1. Introduction
1. Le 2 septembre 2008, j’ai été désigné rapporteur
de la commission de la culture, de la science et de l’éducation,
des sciences et de l’éducation sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie
en Europe, sur la base d’une proposition de résolution (
Doc. 11558) présentée par M. Margelov et plusieurs de ses collègues.
Le 26 avril 2010, une nouvelle proposition de résolution, intitulée
«Le voile intégral, faut-il agir?» (
Doc. 12159) a été renvoyée à la commission, afin qu’elle soit prise
en compte dans le présent rapport.
2. En vue d’élaborer ce rapport, la commission de la culture,
de la science et de l’éducation a organisé, le 8 septembre 2009
à Copenhague, une audition sur le thème de l’islam, de l’islamisme
et de l’islamophobie en Europe. Un compte rendu de cette audition
est présenté dans le document AS/Cult (2009) 20 rév. Un précédent
rapport, consacré à la liberté d’expression et au respect des croyances
religieuses, établi par ma collègue finlandaise, Mme Sinikka
Hurskainen, peut également tenir lieu de document de référence (
Doc. 10970).
3. Le présent rapport vise à mettre en lumière les enjeux auxquels
sont confrontées les sociétés européennes du fait de l’islam et
de leurs communautés musulmanes de plus en plus importantes, tout
en réfléchissant à la manière dont ces défis pourront être relevés
en garantissant le respect de chacun, quelle que soit sa religion.
2. L’islam en Europe
4. Pendant des siècles, les pays d’Europe et d’Afrique
du Nord, du Proche-Orient et d’Asie ont entretenu d’étroites relations,
marquées par des guerres de conquête mais également par des périodes
de cohabitation pacifique, d’entente et d’échanges intellectuels,
culturels et notamment commerciaux. A la suite de la fondation de
l’islam au VIIe siècle, la civilisation
et la culture des pays islamiques ont eu d’importantes répercussions
sur la science, les connaissances et la culture en Europe. En 1991,
l’Assemblée parlementaire a adopté un rapport sur la contribution
de la civilisation islamique à la culture européenne (
Doc. 6497), qui reconnaissait l’importance de la contribution
passée de l’islam et du rôle positif qu’il pouvait jouer en Europe
aujourd’hui.
5. Après les conquêtes des chefs arabes dans la péninsule Ibérique
du VIIIe au XVe siècle
et en Sicile du Xe au XIe siècle,
la présence musulmane en Europe débute; elle se poursuit avec la
conquête de l’Europe du Sud-Est par l’Empire ottoman, du XIIIe au
XVIIe siècle. Quatre Etats membres du
Conseil de l’Europe sont, traditionnellement, majoritairement musulmans.
En Europe occidentale, la présence de populations musulmanes a rapidement
augmenté au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
A la suite des visas de travail octroyés aux ressortissants turcs
selon des traités bilatéraux signés par la Turquie et, par exemple, l’Allemagne
(1961), une première génération de musulmans est venue combler les
besoins en main-d’œuvre de ces pays. Cette immigration, considérée
tout d’abord comme provisoire, est peu à peu devenue permanente et
partie intégrante des sociétés européennes. Après l’indépendance
des anciennes colonies européennes d’Afrique du Nord et d’Asie,
leurs ressortissants ont bénéficié d’un accès privilégié en France,
aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, par exemple. Les musulmans qui s’installent
aujourd’hui en Europe sont originaires du Proche-Orient, d’Afrique
et d’Asie du Sud-Est, qu’ils quittent à cause des conditions économiques
ou politiques difficiles de ces régions. L’islam est une composante
du paysage religieux et du patrimoine culturel de l’Europe moderne.
6. La tolérance religieuse est une valeur fondamentale en Europe;
il a fallu des siècles pour parvenir à cette situation. Après les
souffrances de la guerre de Trente ans, une cohabitation religieuse
pacifique a été établie en Europe entre catholiques romains et protestants,
grâce à la paix de Westphalie en 1648. L’émancipation des juifs
d’Europe s’est faite progressivement, au gré des législations nationales:
en 1791 en France, en 1812 dans le royaume de Prusse et enfin en
1874 en Suisse, par exemple. L’importance de la religion dans la
société européenne s’est atténuée avec l’industrialisation et les
migrations qui l’ont accompagnée, ainsi qu’avec la mise en place
de l’enseignement scolaire obligatoire. L’Holocauste juif et les
crimes contre l’humanité commis en ex-Yougoslavie ont rappelé à
l’Europe les terribles conséquences de l’intolérance religieuse
ou ethnique et l’importance capitale des droits de l’homme et de
la démocratie pour toute société humaine civilisée.
7. La religion a conservé son importance séculaire dans les pays
islamiques d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui, pour une bonne
part, ont été des colonies européennes; leur économie demeure essentiellement
agricole, tandis que la pauvreté et l’illettrisme y sont largement
répandus. Les bénéfices considérables tirés du pétrole et du gaz
dans certains de ces pays au cours des dernières décennies ont été confisqués
par quelques élites locales. Les luttes politiques engagées pour
le contrôle de ces ressources ont conduit, dans certains pays, à
l’émergence d’un extrémisme à caractère religieux, comme lors de
la révolution dite islamique de 1979 en Iran. De plus, le conflit
au Proche-Orient et la situation des Palestiniens ont donné naissance
à un terrorisme organisé qui prend diverses formes, depuis les attentats-suicides
dont les simples citoyens sont victimes en Israël, jusqu’à l’attaque
contre l’équipe israélienne par des Palestiniens à l’occasion des
jeux Olympiques de Munich en 1972.
8. Alors que la présence de l’islam en Europe devenait plus visible,
un décalage est apparu sur le plan des valeurs politiques et sociales,
notamment au sujet de la laïcité, des droits de l’homme en général
et des droits des femmes en particulier, mais également par rapport
à la conception européenne libérale de l’égalité entre hommes et
femmes, du mariage ou des questions relatives à la sexualité. Les
débats suscités par la place de l’islam en Europe sont parfois houleux
et source d’inquiétude pour les musulmans, qui considèrent l’Europe comme
une menace pour leur religion, et pour les non-musulmans qui jugent
l’islam dangereux pour leurs valeurs.
9. D’une manière générale, les populations immigrées ont des
difficultés à s’intégrer dans leur pays d’accueil, mais cette intégration
semble plus lente encore pour ceux d’entre eux qui sont de confession musulmane.
Même les deuxième et troisième générations d’immigrés musulmans
ont parfois du mal à accepter les valeurs européennes, qui leur
semblent être en contradiction avec leurs valeurs culturelles ou familiales
traditionnelles. Ces valeurs sont souvent définies comme «islamiques».
Les jeunes musulmans en particulier s’identifient davantage à l’islamisme
qu’au pays d’origine de leur famille ou au pays européen dont ils
sont ressortissants. Cette identification à l’islam est plus forte
aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques dizaines d’années;
elle provient en partie de l’augmentation de la population musulmane
et, parfois, de l’existence d’une société musulmane parallèle.
10. Les conflits identitaires des populations musulmanes, ainsi
que l’opposition entre des valeurs considérées comme européennes
et islamiques, sont habilement exploités par des soi-disant islamistes,
qui mobilisent les immigrés musulmans de deuxième et troisième générations
afin qu’ils rejettent les principes fondamentaux des sociétés européennes
modernes, au nom de leur incompatibilité avec l’islam. L’islamisme est
de plus en plus influent au sein des populations musulmanes d’Europe
et prône le recours à la violence à l’encontre des non-musulmans.
