1. Introduction
1.1. Portée du rapport
1. Le 16 septembre 2005, j’ai été nommé rapporteur de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
sur la question de la « Reconnaissance juridique des couples de
même sexe en Europe » sur la base d’une proposition de recommandation
(Doc. 10640) présentée par M. Jurgens et plusieurs de ses collègues.
En 2006, une nouvelle proposition de résolution relative à la « Liberté
de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels
et des transsexuels dans les États membres du Conseil de l'Europe » (Doc. 10832)
a été renvoyée à la commission pour être intégrée dans mon rapport
sur la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe.
2. En janvier 2008, une troisième proposition de recommandation
(Doc. 11423) relative à la « Discrimination sur la base de l’orientation
sexuelle et de l’identité de genre » a été renvoyée pour rapport
à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
En avril 2008, l’Assemblée a estimé que cette proposition devrait
être intégrée dans le rapport car elle couvrait les deux thèmes
sur lesquels je travaillais.
3. Par conséquent, il fut décidé de prendre comme nouveau cadre
de ce rapport la proposition de recommandation la plus large, à
savoir celle qui concerne la discrimination sur la base de l’orientation
sexuelle et de l’identité de genre et, dans ce nouveau cadre, de
modifier le titre du rapport en conséquence, et de mettre notamment
l’accent sur les questions relatives à la liberté de réunion et
d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels
et à la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe.
1.2. Terminologie
4. La terminologie suivante sera utilisée dans le rapport:
- L’orientation sexuelle renvoie
à la capacité de chacun de ressentir à l’égard de personnes du sexe opposé,
du même sexe ou de plus d’un sexe, une profonde attirance émotionnelle,
affective et sexuelle et d’entretenir avec ces personnes des relations
intimes et sexuelles ;
L’orientation sexuelle est une part profonde de l’identité de chaque
être humain ; elle englobe l’hétérosexualité, la bisexualité et l’homosexualité.
Cette dernière est désormais dépénalisée dans tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe.
- L’identité de genre désigne l’expérience intime et personnelle
de son genre telle que profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde
ou non au genre assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle
du corps (qui peut également impliquer, si consentie librement,
une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par
des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d’autres expressions
du genre comme la façon de s’habiller, de parler et de se comporter .
- Le terme « personne transgenre » (ou, simplement, « personne
trans ») concerne toute personne dont l’identité de genre ne correspond
pas au genre assigné à la naissance et/ou qui veut établir une distinction
entre son identité de genre et le genre qui lui a été échu à la
naissance ; ce terme désigne aussi les personnes qui sentent qu’elles
doivent ou préfèrent – que ce soit à travers des codes vestimentaires,
des accessoires, des cosmétiques ou des modifications corporelles –
se présenter à l’opposé des attentes du rôle associé au sexe qui
leur a été attribué à la naissance.
- Transsexuel : personne qui préfère un autre sexe que celui
de sa naissance et qui éprouve le besoin d’apporter des modifications
physiques à son corps pour exprimer ce sentiment (par exemple, traitement hormonal
et/ou chirurgie).
- L’expression « personnes LGBT » s’emploie pour décrire
les personnes qui se définissent comme lesbiennes, gay, bisexuelles
ou transgenres ; elle ne suggère pas qu’il y ait une seule et même
identité «LGBT» .
- Homophobie : sentiment irrationnel de peur et d'aversion
à l'égard de l'homosexualité et des personnes lesbiennes, gay et
bisexuelles, fondé sur des préjugés .
- Transphobie : peur irrationnelle de la non-conformité
ou de la transgression du genre.
1.3. Élaboration du
rapport
Dans le cadre des mandats concernant
la liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays,
des bisexuels et des transsexuels et la reconnaissance juridique
des couples de même sexe en Europe
5. Dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, j’ai
effectué une visite en Espagne (mai 2006) et en Lettonie (octobre 2007),
j’ai présenté en juin 2007 à la commission une note introductive
sur la « Reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe »
et, en mars 2008, une note d'information sur « La liberté de réunion
et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels
dans les États membres du Conseil de l'Europe et la reconnaissance
juridique des couples de même sexe en Europe »
.
6. Vu les réactions vives et la forte opposition que soulève
ce sujet dans plusieurs pays, j’ai proposé en janvier 2008 à la
commission de tenir un échange de vues avec des experts en la matière,
en vue de mettre en évidence les facteurs qui ont contribué à l’évolution
(positive) des mentalités et de la législation dans plusieurs pays,
ainsi que les difficultés rencontrées dans ces domaines. Cet échange
de vues a eu lieu le 7 mars 2008 avec la participation des experts
suivants
:
- M. Jeffrey Weeks, Professeur
de sociologie, Directeur de recherche, Université de Londres South
Bank
- M. Louis-Georges Tin, universitaire, fondateur de l'IDAHO
(Journée internationale contre l’homophobie)
- Mme Joke Swiebel, ancienne
membre du Parlement européen et Présidente du Groupe LGBT du Parlement
européen
- M. Maxim Anmeghichean, Directeur
de programmes, ILGA Europe
(International Lesbian and Gay Association)
- M. Dennis van der Veur, Conseiller, Bureau du Commissaire
aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
Dans le cadre du mandat actuel
concernant la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre
7. Puisque mon mandat a été étendu à la question plus vaste de
la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité
de genre, la commission a tenu un second échange de vues avec des experts,
afin de compléter la première audition tenue en 2008, qui mette
notamment en exergue les normes des droits de l’homme concernant
ces questions, ainsi que les questions portant sur l’identité de
genre. Cet échange de vues a eu lieu à Berlin le 24 mars 2009 avec
la participation des experts suivants :
- M. Hans Ytterberg,
Directeur général, Ministère de l’intégration et de l’égalité entre
les femmes et les hommes, président du Comité d’experts (intergouvernemental)
sur la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de gendre (DH-LGBT) du Conseil de l’Europe, ancien médiateur suédois
chargé de la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation
sexuelle
- Mme Julia Ehrt, TransGender
Europe (TGEU) (Berlin)
- Professeur Igor Kon, chercheur, Institut d’ethnologie
et d’anthropologie, Académie des sciences russe (Moscou)
- M. Ioannis Dimitrakopoulos, Chef du département Egalité
et Droits des citoyens, Agence européenne pour les droits fondamentaux
de l’Union européenne
- M. Dennis van der Veur, Conseiller, Bureau du Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
8. J’ai également effectué des visites en Pologne (novembre 2008)
et en Lituanie (avril 2009). Malheureusement la visite prévue en
Moldova en mai 2009 a dû être annulée en raison de la situation
politique dans le pays.
1.4. But du rapport
9. Il importe de souligner que le présent rapport n’entend
pas être un rapport de suivi car son but n’est pas d’évaluer la
situation dans des pays déterminés. Le rapport a plutôt pour objet
de présenter les problèmes qui se posent, les raisons qui sous-tendent
la diversité observée dans les Etats membres du Conseil de l'Europe sur
ces questions et les facteurs qui ont déjà permis des changements
positifs dans un certain nombre de pays, ou qui pourraient contribuer
à susciter de tels changements, tant dans les attitudes à l’égard
des personnes LGBT que dans la mise en place d’une législation assurant
l’égalité. En d’autres termes, j’entends insister sur le processus
susceptible de conduire à une approche des personnes LGBT compatible
avec les droits de l'homme et souligner que le Conseil de l’Europe
a le devoir de promouvoir un message clair de tolérance, de respect
et de non-discrimination.
10. En outre, compte tenu des très nombreux préjugés et du manque
de connaissances sur les questions en jeu, j’estime que le présent
rapport a une forte dimension «éducative». Il devrait aussi donner
aux membres de l’Assemblée parlementaire et au grand public l’occasion
de tenir des débats ouverts et directs sur ces sujets, au vu des
normes internationales pertinentes en matière de droits de l'homme.
2. Discrimination
sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre
2.1. Une discrimination
largement répandue dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
11. L’homosexualité est désormais dépénalisée dans tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Toutefois, les attitudes
homophobes et transphobes étant profondément enracinées dans la
majorité de ces Etats, les personnes LGBT, ainsi que les défenseurs
des droits de l'homme qui s’occupent de promouvoir les droits de
ces personnes, se heurtent à des préjugés bien ancrés, à une hostilité
et à une discrimination largement répandue dans toute l’Europe.
Cette discrimination se manifeste dans les secteurs juridique, politique
et/ou social et ne se limite pas à la sphère publique mais a aussi
pour cadre la famille, en particulier dans le cas des jeunes.
12. Le manque de connaissances et de compréhension concernant
l’orientation sexuelle et l’identité de genre est un défi à relever
dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, car il
entraîne de nombreuses violations des droits de l’homme, qui touchent
à la vie de millions de personnes. Parmi les principaux sujets de
préoccupation, citons la violence physique et verbale (crimes et
discours de haine), les restrictions injustifiées de la liberté
d’expression, de réunion et d’association, les violations du droit
au respect de la vie privée et familiale, les violations des droits
à l’éducation, au travail et à la santé, ainsi que la stigmatisation
récurrente.
13. L’homophobie et la transphobie ont des conséquences particulièrement
graves pour les jeunes LGBT : brutalités fréquentes, enseignants
parfois peu coopératifs ou hostiles et, enfin, programmes scolaires
qui ignorent les questions relatives aux LGBT ou propagent des comportements
homophobes ou transphobes. Comme l’a déjà souligné l’Assemblée,
des attitudes discriminatoires au sein de la société alliées au
rejet de la famille peuvent être extrêmement préjudiciables à la
santé mentale des jeunes LGBT, comme en attestent des taux de suicide
beaucoup plus élevés que dans le reste de la population jeune
.
