en Géorgie (MONUG) a subi le même sort. Comme l’indique le rapport
de la commission de suivi, cette situation est due au refus de la
Russie de permettre la prolongation des mandats de ces missions.
Qui plus est, la Russie a refusé que les observateurs de la MSUE
accèdent aux régions d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, et aux territoires
occupés.
15. Par ailleurs, les organisations internationales, y compris
le Conseil de l’Europe, ont eu à faire face à un mur de problèmes
pour se rendre ou pour mener des activités dans les régions d’Abkhazie,
d’Ossétie du Sud ou dans les territoires occupés. Sans vouloir adresser
de reproches dans un quelconque ordre, toutes les parties – notamment
la Russie, la Géorgie et les autorités de
facto – ont leur part de responsabilité. Pour pouvoir
accomplir ses missions humanitaires et de droits de l’homme, le
Conseil de l’Europe a besoin d’un accès pour ses organes de suivi,
tels que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI), le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales et le Comité européen pour la prévention
de la torture (CPT). Il a également besoin de personnes travaillant
en dehors de Tbilissi, de Soukhoumi et de Tskhinvali, ce que l’ensemble
des parties doit faciliter.
2.2. Accès à la frontière administrative pour les populations
locales
16. Il est de plus en plus difficile pour les populations
locales de traverser la frontière administrative, principalement
en raison de l’attitude des autorités de
facto d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, de l’aide des autorités
russes et des mesures qu’elles ont prises pour renforcer et contrôler
la frontière administrative. Ces restrictions peuvent avoir un impact
dévastateur sur les populations locales et nuisent, entre autres,
à leur capacité à obtenir un traitement médical, au maintien d’un
contact avec leurs familles, à la possibilité d’exercer des activités
économiques, à leur accès aux pensions de retraite, à d’autres prestations
sociales et à l’éducation, etc. La situation est certes mauvaise,
mais il est clair qu’elle pourrait empirer. Si la frontière administrative
venait à être totalement fermée, une autre vague de déplacements
de personnes n’est pas à exclure, en particulier depuis la région
de Gali et le district d’Akhalgori.
2.3. Loi sur les territoires occupés de Géorgie
17. Alors que les autorités géorgiennes ont affirmé être
prêtes à répondre aux inquiétudes énoncées dans le récent avis de
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) sur «la loi sur les territoires occupés de Géorgie»,
des inquiétudes subsistent sur les conséquences de l’application de
cette loi pour les individus et pour les organisations nationales
et internationales. Les amendements ont permis l’ouverture à l’aide
humanitaire nécessaire dans les situations d’urgence pour protéger
le droit à la vie et pour la survie de la population. Cependant,
la rapporteuse demeure préoccupée par la possibilité d’appliquer ces
dispositions. Elle s’inquiète également de la façon dont cela affectera
les activités des acteurs concernés par le seuil évoqué et qui continuent
malgré tout de mener des activités essentielles à la protection
des droits de l’homme et à la garantie d’une assistance humanitaire
en faveur des habitants des territoires occupés.
2.4. Retour des personnes déplacées
18. Le droit au retour est un élément essentiel pour
les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Le rapport de la
commission de suivi fait ressortir à juste titre des inquiétudes
sérieuses au sujet de la purification ethnique et des difficultés
de retour dans cette situation. Il semble clair que le retour est
une question d’«accès»; si la situation en matière de sécurité,
les conditions de vie et la volonté des personnes déplacées ne jouent
pas actuellement en faveur du retour de nombreuses personnes, il
importe néanmoins de respecter les principes internationaux élémentaires
de retour, tels qu’énoncés dans les principes de Pinheiro et les diverses recommandations
et résolutions de l’Assemblée, dont la
Recommandation 1877 (2009) «Les peuples oubliés
de l’Europe: protéger les droits fondamentaux des personnes déplacées
de longue date»
. Les autorités
de facto d’Abkhazie et d’Ossétie
du Sud et la Russie doivent reconnaître officiellement ce droit
au retour. La rapporteuse soutient totalement la récente résolution
(A63/L.79) de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la situation
des personnes déplacées et des réfugiés d’Abkhazie, de Géorgie et
de la région de Tskhinvali/Ossétie du Sud, et en particulier la
reconnaissance du «droit qu’ont tous les réfugiés et personnes déplacées,
et leurs descendants, indépendamment de leur appartenance ethnique,
de regagner leurs foyers dans l’ensemble de la Géorgie, notamment
en Abkhazie et en Ossétie du Sud». Elle soutient également «la nécessité
de respecter les droits de propriété de toutes les personnes déplacées
et des réfugiés touchés par les conflits en Géorgie, et de s’abstenir
de se procurer des biens en violation de ces droits». Selon l’avis
de la rapporteuse, les récents signalements de plans de construction
d’une piste d’aviation sur le site de maisons anciennement occupées
par des Géorgiens de souche près de Tskhinvali sont fort préoccupants
et compromettent à la fois le retour et la restitution des biens
.