Les islamistes demeurent cependant très minoritaires parmi les musulmans européens.
11. Les attentats terroristes commis par des criminels au nom
de l’islam, et notamment les attentats de New York en 2001, de Madrid
en 2004 et de Londres en 2005, ont accentué partout en Europe la
peur de l’islam et des musulmans, ainsi que l’intolérance à leur
égard, que l’on qualifie parfois d’islamophobie. L’un des objectifs de
ces attentats terroristes était, bien entendu, de faire naître un
sentiment d’hostilité à l’égard des musulmans de manière à ce que
les musulmans eux-mêmes, se considérant exclus du reste de la société
et victimes de cette hostilité, finissent par réagir face à cette
situation.
2.1. L’islam
12. L’islam est une religion monothéiste abrahamique,
fondée au VIIe siècle. Le nombre de ses
fidèles, 1,6 milliard de musulmans, en fait l’une des principales
religions du monde. L’islam repose sur la croyance fondamentale
que le prophète Mahomet est le dernier messager de Dieu et a accompli
les révélations attribuées aux prophètes précédents, notamment Adam,
Abraham, Moïse et Jésus. Les musulmans croient également à l’idée
d’un jugement dernier, présente dans les autres religions abrahamiques.
Le christianisme et l’islam reposent sur le judaïsme et ont par
la suite intégré et étoffé bon nombre de ses principes.
13. Le texte religieux essentiel de l’islam et la source fondamentale
de la foi et de la pratique religieuse de tout musulman sont le
Coran. Selon l’islam, le Coran contient les révélations divines
faites à Mahomet par l’ange Gabriel il y a quatorze siècles. A l’instar
de la Bible, l’enseignement du Coran porte avant tout sur le rapport
entre Dieu et les hommes; il énonce des principes directeurs qui
visent à créer une société vertueuse et à amener les hommes à bien
se conduire.
14. Les cinq piliers de l’islam, cinq obligations essentielles
imposées à tout musulman, forment les principaux éléments de la
vie rituelle islamique. Le premier pilier commande de proclamer
qu’il n’existe qu’un seul Dieu et que Mahomet est son prophète.
Chaque musulman doit prononcer ces mots publiquement au moins une
fois dans sa vie. Le second pilier impose de faire cinq prières
canoniques à heures fixes au cours de la journée: avant l’aube,
au milieu du jour, au milieu de l’après-midi, au coucher du soleil
et la nuit. Le troisième commande de faire l’aumône. Les musulmans
parvenus à l’aisance doivent faire un don aux pauvres chaque année.
Le quatrième pilier impose le jeûne durant le ramadan, neuvième
mois du calendrier islamique, durant lequel les musulmans adultes
s’abstiennent de s’alimenter entre le lever et le coucher du soleil.
Les voyageurs, les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes
et les malades sont toutefois exonérés de cette obligation. Enfin,
le cinquième pilier est celui du pèlerinage à La Mecque, que tout
musulman doit effectuer, s’il le peut, au moins une fois dans sa
vie.
15. La Sunna, deuxième source principale du droit islamique après
le Coran, rapporte les propos et les habitudes du prophète Mahomet.
Consignée sous forme de compilations appelées hadiths, la Sunna
est devenue un modèle de conduite musulmane qui complète le Coran.
Chiites et sunnites ne sont toutefois pas d’accord sur son contenu.
Les chiites récusent certains hadiths jugés valables par les sunnites,
et inversement. Cette situation, liée à leur désaccord au sujet
des chefs religieux qui ont succédé au prophète à sa mort, entraîne
un certain nombre de différences entre l’islam pratiqué par ces
deux groupes.
16. Bien que le Coran et la Sunna soient les principales sources
de la charia – la loi islamique – il existe par ailleurs de nombreux
principes islamiques et normes éthiques découlant d’une interprétation
érudite des textes et définis par consensus ou par analogie au fil
des siècles: ils constituent la jurisprudence islamique. La charia repose
globalement sur quatre grandes sources: le Coran proprement dit,
la Sunna, l’ijma (consensus des érudits islamiques ayant valeur
de précédent) et les qiyas (fruits d’un raisonnement par analogie).
Cependant, toute autre source de droit islamique doit être par essence
conforme au Coran. Les juges peuvent recourir à l’ijma, aux qiyas
et à l’ijtihad (raisonnement juridique indépendant, prôné essentiellement
par l’islam chiite) pour édicter une nouvelle jurisprudence lorsqu’une
affaire soulève des questions qui n’ont pas été traitées par le Coran
ou la Sunna. Les divers courants islamiques ont cependant des avis
souvent divergents à propos de l’acceptation de ces sources spécifiques
et de la manière de les utiliser.
17. Cet héritage extrêmement riche et complexe des doctrines théologiques
et éthiques de l’islam est inaccessible à la plupart des musulmans.
Il faut en effet des années d’études islamiques pour parvenir à
la connaissance indispensable des diverses doctrines théologiques,
éthiques et juridiques de l’islam. Pour l’islam sunnite uniquement,
la charia peut être interprétée de quatre manières différentes,
selon les quatre écoles de pensée qui ont élaboré la jurisprudence
religieuse au cours des trois premiers siècles de l’islam, à savoir
le hanafisme, le chaféisme, le malékisme et le hanbalisme, chacune
reposant sur l’interprétation de leur fondateur. Ces écoles n’accordent
pas la même importance aux qiyas et à l’ijma lorsqu’il s’agit de
rendre un avis juridique. Cependant, certains musulmans ne suivent
aucun courant particulier et d’autres combinent l’enseignement des
différentes écoles.
2.2. La diversité au sein de l’islam
18. L’islam ne forme pas un ensemble cohérent ni un bloc
monolithique; comme toutes les autres religions, la communauté islamique
se compose d’un large éventail de courants, de croyances et de pratiques
religieux. L’islam comporte plusieurs branches, qui présentent elles-mêmes
une grande diversité. La plupart des musulmans appartiennent aux
deux principales dénominations de l’islam: le sunnisme et le chiisme.
Les sunnites sont les plus nombreux, puisqu’ils représentent plus
de 85 % de la population musulmane, tandis que les chiites forment
la deuxième principale subdivision de l’islam, soit environ 10 %
de l’ensemble des musulmans. Les chiites sont majoritaires en Azerbaïdjan,
à Bahreïn, en Iran et en Irak. La Turquie, l’Afghanistan, l’Inde,
le Koweït, le Liban, le Pakistan, l’Arabie saoudite, la Syrie et
le Yémen comptent une importante population musulmane chiite.
19. Le schisme survenu entre sunnites et chiites trouve son origine
dans le choix des successeurs de Mahomet à la tête de la communauté.
Alors que les sunnites reconnaissent l’autorité du compagnon du prophète,
Abû Bakr, les chiites reconnaissent uniquement celle des membres
de la famille du prophète. Les sunnites ont en conséquence admis
comme successeurs légitimes de Mahomet les trois premiers califes
(Abû Bakr, Omar et Otman) et n’accordent aucune fonction religieuse
ou politique particulière aux descendants d’Ali (cousin et gendre
du prophète, considéré par les sunnites comme le quatrième calife).
Les chiites considèrent cependant que le premier calife désigné
par le prophète était Ali; ils reconnaissent par conséquent seulement à
celui-ci et à ses descendants la dignité de calife, qu’ils qualifient
d’imam (c’est-à-dire de chef politique et religieux de la communauté
musulmane chiite).