14. À cet égard, un rapport publié en 2009 par l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne (FRA) sur l’homophobie et la
discrimination fondées sur l’orientation sexuelle (voir aussi la
section III ci-après) fournit une analyse très utile de la situation
dans les Etats membres de l’Union européenne. Il conclut que la discrimination
et le harcèlement à l’encontre des personnes LGBT sont largement
répandus à travers l’Union européenne. Le rapport note également
que le discours de haine prononcé par des personnalités publiques est
un phénomène particulièrement alarmant. À l’instar d’autres formes
de crimes de haine, peu de crimes homophobes et transphobes sont
déclarés aux autorités publiques. Toujours selon la FRA, les exemples
les plus inquiétants relevés dans les médias présentent les personnes
LGBT comme des pervers ou associent l’homosexualité à la pédophilie.
Quant aux personnes transgenres, elles se trouvent confrontées à
des comportements encore plus négatifs que les personnes LGB.
15. Les organisations non gouvernementales signalent aussi une
discrimination largement répandue dans des Etats membres hors-Union
européenne (voir, en particulier, la section IV ci-après), affirmant
que, lorsque la présence de personnes LGBT se manifeste peu dans
un pays, c’est simplement le signe évident de leur situation difficile.
16. Etant donné le manque de données précises concernant la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les
Etats membres du Conseil de l’Europe n’appartenant pas à l’Union européenne,
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a lancé
la proposition de compléter l’étude réalisée par l’Union européenne
en vue de couvrir les États du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres
de l’Union européenne.
17. Les personnes transgenres se trouvent confrontées à un cycle
vicieux de discrimination et de privation de leurs droits dans de
nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe en raison de comportements discriminatoires,
mais aussi des obstacles qu’elles rencontrent pour obtenir un traitement
de conversion sexuelle et une reconnaissance juridique. Cette situation
a pour conséquence, entre autres, un taux de suicide relativement
élevé.
18. En effet, les personnes dont la représentation de genre,
l’identité de genre ou le rôle de genre diffèrent de la norme admise
dans la société sont victimes de discrimination, de moquerie, de
harcèlement ou, même, de violence physique. Aussi, de nombreuses
personnes transgenres participent peu, voire pas du tout, à la vie sociale
et publique, tandis que beaucoup d’autres sont tellement traumatisées
et effrayées par l’hostilité rencontrée qu’elles se trouvent dans
l’incapacité de mener une vie normale dans la dignité. Lorsqu’elles
sont représentées, leur image – dans les médias, les programmes
éducatifs et l’art – repose sur des idées fausses, sur l’ignorance
et sur un manque de connaissance.
19. La discrimination à l’égard des personnes transgenres se manifeste
essentiellement dans le secteur de la santé et sur le marché du
travail, et elles sont très exposées aux crimes de haine. Il semblerait
que beaucoup de gens, y compris des médecins et des enseignants,
ne savent tout simplement pas de quoi il s’agit et associent le
phénomène à de la prostitution dans des lieux exotiques.
20. Les effets de la discrimination sont aggravés par les difficultés
qu’ont ces personnes à obtenir que soit pratiquée l’intervention
médicale nécessaire à la réalisation de leur identité de genre et
que soit juridiquement reconnu leur changement de sexe. Ces difficultés
peuvent grandement entraver la jouissance d’autres droits, en particulier
le droit au travail ; de ce fait, de nombreuses personnes transgenres
se retrouvent dans la pauvreté et, dans certains Etats membres,
n’ont d’autre solution que de travailler dans l’industrie du sexe. Cette
exclusion sociale extrême entraîne de graves risques pour la santé
et une grande vulnérabilité aux mauvais traitements susceptibles
d’être infligés par la police ou des délinquants.
21. Le 10 mars 2009, un militant des droits de l'homme transgenres
reconnu, personnalité de premier plan de l’association
Lambda Istanbul, a été tué à l’arme
blanche. C’est le deuxième assassinat récent d’un membre de cette
organisation. Entre janvier et mai 2009, l’on a signalé le meurtre
de cinq personnes transgenres en Turquie, faits qui s’inscrivent
dans une constante – par exemple, 15 hommes gay et personnes transgenres auraient
été assassinées entre janvier et octobre 2007
.
Les ONG ont dénoncé ce climat de violence fondée sur l’identité
de genre en Turquie. Enquêter sur les actes de violence perpétrés
contre les personnes LGBT, poursuivre en justice les suspects et
adopter une législation efficace pour assurer l’égalité sont toutes
des mesures essentielles à prendre pour mettre fin à ces assassinats.
22. En dehors du respect de leurs droits à la vie et à la sécurité,
changer de nom et de genre est essentiel dans la vie des personnes
transgenres. Pourtant, cette « entrée » dans la société n’existe
pas – ou est rendue très difficile – dans de nombreux Etats membres
du Conseil de l’Europe, qui violent ainsi la Convention européenne
des droits de l’homme (CEDH) (droit au respect de la vie privée,
article 8, voir l’affaire
B c. France). Sans
reconnaissance du nom et du genre, les personnes transgenres sont
marquées comme telles (sur leurs papiers d’identité, cartes bancaires,
diplômes scolaires et/ou universitaires, etc.), ce qui entraîne
une stigmatisation dans tous les aspects de la vie et rend pratiquement
impossible toute participation à la vie sociale (voyages, recherche
d’emploi, etc.). En conséquence, il s’avère nécessaire :
- de garantir aux personnes transgenres
les droits à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et à
la dignité ;
- d’inclure l’identité de genre dans la législation anti-discrimination ;
- d’assurer aux personnes transgenres la possibilité de
changer de nom et de genre ;
- de garantir aux personnes transgenres un accès aux traitements
médicaux dont elles ont besoin pour réaliser leur identité préférée,
financés comme à n’importe quel autre traitement médical nécessaire.
23. L’ONG TransGender Europe a identifié de la sorte huit droits
humains essentiels pour les personnes transgenres :
23.1. le droit à la sécurité en public
et en privé ;
23.2. Un même droit à obtenir et à garder un emploi, sans préjugé ;
23.3. le droit à des documents et papiers officiels qui reflètent
la réalité des personnes vivant dans un rôle de genre choisi, y
compris :
a. le droit de changer
de nom, y compris pour adopter un nom du genre opposé (dans les
pays où le genre des noms est « marqué »), sans obligation de traitement
médical préalable ;
b. le droit de changer de genre dans tous les documents officiels
sans obligation de traitement médical préalable ;
23.4. le droit d’être reconnu pour toutes les circonstances
officielles et/ou à caractère juridique dans le rôle de genre choisi,
sans obligation de traitement médical préalable ;
23.5. le droit de bénéficier de traitements de conversion sexuelle
de qualité acceptable ;
23.6. le droit d’être traité à égalité dans tous les autres
secteurs de santé, sans préjugé aucun ;
23.7. le droit d’accéder à égalité à l’emploi, aux biens, aux
services, au logement et autres dispositifs, sans préjugé ;
23.8. le droit à la reconnaissance des unions entre personnes
(y compris le mariage), ainsi qu’à fonder une famille et à subvenir
à ses besoins.
24. Dans ce cadre, deux récents arrêts rendus par la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») à propos de personnes transgenres
méritent d’être cités : l’un concerne la Suisse, l’autre la Lituanie,
l’un des pays où je me suis rendu. En janvier 2009, la Cour a condamné
la Suisse (Schlumpf c. Suisse, requête n° 29002/06) dans une affaire
concernant le refus d’une compagnie d’assurance de prendre en charge
une opération de conversion sexuelle. Dans son arrêt, la Cour a
mentionné, en particulier, l’importance de questions concernant
l’un des aspects les plus intimes de la vie privée, à savoir l’identité
de genre d’une personne, pour faire la part entre l’intérêt général
et les intérêts de l’individu. S’agissant de l’affaire lituanienne (L.
c. Lituanie, arrêt définitif du 31 mars 2008), la Cour a estimé
qu’à cause d’un vide juridique en matière de conversion sexuelle
des personnes transgenres, le requérant s’était retrouvé dans une
situation de pénible incertitude quant à sa vie privée et à la reconnaissance
de son identité réelle. Pour ce qui est de ce vide juridique, j’ai
appris, lors de mon séjour en Lituanie, que les autorités n’avaient
pas l’intention d’adopter de législation sur la conversion sexuelle
des transsexuels malgré l’arrêt rendu par la Cour, en 2008, condamnant la
Lituanie. Cette législation est nécessaire pour mettre en œuvre
le droit prévu par le nouveau code civil depuis 2003. J’espère que
des collègues courageux du Parlement lituanien se saisiront de cette
question et proposeront une telle loi, conforme à l’arrêt de la
Cour.
25. Sur une note plus positive, notons qu’en mai 2009, la France
a annoncé que la transsexualité ne serait plus considérée comme
une affection psychiatrique.
26. Une grande partie de la discrimination à laquelle les personnes
LGBT sont en butte découle du refus de certains éminents responsables
politiques, « leaders » d’opinion et chefs religieux d’admettre
que les personnes LGBT doivent jouir des mêmes droits que les autres
êtres humains. Un discours extrêmement homophobe et transphobe imprègne
la sphère publique dans certains Etats membres et donne une légitimité à
ces agents de l’Etat – policiers, gardiens de prison, procureurs,
juges, fonctionnaires locaux et même médiateurs – qui ne défendent
pas, et même parfois pourfendent, les droits des personnes LGBT.
27. Les personnes LGBT sont parfois perçues comme une « menace
» pour le reste de la société. À l’occasion de ma visite d’information
en Lettonie, des responsables politiques ont qualifié l’homosexualité
et les Marches des fiertés (« Gay Prides ») de « fléau envahissant
» et de « problème importé de l’étranger », refusant d’admettre
qu’il s’agissait d’une question de droits de l’homme. Heureusement,
ces points de vue ont été vigoureusement contestés par d'autres
parlementaires que j'ai rencontrés.
28. Dans beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe, les
personnes LGBT ne sont pas protégées par une législation contre
la discrimination ou contre les crimes de haine du fait que l’orientation
sexuelle et l’identité de genre ne figurent pas explicitement parmi
les motifs de discrimination. De plus, parfois les personnes LGBT
ne trouvent pas de réponse adéquate auprès des forces de l’ordre.