2.5. Approvisionnement en énergie, notamment en gaz
et en eau
19. L’approvisionnement en énergie est indispensable
tout au long de l’année et particulièrement en hiver. Il est impératif
que l’accès aux ressources pour les personnes qui vivent des deux
côtés des frontières administratives soit maintenu et que l’énergie,
en particulier, ne soit pas utilisée comme arme politique aux dépens
de ceux qui ont en besoin pour se chauffer en hiver.
2.6. Dialogue avec la société civile
20. Les populations ont le droit d’être informées, de
savoir et de communiquer. L’instauration d’un dialogue de confiance
est indispensable pour que toutes les parties au conflit entre la
Géorgie et la Russie puissent se fier les unes aux autres. Le Conseil
de l’Europe a un rôle important à jouer pour aider la société civile
et encourager le dialogue. Il est nécessaire de prendre des mesures
pour favoriser une société civile dynamique et indépendante dans
les régions séparatistes, et pour encourager toutes les parties
au conflit à se montrer plus ouvertes et désireuses de faciliter
le dialogue et les contacts au niveau de la société civile.
2.7. La sécurité, une question primordiale
21. La sécurité est une question primordiale pour les
populations qui vivent à proximité de la frontière administrative
et pour celles en situation minoritaire, comme les Géorgiens de
souche de la région de Gali ou du district d’Akhalgori. Les observateurs
de l’OSCE (jusqu’à leur départ) et de la MSUE ont signalé de graves incidents
à la frontière administrative, notamment des fusillades, des objets
piégés et des arrestations, qui concourent à l’insécurité dans la
région. Qui plus est, cette situation n’a pas été améliorée par
les récentes interventions navales ni par les menaces des différentes
parties de recourir à la force pour protéger les intérêts navals.
22. Dans le district de Gali, l’insécurité est exacerbée par le
retrait de la MONUG, en plus des inquiétudes sérieuses de harcèlement
de personnes d’origine minoritaire dans la région, des difficultés
croissantes liées à l’enseignement dans la langue maternelle, de
la «passeportisation» obligatoire et des craintes de conscription forcée.
La situation à Akhalgori demeure difficile pour des raisons similaires
pour beaucoup de personnes d’origine ethnique géorgienne qui ont
quitté la région au cours de l’année. Les autorités de facto en Abkhazie et en Ossétie
du Sud, ainsi que la Russie, ont l’obligation de garantir la sécurité
de toutes les personnes sous leur contrôle de
facto.
23. La rapporteuse estime que l’Assemblée parlementaire devrait
rester particulièrement vigilante à l’égard des zones de Gali et
d’Akhalgori pour des questions de sécurité, mais également au vu
des problèmes humanitaires et de droits de l’homme qu’elles soulèvent.
24. En outre, la rapporteuse s’inquiète au sujet des interventions
et incidents navals, notamment de l’incident au cours duquel le
capitaine turc d’un vaisseau faisant cap sur l’Abkhazie a été arrêté
et condamné à de la prison, mais libéré par la suite. Compte tenu
des diverses déclarations et des menaces qui émanent des différentes
parties, il y a un risque manifeste de déclenchement d’hostilités
navales qui, si le problème n’est pas réglé, pourraient conduire
à d’autres hostilités.
3. Conclusions et recommandations
25. La rapporteuse se félicite de l’évaluation franche
de la commission de suivi dans son rapport, qui traite de questions
politiques mais aussi des plus grandes inquiétudes à l’heure actuelle
en matière humanitaire et de droits de l’homme.
26. Dans son avis, la rapporteuse s’est efforcée de démontrer
qu’une multitude de questions humanitaires et de droits l’homme
sont bloquées par le problème d’accès aux régions séparatistes d’Abkhazie
et d’Ossétie du Sud. Dès que ce problème est évoqué, la question
du statut des territoires est soulevée par l’une ou l’autre partie.
Le 9 septembre 2009, la rapporteuse a pu s’adresser aux Délégués
des Ministres du Conseil de l’Europe sur les conséquences humanitaires
de la guerre entre la Géorgie et la Russie. Dans son allocution, elle
a déclaré que trois priorités s’imposent dès lors qu’il s’agit de
questions humanitaires et de droits de l’homme:
«l’accès, l’accès et l’accès» .
La rapporteuse espère que l’échange de vues avec les Délégués des Ministres
servira de base à l’étude de plusieurs questions humanitaires et
de droits de l’homme qui dépendent de cet accès, et ont été soulevées
non seulement dans le présent avis et dans le projet de résolution
devant l’Assemblée, mais aussi dans les précédentes résolutions
et recommandations de l’Assemblée sur la guerre et ses conséquences.
27. Le Conseil de l’Europe, la communauté internationale et les
personnes qui vivent dans la région ne doivent être pris en otage
par aucune des parties au conflit, aussi bien lorsque cela concerne
l’accès que quand des intérêts humanitaires et de droits de l’homme
sont en jeu. Dans ces deux cas, la question de l’accès doit être
clairement séparée de celle du statut des régions séparatistes.
28. En conséquence, la rapporteuse propose un certain nombre d’amendements
afin de mettre l’accent sur plusieurs préoccupations humanitaires
et de droits de l’homme et sur les mesures à prendre pour les surmonter.