20. La principale branche de l’islam chiite est le chiisme duodécimain,
mais il compte de nombreux autres courants, qui se subdivisent eux-mêmes
en de multiples rameaux, en fonction des désaccords de leurs adeptes
sur la succession des imams. Les chiites sont ainsi divisés sur
le choix du véritable imam en plusieurs courants, connus sous le
nom de zaydisme (chiisme partisan du cinquième imam), ismaélisme
(chiisme partisan du septième imam) et imâmisme (chiisme duodécimain).
Ces deux derniers courants croient en un imam caché, qui attend
l’époque choisie par Dieu pour son retour afin de servir de guide
à l’humanité. Le statut de l’imam pour les chiites diffère de celui
du calife pour les sunnites. Alors que le calife est le chef spirituel
et politique de la communauté, l’imam en est le chef infaillible
et pur, désigné par Dieu comme un modèle exemplaire pour les croyants.
L’institution du califat dans l’islam sunnite a été abolie par Mustafa
Kemal Atatürk en 1924. Comme les sunnites n’ont aucune hiérarchie
cléricale prescrite, tout musulman détenteur d’un savoir suffisant,
c’est-à-dire tout «ouléma», peut diriger une communauté religieuse
et rendre des avis non contraignants. Le chiisme, en revanche, dispose
d’une hiérarchie cléricale. Les oulémas situés au sommet de cette
hiérarchie traditionnelle sont les ayatollahs, qui dirigent la communauté
chiite en l’absence provisoire de l’imam caché. Nul n’est cependant
autorisé à s’exprimer au nom de l’ensemble des musulmans.
21. Outre le sunnisme et le chiisme, il existe d’autres courants
religieux mineurs distincts de ceux-ci, comme le kharidjisme, l’ibadisme,
le mutazilisme ou l’ahmadisme, bien que ce dernier ne soit pas considéré
comme islamique dans certains pays. La vie religieuse islamique
présente une autre dimension importante: le mysticisme islamique,
connu sous le nom de soufisme, une forme mystico-ascétique de l’islam.
Le soufisme se subdivise en un grand nombre d’ordres et il est souvent
suspect aux yeux des autres musulmans.
22. Les musulmans ne forment par conséquent pas un groupe homogène.
Outre leurs différents courants et pratiques religieux, leur culture,
leur langue et leur origine ethnique sont extrêmement variées.
2.3. La population musulmane en
Europe
23. L’islam est la deuxième plus importante religion
d’Europe. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, cette
religion est traditionnellement professée par la majorité de la
population, alors qu’elle est ailleurs celle de la majorité des
immigrés et des citoyens issus de l’immigration ou des citoyens
européens convertis à l’islam. La plupart des musulmans d’Europe
occidentale, immigrés ou issus de l’immigration, sont originaires de
Turquie, du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud. Les
populations musulmanes d’Europe du Sud-Est, du Caucase, de Russie
ou de Turquie sont pour l’essentiel indigènes.
24. La population musulmane d’Europe occidentale a considérablement
augmenté au cours des dernières décennies. Alors qu’ils étaient
environ 800 000 en 1950, les musulmans sont aujourd’hui plus de
23 millions, ce qui représente près de 5 % de la population. Leur
taux de croissance est de plus en plus important et leur nombre
devrait continuer à progresser.
25. La communauté islamique d’Europe présente d’importantes différences,
dues non seulement au type d’islam auquel ses membres se rattachent,
mais également à leur origine, leur pays de référence, leur culture, leur
langue, leurs traditions et leur appartenance ethnique. Certains
musulmans européens sont adeptes d’une doctrine rigoriste, tandis
que d’autres, la majorité d’entre eux, ne pratiquent pas activement
leur religion. Certains sont partisans des valeurs européennes modernes,
que d’autres rejettent. Les termes musulman et islam embrassent
ainsi, au même titre que ceux de chrétien et christianisme ou de
juif et judaïsme, des réalités diverses qui méritent des éclaircissements
pour éviter toute simplification et confusion.
26. Certains pays européens comptent une proportion plus élevée
de musulmans, issus de divers pays d’origine. En France, la population
musulmane est principalement originaire des anciennes colonies françaises d’Afrique:
Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal et Mali. En Allemagne, l’immense
majorité des musulmans sont Turcs, tandis qu’ils sont essentiellement
Pakistanais, Bangladais et Indiens au Royaume-Uni. Aux Pays-Bas et
en Belgique, les musulmans sont surtout originaires d’Indonésie,
du Maroc et de Turquie.
27. Il n’existe, en Europe, aucune structure institutionnelle
qui représente l’ensemble de la communauté musulmane à l’échelon
national ou européen. Les pouvoirs publics doivent choisir soigneusement
leurs interlocuteurs musulmans, dans la mesure où certaines organisations
islamiques apparemment dignes de confiance sont en réalité extrêmement
radicales et prônent un modèle de société incompatible avec les
valeurs et les institutions d’une Europe démocratique. Les islamistes
deviennent souvent membres de ces structures musulmanes car elles
leur confèrent une participation politique. Il serait préférable
que les pays européens collaborent avec des structures attachées
aux valeurs européennes et qu’ils rejettent les organisations radicales.
L’intégration des musulmans ne pose pas uniquement un problème sur
le plan religieux; tous les immigrés y sont confrontés, quelle que
soit leur affiliation religieuse.
3. Les idéologies islamiques
3.1. L’islamisme
28. L’islamisme, ou islam politique, est une idéologie
qui vise à obtenir une influence politique, en vue d’appliquer les
principes de l’islam au monde. Les musulmans pour lesquels les préceptes
de l’islam ne représentent pas seulement une croyance religieuse,
mais devraient occuper une place essentielle dans l’ordre politique
et social de la société, peuvent être qualifiés d’islamistes. Ces
derniers estiment que l’islam régit tous les domaines de l’existence
et n’admettent par conséquent pas la séparation de la religion et
de l’Etat. Ils ambitionnent d’atteindre leur but, soit par l’endoctrinement
pacifique, la propagande et la lutte politique, soit par des méthodes
violentes, comme l’assassinat et le terrorisme.
29. L’islamisme n’est pas un phénomène contemporain. Dès le début
du XXe siècle, des personnages comme
le Pakistanais Sayyid Al Mawdoudi ou l’Egyptien Sayyid Qutb se présentaient
comme les pères fondateurs de l’islamisme et prônaient l’établissement
d’un Etat islamique pour y appliquer la charia. Sayyid Qutb fut
sans nul doute l’une des personnalités marquantes du mouvement islamiste
des «Frères musulmans», fondé par Hassan al-Banna en 1928 et qui
demeure le mouvement politique islamique le plus influent du monde
musulman. Ces mouvements furent parmi les premiers à organiser l’opposition
au régime colonial européen.
30. Au début du XXe siècle, l’islamisme
se limitait au monde musulman. Il est désormais également présent en
Europe. L’islamisme se manifeste principalement par la pénétration
progressive des sociétés européennes, où il conteste les valeurs
et les normes démocratiques, en tentant peu à peu de les remplacer
par ses propres principes et, par conséquent, d’imposer son idéologie
aux sociétés européennes. Bien que les islamistes soient très minoritaires
parmi les musulmans, ils exercent une forte influence dans les sociétés
européennes, que ce soit dans les médias, les lieux de culte ou
la société civile. Ils sont organisés, obtiennent des fonds versés
par les riches Etats pétroliers du Golfe et bénéficient d’une importante
couverture médiatique dans le monde entier.