29. Cette situation a des conséquences particulièrement graves
non seulement pour les militants LGBT, souvent les premiers ciblés,
mais parfois aussi pour ceux qui contribuent à promouvoir les droits
des LGBT (responsables politiques, avocats, syndicalistes, etc.)
– qui, d’ailleurs, à des fins de discrédit, se voient eux-mêmes
« accusés » d’homosexualité. Cela se vérifie particulièrement pour
les questions de liberté d’expression, d’association et de réunion,
les autorités interdisant alors les marches et manifestations des LGBT
dans un certain nombre de pays, allant même, parfois, jusqu’à essayer
d’empêcher les débats publics sur l’homosexualité. Ainsi, en Lettonie,
des militants pour les droits des LGBT ont vu leurs informations personnelles
publiées sur des sites web. En conséquence, trop souvent, comme
j’ai pu le constater lors de mes visites dans certains pays, trop
peu de gens, même parmi les principaux défenseurs des droits de l’homme,
s’opposent à l’homophobie et à la transphobie.
30. Les responsables politiques et religieux prétendent parfois
que les sociétés ne sont pas prêtes à accepter l’homosexualité.
Pourtant, comme l’ont souligné les participants à l’audition de
mars 2008, il s’avère que ces responsables sont eux-mêmes parfois
la source de l’intolérance constatée dans la société. Leurs déclarations,
en attisant la haine et la violence, peuvent même quelquefois mettre
en danger la vie des personnes LGBT. Parmi les auteurs de discrimination,
beaucoup justifient leur attitude en invoquant la « moralité » ou
des questions liées à l’ordre public, à la liberté de pensée, de
conscience et de religion. À cet égard, la Cour apporte une référence
cruciale. Elle considère, en particulier, que les différences de
traitement fondées sur l’orientation sexuelle ne peuvent se justifier
que pour des raisons particulièrement graves (voir ci-après). Pour
ma part, j’estime que les parlementaires ont le devoir d’informer
convenablement les citoyens sur ces questions, ainsi que d'améliorer
la protection des droits de l’homme, tout particulièrement en faveur
des personnes les plus exposées.
31. À l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie,
le 17 mai 2009, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a déclaré
: « […] je m’inquiète plus encore des convictions des dirigeants
de certains partis politiques. On ne peut accepter que des personnes
investies d’une autorité officielle ou morale en Europe se conduisent
encore comme si la Convention européenne des droits de l'homme ne
s’appliquait pas aux homosexuels ».
32. En Lituanie, en avril 2009, j’ai appelé les autorités à ne
pas adopter une proposition d’amendement à la Loi relative à la
protection des mineurs face aux effets préjudiciables de l’information
publique visant à interdire la « propagande en faveur de l’homosexualité
et de la bisexualité » auprès des jeunes. Cet amendement mettait
l’homosexualité sur le même plan que, par exemple, la représentation
de violences physiques ou psychologiques ou le vandalisme, et interdisait
les discussions sur l’homosexualité dans les écoles et toute référence
à l’homosexualité dans des informations publiques accessibles aux
enfants. Amnesty International a rappelé, en juin 2009, que cet
amendement violerait les droits de l’homme et renforcerait l’homophobie,
et qu’il s’inscrivait dans un « climat croissant d’intimidation
et de discrimination prévalant en Lituanie à l’encontre des personnes
LGBT » . L’amendement a ensuite été adopté, puis mis en veto par
le Président lithuanien (sortant), en juin 2009, mais le parlement
a rejeté le veto présidentiel. Toutefois, fin juillet 2009, la nouvelle Présidente
aurait estimé que la loi devait être examinée par des experts en
droits de l’homme. Je soutiens fermement une révision de la loi,
conformément aux normes des droits de l’homme. Enfin, en août 2009,
j'ai été informé que de nouveaux projets d’amendements au Code pénal
et au Code administratif concernant les relations homosexuelles
soulèvent eux aussi de vives inquiétudes. A nouveau, j'appelle mes
collègues lituaniens à adopter une législation conforme aux normes
en matière de droits de l'homme (voir le paragraphe 40 ci-dessous).
33. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de s’attaquer à ces
questions car elles concernent des dizaines de millions d’Européens
dont les droits consacrés par la Convention européenne des droits
de l'homme sont bafoués du fait de leur orientation sexuelle ou
de leur identité de genre.
34. Il convient toutefois de saluer, dans certains Etats membres
du Conseil de l’Europe, l’existence de bonnes pratiques telles que
réunions et auditions avec des personnes LGBT et des prises de position vigoureuses
contre la discrimination, ainsi que l’ont souligné des experts lors
de l’audition de 2009 organisée par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme (à ce sujet, voir aussi le rapport
de la FRA).
35. Selon la FRA, la lutte contre les violations des droits fondamentaux
exige, en tout premier lieu, un solide engagement politique envers
les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination,
ainsi qu’une réelle prise de position contre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans cette perspective,
la FRA estime que les travaux de normalisation menés par le Conseil
de l’Europe, ainsi que la jurisprudence de la Cour, sont d’une importance
cruciale. En second lieu, ce combat nécessite une bonne connaissance
de la situation avec des données fiables à l’appui. Dans bon nombre
d’Etats membres, les organes de promotion de l’égalité et autres
organismes spécialisés doivent encore mettre en place des mécanismes
de collecte des données et encourager activement les personnes LGBT
à se manifester et à porter plainte en cas de discrimination. Des
campagnes s’imposent pour informer le public sur la diversité et
la non-discrimination. La FRA a invité les responsables politiques
de l’Union européenne à réviser la législation sur l’égalité et
à assurer l’exactitude des informations, afin d’améliorer la situation.
2.2. L’homosexualité
– en finir avec les préjugés
36. Comme indiqué plus haut, selon la FRA, les exemples
les plus inquiétants relevés dans les médias, en ce qui concerne
les Etats membres de l’Union européenne, représentent les personnes
LGBT comme des pervers ou associent l’homosexualité à la pédophilie.
37. Le tableau ci-après présente certains préjugés sur l’homosexualité
parmi les plus courants et donne un exemple concret de la façon
dont on peut contrer ces préjugés par des arguments précis. Les
réponses apportées par le droit international des droits de l'homme
sont présentées dans un autre tableau au chapitre III ci-dessous.
PREJUGES
LES PLUS COURANTS
|
REPONSE
|
«L’homosexualité
est une maladie»
|
L’Organisation
mondiale de la santé a reconnu il y a presque 20 ans que l’homosexualité
n’est pas une maladie.
|
«L’homosexualité
est anormale»
«c’est
un déséquilibre de la personnalité»
|
La
communauté scientifique et médicale estime majoritairement que l’homosexualité
est une variante naturelle du comportement humain.*
|
*
«Malgré la persistance des stéréotypes selon lesquels les gays,
les lesbiennes et les bisexuels seraient perturbés, plusieurs décennies
de recherche et d’expériences cliniques ont conduit toutes les grandes
organisations médicales et psychiatriques de ce pays à conclure
que ces orientations sont des formes normales de l’expérience humaine.» (American
Psychological Association)
|
«L’homosexualité
est immorale»
|
Il
s’agit là d’un point de vue subjectif, le plus souvent lié à une
croyance religieuse, qui ne peut justifier une limitation des droits
de quiconque dans une société démocratique.
|
«L’homosexualité
se développe»
|
Le
nombre de gays, de lesbiennes et de bisexuels n’augmente pas mais
ils deviennent plus visibles.*
|
*
Le gouvernement britannique estime que les gays, les lesbiennes
et les bisexuels représentent entre 5 et 7 % de la population. Avec
la baisse de la discrimination, ces personnes révèlent plus facilement
leur orientation sexuelle, ce qui donne l’impression que leur nombre
augmente.
|
«L’homosexualité
aggrave la crise démographique et menace l’avenir de la nation»
|
Il
est manifestement illogique de reprocher à une petite minorité le
déclin démographique d’un pays et cela ne sert qu’à empêcher de
traiter les véritables causes de ce déclin.*
|
*
Le déclin démographique n’a rien à voir avec la défense des droits
des gays, des lesbiennes et des bisexuels. En réalité, les pays
nordiques ,
qui font partie des pays d’Europe ayant le mieux réussi à l’enrayer,
ont été parmi les premiers à octroyer des droits à ces personnes
alors que beaucoup des pays les plus répressifs envers elles connaissent actuellement
des problèmes démographiques graves.
|
«La
reconnaissance juridique des couples homosexuels met en danger la
famille traditionnelle»
|
La
reconnaissance juridique des couples homosexuels n’a aucun effet
sur le mariage et le nombre d’enfants des hétérosexuels.*
|
*
La famille dite «traditionnelle» (couple hétérosexuel marié avec
enfants) est en perte de vitesse dans beaucoup de pays européens
parce que de plus en plus d’hétérosexuels choisissent de ne pas
se marier, parce que le nombre de divorces augmente et parce que
davantage de couples hétérosexuels mariés choisissent de ne pas
avoir d’enfants. La reconnaissance juridique des couples homosexuels
ne modifiera cette tendance que dans la mesure où elle réduira le nombre
de gays et de lesbiennes qui se sentent obligées de contracter un
mariage hétérosexuel, et le nombre de divorces douloureux qui s’ensuivent.
|
«La
propagande peut convertir de jeunes
gens à l’homosexualité»
|
Rien
n’étaye cette théorie.*
|
*
Si 1600 ans de persécutions – y compris la peine de mort, l’emprisonnement,
la discrimination et l’exclusion sociale – n’ont pas réussi à «convertir»
les homosexuels à l’hétérosexualité, la simple diffusion d’informations
sur l’homosexualité ne va certainement pas influencer l’orientation
sexuelle des hétérosexuels, quel que soit leur âge.
|
«Les
homosexuels sont dangereux pour les enfants»
|
Les
enfants ne sont pas plus menacés par les gays, les lesbiennes et
les bisexuels que par les hétérosexuels.*
|
*
«D’après l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry,
rien ne prouve que les gays et les lesbiennes présentent, en tant
que tels, une menace pour le développement des enfants ou des adolescents,
et condamne toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle
en matière d’emploi ou de prestation de services, s’agissant plus
précisément de postes dans lesquels des services doivent être fournis
ou des traitements appliqués à des enfants et à des adolescents.»
|
38. La position de la Cour européenne des droits de l’homme
dans certains de ses arrêts concernant la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est exposée ci-après.