31. L’islam politique ne forme pas un mouvement uni: il comporte
des courants différents et des idéologies et croyances diverses.
Les attentats terroristes ou les décrets publics de condamnation
à mort (fatwa) ne sont que la manifestation extrême de cet islam
politique. Habituellement, il procède de manière pacifique par pénétration
politique, en contestant les normes en vigueur et les habitudes
sociales: il demande que les femmes portent le foulard, que des
repas halal soient servis dans les cantines scolaires, que les hommes
et les femmes soient séparés dans les piscines, que les établissements
scolaires et les employeurs réservent des salles spéciales pour
la prière quotidienne et interdit aux femmes de suivre les cours
d’éducation physique si l’établissement scolaire ne peut assurer
la séparation des sexes.
32. Le salafisme contemporain, une branche de l’islam radical,
se veut rigoriste sur le plan doctrinal, mais s’engage assez peu
sur le terrain politique, à l’exception du salafisme djihadiste,
plus radical, qui recourt à la violence contre les musulmans critiques
et les sociétés non musulmanes. Les salafistes ambitionnent néanmoins
de faire revivre un islam plus étroitement conforme à celui qui
existait à l’époque du prophète Mahomet; ils affirment ainsi embrasser
le pur islam du Coran et de la Sunna, tels qu’ils étaient conçus
et pratiqués à l’époque de leurs «pieux prédécesseurs». Leur principale
revendication politique est l’application stricte de la charia,
qui est selon eux la seule loi que les musulmans soient tenus d’observer.
Ils ne cherchent par conséquent pas à mener des actions en Europe,
mais se contentent de vivre leur pratique de l’islam dans l’isolement.
Toutefois, contrairement aux autres islamistes, ils estiment que
l’adhésion aux règles de la charia est le fruit d’un engagement
individuel de chaque musulman et non l’affaire de l’Etat.
33. Le salafisme n’est pas un mouvement uniforme; l’éventail de
ses adeptes s’étend du salafisme djihadiste au wahhabisme ultraconservateur.
Il n’a cependant pas toujours prôné le retour au pur islam de l’époque
du prophète Mahomet. Au milieu du XIXe siècle,
le mouvement salafiste se référait aux idées réformistes islamiques
de Jamal al-Din al-Afghani, Muhammad Abdu et Rachid Rida, qui désiraient
concilier islam et modernité, en privilégiant les principes de l’islam.
3.2. L’islamisme, un défi lancé
aux sociétés européennes
34. Les islamistes prônent un modèle de société incompatible
avec les valeurs et les structures politiques d’une Europe démocratique,
tolérante et pluraliste. Leurs revendications contestent la démocratie,
la laïcité et les droits de l’homme. Les islamistes ne sont pas
disposés à se soumettre à un cadre juridique national, qu’ils jugent
contraire à leurs croyances religieuses. Ils n’acceptent pas la
séparation de la religion et de l’Etat.
35. L’islamisme progresse parmi les descendants des immigrés musulmans.
Ceux-ci, qui vivent principalement dans des zones défavorisées,
considèrent l’islam comme une source d’identité et de fierté, un moyen
de réparer les injustices dont ils se sentent victimes, de remédier
à des perspectives socio-économiques médiocres et d’exprimer leur
colère. Plus leur sentiment de frustration et d’aliénation est grand, plus
ils sont susceptibles d’adhérer à ces courants. Le salafisme séduit
les jeunes musulmans parce qu’il leur permet de se différencier
de leurs parents et de leurs grands-parents, mais également parce
qu’il peut être la manifestation d’une rébellion adolescente, un
moyen d’affirmer leur désir d’individualité et d’attirer l’attention de
l’opinion publique par une expression religieuse intransigeante.
Le salafisme séduit par ailleurs les convertis par sa prétention
à l’authenticité. Il offre aux musulmans la possibilité de s’opposer
de façon claire et intransigeante à «l’Occident» et aux valeurs
des sociétés européennes.
36. Certaines mosquées européennes étaient régulièrement fréquentées,
voire contrôlées, par les islamistes. Les mosquées de Finsbury Park
à Londres, d’Al-Quds à Hambourg ou d’Iqra en banlieue parisienne étaient
des centres islamistes. Bien que ces lieux de prière aient fourni
aux islamistes de nouvelles recrues et une organisation logistique,
ils sont considérés comme de simples sièges d’activité, et non comme
des foyers de prolifération. Depuis les attentats terroristes de
New York en 2001, les pouvoirs publics et les mosquées elles-mêmes
se montrent plus vigilants, ce qui a amené les islamistes à exercer
leurs activités de manière souterraine et en ligne. Internet joue
en effet un rôle de plus en plus important dans le recrutement des islamistes.
37. Les islamistes ne souhaitent pas réellement l’intégration
des musulmans dans les sociétés européennes et ils les poussent
par conséquent à rejeter les valeurs et les normes européennes.
Le dialogue est essentiel pour régler les questions liées à l’intégration.
Mais ce dialogue peut uniquement exister et avoir un sens entre des
personnes qui se respectent profondément, espèrent que des cultures
différentes puissent coexister pacifiquement et sont attachées au
fait de s’inspirer de valeurs communes pour garantir cette coexistence pacifique.
L’islamisme rejette clairement les caractéristiques essentielles
de la culture européenne et les valeurs fondamentales communes à
l’ensemble des pays européens, telles que les énonce la
Recommandation 1804 (2007) de l’Assemblée parlementaire sur «Etat, religion, laïcité
et droits de l’homme». L’islamisme refuse le multiculturalisme et
ne peut que mener à l’intolérance.
38. Les pays européens doivent agir en faisant preuve d’un sens
aigu des responsabilités et en ayant connaissance de la propagande
faite par les islamistes, car cette question est délicate à traiter
pour les responsables politiques. Un adepte de l’islam n’est pas
forcément un authentique représentant de cette religion et ce que
certains affirment au nom de l’islam ne présente pas davantage un
caractère nécessairement religieux. Les responsables politiques,
les gouvernements mais aussi les médias ne font souvent aucune distinction
entre musulmans, islamistes et extrémistes politiques.
3.3. Le terrorisme politique perpétré
au nom de l’islam
39. Le colonel Kadhafi, qui a pris le pouvoir en 1969
en Libye, pays riche en pétrole, a récemment appelé à la guerre
sainte (djihad) contre la Suisse, à la suite de l’interdiction des
minarets décidée sur initiative populaire et de l’arrestation de
son fils à Genève en 2008 pour l’agression de deux employés de maison.
Kadhafi était lié aux attentats à la bombe perpétrés dans une discothèque
à Berlin en 1986, sur le vol 103 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie
en 1988 et dans un avion de la compagnie française UTA au-dessus
du Sahara en 1989. En 1989, l’ancien dirigeant religieux et politique
de l’Iran, le grand ayatollah Khomeiny, a prononcé un décret de
condamnations à mort (fatwa) à l’encontre de Salman Rushdie pour
son ouvrage Les Versets sataniques. Oussama
ben Laden aurait prononcé deux fatwas en 1996 et 1998, par lesquelles
il appelait les musulmans à tuer les civils et soldats américains
avant que son réseau terroriste Al-Qaida ne commette les attentats-suicides
en avion contre le World Trade Center à New York et le Pentagone
à Washington le 11 septembre 2001, causant la mort d’environ 2 900
personnes. Le 11 mars 2004, un attentat terroriste lié à Al-Qaida
et perpétré dans un train de banlieue à Madrid a fait 191 morts
et environ 1 800 blessés. Après avoir réalisé son film Soumission, qui critiquait le traitement
réservé aux femmes dans les sociétés islamiques, Theo van Gogh a
été assassiné à Amsterdam le 2 novembre 2004 par un musulman néerlando-marocain.
L’ancienne députée néerlandaise Ayaan Hirsi Ali, qui avait participé
au film et critiqué les traditions musulmanes, a été placée sous protection
policière depuis 2004 et a finalement quitté les Pays-Bas. Les attentats-suicides
à la bombe commis de façon coordonnée par quatre musulmans britanniques
dans le métro et dans un bus de Londres le 7 juillet 2005 ont fait
52 morts et environ 700 blessés. En 2006, le grand ayatollah iranien
Fazel Lankarani a prononcé une fatwa appelant à l’assassinat, d’une
part, du journaliste azerbaïdjanais Rafiq Tagi, auteur d’articles consacrés
à l’islam et qui avait publié, dans le quotidien azerbaïdjanais Senet, les caricatures de Mahomet parues
dans le Jyllands-Posten et,
d’autre part, du rédacteur en chef de Senet, Samir
Sedagetoglu. Kurt Westergaard, auteur de la caricature du Jyllands-Posten qui représentait
le prophète Mahomet coiffé d’un turban muni d’une bombe en septembre
2005, a reçu de nombreuses menaces de mort et a été agressé à son domicile
par un musulman somalien armé d’une hache le 1er janvier
2010. Dans les cimetières palestiniens, les terroristes auteurs
d’attentats-suicides se voient réserver une place d’honneur en leur
qualité de «saints martyrs».
40. L’objectif apparent de ces attentats et menaces terroristes
est de faire peur aux non-musulmans et de provoquer chez eux une
réaction hostile aux musulmans, de faire naître chez les musulmans
un sentiment de force et de renforcer leur unité contre les non-musulmans,
tout en poursuivant un certain nombre d’objectifs politiques, comme
la lutte pour le pouvoir politique à l’échelle régionale ou internationale.
Durant la guerre froide menée par l’Union soviétique et ses alliés
contre l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale, les terroristes
qui combattaient au nom de l’islam ont été à certaines époques soutenus
par l’un ou l’autre camp, par exemple en Afghanistan ou au Proche-Orient.
Quelques dirigeants du Moyen-Orient contrôlent de vastes ressources
pétrolières et utilisent l’islam comme un moyen d’asseoir leur propre
pouvoir politique. En 2007, 93 % des opiacés présents sur le marché
mondial, d’une valeur de quelque 64 milliards de dollars des Etats-Unis,
provenaient d’Afghanistan. Les musulmans d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient qui brûlaient des drapeaux danois devant les caméras
de télévision au moment de l’épisode du Jyllands-Posten ne connaissaient
sans doute pas le Danemark, mais ces drapeaux leur avaient été remis
à des fins de propagande par des dirigeants régionaux qui espéraient
ainsi renforcer leur position fragile au sein de leur propre pays.
Comme ces dirigeants ne sont habituellement pas élus de manière
libre et équitable à l’occasion d’un scrutin démocratique, ils estiment
que la démocratie et l’Etat de droit menacent leur lutte pour le
pouvoir et dénoncent ces valeurs, en les qualifiant de valeurs occidentales
propres à des infidèles.
4. La discrimination à l’encontre
des musulmans
4.1. L’islamophobie
41. Bien qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune définition
commune de l’islamophobie, ce terme est souvent employé pour décrire
les préjugés ou la discrimination dont font l’objet l’islam ou les
musulmans. Mais il est de par son étymologie source de confusion,
dans la mesure où, si l’islamophobie signifie la peur de l’islam,
elle n’est pas nécessairement associée à une discrimination à l’encontre
des musulmans. Une personne peut, à juste titre ou à tort, avoir
peur de l’islam ou de certains de ses aspects sans pour autant avoir
de préjugés à l’égard des musulmans ou de l’islam. La discrimination
pratiquée à l’encontre des musulmans dans les domaines de l’intégration
économique, sociale et culturelle peut reposer sur des motifs plus
xénophobes que religieux.
42. L’opinion publique européenne est largement façonnée par les
actes ou les menaces terroristes au nom de l’islam qui sont très
largement médiatisés. Les attentats terroristes de New York en 2001
ont entraîné une recrudescence des actes d’intolérance à l’égard
des musulmans européens, comme le montrent les conclusions de l’EUMC
(Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes) et
de l’ECRI (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance).
Les attentats perpétrés sur des lieux de culte, comme les cimetières
musulmans ou les mosquées, sont symptomatiques de ce phénomène.
Les femmes elles-mêmes, lorsqu’elles affichent clairement leur appartenance
à l’islam en portant le foulard, sont particulièrement confrontées
à l’islamophobie. La condamnation de ces actes d’agression à l’encontre
des musulmans est de la plus haute importance. La discrimination
dont sont victimes certaines personnes du fait de leur religion
et l’hostilité agressive à l’encontre d’une religion sont autant
de manifestations d’intolérance incompatibles avec les valeurs du
Conseil de l’Europe.
43. Les islamistes eux-mêmes brandissent le terme islamophobie
pour échapper aux critiques et imposer le silence aux réformateurs
musulmans libéraux, qu’ils accusent d’avoir une vision islamophobe
de l’islam. Le fait de critiquer un courant religieux n’est pas
un acte de discrimination à l’encontre de ses adeptes, mais une manifestation
de la liberté d’expression au sein d’une société démocratique. L’Assemblée
a réaffirmé ce principe dans sa
Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances
religieuses, ainsi que dans sa
Recommandation 1805 (2007) «Blasphème, insultes à caractère religieux et discours
de haine contre des personnes au motif de leur religion».
44. La Résolution du 26 mars 2009 du Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies, qui condamne la «diffamation des religions»,
qualifiée de violation des droits de l’homme, a prié le rapporteur
spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination
raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée de
faire rapport sur «toutes les manifestations de la diffamation des
religions, et en particulier sur les incidences graves de l’islamophobie».
Cette résolution peut représenter une menace pour le droit à la
liberté d’expression et pourrait être utilisée dans certains pays
pour faire taire le débat et les critiques au sujet des religions,
ou pour intimider les défenseurs des droits de l’homme, les dissidents
religieux et politiques ainsi que les minorités religieuses. Elle
traduit les objectifs politiques d’un grand nombre de pays musulmans
au sein des Nations Unies, mais n’est pas adaptée à la gravité du
sujet ou à sa pertinence pour les droits de l’homme universels.
4.2. Clichés et idées reçues à propos
de l’islam
45. L’islamophobie est souvent le fruit de l’ignorance,
d’une vision simpliste, des clichés et des idées reçues négatives.
La connaissance des religions en général fait défaut à bien des
personnes: l’islam et les musulmans leur demeurent par conséquent
méconnus. La
Recommandation
1720 (2005) de l’Assemblée sur l’éducation et la religion souligne
que la religion doit être enseignée pour que chacun puisse comprendre
les points communs et les différences entre sa religion et celle
d’autrui, admettre les religions d’autrui et s’accommoder de leurs
différences.