3. Application des
principes des droits de l'homme à l’orientation sexuelle et à l’identité
de genre
3.1. Les droits des
personnes LGBT au regard du droit international
39. L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne
sont pas explicitement mentionnées parmi les motifs de discrimination
dans les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme (à
l’exception, dans une certaine mesure, des traités de l’Union européenne
),
mais elles sont néanmoins couvertes. La Déclaration universelle des
droits de l'homme de 1948 et la jurisprudence des traités en matière
de droits de l'homme établissent que les droits de l'homme sont
universels et indivisibles : ils s’appliquent à chacun et personne
ne doit en être exclu, car tous les êtres humains sont nés libres
et égaux en dignité et en droits. La non-discrimination et l’égalité sont
donc des composantes fondamentales du droit international des droits
de l’homme. Au titre du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, les motifs de discrimination prohibés comprennent
« la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion
politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale,
la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Dans son Commentaire général
n° 20 sur la non-discrimination adopté en mai 2009, le Comité des
Nations Unies a fourni une liste d’autres motifs prohibés, parmi
lesquels figurent l’orientation sexuelle et l’identité de genre
L’article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit
toute forme de discrimination dans la jouissance des droits et des
libertés reconnus par la Convention, et son Protocole n° 12 comporte
une interdiction générale de la discrimination.
40. Par conséquent, les experts invités à l’audition tenue en
mars 2008 ont souligné que les personnes LGBT ne revendiquent pas
de droits particuliers. Elles veulent simplement jouir des mêmes
droits que tous les autres citoyens des Etats membres du Conseil
de l'Europe, droits consacrés dans des instruments internationaux,
notamment dans la Convention européenne des droits de l'homme, comme
ceux de ne pas être soumis à la torture, de jouir de la liberté
d’expression et de réunion, du respect de sa vie privée, etc.
41. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
comme celle de la Cour européenne de justice, constitue de fait
un cadre de référence essentiel concernant ces questions. Au regard
de la Cour européenne des droits de l’homme, une différence de traitement
est discriminatoire si elle n’a aucune justification objective ni
raisonnable. L’orientation sexuelle constituant un aspect très intime
de la vie privée d’une personne, la Cour considère aussi que les
différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle ne
peuvent se justifier que pour des raisons particulièrement graves
(voir, en particulier, l’affaire
Karner
c. Autriche). Enfin, il ne s’agit pas d’une affaire d’opinion :
les attitudes négatives de la part d’une majorité hétérosexuelle
à l’encontre d’une minorité homosexuelle ne sauraient constituer
une justification suffisante, pas plus que le même type d’attitudes
négatives envers les personnes de race, origine ou couleur différentes (voir,
en particulier, l’affaire
Lustig-Prean
et Beckett c.
Royaume-Uni).
Ainsi la Cour a-t-elle pris d’importantes décisions :
- les relations sexuelles librement
acceptées en privé et entre adultes de même sexe ne doivent pas
être pénalisées ; voir l’affaire Dudgeon
c. Royaume-Uni (1981) ;
- l’âge de consentement pour les actes homosexuels et hétérosexuels
doit être le même ; voir l’affaire S.L. c.
Autriche (2003) dans laquelle la Cour a rappelé que l’orientation
sexuelle était un concept couvert par l’article 14) ;
- les autorités publiques ne peuvent opérer de discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle dans les cas de garde des enfants,
de l’emploi (forces armées) et de liberté de réunion :
- voir l’affaire Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni (1999): interdiction
faite aux homosexuels d’entrer dans l’armée ;
- voir l’affaire Salgueiro Da
Silva Mounta c. Portugal (1999) : refus d’accorder la
garde à un parent vivant une relation homosexuelle, au prétexte
de l’intérêt de l’enfant ;
- voir l’affaire Baczkowski et
autres c. Pologne (2007) : violation du droit à la liberté
de réunion des personnes LGBT ;
- les concubins de même sexe doivent bénéficier des mêmes
droits/avantages que les concubins de sexes différents ; voir l’affaire Karner c. Autriche (2004) :
droits de bail inégaux pour les couples hétérosexuels et homosexuels ;
- si des personnes hétérosexuelles seules ont droit à l’adoption,
il doit en être de même pour les personnes homosexuelles seules ;
voir l’affaire E.B c. France (2008) :
refus de donner suite à une demande d’adoption présentée par une
femme vivant une relation homosexuelle, et ce en raison de son orientation
sexuelle ;
- reconnaissance juridique du genre acquis et droit des
transgenres au mariage ; voir l’affaire Christine Goodwin
c.Royaume-Uni (2002) :
déni de la reconnaissance juridique du genre acquis et du droit
des transsexuels au mariage ;
- obligation de donner la possibilité à des personnes transgenres
de bénéficier des traitements médicaux nécessaires à leur conversion
sexuelle, ainsi que de prévoir le financement de tels traitements
en raison de leur nécessité médicale ; voir les affaires Van Kück c. Allemagne (2003) :refus d’ordonner le remboursement
de coûts supplémentaires pour traitement de conversion sexuelle
d’une personne transgenre ; L. c. Lituanie (2008) :
vide juridique concernant la chirurgie de conversion sexuelle ; Schlumpf c. Suisse (2009) :refus d’une compagnie d’assurance
de prendre en charge la chirurgie de conversion sexuelle.
42. Plusieurs préjugés courants concernant les droits des lesbiennes,
gays et bisexuel(le)s, et la réponse apportée par le droit international
des droits de l’homme, sont répertoriés ci-dessous.
PREJUGES
|
RÉPONSES
APPORTÉES PAR LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME
|
«Pour
une bonne partie de la société, l’homosexualité est inacceptable
au regard des normes sociales et religieuses, ce qui justifie la
discrimination»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les attitudes
correspondant aux préjugés d’une majorité hétérosexuelle envers
une minorité homosexuelle ne peuvent justifier aucune discrimination.
|
«Les
restrictions contre les homosexuels sont justifiées et ne constituent
pas une discrimination»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle est, en général, tout aussi inacceptable
que la discrimination fondée sur le sexe, la race ou la religion.
|
«Les
homosexuels exigent des droits spéciaux»
|
Les
droits revendiqués sont ceux garantis à tous les êtres humains par
le droit international des droits de l’homme, ni plus ni moins.
|
«Accorder
des droits aux homosexuels, c’est en retirer à d’autres, en particulier
aux croyants»
|
Le
seul «droit» retiré est celui de discriminer, qui n’en est pas un !
Des exceptions limitées sont envisageables si la nécessité de protéger
la liberté religieuse les justifie.
|
«On
peut empêcher la propagande au sujet de l’homosexualité car ce n’est
pas la même chose que l’exercice de la liberté de réunion ou d’expression»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le fait de désapprouver
la «propagande au sujet de l’homosexualité» ne justifie pas de priver
quiconque de la liberté de réunion ou d’expression.
|
«La
protection des plus jeunes exige un traitement discriminatoire»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a rejeté cette justification,
estimant que les adolescents du sexe masculin ne pouvaient être
«embrigadés» dans la communauté gay sous l’influence d’expériences homosexuelles
et que, dans la plupart des cas, l’orientation sexuelle était fixée
avant l’âge de la puberté.
|
«La
protection de la famille traditionnelle justifie la discrimination
contre les couples homosexuels»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les pouvoirs
publics devaient démontrer en quoi le fait de refuser aux couples
homosexuels les droits ou les prestations accordés aux familles
traditionnelles protège ces dernières.
|
«Les
homosexuels ne sont pas aptes à élever des enfants»
|
La
Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les gays et les
lesbiennes doivent être traités de la même manière que les hétérosexuels
en ce qui concerne la garde d’enfants et les conditions à remplir pour
l’adoption.
|
43. Comme l’a souligné le commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe, « l’élément nouveau, aujourd’hui, est la
demande de plus en plus importante dans le sens d’une application
cohérente de ces principes universels. L’idée fondamentale est de
rendre encore plus évidente l’évidence suivante : les lesbiennes,
les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels ont les mêmes
droits que toute autre personne. Les normes internationales s’appliquent
également à toutes ces catégories. En d’autres termes, toute discrimination
à l’égard d’un individu pour des raisons d’orientation sexuelle
ou d’identité de genre constitue un cas de violation des droits
de l'homme ». Lors de l’audition de la commission, M. Ytterberg
a conclu en rappelant que l’égalité en dignité et en droits était
un droit humain fondamental, non pas une concession négociable.
44. Il convient, dans ce contexte, de mentionner l’introduction
des « principes de Jogjakarta sur l’application de la législation
internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle
et d’identité de genre » datant de novembre 2006. Ces principes
ont été conçus et adoptés à l’unanimité par un groupe d’éminents spécialistes
des droits de l'homme originaires de différentes régions du monde
et venant d’horizons divers
. C’est un instrument important pour
définir les obligations des Etats en ce qui concerne le respect,
la protection et l’application des droits de l'homme pour toute
personne, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son identité
de genre. Ces principes rappellent également que les droits de l'homme
sont au service de la dignité humaine.
45. Lorsqu’il s’est adressé aux participants à la réunion du Comité
d’experts (intergouvernemental) sur la discrimination fondée sur
l’orientation sexuelle et l’identité de genre, tenue le 18 février
2009, au Conseil de l'Europe, à Strasbourg, M. Michael O’Flaherty,
rapporteur sur les principes de Jogjakarta, a conclu son intervention
par le message d’un blogueur anonyme commentant les principes de
Jogjakarta :
« Hier, je n’étais
personne/rien. Aujourd’hui, après avoir lu ces principes, je me
rends compte que selon le droit international en matière de droits
de l'homme, je suis officiellement un être humain ».
46. Cependant, les tentatives pour instaurer une législation interdisant
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre rencontrent encore souvent des résistances. Par exemple,
au début du mois de mars 2009, un projet de loi antidiscrimination
qui interdisait notamment la discrimination fondée sur l’identité
de genre ou l’orientation sexuelle a été retiré du calendrier des
travaux du Parlement serbe, mais par la suite il a été présenté
à nouveau devant le parlement et finalement adopté. La responsabilité
des parlements nationaux en matière de lutte contre la discrimination
est essentielle
.
Le commissaire aux droits de l'homme n’a cessé d’appeler à la mise
en place d’une législation antidiscrimination complète dans tous
les Etats membres du Conseil de l'Europe.
3.2. Le devoir du Conseil
de l'Europe de promouvoir un message clair de tolérance et de non-discrimination
47. « Plus jamais ça ! ». Le Conseil de l’Europe est
né de cette volonté d’éviter à tout prix que l’histoire ne se répète.
Il a donc pour mission d’assurer une garantie efficace des droits
de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit et de
promouvoir un message clair de tolérance et de lutte contre les discriminations.
A cet égard, n’oublions pas que les homosexuels étaient eux aussi
des victimes des Nazis.
48. En pratique, le Conseil de l'Europe a toujours œuvré pour
l’égalité et la diversité et l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe a déjà condamné à plusieurs reprises la discrimination
en Europe fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre
(voir
également ci-dessous).
49. Le commissaire aux droits de l'homme (qui a fait de la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre l’un des
domaines prioritaires de son Bureau), le Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux du Conseil de l'Europe ainsi que le Secrétaire Général
de l’Organisation ont, à plusieurs reprises, traité ces questions
et condamné l’homophobie et la transphobie.
50. Dans ses réponses aux recommandations de l’Assemblée parlementaire
et du Congrès et, plus récemment, aux questions écrites des membres
de l’Assemblée, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a
également rappelé le principe de l’égalité de jouissance des droits
de l'homme, indépendamment de toute considération comme l’orientation
sexuelle et l’identité de genre et a évoqué principalement les questions
de liberté d’expression, de réunion et d’association et le discours
homophobe. Il a, en outre, réaffirmé que la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle n’était pas compatible avec la valeur
de tolérance et le principe d’égalité que tous les Etats membres
sont tenus de respecter
.
51. En outre, en juillet 2008, le Comité des Ministres a souligné
le profond attachement du Conseil de l'Europe aux principes de l’égalité
des droits et de la dignité de tous les êtres humains, dont les
personnes LGBT. Il a réaffirmé que les normes du Conseil de l'Europe
sur la tolérance et la non-discrimination s’appliquaient à toutes
les sociétés européennes et que la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre n’était pas compatible avec ces
normes.
52. Dans ce contexte, il a été décidé d’élaborer une recommandation
du Comité des Ministres (aux Etats membres) sur les mesures de lutte
contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre ; sa rédaction est en cours. Le Comité des ministres a
aussi lancé des travaux sur la question des diverses formes conjugales
et non conjugales de partenariat et de cohabitation en vue de déterminer d’éventuelles
mesures à prendre pour prévenir la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre (voir ci‑dessous).
53. De plus, le Comité des ministres a adressé un message à tous
les comités participant à la coopération intergouvernementale au
Conseil de l'Europe en les invitant à accorder une attention particulière,
dans leurs activités, à la nécessité pour les Etats membres de prévenir
toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre et d’y remédier, lorsqu’elle se produit. Ces comités ont
été, en outre, chargés de formuler des propositions d’activités
pour renforcer l’égalité des droits et la dignité des personnes lesbiennes,
gay, bisexuelles et transgenres et combattre les attitudes discriminatoires
à leur égard au sein de la société.
3.3. Initiatives récentes
d’autres forums internationaux pour lutter contre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
54. En décembre 2008, 66 Etats, dont 41 sont membres
du Conseil de l'Europe, ont, à l’Assemblée générale des Nations
Unies, approuvé une Déclaration sur les droits de l'homme, l’orientation
sexuelle et l’identité de genre qui condamne les violations fondées
sur ces critères comme les assassinats, les actes de torture, les arrestations
arbitraires et la privation des droits économiques, sociaux et culturels,
dont le droit à la santé. En juin 2008, l’Organisation des Etats
américains a aussi publié une déclaration sur « Les droits de l'homme, l’orientation
sexuelle et l’identité de genre ».
55. La première partie du rapport de l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne sur « L’homophobie et la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle dans les Etats membres de l’Union européenne »
(voir ci-dessus), une étude comparative juridique, a été publiée
en juin 2008. La deuxième partie, une étude comparative sociale,
a été publiée le 31 mars 2009. En juillet 2008, la Commission européenne
a proposé une directive antidiscrimination qui garantirait une protection
égale de tous contre la discrimination fondée sur divers critères,
dont l’orientation sexuelle.
56. En janvier 2009, le Parlement européen a demandé à la Commission
européenne de veiller à ce que les Etats membres accordent l’asile
aux personnes qui fuient les persécutions dont elles font l’objet
dans leur pays d’origine à cause de leur orientation sexuelle, de
prendre des initiatives aux niveaux bilatéral et multilatéral pour
mettre fin aux persécutions du fait de l’orientation sexuelle des
personnes, et de lancer une étude sur la situation des personnes
transgenres dans les Etats membres et les pays candidats, concernant,
en particulier, les risques de harcèlement et de violence.
4. Liberté de réunion
et d’association et liberté d’expression :
des droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des
droits de l'homme
4.1. Développements
récents
57. Le droit des personnes LGBT à la liberté de réunion
et d’association et à la liberté d’expression a rencontré une vaste
opposition dans bon nombre d’États membres du Conseil de l'Europe,
y compris dans des pays membres de l’Union européenne. Cette opposition
s’est manifestée de diverses manières, notamment par l’interdiction
des marches, l’utilisation par certains chefs politiques et représentants
religieux d’un discours intolérant ou malveillant, des agressions
violentes de manifestants (comme en Lettonie en 2005, en Russie
en 2007, en Moldova en mai 2008 et en Hongrie en juillet 2008) et
l’absence de protection adéquate de la part de la police. En 2008,
en Bosnie‑Herzégovine, de nombreuses publications ont appelé à « lyncher
et lapider » les organisateurs du « Queer Festival » (Festival LGBT)
de Sarajevo et huit personnes ont été blessées à l’ouverture de
la manifestation. En Lituanie, en 2007, les autorités de Vilnius
ont même refusé d’accorder l’autorisation à un camion anti-discrimination
de l’Union européenne de faire étape dans la ville comme initialement
prévu dans le cadre de l’Année de l’égalité des chances pour tous.
58. Dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe – par
exemple, en Lituanie et en Moldova – des organisations LGBT ont
renoncé à tenir une Marche des fiertés en 2009. En Russie, la Marche
des fiertés de Moscou s’est à nouveau vue interdite en 2009. En
mai 2009, la police a violemment dispersé les manifestants lors
de la Marche slave des fiertés à Moscou (interdite), arrêtant un
certain nombre de militants qui protestaient contre la discrimination
des personnes LGBT. Toujours en Russie, en mai 2009, dans une quarantaine
de villes, des militants ont organisé une mobilisation éclair (« Rainbow
Flashmob ») en l’honneur de la Journée internationale contre l’homophobie,
arborant des slogans contre leur invisibilité (comme à Saint-Pétersbourg, par
exemple). En Ukraine, les autorités municipales de la ville de Mykolayiv
ont interdit le festival « Rainbow spring 2009 » pour la deuxième
année consécutive.
59. Dans certains cas, cependant, les tribunaux ont finalement
réussi à annuler les interdictions imposées par les autorités municipales.Ainsi, en Lettonie, en mai 2009,
l’interdiction de la Marche balte des fiertés a finalement été levée
et la manifestation s’est déroulée dans le calme.En mai 2008, un tribunal d’Istanbul
a ordonné la dissolution de l’association LGBT dénommée Lambda Istanbul.Cette décision a finalement été annulée
en appel par la Cour suprême en novembre 2008.
60. Comme l’a souligné le Congrès en 2007 à l’occasion de son
débat sur la liberté de réunion et d’expression des lesbiennes,
des gays, des bisexuels et des transsexuels, les récents incidents
homophobes survenus dans plusieurs États membres ont montré que
non seulement les droits fondamentaux de la communauté LGBT étaient
systématiquement bafoués, mais aussi que bien souvent les autorités
ayant l’obligation positive de protéger les citoyens contre la discrimination
sont les mêmes qui en réalité cautionnent, voire dans certains cas
soutiennent activement ou commettent ces injustices. En revanche,
dans certains Etats membres de l’Union européenne, des organisations
LGBT ont célébré des «Marches des fiertés» avec la participation
de ministres, de partis politiques et, parfois, d’instances religieuses.
En Suède, le ministre des Affaires européennes a ouvert l’EuroPride
2008 de Stockholm, événement qui a attiré plus de 80 000 participants,
dont l'Eglise luthérienne suédoise
..
61. Il est manifestement nécessaire de réaffirmer les normes dans
ce domaine et d’exhorter les autorités concernées à les appliquer.
4.2. Les normes
62. La liberté d’expression et la liberté d’association
et d’assemble sont consacrées par la Convention européenne des droits
de l’homme (articles 10 et 11), qui a été ratifiée par l’ensemble
des États membres du Conseil de l'Europe. En outre, la Convention
interdit la discrimination dans l’application des droits qui y sont énoncés
(article 14). Par conséquent, toute personne doit pouvoir jouir
du droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, sans
discrimination. En d’autres termes, les lesbiennes, les gays, les
bisexuels et les transsexuels jouissent du même droit à la liberté
d’expression et à la liberté de réunion que tout autre personne dans
les États membres du Conseil de l'Europe.
63. Toute restriction concernant l’exercice des droits à la liberté
d’expression et à la liberté de réunion doit être prévue par la
loi et nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale,
ou à la protection des droits et des libertés d’autrui.