46. Les médias jouent un rôle important dans l’image véhiculée
de l’islam. Or, les journalistes chargés de couvrir le monde musulman
connaissent souvent très mal l’islam et se focalisent notamment
sur l’islam radical. L’extrémisme politique se revendique parfois
de l’islam et les reportages ou les articles consacrés aux régimes violents
et non démocratiques confondent leur action politique avec l’islam.
Les médias peuvent ainsi contribuer à donner une image déformée
de l’islam, qui est bien souvent considéré comme une religion plutôt extrémiste,
terroriste ou intégriste que pacifique. Dès lors, l’image de l’islam
se détériore, tandis que la peur des musulmans croît en Europe.
47. Les partis d’extrême droite de plusieurs pays européens ont
modifié leur discours traditionnellement hostile à l’immigration
et aux étrangers et exploitent désormais davantage les craintes
de l’opinion publique à l’égard de l’islam. Leurs campagnes politiques
attisent les sentiments antimusulmans et favorisent l’amalgame entre
musulmans et extrémistes religieux. Ils se font les chantres de
la crainte d’une Europe submergée par les musulmans. Des partis
politiques tels que le Front national en France, le Parti pour la
liberté aux Pays-Bas, le Vlaams Belang en Belgique ou le Parti populaire
en Suisse ont fait avec succès campagne contre l’islam et ont largement
contribué à la stigmatisation des musulmans. Le Parti populaire
suisse a soutenu une initiative populaire fédérale qui visait à
interdire par référendum la construction de minarets et a mené à
cette fin une campagne xénophobe. Aux Pays-Bas, le Parti pour la
liberté a fait campagne pour l’interdiction du Coran, en comparant
le texte religieux de l’islam à Mein
Kampf de Hitler. Leurs discours font l’amalgame entre
islam et islamisme et considèrent tous les musulmans comme des islamistes.
Par leur présentation simpliste et les clichés négatifs qu’ils ont
véhiculés, ces partis ont donné une image déformée de l’islam.
48. En Suisse, l’initiative populaire «contre la construction
des minarets», lancée par les membres du «Parti populaire suisse»
et de «l’Union démocratique fédérale», visait à obtenir l’interdiction
constitutionnelle de la construction de nouveaux minarets. Cette
initiative a été approuvée en novembre 2009 par 57,5 % des votants et
par la majorité des cantons, bien que le Conseil fédéral, le Parlement
fédéral et la plupart des partis politiques suisses se soient prononcés
contre l’interdiction. En conséquence, la construction des minarets
n’est plus autorisée en Suisse, mais l’édification de mosquées et
de lieux de culte reste possible. Cette interdiction suisse a été
nettement influencée par l’image déformée qui était donnée de l’islam
et qui visait les islamistes et leurs pratiques. La décision d’interdire
la construction de nouveaux minarets n’est cependant pas une mesure
efficace contre l’extrémisme islamique et pourrait même avoir un
effet contraire. Le minaret est un symbole architectural de l’islam
qui indique, au même titre que les clochers, un lieu de culte dans
lequel les musulmans peuvent pratiquer leur religion. Or, l’interdiction
générale des minarets porte clairement atteinte à l’esprit de l’article
9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les libertés
fondamentales et les droits de l’homme essentiels garantis par cette
Convention ne font heureusement pas l’objet de référendums populistes
dans lesquels une majorité impose son point de vue à une minorité.
49. L’image de l’islam pâtit de l’attitude de certains musulmans
qui associent à l’islam certaines pratiques culturelles et patriarcales
sans rapport avec l’enseignement islamique traditionnel, et contraires
à la législation des démocraties européennes: lesdits «crimes d’honneur»,
les mutilations génitales ou le port du voile intégral par les femmes
(la burqa et le niqab). Bien que de tels actes ne
puissent être mis en rapport avec les principes traditionnels de
l’islam, ce dernier a souvent été invoqué pour les justifier. Il
est indispensable d’établir une distinction entre les pratiques
culturelles, sociales, ethniques et religieuses de l’islam. Par
conséquent, le fait de s’opposer au port coercitif du voile intégral
par les femmes ne peut être considéré comme une violation des normes
islamiques.
50. L’image de l’islam pâtit également des principes, des normes
éthiques et des valeurs morales de l’islam qui sont contraires aux
valeurs européennes. L’inégalité entre hommes et femmes est sans
aucun doute une question cruciale, que les musulmans européens doivent
régler en adaptant l’islam à l’Europe démocratique moderne. Les
femmes musulmanes sont confrontées à des difficultés particulières
au sein de leur univers familial ou conjugal, bien que celles qui
vivent en Europe n’aient pas à subir les situations les plus graves, comme
la polygamie ou la lapidation. Les musulmans ne sont bien entendu
pas les seuls à pratiquer la discrimination des femmes. Certaines
formes de discrimination, par exemple pour l’exercice de fonctions religieuses,
existent également dans le catholicisme et le judaïsme. En outre,
l’acceptation culturelle de l’égalité entre hommes et femmes n’est
pas la même dans les différentes régions d’Europe et, dans la plupart des
pays, la reconnaissance officielle de cette égalité doit encore
être pleinement mise en œuvre. Néanmoins, et bien que le statut
social des femmes musulmanes puisse varier considérablement en fonction
de leur classe sociale, de leurs études et de leur pays d’origine,
la soumission des femmes aux hommes est enracinée dans la tradition
islamique et des modifications importantes (sinon radicales) s’imposent
à cet égard pour faire progresser l’intégration.
5. L’intégration des musulmans
dans les démocraties européennes
5.1. Le pluralisme religieux et
culturel de l’Europe
51. Dans sa
Résolution
1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances
religieuses, l’Assemblée déclarait que la religion était une composante
importante des sociétés européennes et que les chrétiens, juifs,
musulmans et adeptes de nombreuses autres religions étaient chez
eux en Europe, au même titre que les personnes qui n’en pratiquaient
aucune. Eu égard aux principes énoncés par la Convention européenne
des droits de l’homme, les communautés religieuses peuvent exercer
leur droit fondamental à la liberté de religion dans tous les Etats
membres du Conseil de l’Europe, au titre de l’article 9 de cette
même Convention. Toutefois, en vertu du paragraphe 2 de l’article
9, les Etats membres ont la faculté de limiter le droit d’une personne
à manifester sa religion ou ses convictions, sous réserve que ces
«restrictions (…), prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires,
dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection
de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection
des droits et libertés d’autrui».
52. Le pluralisme religieux et culturel de l’Europe repose sur
des principes et des valeurs qui dépassent toute particularité religieuse
ou culturelle, dans la mesure où ils visent à protéger les droits
et libertés d’autrui. Les valeurs européennes présentent notamment
un intérêt pour les minorités religieuses, puisqu’elles protègent
le droit de ces dernières à pratiquer leur religion, quand bien
même elle ne serait pas la religion professée par la majorité de
la population d’un pays. Les droits de l’homme forment le socle
du pluralisme démocratique de l’Europe.
53. La
Résolution 1510
(2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances
religieuses souligne que «l’objectif général doit être de préserver
la diversité au sein de sociétés ouvertes et inclusives, fondées
sur les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit,
en encourageant la communication et en favorisant les compétences
et les connaissances nécessaires pour mener une coexistence pacifique
et constructive dans les sociétés européennes [et] entre les pays
européens».