64. Les autorités jouent un rôle central dans la défense du droit
à la liberté de réunion et d’expression. Ce rôle comprend l’obligation
positive de l’État d’assurer une protection efficace et de veiller
au respect des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels
qui souhaitent se réunir et s’exprimer, même si leurs opinions sont
impopulaires ou ne sont pas partagées par la majeure partie de la
société.
65. Comme l’a souligné le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe
en janvier 2008, « selon la jurisprudence établie de la Cour européenne
des Droits de l’Homme, une manifestation pacifique, qu’elle soit en
faveur des droits des personnes LGBT ou d’autres personnes, ne peut
pas être interdite uniquement en raison de l’existence de comportements
hostiles envers les manifestants ou les causes qu’ils défendent.
Au contraire, il incombe à l’Etat d’adopter des mesures raisonnables
et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique des manifestations
licites. Dans plusieurs de ses arrêts, la Cour a souligné que toute
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est contraire à
la Convention. Tous les Etats membres doivent respecter la Convention
lorsqu’ils appliquent leur législation nationale, notamment à la
lumière de la jurisprudence de la Cour »
.
66. Le Comité des Ministres
a
également invité tous les États membres à mettre en œuvre ses Recommandations
n° R (97) 20 relative au « discours de haine » et n° R (97) 21 relative
aux « médias et à la promotion d’une culture de tolérance » pour
ce qui concerne les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels. La
Recommandation relative au discours de haine affirme qu’ « une responsabilité
particulière incombe (…) aux autorités et institutions publiques
(…) de s'abstenir d'effectuer des déclarations (…), un discours
(…) et d'autres formes de discrimination ou de haine fondées sur
l'intolérance », en particulier lorsqu’ils sont propagés à travers
les médias. Toute ingérence dans la liberté d'expression devrait
être « étroitement limitée et appliquée de façon non arbitraire
conformément au droit, sur la base de critères objectifs (et) faire
l’objet d'un contrôle judiciaire indépendant ».
67. En 2007, dans l’affaire
Bączkowski
et autres c. Pologne , la Cour des droits de
l’homme a rendu son premier arrêt portant spécifiquement sur le
droit à la liberté de réunion des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels.
Elle a jugé que l’interdiction en 2005 de la parade de l’égalité
par les autorités de Varsovie constituait une violation de la Convention
(articles 11 et 14). La Cour a attiré l’attention sur l’obligation
positive de l’État de garantir la jouissance effective des droits
de la Convention, en soulignant que «cette obligation [revêtait]
une importance particulière pour les personnes ayant des points
de vue impopulaires ou appartenant aux minorités, parce qu’elles
[étaient] plus vulnérables à la victimisation ». Faisant référence
à une déclaration publique du maire de Varsovie d’alors, selon laquelle
il refuserait d’autoriser la tenue de ces parades, la Cour a rappelé
que l’exercice de la liberté d’expression par les élus « [entraînait]
une responsabilité particulière ».
5. Reconnaissance
juridique des couples de même sexe en Europe : des situations contrastées
68. Au regard du droit international, la décision du
législateur visant à accorder aux couples de même sexe l’accès au
mariage et/ou une forme de partenariat enregistré, ainsi que l’extension
de privilèges à ces institutions, sont laissées à la libre appréciation
de l’Etat. Toutefois, les pays de l’Union européenne sont tenus à
certaines obligations : pour respecter l’interdiction de discrimination
imposée par la législation de l’Union européenne, les Etats membres
qui autorisent une forme d’union comparable au mariage aux couples
de même sexe doivent garantir que ceux-ci jouissent des mêmes droits
que les couples mariés.
5.1. Evolution de la
législation en Europe
69. Dans l’Europe actuelle, il n’y a pas de consensus
parmi les États membres du Conseil de l’Europe et la situation varie
considérablement selon les pays en ce qui concerne la reconnaissance
juridique des couples de même sexe. Dans certains pays, les partenaires
de même sexe peuvent conclure un mariage civil, tandis que dans
d’autres ils peuvent, en enregistrant leur partenariat et/ou en
établissant un contrat officiel de cohabitation, obtenir la reconnaissance
juridique et la protection de la plupart ou d’une partie des droits accordés
aux couples hétérosexuels mariés. Toutefois, dans plusieurs États
membres du Conseil de l'Europe, il n’existe aucune loi dans ce sens
(voir le tableau ci-après). En outre, certains pays comme la Pologne,
la Lituanie, l’Ukraine et plus récemment la Lettonie, ont interdit
le mariage homosexuel dans leur Constitution en définissant le mariage
comme une union entre un homme et une femme.
70. La reconnaissance juridique des couples de même sexe est une
question qui suscite de vives polémiques, et l’on constate des différences
d’opinion à la fois entre les États membres et au sein de la population
de chaque État. Pour certaines personnes, les couples de même sexe
sont perçus comme étant « contre nature », une « menace » à la famille
traditionnelle et/ou une atteinte à « l’ordre moral ». Dans le même
temps, il faut également admettre que le refus de reconnaître les
couples homosexuels entraîne un traitement discriminatoire dans
l’application des droits inscrits dans la Convention européenne
des droits de l’homme et laisse souvent les personnes concernées
dans des situations d’incertitude et de détresse.
71. Au cours de l’audition de la commission juridique organisée
en 2008, les experts ont estimé que la reconnaissance juridique
des partenariats entre personnes de même sexe était un indicateur
des progrès accomplis en matière d’égalité, de citoyenneté pleine
et entière et de justice sociale. Ils ont présenté l’exemple du
Royaume-Uni qui, au départ, était très hostile à la reconnaissance
juridique des partenariats entre personnes de même sexe mais est
devenu, depuis 2005, l’un des pays les plus libéraux en la matière.
Les principaux facteurs qui ont facilité l’évolution de la législation
et des attitudes seraient :
- le
degré de développement de la communauté LGBT;
- la détermination d’un parti politique ou d’une coalition;
- le rôle des organisations religieuses.
72. Au Royaume-Uni, la communauté LGBT a essentiellement appelé
à la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de
même sexe au nom de l’égalité des droits et des devoirs mais aussi
de la nécessité de démontrer leur attachement mutuel et de voir
cet attachement publiquement reconnu.
73. Malgré l’absence de consensus, les pays sont de plus en plus
nombreux à adopter une forme de législation relative au statut des
couples de même sexe. Comme l’a récemment souligné le Parlement européen,
il conviendrait de prendre des mesures pour « faire en sorte que
les partenaires de même sexe jouissent du même respect, de la même
dignité et de la même protection que le reste de la société »
.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe a également
déclaré que la reconnaissance juridique des couples de même sexe
était nécessaire et que les prestations sociales et droits patrimoniaux doivent
être accordés de manière non discriminatoire
.
Aperçu de la situation dans les
États membres du Conseil de l'Europe
(les dates correspondent à l’entrée en vigueur de la législation
pertinente)
Aucune reconnaissance juridique
des couples de même sexe
|
Reconnaissance partielle
de la cohabitation des couples de même sexe, mais absence d’enregistrement
formel du partenariat ou du mariage
|
Enregistrement
formel d’un partenariat ouvert aux partenaires homosexuels ET hétérosexuels
|
Enregistrement
formel d’un partenariat ouvert UNIQUEMENT aux couples de même sexe
|
Accès
des couples de même sexe au mariage civil
|
Albanie
Arménie
Azerbaidjan
Bosnie-Herzégovine
Bulgarie
Chypre
Estonie
Géorgie
Grèce
Italie
Lettonie
Liechtenstein
Lituanie
Malte
Moldova
Monaco
Monténégro
Pologne
Roumanie
Fédération
de Russie
Saint-Marin
Serbie
Slovaquie
«L’ex-République yougoslave
de Macédoine»
Turquie
Ukraine
|
Autriche (1998)
Croatie
(2003)
Portugal (2001)
|
Statut quasi- équivalent à celui des couples mariés :
Pays-Bas
(1998)
Statut inférieur
à celui des couples mariés :
Andorre (2005)
Belgique
(2000)
France (1999)
Luxembourg (2004)
Législation
en préparation :
Irlande
|
Statut quasi- équivalent à celui des couples mariés) :
Danemark
(1989)
Finlande (2002)
Allemagne (2001)
Islande
(1996)
Royaume-Uni (2005)
Suisse (2007)
_____________
Statut inférieur à celui des couples mariés :
République
tchèque (2006)
Slovénie (2005)
Hongrie
(2009)
|
Belgique (2003)
Pays-Bas
(2001)
Espagne (2005)
Norvège (2009)
Suède
(2009)
[NB : Le Canada, l’Afrique du Sud et certains
États des Etats-Unis ont adopté une telle législation]
|
74. Les partenariats enregistrés peuvent engendrer presque
tous les avantages relatifs au mariage – c’est pourquoi l’on peut
parler de « quasi-mariage » comme dans le cas du Royaume-Uni – ou
bien seulement d’un nombre limité d’entre eux.
5.2. La dimension internationale
75. En 2000, l’Assemblée a exhorté les Etats membres
à réviser leurs politiques en matière de droits sociaux et de protection
des migrants afin de s’assurer que les partenariats et familles
d’homosexuels sont traités sur un pied d’égalité avec les partenariats
et familles d’hétérosexuels et à prendre les mesures nécessaires
pour que les couples binationaux de lesbiennes et de gays jouissent
des mêmes droits de séjour que les couples binationaux d’hétérosexuels.
Plus récemment, le 14 janvier 2009, le Parlement européen a invité
les Etats membres de l’Union européenne qui se sont dotés d’une
législation relative aux partenariats entre personnes de même sexe
à reconnaître les dispositions qui, adoptées par d’autres Etats
membres, produisent des effets similaires ; il a, en outre, appelé
les Etats membres à proposer des lignes directrices pour la reconnaissance
mutuelle entre les Etats membres de la législation en vigueur afin
de garantir que le droit à la libre circulation dans les pays de
l’Union européenne des couples de même sexe s’applique dans des conditions
égales à celles applicables aux couples hétérosexuels. En outre, il
a exhorté les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à prendre,
au nom du principe d’égalité, des mesures législatives pour combattre
la discrimination à laquelle se heurtent certains couples du fait
de leur orientation sexuelle.
5.3. Obligations/droits
patrimoniaux et obligations/droits parentaux
76. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,l’attribution de certains droits
pécuniaires (prestations telles que pensions, allocations de décès,
droits au bail, etc.) reste beaucoup moins problématique que l’octroi de
droits de parentalité. Le cas de la Belgique illustre bien cette
situation : alors que les couples homosexuels ont obtenu le droit
de se marier civilement en 2003, leur droit d’adopter des enfants
n’a pas été reconnu avant 2006.
77. Dans l’affaire Karner c. Autriche (2004)
concernant une inégalité au niveau des droits de bail des couples
hétérosexuels et homosexuels, la Cour a conclu que des « raisons
particulièrement graves » devaient être fournies pour pouvoir exclure
les couples de fait homosexuels des droits et obligations applicables
aux couples de fait hétérosexuels.
78. À l’heure actuelle, dans deux affaires portées devant la Cour,
des requérants avancent que les couples de même sexe devraient être
dispensés de l’obligation de se marier pour prétendre à tel ou tel
droit ou avantage
.
79. L’existence de couples de même sexe est un fait dans tous
les États membres du Conseil de l'Europe. S'agissant du concept
de la famille, il faut souligner qu'il a évolué au fil du temps
dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe. L’idée traditionnelle
de « la famille » représentée par la famille nucléaire –un couple
hétérosexuel marié et ses enfants – s’écarte de plus en plus de
la réalité vécue par une foule de familles européennes. En effet,
dans maints pays, comme la Lettonie, m’a-t-on dit, les familles
traditionnelles ne sont plus majoritaires. Il existe un grand nombre
de familles monoparentales, de familles sans enfant, de cas d'enfants
élevés par leurs grands-parents et de familles de même sexe (avec
ou sans enfant). Tant au niveau national qu’européen, les efforts
se multiplient pour reconnaître de nouveaux modèles familiaux et,
plus particulièrement, pour protéger les droits des enfants élevés
en dehors d’unités familiales traditionnelles fondées sur le mariage.
80. En outre, il ne faut pas oublier que certains couples de même
sexe ont bel et bien des enfants (soit issus de relations hétérosexuelles
antérieures, soit par le biais d’une conception assistée, d’une
insémination artificielle ou d’une adoption). Les familles en question
existent de fait et sont souvent appelées «familles LGBT». Rappelons-le,
il s’agit là d’un fait sociétal, qui ne peut être simplement ignoré.
81. Bien souvent, la législation internationale et nationale ne
reconnaît pas la réalité des relations familiales des enfants élevés
dans une famille LGBT, ce qui constitue un danger potentiel pour
leur sécurité juridique. À ce jour, la Cour n’ayant guère eu à se
pencher sur les droits de ces enfants. Ce sont les Etats qui décident
de la reconnaissance juridique à accorder, le cas échéant, à ces
familles et de la protection à apporter à ces enfants. Si la plupart
des enfants élevés dans des familles non traditionnelles partagent
une certaine vulnérabilité juridique quant à leurs liens familiaux,
pour les enfants grandissant au sein de familles LGBT, cette vulnérabilité
fait presque invariablement partie de la vie ; par exemple, dans
la majorité des pays, il n’existe aucune disposition législative
permettant de reconnaître et de protéger la relation d’un enfant
avec un « coparent » LGBT
. Ainsi, de nombreux enfants
de parents LGBT se voient privés de la jouissance des droits familiaux
que le droit international des droits de l’homme reconnaît à égalité
à tous les enfants. La discrimination et le préjudice subis par
les enfants de familles LGBT peuvent prendre une variété de formes. En
particulier, ces enfants peuvent se voir privés de leur droit à
vivre avec leurs parents et du respect de l'intégrité de leur vie
familiale. En l’absence de reconnaissance juridique, les coparents
LGBT se voient refuser la possibilité de prendre part à des décisions
importantes – concernant, par exemple, le traitement médical et l’éducation
de l’enfant. Ces conditions influent aussi sur la qualité des services
sociaux dont bénéficient ces enfants. Leur sort peut devenir particulièrement
dramatique en cas de décès du parent biologique. À l’évidence, cette
situation ne coïncide pas avec l’intérêt supérieur de l’enfant,
lequel, selon la Convention des Nations Unies relative aux droits
de l’enfant, doit être la considération primordiale dans toutes
les actions le concernant. C'est pourquoi la reconnaissance juridique
de la situation des enfants nés ou élevés dans des familles LGBT
est essentielle. Dans de nombreux cas, d’ailleurs, la législation
ne ferait qu’entériner une réalité sociale. Ignorer cette réalité
ne fait pas disparaître la réalité de leur existence, mais prive
seulement ces enfants de la pleine jouissance de leurs droits
.
82. L’adoption d’un enfant par des personnes homosexuelles est
certainement l’une des questions suscitant le plus de doutes, d’opposition
ou d’hostilité. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, la
situation concernant l’adoption varie. Même dans les pays où elle
est possible, il existe différents types de situations. Dans certains
pays, le législateur a introduit une distinction entre l’adoption
d’enfants non apparentés et l’adoption des enfants du partenaire :
les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Islande
et désormais également le Danemark (loi adoptée le 17 mars 2009)
autorisent les partenaires homosexuels à adopter ensemble des enfants
non apparentés, tandis que l’Allemagne et la Norvège autorisent
un partenaire homosexuel enregistré à adopter l’enfant de son partenaire.
83. L’adoption individuelle par une personne non mariée, qu’elle
soit ou non homosexuelle, est cependant plus largement permise,
mais ce droit n’existe souvent que sur le papier. Dans la pratique,
la plupart des personnes qui ne cachent pas leur homosexualité se
voient refuser par les autorités l’autorisation d’adopter, souvent
en raison de l’absence de modèle du rôle paternel/maternel favorable
au développement harmonieux de l’enfant adopté. La Cour européenne
des droits de l’homme a récemment rendu un arrêt
en la
matière à propos du refus des autorités françaises d’accorder l’autorisation
d’adopter à une femme homosexuelle. La requérante a allégué que
ce refus était fondé sur son orientation sexuelle et qu’elle était
victime d’une discrimination sur la base de son homosexualité. La
Cour a conclu que la décision des autorités françaises allait à
l’encontre de la Convention (violation de l’interdiction de la discrimination
et du droit au respect de la vie privée et familiale).
84. Il est souvent avancé qu’accorder des droits parentaux tendrait
à banaliser l’homosexualité et même à la rendre plus attrayante,
et élever des enfants dans une famille LGBT ferait d’eux des homosexuels
en puissance.
Lors des auditions
de la commission en 2008 et 2009, les experts ont souligné que le
pourcentage d'enfants qui, élevés par des couples de même sexe,
deviennent eux-mêmes homosexuels n'est ni supérieur, ni inférieur
au pourcentage d'enfants qui, élevés par des couples hétérosexuels,
deviennent homosexuels
. Par ailleurs, les enfants élevés
par des parents homosexuels sont généralement plus tolérants.
85. De surcroît, comme le démontrent les exemples italien et espagnol,
il n'y a pas de rapport de cause à effet entre la reconnaissance
juridique des partenariats entre personnes de même sexe et le taux
de natalité d'un pays, ainsi qu’il est souvent suggéré. Comme indiqué
dans le tableau sur les préjugés ci-dessus, les pays nordiques,
qui font partie des pays d’Europe ayant le mieux réussi à résoudre
les problèmes démographiques, ont été parmi les premiers à octroyer
des droits aux personnes LGB, alors que beaucoup des pays les plus répressifs
envers elles connaissent des problèmes démographiques graves.
86. Au cours de mes visites, j’ai parfois entendu soutenir que
la reconnaissance juridique des partenariats de même sexe et/ou
le fait d’accorder des droits parentaux constituent un danger pour
les « familles traditionnelles » (c’est-à-dire les couples hétérosexuels
mariés avec enfants). Or, rien n’empêche les deux types de familles
d’exister et de se développer au sein d’une même société ou dans
le même pays. Si la famille dite « traditionnelle » (couple hétérosexuel
marié avec enfants) est en perte de vitesse dans beaucoup de pays européens,
en voici les raisons : de plus en plus d’hétérosexuels choisissent
de ne pas se marier, le nombre de divorces augmente et davantage
de couples hétérosexuels mariés choisissent de ne pas avoir d’enfants.
87. En 2004, l’Assemblée a recommandé au Comité des Ministres
d’appliquer, dans la mesure du possible, une interprétation large
de la notion de famille et, en particulier, d’inclure dans cette
définition les membres de la famille naturelle, les concubins (y
compris partenaires de même sexe), les enfants nés hors mariage,
les enfants en garde conjointe, les enfants majeurs à charge et
les parents à charge
.
Comme déjà indiqué ci‑dessus, en juillet 2008, le Comité des Ministres
du Conseil de l'Europe a entrepris des travaux sur la question des
diverses formes conjugales et non conjugales de partenariat et de
cohabitation afin de déterminer d'éventuelles mesures à prendre
pour prévenir la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle
ou l'identité de genre.
88. En tant que rapporteur, j’estime qu’il est essentiel que les
enfants grandissent entourés d’affection, ce qui peut certainement
être tout aussi bien assuré par des familles « traditionnelles »
que « non traditionnelles ». Quant aux droits familiaux des enfants
élevés dans des familles LGBT, ils doivent être pleinement respectés.
À cet effet, il est donc primordial et urgent que soit mis en place
le cadre juridique nécessaire. À mon avis, cette démarche exige
la reconnaissance juridique des couples de même sexe, en établissant,
au minimum, la responsabilité parentale commune des enfants de chacun
des partenaires en toute égalité avec les couples hétérosexuels,
voire aussi le droit de chaque partenaire à adopter les enfants
de l’autre partenaire.