54. La publication des caricatures de Mahomet par le quotidien
danois Jyllands-Posten a donné
naissance à un débat public opposant la tolérance religieuse à la
liberté d’expression. Les menaces de mort proférées ultérieurement
à l’encontre des auteurs des caricatures et des journalistes sont
inadmissibles. La publication des caricatures et les violentes réactions
qu’elles ont suscitées ont été utilisées de manière abusive à la
fois par les islamistes et les islamophobes pour accentuer la distance
installée mais présentée de façon déformée entre musulmans et non-musulmans.
55. L’intégration sociale, culturelle et politique des musulmans
ne signifie pas leur assimilation; ils peuvent s’intégrer sans cesser
d’être musulmans. Mais le fait de leur accorder la nationalité du
pays dans lequel ils vivent ne suffit pas toujours à garantir leur
intégration. De nombreux musulmans nés en Europe ou devenus ressortissant
d’un pays européen restent victimes d’une ségrégation et ne s’intègrent
pas dans leur société d’accueil. Le taux de chômage reste plus élevé
chez les musulmans que chez les immigrés non musulmans et leur niveau
d’éducation est généralement inférieur, surtout parmi les femmes.
56. La laïcité, qui représente l’une des valeurs communes de l’Europe,
impose la séparation de la religion et de l’Etat. Pour bon nombre
de musulmans, l’islam est un système qui englobe tous les domaines
de l’existence, aussi bien l’espace social que la sphère privée,
et qu’ils jugent par conséquent incompatible avec la laïcité. L’islam
fournit un système social et juridique; il règle des domaines tels
que les questions matrimoniales, l’éthique, les codes vestimentaires
ainsi que les pratiques et les rites religieux. En ce sens, l’islam
n’est guère différent des autres religions, qui fixent également
des règles applicables aux comportements humains et sociaux. La
laïcité ne signifie pas qu’il est interdit à une personne de vivre
en accord avec ses valeurs et de les pratiquer publiquement ou que
les responsables politiques ne peuvent être sensibles à des valeurs
religieuses. Elle impose uniquement aux institutions étatiques de
rester neutres envers l’ensemble des religions et, par conséquent,
de ne marquer aucune préférence à l’égard d’une région particulière.
5.2. Le débat sur la burqa
57. En France, un débat public sur le voile intégral
– la burqa ou le niqab – a conduit à l’élaboration
d’un projet de loi visant à l’interdiction générale du port de la burqa dans les lieux publics. A
la suite d’une demande d’étude, le Conseil d’Etat français, juridiction
administrative suprême, a décidé le 25 mars 2010 qu’une interdiction
générale ne serait pas possible selon la Constitution française.
Le 30 avril 2010, la Chambre des députés belge s’est prononcée en
faveur d’une interdiction générale de la burqa,
qui doit encore être approuvée par le Sénat belge.
58. Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, a indiqué dans son «point de vue» publié à l’occasion
de la Journée internationale de la femme le 8 mars 2010, que les
femmes devaient être libres de choisir la façon dont elles s’habillent,
sans qu’interfèrent ni leurs communautés ni les autorités publiques.
L’interdiction de la burqa et
du niqab ne libérerait pas
les femmes opprimées mais pourrait, au contraire, aggraver leur
exclusion dans les sociétés européennes.
59. La laïcité ne suppose pas d’interdire les pratiques religieuses
dans l’espace public. Les expressions culturelles et sociales des
religions font partie du droit à la liberté de religion prévu par
l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et
du droit à la liberté d’expression prévu par son article 10. L’article
9 de la convention inclut le droit de toute personne de choisir
librement de porter ou non un vêtement religieux en privé ou en
public. Les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent
être justifiées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société
démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque
les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent
de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage.
60. Le port du voile par les femmes, et en particulier du voile
intégral sous forme de burqa ou
de niqab, est perçu comme
un symbole de soumission des femmes aux hommes, qui restreint le
rôle des femmes dans la société, limite leur vie professionnelle
et entrave leurs activités sociales et économiques. Or, ni le port
du voile intégral par les femmes, ni celui du foulard, ne sont universellement
reconnus comme une obligation religieuse imposée par l’islam: ils
relèveraient plutôt d’une coutume sociale et culturelle. Cette tradition
peut représenter une menace pour la dignité et la liberté des femmes.
Aucune femme ne devrait être contrainte de porter une tenue religieuse
par sa communauté ou sa famille et il importe de protéger les femmes
contre toute exclusion de la vie publique.
61. Les pays européens doivent trouver un juste équilibre entre
le fait de laisser la liberté aux femmes musulmanes de porter le
foulard ou la burqa lorsqu’elles
le font par conviction et la nécessité de protéger celles qui y
sont forcées par leurs parents, leur mari, leur famille, ou sous
la pression de leurs pairs. Une interdiction générale pourrait avoir
des effets pervers et inciter les familles et la communauté musulmane
à faire pression sur les femmes pour qu’elles restent chez elles
et limitent leurs relations aux autres femmes. Les femmes musulmanes
seraient encore davantage exclues si elles devaient quitter les
institutions éducatives, se tenir à l’écart des lieux publics et
renoncer à travailler hors de leur communauté pour ne pas rompre
avec leur tradition familiale.
62. Réglementer les codes vestimentaires et les symboles religieux
dans la sphère publique revient à lutter contre les symptômes et
non contre les causes de l’extrémisme religieux. Il est donc peu
probable que cette mesure réduise l’influence exercée par l’extrémisme
sur les musulmans européens. L’interdiction de la burqa n’est qu’une illustration
des difficultés rencontrées par l’Europe pour intégrer les musulmans
et détourne l’attention des véritables problèmes. L’islamisme ne
peut être combattu par une interdiction des symboles de l’extrémisme.
La burqa est un symptôme de
l’islam radical et de l’inégalité entre les femmes et les hommes sous
couvert de l’islam, mais elle n’en est pas la cause.
63. Les Etats européens devraient respecter le choix volontaire
des femmes musulmanes de porter un foulard ou d’autres attributs
religieux, comme ils autorisent les religieuses ou les moines chrétiens
et les juifs orthodoxes à porter une tenue religieuse, ou les femmes
juives orthodoxes à dissimuler leurs cheveux sous une perruque.
Les Etats membres devraient plutôt s’attacher à élaborer des politiques
ciblées, visant à sensibiliser les femmes musulmanes à leurs droits,
à les aider à prendre part à la vie publique et à leur offrir les
mêmes possibilités de mener une vie professionnelle et d’accéder
à l’indépendance socio-économique qu’aux autres citoyens. A cet
égard, l’éducation des jeunes femmes musulmanes, de leurs parents
et de leurs familles est primordiale.
5.3. L’islam européen
64. L’islam est une religion non violente, tout comme
le judaïsme et le christianisme. Leurs racines communes, qui tiennent
à leur nature abrahamique, démontrent l’immense valeur que ces trois
religions accordent à la vie et à la dignité humaine. Les actes
terroristes portent fondamentalement atteinte à ces valeurs. Ils
relèvent d’une utilisation politique abusive de l’islam et sont
le signe d’une coercition psychologique. Ils sont une insulte à
l’islam et il importe que les musulmans et les non-musulmans le
fassent remarquer dans les débats publics. Dès que les musulmans
s’élèveront et protesteront en nombre suffisant contre cette utilisation
abusive de leur religion, les véritables valeurs de l’islam deviendront
perceptibles aux yeux de chacun.