6. Perspective historique
et facteurs pouvant favoriser une approche respectueuse des droits
de l’homme
89. À l’occasion de mes visites d’information et au cours
des auditions tenues par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, des experts ont souligné qu’un certain
nombre de facteurs sont essentiels pour favoriser l’évolution des
comportements, ainsi que de la législation et des mesures pouvant empêcher
ou combattre la discrimination. Certains ont également insisté sur
la nécessité d’examiner la question dans une perspective historique,
afin d’illustrer l’évolution des préjugés et de la discrimination
existant dans telle ou telle société.
6.1. Quelques perspectives
historiques
90. Comme il a été rappelé lors de l’audition tenue en
2008, il fut un temps (pas si lointain) où les personnes à cheveux
roux et les gauchers se voyaient stigmatisés, discriminés pour des
motifs qui paraissent aujourd’hui ridicules. De même, dans un certain
nombre de pays, étaient stigmatisés les enfants nés hors mariage,
ou dont les parents étaient divorcés ou qui étaient élevés par un
parent seul, tout comme aujourd’hui les enfants grandissant dans
des «familles LGBT».
91. Il est intéressant de noter que le Parlement européen définit
l’homophobie comme « un sentiment irrationnel de peur et d'aversion
à l'égard de l'homosexualité et des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles
et ‘transgenres’, fondé sur des préjugés et comparable au racisme,
à la xénophobie, à l'antisémitisme et au sexisme »
.
92. À noter également que, dans le cadre d’un programme de suivi
sur les discours de haine réalisé en Lettonie en 2006-2007, des
déclarations homophobes émanant de personnalités publiques ont été
comparées à des déclarations nazies contre les juifs ; il semblerait
que la publication de ce rapport de suivi ait donné lieu à des améliorations.
93. Comme l’a rappelé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
en mai 2009, « Tout le monde sait que des homosexuels ont été arrêtés
et envoyés dans des camps de concentration par les nazis, mais on
sait moins que beaucoup d’entre eux ont dû purger leur peine de
détention après leur libération des camps. Cela peut paraître choquant,
mais cette réaction s’inscrivait dans la logique de la discrimination
profonde dont étaient victimes les homosexuels à cette époque en
Europe […]. Il a fallu attendre 1990 pour que l’Organisation mondiale
de la santé retire l’homosexualité de sa liste des maladies mentales
et, il y a quelques années encore, l’homosexualité était toujours
considérée dans plusieurs pays d’Europe comme une infraction criminelle ».
6.2. Facteurs favorables
à une évolution de la législation et des attitudes
94. Il semble qu'une diversité de facteurs, et parfois
une combinaison d'entre eux, peuvent jouer un rôle clé dans l'évolution
des attitudes et de la législation. Reste que l’engagement en faveur
des droits de l’homme et des principes de non-discrimination est
certainement le facteur le plus déterminant.
a. Connaissance des questions en jeu et attachement aux droits
de l’homme et aux principes de l'égalité de traitement et de la
non‑discrimination :
- le rôle
des ONG et le degré de développement de la communauté LGBT ;
- la capacité des personnes LGBT à s’organiser collectivement
et à faire du lobbying auprès des principaux partis et organisations ;
- les informations disponibles et le rôle des médias ;
- le suivi (« monitoring ») de la situation des personnes
LGBT en matière de droits de l'homme ;
- un climat social et politique ouvert et, plus particulièrement,
la quête de l'égalité ;
- le rôle de certaines personnes (notamment le soutien apporté
par les autorités politiques) ;
- le degré de compréhension de ces questions et de connaissance
objective des faits, notamment parmi les responsables politiques/législateurs ;
- l'engagement d'un parti politique ou d'une coalition et
la volonté de changement ;
- la prise de conscience du fait que la législation doit
reconnaître la réalité sociale ;
- la compréhension des questions de droits de l'homme en
jeu et le ferme engagement à promouvoir la dignité de tous les êtres
humains, la tolérance et le respect ;
- une opposition ferme à la discrimination à l'égard des
personnes LGBT et la suppression de l'impunité pour les violations
des droits de l'homme dont les personnes LGBT sont la cible ;
- l'éducation au sens le plus large ;
- les organes de promotion de l'égalité et les structures
nationales de défense des droits de l'homme (médiateurs) dont les
missions et pratique couvrent la discrimination fondée sur l'orientation
sexuelle et l'identité de genre.
b. Autres facteurs en jeu dans certains cas
- le rôle des Eglises, leur degré
d'« interventionnisme » sur ces questions et leur influence ;
- la décentralisation, le rôle des pouvoirs locaux et le
soutien de l'opinion publique ;
- l’acceptation de la diversité et son caractère « traditionnel » ;
- la participation des citoyens et les droits de décision
collective.
c. La dimension internationale
- les normes et valeurs des organisations internationales,
notamment des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de l'Union
européenne, qui soulignent que les droits de l'homme et les libertés
fondamentales sont universels ;
- la jurisprudence des organes judiciaires internationaux ;
- la reconnaissance de la nature internationale des questions
considérées (notamment la reconnaissance des partenariats entre
personnes de même sexe d'un pays à l'autre).
6.3. Exemples concrets
- A Chypre, une décision
de la Cour européenne des droits de l'homme a conduit à la dépénalisation
de l'homosexualité.
- En Espagne, pays pourtant doté d'une forte tradition catholique,
le mariage civil est désormais ouvert aux couples de même sexe.
Les principaux facteurs ayant facilité l'évolution de la législation
et des attitudes seraient :
- l’engagement
d'un parti politique ;
- la mobilisation de la communauté LGBT ;
- le fait qu'un certain nombre de personnes ont pris leurs
distances par rapport à l'Eglise catholique du fait de la position
de certaines autorités religieuses sous le régime de Franco.
- En Suisse, où la société est plutôt conservatrice, les
cantons et les référendums d'initiative populaire sont à l'origine
de l'évolution vers une reconnaissance juridique des partenariats
entre personnes de même sexe.
- Au Royaume-Uni, (comme indiqué ci‑dessus) les principaux
facteurs ayant facilité l'évolution de la législation et des attitudes
seraient les suivants :
- le
degré de développement de la communauté LGBT ;
- la détermination d'un parti politique ou d'une coalition;
- le rôle des institutions à base religieuse.
6.4. L’importance du
dialogue
95. À l’occasion de l’audition tenue par la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme à Berlin en mars
2009, la question de la religion et de l’homosexualité a été soulevée,
notamment quant à la possibilité d’un dialogue avec les institutions
religieuses. À la demande de certains membres, j’ai indiqué que mon
rapport traiterait brièvement cette question.
96. Les attitudes des autorités religieuses envers les personnes
LGBT et leurs droits sont extrêmement variables. Selon le rapport
de la FRA sur l’homophobie et la discrimination fondées sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre (
La situation
sociale) en ce qui concerne les Etats membres de l’Union
européenne :
- Dans bon nombre
d’Etats membres de l'Union européenne, les institutions religieuses
conservatrices n’hésitent pas à s’élever contre les personnes LGBT,
affirmant généralement que cet état est contraire à la doctrine
religieuse et doit être combattu et non encouragé.Ces institutions vont parfois jusqu’à
faire pression sur la législation qui protège plus spécialement
les personnes LGBT et à faire campagne contre les événements LGBT ;
- En revanche, il existe aussi des exemples de dialogue
instauré entre personnes LGBT et des institutions et organisations
religieuses. Certaines églises (ou branches confessionnelles) ont
accueilli des personnes LGBT au sein de leurs communautés et tenté
de désamorcer l’intolérance fondée sur des croyances religieuses.
Ainsi, aux Pays-Bas en 1995, le synode de l'Eglise réformée néerlandaise
a publié une déclaration selon laquelle les membres de l'Eglise
jouissent de droits égaux, indépendamment de leur orientation sexuelle
ou de leur mode de vie. En Finlande, depuis 1999, la paroisse de
Kallio à Helsinki, accueillerait des personnes LGBT et organiserait
des messes dans le cadre de la Marches des fiertés dans plusieurs
lieux. En Suède, l'Eglise luthérienne a participé à la Marche des
fiertés 2008.
97. Certaines églises autorisent la bénédiction des couples de
même sexe – telles, au Danemark, l’Eglise luthérienne dès 1997.
Dans l’Eglise anglicane, au Royaume-Uni, les questions de la bénédiction
des couples de même sexe et de l’ordination de prêtres gay et lesbiennes
ont soulevé débats et controverses
.
98. J'estime que le dialogue entre toutes les instances – pouvoirs
publics, institutions nationales de défense des droits de l’homme,
organismes chargés de promouvoir l’égalité, défenseurs des droits
de l’homme œuvrant pour les droits des personnes LGBT et institutions
religieuses –, fondé sur le respect mutuel, doit être encouragé
afin d’améliorer la compréhension mutuelle et la protection des
droits des personnes LGBT.
7. Conclusion
99. Le manque de connaissances et de compréhension concernant
l’orientation sexuelle et l’identité de genre est un défi à relever
dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, car il
entraîne toute une série de violations des droits de l’homme.
100. L’éradication de l’homophobie et de la transphobie nécessite
la volonté politique des Etats membres de mettre en œuvre une approche
cohérente en matière de droits de l’homme et de se lancer dans un
vaste éventail d’initiatives. L'éducation au sens le plus large
est essentielle pour susciter des changements. Il incombe tout particulièrement
aux parlementaires d’initier et de soutenir des changements dans
la législation, les pratiques et les politiques appliquées par les
Etats membres du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe a aussi
le devoir de promouvoir un message clair en matière de respect et
de non-discrimination, afin que tout un chacun vive dans la dignité
et le respect dans tous ses Etats membres.
101. Il convient de prendre des mesures concrètes pour combattre
la discrimination spécifique dont sont victimes les personnes transgenres
et pour éliminer les obstacles qui les empêchent de « vivre dans
la dignité et le respect, conformément à l'identité sexuelle choisie
par elles au prix de grandes souffrances »
.
102. Le dialogue entre toutes les instances, fondé sur le respect
mutuel, est également crucial pour améliorer la compréhension mutuelle,
combattre les préjugés et faciliter les débats publics et les réformes
sur les questions concernant les personnes LGBT.