65. Puisque les musulmans des régions subsahariennes ont mis en
place un islam qui leur est propre, souvent qualifié d’islam africain,
tout comme il existe en Inde un islam indien, il est réaliste de
penser qu’un islam européen, respectueux des valeurs de la démocratie
et des droits de l’homme, pourrait voir le jour. Les musulmans d’Albanie
et de Bosnie-Herzégovine, par exemple, ont vécu et pratiqué leur
religion en tant qu’Européens, sans succomber à des tendances extrémistes.
66. Mais cette réforme de l’islam ne pourra être opérée que si
les musulmans admettent les interprétations modernes de l’islam.
Il convient par conséquent que les Etats encouragent les musulmans
européens à tirer parti des libertés d’expression et d’information,
de l’indépendance de l’enseignement et de la démocratie pour procéder
à une analyse critique des pratiques islamiques. La laïcité européenne
ne permet évidemment pas à l’Etat de prendre une part active à la
réforme d’une religion. Il appartient à ses seuls adeptes de la
vivre et de la réformer.
67. Nombre d’imams qui prêchent dans les mosquées européennes
ont été formés hors d’Europe. Lorsqu’ils arrivent dans leur pays
d’accueil, ils en ignorent souvent la langue, tandis que la culture
et les valeurs européennes ne leur sont pas familières. Il importe
que les imams qui prêchent dans les mosquées européennes aient une
bonne connaissance de la langue, de la culture, des institutions
et des valeurs de leur pays d’accueil. Le fait de permettre aux
musulmans d’Europe de faire des études islamiques et de recevoir
un enseignement islamique, et aux enseignants de l’islam de suivre
des formations, contribuerait à intégrer les musulmans dans les
sociétés européennes. La plupart des pays d’Europe proposent des
cours de religion dans le cadre de l’enseignement scolaire, mais
ils ont parfois tendance à limiter cet enseignement à une religion.
Il importe également de proposer un enseignement de l’islam en Europe.
68. L’Assemblée a adopté un certain nombre de textes consacrés
à des questions connexes, notamment la
Recommandation 1849 (2008) pour la promotion d’une culture de la démocratie et
des droits de l’homme par l’éducation des enseignants, la
Recommandation 1682 (2004) sur l’éducation à l’Europe, la
Recommandation 1396 (1999) «Religion et démocratie» et la
Recommandation 1202 (1993) sur la tolérance religieuse dans une société démocratique.
Rappelons également la Recommandation Rec(2002)12 du Comité des
Ministres relative à l’éducation à la citoyenneté démocratique.
L’éducation représente sans aucun doute un moyen de favoriser l’émergence
d’un islam européen, présentant une authenticité propre et respectueuse
des droits de l’homme et du pluralisme démocratique.
6. Conclusion
69. Les idéaux européens de rationalité, de compréhension
mutuelle et d’humanité doivent conduire à un dialogue interculturel
pacifique au sein des sociétés européennes. Il importe que les musulmans
d’Europe deviennent des citoyens européens à part entière, avec
tous les droits et obligations qui leur sont attachés, des citoyens
qui adhèrent aux valeurs fondamentales que défend le Conseil de
l’Europe.
70. Le fait de croire que sa propre religion est la seule vraie
foi ne saurait justifier le refus de reconnaître à autrui la liberté
de culte. Les pays et les peuples d’Europe ne peuvent et ne sauraient
admettre d’opinions religieuses qui entraînent des pratiques politiques,
sociales ou familiales contraires aux droits de l’homme, et notamment
à l’égalité entre hommes et femmes ou au refus de toute discrimination
pour des raisons de genre ou d’orientation sexuelle. Ces pratiques
sont en effet calquées sur les sociétés qui existaient à l’époque
où les diverses religions ont fait leur apparition. Il est indispensable,
aujourd’hui, de dépasser cette conception rétrograde des religions
dans tous les domaines concernant les libertés et les droits fondamentaux.
71. De nombreux musulmans d’Europe adhèrent aux valeurs et à la
culture européennes et considèrent l’Europe comme leur patrie; mais
de plus en plus de jeunes musulmans européens se sentent aussi victimes d’une
aliénation culturelle et ne veulent pas respecter des valeurs et
des normes européennes qui, à leurs yeux, portent atteinte à leur
identité islamique. Ces musulmans sont plus vulnérables aux idéologies extrémistes
et succombent plus facilement aux idées radicales des islamistes.
Il est par conséquent primordial de poursuivre l’intégration des
jeunes musulmans dans la vie sociale, économique, politique et culturelle
des sociétés européennes.
72. Les sociétés européennes doivent continuer à concilier les
diverses religions et à considérer les musulmans comme des concitoyens
à part entière. L’intolérance à l’égard de l’islam et des musulmans
a augmenté ces dernières années. Les musulmans se sentent certes
stigmatisés du fait de leur religion, mais ils sont victimes de
multiples discriminations, dont la religion n’est que l’une des
facettes.
73. L’exclusion sociale et la discrimination culturelle des musulmans,
tout comme l’islamophobie, ne doivent pas être tolérées en Europe.
A cet égard, je vous renvoie à la Recommandation de politique générale
no 5, «La lutte contre l’intolérance
et les discriminations envers les musulmans», adoptée par la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe
le 27 avril 2000, ainsi qu’au Livre blanc
du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel,
publié par le Comité des Ministres le 7 mai 2008.
74. Les valeurs européennes – droits de l’homme, démocratie et
Etat de droit – garantissent la cohabitation pacifique des citoyens.
Les musulmans européens peuvent pleinement tirer parti de ces valeurs
et de ces normes, mais sont également tenus de les accepter. Il
leur appartient de rejeter la mise en place d’une société parallèle.
Un islam réformé pourrait être compatible avec les valeurs européennes,
si l’on considère que tout texte religieux peut être lu et interprété
de manière différente, selon les époques. L’islam est la somme des textes
et des pratiques que les musulmans qualifient d’islamiques.
75. Pour ce qui est du Conseil de l’Europe, le débat qui nous
occupe devrait conduire à l’adoption des recommandations suivantes:
- la discrimination à l’encontre
des musulmans ne saurait être tolérée en Europe, car elle porte
atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme;
- la liberté de religion des musulmans doit être pleinement
garantie, mais cette liberté ne peut être invoquée pour refuser
l’exercice d’autres libertés et droits de l’homme fondamentaux,
notamment le droit à la vie des non-musulmans, le droit à l’absence
de discrimination des femmes ou des minorités, le droit à la liberté
d’expression et le droit à la liberté de religion des non-musulmans;
- il importe que les Etats membres favorisent l’intégration
culturelle, économique et politique des immigrés musulmans dans
la société européenne;
- l’islam devrait devenir une matière de l’enseignement
supérieur et un sujet de recherche en Europe, afin d’éviter toute
confusion entre islam et extrémisme politique;
- il convient d’inciter les musulmans d’Europe à s’élever
contre les actes de terrorisme et de violence commis au nom de l’islam,
afin de lutter contre cette utilisation abusive de l’islam;
- les Etats membres devraient favoriser l’éducation interreligieuse,
de manière à sensibiliser l’opinion publique aux origines et aux
valeurs communes du judaïsme, du christianisme et de l’islam, ainsi
qu’à leur incidence sur l’humanisme européen moderne;
- il convient de favoriser les contacts entre les Européens
musulmans, et non musulmans et les musulmans d’Afrique du Nord,
du Proche-Orient et d’Asie, notamment chez les jeunes, les étudiants
et les enseignants;
- il importe de soutenir la coopération entre les établissements
éducatifs et culturels, ainsi qu’entre les villes du Bassin méditerranéen.